Le patrimoine des oligarques toulousains à la fin du Moyen Age : constitution et gestion
p. 633-648
Texte intégral
1Les oligarchies toulousaines retenues ici sont strictement politiques : il s’agit des familles qui forment le milieu capitulaire ou qui jouent un rôle politique aux XIVe et XVe siècles en obtenant par exemple un office royal. Ces familles capitulaires peuvent être déjà anciennes ou plus récentes, devant leur ascension pour la plupart à une réussite commerciale et bancaire étudiée par Philippe Wolff1. En choisissant cet échantillon nous avons donc laissé de côté de nombreux autres cercles de pouvoirs, ecclésiastiques, universitaires, confraternels, parlementaires à partir du milieu du XVe siècle, qui recoupent d’ailleurs parfois les cercles capitulaires.
2Pour suivre l’histoire de ces élites urbaines l’étude des patrimoines est fondamentale : pour accéder au pouvoir ou conserver une position éminente dans la ville, il ne suffit pas de composer des stratégies familiales, de s’appuyer sur des réseaux, il faut aussi être riche et le rester. Cette collusion entre richesse et pouvoir conduit parfois à considérer que les plus riches sont les plus puissants, davantage peut-être en cette fin de Moyen Age où les manieurs d’argent réussissent, où l’argent permet de s’offrir les attributs du meilleur paraître social. Il faut pourtant se garder d’une telle vision : la richesse n’est pas l’unique critère d’accession et de maintien au pouvoir ; certains fort riches ne parviennent pas à se faire reconnaître comme acteurs de la vie politique, d’autres moins aisés, demeurent au contraire présents dans les allées du pouvoir, grâce au prestige, à l’ancienneté de leur famille, à leurs titres. Les registres des notaires confirment bien cela : certains noms pourtant illustres vivent en fait constamment au-dessus de leurs moyens comme le démontrent les nombreuses dettes, mises en gages ou ventes de leurs biens. Cependant une aisance certaine n’est jamais exclue et en ce sens la richesse et l’adroite gestion d’un patrimoine contribuent grandement à la puissance et à la notoriété2.
3Pour cerner les fortunes de ces Toulousains, les sources ne manquent pas : registres notariés, d’estimes, compoix, à Toulouse et en Toulousain. La richesse de la documentation nous a contraint à limiter des investigations qu’il faudrait désormais compléter3. Nous présentons donc une vision partielle mais qui propose un point de vue depuis Toulouse intra muros de la gestion de ces fortunes, complémentaire des travaux qui s’intéressent au Toulousain dans lesquels on retrouve parfois, mais à partir d’une autre documentation, les oligarques toulousains4.
4Une vision partielle mais aussi une vision déformée. Les registres des notaires recèlent un véritable océan d’actes mais les informations sont éparpillées, fragmentaires et ne livrent le plus souvent qu’un aperçu à un moment donné d’un patrimoine en fait en constante évolution.
5Doit-on donc parler de patrimoine, terme qui implique la durée, la transmission à la génération suivante, ou de fortune lorsque la documentation est si fragmentaire ? On comprendra qu’ici l’emploi de « patrimoine » est presque une facilité de plume, sauf dans les quelques cas où l’on peut en effet suivre une gestion sur plusieurs années, voire sur quelques générations.
6Nous brosserons un tableau général de la composition des fortunes des oligarques toulousains afin de montrer leurs nombreuses facettes, les modalités de gestion de ces patrimoines, traditionnelles, voire routinières, ou au contraire originales avec des capacités d’évolution5, en nous demandant si ces hommes avaient une gestion spécifique, ou non, de leurs biens parce qu’ils gravitaient dans les milieux capitulaires ou simplement parce qu’ils étaient plus riches que leurs concitoyens.
Composition et équilibres : des instantanés, ceux des estimes du xive siècle
7Avant de s’attacher à l’examen de la gestion de ces oligarques toulousains dans les registres notariés, il est instructif de partir d’un instantané bien particulier : celui laissé, au seuil chronologique de notre étude, par les registres d’estimes. Publiées par Philippe Wolff, les estimes de 1335 ne concernent que les capitoulats du Bourg mais permettent de cerner le vocabulaire et la hiérarchie des valeurs appliquées aux différents biens déclarés. S’esquissent ainsi les grands traits et équilibres de la composition des patrimoines, le tout dans le cadre d’une déclaration fiscale à manier avec précaution.
884 chefs de famille, sur les 1164 recensés, déclarent un patrimoine estimé plus de 1000 livres tournois, mais le montant de leur estime représente 72 % de l’estime totale du Bourg. On retrouve les noms des familles influentes, anciennes ou plus récentes : La Tour, Castelnau, Carabordes, Maurand, Garrigues, Barrau, Prignac, Embry, Aurival...
9Les biens fonds urbains représentent 24 % de ces patrimoines (hôtels, maisons, ouvroirs et bancs, écoles, bordes dans Toulouse ou à ses portes), les biens ruraux 62 % (parcelles isolées de terre, de vigne, de prés, bois, bories), les biens meubles 14 % (stocks professionnels, créances, valeurs mobilières auxquelles on ajoute les parts dans les sociétés des moulins, les oblies6).
10La très nette prédominance des biens à caractère rural se renforce au fur et à mesure que l’on franchit les tranches supérieures des fortunes déclarées tandis que décroît la proportion des biens-fonds urbains. Nuançons ce résultat en rappelant que le Bourg n’est pas le lieu de résidence des plus actifs marchands toulousains, qui demeurent dans la Cité, mais rassemble plutôt une population formée de clercs, d’universitaires, de propriétaires fonciers vivant des revenus de la terre et surtout d’artisans et de boutiquiers, exclus sauf exception du groupe le plus riche.
11Les plus riches habitants du Bourg achètent plutôt des terres et des droits à la campagne que des hôtels ou ouvroirs en ville. La fortune la plus élevée du Bourg, celle de Guilhem de Garrigues7, comptabilise 80 % de biens ruraux. Famille emblématique du Bourg, et archétype de ces fortunes fortement liées à la terre, la famille Maurand : 21 chefs de famille déclarent leur patrimoine (à eux seuls, 11 % de l’estime totale du Bourg) ; tous ne sont pas immensément riches, loin de là, mais ils ont les moyens de tenir leur rang et les biens ruraux qui l’emportent dans leurs déclarations rappellent les noms de domaines qui « baptisent » les différentes branches de la famille (Montbéron, Gragnague, Mons, Beaupuy, Pompignan...).
12Autre nuance : au-delà de cette tendance générale, il existe des situations très diverses en fonction du statut et du métier des déclarants. Les quelques hommes de métier enrichis ou les familles d’ascension plus récente ont davantage de biens en ville, voire n’ont que des biens en ville : la fortune de Raimond Jourdan est composée à 75 % de biens urbains, celle de Jean Audric à 80 %, celle des héritiers de Raimond de Cossans à 86 % ; Jean Embry et ses frères ne possèdent que des biens dans Toulouse. D’autres investissent déjà aux alentours de Toulouse : Arnaud d’Aurival et ses frères, drapiers, ont logiquement beaucoup de biens meubles, 36 % (stocks, créances), possèdent le plus d’ouvroirs, mais pour des biens urbains qui ne représentent plus que 23 % de leur déclaration contre déjà 40 % de biens ruraux8...
13Finalement, les plus riches habitants du Bourg adoptent les mêmes comportements que leurs contemporains plus modestes9, mais avec d’autres moyens : domination nette des biens ruraux sur les biens urbains, minorité de biens meubles.
14Plus convaincant encore, le registre des estimes du capitoulat du Pont-Vieux en 1391. Nous sommes au cœur de la Cité où résident les plus actifs marchands et manieurs d’argent, les hommes de loi. Toutes fortunes confondues, les biens urbains dominent (42 %), les biens meubles et ruraux sont presque à égalité (respectivement 23 et 24 %). Mais dès que l’on s’intéresse uniquement aux plus hautes estimes, dans lesquelles on retrouve d’ailleurs les capitouls, rares sont les patrimoines qui ne sont pas composés au moins d’un quart, voire plus, de biens ruraux (en moyenne plus du tiers), et ce malgré l’importance logique des biens urbains et mobiliers.
15C’est donc là un fait marquant et durable, que la gestion en action, vue à travers les registres notariés, manifeste bien. La plupart de ces oligarques toulousains souhaite « vivre du sien » en dominant des terres proches de Toulouse, donc bien exploitées et rentables. Elles leur permettent de maîtriser leur propre ravitaillement mais aussi de spéculer le cas échéant sur tout ce qui touche à l’approvisionnement de la ville. Ces patrimoines ont aussi le grand avantage de mettre en avant titres et droits prestigieux. Les biens urbains ne sont pas délaissés : ceux qui sont en priorité choisis, logements et lieux de production artisanale, d’activité commerciale, de savoir aussi, sont ceux qui ancrent une mainmise foncière et immobilière sur la ville. Ces rentiers du sol urbain et/ou campagnard comptent tous sur les revenus des oblies et autres droits qui y sont attachés. Enfin quelques-uns participent à des investissements plus audacieux, plus innovants, dirait-on aujourd’hui.
En ville : une gestion entre rentabilité, modernité et urbanité
16L’emprise immobilière est première dans les choix des oligarques toulousains. Ils investissent d’abord dans la pierre : hôtels (hospicia, de l’hôtel avec tour, dépendances et ouvroirs à un édifice bien plus modeste dont la valeur est celle d’une maison), maisons (de la domus cossue à la domuncula ou maysonetta), des ouvroirs, des bancs, parfois contigus aux hôtels et maisons, parfois possédés ou tenus de façon isolée.
17Les actes les plus nombreux concernent de loin hôtels et ouvroirs. Les opérations sont variées et combinent les placements, les revenus du marché locatif, mais aussi la constitution de rentes ou la gestion des oblies, que l’on peut parfois qualifier d’acharnée, puisque les sommes en jeu sont souvent très basses, d’ordre recognitif.
18La valeur de ces biens immobiliers varie selon deux séries de critères. La première est la taille, l’état mais surtout la localisation de l’immeuble. Pour un hôtel, les valeurs s’élèvent s’il possède une tour qui marque son importance dans le paysage urbain, si lui sont adjointes des dépendances telles que écurie, chai, jardin, ouvroirs... Quant à la situation dans Toulouse, sont particulièrement prisées pour les hôtels et les ouvroirs, les rues du cœur marchand de la Cité, entre la Porterie et la Pierre, ainsi que celles qui sont à la limite entre Bourg et Cité, notamment la rue du Taur.
19L’autre critère est le statut de l’immeuble, franc ou non c’est-à-dire libre de toute charge ou seulement tenu contre le versement de cens. On peut vendre un hôtel mais pas le dominium : c’est ce que fait la femme d’un juriste en 1447 et elle continuera à percevoir des droits10. Autre exemple : en 1379 maître Gaillard Tornier achète au cœur des rues animées de Toulouse un hôtel franc agrémenté d’un jardin, qui lui ne l’est pas, et pour lequel il devra payer un denier tolza d’oblie à sire Bernard Raimond Ysalguier11. Le même type d’hôtel, situé dans le même secteur, à la même période, voit sa valeur varier parfois du simple au double s’il est dit franc.
20La vente d’un hôtel ne se fait pas à la légère : en témoigne le bien plus grand nombre d’actes concernant des locations, la vente ne se faisant qu’en dernière extrémité, en y associant tous les ayant-droits, le plus souvent pour éteindre une dette, parfois avec pacte de rachat, pour liquider une succession ou mobiliser des capitaux pour une autre opération. Certains pratiquent la vente viagère : un acte de 1438 nous apprend que Dame Claire Orlhac veuve de Pierre Flamenc a vendu un hôtel à un sartre mais qu’elle se l’est réservé pour le restant de ses jours ; entre-temps, hébergée visiblement par une parente, elle confirme ses droits à l’acheteur tout en lui louant un autre hôtel contigu. A chaque fois elle procède avec l’assentiment des divers neveux12.
21Les opérations immobilières portent soit sur des biens entiers, soit seulement sur certaines parties. Louer une partie d’hôtel permet de rentabiliser séparément les pièces d’habitation, les boutiques et ouvroirs, les dépendances éventuelles13. Cela reflète aussi la grande fragmentation de la propriété, déjà révélée par la distinction entre celui qui possède et celui qui tient seulement le bien. Pour les transactions concernant les ouvroirs, à quelques exceptions près, toutes les parties en présence appartiennent aux milieux marchands. La possession et la gestion des ateliers, boutiques et bancs sont les premiers pas de la réussite pour ces hommes puis deviennent des revenus, pratiquement des rentes, pour les générations suivantes.
22Certaines locations sont utilisées à d’autres fins : elles permettent d’entretenir un apprenti14, de contourner le morcellement de la propriété, de masquer une vente à crédit ou de se constituer une rente15.
23Si les loyers sont en général réglés en espèces16, certains sont cependant versés en nature, des produits faisant office de « pseudo-monnaies » selon l’expression de Philippe Wolff : des savetiers versent une partie du loyer en souliers (« à son pied » précise un bailleur prévoyant)17, un ortolan remet des têtes d’ail et des oignons18, mais on rencontre aussi des tuiles et des briques19 et surtout des épices (poivre et gingembre)20.
24Particularité du marché locatif toulousain : la présence des maîtres et des écoliers. Les estimes de 1335 mentionnent des scolae que l’on loue à des maîtres, près du couvent des Franciscains, de l’église du Taur, du carrefour des Lauzes. Sur 13 mentions au total, 9 sont celles des fortunes estimées plus de 1000 livres tournois, ce qui marque l’intérêt de ces Toulousains pour la possession de locaux où le savoir se transmet. Les actes notariés ne mentionnent pas de location d’école. En revanche, ils nous montrent de puissants Toulousains, qui appartiennent comme par hasard à ces familles du Bourg ou qui y exercent leur activité, louer des hôtels ou des parties d’hôtels à des écoliers, le plus souvent du côté du Taur, avec des baux adaptés, de un ou deux ans21.
25Au-delà de l’emprise immobilière dans Toulouse, parfois déjà tournée vers la gestion d’ouvroirs, nombreux sont ceux qui participent à des rouages de la production.
26Les travaux de Germain Sicard22 ont étudié cette participation aux sociétés de moulins, moulins à blé en majorité mais aussi moulins à tan, paraires ou pasteliers. Les Toulousains ont imaginé un système d’association dans lequel chacun reçoit une part égale à un huitième (octavum) appelée uchau ; ces uchaux sont divisibles et échangeables. Ancêtres lointains des actions, ils rémunèrent leur détenteur en espèces mais aussi en sacs de grains. Les registres des estimes de 1335 montrent que près de la moitié des uchaux déclarés au total est détenue par douze des plus riches habitants du Bourg ; ils ont d’abord investi à proximité de leur domicile, dans le groupe des moulins du Bazacle, quelques-uns dans ceux de la Daurade, aucun à l’autre bout de la ville dans ceux du Château Narbonnais. Les registres notariés dévoilent ventes et lausimes sur les uchaux. Aux côtés des artisans, petits marchands, notaires, on retrouve parmi les possesseurs d’uchaux les grands noms des milieux marchands, juridiques, nobiliaires, anciens ou plus récents23. Les oligarques toulousains, quelle que soit l’origine de leur fortune, participent aux sociétés de moulins : les listes de pariers et les listes capitulaires se font écho. Ces Toulousains ne possèdent pas de moulins à tan ou de moulins paraires, qu’ils laissent aux hommes des métiers du cuir ou du textile. En revanche, au début du XVe siècle, certains se lancent dans l’exploitation de moulins à pastel. Ainsi en 1413 le marchand Jean del Pech, fils du procureur royal de Toulouse, loue un moulin à pastel ; en 1417, le même, devenu monnayeur de Toulouse, en possède un autre à côté de la maison des Lépreux près du Château Narbonnais24.
27A proximité des chaussées et chenaux poissonneux des moulins, certains exploitent des pêcheries achetées aux enchères aux pariers. Ainsi en 1371 un notaire achète aux enchères la pêcherie des moulins du Bazacle pour un an. Les profits sont particulièrement intéressants au moment du Carême lorsque saumons, lamproies et brochets se vendent à bon prix25.
28D’autres innovent davantage en investissant dans des secteurs que l’on peut qualifier de pré-industriels. Les clefs de ces prises de risque semblent être la rentabilité, la recherche de revenus et de placements qui ouvrent la voie à la notabilité, l’audace et le flair pour de prometteuses productions. Pour ce qui est de la rentabilité, citons des tuileries c’est-à-dire des fours à tuiles et à briques que l’on achète, fait construire ou exploiter aux portes de Toulouse26. La voie vers la notabilité à travers les forges ou les fours de verrerie, dont certains se réservent les productions pour équiper leur hôtel27. Le flair enfin avec les plus anciennes mentions de moulins à papier toulousains exploités par la veuve du marchand Jean de Cort en 1413, en société avec deux papeliers lombards28. On se doute de l’expansion potentielle du procédé dans une ville qui joue le rôle de capitale régionale, universitaire et bientôt parlementaire.
29La gestion de ces biens urbains nous en dit long sur le poids que ces Toulousains exercent, à côté des sphères politiques et administratives, sur l’économie et la société de leur ville. Quand on met bout à bout hôtels, maisons, ouvroirs, uchaux, la masse des fonds et des biens maniés par cette poignée d’hommes est tout à fait considérable. Déjà aux commandes, ils accroissent leur emprise sur le sol urbain, sur les moyens de production, sur le ravitaillement, tout en multipliant les occasions de percevoir des loyers mais aussi des droits prélevés, le tout sans oublier des opérations qui vont de pair avec le développement du crédit.
30Dans la gestion de ces patrimoines, coexistent donc des mécanismes simples, routiniers et des adaptations vis-à-vis de secteurs mais aussi de modalités d’investissement renouvelés. Il est logique que dans la seconde moitié du XIVe siècle les familles capitulaires, issues de la marchandises et de la banque, soient les fers de lance de ces évolutions.
31Ces Toulousains n’oublient pourtant jamais que la puissance en ville se nourrit d’abord de la terre, au propre et au figuré. Là encore, on constate des comportements de bon sens, traditionnels, mais le « génie de la ville » se mêle aussi parfois de la partie.
Les fruits de la terre : entre ravitaillement, rentes et quêtes de notabilité
32Se ravitailler est un des grands soucis pour les citadins. Il se pose avec acuité pour Toulouse aux XIVe et XVe siècles en raison de ce que l’on appelle les « malheurs du temps ». Dès que l’on a quelques moyens, on essaie de tendre à l’autarcie. Les Toulousains influents, parce qu’ils sont riches, ont les capacités de se ravitailler mais aussi de contrôler l’approvisionnement de Toulouse en mobilisant des capitaux pour des opérations au final rentables. Certains tentent d’améliorer des techniques, d’introduire de nouvelles cultures, tous profitent des productions agricoles dites spéculatives.
33Pour se ravitailler ou spéculer, les oligarques toulousains possèdent et gèrent toute une palette de biens ruraux. La valeur qui leur est appliquée dans les documents, ainsi que les maigres descriptions ou localisations, permettent de cerner un vocabulaire identique à celui employé en Toulousain, en Gascogne, mais qui ne recoupe pas forcément les mêmes réalités. Le casal cher à Benoît Cursente29 est ici le plus souvent un jardin clos, les bordes, qui structurent ailleurs des terroirs30, sont davantage des maisons rustiques dans Toulouse ou à ses abords immédiats, des remises ou de simples cabanes à outils contigües à un lopin. Les valeurs et les surfaces les plus élevées sont portées pour les bories, exploitations agricoles complètes, des plus modestes à de véritables domaines campagnards qui apportent prestige et titres. A ces ensembles, il faut ajouter les parcelles éparses, de terre, de vigne, de prés, de jardins, de bois... Là aussi, la propriété de ces biens peut être franche ou seulement tenue contre le versement de cens. L’exploitation se fait la plupart du temps à parsion : le preneur verse au bailleur une redevance en nature, proportionnelle à la récolte (un cinquième, un quart, la moitié, plus rarement un tiers des fruits).
34Les biens ruraux possédés par les oligarques toulousains, comme ceux de leurs concitoyens moins fortunés, s’organisent de façon concentrique autour de la ville.
35La documentation mentionne de très nombreuses bordes ou des parcelles isolées de terre, de prés et surtout de vigne, dans Toulouse, à ses portes, dans un rayon de quelques kilomètres. Ces sources de ravitaillement sont proches, donc sûres. Les légumes et fruits frais sont cultivés dans des jardins clos que l’on soigne particulièrement. Lorsqu’ils n’en sont pas propriétaires, les riches Toulousains passent des séries d’actes de location en cascade : ils louent puis relouent à celui, artisan, laboureur ou brassier, toulousain ou des environs, qui travaillera le lopin. Ces cultures vivrières ceinturent la ville, la pénètrent même ; les superficies échangées ou gérées étroitement sont en général limitées à quelques arpents soulignant le morcellement élevé des ces parcelles convoîtées parce qu’en ville ou toutes proches31. Plus que des arpents de terre à blés, ce sont les pièces de vigne qui arrivent en tête dans ces parcelles isolées. Ce vignoble suburbain offre débouchés et gains à ses possesseurs grâce surtout à la consommation toulousaine. Les travaux minutieux de la vigne sont confiés à de modestes Toulousains, dont certains sont des familiers des oligarques32 : si beaucoup conservent une partie de la vendange dans le système de la location à parsion, certains sont payés comme des domestiques en numéraire, vêtements et souliers. A côté de ces parcelles de vigne, les Toulousains influents ne se désintéressent pas des terres à blés mais elles entrent le plus souvent dans leur patrimoine grâce à des bories plus éloignées.
36Au-delà des premiers kilomètres autour de Toulouse, lorsqu’il y a achat de parcelles, on assiste à des stratégies de rassemblement de terres, à des achats de droits et de bories afin d’accroître revenus et rentabilité mais aussi afin d’augmenter ses chances d’être un jour un notable, voire un noble, d’une portion de Toulousain.
37Nous ne donnerons qu’un exemple de ces « rassembleurs de terre » dont on pourrait multiplier les portraits. Il s’agit de deux frères, Guilhem et Jean Pauquerote, riches épiciers toulousains de la fin du XIVe siècle. Tous les deux accèdent au capitoulat, Jean trois fois, Guilhem une fois. En 1388 et 1390 on les voit multiplier les achats de pièces de terre toujours dans la région de Lagaubertie : un arpent pour Jean en 1388, deux pièces de trois et de sept mésalhées pour Guilhem en 1390 ; ces deux parcelles sont franches et confrontent déjà une propriété de l’acheteur. En 1388 Guilhem a en effet déjà acheté une borie composée de dépendances, d’un verger, de sept arpents de terre, d’un arpent d’herbage33. En 1391, la fortune de Jean est estimée 1189 livres tournois, celle de Guilhem 962 livres tournois mais elle est déjà composée à 40 % de biens-fonds ruraux (33 % biens urbains, 27 % meubles), signe de cette évolution, alors que le patrimoine de Jean sent encore fortement l’épicerie (51 % de biens meubles, et 33 % de biens urbains). Les deux frères, qui agissent souvent ensemble, semblent s’être réparti les rôles.
38Lorsque l’on voit se répéter les mêmes noms, s’accumuler les superficies, on dépasse la simple recherche d’autarcie alimentaire. Certains oligarques tirent profit du centre de consommation et de redistribution toulousain.
39On a déjà évoqué la vigne, on peut aussi évoquer les grains lorsque certains concluent des sociétés avec des revendeurs de la Pierre, la halle aux céréales, comme en 1380 l’épicier-apothicaire Guilhem del Pont pour 13 cartons de froment estimés 90 florins environ34.
40Au début du XVe siècle, certains tentent aussi d’introduire sur leurs terres des cultures industrielles telles que le lin ou encore le pastel, le plus souvent avec prudence : tout n’est pas semé en pastel, si cela échoue le preneur pourra semer des céréales35. Malheureusement on ne connaît pas les résultats de ces expériences, mais on sait quelle fut la fortune du pastel.
41En dehors de ces quelques pistes, la spéculation la plus développée porte sur l’élevage. D’après ce que l’on sait, les Toulousains étaient de bons consommateurs de viande ; il ne faut pas non plus oublier que l’élevage approvisionne de nombreuses activités en matières premières, que toute l’organisation des transports n’est rien sans chevaux, ronsins, mulets et bœufs. Posséder un cheptel de plusieurs dizaines de têtes dépasse donc la seule volonté d’auto-ravitaillement : les profits sont intéressants puisque Toulouse consomme mais aussi redistribue les animaux lors de ses foires. Les riches Toulousains ont ajouté cette carte à leur jeu en concluant des contrats de gasaille. Il faut pouvoir mobiliser des capitaux durant le temps d’engraissage et de reproduction éventuelle des animaux. Ce contrat conclu devant notaire décrit minutieusement les animaux pour éviter les fraudes36, estime le montant de capital correspondant aux bêtes ; la durée du bail varie de quelques mois à plusieurs années ; le preneur doit soigner, engraisser et garder les bêtes et, à la fin du contrat, vendre les animaux engraissés au meilleur prix37. Le bailleur récupère alors le capital, capital qui a parfois été rétribué dans le cas d’animaux de trait38 par une rente constituée en grains ; les bénéfices mais aussi les pertes sont en général partagés par moitié.
42Lorsque les gasailles concernent un grand nombre de bêtes, certains sortent du cadre du pays environnant et traitent avec Bigourdans et Béarnais : ainsi en décembre 1417 nobles Géraud et Jean de Puybusque, frères et damoiseaux de Toulouse, remettent en gasaille à un Bigourdan 300 têtes de brebis, valant 90 écus, pour trois ans, à demi gain et perte ; ils en attendent la laine, les agneaux, les fromages et le lait, qui seront partagés par moitié39. De même en juin 1443, nobles Hugues et Guilhem Pagès, passent contrat avec un ovelhier de Sévignacq dans le diocèse d’Oloron ; les deux Toulousains lui doivent de l’argent, reste du prix de 65 brebis, de 10 moutons et de 19 agneaux ; le Béarnais s’engage à mettre tout autant d’animaux dans la société et se charge de conduire les bêtes en montagne ; profits et pertes seront partagés par moitié sauf s’il s’avère qu’une bête a été perdue par la faute du berger40.
43Les affaires tournent parfois mal comme en témoignent les procès ou au moins les arbitrages et compromis devant notaire. Autres risques : les maladies, les pénuries, les ravages des gens de guerre, mais aussi les loups. En novembre 1410 noble Françoise, veuve de sire Arnaud d’Aurival, remet une jument à un habitant de Lapeyrouse qui s’engage à la garder a comestione luporum41.
44A mi-chemin entre la rentabilité de la gasaille, l’auto-ravitaillement et la jouissance d’une propriété d’agrément, le contrat passé en 1434 par Jeanne, veuve du changeur Jacques de Saint-Antonin. Elle est habituée à passer des gasailles pour quelques truies et porcelets, mais cette fois-ci il s’agit de pigeonnier et de pigeons dans le domaine qu’elle possède à Ramonville, composé d’un grand hôtel, d’une borde, de dépendances. La gasaille doit durer six ans durant lesquels le preneur versera annuellement un écu d’or, la moitié des pigeons et des produits du pigeonnier ; Dame Jeanne se charge de réparer puis d’entretenir le pigeonnier, de fournir le millet qui servira à fabriquer la pasta pour les pigeons ; elle se réserve aussi dans l’hôtel une chambre basse dans laquelle elle pourra coucher et résider chaque fois qu’elle le désirera42.
45Les contrats de gasaille de toute échelle abondent dans les registres et particulièrement dans la gestion des oligarques toulousains. Au-delà de l’omniprésente volonté de diversifier investissements et revenus, ces gasailles constituent l’une des facettes les plus directement liées aux besoins de la ville.
46Tout autant demandé en ville, le bois. Mais lorsqu’il s’agit d’exploitation forestière, et non de ravitaillement domestique, les modalités d’intervention et d’investissement sont diverses. Des oligarques toulousains, propriétaires de forêts aux alentours de Toulouse, exploitent le bois à des fins commerciales en vendant leur coupe à des fustiers : le bois de sa seigneurie de Goyrans pour le chevalier Guilhem de Goyrans en 1381 ; de sa borie pour l’actif Raimond de Plas : en novembre 1421 il embauche deux hommes pour abattre les fûts, en mars il embauche un brassier, un de ses familiers en fait, pour transporter ce bois à Toulouse, et ce jusqu’à la Saint-Jean-Baptiste. D’autres font fabriquer du charbon de bois en juillet-août43.
47Certainement plus lucratif et plus habile est d’arriver à s’immiscer comme intermédiaire entre celui qui possède des bois, un seigneur ou le roi, les communautés villageoises, dans lesquelles on embauchera les travailleurs, et Toulouse. De telles opérations sont par exemple menées par noble Séguy Squivat, puissant drapier du début du XVe siècle, capitoul en 1403. A cette époque-là il parvient à se faire affermer par le comte de l’Isle-Jourdain l’exploitation de la forêt de Bouconne. Il devient l’intermédiaire obligé pour les habitants de Léguevin. Même stratégie en 1422 de la part du notaire maître Astorg Lassanh qui achète au trésorier royal de Toulouse la coupe de 25 arpents de la forêt royale de Saint-Rome ; le notaire paiera les droits au Maître et garde de la forêt ainsi qu’aux mesureurs du roi ; il embauche deux habitants de Villenouvelle qui se chargeront de l’exploitation44.
48A chaque fois, il faut être capable d’investir et de mobiliser des capitaux. Mais à terme les bénéfices sont intéressants et ces opérations sont surtout le moyen de tenir lieux et hommes, d’entrer au contact d’autres puissants, dans le Toulousain.
49Enfin, les bories sont souvent le fleuron de ces fortunes. Ce sont de simples exploitations mais aussi de véritables domaines campagnards, parfois résidences d’agrément, composantes de seigneuries ou de co-seigneuries. C’est à leur sujet que l’on mesure le mieux l’impact du modèle de vie noble.
50Ces bories sont très prisées quand elles sont situées dans le rayon d’action rapprochée de Toulouse. Sur les 19 bories énumérées dans les estimes de plus de 1000 livres tournois en 1335, 15 sont dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres. Les registres notariés confirment cette proximité.
51Les actes de vente précisent toujours si une borie est franche, et éventuellement, à qui le nouvel acquéreur devra verser ses oblies, parfois au vendeur s’il se les réserve, parfois à quelqu’un d’autre, puisqu’inféodations et sous-inféodations sont fréquentes. Posséder une borie ouvre des droits, des « dominations » en Toulousain.
52Les bories oscillent fréquemment entre 11 et 15 hectares45, le tout rassemblé en un même lieu. Outre un hôtel souvent décrit meublé, des bâtiments d’exploitation, certains domaines possèdent aussi dans leurs dépendances une chapelle, un pressoir, un colombier, un moulin, un four... Ces bories produisent à la fois diverses céréales, des légumineuses, des fruits, du vin, des noix ainsi que les produits issus d’un élevage varié ; quelques arpents de forêts fournissent bois, terrains de pâture mais aussi de chasse. Les oligarques toulousains les exploitent en général en métayage stricto sensu (dare ad medietatem) même si l’on constate une certaine souplesse dans la définition de la part remise par le preneur. Une des clauses habituelles est de livrer la production au domicile toulousain. Il s’agit bien là du ou des domaines de famille par excellence. En juillet 1424, Jeanne Arman héritière de drapiers toulousains, décrit la borie de son défunt père dans laquelle s’était réfugiée, au temps de la peste, toute la maisonnée du professeur en droit sire Jean de Gauran. En un mois toutes les provisions, abondantes d’après ses dires, ont été consommées et son père n’en a jamais été dédommagé. Elle cède donc tous ses droits contre les héritiers de Jean de Gauran à son frère, Frère Maurel Arman, frère mineur à Toulouse, à charge de dire des messes46.
53Ces domaines campagnards permettent de mener une vie noble à défaut de le devenir vraiment. Ce sont les équipements qui assoient des prélèvements, mais surtout les ornements, qui sont les meilleurs indices de cette quête de notabilité. Certains louent leur borie, la vendent même, mais se réservent le colombier et le pressoir47 ; d’autres font construire une chapelle, comme Pons den Azam en 1377, bien sommaire certes, mais tout de même48.
54L’inventaire après décès de noble Bertrand Tornier en 1402 décrit ses biens à Toulouse et en Toulousain49. La réussite de la famille Tornier remonte à la première moitié du XIVe siècle, tire sa richesse du change, sa puissance de l’anoblissement royal en 1340 et de plusieurs mandats de capitoul à toutes les générations.
55Parmi les propriétés campagnardes, celle de La Lande est composée de terres, prés, jardins, albarèdes, vignes, bois et autres droits, comporte aussi un hôtel meublé avec cuisine, grenier, chambre basse servant de salle, trois chambres ainsi qu’une chapelle dont l’autel, bien rustique, est recouvert de cuir et orné d’un linge de devant d’autel peint ; un dressoir achève de meubler cet oratoire campagnard.
56Noble Bertrand Tornier est par ailleurs seigneur à la Salvetat-Saint-Gilles, y détenant le fortalicium, propriétaire à Salvagnac et à Mons. C’est là que visiblement il aimait séjourner dans un hôtel ou « château », orné d’une tour, entouré d’un verger, d’une cour à portiques, d’un colombier. On y dénombre une vaste entrée, une salle basse, une cuisine à l’arrière de l’aula, une salle haute dans la tour, huit chambres aux lits bien garnis, et d’autres pièces qui servent de réserves. L’équipement culinaire et mobilier y est presque aussi complet que dans le grand hôtel toulousain indiquant que la maisonnée y résidait pour surveiller les travaux des champs, pour l’agrément du grand air, voire de la chasse puisque notre homme possèdait des cors de chasse...
57On croise ici tous les fils : ceux de la réussite commerciale, de l’entrée dans la noblesse par la grande porte, du pouvoir capitulaire conservé, du genre de vie... Dans la plupart des cas, ces domaines constituent dans les patrimoines des oligarques des points d’ancrage en Toulousain, offrent l’occasion de « vivre du sien » en imitant le modèle de la vie noble, devenant parfois un nouveau berceau de famille en donnant leur nom à différentes branches.
58Ces possessions les plus variées permettent surtout de tisser sans arrêt des liens solides entre Toulouse et les campagnes et communautés environnantes, de construire et d’asseoir son prestige en ville. Il est question tant de domination que de paraître social.
59Ce tableau général confirme le lien entre tous les types de pouvoirs exercés par ces hommes, à Toulouse et alentour. Pouvoirs politiques et économiques se nourrissent mutuellement. Une gestion dynamique, gage de conservation du pouvoir, reconduit des schémas répandus ou traditionnels mais épouse aussi les mutations du temps. Elle recoupe donc les stratégies et la dynamique familiales dans la quête ou la perte d’influence. En cela, et les exemples cités sont parlants, les femmes, épouses et veuves, participent aussi, au-delà de leur dot, à la constitution, à la gestion de ces patrimoines50.
60On insiste en général sur la préférence, voire l’obsession de ces riches et influents citadins pour les biens ruraux. Ceux-ci permettent à la fois le ravitaillement domestique ainsi qu’un contrôle sur l’approvisionnement de leur ville, mais ils procurent surtout revenus, titres et vie noble. Ce fait est indéniable mais les oligarques toulousains sont tout aussi présents en ville. C’est dans la gestion de leurs biens urbains que s’exercent au mieux leurs qualités d’adaptation, leur ingéniosité. Pour ces oligarchies toulousaines il est bien question d’affirmer leur urbanité, incarnée dans la puissance et le paraître, en s’appuyant d’abord sur la rentabilité des placements qui n’interdit pas des incursions vers la modernité. Ceux qui ne peuvent pas ou ne savent pas suivre le mouvement sont exclus presqu’en même temps de cette mainmise directe ou indirecte sur l’économie de la ville et des listes capitulaires.
61Ces exemples de gestion dynamique ne doivent pas masquer les échecs, faillites, déchéances mais aussi les fortes nuances, y compris pour ceux qui tiennent le haut du pavé. C’est davantage à travers une enquête sur les trains de vie que l’on cernerait le poids des dettes, le contraste entre la « façade », la possession de multiples biens fonciers, immeubles, les revenus et droits qui y sont rattachés, et le plus caché, plus intime, l’espace privé, par exemple l’intérieur de ces hôtels et leur aménagement. On verrait alors que ce qui permet le paraître à l’extérieur est le plus soigné tandis que, même chez ceux qui ont le vent en poupe, il y a peu d’équipements de confort, d’objets de luxe, de livres, et au contraire beaucoup de linge usé et rapiécé, d’ustensiles cassés... Cela renvoie, au-delà des mentalités, à la catégorie dans laquelle « jouent » les élites toulousaines par rapport à celle d’autres élites urbaines. Il s’agit ici aussi d’une question de définition des élites.
Notes de bas de page
1 Wolff (Philippe), Commerce et marchands de Toulouse (vers 1350-vers 1450), Paris, Plon, 1954. Id., Les « estimes » toulousaines des XIVe et XVe siècles, Toulouse, 1956. Id., Regards sur le Midi médiéval, Toulouse, Privat, 1978.
2 Duplan (Véronique), Les oligarchies toulousaines : familles et sociétés de la fin du XIIIe siècle au milieu du XVe siècle (1271-1444), doctorat nouveau régime, UPPA, 1994.
3 Pour ce doctorat nouveau régime, nous avons utilisé un corpus documentaire d’environ 70 registres notariés des Archives Départementales de la Haute-Garonne (série 3E, bornes chronologiques : 1349-1461). Nous avons laissé de côté les minutiers du fonds de l’abbaye Saint-Sernin également fort riches. Nous tenons encore une fois ici à exprimer notre plus grande reconnaissance au Professeur Philippe Wolff qui a guidé nos recherches.
4 Nous pensons par exemple au travail de Mireille Mousnier qui achève son étude magistrale vers 1300-1320 par l’intégration de la « Gascogne toulousaine dans le contado de Toulouse » en présentant une série de dossiers : Mousnier (Mireille), La Gascogne toulousaine aux XIIe-XIIIe siècles, une dynamique sociale et spatiale, Toulouse, P.U.M., 1997.
5 En dehors du phénomène par ailleurs bien connu d’évolution des comportements d’une génération à l’autre dans le cas d’une réussite commerciale : passée la première génération, on calque son comportement sur ceux que l’on souhaite imiter et rejoindre, les membres des vieilles et illustres familles.
6 Les oblies étaient rangées à l’époque dans les biens urbains ou ruraux mais étaient gérées comme des valeurs mobilières.
7 Estimée 14 160 livres tournois, déclaration n° 553, cf. Wolff (Philippe), Les « estimes »…, op.cit.
8 Respectivement n° 809, 697, 341, 634, 842 Wolff (Philippe), Les « estimes »…, op.cit.
9 Leur comportement est en effet dans la moyenne de celui des habitants du Bourg en général, cf. conclusions de Philippe Wolff. Ce sont les moyens et les échelles qui changent.
10 E 6966, f° 335 v°.
11 E 600, f° 45 v°, hôtel sis rue Fourbastard.
12 E 6761, f° 32 v°.
13 Par exemple : en 1412, le marchand Raimond de Plas loue à un autre marchand un hôtel rue du Taur pour six ans mais se réserve l’usage de l’ouvroir lors des foires (E 602,f° 34) ; en 1422 Dame Magne de Roaix, veuve de Jean de Quimbal, loue à un savetier deux hôtels contigus rue de la Daurade, sauf les tables (E 6760, f° 40) ; en 1436 Dame Condos de Garrigue, veuve de sire Jacques Vinhes, et sire Raimond Vinhes, chevalier de l’Ordre de Saint-Jean, louent à sire Jean de Gargas, professeur ès lois, un hôtel rue Jusaquis sauf l’ouvroir contigu (E 2955, f° 183).
14 Exemple : le tuteur de Bernard Barrau le place comme apprenti chez l’apothicaire Raimond Volta et le changeur Arnaud Belhomme. Il loue au second une partie du grand hôtel des Barrau rue Payrolières sauf deux chambres et une partie du chai ; la quasi totalité du loyer sert à payer les frais d’entretien de Bernard (E 6740, f° 49 v°, 1422).
15 E 2955, f° 16-16 v°, 1405, Jean Gilabert loue à un candelier la moitié d’un hôtel qu’il possède en fait en indivis avec lui ; il peut occuper l’immeuble pour 28 ans et achètera durant le temps de la location cette moitié d’hôtel contre le versement de 60 livres tournois petites. Autres exemples : E 7414, f° 41, 1385 et E 7413, f° 298.
16 En précisant toujours les monnaies de référence en raison des pertubations monétaires.
17 E 6760, f° 37, 1422 ; E 6762, f° 45 v°, 1450.
18 E 7415, f° 91 v°.
19 E 103, f° 8, 1380. Les briques et tuiles sont utilisées par ailleurs par les autorités pour fixer les amendes.
20 E 600, f° 15, f° 24, 1379 ; E 103, f° 39, 1381 ; E 5547, f° 2 v°, 1399...
21 Quelques exemples : en juillet 1380, sire Jean de Garrigue loue à Maître Jean Valeta, bachelier ès lois, étudiant, un hôtel rue du Taur, pour un an, contre 19 florins (E 103, f° 21 v°) ; en septembre 1380 sire Guilhem Garrigue loue à trois étudiants en droit un hôtel sis devant le cimetière de l’église du Taur, pour un an contre 16 francs (id., f° 25 v°) ; en octobre 1412 Pierre d’Aurival, loue à un bachelier ès lois, étudiant, un hôtel rue du Taur pour un an et lui donne quittance (E 5124, f° 81 v°)...
22 Sicard (Germain), Aux origines des sociétés anonymes, les moulins de Toulouse au Moyen Age, Rennes-Paris, Oberthus, 1953.
23 Quelques exemples : 1379, Jean Palot, damoiseau, fils de feu sire Bernard Palot, docteur ès lois vend à sire Raimond Athon, docteur ès lois et juge mage de Toulouse, un quartum de moulin dans les moulins du Château-Narbonnais (E 7413, f° 129 v°) ; 1383, noble Bernard Raimond Ysalguier vend trois uchaux des moulins du Château-Narbonnais (E 7414, f° 14 v°) ; 1399, Jean et Pierre Flamenc, changeur, achètent un uchau du moulin du Bazacle (E 601, f° 22 v°).
24 E 602, f° 62 et E 1447, f° 38 v°.
25 Sur ce sujet, cf. Wolff (Philippe), Commerce..., op.cit., p. 212-213.
26 En 1384 le drapier Jean Blazy achète aux quatre ordres mendiants (liquidation de la succession d’un juriste) six arpents de terre près de la porte du Bazacle, sur lesquels se trouve une tuilerie (E 3115, f° 17 v°) ; en 1440, un juriste loue une tuilerie près de la porte Lascrosses (E 2959, f° 123) ; en 1449 noble Jacques Arman loue pour 29 ans au moins un arpent de terre de sa borie à un habitant de Blagnac pour que celui-ci y édifie à ses frais un four de tuilerie. Le preneur lui versera 600 tuiles ou briques par fournée (E 4468, f° 6 v°).
27 En 1379 Jacques de Blagnac, bourgeois de Toulouse, vend à noble Girard de la Roque, coseigneur de Castanet, une forge située dans ce village (E 7413, f° 264). Un verrier, qui est en même temps son locataire et visiblement un familier, travaille pour noble Pierre de la Durantie, et lui fournit tout le vitruum nécessaire à son hôtel toulousain (E 5124, f° 78, et un acte du fonds Saint-Sernin cité par Philippe Wolff, Commerce…, op.cit., p. 213).
28 Acte du fonds Saint-Sernin, cité par Philippe Wolff, Commerce…, op.cit., p. 293, note 195.
29 Cursente (Benoît), Des maisons et des hommes. La Gascogne médiévale (XIe-XVe siècle), Toulouse, PUM, 1998.
30 Mousnier (Mireille), op.cit. L’auteur relève et étudie cependant les divers sens de ce terme.
31 Quelques exemples de bordes : avec verger à Saint-Cyprien pour noble Jean Peytavy (E 600, f° 47 v°, 1380) ; rue Saint-Julien que Bernard Raimond Blazy loue à un changeur (E 5897, VIII, f° 13, 1388)... Noble Marthe de Castelnau, veuve de sire Hélie Brolhet vend à un marchand une borde (E 2957, f° 136, 1419)...
En 1413, Pierre Julia, mercier, achète un jardin hors de la porte Villeneuve, jardin qui est confronté à celui des héritiers de feu Pons de Gaure. L’acheteur versera des oblies à sire Raimond d’Aurival, chevalier (E 5124, f° 87 v°). L’inventaire après décès de noble Bertrand Tornier montre qu’il possédait quatre bordes dans Toulouse, certaines sont louées sans que l’on sache si elles sont mises en valeur ou si elles servent seulement de remises (mention de foin, bois, pastel, céréales, un tombereau...) (E 5897, XI, f° 9 v°, 1401).
Un exemple de pièce de terre : Jean del Pech, déjà évoqué pour son moulin pastelier, possède aussi dans le Barri Sainte-Catherine, un demi-arpent de terre qu’il vend à un juriste toulousain (E 602, f° 62, 1413).
32 Les registres notariés renferment de très nombreux actes concernant l’exploitation des vignes.
Ce vignoble suburbain a déjà bénéficié d’études approfondies auxquelles nous renvoyons : Caster (Gilles), « Le vignoble suburbain de Toulouse au XIIe siècle », Annales du Midi, 1966, p. 201-217. Faury (Jean), « Les vignobles du Collège du Périgord aux XIVe et XVe siècles : étude d’histoire rurale toulousaine », Annales du Midi, 1966, p. 461-479. Wolff (Philippe), Commerce..., op.cit., p. 170 et sq. Parmi les inombrables références, trois exemples qui montrent des notables toulousains louer leurs parcelles de vigne : E 7415, f° 174, 1404, noble Pierre de la Durantie ; E 5124, f° 70, Pierre Raimond d’Aurival ; E 6760, f° 35, un notaire, 1422.
33 E 6115, f° 1-2 ; E 3115, f° 7-9.
34 E 7411, f° 130.
35 Ainsi Aymarde, veuve du changeur Jean Pébrel, arrente à un laboureur toulousain toutes ses terres et prés à Lardenne pour quatre ans, contre un quart des fruits. A côté des terres à céréales, il s’engage à semer tous les ans une pugnère de lin (E 2955, f° 1). En 1423 l’épicier Pierre Olier introduit la culture du pastel sur une partie des terres qu’il donne à travailler près de Toulouse. Le preneur devra verser la moitié des coques obtenues ; en cas d’échec il aura le droit de semer des céréales (E 2485, f° 142 v°).
36 Un exemple de ce type de description : Dame Jeanne, veuve du changeur Jacques de Saint-Antonin, remet en gasaille en 1433 à un habitant de Montjoire une truie noire tâchée de blanc, âgée selon ses dires de deux ans ainsi que deux porcelets de six mois environ (E 452, f° 76 v°- 77).
37 Quelques exemples : en 1357, Dame Géraude femme du marchand Pons de Puybusque, remet en gasaille 55 moutons, huit chèvres, une vache à un habitant de Bazus pour deux ans contre 32 florins or (E 7411, f° 30 v°) ; Jean Olier remet en gasaille à un laboureur de la Salvetat-Saint-Gilles 43 moutons... (E 5897, II, f° 6) ; sire Gaillard Tornier, à un habitant de la Salvetat-Saint-Gilles, 110 brebis et 90 agneaux pour deux ans... (E 600, f° 56 v°, 1380)...
38 Des paires de bœufs : E 5897, IV, f° 55bis (un notaire, 1371), ibid., f° 61 v° (Pierre Flamenc), E 7415, f° 56 v° (noble Pierre de la Durantie, 1397), Bernard de Ripperia, monétaire de Toulouse (E 2485, f° 167 v°, 1424)...
Des juments : noble Hugues Squivat (E 5897, VIII, 1388), sire Pons de Gaure (une jument et son poulain, E 5897, IX, f° 4 v°, 1389), Pierre Flamenc l’aîné (idem, E 601, f° 27, 1398)...
Des chevaux et ronsins : Pierre Flamenc l’aîné (E 601, f° 29 v°, 1398)...
39 E 6761, f° 3.
40 E 452, f° 76 v°-77.
41 E 5124, f° 33, novembre 1410. Dans le même registre, pour un ronsin remis en gasaille dans le secteur de la porte Matabiau, même recommandation (f° 6, novembre 1409).
42 Registre particulier de Jacques de Saint-Antonin, 12 049-230, f° 26 v° et 42 v°.
43 E 103, f° 43 ; E 6760, f° 19, 28, 35, 39 v°.
44 E 12051-237, f° 12 v° ; E 6760, f° 38 v°.
45 Ainsi la borie acquise en 1388 par Guilhem Pauquerote déjà cité. Située à Lagaubertie, elle regroupe plusieurs dépendances, un verger, sept arpents de terre et de vigne, une dizaine d’arpents de terre de labour, un arpent d’herbage. Y sont cultivés l’avoine, l’orge, les pois, le millet. E 3115, f° 49-53.
46 E 161, f° 9.
47 Par exemple, E 600, f° 41 v°, 1379.
48 E 600, folio détaché.
49 E 5897, XI, f° 4 v°-14. Cf. Lamazou-Duplan (Véronique), « Les élites toulousaines et leurs demeures à la fin du Moyen Age d’après les registres notariés : entre maison possédée et maison habitée », La maison au Moyen Age dans le Midi de la France, 2003, p. 41-61.
Idem, « Entre Toulouse et le Toulousain : propriétés et cadres de vie du noble Bertrand Tornier et de sa famille au début du XVe siècle », Habitats et territoires du Sud, CTHS, 2004, p. 235-259.
50 Duplan (Véronique), « Les femmes et le monde du travail à Toulouse aux XIVe et XVe siècles », Sources, travaux historiques, n° 25, 1991, p. 11-21.
Ead., « Les élites et l’argent. Les dames toulousaines et leur fortune à la fin du Moyen Age : institutions, pratiques et mentalités », Elites du Sud (XIVe-XVIIIe siècles) Aquitaine, Languedoc, Aragon, Navarre. Statuts juridiques et pratiques sociales, SSLA de Pau et du Béarn, 1994, p. 73-101.
Auteur
Maître de Conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
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