Le savoir-vivre à l’école. Famille, scolarisation, socialisation en Espagne au xixe siècle
p. 575-585
Texte intégral
1L’importance de la Famille comme espace essentiel et premier de socialisation et de transmission de valeurs sociales n’est plus à démontrer. Mais elle n’est évidemment pas la seule institution à œuvrer en ce sens. La relation entre stratégies scolaires et familiales dans l’ensemble des stratégies de socialisation peut se mesurer en particulier à travers l’exemple de la présence du savoir-vivre dans l’espace scolaire, sans que cette dernière n’épuise la question1.
2La multiplication des manuels de savoir-vivre (manuales de urbanidad2) depuis la fin du XVIIIe siècle se produit en effet parallèlement en Espagne à l’introduction et à la généralisation (toute relative certes) du modèle scolaire comme espace de socialisation de l’enfant3. De là l’importance quantitative du manuel scolaire de savoir-vivre face aux autres traités de civilité et de bonnes manières, particulièrement au XIXe siècle4.
3La présence constante de manuels de savoir-vivre sur les listes de manuels scolaires approuvés officiellement par les instances éducatives depuis le milieu du XIXe siècle comme dans les catalogues des maisons d’édition scolaire démontre cette étroite relation confirmée également par l’analyse de la législation éducative, ce qui ne semble pas se produire ou à une échelle bien moindre dans d’autres pays européens à l’époque contemporaine5.
4En revanche, et bien qu’il existât en Espagne une certaine tradition de manuels destinés à l’éducation des enfants en général, où l’on trouvait des conseils d’hygiène et de bonne conduite, ainsi que les principes d’enseignement moral et religieux, il faut souligner pour l’époque moderne l’absence de traductions espagnoles du célèbre De civilitate morum puerilium (1530) d’Erasme6, le traité qui introduisit dans la civilisation occidentale le nouveau concept de civilité7. Et au terme même utilisé par Erasme, et repris par la suite dans d’autres langues (comme le français, l’anglais ou l’italien), l’espagnol préfèrera en employer d’autres comme ceux de « bonne éducation » (buena crianza), « courtoisie » (cortesía), « bonnes manières » (buenos modales), « bonnes mœurs » (buenas costumbres), « convenances » (decoro)..., et surtout celui d’« urbanité » (urbanidad). Souvent associé à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe avec celui de cortesía8, le terme d’urbanidad s’imposera rapidement seul à l’époque contemporaine pour désigner dans l’espace scolaire tout le champ sémantique de l’ensemble des règles et des normes de comportement dans les relations sociales.
5Dans ces manuels, la jeunesse scolarisée pouvait apprendre les normes essentielles des usages sociaux, les codes, les valeurs, les comportements et les conduites qui définissaient le modèle d’homme et de femme « civilisés » que les classes dominantes prétendaient diffuser pour asseoir leur pouvoir. Famille et Ecole étaient ainsi associées ou éventuellement opposées dans la diffusion de cet ensemble de normes et de valeurs, de ces stratégies d’encadrement et de discipline.
Le savoir-vivre dans l’espace scolaire
6La civilité (parfois présentée à l’école comme « Principes d’éducation ») n’est toutefois pas, en tant que telle, une matière d’enseignement autonome, bien qu’effectivement présente dans la pratique scolaire9. Elle apparaît cependant pleinement dans l’enseignement de la Morale et de la Religion (chapitre sur la « Morale Sociale »), et dans celui d’Hygiène et d’Economie domestique pour les jeunes filles10, voire - mais à une époque plus tardive - dans l’éducation civique.
7Et surtout, les nombreux manuels de civilité servent de livre officiel de lecture (c’est-à-dire ayant reçu le label officiel de manuel scolaire -libro de texto11), permettant ainsi de faire d’une pierre deux coups. Les traités de civilité figurent ainsi parmi les « Livres pour s’exercer à la lecture » dans le « Catalogue des ouvrages qui doivent servir de manuels dans les écoles primaires, approuvé par S.M. le 30 juin 1848 »12. Mais bien avant cette date et dès le XVIIIe siècle, le manuel de civilité servait déjà de premier livre de lecture (catón), autrement dit d’un ouvrage composé de morceaux de difficulté croissante pour l’apprentissage de la lecture, imprimé dans ses premières pages en gros caractères et avec les syllabes séparées pour terminer avec de petits caractères13.
8Pour les pédagogues espagnols du XIXe siècle, la civilité apparaissait en effet intimement liée à l’acte éducatif, l’informant tout entier et ne pouvant s’en dissocier, sans qu’il soit donc nécessaire d’en faire une matière spécifique d’enseignement : « Il convient de consolider chez les enfants la foi et la morale, leur enseigner les règles de savoir-vivre, leur apporter des connaissances d’application commune et ordinaire, les préserver de préoccupations et d’erreurs vulgaires, et les initier dans notre histoire, ce à quoi l’on peut très bien parvenir par la lecture. Il importe donc que ces livres contiennent des doctrines morales et religieuses, des règles de savoir-vivre, des préceptes d’hygiène, des éléments simples des phénomènes naturels et des êtres utiles et dangereux pour l’homme, ainsi que les faits principaux de notre passé »14.
9Et ce sont les parents qui allaient être appelés à se faire les auxiliaires des maîtres d’école, « afin que les bonnes habitudes et les principes religieux acquis dans les Ecoles ne soient corrompus par de mauvais exemples domestiques, mais qu’au contraire ils soient encouragés dans les foyers des enfants »15, et ce notamment en ce qui concerne le langage, les manières de tables et les relations sociales.
10L’enseignement de la Morale et de la Religion occupe ainsi une place centrale dans le dispositif scolaire, puisque « la partie la plus importante de l’éducation consiste à accoutumer les enfants à la moralité et à se conduire selon certaines règles »16. La pensée du législateur s’exprime clairement. En première place dans le cursus scolaire, l’éducation morale et religieuse doit permettre de remédier aux « désordres qui perturbent la société »17. Dans ce cadre, les facultés morales des enfants doivent être cultivées autant, si ce n’est davantage, que leurs capacités intellectuelles. Et le maître est invité à rechercher « des moyens d’enseigner la patience, la sobriété, le courage, la docilité », de la même façon qu’il existe des méthodes « pour former nos manières » (modales)18.
11Les instructions officielles allaient ainsi consacrer la Morale et la Religion, et dans ce cadre la civilité, comme matières d’enseignement tout au long du XIXe siècle, et principalement pendant la première moitié19. Deux niveaux, différents bien qu’interconnectés, peuvent être repérés dans ces différents textes : celui de la morale, et celui de la civilité proprement dite. La morale traite d’obligations, de devoirs et de vertus personnelles, sur la base de grands principes éthiques. Son enseignement, fondé sur des présupposés religieux, visait la vertu et le caractère. La civilité se réfère pour sa part à des vertus et à des comportements relatifs à la vie sociale, dont elle règle les formes, et son apprentissage vise l’acquisition d’un ensemble de normes sociales.
12L’idéologie libérale espagnole du début du XIXe siècle insistait donc tout particulièrement sur l’apprentissage du savoir-vivre en société lié à l’instruction morale et religieuse. La civilité allait donc s’entendre comme un code de bonnes conduites envers soi-même et surtout envers les autres, dans le cadre d’une hiérarchie sociale qui, loin d’être remise en cause, en était confortée. La forme pratique de son enseignement devait être celle bien rodée de la catéchèse (système des questions/réponses), que l’on retrouve d’ailleurs dans la plupart des manuels de savoir-vivre ultérieurs, comme formule simple et adéquate de communication pédagogique. L’utilisation de la première personne (« je ferai telle chose », « je ne dirai pas ceci ou cela ») contribuait de même à l’inculcation des règles et des normes sociales de savoir-vivre.
Quels objectifs ? Permanence et changements
13Quelles étaient donc la ou les fonctions du manuel de savoir-vivre dans le cadre scolaire, les objectifs explicitement et implicitement poursuivis20? Dans ces manuels complémentaires du catéchisme religieux, la jeunesse scolarisée pouvait apprendre les normes essentielles des usages sociaux qui définissaient le modèle d’homme et de femme « civilisés », « bien élevés ». Aux côtés des familles, l’école, alors en phase de développement, bien que notoirement insuffisant, représentait un vecteur idéal pour réussir cette fonction d’intégration et de socialisation, tout en répondant à la demande populaire d’éducation21. Un moyen pour faire assimiler aux classes populaires dès l’enfance le comportement -langage, attitudes, actions, valeurs...- considéré comme socialement « correct » par les classes dominantes, mais non acquis dans le milieu familial d’origine, consistera donc à l’intégrer dans le cadre des apprentissages scolaires, et tout particulièrement au curriculum scolaire féminin.
14De quel modèle, de quels codes, de quelles règles s’agissait-il ? Les définitions du savoir-vivre, par lesquelles débutaient généralement les manuels peuvent nous aider à préciser les valeurs essentielles attachées à la notion de savoir-vivre, la continuité, pour ne pas dire la répétition, et sa relative évolution, à travers quelques exemples tirés d’époques différentes.
15Pour le maître d’écoles madrilène Antonio Cortés, à la fin du XVIIIe siècle, « le savoir-vivre et les bonnes manières (urbanidad y cortesía) ne sont pas autre chose que la modestie et l’honnêteté que l’on doit pratiquer dans tous les actes de la vie, en tirant avantage de ces qualités pour devenir un honnête homme (hombre de bien), et en acquérant ce titre par ses qualités et ses vertus »22. Et il exposait ensuite les règles pratiques à observer : « 1e se conduire chacun selon son âge et sa condition ; 2e respecter toujours la qualité des gens avec lesquels l’on est en relation ; 3e bien observer le moment ; et 4e tenir compte du lieu où elles se trouvent ». Si l’une de ces conditions n’était pas remplie, « toutes nos actions paraîtront discourtoises et ridicules ». Le respect de la hiérarchie sociale existante était donc prioritaire au sein d’une société encore dominée par l’aristocratie.
16En 1842, l’instituteur et éditeur Esteban Paluzie y Cantalozella [1806-1873], dans son Petit traité de savoir-vivre pour les enfants, répondait à la question « ¿Qu’est-ce que la civilité ? » par la réponse suivante : « Politesse, courtoisie, respect et bonnes manières de nous comporter en société ». Les règles de civilité visaient alors « le respect que nous devons à chacun selon son état, sa qualité et les circonstances dont se parent les sujets, et la façon dont nous devons nous conduire avec eux »23. La notion de respect demeurait essentielle, même si elle pouvait être modulée en fonction de divers paramètres.
17Quarante ans plus tard, Julián López y Candeal, Professeur d’Ecole Normale, dans son Bref Traité de savoir-vivre, définissait la civilité par « l’ensemble des principes ou des règles auxquelles nous devons adopter notre conduite, pour fréquenter convenablement nos semblables », et les règles de civilité comme « celles qui nous apprennent de quelle façon nous devons nous conduire dans chaque localité, pour apparaître face à ceux qui y demeurent comme courtois et bien élevés »24.
18Enfin, au tout début du XXe siècle, le Traité de Savoir-vivre publié par Saturnino Calleja en 1901, répondait ainsi aux mêmes questions : « Nous entendons par Civilité l’art de parler et de procéder avec attention, employé dans les relations sociales avec les personnes bien élevées » ; « Les règles de civilité sont les conseils que les parents et les maîtres d’école donnent aux jeunes pour que ceux-ci s’habituent à avoir toujours de l’hygiène dans leur personne, leurs habits et leurs livres, de la correction dans leurs paroles, de la moralité dans leurs intentions, du respect dans leurs actes, et de la délicatesse dans leurs paroles »25. Plus précise que les précédentes, cette définition incluait divers éléments se référant tant aux actes qu’aux intentions.
19Quelques constantes peuvent être observées, tant en ce qui concerne le vocabulaire employé (respect, correction, bonne éducation) que la relation essentielle de la civilité avec la conduite en société. Mais l’on peut également noter quelques transformations, comme l’importance de l’hygiène personnelle (aseo), et la pondération de la notion de respect social. Plus tard apparaîtront les notions de citoyenneté et de progrès collectif, en liaison avec l’introduction de l’éducation civique26, sans remplacer le savoir-vivre qui continuera longtemps, et jusque sous le Franquisme, à occuper un espace privilégié dans le cadre scolaire.
Le manuel de civilité comme code de conduites chrétiennes : ordre, usage et respect
20Code de (bonnes) conduites chrétiennes, le manuel scolaire de savoir-vivre définissait un ensemble de règles externes que nous pouvons ordonner autour de trois pivots : les notions d’ordre, d’usage, et de respect. A la base de l’édifice, se situe la notion d’ordre, et, directement liées, celles d’harmonie, d’équilibre, de mesure et de propreté.
21L’ordre matériel à respecter doit servir l’ordre social, puisque « tous les devoirs de courtoisie ont pour objectif l’ordre social »27. La civilité vise donc une entreprise de rationalisation, de régulation des conduites, une mise en ordre qui affecte toutes les sphères de la vie, tant privée (espace domestique), que publique (école, église, rue, magasin...)28, toutes les activités (travail et loisirs). L’hygiène doit servir cette police des corps, des gestes, des comportements : hygiène corporelle bien sûr (ase o), mais aussi hygiène domestique (le ménage), l’hygiène vestimentaire, qui peut s’opposer à la mode. Ainsi certains manuels expriment-ils une hostilité au corset qui comprime le corps, et ne sert pas la véritable hygiène29. De manière générale, le vêtement doit être ample pour ne pas gêner les mouvements du corps.
22Ordre, équilibre et mesure sont en même temps la manifestation d’une hiérarchie sociale, par la mise en avant de la notion de position (tant horizontale -à table, par exemple- que verticale), fondée sur la symétrie. Cet ensemble de normes basées sur l’ordre est unique. C’est pour cela que les manuels de civilité s’adressent à toutes les classes de la société, et seules les jeunes filles bénéficieront d’un traitement particulier.
23La notion d’usage, de bienséance (decoro), est au contraire variable selon les civilisations et les peuples : « L’ordre dans les vêtements dépend aussi des mœurs, et consiste à utiliser ceux qui sont le plus admis par la majorité pour chaque cas »30.
24La norme sociale, le comportement, se trouvent en effet réglés par une codification sociale des usages, des rôles, et, si « les animaux font ce qu’ils veulent », « les personnes humaines font ce que commande la décence »31.
25Toutes les pratiques sociales et culturelles sont ainsi passées au crible de cette notion de bienséance, qui est une convention sociale. Les tenues vestimentaires (plus simplement au nom de l’hygiène, comme précédemment), le langage32, les manières de table, les jeux, et tous les différents gestes de la vie quotidienne, même les plus mineurs, se doivent d’être policés, passés par cette opération de raffinage pour leur faire perdre leur caractère primaire, animal, rustre, et les faire entrer dans le moule des formes sociales « civilisées ». Ainsi, « dormir nu fait penser à un sauvage, et toute personne moyennement cultivée en a horreur »33.
26Les jeunes filles sont plus particulièrement frappées par ces normes de bienséance, qui se résument en un ensemble d’interdits (ce qu’il ne faut pas faire, dire...). Un contrôle total des gestes et des paroles, qui revient en fait à exercer une véritable censure : « On leur exige énormément de pudeur dans leurs manières, beaucoup de soin dans leurs actes, de correction dans leurs paroles et de propreté dans leurs mœurs »34.
27Enfin, un troisième élément s’ajoute aux deux premiers pour composer cette « science » des relations sociales, la notion de respect, fondé bien souvent sur l’apparence : respect de soi-même en premier lieu (hygiène corporelle et tenue vestimentaire), mais toujours vis-à-vis des autres (références aux odeurs, aux formes, aux couleurs...)35, respect des autres (tant les êtres humains que les animaux, et même les plantes36), respect de Dieu bien entendu37, des parents, des domestiques (pour ceux qui en ont)38, et enfin des supérieurs39, qui peuvent l’être « par leur âge, par leur savoir et par leur position sociale »40. Respects qui entraînent un ensemble de devoirs fondés sur la notion de contrôle.
Le respect dû aux parents
28Arrêtons-nous quelques instants pour finir sur le respect dû aux parents par les enfants. Pour Antonio Cortés, « si l’enfant ne veut pas s’attirer les funestes effets de la colère divine : passer pour un ingrat, inhumain, et indigne de vivre parmi les hommes, il conservera toujours pour ses parents les sentiments d’amour, de soumission, et de reconnaissance que la nature lui a inspiré »41. Et respect envers les parents et envers Dieu vont de pair : « [...] Tu dois avoir présent à l’idée que celui qui manque du respect dû à ses parents, manque en quelque sorte de celui qu’il doit à Dieu, puisqu’ils en tiennent lieu pour nous »42.
29Ce respect de nature divine entraîne par voie de conséquence une obéissance totale des enfants envers les parents, une véritable « soumission » : « Que devons nous à nos parents ? -Dieu nous demande de les honorer. Comment les honorerons-nous ? -En leur obéissant, en les révérant et en les aidant. [...] Comment démontrerons-nous notre respect aux parents ? -En nous adressant à eux avec soumission et humilité, en les saluant et en leur baisant la main, en particulier au lever et au coucher, en leur demandant la permission chaque fois que c’est nécessaire, en leur donnant toujours priorité, et en ne répliquant jamais à tout ce qu’ils nous disent ou ordonnent »43.
30Il convient donc qu’en toutes circonstances les enfants restent à leur place, mélange de respect et d’amour : « Il doit les traiter avec humilité et respect, en même temps qu’avec une familiarité et une confiance empreintes d’amour »44.
31Car le respect et l’obéissance ne suffisent certes pas dans les rapports entre enfants et parents : « Mais il ne suffit pas de leur obéir et de les respecter, il faut en outre les aimer avec tendresse et sincérité, éviter en conséquence ce qui peut leur être désagréable, tendre à leur plaire, les consoler de leurs peines, et les aider dans leurs besoins, chaque fois que ce soit nécessaire »45.
32Le respect suppose par ailleurs une réelle confiance mais pas de véritable familiarité : « Le respect que nous devons à nos parents, n’exclut en aucune façon les doux plaisirs d’une confiance bien comprise ; mais ayons toujours à l’esprit qu’il ne nous sera jamais permis d’user avec eux d’une familiarité telle, qu’elle profane les devoirs sacrés que la nature et la morale nous imposent »46.
Conclusion
33Le manuel de savoir-vivre présentait donc de forme cohérente, avec ses variantes mais surtout une forte continuité et une répétition rhétorique, le modèle d’homme et de femme qui convenait aux classes dominantes, en contribuant à transmettre les valeurs considérées comme essentielles : respect de la propriété privée, maintien de l’ordre public, protection de l’ordre moral. Bien entendu, apparaissaient également d’autres valeurs au contenu moral positif, comme la solidarité et la tolérance.
34Le manuel scolaire de savoir-vivre comme catéchisme de normes sociales complète à cet égard le catéchisme religieux dans le système scolaire espagnol. Sa place dans la législation et dans les pratiques scolaires en faisait un instrument privilégié dans la conformation idéologique, dans la socialisation des jeunes, dans la légitimation et la diffusion sociale des codes dominants conçus comme valeurs et normes universelles, applicables par tous.
35Les deux termes de civilité (urbanidad) et d’éducation vont d’ailleurs finir par se superposer, l’un supposant l’autre, l’autre visant l’un : « La civilité est le reflet de la bonne éducation : des bonnes mœurs dans l’habillement, la démarche, le langage ; de la droiture d’intentions dans la pensée et le sentiment, et de l’honnêteté dans la conduite »47.
36Et les familles étaient ainsi invitées à adopter le modèle construit et théorisé aussi bien à l’Eglise qu’à l’Ecole. Car c’était désormais à l’institution scolaire qu’incombait également le soin de transmettre avec ou contre les familles le catalogue des normes sociales.
Notes de bas de page
1
Nous reprenons ici certaines des analyses menées précédemment dans « Ecole et socialisation.
Les manuels de civilité à l’usage des écoles primaires en Espagne au XIXe siècle », Duroux (Rose) (éd.), Les traités de savoir-vivre en Espagne et au Portugal du Moyen Age à nos jours, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, 1995, pp. 287-304, et « La transmission des codes sociaux dans l’espace scolaire en Espagne au XIXe siècle », Romantisme, 96 [Le nouveau savoir-vivre], 1997, pp. 51-58.
2 Nous retenons par commodité l’équivalence entre le terme français « savoir-vivre » et son homologue espagnol « urbanidad ».
3 Mayordomo (Alejandro), « Bases para el estudio de la formación moral y de la civilidad a través de los textos escolares en la primera mitad del siglo XIX », Historia de la Educación, 2, 1983, pp. 55- 65 ; Benso Calvo (Carmen), « Inercias y novedades en el curriculum escolar del siglo XIX : la enseñanza de la urbanidad », IX Coloquio de Historia de la Educación Granada, 23-26 de Septiembre de 1996. El currículum : historia de una mediación social y cultural, Granada, Universidad de Granada-Ediciones Osuna, 1996, t. 1, pp. 59-70, et Controlar y distinguir. La enseñanza de la urbanidad en las escuelas del siglo XIX, Vigo, Servicio de Publicacións da Universidade de Vigo, 1997, 286 p. ; Guereña (Jean-Louis), « Los Manuales de Urbanidad », Escolano Benito (Agustín) (éd.), Historia ilustrada del libro escolar en España Del Antiguo Régimen a la Segunda República, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 1997, pp. 467-499, et El arte del saber estar. Enciclopedia práctica de buenas maneras y protocolo, t. 5 [Urbanidad para niños y adolescentes], Oviedo, Ediciones Nobel, 1998, pp. 295-315.
4 Nous renvoyons à notre bibliographie générale : Guereña (Jean-Louis) et Simón Palmer (María del Carmen), « Bibliographie des traités de savoir-vivre espagnols. Deuxième partie. Manuels de civilité espagnols XVIIIe-XXe siècles », Montandon (Alain) (éd.) Bibliographie des traités de savoir-vivre en Europe. Volume 2 Italie-Espagne-Portugal-Roumanie-Norvège-Pays tchèque et slovaque-Pologne, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, 1995, pp. 129-193.
5 Fisher (Rosalie), « La pédagogie de la politesse dans l’école laïque de la Troisième République », Romantisme, 96 [Le nouveau savoir-vivre], 1997, pp. 41-49 ; Poulet (Astrid), Le Manuel de savoir-vivre français dans la seconde moitié du XIXe siècle (1829-1906), Mémoire de Maîtrise (sous la direction de Claude-Isabelle Brelot), Tours, Université François Rabelais, 1994, 116 p.
6 Bataillon (Marcel), Erasme et l’Espagne, Genève, Librairie Droz, 1991, t. 1, pp. 301-342, et t. 2, p. 399 ; Barbazza (Marie-Catherine), « Bibliographie des traités de savoir-vivre espagnols. Première partie. Manuels de civilité espagnols XIIIe-XVIIe siècles », Montandon (Alain) (éd.), Bibliographie des traités… op. cit., 1995, pp. 103-128. Sur la diffusion du traité d’Erasme en France, voir Chartier (Roger), Compère (Marie-Madeleine), Julia (Dominique), L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Société d’Edition d’Enseignement Supérieur, 1976, pp. 136-142.
7 Elias (Norbert), La Civilisation des mœurs, trad. française, Paris, Calmann-Lévy, 1973, 345 p.
8 Par exemple : Cortés Moreno (Antonio), Libro de la urbanidad y cortesía para el uso de las escuelas, por el profesor de primeras letras --, 5e ed., Madrid, Vda e Hijo de Marín, 1795, 80 p. On peut encore trouver cette association à la fin du XIXe siècle, comme dans Serra (Carmen), Principios de urbanidad y cortesía al alcance de las niñas, Barcelona, Tipografía de Antonio Gavaldá, 1897, 51 p.
9 Voir les indications données sur les écoles de Pontevedra (Galice) par Gabriel (Narciso de), Leer, Escribir y Contar. Escolarización popular y sociedad en Galicia (1875-1900), Coruña, Ediciós do Castro, 1990, pp. 337 et 343.
10 Alonso Marañon (Pedro Manuel), « Notas sobre la higiene como materia de enseñanza oficial en el siglo XIX », Historia de la Educación, 6, 1987, pp. 22-41 ; Borderies Guereña (Josette), « Education chrétienne et hygiène domestique (1860-1915) », Aymes (Jean-René), Fell (Eve-Marie), Guereña (Jean-Louis) (éds.), Ecole et Eglise en Espagne et en Amérique latine -Aspects idéologiques et institutionnels, Tours, Publications de l’Université de Tours (Série « Etudes Hispaniques », VIII-IX), 1988, pp. 361-373 ; Guereña (Jean-Louis), « Urbanidad, higiene e higienismo », Areas, 20 [Higienismo y Educación (siglos XVIII-XX), éd. par Antonio Viñao Frago et Pedro Luis Moreno], 2000, pp. 61-72.
11 Voir Villalaín Benito (José Luis) (éd.), Manuales escolares en España. Tomo 1 : Legislación (1812- 1939), Madrid, Universidad Nacional de Educación a Distancia, 1997, 392 p., et Manuales escolares en España. Tomo II : Libros de texto autorizados y censurados (1833-1874), Madrid, Universidad Nacional de Educación a Distancia, 1999, 646 p.
12 Colección de Reales decretos, Ordenes y Reglamentos relativos a la intrucción primaria, elemental y superior desde la publicación de la Ley de 21 de Julio de 1838, Madrid, Imprenta de la V. de Perinat y Compañía, 1850, p. 246.
13 Catón cristiano para uso de las escuelas con ejemplos y un tratado de buena crianza para la educación de la juventud, Madrid, Imprenta Real, 1798, 112 p.; Alonso Rodríguez (Pedro), Catón español político christiano. Obra original sacada de graves autores nacionales y extrangeros, para la enseñanza y buena educación de los niños, niñas, jóvenes y acomodada al carácter, costumbres, leyes y religión de la nación española, con advertencias político-morales a los padres y maestros, Madrid, Imprenta Real, 1800, 240 p.; Herranz y Quirós (Diego Narciso), Catón cristiano, urbanidad y cortesía, ordenado para facilitar la lectura a los niños en las escuelas y cimentarlos en las máximas morales, con diferentes grados de letra y materias doctrinales, Madrid, Imp. y Libr. de J. Viana Razola, 1825, 96 p.; Libro primero bajo el nombre de Catón cristiano y Urbanidad, dispuesto para niños que concurren a las Escuelas de primeras letras del Reino, Madrid, Imp. de Alvarez, 1838.
14 Carderera (Mariano), Guía del maestro de Instrucción primaria, o Estudios morales acerca de sus disposiciones y conducta, 2e éd., Madrid, Imprenta de A. Vicente, 1853, pp. 110-111.
15 Reglamento provisional de las escuelas públicas de instrucción primaria elemental, Madrid, Imprenta Nacional, 1838, art. 48, p. 29.
16 Boletín Oficial de la Provincia de Ciudad Real, n° 198, 2 Novembre 1852, p. 784.
17 Reglamento provisional de las escuelas públicas de instrucción primaria elemental, op. cit., 1838, p. 12.
18 Ibid.
19 Guereña (Jean-Louis), « Ecole et socialisation », op. cit., pp. 290-296.
20 Voir pour la France les travaux de Chartier (Roger) « Distinction et divulgation : la civilité et ses livres », Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Editions du Seuil, 1987, pp. 45- 86), et de Revel (Jacques), « Les usages de la civilité », Histoire de la vie privée, Paris, Editions du Seuil, t. 3, 1986, pp. 168-209.
21 Guereña (Jean-Louis), « Le Peuple et l’Ecole. La demande populaire d’éducation au XIXe siècle », Aymes (Jean-René), Fell (Eve-Marie), Guereña (Jean-Louis) (éds.), L’enseignement primaire en Espagne et en Amérique latine du XVIIIe siècle à nos jours -Politiques éducatives et Réalités scolaires, Tours, Publications de l’Université de Tours, 1986, pp. 83-98, et « Scolarisation et demande populaire d’instruction », Guereña (Jean-Louis), Fell (Eve-Marie) et Aymes (Jean-René) (Eds.), Matériaux pour une Histoire de la scolarisation en Espagne et en Amérique latine (XVIIIe-XXe siècles), Tours, Publications de l’Université de Tours, 1990, pp. 3-34.
22 Cortés (Antonio), Libro de la urbanidad y cortesía que para enseñar a silabar y leer ofrece a la niñez Don --, Profesor de Primeras Letras del número de esta Corte, Madrid, En la Imprenta de la Viuda de Ibarra, 1799, n.p.
23 Paluzíe y Cantalozella (Esteban), Tratadito de Urbanidad para los niños, Barcelona, Imprenta del Colejio de Paluzie, a cargo de Vicente Peris, 1842, Chapitre I, pp. 3-4.
24 López y Candeal (Julián), Breve tratado de urbanidad o Princípios de educación redactado con destino a las escuelas de niñas, Madrid, Librería de Educación de D. Manuel Rosado, 1882, Première partie (Principes généraux d’éducation), Troisième Leçon, pp. 11-12.
25 Tratado de urbanidad, Madrid, S. Calleja (Tomo X de la Biblioteca de las Escuelas), 1901, pp. 11-12.
26 Climent Ferrer (Federico), Educación cívica. Principios fundamentales de los derechos y deberes de ciudadanía en la vida civil, Barcelona, Calpe, 1920, 359 p.
27 Tratado de urbanidad…op. cit., 1901, p. 48.
28 Grassi (Angela), Novísimo Manual de Urbanidad y buenas maneras para uso de la juventud de ambos sexos, Madrid, Calleja, López y Rivadeneyra Editores, 1859, pp. 78-91 (Chapitres III-VII, « De la manière de nous conduire à la maison », « De la manière de nous conduire dans la rue », « De la manière de nous conduire à l’église », « Des spectacles publics », « De la manière de nous conduire dans les établissements d’éducation, [...] les établissements publics, les magasins et dans les voyages »).
29 Tratado de urbanidad… op. cit., 1901, p. 56.
30 Ibid., p. 47. Voir aussi López y Candeal (Julián), Breve tratado de urbanidad o Principios de educación… op. cit., 1882, p. 12.
31 Ibid.
32
[Parpal (Cosme)], Tratado de Urbanidad para uso de los Colegios y Escuelas, escrito por el D. D. C. P.
M. Con aprobación de la Autoridad Eclesiástica, 2e éd., Barcelona, Librería de Luis Niubó, 1884, pp. 31-33 (« Défauts que l’on doit éviter en parlant ») : « Nos paroles doivent toujours être DÉCENTES, NOBLES et HONNêtes. Les expressions grossières et indécentes déshonorent celui qui les utilise et mettent en évidence son incivilité [...] » (p. 33).
33 López y Candeal (Julián), Breve tratado de urbanidad… op. cit., 1882, p. 21.
34 Valle (Genaro del), El espejo de las niñas. Tratado de educación moral e intelectual, Madrid, Librería de González, 1854, p. 138.
35 Monreal (Luciana Casilda), Nociones de urbanidad, Madrid, Imprenta de Jaime Ratés Martín, 1906, pp. 12-16 « Devoirs de Civilité envers soi-même »).
36 Ibid., pp. 102-107 (« Du respect dû aux personnes, aux monuments publics, aux plantes et aux animaux »).
37 Grassi (Angela), Novísimo Manual de Urbanidad y buenas maneras… op. cit., 1859, pp. 1-6 (« Devoirs de l’homme envers Dieu »).
38 « Je serai avec eux affable avec la réserve qui convient, je serai généreux, et je n’aggraverai pas leur position assez humble et pénible en elle-même » (Parpal (Cosme), Tratado de Urbanidad para uso de los Colegios y Escuelas… op. cit., 1884, p. 61).
39 « Il doit leur manifester du respect, leur donner le traitement qui leur est dû, ne parler que pour répondre à leurs questions, écouter attentivement leurs conseils, et ne jamais les contredire » (Paluzíe y Cantalozella (Esteban), Tratadito de urbanidad para niños… op. cit., 1842, p. 8 -Chapitre III, « Des relations avec ses supérieurs »).
40 Solís y Miguel (Prudencio), Lecciones de Urbanidad destinadas a los niños y a los adultos… op. cit., 1890, p. 10.
41 Cortés (Antonio), Libro de la urbanidad y cortesía… op. cit., 1799, s.p.
42 Sabattier (Abate) [sic], El Amigo de los niños, escrito en francés por el --, Traducido y adicionado por D. Francisco José de Toro, Barcelona, Imprenta de Sierra y Martí, Reimpreso en Logroño, Domingo Ruiz, 1830, pp. 96-97.
43 Solís y Miguel (Prudencio), Lecciones de Urbanidad destinadas a los niños y a los adultos, 3e éd., Valencia, Librería de Ramón Ortega, 1890, p. 9 (IVe Leçon, « Devoirs envers nos parents, maîtres et supérieurs »).
44 Calleja [Saturnino], Reglas esenciales de urbanidad y buena crianza para niñas. Obra aprobada por la Autoridad eclesiástica y declarada de texto por Real orden de 26 de diciembre de 1886, Madrid, Casa Editorial Calleja, s.d., p. 23.
45 Sabattier (Abate) [sic], El Amigo de los niños… op. cit., 1830, p. 97.
46 Carreño (Manuel Antonio), Compendio del Manual de Urbanidad y buenas maneras arreglado por el mismo para el uso de las escuelas de ambos sexos, Barcelona, Faustino Paluzie Impresor-Editor, 1898, p. 68.
47 Tratado de urbanidad… op. cit., 1901, p. 12.
Auteur
CIREMIA, Université François Rabelais-Tours.
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