Chapitre I. Le procédé à la catalane ou le nouveau souffle de la réduction directe (xviie-xixe siècle)
p. 163-255
Texte intégral
1Au XVIIe siècle, la réduction directe connaît un nouvel élan dans les Pyrénées alors que presque partout ailleurs en Europe elle s’effondre devant le procédé indirect. Revivification parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un choix réitéré, mais bien de l’apparition d’un procédé nouveau plus productif que ses prédécesseurs grâce à des innovations qui concernent le bas fourneau, l’appareil de soufflerie et la méthode elle-même, innovations qui insufflent à la réduction directe une nouvelle vie. Choix et non ignorance de la réduction indirecte1. Quelques éléments permettent déjà d’étayer cette hypothèse. Les Pyrénées ariégeoises du XVIe siècle ont peut-être succombé, pendant un court laps de temps, à la tentation de la sidérurgie indirecte. Les archives révèlent, en effet, l’existence, de 1540 à 1556, d’une « fonde et molline avec deux fornelz à la genevoyse » à Villeneuve d’Olmes2. C’est la première fois qu’une forge qualifiée de fonde se rencontre dans le contexte technique ariégeois. Ce terme est inconnu du Moyen Âge et a disparu au XVIIe siècle. Or fonde est la forme occitane de fonte. En 1732, les réponses des fermiers de forges languedociennes à la proposition de l’administration d’adop
2ter une machine mise au point en Bourgogne sont sans ambiguïté. Dans toutes les forges des Pyrénées ariégeoises, « on apure la mine sans la rendre liquide ou coulante »3. Quelques dizaines d’années plus tard, après 1775 et avant 1786, les conseils que Raymond Lin Capdeville adresse à l’apprenti maître de forges pour qu’il acquière une culture sidérurgique, apportent une confirmation. Le postulant « faira bien de se procurer tous les ouvrages qui traitent des forges tant à la catalane ou pyrénéenne qu’à haut fourneau ou à la vallone et à l’allemande… quant à la méthode allemande et vallone la description des Arts et Métiers faite ou approuvée par l’Académie royale des Sciences, et en particulier tout ce qui regarde les forges, et l’art du fer est ce qu’il y a de mieux en ce genre ». Le Comité de Salut Public charge le luxembourgeois Henry de la construction d’un haut fourneau à Villeneuve-d’Olmes (de janvier à septembre-octobre 1794). La première mise à feu a lieu le 5 mars 1795. La fonte des premières coulées est de bonne qualité. Malheureusement, un incident interrompt son travail. Accident dit Henry, sabotage permettent d’affirmer les archives : le mécanisme des soufflets a été volontairement bloqué. Le haut fourneau est entouré d’un fort climat d’opposition, de rejet, non seulement de la part des hommes du fer mais aussi de l’ensemble de la société4. Après ces premiers indices du choix délibéré de rester fidèle à la réduction directe, il est temps de passer à la description du procédé à la catalane.
A/ La méthode à la catalane : la « main » des forgeurs ariégeois
3Le procédé à la catalane bénéficie d’une excellente réputation auprès des sidérurgistes, du moins sur le plan strictement scientifique. Des dernières décennies du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, les appréciations flatteuses se répètent. Ainsi, Tronson du Coudray : « lorsqu’on est témoin de ces opérations, on ne peut s’empêcher d’en admirer la simplicité… On s’étonne surtout qu’avec des moyens si simples on puisse produire du fer d’une qualité aussi excellente »5. Ou encore Dietrich : « Je les connus à peine, que je fus enthousiasmé de l’économie et de la simplicité des procédés et des ateliers »6. En 1812, Hassenfratz, véritable porte-parole de l’École des Mines, affirme que quiconque voudrait introduire, dans les Pyrénées, la méthode des hauts fourneaux, qui est généralement adoptée ailleurs, ferait rétrograder l’art au lieu de le perfectionner. Il y a donc des circonstances où la méthode des anciens, l’usage des bas fourneaux, doit être préférée à celles qui ont été nouvellement introduites7. Richard, en 1838, écrit que de toutes les méthodes connues pour extraire le fer de ses minerais, la méthode à la catalane est encore la plus simple, la plus directe et la plus économique8.
4« Admirer », « enthousiasmé », nous sommes loin de la froide rigueur scientifique. Picot de Lapeyrouse ajoute, « ce n’est pas la forge qui fabrique le plus de fer qui est la meilleure, mais celle qui, avec le moins de matériaux et de dépense, rend constamment le plus riche produit »9. Raymond Lin Capdeville renchérit, « but qui est de faire beaucoup avec peu », ce qui rejoint la maxime des forgeurs eux-mêmes pour qui « le meilleur fer se fait dans le moins de temps avec le moins de mine et de charbon »10. Cette insistance sur la simplicité, la parcimonie des moyens, la beauté intellectuelle d’un procédé qui permet en une seule opération de transformer le minerai en métal, sorte de merveilleux scientifique, fascine11. Or, ce sont les réalités du procédé à la catalane que l’on doit tendre à approcher. L’essentiel de la documentation est constitué par les traités métallurgiques. Des informations grappillées ici ou là dans des archives administratives ou judiciaires permettent de compléter notre information. Mais il s’agit d’éléments d’histoire sociale et économique dérivant de l’activité sidérurgique plus que d’indications techniques.
5Les ingénieurs Richard et François ont ajouté à l’observation proprement dite la construction de forges, principalement François qui jouissait de la réputation de « meilleur constructeur de forges ». C’est dire qu’à leurs connaissances théoriques ils allient une pratique non négligeable. De plus, ils ont conduit de nombreuses expériences réalisées en laboratoire ou « en grand » dans des forges prêtées par leurs propriétaires. Ils ont décrit les changements progressifs qui se produisent dans le bas fourneau à la catalane, en examinant avec soin le massé pendant les principales périodes de la réduction. Pour y parvenir, ils ont arrêté à des intervalles successifs des feux marchant dans les mêmes conditions. Jules François a publié de nombreux et minutieux détails sur le rôle des réactions dans le feu. Il a en même temps présenté l’étude microscopique du minerai en réduction, à différents stades12. Les deux ingénieurs ont procédé à l’examen ou, suivant l’expression de Richard, à « l’autopsie » des feux éteints. Ils ont analysé les minerais, les scories13. Leur démarche est proche de celle des paléométallurgistes d’aujourd’hui14. On doit ajouter l’archéologie expérimentale, avec son aspect spectaculaire. De nombreuses expérimentations ont été conduites, dont celle de Julia Simon qui intéresse précisément le procédé à la catalane15. Pour mener à bien son expérimentation, cette scientifique a suivi le procès-verbal d’un feu présenté par Richard. Il y a là un biais nouveau pour interroger les traités techniques et les diverses sources. Les historiens disposent ainsi de résultats riches d’enseignements sur le plan de la stricte connaissance du savoir-faire des sidérurgistes et sur le plan conceptuel.
1/ Les mots et le savoir-faire
6L’observateur étranger, quelles que soient ses qualités, ses compétences scientifiques et techniques, la durée de son séjour dans les forges ariégeoises, se heurte au problème de la langue. Les forgeurs s’expriment en langue d’oc, puisant dans leur univers culturel les expressions, qualifiées de « pittoresques » par les ingénieurs des Mines16, qui leur servent à décrire la marche de la réduction. La barrière de la langue est un obstacle qu’il doit surmonter pour avoir de bons rapports avec les ouvriers. C’est pourquoi certains auteurs joignent à leurs traités un « vocabulaire des forgeurs » qu’ils jugent d’une « nécessité indispensable » pour tous ceux qui seraient appelés à visiter les forges ariégeoises « autrement qu’en amateur ». Le handicap de la langue dont souffre l’observateur contemporain se transforme en chance pour l’historien. Nous avons conservé une part faible certes, mais cependant non négligeable, du langage des forgeurs ariégeois grâce aux lexiques dressés par plusieurs auteurs de traités techniques. Picot de Lapeyrouse, homme de langue d’oc puisque né dans une vieille famille de Toulouse17, a rédigé un « Vocabulaire des ouvriers des forges du comté de Foix »18. Le « Vocabulaire ou table alphabétique des termes en usage dans les forges du comté de Foix » de Dietrich est moins étoffé19. Richard emprunte son « Vocabulaire des forgeurs de l’Ariège » à Picot de Lapeyrouse, « en le modifiant quelque peu. Il [lui] a été d’une grande utilité pendant les cinq années qu[‘il] a passées dans les forges de ce pays »20. Il donne aussi des conseils de prononciation pour permettre une meilleure compréhension. Un assez grand nombre de mots se prononcent autrement qu’ils sont écrits. Beaucoup d’u doivent être prononcés ou ; e se prononce souvent é ; on doit faire sonner les t, les s qui terminent certains mots. Ainsi, ceutre se prononce « séoutré », trauc se dit « traouq », alterat fait « alteratte », anels « anelze », alets « aletze ». Très souvent, le b se prononce comme un v, et le v comme un b, l’x comme ch. Ainsi, il ne faut pas être étonné d’entendre dire la « vogue » (vog) pour la bogue, le « cachadou » pour le caxadou. François ne juge pas indispensable de joindre un glossaire à son ouvrage, il indique, au fil de son texte, les mots et expressions utilisés par les forgeurs. Le vocabulaire oral des forgeurs à la catalane est l’un de ceux que les textes ont le mieux conservés21. Or, l’analyse des mots constitue un mode d’approche des savoir-faire et de leur application quotidienne : « quand nous ne percevons plus que l’écho affaibli et déformé de la parole du technicien, les mots au moins demeurent, à défaut de l’architecture des propos. L’histoire du vocabulaire technique, qu’il s’agisse de la désignation des instruments, des gestes ou des opérations complexes permet de situer, avec une marge d’incertitude inévitable, toutes les pratiques de travail »22.
7La barrière de la langue n’est pas le seul obstacle que doit surmonter l’observateur. Il existe un autre problème et non des moindres qui n’a pas encore été abordé : le monde de la forge à la catalane appartient à un monde de culture orale dont le savoir se transmet par l’exemple et la pratique. L’écrit ne joue aucun rôle, d’autant que nombre de forgeurs, comme nombre de leurs contemporains, ne savent ni lire ni écrire. Lors de l’enquête sur le travail de 1848, 10 hommes seulement sur 100, tout au plus, dans le canton des Cabannes, canton d’où sont originaires un grand nombre de forgeurs, sont capables de lire et d’écrire23. C’est dire que le savoir-faire des forgeurs se trouve rarement consigné dans les documents d’archives.
8Cette absence de technique fondée sur l’écrit n’est pas le seul trait de cette culture à la catalane, un ordre sensoriel particulier caractérise ce lieu de production. Le corpus qui vient d’être présenté, source indirecte pour l’historien, l’aide cependant à analyser ce système de travail dans lequel la subtilité des sens, aiguisés par une longue et persistante pratique, joue un rôle primordial. Ou du moins l’autorise à faire une tentative. Le monde sensible de la forge à la catalane demeure donc difficile à communiquer par l’écrit. Est-il réellement possible de rendre compte du savoir-faire des forgeurs ? Lorsqu’il a voulu répéter l’expérience de Joule, H. Otto Sibum s’est heurté à des difficultés inattendues. Or, la reproductibilité est la condition sine qua non pour qu’une expérience et une théorie acquièrent un statut scientifique. Et pourtant, cette expérience permettant de déterminer l’équivalent mécanique de la chaleur n’a pas été remise en cause ! Cet historien des sciences a alors « identifié les connaissances [la culture technique de la brasserie en Angleterre au début du XIXe siècle] indispensables au déroulement de l’expérience mais omises dans les comptes rendus publics et inconnues de la communauté scientifique au début de l’époque victorienne »24. Il a ainsi mis au point des outils conceptuels qui permettent de décrire une culture technique en insistant sur l’importance du tour de main des brasseurs marqué par un ordre sensoriel complexe. Sa démarche est reprise dans cette tentative de description du procédé à la catalane et du savoir-faire des forgeurs ariégeois.
2/ L’univers sensoriel des forgeurs
9Il est plus facile de décrire l’atelier, les machines et les outils que les gestes, à plus forte raison les séquences de gestes, et des sensations. Les traités techniques, malgré la qualité indéniable de certaines descriptions, ne pénètrent qu’avec difficulté jusqu’au cœur du travail. Les forgeurs à la catalane incarnent une culture de perception, une pratique du geste. Raymond Lin Capdeville affirme : « Il faut qu’on connoisse à l’œil au bruit et au son, s’il y a quelque chose de déranger dans l’ensemble de la forge ». La description concerne certes les Pyrénées ariégeoises, mais l’atelier et le procédé de cette région sont le modèle de la technique à la catalane.
a/ Des ouvriers au service du métal
- Le forgeur en équipe
10Une forge à la catalane est servie par une brigade de huit ouvriers, fargaïres, qui travaillent nuit et jour. Le foyé, chef de la brigade, est chargé de tous les détails qui concernent le personnel de la forge, il en a la responsabilité. Il monte et entretient le bas fourneau, surveille l’allure de la trompe, la qualité du vent. Il préside au chargement du feu. Il étire le fer en barres. Son valet, le piquemine, l’aide. Lorsqu’un foyé arrive dans une forge, il change les dimensions du creuset parce qu’il ne veut pas travailler sur le punt, le point, d’un autre, sur les proportions qu’un autre a déterminées pour le feu, même s’il est en parfait état. Comment interpréter ce premier geste au-delà de la simple affirmation d’une compétence technique ? Pourquoi ne pas y voir un geste propitiatoire, vestige d’un rituel qui s’est perdu, mais dont demeure une pratique rassurante pour aider les hommes à maîtriser le feu, l’air et l’eau afin de conduire la réduction à bonne fin, de favoriser l’apparition du métal ? Si le foyé manque les proportions du bas fourneau, s’il se trompe en plaçant la tuyère, la production sera faible, de mauvaise qualité, et ses compagnons forgeurs, payés au quintal, le rendront responsable de leur manque à gagner. Le maillé a dans ses attributions tout ce qui regarde le travail mécanique du fer ; il monte la batterie du mail, surveille et dirige l’allure du marteau, entretient la roue motrice et les outils. Il conduit le cinglage du massé et doit, en outre, alterner avec le foyé pour l’étirage du fer. Il est servi par son valet, le piquemine. Puis viennent les deux escolas, maîtres forgeurs, qui tirent leur nom de escoula, forme occitane du verbe écouler parce qu’ils percent le trou pour l’écoulement des scories. Les escolas sont les ouvriers dont le travail est le mieux défini : ils sont alternativement chargés de la conduite du vent et du feu, en un mot du traitement du minerai pendant toute une réduction. En outre, ils dirigent et surveillent la chauffe des pièces à étirer. Chacun d’eux est assisté par un valet, le miaillou. Les ingénieurs écrivent qu’ils sont les véritables « fondeurs » des forges à la catalane, même si ce terme ne convient pas pour un procédé direct. Les valets du foyé et du maillé, les piquemines, aident leurs maîtres respectifs, soit dans l’entretien du feu et du mail, soit dans le travail du fer sous le marteau. Ils doivent en outre concasser (piquer) sous le mail le minerai à traiter, de manière que les plus gros fragments ne dépassent pas le volume d’une noix, et en séparer par criblage les menues parties (greillade, minerai en poudre). Les valets d’escola, les miaillous, servent leurs maîtres dans la conduite du feu, surtout dans le chargement de la greillade et du charbon. En Catalogne, les forgeurs portent des noms absolument identiques à ceux que l’on trouve en Ariège, leurs fonctions sont rigoureusement les mêmes. Les aides sont les seuls à avoir une dénomination différente : miailhou dans les Pyrénées françaises et vailets en Catalogne, comme le valet français, ou simplement fargaires25. L’organisation de la brigade des forgeurs est très fortement hiérarchisée : le maître et son valet. Chaque ouvrier a une fonction précise, la spécialisation des tâches est réellement très poussée. L’équipe est divisée en deux postes de 4 ouvriers. Chacun d’eux est constitué par un escola, son valet et un piquemine. L’un des postes a pour chef le foyé et l’autre le maillé, ces deux maîtres ouvriers se suppléent réciproquement. Chaque poste travaille 6 heures. Les forgeurs se réunissent au moment de la sortie du massé. Dès qu’il est retiré, le nouveau poste entre en fonction, celui qui a tenu le feu, le poste sortant du feu, se repose pendant les 6 heures à venir.
11À ces spécialistes, il faut ajouter le garde-forge. Il s’occupe du stockage des matières premières et du métal. Il veille à ce que le feu soit convenablement pourvu de minerai et de charbon, c’est lui qui délivre aux forgeurs le minerai dont ils ont besoin, qui mesure le charbon et qui note les quantités qu’il distribue. Il est l’homme de confiance du maître de forges, il garantit ses intérêts. Dans certaines forges, on rencontre enfin un commis, chargé de la surveillance, de l’approvisionnement de l’usine, de la confection des commandes, de l’écoulement de la production et de tous les détails de la comptabilité.
- Les vêtements de travail
12Les vêtements de travail des forgeurs se composent presque partout d’une casquette en feutre à longue visière pour garantir autant que possible leurs yeux de l’ardeur du feu et des éclaboussures, d’une chemise de grosse toile de chanvre, sans boutons, avec une simple attache, ouverte sur la poitrine nue, d’un pantalon en drap du pays, teint d’indigo, fendu extérieurement le long des jambes pour laisser passer l’air et lutter contre la chaleur, d’une ceinture en cuir, parfois en fil de fer, autour des reins et enfin d’une paire de sabots qui protègent leurs pieds nus des chocs et brûlures. Ils portent, attachée à la taille, une grosse pièce de cuir pour amortir le choc des tenailles. Ils ont, en outre, une seconde chemise qui leur permet de changer de linge aussitôt qu’ils ont terminé leur travail, ce qu’ils ne manquent jamais de faire26. Les sources andorranes nous apprennent que les forgeurs se couvrent le visage avec un mouchoir de soie pour se protéger de la chaleur. Ainsi équipés, les ouvriers passent au moins une semaine, quelquefois plusieurs mois à la forge, sans jamais retourner chez eux, couchant nuit et jour sur la paille du crambot, avec des couvertures de laine et revêtus de la manto (pèlerine). Paille que le maître de forges consent, non sans difficultés, à renouveler deux fois par an. On peut dire que les chevaux des rouliers, qui ne travaillent que six heures par jour, sont beaucoup mieux traités que ces hommes qui restent douze heures exposés à une fatigue considérable et à une forte chaleur.
- Les outils du forgeur
13Les outils sont l’extension du corps des forgeurs, le truchement de leurs sens. Une série d’outils, toutes sortes de ringards et de tenailles, est posée contre le mur de la forge. Au XVIIIe siècle, leur poids varie de huit quintaux quarante-huit livres fer (plus de 339 kg) à dix quintaux (400 kg) y compris les manches de bois, alors qu’à la fin du XVIIe, ils pèsent en tout quatre quintaux (160 kg) avec les pièces du feu27. Le timon et la balance utilisés pour peser la mine ont un poids de quarante-sept livres fer (18,8 kg). Quant au timon et à la chèvre qui servent à peser le fer, leur poids est de dix-huit livres (7,2 kg). Aux outils, il faut ajouter pour les forges du Pays d’Olmes, par exemple, la marque de fer aux trois chevrons qui sont les armoiries de la famille Lévis-Mirepoix. Chaque usine dispose de sa propre marque qui lui sert à personnaliser sa production. Seule celle de la famille Lévis est parvenue jusqu’à nous. En 1699, on trouve dans la forge de Villeneuve d’Olmes : « une tenaille de coupe, une badoures, une moilles, une courvetes [courbettes], trois piquots, un siladou, une pelle fer, une craue, une grosse tenaille, un bouvé, trois anneaux, un marteau à dresser, un trinou, un tailhaire gros et un petit, une palenque et un marteau de mine ».
14En 1705, à la forge voisine de Barthalé : « le timon et la chèvre servant a peser le fer, les pals servant pour le feu, les grosses et petites baboures, une courbette servant a dresser pour dresser le fer, un taillaire, un marteau pour dresser le fer, quatre aneaux, deux tenailles pour lier le fer, une pele pour tirer la braise, une autre pele pour donner la grillade au feu, un silladou, un pichou de tuere, une beche, une molhes, un marteau a piler la mine, une tenaille de la coupe, trois picots servant a la forge, trois palenques et un gros taillaire, trois grosses tenailles, une bourre de fer avec son manche en bois ». La liste dressée en 1741 est identique à celle du début du siècle.
b/ Quatre sens au service du fer
15Dans la pénombre et la chaleur de la forge, dans l’atmosphère surchargée de fumée et de poussière de charbon de bois (senisse), la flamme elle-même est tellement chargée de particules de charbon de bois que la quantité de charbon entraînée en fine poudre est si grande qu’elle couvre les toits des forges sur plus d’un demi-pied (0,15 m) d’épaisseur, et reste suspendue en stalactites de figures bizarres au mur du fourneau, au-dessus du côté des porges. Dans le fracas de l’eau tombant dans les arbres de la trompe ou sur la roue du marteau, au milieu des coups sourds et répétés du mail, l’escola s’approche et attaque le feu après avoir saisi la palenque qui s’échauffe rapidement et qu’il est indispensable de manier avec des peilles, des chiffons. Le jugement du forgeur pour conduire la réduction repose sur des perceptions sensorielles que son expérience, sa connaissance du minerai et de ses réactions lui permettent d’analyser. L’escola n’utilise pas d’instruments de mesure pour apprécier chacun des éléments qui lui sont indispensables pour faire son travail, mais il se fie à ses sens. Il mobilise toutes les ressources, l’ensemble des facultés de son corps devenu un véritable instrument de mesure. Le travail est particulièrement pénible. La sueur ruisselant sur son corps, il doit supporter le rayonnement intense du feu et de la charge minerai-charbon en combustion dans une atmosphère presque irrespirable. À l’endroit où il travaille, le thermomètre marque 50° à 60° et pourtant le valet arrose fréquemment la surface du feu28. La température s’élève encore à 40° et 45° à plus d’un mètre et demi du fourneau29.
- La vue
16Une casquette à longue visière sur la tête, l’escola examine d’abord la flamme. Sa vue lui fournit des données sur les températures. La subtilité des nuances de couleur l’éclaire sur la qualité et l’avancement du travail. La couleur et l’aspect de la flamme sont de première importance. La flamme s’élève plus qu’à l’ordinaire, « lo foc ana l’ambré », le feu a trop de vivacité. C’est à peu près la même chose que « lo foc ana alterat », le feu paraît trop ardent, il pousse trop la réduction. La flamme est concentrée, « lo foc ana segu », le feu ne semble pas assez ardent. La flamme qui s’élève du fourneau est basse, la tuyère s’encrasse. Elle présente une couleur tantôt blanche, tantôt jaune, « lo foc rima », ou « le fer se mange », révélant une oxydation du massé qui se manifeste souvent par le chio, quand l’escola le laisse ouvert après l’écoulement de scories. Cela se produit ordinairement vers la fin de la réduction. La flamme peut être rouge bleuâtre, rouge bleuâtre avec reflet jaunâtre. Elle passe à la couleur rouge orange ou présente un blanc jaunâtre. La flamme est plus jaune et plus vive, il faut « donner la mine ». Ces flammes s’observent à la surface du minerai, près du contrevent. Il arrive souvent que la flamme perce au-dessus de la tuyère et contre la face des porges.
17Les indications données par la flamme sont complétées par l’apparence des parois du bas fourneau, la quantité et l’aspect du laitier, l’état des scories. Les faces du bas fourneau sont portées au rouge cerise ou au rouge sombre. La température est alors estimée de 1300° à 1500° près de la tuyère. L’escola constate que « lo foc cagua », lorsque le laitier sort par le chio. « Lo foc se bouida pla », le feu se vide bien, lorsque les scories sont abondantes. Parfois, « lo foc a caguat fer », c’est-à-dire que le forgeur s’aperçoit que du « fer fondu » se répand sur le sol de la forge. Le fer se purge bien, « lo fer se purga pla », lorsque le laitier coule facilement ; au contraire, il se purge mal, le laitier est empâté. Quand le laitier est trop clair ou trop vitrifié, l’escola répand davantage de greillade, graisse, minerai réduit en poussière, les forgeurs disent alors qu’ils « engraissent le feu ». Si, au contraire, il est trop gras et trop épais, l’ouvrier supprime la greillade pour un temps. Autre indice important : la caraillade, la quantité de scories qui s’écoule à chaque percée. Des bourres, morceaux de fer qui ne sont pas totalement réduits, adhèrent mal au massé et s’écoulent avec le laitier. En général, les carrails, scories, sont d’un noir bleuâtre, à l’état liquide d’un blanc légèrement rougeâtre. Elles ne donnent que peu d’étincelles au contact de l’air. Leur surface miroitante est d’un noir bleuâtre. Parfois, visqueuses, d’un rouge cerise, elles coulent péniblement. Elles étincellent au contact de l’air. D’un noir foncé sans reflets bleuâtres, pesantes, leur surface ne miroite pas30.
18L’aspect de la tuyère, son état et sa couleur, fournissent aussi des indices sur l’allure du feu. Elle doit faire « naz de porc », groin de cochon, c’est-à-dire que le bord supérieur de son œil dépasse le bord inférieur, au début de la réduction. L’escola prend aussi en compte l’intrade, l’entrée, la saillie de la tuyère dans le feu. Ensuite, elle subit l’action du feu. Les forgeurs disent que la tuyère fait son jaz, son gîte, lorsqu’elle abaisse la pierre du fond du feu en la brûlant. Des températures trop fortes brûlent la tuyère, « crema la tuèle ». Le cercle lumineux que le feu envoie par la tuyère sur le mur qui sépare l’emplacement de la trompe de l’atelier est plus ou moins intense ; un faible rayonnement indique que les scories encrassent la tuyère. Son œil, le trauc, doit être clair, d’un blanc éclatant, net, dégagé des scories et des crasses. Si le bas fourneau chauffe mal, l’œil paraît rouge cerise, encrassé par les scories. Le forgeur est, aussi, attentif à l’apparition d’eau à travers le cuir du bourec. Si elle ruisselle le long du canou del bourec, il annonce alors que « lo bourec suda », sue.
19Le massé, à sa sortie du feu, doit être rouge-blanc, sa surface lisse et vernissée. Au contraire, dans un feu de mauvaise allure, il est rouge cerise pâle, sa surface est rugueuse, noire sur les points saillants ; ou bien de forme irrégulière, avec des protubérances et des cornes. On peut reconnaître « au cul » du massé, si le foyer a acquis le degré de chaleur nécessaire ; cette partie restant noire au lieu d’être rouge, tant que le creuset n’est pas suffisamment échauffé31. Un massé est ras (uni, plein) lorsque son œil n’est pas trop creusé. « L’œl del massé » est la partie ronde, à la surface plus ou moins concave, qui correspond à l’ouverture de la tuyère où, d’après Picot de Lapeyrouse, il y a toujours du « fer fondu ». Les forgeurs disent aussi que le massé est bien plein, « lo massé es pla sadouil », plein de l’œil. L’escola observe la « poupe del massé », le sein du massé, la saillie qui se forme sur la loupe à l’endroit qui correspond au trou du chio. Certains massés trop desséchés, les rimatels, laissent une partie de leur croûte dans le feu. Les forgeurs prétendent que cette sorte de massé est celle qui donne ordinairement le moins de fer mais le plus d’acier. L’escola étudie les grenailles, grains de fer fondu de diverses grosseurs qui tombent dans le feu quand on enlève le massé. Les réactions de la loupe sous le marteau le renseignent sur la qualité de la réduction. Une loupe est grasse, « lo massé es gras », lorsqu’il laisse couler beaucoup de laitier durant le cinglage. Les forgeurs parlent d’une « chaude grasse » pour indiquer qu’une massoque ou une massouquette sort du feu où elle est réchauffée avant d’être étirée, entourée d’une croûte de laitier pâteux.
- Le toucher
20Pour compléter les renseignements que lui fournit sa vue, l’escola fait appel à la subtilité de ses perceptions tactiles. L’outil est alors le prolongement de la main de l’ouvrier. Il tâte, sonde le massé en train de s’élaborer dans le bas fourneau grâce à la palenque. La résistance plus ou moins grande qu’offre le massé au ringard fixe le forgeur sur la qualité de la réduction. « La mene es agaffade coume un cung de lard », la mine est agglutinée comme une flèche de lard. « La mene foun coume greich, nou qual pas que la pugne », la mine fond comme de la graisse, il n’y a qu’à la faire poindre. L’escola prononce ces paroles lorsque le minerai qu’il pousse légèrement avec le ringard se réduit bien et qu’il s’est agrégé devant le contrevent. Au début de la réduction, « lo massé es enfanguat », boueux, lorsqu’il a coulé du minerai ou lorsque l’escola a répandu trop de greillade. Il est bien rare alors que ce massé durcisse. Un ouvrier exercé juge par le tact, au moyen du ringard, de la plus ou moins grande abondance des scories au fond du creuset. Parfois, l’escola s’aperçoit grâce à la palenque que les bords supérieurs du massé s’étendent de façon irrégulière au-delà du corps de la loupe, que le massé a des ales, ailes, signe qu’il est mal réduit. Il peut aussi avoir des aspérités, des crestes, crêtes, à sa surface. Lors de certains feux, l’escola découvre des escailles, écailles, fer mêlé de laitier et de parties terreuses qui ne s’agglomèrent pas au massé et qui se déposent le plus souvent dans les angles du bas fourneau. L’essentiel de son travail consiste à rendre le massé dur et à l’essuyer (eichuga) avec la palenque. Mais s’il l’essuie trop, le massé se dessèche et devient eicharrasit. L’escola estime que le massé est enfin achevé à sa consistance, à sa taille et à sa forme qu’il apprécie, avec son ringard, grâce à la délicatesse de son toucher.
- L’ouïe
21L’ouïe, enfin, dernière source d’informations et pas seulement pour contrôler l’allure du marteau, ce qui est le plus évident. Au foyer, pendant la réduction, « la mene peta », le minerai pète, éclate, lorsqu’il se brise avec fracas sous l’action du feu. Quand les scories sont assez abondantes pour approcher de la tuyère, ce qui peut arriver vers la fin de la réduction, l’escola s’en rend compte à un certain « glouglou » que son habitude lui permet de saisir dans le vacarme de la forge. Les scories, trop grasses lors de la percée, éclatent aussi avec plus ou moins de violence lorsque le valet les éteint avec de l’eau. La flamme peut sortir du chio avec un fracas qui rappelle le bruit du tonnerre lointain.
- L’odorat
22Peu, très peu d’informations sur les odeurs. Il semble, du moins à partir des sources dont nous disposons, que les forgeurs ne fassent guère appel à leur odorat. Il se dégage du bas fourneau des vapeurs « méphitiques » dues à « la décomposition de l’air ». Cette vapeur noirâtre qui flotte dans la forge asphyxie à moitié l’escola qui, parfois, suffocant, tombe à la renverse. Un élève ingénieur, de passage en Ariège, précise que l’on reconnaît « l’odeur hépatique » que répandent les fumées s’élevant des scories lorsque l’ouvrier les arrose, au sortir du chio, pour les refroidir. Cette odeur est loin d’être forte. D’après lui, on doit l’attribuer à des traces de sulfure de fer qui au contact de l’eau à une température élevée, donne naissance à de l’hydrogène sulfuré. Il y voit la preuve que le soufre du minerai passe, au moins en partie, dans les scories, ce qui contribue à la qualité supérieure du métal.
23Telles sont les perceptions sensorielles qui guident les forgeurs dans la conduite de la réduction du minerai de fer ; si elle marche bien, l’escola dit « le feu mange bien la mine ». Telles sont les conclusions qu’ils en tirent pour assurega, réussir un massé. Telles en tout cas qu’elles peuvent se retrouver dans les sources dont l’historien dispose. Les traités techniques fournissent d’autres informations qui permettent de compléter et de préciser la description du monde sensoriel des forgeurs à la catalane. Mais il est difficile de savoir si les observations qu’ils rapportent sont celles faites par les ouvriers, ou s’il s’agit de celles réalisées, en partie ou en totalité, par les ingénieurs qui les traduisent dans un langage convenu, codifié, intelligible par toute personne versée dans les sciences métallurgiques et encore utilisé de nos jours. Il n’en reste pas moins vrai qu’il semble possible pour l’historien de rendre compte de l’univers sensoriel des forgeurs, en tout cas de s’en approcher. Ainsi, pour évaluer la marche de la réduction, pratique essentielle du métier et dont dépend le revenu des forgeurs payés à la tâche, l’escola porte, à chaque instant, son attention sur toutes les particularités que présente l’allure du feu :
la couleur et l’allure de la flamme,
le mode d’échauffement des parois et du fond du bas fourneau, les écailles,
la formation du massé,
la forme et la couleur du massé à sa sortie du feu,
l’état des scories, leur quantité,
l’état et la couleur de la tuyère,
l’œil de la tuyère et le reculement du bourec,
l’emploi du charbon,
la manière dont se comporte le minerai à l’ore, et dont la greillade réagit au feu32.
24Grâce à toutes les informations recueillies par ses sens, analysées avec ses connaissances, son expérience et sa pratique, sa réflexion, son instinct, l’escola trouve la manière la plus convenable de combiner l’allure du feu avec la conduite de la soufflerie suivant la nature du minerai, du charbon. Cette appréciation commande une série de gestes, « donner la mine ». Ces gestes sont l’expression même du savoir-faire du forgeur. Autrement dit, il existe une correspondance sensorielle entre les couleurs, les températures, les sons, les sensations du toucher qui concourent à renseigner le forgeur et déterminent les gestes qu’il juge les plus efficaces pour la conduite de la réduction. H. Otto Sibum qualifie ce « savoir particulier qui résulte de l’exercice combiné de forces physiques et mentales, de savoir gestuel »33.
3/ Les gestes de la méthode à la catalane exécutés par les forgeurs ariégeois
25Pour rendre compte de l’ensemble des gestes des forgeurs à la catalane, il faut certes étudier ceux de l’escola, ouvrier qui conduit la réduction et qui personnalise la quintessence du savoir-faire des ouvriers, mais il est nécessaire d’ajouter ceux du foyé, du maillé et ceux de leurs valets. Ces tours de mains, parfaitement maîtrisés, ne peuvent s’acquérir que sur le tas, au sein de la communauté. Ils exigent de la force musculaire. Leur apprentissage demande aussi des qualités d’observation, une aptitude à apprendre et à imiter. L’acquisition de ce savoir est donc en partie un processus mimétique qui implique une discipline du corps et une conscience de ses gestes. Il nécessite, enfin, un affinement sensoriel de la vue et de la main grâce à l’attention portée à la perception du milieu, et grâce à la pratique (activité corporelle). Il faut souligner que la technique d’un forgeur n’est pas rigoureusement identique à celle d’un autre. L’âge et l’expérience sont essentiels pour accéder au véritable savoir-faire et à la force physique indispensables à l’exercice du métier de maître-forgeur. Les observateurs, de Picot de Lapeyrouse à Jules François, sont très étonnés de la facilité avec laquelle les forgeurs exécutent des opérations pénibles, difficiles, délicates, exigeant savoir et intelligence.
26Faut-il tenter de dresser une typologie, décrire les gestes nécessaires à la bonne marche de chacun des appareils (bas fourneau, trompe, marteau) ou suivre un ordre chronologique ? De nombreux gestes se répètent à différents moments du travail. Quoi qu’il en soit, chaque sensation, les conclusions que le forgeur en tire après l’avoir passée au crible de ses connaissances et de son expérience, déclenchent un geste ou une séquence de gestes. C’est cela que les ingénieurs du XIXe siècle nomment « la main de l’ouvrier ».
a/ Les gestes pour préparer le minerai et le charbon de bois
27Les minerais que l’on traite dans les forges à la catalane ariégeoises sont assez purs pour n’avoir pas besoin de subir de lavage. Cependant ils reçoivent, ou plus exactement ont reçu, un traitement préalable à la réduction : la calcination ou le grillage pour les débarrasser des matières impures qui gêneraient le traitement dans le bas fourneau et le bocardage pour leur donner une taille qui favorise leur réduction.
- Le recuit
28Le requeit ou recuit désigne le fourneau où le minerai est grillé. Ce terme est aussi utilisé pour le grillage lui-même, faire un requeit signifie faire une calcination34. Cette opération a beaucoup intéressé les métallurgistes du XVIIIe siècle. Il existe bien une façon particulière au pays de Foix de disposer le minerai. Le recuit s’opère sur de gros morceaux, dont les interstices laissent une libre circulation au feu des diverses couches de charbon qui alternent avec la mine. Le commis et le garde-forge, et non les piquemines comme l’indique Tronson du Coudray, sont chargés de surveiller et d’examiner l’état de la mine au recuit.
29Dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, on calcine lors de chaque recuit de 120 à 480 quintaux métriques de minerai. Quelquefois le recuit est de 200 ou 300 quintaux de 160 livres35. Richard conteste les chiffres avancés par Dietrich36. Les métallurgistes pensent que le recuit d’une faible quantité de mine est désavantageux. Seules les usines trop éloignées de la mine de Rancié pour pouvoir s’approvisionner facilement d’une quantité de minerai nécessaire à de grands recuits, pratiquent le grillage à une petite échelle. Pour cuire environ 450 quintaux métriques de mine crue, les ouvriers disposent quatre grandes pièces de bois, du gros bois, sur le pavé du fourneau. Elles servent à créer l’espace nécessaire au passage du courant d’air pour permettre le recuit. Cette précaution n’est pas prise dans plusieurs forges où l’on obtient cependant à peu près le même résultat par la disposition que l’on donne au bois. Ce bois est recouvert par des fagots à différentes hauteurs. L’ensemble a une hauteur d’environ 0,50 m, selon la qualité du bois. Les ouvriers établissent sur ces fagots un lit de charbon de bois qui forme une couche d’environ 0,35 m d’épaisseur, soit à peu près 600 kg de charbon. Puis ils placent sur ce charbon une couche, 0,70 m, du minerai le plus gros. Elle est recouverte d’une seconde couche de charbon, 0,25 m, soit 400 kg de charbon, sur laquelle on met un second lit de mine d’environ 1 m, formé des morceaux de grosseur moyenne, puis une troisième couche de charbon de 0, 10 m ou 200 kg de charbon. On entasse enfin, en dos d’âne, sur une épaisseur de 1,50 m, un troisième lit de mine, la plus petite. Il faut, de plus, ajouter du charbon sur le devant du fourneau.
30Le chargement du fourneau rapidement décrit, revenons aux gestes des ouvriers : le feu est mis au moyen d’une barre de fer rougie enfoncée dans le centre du recuit. Dans quelques forges, on place un peu de charbon allumé sur le devant, du côté de l’entrée de l’enceinte. La calcination est conduite modérément, surtout au début. Des explosions qui jettent le minerai au loin se produisent quand l’ouvrier ne conduit pas la combustion avec attention et couvre le recuit avec trop de minerai menu qui empêche les gaz de s’évacuer. Un fourneau ainsi préparé brûle environ une semaine, de 8 à 12 jours. La qualité et la nature de la mine guident l’ouvrier, qui prend en compte, par exemple, les matières hétérogènes, bedel, qui sont mélangées aux grands blocs d’hématite et qui noircissent lors du grillage. Les forgeurs pensent, en général, que le minerai de Rancié ne saurait être trop cuit. Ils ne veulent pas, cependant, que le grillage soit poussé au point que « la mine se prenne », c’est-à-dire qu’elle commence à se réduire. En effet, si le grillage était trop poussé, les parties terreuses de la mine se combineraient avec les portions métalliques et il serait difficile de les séparer lors de la réduction au feu. Les forgeurs décident que la mine est grillée à point lorsqu’elle présente, à l’œil, un aspect gercé et pas vitreux, qu’elle paraît friable, grenue et rude au toucher, et qu’elle se casse facilement avec un marteau à main, ils lui donnent alors le nom d’encarraillade. Quand le feu a cessé, le minerai est devenu caverneux. D’après Vergniès Bouischère, il perd en moyenne de 14 à 17 % de son poids. L’ouvrier le tire du recuit à l’aide d’une échade, une bêche, le ramasse avec le foussou, autre sorte de bêche, et le met dans des corbeilles, descos, avec un retch ou râteau de bois plein37. Au XIXe siècle, il existe encore quelques forges, qui disposent de grandes forêts, Estaniels, Tourné, Alos, où l’on grille encore le minerai. À partir des années 1830, seule celle de Tourné à Castelnau-Durban conserve cette pratique. Le recuit a lieu en plein air, non plus dans un fourneau en maçonnerie, mais sur une aire. Les ouvriers établissent un lit de gros bois sur lequel ils installent des couches alternées de charbon et de minerai. Ils recouvrent ce tas de poussière de charbon, et après l’avoir allumé, ils l’abandonnent à lui-même.
31Les forgeurs sont persuadés qu’il ne faut pas utiliser le minerai grillé tant qu’il n’est pas refroidi. Ils prétendent que s’ils employaient le minerai encore chaud, la qualité du fer en souffrirait beaucoup. Ils rejettent, enfin, la responsabilité sur le recuit lorsque les résultats du feu sont faibles. Pendant la réduction, l’escola emploie moins de mine grillée qu’il le ferait s’il utilisait du minerai cru.
- Le bocardage du minerai
32La seconde préparation à laquelle les forgeurs soumettent la mine, cuite ou crue, consiste à la piquer, c’est-à-dire la bocarder. C’est la seule opération préalable à la réduction que subit le minerai au XIXe siècle dans la plupart des forges des Pyrénées ariégeoises. Pour cela, pendant qu’un massé se réduit au feu, le piquemine écrase le minerai, 12 quintaux (489 kg) qui ont été pesés par le garde-forge, sous le mail. Ce minerai n’est pas uniquement composé de blocs de mine, mais on y trouve de la terre, de menus morceaux de minerai, dans la proportion d’un tiers à un quart d’après Richard. La mine est apportée près du marteau que l’ouvrier a levé pour que l’on place les blocs les plus gros sur l’enclume. Il lui imprime un mouvement lent, les fragments de mine qui sont sous la panne sont réduits en poudre, les autres, frappés latéralement, s’échappent plus ou moins écrasés. Deux ouvriers, à l’aide de pelles, pellos, les rejettent sous le mail qui ne doit jamais battre à vide. Au bout de quelques minutes, toute la masse de minerai se trouve réduite en fragments de la grosseur d’une noix (5 à 6 cm de diamètre) et en poussière plus ou moins grossière. Le forgeur doit cependant faire attention à ne pas trop piquer certains minerais, en particulier ceux qui se réduisent facilement, parce que les parties non métalliques passent dans la greillade en grande quantité, ce qui ralentit la réduction. En règle générale, il doit piquer fortement les mines spathiques, siliceuses et calcaires, ainsi que les minerais compacts. Il faut moins diviser les « mines douces » et les mines ferrudes argileuses et manganésées. Le bocardage se fait aussi à la main, surtout au XVIIIe siècle, sur le picadou qui désigne à la fois la partie de l’oubriou où l’on écrase la mine grillée, et la pierre sur laquelle on la broie. Dietrich pense qu’il vaut mieux concasser la mine à la main parce que le mail est quelquefois occupé jusqu’au moment où le nouveau massé est formé, et surtout parce qu’il est plus facile de donner à la mine la grosseur la plus convenable en la brisant à la main. Le baron ne fait qu’entériner une très ancienne pratique des forgeurs pyrénéens qui considèrent que le bocardage est plus soigné lorsqu’il est fait manuellement. Le piquemine se sert d’un marteau pesant quatorze à quinze livres pour concasser le minerai grillé. Le valet de l’escola porte le minerai dans des paniers, les desques. Il jette les morceaux dans trois ou quatre caisses en bois, consolidées par des bandes de fer. Elles ont des poignées qui permettent à deux hommes de les porter près du feu. Ces morceaux constituent ce que les forgeurs appellent la mine. À la fin du XVIIIe siècle, il faut en moyenne douze de ces desques pour les 489 kg de minerai que consomme le massé. C’est dire que les ouvriers ne pèsent pas la mine.
- La préparation de la greillade
33Ensuite, le valet de l’escola passe le minerai bocardé à travers un crible formé de cercles de fils de fer concentriques espacés d’un peu moins d’un centimètre et attachés par des rayons également en fils de fer à un cylindre de bois, comme un tamis. Les morceaux les plus gros restent sur le crible, une sorte de poudre très grossière le traverse. Ainsi, un tiers du minerai se trouve réduit en poussière, la greillade. La mine fortement tamisée est dite granat, granade, grenue. La greillade est séparée de la grosse mine dans une desco. La greillade granade est celle que l’escola utilise quand il travaille avec des charbons forts. Cette poudre de minerai est rassemblée en un tas de forme conique d’environ 50 cm de hauteur avec une base d’environ 1 m de diamètre. Le miaillou le détrempe avec une grande quantité d’eau et le remue avec le foussou, afin de bien l’humecter. Il le reconstruit, enfin, sur la droite de l’escola qui fait face au feu, 1 ou 2 m en arrière. Les différents traités techniques ont évalué le poids de la greillade à environ 160 kg, soit approximativement un tiers du poids total du minerai. En réalité, il est très variable, allant parfois jusqu’à la moitié. Cela s’explique parce que, de par la manière dont elle est obtenue, la greillade est souvent plus chargée de terre que de minerai.
- La préparation du charbon à la forge
34L’essentiel de la préparation du charbon de bois se fait dans les forêts. Dans la charbonnière, proche de la forge, le piquemine ramasse le carbou, le charbon, à l’aide du reich. Il le met dans les desques, de sorte qu’elles soient desquades, bien pleines. Puis, il les vide dans les parsons ou parsous. L’ouvrier ne néglige pas de rassembler et de récupérer la brasque, menu charbon ou même charbon en poussière.
35Le minerai et le charbon destinés à être consommés pendant une réduction sont préparés vers la fin de celle qui précède, après que les forgeurs aient terminé le cinglage, l’étirage du massé et le forgeage des barres, de sorte qu’il ne reste plus qu’à les charger dans le bas foyer pour effectuer un nouveau feu.
b/ Les gestes pour conduire la réduction, « assegura lo massé »
36Il ne s’écoule guère qu’une quinzaine de minutes entre la fin d’un massé et le commencement du suivant. Avant de charger le fourneau, s’il n’est pas satisfait du massé précédent, le forgeur détermine la position de la tuyère, sa direction, en tâtonnant jusqu’à ce que le vent fasse bien circuler quelques charbons qu’il jette dans le feu. Picot de Lapeyrouse décrit différemment la manière dont le foyé s’assure de la direction du vent : il regarde à travers le trou de la sentinelle et il juge à l’œil si le milieu du feu répond à cet orifice. Faire piquer, piqua, la tuyère, lui donner une plus forte inclinaison. Au contraire, la faire raser, rasa, diminuer son inclinaison et la rendre plus horizontale. S’il est nécessaire de la hausser, le forgeur la maintient avec un chapon, lame de fer ou ardoise qui servent de cales. Elle est abaissée ou relevée en corps, c’est-à-dire d’une façon égale sur toute sa longueur. Il est indispensable d’éviter que le vent crousa, croise ; ce qui se produit lorsque le canou del bourec n’enfile pas bien la tuyère et que son orifice fait un angle avec la paroi de la tuèle. Quant à la tension du vent, l’escola l’apprécie en mettant la main à l’extrémité du canou, s’il sent un léger picotement, « le vent est vif et grenu », la pression suffisante. Insinuer une barre de fer, l’espine, dans la tuyère pour soutenir ses bords lorsqu’on la recoupe, retailla, ou pour donner à son œil, son trauc, sa forme première lorsqu’il a été bossué par des coups de ringard ou par le passage du massé, des massoques, massoquettes ou que ses bords sont abîmés et qu’il faut les unir. Lorsque la tuyère s’est brûlée, crema, les ouvriers disent par exemple : la tuèle s’est brûlée, mais ce n’est que la cousture, la couture, partie de la tuyère où un des bords se replie sur l’autre ; le foyé en recoupe l’extrémité. Pour cela, il l’enlève puis il y introduit l’espine par derrière. Cet outil en soutient les bords pendant qu’à l’aide d’un ciseau en fer, le cizel, sur lequel il frappe avec un marteau à main, l’ouvrier détache toute la partie déformée. Ces fragments de cuivre, d’une valeur certaine, sont l’un des profits du foyé. Lorsque la tuyère a été recoupée, elle doit faire naz del porc. Parfois, il faut « tirer la tuèle » pour en placer une autre « dans le trou du feu »38. Les forgeurs disent aussi : « planter la tuère »39. La tuyère enlevée est alors jetée derrière la trompe.
- Charger le feu
37D’abord nettoyer le feu, détacher, desenroula, avec un ringard, palenque, tout ce qui s’est attaché sur les parois, en particulier aux porges ; l’escola le fait dès que le massé a été enlevé et avant de donner une nouvelle charge. Examiner la tuyère et, si elle a été dérangée, la replacer. Remettre dans le creuset à l’aide d’une pallo, pelle de fer, le menu charbon, anisié, que les forgeurs avaient sorti avant d’enlever le massé. « Abrasa lo foc », allumer le charbon frais que le valet enfourne à tour de bras, aidé d’une pelle qui frappe tantôt de son plat, tantôt de son tranchant pour briser les plus gros morceaux de charbon et les serrer les uns contre les autres. Puis, le charbon arrivé un peu au-dessous de l’extrémité de la tuyère, l’escola partage verticalement le bas fourneau en deux parties (un tiers, deux tiers) à l’aide d’une large pelle, la posté en fer ou en bois. Du côté gauche de cette posté, le valet verse du charbon qu’il tasse avec une sorte de râteau plein en fer, le bascou. Du côté droit, il en jette aussi quelques morceaux, mais surtout, monté sur le massif, l’escola met en place le minerai, « mettre la mene », qu’il tasse aussi, toujours avec le bascou. Il fait adroitement glisser la posté en l’inclinant à peu près parallèlement à l’ore, de manière, en la dégageant, à renverser un peu le mur de minerai du côté du massif sur lequel ce minerai vient s’appuyer. Le miaillou le remue à l’aide d’une pelle pour que tous les vides soient comblés. L’escola élève la posté jusqu’à la hauteur de sa tempe. Il cesse alors de mettre du charbon, mais continue de verser de la mine jusqu’à ce que la charge soit pratiquement utilisée en totalité. Le minerai forme alors, au-dessus du feu, un grand talus qui s’appuie sur le massif du côté de l’ore. Le valet le mouille et ajoute du menu charbon avec une pelle plus petite. L’ensemble de ce mur est battu à grands coups de bascou pour le rendre parfaitement solide.
- Allumer le feu
38Il faut deux hommes pour tenir un feu : un maître, l’escola, qui a la direction de tout et fait lui-même la partie du travail exigeant de l’habileté, et son valet, le miaillou, qui fait office de manœuvre pour apporter le charbon, le minerai, verser l’eau. Une fois le chargement terminé, le feu est allumé, aluca, et lorsque les parois du foyer ont acquis une haute température, condition sine qua non pour réussir une réduction, tout dépend alors de l’habileté de l’escola. Les parties qui doivent être fortement chauffées, sans négliger les autres, sont essentiellement le fond du feu, la cave et la portion de l’ore voisine de la cave. L’ore doit être rouge cerise jusqu’à la hauteur du nez de la tuyère et rouge sombre à hauteurs des porges. L’escola s’approche et attaque le feu avec une palenque. Il va exécuter des gestes liés à la recherche d’une information sensorielle, à la perception d’indices pour régler l’allure de la réduction. Sonder « la matière fondue » du feu en réduction. Des gestes pour favoriser la formation du noyau de la loupe, que les métallurgistes nomment le « principe du massé ». Jeter à la surface du feu formée par le charbon la greillade, mélangée avec du charbon en poussière. Pour qu’elle ne crible pas à travers des charbons et qu’elle ne descende pas trop rapidement, le valet la mouille d’abord légèrement, puis, lorsqu’elle est répandue sur le feu, il lance plusieurs écopées d’eau puisées dans la nave avec la coupe. L’escola porte alors toute son attention à l’état et à la position du principe du massé : au moment où le feu est suffisamment chaud (environ une heure après le début de la réduction) la greillade arrive sous le vent, y donne naissance à un noyau de fer métallique encrassé de scories. Toujours grâce à sa palenque, l’escola vérifie que ce noyau occupe la partie du fourneau située sous le nez de la tuyère, là où le vent fait le gîte du feu. Peu à peu, la température augmente, la greillade, les bourres et battitures que le forgeur a jetées sur le feu, engraissent le noyau qui grossit et descend dans le fourneau. L’essentiel du tour de main de l’escola consiste alors à guider le massé naissant dans sa descente et à l’aider à bien se placer, au milieu du fourneau, un peu vers la cave. Les gestes essentiels sont alors : percer le chio pour faciliter le mouvement vers le bas, faire s’écouler rapidement les scories qui remplissent le fond, ou, au contraire, les contenir haut dans le feu. Diminuer ou augmenter la quantité de greillade. Modérer ou forcer le vent, le rendre plus ou moins rasant. Sonder avec le silladou, tige de fer recourbée, soit par la tuyère, soit par le chio, soit par l’avant du feu pour contrôler la qualité du travail. Si le noyau reste trop haut dans le fourneau, il risque d’engorger la tuyère, ou, trop exposé au vent, il sera oxydé. Mais, s’il descend trop, il s’empâte de scories grasses et donne un fer mal soudé, gras et pailleux, difficile à travailler au marteau. Enfin, si le vent porte mal, le noyau se forme loin du centre du feu, près d’une des parois. Il peut arriver que le principe se place mal. L’ouvrier est alors obligé de l’arracher et de provoquer la formation d’un second, mieux assis.
- « Donner la mine »
39Lorsque l’escola estime que le massé naissant est à la bonne place, il avance sous le vent le minerai de la partie inférieure de la charge qui lui paraît le mieux préparé et qui se trouve généralement à l’angle de l’ore et de la cave. Cette manœuvre se nomme : « donner la mine ». Elle permet aussi à l’escola de corriger un « mauvais » principe qui entraîne un mauvais massé. Il le fait d’abord avec légèreté. L’ajout, de plus en plus répété, de greillade et de charbon favorise le développement de la loupe. Si l’escola pense que la réduction marche bien, il annonce que « le feu mange bien la mine ». Il met alors dans le foyer les scories écrasées des deux ou trois premières coulées pour remplacer la greillade qu’il a épuisée.
40Des gestes liés à la découverte de la consistance, de l’aspect et à la présentation du massé. Balayer, baleja, abattre avec un ringard, la raspe ou becasse, les aspérités de la surface de la loupe et ramasser vers la tuyère les parties de minerai éparses dans le fourneau. Frapper le ringard pour le débarrasser des scories, croûte incandescente d’un blanc éclatant, qui adhèrent à son extrémité lorsqu’il le retire du fond du feu, sur le vieux marteau qui sert à la fois de marche pour monter sur le massif en terre et de pièce de résistance pour le consolider et soutenir les parois du feu. Passer derrière le fousinal pour regarder l’état de la tuyère et la couleur de son œil. En avant du trou du chio, l’escola et son valet font un lit de fraisil (cendres de charbon incomplètement brûlées) bien battu à la pelle, sur lequel s’écoulent les scories lorsqu’il perce, trauqua, le chio à coups de pointe d’une palenque plus petite. Tirer le laitier et les scories avec le picot d’escaral. Examiner les scories, laisser le chio ouvert plus ou moins longuement puis le refermer avec de l’argile40. Gestes porteurs d’informations mais aussi moyens de maîtriser l’allure de la réduction lorsqu’ils sont conjugués avec le réglage de la trompe.
41L’escola donne un grand coup de vent. Si des flammes sortent du côté gauche du talus, il se hâte de boucher les trous avec du fraisil mélangé à de l’argile. Des descos de charbon sont disposées par le valet non loin du feu. Le forgeur maintient le niveau du charbon constant, en ajoute lorsqu’il le juge nécessaire. De temps à autre, il met au feu de la greillade, parfois constituée de scories grossièrement concassées et de scories plus fines et même de battitures, bourres. Il remet au feu les scories trop lourdes de la dernière coulée. Puis, monté sur le massif, face au talus de minerai, l’escola, toujours armé de sa palenque pour donner la mine (pousser le minerai de l’ore vers la tuyère), fait descendre petit à petit tout le minerai vers le fond du feu. Il pousse sa palenque droit au fond en l’appuyant contre la paroi. Donner la mine à propos est un des plus grands talents de l’escola. S’il en donne trop à la fois, il obstrue la tuyère, le minerai descend au fond du feu à moitié cuit (coit). S’il n’en donne pas assez, le charbon se brûle inutilement et le fer se consume, crema. L’escola répète cette opération à plusieurs reprises sur différentes faces du feu. Il présente le ringard au milieu, laisse l’extrémité de l’outil fixe, et imprime à celui-ci un mouvement de va-et-vient parallèle à l’ore. La palenque demeure toujours en contact avec les ferrures de cette paroi. À l’aide du bascou, l’escola pousse le charbon de tous les côtés vers les angles du feu. Le ringard sert aussi à faire glisser le minerai sur la surface du massé de manière à le rapprocher de la tuyère. La chaleur étant extrême, et le rayonnement considérable, le valet jette de l’eau sur le feu pendant que le maître donne la mine.
42L’escola, toujours à l’aide d’une palenque, debout sur le sol en terre de la forge, devant la face du chio, brise, baléja, les crêtes ou les aspérités du massé, pousse vers le centre du feu les parties de fer, les escailles, qui ne sont pas soudées au massé et qui, mélangées au laitier, peuvent « flotter » dans le charbon. Il fouille avec la palenque pour rassembler le minerai qu’il cherche à accumuler sous l’extrémité de la tuyère. Il chasse le charbon vers le mur de la tuyère en agitant la pelle à peu près comme si l’on ramait avec cet outil. Il met la dernière main à son travail, sonde, brise et rassemble au milieu du massé les débris et les crêtes, crestes, pour qu’ils se soudent. L’escola parcourt ainsi toute la longueur des faces du feu avec son ringard.
- Les gestes pour moduler le vent
43La conduite de la réduction dans le bas fourneau nécessite des gestes complémentaires pour moduler la puissance de la soufflerie. Le vent qui alimente le feu doit être régulier au moment où la mine se réduit ; s’il s’arrête, le travail est totalement perdu41. Tirer sur la chaîne pour lever les bascules de la trompe et régler l’arrivée d’eau, ce qui permet de réguler la tension du vent suivant les besoins de l’allure du feu. Il est essentiel de bien ménager le vent au commencement du feu pour que la mine se prenne bien à l’ore, que la chaleur l’épure et qu’elle ne « descende pas trop vite ». Dietrich rapporte que l’escola donne seulement le tiers du vent, qu’il l’augmente progressivement de demi-heure en demi-heure de sorte qu’il faut attendre deux heures pour que le feu reçoive la totalité du vent. Si la tension du vent est trop violente dès le début de la réduction, le charbon qui soutient le talus du minerai du côté de l’ore brûle, la mine descend alors trop rapidement dans le fourneau, avant d’être prise. Au bout de deux heures, elle commence à devenir pâteuse et ainsi elle se soutient d’elle-même.
44En règle générale, le vent est d’abord faible, les forgeurs l’augmentent graduellement de sorte qu’au bout d’une heure environ il ait atteint une puissance moyenne qui est seulement dépassée vers la fin de la réduction, pour le dernier coup de feu. Tout cela est lié à la manière de donner l’eau à la trompe. Il faut parfois calfater, moussa, avec de la mousse, du chanvre grâce au moussadou, instrument de fer qui sert à « coigner » dans les joints, la caisse à vent de la trompe, les arbres, le bourec, pour maintenir leur étanchéité et la tension du vent. Il est parfois nécessaire que le forgeur, parfois même un menuisier42, s’introduise dans la caisse à vent par le tampail. En hiver, les ouvriers chauffent l’aze, l’âne, longue lame de fer, terminée par un bout en forme de coin pour rompre, fourruga, la glace qui obstrue les aspiraux des trompes sinon « l’aigue puja al foc », l’eau monte dans le feu. Surveiller la tuyère, débarrasser son œil des crasses, laitier, sillade, qui l’obstruent à l’aide du silladou, baguette de fer un peu recourbée à l’une de ses extrémités, à laquelle le forgeur imprime un mouvement de torsion lorsque son extrémité a dépassé l’œil de la tuyère. Ce geste se fait soit par devant, soit par derrière. Dans ce cas, le forgeur introduit le silladou par la campane (la cloche, le pavillon), le grand orifice de la tuyère, selon les indications perçues par l’escola. Avancer ou reculer le canou del bourec, ce qui se fait plus facilement au XIXe siècle grâce à la pièce de cuir. Cette manœuvre était plus délicate au XVIIIe siècle car le bourec était en bois. Le forgeur devait le maintenir à l’aide des pitchous, petites pièces de bois, lorsqu’il était placé de façon satisfaisante. Les archives ont gardé trace de manœuvres malveillantes : un forgeur, désireux de se venger, « fait descendre le bourec sur la tuère, rompt le vent de la trompe et fait inonder le feu de façon que la quantité de l’eau qui tombe subitement dans le feu répand le charbon dans la forge au point que le feu prit au couvert ». Autre moyen d’inonder le feu : « démousser le bourec » et le faire « couler sur la tuyère »43. Un incident semblable, redouté des ouvriers par ses conséquences, peut se produire lorsque le forgeur a admis une trop grande quantité d’eau dans la caisse de la trompe et qu’elle pénètre dans le feu surchauffé. Cette eau à l’origine d’explosions qui peuvent blesser les hommes, refroidit le fourneau au point que les massés sont moins gros pendant les trois ou quatre jours qui suivent.
45La plupart de ces actions sont des gestes individuels. L’escola, monté sur le massif ou placé devant la paroi du feu appelé « côté de la main ou du chio », face à la teste del foc, partie où la charge est la plus élevée et qu’il a constamment devant lui, dirige seul la réduction, « il tient le feu »44. Il assure, assegura, un massé, aidé par son valet. Il est alors possible de définir son savoir-faire en une seule phrase : après avoir examiné la flamme, le forgeur sonde le massé, fait avancer le minerai, tasse le charbon constamment, mouille la charge. Son tour de main est particulièrement délicat, son travail compliqué : faire le bon geste au bon moment avec seulement la force et la durée nécessaires.
46Considérons, maintenant, les gestes de l’escola et de son valet dans leur continuité chronologique et dans leur plus grande complexité puisqu’ils doivent mener à bien deux opérations distinctes et simultanées : réchauffer, cauffa, le massé du feu précédent qui est travaillé sous le gros marteau, tout en conduisant une nouvelle réduction. C’est pour cela que le dernier massé, quand la forge va s’arrêter en fin de semaine par exemple, porte le nom d’avançairol. Quand le travail reprend, l’escola réchauffe l’avançairol pendant le premier feu. Au début, il ne travaille que dans la partie gauche du foc, celle où il a placé le charbon pendant le chargement. Toute son attention est partagée en deux points. Premièrement réchauffer les massoques et massoquettes. Pour cela, il place ces pièces que le piquemine porte du mail ou qu’il a posées sur la banquette de la face du chio, il les tourne et renouvelle le charbon qui s’est consumé. Il les met toujours entre la tuyère et les porges pour éviter qu’elles s’oxydent trop. L’addition de greillade concourt aussi à prévenir une trop forte oxydation. Il doit aussi maintenir le talus composé de charbon et de minerai que les forgeurs ont construit en garnissant le fourneau. L’escola tient toujours le charbon tassé en le resserrant et en le pressant avec le bascou. Pendant les deux premières heures, il prend grand soin de bien serrer, à l’aide de la raspe, le charbon contre le talus pour éviter que la mine chute. Il sait surtout mettre à profit le poids considérable des pièces à réchauffer. Pour cela, il saisit leur extrémité qui se trouve hors du feu, soit avec la main entourée de chiffons, soit avec les badourres, tenailles de taille moyenne, leur fait faire levier dans un plan vertical en les appuyant sur la banquette. Il maintient ainsi le charbon bien comprimé derrière le tas de minerai et l’empêche de s’écrouler. Ce tassement a un autre effet non moins nécessaire au succès de la réduction : il favorise la production de la vive chaleur qu’il importe d’obtenir. L’escola veille également à ce que le vent ne soit pas gêné à sa sortie par la sillade, crasse qui s’attache à l’œil de la tuyère et qui le bouche. Il nettoie, siller par devant, avec le ringard, le mour del tuère. Il sille aussi par derrière en introduisant, du côté de la trompe, le silladou dans la tuyère par son pavillon. Le sillage n’est fréquent que vers la fin de la réduction, mais alors l’escola le répète presque à chaque instant.
47Ensuite, c’est-à-dire pendant le réchauffement de la deuxième massoquette, environ une heure et demie après le commencement du feu, l’escola monte sur le massif. Il fait glisser son ringard le long du contrevent en deux ou trois endroits, de manière à ménager un espace dans la masse ramollie du minerai. Par ce trou, il pousse le minerai de la partie inférieure vers la tuyère. Là, les particules de fer se soudent et tombent au fond du creuset dans un bain de scories. C’est vers ce moment que se fait la première coulée de scories, en général abondante. L’escola débouche le chio avec un ringard et son valet jette de l’eau sur les scories à mesure qu’elles s’écoulent. Le trou du chio est rebouché plus ou moins rapidement avec du fraisil mélangé à de l’argile. Le forgeur fait alors peu à peu avancer, d’intervalle en intervalle, le minerai de la partie inférieure de la charge vers la tuyère et il relève vers le feu celui qui est tourné sur le contrevent. De temps en temps, il évacue des scories à l’aide du picot d’escaral, et cela de plus en plus souvent à mesure que la réduction avance. Il ne les fait pas couler jusqu’à épuisement, il doit rester du laitier au fond du fourneau pour éviter l’oxydation du massé. Tronson du Coudray dit très clairement que l’escola est attentif à ne laisser que la quantité de laitier nécessaire « pour baigner les parties métalliques rassemblées dans le creuset ». Un tel geste technique prouve une démarche consciente de recherche de la meilleure qualité du métal. Lorsque les scories risquent d’approcher la tuyère, lorsqu’elles sont trop chaudes, trop coulantes, il est à craindre qu’elles n’entraînent mécaniquement un peu de fer et même que le fer ne coule « fondu ». L’escola ralentit alors le feu soit en ajoutant moins de charbon, soit en diminuant le vent. Si les carrails sont trop grasses, trop lourdes, la réduction ne s’opère pas bien, l’ouvrier diminue la greillade qui fournit une grande part de la matière ferrugineuse enfermée dans les scories. Quand des scories riches se présentent ainsi, il les remet plus tard dans le feu en guise de greillade. Pendant cette période, les pièces à forger servent à maintenir le tas de minerai du côté du contrevent. La pression qu’elles exercent sur le charbon a également pour effet de maintenir une couche serrée de combustible entre la tuyère et le fer réduit. Le forgeage sous le marteau est terminé quatre heures environ après le début du feu. Le piquemine doit alors nettoyer le mail, l’arroser et réunir autour de lui, à droite et à gauche, un tas de battitures et de terre de la forge.
48Lorsque tout le minerai est descendu, commence pour l’escola le travail le plus pénible, la balejade. C’est aussi à ce moment que la mesure de charbon, le parsou, est vide. Le forgeur, à l’aide de la palenque, réunit (souda) les portions du massé qui se sont successivement formées pour en faire un ensemble bien lié et de forme régulière. Il y parvient en rapprochant de la masse principale les divers fragments et en les pressant contre elle, tout en les maintenant sous la tuyère au maximum de chaleur. Il soude les bourres, parties détachées du massé précédent qu’il a mises au feu à la suite du minerai. En même temps qu’il rassemble le massé, il détache sa surface extérieure des parois du fourneau, ce qu’il accomplit en le soulevant. Dans toutes ces manipulations, il prend comme point d’appui de son ringard l’angle du contrevent et de la face de chio. Une autre tâche est importante, prévenir l’oxydation du massé. La difficulté est d’autant plus grande que sa surface se trouve alors très proche de la tuyère. Ainsi l’escola doit-il fréquemment presser les charbons avec le bascou. Son activité est alors continuelle : sans prendre le moindre repos, il s’occupe alternativement soit à siller par devant ou par derrière, soit à tasser avec le bascou, soit à travailler avec la palenque. Comme la surface du feu est incandescente, c’est un moment très pénible.
49Certains gestes, cependant, sont des gestes collectifs : lorsqu’un incident ou un accident interrompent la réduction, l’équipe des huit forgeurs se reforme rapidement pour enlever, desenfourna, le minerai et le charbon du fourneau avec les pelles en fer, le massé en train de se former, essayant de limiter les pertes. Et, surtout, à intervalles réguliers, le grand rendez-vous pour sortir la loupe du feu à la fin de la réduction. La façon la plus simple de décrire cette séquence est d’en faire le récit dans sa continuité temporelle.
- Sortir le massé du feu : « arrinca lo massé »
50Environ six heures après le début de la réduction, lorsque l’escola considère que le massé est achevé, il appelle les autres forgeurs en sifflant pour se faire entendre dans le fracas de la forge. Le piquemine et le valet d’escola sont déjà arrivés, l’un pour piquer le minerai, l’autre pour le tamiser. Le maillé prépare le marteau, place le tacoul le plus haut à l’extrémité du manche, donne de l’eau un court instant pour lever la tête du mail et la maintient dans cette position pour pouvoir placer le massé dessous. La trompe est arrêtée. Pour cela, la chaîne est lâchée, la cadène del tire, le valet enfonce dans la tuyère les boustis, pelotons de foin ou de paille mouillés qu’il a mis au bout du silladou, pour intercepter le vent. S’il oublie de le faire avant de fermer les bascules de la trompe, les forgeurs disent que la tuyère « fourrupa fer », aspire le laitier. Les ouvriers se réunissent, ils tirent le canou del bourec en arrière, et bloquent la tuyère à l’aide du pitchou, barre de fer dont ils se servent pour l’arc-bouter et empêcher son recul lorsqu’ils enlèvent le massé. Puis, à l’aide de pelles, ils découvrent la loupe en rejetant sur le sol de la forge tout le charbon incandescent placé sur elle. Ce charbon est éteint à grand renfort d’eau, le massé en reçoit aussi. Le foyé introduit par le chio un ringard très fort, le pal del massé ou gros pal, sur lequel un piquemine frappe à coups de masse pour le glisser entre la pierre du fond du bas fourneau et le massé. Il monte debout sur l’extrémité opposée du ringard et, s’appuyant sur l’épaule de son compagnon, lui imprime des secousses violentes. Bientôt, un autre ouvrier monte à son tour sur le ringard devant le foyé. Le massé se détache de toutes parts et le ringard s’est abaissé jusqu’à terre avec les deux forgeurs qu’il porte. Dès que le massé est détaché du fond du creuset, l’escola, debout sur le massif, engage son ringard entre la paroi de l’ore et le massé en essayant de retourner celui-ci « le cul en l’air ». « Lo tioul del massé » est la partie qui touche le fond du feu. Deux valets, également munis de palenques et de picots, viennent l’aider du côté de la face de chio et sans toucher à la tuyère, ils parviennent à eux trois à retourner le massé sur les ringards, « bira lo massé sul las palenques ». Les deux autres valets, armés de crochets, picots, se placent à côté des deux autres, en avant du feu, et accrochent le massé. Puis, faisant effort tous les cinq, ils sortent la loupe du feu et la renversent en avant du chio en la faisant passer par dessus la paroi du fourneau. Le massé se trouve ainsi renversé sur le sol de la forge. Le plus souvent, l’escola, aidé par deux autres ouvriers montés sur le massif du contrevent, armés de picots, tire le massé et le fait rouler sur la pente de ce massif jusqu’au sol de l’atelier. De là, les forgeurs se préparent à l’amener sous le marteau.
51Le requis technique nécessaire pour conduire ce type de réduction étonne par sa précision et sa délicatesse, sa diversification et sa complexité. Pour réussir, il faut connaître le bas fourneau, les réactions du minerai, les qualités et les défauts du charbon de bois, la manière d’agir de la soufflerie. L’homme domine, c’est lui qui mène le jeu, qui donne le rythme, créant l’identité de sa fonction, de son métier. L’aspect du massé une fois sorti du fourneau constitue une sorte de signature de l’escola : un massé de bonne présentation fait naître un sentiment de fierté chez le forgeur qui sort du feu. Il faut insister, tous les escolas ne conduisent pas la réduction d’une manière exactement conforme à la description que donnent les traités techniques. La pratique, quoique toujours la même dans ses points essentiels, reste individuelle et diffère avec les forgeurs selon la subtilité de leurs sens, la pertinence de leurs observations, la précision de leurs gestes, leur expérience et leurs qualités.
52De plus, tous les escolas ne règlent pas la soufflerie de la même manière. Les uns se règlent sur la marche du travail du marteau, augmentant progressivement le vent. Cette méthode convient lorsque l’ouvrier ne connaît pas encore bien le vent, la mine et le charbon qu’il emploie, le feu dans lequel il travaille, ou quand le minerai doit être attaqué avec précaution. D’autres escolas, plus habiles et plus maîtres du feu, attaquent pendant deux heures environ avec un vent relativement faible (de 6 à 9 degrés), puis subitement, sans s’inquiéter de la chauffe des pièces, marchent sous une pression plus élevée (de 12 à 13 degrés), jusqu’à la dernière heure, pendant laquelle ils emploient un vent fort (14 à 16 degrés). Mais, d’après les ingénieurs, cette façon de travailler, préférable quand les forgeurs disposent d’un bon minerai, riche, convenablement fusible et en même temps solide au feu, exige plus d’habileté et d’action de la part de l’escola. Elle donne un métal plus homogène. Elle permet aussi de traiter plus de minerai dans le même temps, avec, le plus souvent, une économie de combustible.
c/ Les gestes pour cingler le massé et étirer le fer en barres
53Dans le procédé à la catalane, le même fourneau et le même combustible servent à la réduction d’un massé et en même temps au chauffage des parties du massé précédent. Les outils du maillé, badoures, tanailles, corbettes ou moilles de toutes les tailles, sont appuyés contre les madriers ou les pierres qui forment la soucherie du marteau. Les forgeurs saisissent leurs outils après avoir entouré leurs mains de peilles, grands chiffons de toile. Ils glissent parfois des morceaux de bois, les souquets, entre les tenailles et le fer qu’ils veulent assujettir. Raymond Lin Capdeville précise les règles à suivre pour obtenir un bon travail du marteau. « Il faut que le jeu soit libre, égal, sans saut et ferme. Le but est de bien conduire une machine compliquée dont le dérangement est funeste au propriétaire et qui de sa nature étant profitable, devient ruineuse par incurie et faute d’être bien administrée ». L’ouïe permet au maillé de contrôler l’allure du marteau. « Lo mail ana de compté », se dit du marteau lorsqu’il frappe régulièrement grâce à la juste répartition des cames à distances parfaitement égales. Le marteau boite, « lo mail ranqueja », lorsqu’il frappe en temps inégaux. Que les pivots de la bogue ne soient pas bien ajustés dans leurs oubliets (boîtes), et le mail frappe tantôt haut, tantôt bas, il barlaqueja et rend un son désagréable. Il est alors indispensable de faire « poupa la bogue », « téter la bogue », c’est-à-dire d’encastrer, avec une grande précision, ses pivots, les poupes, dans leurs supports. Il suffit pour cela de forcer les coins qui sont entre les soucs et les soucs-massés. Le manche du marteau, lo margué del mail, est « cavalier » (cabaillé), lorsque les cames le dominent trop. Au contraire, un manche va « à contre-pied » lorsque l’arbre de la roue est trop bas et que les cames semblent plutôt le pousser en avant que le relever. Le cabaillé et le contre-pied sont deux défauts notables. Le marteau ressaute, « lo mail resauta », lorsque la came de l’arbre frappe sur le manche avant que sa tête ne soit retombée sur le fer posé sur la taula de l’enclume. D’une façon plus générale, il est parfois nécessaire de démargua, démancher, enlever les coins, les clés (claus), et tout ce qui maintient le marteau pour l’emmancher, « margua lo mail », de nouveau d’une manière plus conforme au fer que l’on veut fabriquer.
- Cingler le massé, « estreigne lo massé »
54Le massé est renversé, « le cul en l’air », sur le sol de la forge. L’escola et son valet compriment les parties mal soudées, surtout sur les bords, à l’aide de gros marteaux à main, martels, pour rapprocher de la surface les parties qui tendent à s’en séparer. Lorsque le fer est de bonne qualité, il est suffisamment compact pour n’avoir pas besoin d’être réuni par des coups de masses à la main ; il n’en reçoit que quelques uns dans les parties qui ne paraissent pas bien adhérentes. Puis, retourné, il est traîné sur le sol à l’aide des picots, et conduit ainsi sur l’enclume où l’on a préparé un lit de brasque, de scories et de fraisil. Un piquemine a posé à côté de l’enclume des plaques de fer, les peces del mail, et les a entourées de terre, afin que le massé ne puisse pas fuir. Cela fait, le maillé, l’escola sortant du feu et leurs valets soignent le travail sous le marteau, pendant que le foyé, l’escola qui va tenir le feu et leurs valets s’occupent du fourneau. La loupe est placée sur l’enclume « le cul en l’air » et maintenue à l’aide des tanailles del massé ou tenailles de coupe. Le maillé, sanglé dans une large ceinture de cuir, la courrège, debout près de la cabeil del mail, la tête du marteau, ordonne à son valet de donner l’eau à la roue en levant la tire del mail, et le marteau commence à aplatir la loupe. Les ouvriers ont enlevé auparavant la chaparelle, large plaque de fer qui recouvre la chappe, pièce qu’on enfonce dans le sol sous l’extrémité du manche, sa surface est plate et inclinée : le manche, rabaissé par les cames, frappe contre elle. Pendant cette opération, le forgeur fait tourner le massé sur son axe vertical à l’aide des picots, jusqu’à ce qu’il ait acquis la forme d’un gros cylindre plat. Il pose alors entre la surface supérieure du massé et la panne du mail, dans le plan de l’axe du marteau, le taillant en fer, le gros taillaire, que l’escola tient par la queue. Cette espèce de coin, chassé par le marteau, a bientôt fait dans le massé une entaille considérable. On tire alors toute la masse en avant et le maillé applique de nouveau à sa surface supérieure le taillant. L’entaille est bientôt prolongée. L’ouvrier place de nouveau le taillaire un peu plus en arrière, et quelques coups suffisent pour séparer la loupe en deux segments à peu près égaux dans le sens de la longueur du fourneau, les deux massoques. Tenues à l’aide des aimolles ou moilles, elles sont successivement cinglées et étirées, « estreigne las massoques ».
55Une des deux massoques est cinglée immédiatement, tandis que les forgeurs maintiennent l’autre à la chaleur rouge, en la recouvrant de scories et de charbons incandescents. Le demi-massé est relevé sur sa face plane, puis placé au travers de l’enclume par le maillé qui est maintenant assis sur la banquette, siège de bois à côté du mail. Le forgeur maintient la massoque dans cette position à l’aide de longues pinces, et « entanailla la massoque ». Elle est battue doucement, pour commencer, sur sa partie convexe, l’ouvrier rabat ses angles de sorte qu’elle prend assez rapidement la forme d’un parallélépipède rectangle plus ou moins bien terminé. Cette massoque est recoupée à son tour sur le milieu de sa longueur, à l’aide du taillairet, en deux parties à peu près égales que l’on nomme barroux, et qui prennent ensuite le nom de massoquettes. Elles sont successivement étirées et travaillées sous le marteau avec les tenailles. C’est à cet instant que l’escola commence à donner le vent au bas fourneau.
56Les massoquettes, saisies avec les corbettes, sont immédiatement portées au bas fourneau pour y être réchauffées. Elles sont mises au feu un peu au-dessus et en arrière du nez de la tuyère qu’elles recouvrent en partie. Elles sont inclinées vers la cave de 30 à 45 degrés, et reposent sur les bords de la plie. La surface inclinée du latairol, appelée la banquette, facilite l’introduction et l’enlèvement des massoquettes. Il importe de ne pas avancer la pièce à chauffer en avant de la tuyère : on s’exposerait à oxyder le fer sous l’action du vent. Ce qui, pour François, n’arrive que trop souvent par la négligence et souvent même par le mauvais vouloir de l’escola, jaloux de son collègue dont il diminue ainsi le profit. Après avoir mis en chauffe la première massoquette, l’escola et son valet sont exclusivement occupés à chauffer les massoquettes, à charger convenablement le feu de charbon et greillade qu’ils jettent sur la surface formée par le charbon. Le maillé reprend alors la massoque qui était restée sur le sol de la forge, entièrement recouverte de charbon. Il la travaille exactement de la même manière que la première, c’est-à-dire qu’il la transforme en un parallélépipède qu’il bat longtemps sur ses arêtes, mais qui revient toujours à la même forme. Après ces diverses transformations, cette massoque, dont le volume est un peu supérieur à la somme des deux premières massoquettes, n’est point immédiatement recoupée. Elle est enfin battue sur ses faces planes et dans le sens de la longueur de l’enclume afin de rendre son axe rectiligne. Tout ce travail a exigé 5 minutes, de sorte qu’il s’est écoulé 15 minutes depuis le début de cette opération qui se prolonge quelquefois jusqu’à 17 et même 20 minutes. Les massoquettes qui pèsent 36 à 38 kg sont successivement chauffées et étirées en barres. La première barre de chacune d’elles porte le nom de cabessade.
- Étirer le fer en barres, « estira »
57Pour étirer les massoquettes, le maillé et son valet recouvrent la chappe avec la chaparelle. Cette plaque de fer diminue l’élévation du marteau, la lebade del mail. Environ 26 minutes après le commencement du feu, l’escola retire du feu une massoquette, y place la première à laquelle le maillé a déjà fait une queue. Dans cet état, les mâchoires de pinces, les petites badoures, proportionnées au poids et au volume de ces pièces les embrassent fortement. Le valet fait glisser le long de la banquette du côté opposé au minerai, c’est-à-dire du côté de la tuyère, chacune des massoquettes, de manière que la pièce à chauffer et quelquefois une partie de la mâchoire des pinces plongent de haut en bas dans le charbon, jusqu’à en être recouvertes. Les branches des tenailles restent en dehors, et l’escola leur fait décrire de temps à autre un quart de cercle, de sorte que les quatre faces latérales de la pièce viennent successivement se présenter du côté de la tuyère. Dès qu’une massoquette a été chauffée, le valet la traîne à l’aide des corbettes sous le mail et le piquemine l’étire par une de ses extrémités, il lui fait une queue (quoue). C’est cette queue qui sera embrassée par les pinces lorsqu’elle reviendra au feu ou que le forgeur la retirera, « traire une quoue », emmancher la massoquette. La dernière chaude que l’on donne à la massouquette est appelée quouet.
58Il n’est pas besoin de reprendre chacun des gestes, semblables, que répètent les forgeurs pour travailler les massoques et les massoquettes. Les outils sont toujours saisis avec des chiffons et très souvent refroidis dans l’eau de la nave. Le maillé et le piquemine rendent à l’escola une pièce à chauffer qu’il plonge dans le feu. Le valet verse une quantité d’eau (2,5 ou 1,5 litres) sur les tenailles et les queues des pièces qui chauffent. Puis il retire du feu une des pièces et la livre aux ouvriers du marteau. De la même façon qu’il a rédigé un procès-verbal d’une réduction, Richard a minuté le travail du mail. 1 heure et 10 minutes après le début du feu, l’escola met à chauffer la grande massoque qui a pour dimensions : longueur 0,85 m, largeur 0,15 m, hauteur 0,16 m. Puis, 1 heure 45 plus tard, l’escola, ou son valet, retire du feu ce qui reste à chauffer de la seconde massoquette, et le livre au maillé. Les deux massoquettes sont donc étirées. La deuxième massoque est retirée du feu au bout de 1 heure et 56 minutes. Elle a donc mis 46 minutes à chauffer. Moins de 5 minutes après, elle est coupée en deux. La moitié la moins chaude est remise au feu, pendant que le forgeur fait une queue à l’autre moitié. Alors qu’un peu plus de 2 heures se sont écoulées, le maillé retire une massoquette pour lui faire une queue, et rend en échange l’autre massoquette dont la queue est faite et qu’il faut chauffer.
59Tout le travail de cinglage et d’étirage, y compris les intervalles nécessaires à réchauffer le fer, a duré 3 heures 47 minutes dans le procès-verbal proposé par Richard. Mais le marteau n’a réellement battu que pendant 1 heure 27 minutes. François indique une durée identique. L’étirage des massoques est terminé de 3 heures à 3 heures 45 après la mise en feu. Toutes ces opérations durent pour Marrot environ 5 heures, et sont par conséquent terminées une heure avant l’achèvement du massé suivant, ce qui est indispensable, parce que le chauffage, vers la fin, deviendrait impraticable. Le temps du travail du mail est essentiel parce que presque tous les escolas se règlent sur les différentes périodes de l’étirage pour la conduite du feu et du vent. Le temps d’un feu se divise en deux périodes bien distinctes et inégales. La première, celle où l’escola, obligé de surveiller et de conduire le chauffage des pièces à étirer, modère l’action du vent, nourrit le massé presque exclusivement avec la greillade. La seconde, la balejade : libre de tous soins à donner à la chauffe des pièces, le forgeur pousse la réduction en augmentant la force du vent et ramène sans cesse sous la tuyère le minerai du contrevent. Ainsi que nous venons de le voir, la première opération, l’étirage, fabrication des barres de fer, se prolonge de 3 heures à 3 heures 30, et quelquefois 4 heures, suivant la façon du fer marchand et suivant le rendement du feu. La seconde, la balejade, dure de 2 heures à 2 heures 30. Cette durée dépend beaucoup de l’habileté de l’escola. En effet, si le travail du fer sous le mail se prolonge, et qu’il ne sache pas, ou n’ose pas disposer du vent, attaquer franchement le minerai du contrevent avant la fin de l’étirage, il y aura perte de temps et augmentation des quantités de charbon employées. Il faut compter sur un déchet, battitures (escailles del mail), bourres, d’environ 13 % du poids des massoquettes lorsque les forgeurs les transforment en barres de grosseur moyenne. On ramasse ces escailles autour du marteau, l’escola les remet au feu mélangées à des scories. Le déchet diminue en général avec la grosseur des barres obtenues45. Le cinglage terminé, on jette de l’eau en grande abondance sur le marteau et sur l’enclume pour les refroidir.
60Le massé est composé de trois qualités de métal : le fer mol, le fer fort ou acier naturel ordinaire, le fer cédat ou acier naturel supérieur. Le fer mol ou fer doux constitue la majeure partie du massé. Il ne contient pas ou presque pas de carbone, moins que l’acier. Ce fer peut être crebat (crevé), c’est-à-dire gercé ; cremat (brûlé) ; parfois même, le fer est macagne ou magagne, aigre, rouverain, cassant ou encore tendre lorsque, sans être rouverain, il se gerce un peu sous le marteau. La description du travail du mail permet, logiquement, de savoir sous quelle forme le métal sort de la forge de réduction. Il s’agit d’un produit semi-fini, prêt à être transformé. L’existence de normes au sens moderne n’apparaît pas, mais la mise en œuvre d’un procédé identique donne des résultats comparables. La marque (merque), véritable estampille, appliquée sur la production permet de connaître l’origine du métal, et peut être lue par les acheteurs comme une garantie d’une qualité suivie. Les textes, quelle que soit leur origine, contrat de location, rente ou contrat de vente, parlent d’une façon générale de « fer bon et marchand » à la sortie de la forge.
61Les massoquettes sont vendues en l’état, sous forme de « fer en barres ». La commercialisation du fer en barre facilite son réchauffage qui exige une quantité moindre de combustible que si le métal avait quitté la forge sous la forme de massé. De plus, un tri des qualités supérieures, vendues à un prix plus élevé, est réalisé dans l’atelier de réduction. Les deux qualités d’acier naturel sont cassées, trinqua, avec un marteau à main particulier, la trinque, et emballées dans des bresses (longues corbeilles). Les forgeurs parent le fer, « para lo fer », sous divers aspects. Le fer des forges à la catalane est ordinairement assez grossièrement forgé. Ce qui s’explique par l’emploi presque exclusif de très lourds marteaux. Les forgeurs confectionnent des plattes, barres en bosse, en « ventre de truite », des bergues rondes, de différentes dimensions. Les barres sont dressées sur le dressadou (enclume), souvent un vieux mail renversé sur le flanc. La barre qui a été étirée est bosselée, les coups de marteau sont visibles, il faut alors la redresser ou pour parler comme les forgeurs : la dresser. Le marteau pique, « lo mail piqua », lorsqu’il fait des marques, des hoches sur le fer, des entailles sur les bergues, « plattes picades », bandes, barres entaillées pour qu’elles se coupent plus facilement lors de la vente au détail. Rassemblées en quintaux de fer, elles sont liées en gabelles, « fer gabelle » (en gerbes), sur les liadous. L’escola tient au feu un morceau de fer à chauffer pour faire des ligatures et lier le fer pour le commercialiser, en particulier des ligatures pour le fer fort, pour attacher les plattes de fer fort, attacher et assujettir les liens qui sont sur les liadous. Un morceau de bergue chauffé est utilisé pour forger les liens46. Les quintaux de fer ont été pesés à l’aide de la chèvre (crabe), suspendue à un timon, le pès, et sur laquelle on pose le fer. Des pièces de grandes dimensions, des essieux de voitures, des bandes de roues, des barres destinées à la cémentation sont faites. Divers parages, enfin, pentures, socs, coutres, etc. sont réalisés, escapoula, dans la forge. Ces escapoulages, ouvrages dégrossis, n’ont besoin que d’être perfectionnés par le taillandier, le forgeron de village. Cependant, dans les forges construites à partir des années 1820- 1830, on établit souvent un petit marteau, martinet, d’environ 110 à 115 kg, sous lequel les ouvriers repassent au besoin le fer étiré au mail. Le travail est alors plus soigné.
62Il semble intéressant, en guise de conclusion provisoire, de donner la description du travail des forgeurs ariégeois telle qu’elle est rapportée par le jeune académicien basque Munibe. « Il y a quatre ouvriers près de ce fourneau qui se relaient de deux à deux à chaque réduction. Il y en a aussi quatre autres qui alternent comme eux. Les huit ne travaillent pas ensemble sauf quand ils retirent le massé du feu, ils sont très habiles et se fatiguent très peu grâce aux outils en fer dont nous avons parlé plus haut. Quand ils tirent le massé du feu, il a la forme d’un fromage de Hollande (« queso de Olanda »), de grandes dimensions, ils le font rouler sous le marteau et l’aplatissent après vingt coups. Ensuite, ils le partagent au moyen d’un taillant (« tajador »), le divisent en deux portions pour le manier. Ils ne se servent que de crochets et de tenailles, ce qui fait qu’ils le manient très facilement. Le fer de ces ferrerias m’a semblé beaucoup plus dur que celui de nos Provinces. Il ne rejette (« exprime ») pas sous le marteau beaucoup de scories, ce qui vient, j’en suis sûr, de ce que les ouvriers le font « saigner » dix ou douze fois pendant que le massé est dans le feu, massé qu’ils laissent cuire plus longtemps, et parce que le minerai est plus sec. Pour charger le feu, ils commencent à couvrir le fond d’une couche de charbon qu’ils serrent et émiettent. Ensuite ils font une séparation ou division entre le charbon et le minerai, de sorte que la mine commence tout de suite, après la première couche de charbon, et n’occupe que le tiers de la capacité intérieure du feu, jusqu’au bout où il est serré tout le long de la face opposée à la tuyère. Ils remplissent tout le reste du charbon conformément à la mine, dont une partie reste sur le bord du feu opposé à la tuyère, et ils donnent le feu de sorte que la première se consume, et font attention à donner de temps en temps du charbon, toujours du côté de la tuyère, et de le serrer et le comprimer vers cette partie et de tenir le feu vers ce côté afin que son action n’arrive pas avec violence sur la mine mise et inclinée, comme nous l’avons dit plus haut du côté opposé. Ils veillent à maintenir jusqu’à la fin de la fundicion. Une demi-heure après avoir chargé le feu, ils ajoutent quatre ou cinq bonnes pelles de mine en poudre et de poudre de scories (« vena en polbo y de fraian ») pour commencer la fundicion de la mine. Dans ces ferrerias ils ne criblent jamais ni ne trient le charbon. Ceci nous a semblé bien pour la raison que sa poudre est très propre à tenir le feu à l’intérieur du foyer, et même cette poudre contient des parties de terre, des salpêtres et « hojisticas », toutes tout à fait propres à faire fondre la mine suivant la nature du terrain d’origine du bois, avec le bois qui a servi à faire le charbon. Dans ce pays, on ne connaît ni la castine ni la « bue » qui sont des fondants dont on se sert dans d’autres provinces du Royaume ». Dans les ferrerias basques, on attend la fin de la réduction pour ouvrir « el zidarzulo » et pour laisser sortir les scories du fourneau. Mercedes Urteaga, éditrice du Tratado de Metalurgia, estime que la différence entre les deux procédés est peut-être due à l’usage de traditions distinctes, sans oublier qu’à Foix les quantités de minerai incorporées au fourneau sont beaucoup plus grandes, ce qui oblige les ouvriers à répéter les « saignées » afin de ménager un espace aux charges successives. Une autre raison à prendre en compte est la faible quantité de scories que donnent les minerais de Somorrostro, principale mine de Biscaye47.
63Picot de Lapeyrouse donne son opinion sur les forgeurs qu’il a côtoyés dans les forges ariégeoises : « je ne tardai pas à m’apercevoir que la fabrication est absolument gouvernée par des ouvriers ignorans et grossiers ; et que par-tout c’est une routine aveugle, et un tâtonnement continuel ». Il nuance par la suite ce sévère jugement : « mais les procédés des forges leur sont si familiers et ils en ont une si grande habitude, qu’ils savent très bien les appliquer, les varier même selon l’exigence des cas ; on est tout étonné de la facilité avec laquelle ces huit hommes exécutent des opérations si pénibles, si difficiles, si délicates et qui semblent exiger tant de savoir et d’intelligence »48.
64Les chiffres du feu dont Richard a rédigé le procès-verbal sont les suivants : 487 kg de minerai et 544,70 kg de charbon ont donné un massé de 151 kg de fer. C’est-à-dire que pour 100 kg de fer, il a fallu 321 kg de minerai et 359 kg de charbon. François indique une moyenne, 145 kg de fer sont obtenus avec 470 kg de minerai et 510 kg de charbon. Soit pour 100 kg de fer, 312 kg de minerai et 340 kg de charbon. Marrot décrit un chargement composé de 8 quintaux du pays de minerai en fragments. Dans le courant de l’opération, l’escola et son valet jettent dans le feu environ 4 quintaux de greillade, de sorte qu’à chaque réduction, on passe à peu près 12 quintaux ou 480 kg de minerai. Autre remarque, finalement inattendue, lors de la réduction décrite par Richard, 51,5 litres d’eau ont été jetés sur le feu. Il reste à connaître ce que représentent les scories. En moyenne, dans les années 1840, 100 parties en poids de minerai donnent 31 parties de fer en barres et 41 en scories qui contiennent environ 30 % de fer métallique. À la forge du Ressec à Surba, 100 de minerai ont rendu 31,2 de fer en barres et 50,2 de scories ; lors d’un autre feu, 100 de minerai ont permis d’obtenir 31 de fer en barres et 51,8 de scories. Richard a calculé que sur les quarante forges en activité en Ariège et qui font chacune, en moyenne, mille feux par an, « 2.400.000 kg de fer étaient perdus chaque année dans les scories répandues, depuis des siècles, sur les routes ou jetées dans les cours d’eau »49. Le bail de la forge de Queille prévoit que « la carral de la dite forge » appartiendra en propre au fermier50. Les scories de fer de l’ancienne sidérurgie à la catalane sont exploitées au début du XXe siècle. Les Domaines mettent en adjudication aux enchères les scories des forêts d’Alzen et d’Auzat, le conseil municipal de Montferrier et celui de Gourbit autorisent l’exploitation des ferriers moyennant le paiement d’une redevance à la commune. Cette exploitation soulève un point de droit qui est tranché par le contrôleur des Mines : « ces scories parfois riches en fer et en manganèse ont été rejettées par les anciennes forges locales, mais peuvent être utilisées dans la métallurgie moderne. Elles ne constituent pas de gisements naturels et restent dès lors à la disposition des propriétaires du sol. Leur enlèvement se fait par terrassements… le tonnage de ces dépôts est faible il est vrai, mais par mesure de prudence, afin d’éteindre le droit accordé, il convient de fixer une limite aussi étendue que les contractants le désireront : 5-10 ans »51.
65Il n’est pas question de remettre en cause une appellation universellement admise, et, certes, « bas fourneau » est l’expression consacrée. Il est cependant difficile de résister à la tentation de faire remarquer que le feu à la catalane, ouvert pour laisser place à la charge minerai-charbon de bois et pour permettre à l’escola d’exprimer tout son savoir-faire durant la réduction, mériterait d’être nommé bas foyer. Le vocabulaire des forgeurs à la catalane permet à l’historien de s’intéresser à la banalité, à l’usage quotidien d’une technique. Les mots offrent la possibilité de s’approcher du cœur du travail grâce aux sensations ressenties et exprimées, aux gestes qu’elles déterminent52. La description du procédé technique est alors étroitement liée à celle des modalités de l’attention, à l’écoute du feu, aux impressions des sens. Ces sensations sont aussi constitutives des individus et de la communauté. Pour bien saisir les qualités mises en œuvre par les ouvriers, il convient de décrire et d’analyser le travail du forgeur, de se livrer à une véritable archéologie des gestes et des pratiques53. Dans le quotidien de la vie de travail, l’auditif s’impose, on le sait, avec plus de force que le visuel54, or la vue est le principal guide de l’escola, ce qui justifie l’atmosphère sombre de la forge, indispensable pour apprécier toutes les nuances de couleur du feu et du métal. Les déplacements des forgeurs d’un poste de travail à un autre, les déplacements de chacun individuellement et en groupe, ont été notés. D’autre part, l’historien s’intéresse plus à la généralisation, la banalisation qu’à l’exceptionnel. Ainsi, la question de l’origine du savoir gestuel des forgeurs à la catalane ariégeois n’est pas résolue, retenons modestement que nous nous trouvons en présence d’une culture ancienne, multiséculaire, de la sidérurgie directe. Peut-être devient-il alors possible de donner une première réponse à la question de savoir si le monde de la forge à la catalane est innovant. Le milieu de la réduction directe l’est, assurément ; la succession des procédés en est la preuve, de la forge à bras à la méthode à la catalane, forme du procédé direct renouvelé. Devant cette diversité, il n’est guère possible de parler d’immobilisme55. Quant à la forge à la catalane, nous avons vu les changements que subit le bas fourneau (dimensions, forme), les améliorations de la trompe (admission de l’air et de l’eau, maniabilité de l’appareil), les évolutions du marteau (poids, nombre de cames, vitesse de frappe). Le milieu à la catalane est-il pour autant innovant ? Ces améliorations méritent-elles d’être qualifiées d’ajustements, de « micro-innovations »56 ou « d’innovations courantes »57 ? Elles révèlent, sans conteste, de solides facultés d’adaptation, une capacité à répondre aux changements de l’écosystème et aux nouvelles demandes du marché. La correspondance échangée entre Vergniès Bouischère et Dietrich montre par instants l’innovation courante en train de se faire, ce qui est rare pour les techniques anciennes. Les ingénieurs du XIXe siècle prennent bien soin d’individualiser la méthode « petite catalane » spécifiquement mise en œuvre, sous leurs yeux, dans le Roussillon et ainsi nommée parce que, par comparaison avec le procédé utilisé dans les Pyrénées centrales, elle réduit moins de minerai, en moins de temps et avec moins d’ouvriers. Le fait que l’administration précise que les forges du Conflent sont « construites selon la méthode de l’Ariège » ou « à la française », pourrait être regardé comme une confirmation du rôle des Ariégeois dans l’évolution de ce procédé de réduction directe58. L’insistance de certains sidérurgistes des XVIIIe et XIXe siècles à vouloir remplacer « à la catalane » par « à la pyrénéenne » va aussi dans ce sens.
B/ Un procédé économe en combustible
66La consommation de charbon de bois est un problème majeur de la métallurgie du fer. Raymond Lin Capdeville, toujours animé par le désir d’instruire le futur maître de forges, se justifie : « j’aurais dû lui parler en premier lieu du bois, de différente espèce du charbon qui en provient, de la manière de le faire, des charbonniers et des charrieurs, de la conduite qu’on doit tenir à leur égard, mais ce sera le sujet d’une instruction particulière que je renvoie à un autre temps ». Malheureusement ce temps n’est pas venu ou nous n’en avons pas gardé de trace. Est-il possible de dégager d’éventuelles relations de l’évolution technique de la forge à la catalane avec la conjoncture forestière ? Pour répondre à cette question, il est indispensable de déterminer d’abord les besoins d’une usine, puis de passer à une échelle plus vaste, celle du bassin sidérurgique. Il est, aussi, nécessaire de déterminer comment les maîtres de forges ont accès au combustible.
1/ Le charbon de bois, combustible unique de la sidérurgie directe
67Le charbon de bois est le combustible unique de la réduction directe. Il est, à la fois, l’agent thermique et l’agent réducteur lors de la transformation du minerai en métal. Il est obtenu par la carbonisation du bois en meule dans les forêts59. Évaluer la consommation de combustible, même pour le XIXe siècle, est plus difficile qu’il n’y paraît au premier abord. Dans les années 1830, le chargement d’un feu à la catalane nécessite en moyenne 405 kg de charbon de bois, soit pour 100 de fer 335 de charbon. François, qui a réalisé ce calcul, précise que les chiffres qu’il avance sont les moyennes de plusieurs pesages qu’il a faits dans les forges de 1835 à 1838. Or constate-t-il, « dans les pesages, j’ai été loin de trouver constamment les chiffres portés ci-dessus ». Il en tire une conclusion logique, « bien que pendant huit années j’aie relevé avec soin les détails de roulement des forges de l’Ariège, je n’ai jamais pensé que des données, suffisamment approchées de la vérité pour établir des documents statistiques, pussent servir à la recherche de rapport précis entre la consommation des matières premières et la quantité des produits »60. Remarque qui ne peut qu’inciter à la prudence.
- Le problème des unités
68La première difficulté à laquelle se heurte l’historien est celle des unités. Les statistiques utilisent des unités de poids alors que les maîtres de forges et les forgeurs mesurent le charbon en unités de volume. On le vend ou l’achète ordinairement au sac, à la charge et au parsou. Chaque sac de toile, à la fois moyen de transport et mesure, rempli de charbon, reste ouvert vers le haut ; le combustible est maintenu par des branchages qui forment une sorte de treillis, ce qui est à l’origine de la formule : « charge de trois sur six attachée à la brochette ». Un autre terme est employé : on ferme le sac avec des « fascines ». Ce n’est que très rarement que les sacs sont fermés avec de la corde61. Il n’est peut-être pas indifférent de préciser ce point parce que, en effet, il a été constaté que la différence entre les sacs de charbon attachés à la brochette et ceux attachés à la corde est, en général, de 1/5 environ et peut aller à 2/5 par sac62. Pour l’ingénieur Marrot, le sac contient deux hectolitres. Or, tous les sacs n’ont pas la même contenance, ils varient selon les forges. La sacherie des forges de Gudanes est au moins d’un cinquième plus forte que celle des autres usines. La forge d’Engomer dispose d’une sacherie où le sac a pour dimensions « 3 1/2 sur 5 1/2 c’est-à-dire que ce qu’ils portent est mesuré ou calculé à raison de cette sacherie qui est la seule admise dans l’usine » depuis sa création en 180863.
69En 1669, l’expert consulté par Froidour précise que « la charge est composée de deux sacs »64. Au XVIIIe siècle, la charge comprend 3 sacs, dont chacun a 6 pans de long sur 3 de large quand il est vide et étendu par terre. Or, les pans varient selon les lieux, ce qui provoque une inégalité des charges d’un endroit à un autre. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples : dans la vallée d’Ax, la charge a une valeur de 505 litres et seulement de 494 à Quérigut. Dans le Sabarthès, elle varie de 489 litres à Saurat à 528 litres à Vicdessos, en passant par 497 litres à Tarascon et aux Cabannes. À Vicdessos, la charge est à peu près égale à 5/4 d’une charge commune aux autres vallées, c’est-à-dire qu’elle est supérieure. Autour de Foix, la charge représente 472 litres ; à Pamiers, 478 litres. Dans le pays d’Olmes, les valeurs sont comprises entre 503 litres à Lavelanet ou Montferrier et 511 litres à Bélesta, Léran et Mirepoix. Dans le Couserans, enfin, les variations de la charge vont de 489 litres à La Bastide de Sérou à 520 litres à Oust, avec les valeurs intermédiaires de 505 litres au Mas d’Azil ou de 511 litres à Saint-Girons, Massat, Rimont ou Castillon. Mais, comme les charbons sont transportés d’une région à l’autre, on considère, dans la pratique, les charges à peu près égales entre elles65.
70Autre difficulté, la contenance réelle du parsou qui vient brouiller encore un peu plus l’évaluation de la consommation de combustible. Les dimensions des parsous diffèrent d’une forge à l’autre. Ceux que François a mesurés varient de 1,850 à 1,950 m3. Richard donne une fourchette qui va de 1,843 à 2,014 m3. Le parsou, de façon conventionnelle, correspond à 3 charges, par conséquent à 9 sacs. Pour répondre à l’obligation de se conformer à la loi du 4 juillet 1837 qui impose l’usage exclusif du système métrique, sans cependant s’écarter des usages toujours pratiqués, le comité central des maîtres de forges ariégeois se réunit à Foix le 13 janvier 1840, et décide que le sac vide et étendu par terre aura 70 cm de large sur 130 cm de long pour un volume de 2 hectolitres. La charge de 3 sacs représentera donc 6 hectolitres. Le parsou, caisse de 2 m de long, 1 m de large et 0,90 m de haut, doit cuber 1,8 m3 ou 18 hectolitres de charbon ou 3 charges. Autrement dit, le parsou est subdivisé en 9 mesures de 2 hectolitres qui correspondent au sac ancien, soit 1/9 de l’ancien parsou ou 1/3 de l’ancienne charge. Le préfet confirme cette décision par un arrêté du 8 avril de la même année66.
- La nature du charbon
71Autre point délicat pour calculer la consommation de charbon, le poids que représentent les volumes de combustibles brûlés. L’une des rares références dont nous disposons est le tableau du poids des charbons en fonction des essences d’arbres dressé par Jules François67 :
nature du charbon | ancien sac | ancienne charge | ancien parsou |
hêtre | 47,4 | 142,2 | 426,9 |
chêne | 40,2 | 120,6 | 361,8 |
châtaignier | 39 | 117 | 351 |
bouleau | 36,8 | 110,4 | 331,2 |
pin (branchages) | 35 | 105 | 315 |
pin (refendu) | 32 | 96 | 288 |
sapin (branchages) | 30 | 90 | 270 |
aulne | 28,2 | 84,6 | 253,8 |
72Devant des écarts aussi considérables, il est difficile de se satisfaire de moyennes. Par exemple, un ingénieur peut établir les rapports suivants : le poids du sac est de 47 kg et celui du m3 de 235 kg. Les parsous disposent de 423 kg de charbon. La charge, cubant 0,60 m3, pèse 141 kg68. Autre cas, à la forge de Bélesta en 1836, le poids du sac de charbon de sapin mélangé d’un peu de charbon de chêne est de 95 livres ou 38 kg. Le charbon provenant des tiges de sapins est plus léger que celui fait avec la cime ou les branches. Le charbon de sapin dont on se sert à la forge pèse 35,5 kg par sac, celui de chêne 59,5 kg par sac69. Richard indique que si l’on convertit les données tirées de Dietrich, on obtient que le m3 de charbon de bois pèse 204 kg, Mercadier annonce 216 kg, d’Aubuisson 226 kg, Marrot donne en moyenne 219 kg et enfin lui-même 225 kg. À partir de ces renseignements, Richard calcule une moyenne de 222 kg70. Quelle valeur attribuer à un tel calcul ?
73Pour évaluer la consommation en combustible, il est impératif de prendre en compte d’autres éléments qui constituent des variables supplémentaires sans qu’il soit, pourtant, possible de les quantifier avec exactitude, en poids comme en volume. Les différentes qualités du minerai jouent un rôle de premier plan. Jules François précise que le minerai, médiocre jusqu’alors, s’améliore sensiblement en 1838-1839. Dès lors, le rendement moyen des forges s’accroît et il suffit alors de 324,9 de charbon pour 100 de fer. Le savoir-faire et l’habileté de l’escola ont une influence déterminante sur les quantités de charbon consommées. Cette dépendance du tour de main de l’ouvrier est renforcée par le fait que les forgeurs « sont à prix fait », intéressés, financièrement, à ce que la production soit la plus considérable possible sans qu’ils se préoccupent des consommations. S’ils ont toujours assez de minerai, il n’en est pas de même du charbon. Le garde-forge commence par leur en livrer un parsou (9 sacs), quantité jugée à peu près suffisante pour un feu ; et pourtant, presque toujours, il est nécessaire vers la fin de l’opération de leur accorder un supplément de combustible, sous peine de perdre le fruit de tout le travail. Le moment de la réduction a aussi son importance : lors de la reprise du travail, en début de semaine ou après un incident, les premiers feux exigent davantage de charbon, tant que les parois du bas fourneau ne sont pas parvenues à une haute température. C’est pourquoi les forgeurs travaillent sans discontinuer tout au long de la semaine, du dimanche minuit au samedi soir. Les incidents et accidents augmentent aussi la consommation de charbon. Ainsi, aux forges de Villeneuve, de Queille et de Campredon, en 1779, 3 charges de charbon ont été employées « pour réchauffer un massé pendant qu’on a remis la soucherie ». Durant l’année 1781, toujours à la forge de Queille, 102 charges ont été utilisées, avec 22 quintaux 35 livres de fer, pour fabriquer un mail neuf. Les dépenses totales de l’année 1782 pour les 3 forges portent : « pour les réparations des mails et pour les outils, 196 charges 1 sac, soit 657 livres 14 sols 4 deniers ». Autre dépense imprévue, en 1777, 93 charges de charbon ont été perdues à cause de l’inondation de la forge de Queille71.
74Le charbon de bois, produit fragile, subit des pertes qui ont une influence statistique sur le calcul de sa consommation. Comment les quantifier ? D’abord, s’il passe l’hiver dans les bois, la diminution est au moins de 15 à 20 % d’après certains maîtres de forges72. Les pertes occasionnées par le transport n’entrent pas dans les calculs de consommation. Les maîtres de forges cherchent, cependant, à les éviter. Les charbons tendres et légers s’abîment moins que les charbons forts. Des pertes, enfin, se produisent dans les charbonnières. C’est pourquoi, quand cela est possible, les maîtres de forges font peu d’approvisionnements ; le charbon arrivant à la forge est versé directement dans les parsous et livré immédiatement aux forgeurs. Les industriels cherchent à disposer d’un grand nombre de parsous afin de conserver en magasin le moins possible de charbon73. Or, les forgeurs pensent qu’il est nécessaire de laisser reposer le charbon, même dans un lieu légèrement humide. Ils justifient cette opinion en déclarant que « le charbon soutient mieux le vent et se mange moins rapidement »74. François ne sait quelle valeur attribuer à cette affirmation, parce qu’il n’a pas pu l’apprécier. Il précise simplement qu’il ne faut pas que le combustible soit mouillé, surtout après la carbonisation, sinon il brûle difficilement et ne chauffe pas. Dans le magasin, les charbons forts s’abîment moins que les charbons tendres et légers, qui absorbent, comme du reste ceux qui ont été cuits trop rapidement, de l’air et des « sels terreux » lorsqu’ils sont stockés près des murs ou du sol. Richard pense que ce phénomène augmente dans de fortes proportions le déchet qui, très variable, est estimé de 1/9 à 1/12. En général, au XVIIIe siècle comme au XIXe, il est évalué à environ 1 sac et demi par feu75, ou à 1/10 de la charge nécessaire à un feu76. La plupart du temps, les maîtres de forges disent employer par feu moins de dix sacs de charbon, et comptent cependant dix sacs afin de prendre en considération la perte qui se produit dans le charbon emmagasiné. Ainsi, l’on peut compter, en général, que la consommation en charbon est égale en poids à celle du minerai, sauf de légères exceptions provenant principalement de la nature des bois : exceptions qui ne peuvent être évaluées ici, car presque tous les maîtres de forges se procurent du charbon par commerce et dans différents cantons77. Preuve enfin qu’il ne faut pas négliger les pertes de charbon : l’ingénieur des Mines qui cherche à acclimater le procédé à la catalane en Isère, avec l’aide de forgeurs venus de l’Ariège, indique que chaque massé est le produit de 11 à 12 quintaux de minerai (de 458 à 500 kg), et que l’on consomme pour cette opération six charges de charbon ou 1 080 livres (450 kg), « non compris le déchet dans la charbonnière »78.
- Les consommations de charbon de bois
75En 1669, pour cuire et façonner une charge de fer de 3 quintaux, il faut 8 charges de charbon (la charge est composée de 2 sacs)79. Le seigneur de Brassac, dans les années 1760-1770, indique qu’une forge emploie par an 12 000 sacs de charbon du poids de 100 livres80. Pour Munibe, la dépense par feu se monte à 6 charges ou 18 sacs d’un quintal chacun, y compris la quantité utilisée lors du grillage81. Vergniès explique, en 1775, que, pour un feu, il faut 10 quintaux de mine poids de 122 livres le quintal, et que pour travailler cette mine il faut pour le moins 13 sacs de charbon, 13,5 sacs y compris la cuisson de la mine. Si le charbon est entreposé à la forge, il faut compter 14 sacs. Pour le travail de 600 feux de mine par an, la consommation totale est de 8 400 sacs82. Dietrich annonce : « en général on ne compte que trois livres à trois livres un quart de charbon à la livre de fer forgé dans le comté de Foix ». L’intendant Ballainvilliers, en 1788, porte la consommation à 16 000 sacs environ. En l’an VIII, les forges du pays de Foix consomment 800 décalitres de charbon par jour83. L’élève ingénieur Michel Chevalier constate que les forgeurs utilisent 3 charges, soit 408 kg (10 quintaux du pays) par réduction, auxquelles il est nécessaire d’ajouter le charbon dépensé pour compenser les pertes, ce qui fait au total 449 kg, soit pour 100 de fer, 293 de charbon. À la même époque, un autre élève ingénieur, passé lui aussi par Vicdessos, a calculé que pour 100 de fer, il suffisait de 272 de charbon84.
76Richard se livre à une étude raisonnée et comparative des indications fournies par Dietrich et Picot de Lapeyrouse. Il résulte des ouvrages de 1786 que « 100 minerai cru exigeaient au moins 76,5 charbon et donnaient au plus 28,28 fer en barres ; pour obtenir 100 de fer, il fallait 353,6 minerai et 270,5 charbon et enfin 100 charbon traitaient 137,8 minerai et produisaient 36,96 fer étiré ». Dietrich calcule à partir de la production totale de fer du comté de Foix et de la quantité de combustible utilisée que 35 sacs de charbon de bois sont nécessaires par millier de fer forgé, ou 4 sacs par cent de fer forgé85. L’ingénieur civil met très fortement en doute l’exactitude de ces informations parce que, selon lui, il faudrait en conclure que « 100 parties de fer qui exigent aujourd’hui 345 de charbon environ, s’obtenaient autrefois avec 270 ; le minerai, il est vrai, rendait environ 2 % de moins, mais cette légère perte n’est nullement comparable à celle qui résulte de l’énorme excédent de charbon qu’on brûlerait aujourd’hui ». Et il ajoute, « je dois faire observer… qu’il me reste plus que des doutes sur ces évaluations. En effet, Dietrich, qui nous les a fournies, laisse percer dans tout son Mémoire une sorte d’incertitude peu faite pour inspirer confiance aux résultats énoncés ci-dessus… Au milieu de ces contradictions et de ces faux calculs, je crois qu’il faut s’en tenir à l’évaluation de M. Vergnies qui a laissé dans ces pays une réputation de maître de forges instruit et de bonne foi… probable que 100 de fer exigeaient autrefois 325 charbon. On consommerait donc aujourd’hui 20 parties de charbon de plus qu’on n’en brûlait autrefois pour obtenir 100 fer ». Mais une telle estimation n’est pas rigoureuse pour Richard parce que le poids du charbon est évalué au volume et qu’elle repose entièrement sur la supposition admise autrefois dans les forges que « 5 pieds cubes de charbon pesaient 70 livres ce qui porte le poids de m3 à environ 204 kg ; or nous avons évalué le poids de ce m3 à environ 225 kg ». Si on refait les calculs sur la base indiquée par Richard, « on arrive ainsi aux résultats suivants : 100 de fer exigeant aujourd’hui 345 charbon, en exigeait autrefois 358 »86.
77Le développement qui précède et qui montre la difficulté à donner des moyennes de consommation, peut être résumé en une formule : chaque forge a une consommation spécifique qui peut, à son tour, varier dans le temps et selon les circonstances. François regroupe les usines selon leur localisation géographique. Dans la vallée de Vicdessos, à son époque, pour 100 de fer, on emploie 320 de charbon en 1837 et 302 en 1840 ; aux environs de Foix, 325 et 306 ; dans le Couserans, 337 et 315 ; dans le canton de Lavelanet, 349 et 345 ; dans la vallée d’Ax, en 1837, 361 et 345 en 184087. Lors du feu décrit en détails par Richard, pour obtenir 100 de fer, il a fallu 358,95 de charbon. En moyenne, Richard considère que pour obtenir 100 de fer, 344,92 de charbon sont nécessaires88.
78Quelles premières conclusions peuvent être tirées de cette avalanche de chiffres et de cette série de remarques ? Les grandes différences relevées entre les forges des Pyrénées ariégeoises obligent à regarder avec circonspection les données que livrent les statistiques générales. D’autant plus que Richard précise que les renseignements qui lui ont été fournis par les maîtres de forges se sont révélés tous faux. Jérôme Bonhôte et Christian Fruhauf, après s’être livrés à une recherche poussée dans les archives audoises et ariégeoises, donnent une réponse nuancée. L’enquête nationale de 1811 présente les réponses de 23 maîtres de forges de l’Ariège. Il faut entre 2,5 et 4 quintaux de charbon pour produire un quintal de fer, ce qui correspond au nombre avancé par Dralet : 3,5 quintaux. Certains maîtres de forges précisent qu’ils donnent des chiffres concernant des charbons de bonne qualité parce que la quantité serait plus importante pour un combustible plus léger. Tous les documents que ces deux historiens ont consultés s’accordent, peu ou prou, pour indiquer qu’il faut cinq à six sacs, soit un mètre cube de charbon de bois pour produire un quintal de fer au XVIIIe siècle. C’est dire qu’une forge a alors besoin de 80 m3 de charbon par semaine pour produire 80 quintaux de fer. Pour une campagne de 3 mois, la consommation sera d’environ 1 000 m3, de 2 000 m3 pour 6 mois et de 3 000 m3 pour 9 mois. Dans les années 1830, la forge d’Orgeix consomme de 750 (environ 4 198 sacs) à 939 m3 (5 367 sacs) de charbon89. La difficulté à établir un rapport précis entre la consommation de matières premières et la production de métal invite fortement à s’intéresser au travail journalier des forges. Or, nous ne disposons pour les Pyrénées ariégeoises que de trop rares documents comptables d’usine qui, seuls, permettraient d’établir un rapport avec quelque exactitude. Nous sommes d’une grande pauvreté pour le XVIIe siècle. Les informations, bien qu’elles soient encore partielles, sont plus nombreuses au XVIIIe et au XIXe siècle90.
- La consommation pour le grillage du minerai
79Pour connaître la consommation de charbon de bois de la sidérurgie pyrénéenne, il est, enfin, indispensable de prendre en compte le combustible utilisé lors du recuit91. Lors des dernières décennies du XVIIIe siècle, le maître de forges accepte que le garde-forge dépense au moins 3/4 de sac, et même un sac entier par massé, quand il désire que la mine soit bien cuite. La comptabilité de trois forges du pays d’Olmes, de 1772 à 1774, montre que chaque recuit exige 35 charges de charbon (la charge est composée de 3 sacs)92. En 1774, seule une « partie de la mine » a été grillée à la forge de Queille, 3 recuits de la forge de Campredon ont demandé 25 charges chacun alors que les 12 autres ont été faits avec 35 charges l’un. La quantité de charbon de bois employée par recuit est très variable. En effet, elle change non seulement selon la forge considérée, mais encore elle se modifie dans le temps, avec une tendance marquée à l’augmentation. Ainsi, le recuit à Villeneuve exige de 35 à 49 charges. La même opération à Campredon consomme de 34 à 42 charges. Enfin, à Queille, la fourchette va de 25 à plus de 42 charges. Il est nécessaire de noter, une fois encore, la difficulté de donner une moyenne « réaliste » devant la complexité des situations particulières.
80L’impression que l’on retire de cette étude sur la consommation de charbon de bois est celle d’une grande hétérogénéité qui impose de rester au plus près de l’activité de la forge, dans la mesure où les archives, malgré leurs déficiences et limites, le permettent. La plupart du temps, au XIXe siècle, les forgeurs utilisent moins de dix sacs de charbon par feu. Dans le va-et-vient incessant qui nous conduit de l’étude de cas aux tentatives de généralisation, des consommations réelles aux calculs pour 100 de fer, il reste à donner une idée d’ensemble de la consommation de combustible végétal dans les Pyrénées ariégeoises. Dietrich indique une consommation totale de 71 800 charges (35 900 m3) pour les 23 forges du pays de Foix. En 1810, elle se porte pour l’ensemble des forges du département à 134 840 quintaux93. Les maîtres de forges de l’Ariège indiquent, à la fin des années 1820, que les 48 fourneaux à la catalane consomment environ 200 000 quintaux de charbon de bois par an94, ils exagèrent la consommation parce qu’ils en tirent argument pour s’opposer à toute autre construction d’usine. Du 1er juillet 1832 au 1er juillet 1833, 130 064 quintaux métriques ont été utilisés95. Jules François calcule que les 57 feux de forges consomment 80 195 m3. La valeur globale de la consommation de charbon de bois des Pyrénées ariégeoises permet de fixer un ordre de grandeur des quantités utilisées.
- Charbon de bois et essences d’arbres
81Il est, certes, indispensable de connaître grâce à des essais combien chaque essence d’arbre peut produire de charbon96. Mais si les charbons de toute espèce sont utilisés, la question qui se pose alors est de savoir quelle est la meilleure qualité. C’est-à-dire celle qui fera le meilleur fer et en plus grande quantité.
82Le discours savant des métallurgistes tel que l’on peut le définir à partir des traités techniques distingue le « charbon dur » et le « charbon léger ». Le premier provient de bois durs, à texture serrée. Les bois légers donnent des charbons légers. Sont considérés comme charbons durs ceux de chêne, de hêtre, de buis et de noyer, et comme charbons légers ceux de pin, de sapin, de noisetier, d’aulne, de bouleau. Les charbons d’acacia et de châtaignier se trouvent entre ces deux catégories. L’ingénieur des Mines Berthier affirme, après avoir réalisé de nombreuses expériences, que, à poids égal, le pouvoir calorifique du charbon est sensiblement le même, quelle que soit son essence97. Par contre, il est admis que « le charbon agit d’une manière directe sur la qualité du fer : le charbon de bois d’essence dure donne un fer tenace et cassant (ce qu’il ne doit pas être). Le charbon de bois d’essence de bois blanc donne un fer trop mou ». Ou encore, « les meilleures qualités de charbon… sont les essences telles que celles du chêne et du hêtre »98. Mais les ingénieurs précisent : on a soin de ménager les essences de chêne et de hêtre en les mélangeant avec du charbon d’essence plus légère comme celle du bois blanc, tremble et châtaignier. C’est ce mélange, la combinaison bien calculée des deux, qui produit le fer le plus convenable, parce qu’il se trouve ainsi n’être ni trop vif comme il arriverait si le charbon était dur, ni trop doux et trop mol comme il arriverait si tout le charbon était léger. En général le rapport des essences est de 3/5 de hêtre et chêne, donnant un charbon pesant et fort, et 2/5 de sapin, noisetier, aulne, donnant un charbon léger et doux99.
83Dans les Pyrénées ariégeoises, les forgeurs préfèrent les charbons durs aux charbons légers, dont on ne consomme au reste, selon les ingénieurs, qu’une petite quantité100. Les constatations que fait l’historien lorsqu’il étudie l’approvisionnement d’une forge rejoignent le discours des métallurgistes. Il est nécessaire de répéter encore une fois que les archives d’usine ne sont guère prolixes sur les essences charbonnées, ne livrant bien souvent que des lieux de provenance et des quantités. Des études ont été réalisées à partir des renseignements fournis par les archives et par l’anthracologie101. Quelques rares exemples peuvent être ajoutés. Au XVIIIe siècle, la forge du Carla emploie du charbon de hêtre et chêne (1774). En 1776, la forge de Niaux achète 45 charges bois de chêne et 15 charges bois d’aulne ; mêmes mélanges à la forge de Bonnac. Charbon de hêtre, charbon de sapin pour la forge d’Ascou. Les forges de la famille de Lévis-Mirepoix s’approvisionnent aussi en charbon de sapin. Enfin, en 1775, le seigneur d’Arignac dit vouloir consommer du charbon d’aulne102. Pour le XIXe siècle, lors de la demande de transfert de la forge de Mijanès à Savignac, le demandeur précise que 15 sacs de charbon résineux sont nécessaires par feu. En 1818, les maîtres de forges Pauly et Ruffié, de Foix, disent consommer par feu, le premier 9 sacs de charbon de chêne (de 105 à 110 livres le sac), mais 12 sacs de mélange (85 à 90 livres le sac), le second 10 à 11 sacs de hêtre. Ce dernier emploie aussi 15 sacs de châtaignier, 16 d’aulne et 17 à 18 de sapin103. Le maître de forges d’Urs, toujours en 1818, dit utiliser hêtre, sapin, arbres fruitiers et aulne. Les maîtres des forges de Saurat ajoutent à cette liste le chêne. En 1836, à la forge de Bélesta, on se sert principalement de sapin ; on le mélange avec du chêne. La forge de Teilhet utilise du charbon de chêne ; en 1840, elle brûle en moyenne 296 kg de charbon pour 100 kg de fer alors que de nombreuses autres forges consomment, à la même date, 30 à 40 kg de charbon de plus. Dans le projet de construction d’une forge à Léran en 1838, le charbon qu’il est prévu de consommer sera en grande partie de chêne et en partie de bouleau. Enfin, à la forge de Pamiers, dans les années 1851-1853, l’essence dominante est le chêne qui entre pour 75 %, contre 25 % pour l’orme et les bois légers104. Au XIXe siècle, à Vicdessos, le charbon est constitué par un mélange de chêne, hêtre, sapin105.
84Malgré la pauvreté des données recueillies, un certain nombre de points peuvent être avancés. En 1749, l’expert de l’arsenal de Toulon remarque qu’une partie des fers du comté de Foix est d’une qualité extrêmement douce et que l’autre est forte ; il ajoute « qu’on attribue communément cette inégalité aux différentes qualités du charbon qu’on emploie »106. Munibe précise que « la moitié du charbon employé dans les forges du Languedoc et du pays de Foix est de pin (pino), ce qui contribue beaucoup à la bonne qualité du fer. Ce charbon est bien plus léger que celui de chêne »107. Les forgeurs désignent le charbon dur du nom de « charbon fort ». Le charbon léger est dit par eux « charbon doux ». Cette distinction est essentielle parce qu’ils adaptent la conduite de la réduction à la qualité du charbon. Mais, auparavant, il est indispensable de présenter les modifications préalables que subit le bas fourneau en fonction du combustible. Vergniès Bouischère indique qu’il faut, indépendamment de la force du vent, un fourneau plus grand quand on travaille des charbons légers108. L’ingénieur des Mines Combes qui s’appuie sur ce qu’il a entendu à la forge de Gincla avance que le charbon léger (celui de pin) exige un foyer plus ouvert et une plus petite saillie de la tuyère que le charbon dur109. « Plus grand » ou « plus ouvert », si les mots ne sont pas synonymes, la réalité que les techniciens décrivent est identique. La raison qu’ils donnent à cet agrandissement est que le vent, passant plus facilement à travers le charbon léger, précipiterait la réduction si le creuset était trop petit.
85Le chargement du feu n’est pas réalisé de la même façon selon qu’il s’agit de charbon fort ou doux. La règle que les forgeurs appliquent est la suivante : charger le minerai d’autant plus loin du nez de la tuyère que le charbon est plus léger, c’est-à-dire augmenter la distance entre la tuyère et le mur de minerai. Cette pratique peut sembler paradoxale dans la mesure où les charbons doux brûlent plus rapidement que les charbons forts. En réalité, les forgeurs sont très attentifs à ne jamais attaquer un charbon léger avec un vent violent et, à l’inverse, à soutenir le vent avec un charbon dur. En effet, avec un charbon léger, un vent trop fort entraîne une combustion active près du nez de la tuyère, ce qui a pour conséquence que la réduction du minerai au contrevent se fait mal, tandis que la greillade descend trop rapidement et empâte le fond du feu. De plus, un charbon léger, attaqué trop brusquement, se divise trop rapidement sous le vent. Inversement, si le vent est trop modéré lors du travail avec du charbon fort, la combustion languit, le feu souffre sur tous les points et se refroidit. Dans tous les cas, un vent soutenu favorisant une combustion active sous le nez de la tuyère, le forgeur rapproche le minerai comme lorsqu’il travaille avec des charbons durs pour ne pas laisser ralentir la réduction à l’ore. Un chargement particulier détermine une conduite du feu différente. En effet, le charbon fort exige un vent fort pour brûler d’une manière soutenue. Il donne généralement assez peu de flamme. Le charbon doux veut au contraire un vent modéré. Il donne une longue flamme. En conséquence, avec un même vent (pression et volume), le charbon léger s’enflamme et brûle entre des limites que n’atteint pas le charbon dur dont la combustion est assez bornée sous le nez de la tuyère. C’est pourquoi, si le charbon est doux, l’escola modère le vent dans le feu élargi des porges à l’ore, retire la tuyère et augmente le recul du bourec. Par suite, « le feu mange moins de greillade ». Mais la réduction du minerai au contrevent marche plus rapidement et l’escola doit la conduire avec activité. Avec un charbon fort, il faut un vent soutenu, une tuyère avancée au feu, des dimensions modérées des porges à l’ore, et un reculement plus faible du bourec. L’escola doit alors faire raser la tuyère plus qu’avec un charbon doux. Le charbon fort supporte la greillade, et souvent les scories grasses, ce que fait rarement le charbon doux. Toutes ces actions tendent à favoriser la production de fer doux, homogène, avec le charbon doux, et de fer dur, avec le charbon fort. Pour résumer les dispositions que prennent les forgeurs quand ils travaillent avec des charbons légers et trop inflammables : ils modèrent le vent, augmentent l’orifice, le recul du bourec, avancent la tuyère au feu, tiennent cette dernière légèrement plongeante, et son œil plus ouvert et plus écrasé110.
86Les forgeurs, conscients que tous les charbons ne se valent pas, ont été parfaitement capables d’adapter leur savoir-faire au combustible dont ils disposaient. Les réalités de la forge montrent à l’évidence qu’un mélange de charbons d’essences diverses, aux proportions variables, est le plus souvent employé. Les paléométallurgistes, après s’être très fortement intéressés aux caractéristiques du minerai, orientent de plus en plus leurs recherches vers le choix du combustible. D’autre part, l’expérimentation archéologique a montré que l’on ne peut forger qu’avec du charbon de bois doux parce que l’emploi de charbon dur entraîne trop de déchets. Au-delà de la question des qualités spécifiques des différentes essences d’arbres, ces scientifiques posent aussi le problème de l’épuration du charbon de bois : les charbons résineux, par exemple, contiennent de la silice. Il s’agit, en particulier, d’éliminer le phosphore et le soufre contenus dans le charbon qui ont une influence désastreuse sur la qualité du métal.
2/ Les maîtres de forges et l’accès au charbon de bois
87Après avoir cherché à connaître avec le plus de précision possible les besoins en charbon de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises, il est nécessaire d’étudier comment les maîtres de forges se procurent le combustible indispensable à leur activité. Le lien entre la forge et le charbon de bois est la forêt. Asséner une telle évidence, c’est dire que la forge est incontestablement un élément de l’écosystème montagnard. La prise en compte de l’histoire de la forêt pyrénéenne est une donnée fondamentale pour celui qui réfléchit sur la permanence du procédé direct. Effectivement, la métallurgie directe a dû trouver et conserver sa place parmi les usages traditionnels de la forêt. La puissance de l’activité sidérurgique, sans contestation possible principale consommatrice proto-industrielle111, a rendu obligatoire une organisation de l’exploitation forestière qui prenne en compte les usages traditionnels des communautés montagnardes. Dès le Moyen Âge, il existe une étroite relation entre la création d’une législation forestière, le mode de gestion des forêts et la sidérurgie112. Avec le rattachement au royaume en 1607 lors de la réunion du domaine personnel d’Henri IV à la Couronne de France, la politique forestière comtale est relayée dans les domaniaux et les forêts royales par l’action de l’administration des Eaux et Forêts. Le réformateur Louis de Froidour est nommé à la tête de la grande maîtrise des Eaux et Forêts de Toulouse en mars 1666 par Colbert. Sa parfaite compréhension du système agro-pastoral pyrénéen le conduit à préconiser une politique forestière qui prenne en compte les spécificités des activités et des rapports des montagnards à la forêt. La législation et l’intervention de l’État, en particulier l’action concrète de l’autorité face au charbonnage, évolue. Le droit de charbonner sera plus ou moins encadré et son contrôle plus ou moins sévère. La question des conditions d’application d’une politique forestière et de l’approvisionnement en charbon de bois est récurrente jusqu’au XIXe siècle. La règle est que toutes les forges doivent disposer des forêts à charbonner correspondant à leur activité. Beaucoup ont été créées pour mettre en valeur un domaine forestier. L’arrêt du Conseil du roi du 9 août 1723 renforce le lien entre la forêt et la forge. En effet, l’autorisation de nouvelles usines et l’augmentation du nombre de feux dépendent de leurs possibilités d’approvisionnement en combustible.
- Consommation de charbon et superficie de forêts
88Le premier point qu’il est impératif d’éclaircir est le rapport entre le volume de combustible végétal consommé par une forge et la superficie de forêt nécessaire pour l’obtenir. Au début du XIXe siècle, en 1805, Dardenne écrit qu’une forge a besoin de 2 à 3 000 hectares pour son alimentation113. Dralet, conservateur des Eaux et Forêts à Toulouse, évalue à 94 hectares 50 ares, sur la base de 50 stères de bois de charbonnage à l’hectare, la superficie utilisée pour une année de travail. En fixant la révolution des coupes à 15 ans, ce sont 1 417 hectares de forêt qui sont indispensables au roulement d’une forge114. Dans les années 1820, les chiffres avancés par Dralet sont légèrement modifiés par le service des Mines. D’abord, on ne peut mettre ces bois en coupe que tous les 18 ans. Chaque éclaircie produit 50 stères de bois et 3 stères donnent 1 m3 de charbon pesant 244,75 kg (5 quintaux poids de marc), soit par stère : 81,58 kg de charbon et par hectare : 4 079 kg. Pour donner une idée de la production totale, un élève ingénieur qui justifie ses estimations par les chiffres qu’il tire de la description du département de l’Ariège, rédigée par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Mercadier en l’an IX, avance qu’une coupe annuelle de 3 433,33 hectares de forêt fournira 140 040 quintaux métriques de charbon115. Marrot ajoute : 50 stères fournissent environ 20 m3 de charbon, à cause de l’imperfection des procédés de carbonisation. D’après le poids du m3, le produit d’un hectare sera de 47 quintaux métriques de charbon, et comme une bonne forge consomme annuellement 4 700 quintaux métriques, son roulement absorbe la coupe de 100 hectares. Ces bois sont exploités tous les 18 ans ; il faut donc une étendue de 1 800 hectares pour alimenter une forge à la catalane fabriquant par an 1 580 quintaux métriques de fer116.
89Jérôme Bonhôte discute le calcul de Dralet qu’il considère surestimé. Il s’étonne de la faible productivité que le conservateur attribue aux forêts ariégeoises. Cette estimation néglige de fait les réalités géographiques (forêt de montagne et forêt de plaine) et les pratiques d’exploitation (nature du peuplement et âge de la coupe, furetage et coupe à blanc-étoc)117. La forge d’Orgeix, présentée par cet historien, offre une belle étude de cas sur la complexité du prélèvement et sur les besoins réels d’une usine de montagne. Le domaine forestier utile a une superficie de 480 hectares, il est aménagé en huit coupes. Un tiers des cépées est retiré à chaque coupe. Lorsque le système fonctionne parfaitement, les brins coupés ont 24 ans. La forge travaille grâce à son domaine forestier pendant 4 mois. Si l’on extrapole à partir de ces résultats, pour une forge qui roule 8 mois de l’année, 1 000 hectares de forêts sont nécessaires, à condition que la pratique traditionnelle du furetage soit rendue possible par un peuplement monospécifique de hêtres, ce qui est souvent le cas. Les communautés ont bien compris que ce mode d’exploitation est le mieux adapté aux contraintes écologiques des forêts de montagne. Dans le cas de peuplements mixtes, hêtre-chêne par exemple, le furetage est utilisé pour le hêtre, la coupe à blanc-étoc pour le chêne. Complication supplémentaire pour évaluer les rendements118 ! Le débat sur la productivité des forêts est déjà lancé dans les années 1820. Les hypothèses des ingénieurs des Mines, pour qui un hectare de bois produit 80 quintaux métriques en moyenne, sont jugées exagérées par les maîtres de forges qui les comparent aux 40 quintaux avancés par Dralet119. En 1871, Thiria, inspecteur des forêts à Foix, rapporte que pour produire une tonne de charbon, il faut 10,87 stères de hêtre ou 12,50 stères de chêne ou 17,86 stères de sapin. Si enfin on veut rapporter la tonne de charbon à la mesure du pays, la « pile », qui est de 3,634 stères, on voit que la tonne de charbon répond à 2,99 piles de hêtre, 3,44 piles de chêne ou 4,94 piles de sapin120. Que signifie réellement la superficie sans la connaissance précise du rendement, c’est-à-dire sans la description des peuplements et de l’état des bois121 ? Devant de telles incertitudes, Jules François adopte une position prudente : « il serait bien difficile d’établir le chiffre des possibilités annuelles des forêts de l’Ariège. Aussi je ne l’essaierai pas »122.
- Le régime de propriété de la forêt ariégeoise
90La deuxième question qui se pose dans l’étude des conditions d’approvisionnement en combustible est celle du régime de propriété des bois qui détermine la plus ou moins grande facilité à se procurer du charbon. Pour donner un exemple précis, les états de l’administration forestière indiquent que, en 1841, la forêt ariégeoise est partagée en forêts domaniales (40 828 hectares), communales (26 589 hectares) et enfin particulières (45 000 hectares). Quelques dizaines d’années plus tard, en 1871, l’Annuaire des Eaux et Forêts montre que l’État possède 57 007 hectares de forêts, les communes 18 571 hectares, et les particuliers 69 698 hectares, ce qui fait un total de 145 000 hectares environ123. Mais cette information sur le statut des forêts demeure encore insuffisante, elle doit impérativement être complétée par la description des conditions légales d’accès aux forêts et à leur exploitation. Véritable discriminant, le statut des forêts permet de dresser une typologie des forges et des maîtres de forges. D’autant que la forge à la catalane hérite de pratiques et d’autorisations nées de l’activité sidérurgique médiévale, parfaite illustration de continuité. Les registres de la Réformation des forêts matérialisent ce lien puisque certains maîtres de forges des XVIIe et XVIIIe siècles justifient leur droit de charbonner dans telle(s) forêt(s) en rappelant des inféodations ou des baux passés du XIVe au XVIe siècle. Ainsi, il est possible de mettre en évidence l’existence de trois classes de personnes qui tiennent des forges. Les premières, grâce à une concession du roi ou de ses officiers, moyennant une albergue, ont permission de prendre du bois dans les forêts royales pour le service et l’entretien de leur usine ; elles sont soit propriétaires de la forge soit fermiers ou régisseurs (facteurs). Les secondes sont des seigneurs qui, possédant des forêts plus ou moins étendues, en consument les bois dans les ateliers qu’ils ont établis dans leur voisinage ; ils gèrent eux-mêmes leur atelier ou ils ont un fermier ou un régisseur. La troisième catégorie est constituée par ceux qui ont établi une forge par concession faite par des seigneurs qui leur ont donné l’usage de leurs forêts ; ils peuvent, à l’image des deux types de maîtres de forges précédents, diriger personnellement leur usine, la donner en régie ou l’affermer. Les habitants de la vallée de Vicdessos, enfin, constituent un cas particulier puisque, grâce aux mines de fer de Rancié qui sont sur leur territoire, grâce à leur situation à la frontière du comté, ils ont obtenu des comtes de Foix, dès le XIIIe siècle, le privilège d’établir des forges et de prendre dans les forêts du bailliage tout le bois nécessaire à leur entretien124. Ces quatre types de maîtres de forges avaient déjà été reconnus par de Froidour en 1669125.
91Quel que soit son statut personnel, celui qui désire construire une « bouche à feu » doit obligatoirement, à partir de l’arrêt du 9 août 1723, obtenir du roi des lettres patentes qui sont accordées après avis des Eaux et Forêts sur ses moyens en combustible. Le baron de Queille adresse une requête à l’intendant de Languedoc pour être autorisé à continuer les travaux d’établissement d’une forge à Queille. Malgré l’avis favorable donné par l’intendant, le baron doit attendre les lettres patentes accordées par Louis XV, le 7 décembre 1723, « afin de pouvoir consommer le charbon produit par ses bois », pour faire reprendre les travaux126. Le marquis de Bonnac demande, en 1749, la permission de construire une forge dans sa terre parce que le marquisat de Bonnac comprend environ 500 arpents de bois taillis essence de chêne ; il n’a d’autres ressources que de les faire exploiter en charbon127. La forge de Manses est permise en 1753. Une première demande avait été faite en 1729. Le marquis désire faire valoir ses bois « qui étaient vieux et se dépérissaient entièrement, qu’il y avait d’ailleurs du taillis dans les bois, dont on ne pouvait faire aucune consommation, de sorte qu’il n’y avait d’autre moyen de les faire valoir que l’établissement d’une forge ». Ces considérations sont reprises textuellement en 1753128. Un expert, estimateur près du tribunal civil de la Seine, donne à la forêt de Bélène une contenance de 511 ha 28 a 35129. En 1825, encore, la majeure partie du charbon qui l’alimente provient de la forêt de Manses qui appartient comme la forge au marquis de Portes130. Dans le Couserans, la forge neuve d’Oust reçoit ses lettres patentes le 15 août 1764. M. de Polignac veut utiliser ses bois de Sentenac pour cette forge131. Par contre, la forge de Rouze, « sur la communauté de Seix », est construite par M. de Roquemaurel sans permission vers 1756132. Le seigneur d’Arignac sollicite, en 1775, l’autorisation de reconstruire une forge sur son domaine. Il s’est depuis longtemps préoccupé de l’approvisionnement en charbon, « il a ajouté aux bois considérables qui lui appartiennent (terres de Terraube, Arignac, Crampagnac, Bompas) sur les lieux une grande quantité d’autres soit en repeuplant beaucoup de plans rames et vergues qui ne formaient plus que des bruyères soit en faisant de nouveaux ensemencements que le sol excellent pour ce genre de production ayant fécondé ses travaux et ses soins il touche au moment d’en recueillir le fruit ». Bien que la permission ait été accordée, l’usine ne sera pas érigée133. Dix des usines autorisées sont créées pour mettre en valeur le domaine forestier du demandeur, c’est du moins l’intention mise en avant. Le refus d’autorisation est toujours justifié par la difficulté que l’aspirant maître de forges aurait à se procurer le combustible. En 1741, un certain Lafont, de Foix, a le projet d’ériger une forge aux environs de la ville ; le lieutenant de la maîtrise particulière des Eaux et Forêts de Foix constate l’opposition des communautés voisines « à cause de la rareté des bois ». Le demandeur n’obtiendra pas l’autorisation. M. de Montgailhard demande, en 1745, la permission de reconstruire la forge qui était autrefois sur sa terre. Il se voit opposer un refus parce que « n’ayant point de forêt à lui »134.
- Le bail de location de la forge et des forêts
92Forge déjà ancienne ou usine récemment construite, le bail qui lie leur propriétaire à un fermier comporte toujours des clauses qui concernent la dotation en combustible. Elle se présente sous forme d’affouage attribué chaque année par le propriétaire : soit une quantité de charbon de bois avec l’indication de la superficie et de la localisation de la forêt ou de la partie de forêt où elle sera fabriquée, soit plus simplement une superficie de forêt135. C’est encore une clause du bail qui fixe le prix et les conditions d’exploitation, conformément aux dispositions des Eaux et Forêts et sous la surveillance des agents du bailleur. Parfois, peu de détails ont été conservés. Ainsi, en 1709, l’afferme de la forge de Canadelle mentionne la possibilité de prendre bois ou charbon de la forêt de Rivèrenert « pour le service et pour faire le travail de la forge »136. Le fermier de la forge du Castelet exerce un contrôle très strict de l’affouage pour 15 ans137. D’autres fois, nous sommes mieux renseignés : selon le bail signé le 5 octobre 1744, le fermier de la forge de Queille peut faire couper le bois qui lui sera nécessaire pour faire cuire la mine « aux arbres dépendant des biens de la terre de Queille à l’exception des chênes »138. Dans les contrats d’afferme des forges et montagnes du marquisat de Mirepoix qui ont été signés avant l’année 1753, il était fourni au fermier pour l’affouage des forges de Villeneuve et de Barthalé 5 000 charges de charbon par année à prendre « des arbres impropres sur la forêt de l’Agré complantée en sapin », la ferme se montait à 17 000 livres139. Dans les années 1770, le marquis de Gudanes, propriétaire de trois forges dans la vallée de l’Aston, s’est arrangé avec les fermiers de ses terres pour la fourniture du combustible nécessaire à ses usines. Il leur livre tout le bois nécessaire pour 2, moyennant 10 livres par feu, et pour la troisième, il demande seulement 40 sols par feu parce que, dans ce cas, il ne fournit pas de bois. Il apparaît à la lecture des conventions passées pour ce dernier atelier que le marquis et les fermiers partagent le profit140. Propriétaires et fermiers sont également intéressés à la conservation des bois. Dans certains cas, cependant, le régisseur ou le fermier ne s’en préoccupe guère. En effet, si la forge rend beaucoup pendant une régie, on félicite le régisseur à qui il importe peu, sa régie finie, que les bois soient épuisés et que l’usine chôme pendant un certain temps. Le propriétaire lui a souvent accordé des gratifications extraordinaires à raison d’un produit extraordinaire, il est satisfait. Un fermier peut être encore pire. Comme il travaille pour son propre compte, plus il peut faire produire à la forge pendant son bail, plus il en tire de profit. Le bail à venir ne l’intéresse pas, au contraire, il est de son avantage de bien épuiser les bois afin d’obtenir une diminution qui lui fasse un double profit.
- L’exemple de la forge de Manses (1775-1811)
93Par bonheur, nous avons conservé la série complète des baux de la forge de Manses pour la période qui va de 1775 à 1811141. Une étude attentive des clauses de ces différents contrats montre que certaines d’entre elles se retrouvent de l’un à l’autre alors qu’une évolution est perceptible pour d’autres. Le premier bail est signé le 13 avril 1775 pour 9 années à partir du 1er janvier 1779 ; il finira le 1er janvier 1788. Puis, le 26 octobre 1783, pour 8 ans, de 1788 à 1796 ; le 3 janvier 1792, pour 4 ans, de 1792 à 1795. Bail du 29 décembre 1794 (9 nivôse an III), pour 8 ans, de 1796 à 1803. Bail du 18 avril 1802 (26 germinal an X), pour 9 ans, de 1804 à 1812, et enfin, bail du 27 septembre 1811, pour 8 ans, de 1813 à 1820. La durée du contrat est donc généralement de 9 ou 8 années, sauf pendant la période révolutionnaire où le bail signé en 1783 pour la période 1788-1796 n’arrive pas à son terme puisque, le 3 janvier 1792, soit 4 années avant la date prévue, un autre contrat est passé pour 4 années, de 1792 à 1795. Faut-il y voir une conséquence de l’incertitude des temps ? D’autant que de nouveaux fermiers apparaissent.
94La partie de la forêt affermée est soigneusement délimitée, un chemin fréquenté sert de limite facilement repérable, constituant deux ensembles bien individualisés. Toutes les portions des bois cédées se trouvent, selon les baux, tantôt à gauche du chemin, tantôt à droite. Quant à la portion de la forêt réservée au marquis, elle est toujours indiquée. Les autres confronts sont précisés. Le 12 mars 1772, le marquis de Portes et le marquis de Mirepoix avaient procédé, devant notaire, à l’échange de 56 arpents de forêt de Mirepoix encastrés dans la forêt de La Bélène, appartenant au marquis de Portes et de 56 arpents de Portes joignant un bois de Mirepoix. Un arpenteur est chargé de placer des bornes gravées aux initiales de l’un et de l’autre pour marquer les nouvelles limites de propriété qui en rendent le contrôle plus facile. À partir de 1792, le fermier doit prendre en charge la surveillance de la partie de la forêt qui lui a été baillée. Les conditions d’exploitation sont fixées avec précision pour permettre une bonne gestion : le fermier, tout d’abord, est tenu de suivre les ordonnances des Eaux et Forêts qui fixent les règles et les méthodes d’exploitation. Il doit, ensuite, pour permettre une bonne rotation des bois, couper chaque année au moins le neuvième ou le huitième des bois cédés ; il est libre d’en abattre plus d’un neuvième ou d’un huitième selon la durée du bail, 9 ou 8 années. S’il lui est interdit de retarder les coupes, il est autorisé à les anticiper mais pas au delà d’une. Au début de chaque campagne, le fermier doit appeler les gardes du marquis. La coupe de l’année doit être finie le 15 avril ou, dans tous les cas, dans le temps prescrit par les ordonnances. Les baux dévoilent ainsi un système de coupes réglées. Dans le bail passé en 1802 qui doit commencer au 1er janvier 1804, le nouveau fermier, Jean Ruffié fils, négociant habitant Toulouse et propriétaire de la forge de Foix, peut néanmoins commencer de couper le bois affermé au 15 septembre 1803, bien que le bail en cours ne soit pas arrivé à terme. De même, le contrat signé en 1811 qui sera effectif le 1er janvier 1813 prévoit que le nouveau fermier pourra commencer à couper le bois au 15 septembre 1812. Ces clauses exceptionnelles correspondent logiquement à un désir de bonne gestion : le nouveau fermier doit déjà disposer de son approvisionnement en combustible pour commencer à faire travailler la forge dès les premiers jours de son bail.
95L’avenir de la forêt est préservé grâce à l’aménagement de la coupe : il est interdit de couper les baliveaux anciens de belle venue. La seule exception présente dans le bail est celle faite pour des baliveaux de hêtre propres à faire des manches de mail ou de martinet, à charge par le fermier de les faire marquer par les gardes du marquis avant de les abattre. Et encore sous la réserve supplémentaire que le fermier ne les prendra qu’à mesure qu’il en aura besoin et à condition qu’il s’en trouve dans la coupe de l’année. S’il est obligé de les prendre dans d’autres parties de la forêt affermée, il devra impérativement choisir des arbres qui poussent sur le bord des chemins pour ne pas abîmer les remises. Il est impératif de laisser les jeunes baliveaux de la plus belle venue que les gardes du seigneur auront marqués. Anciens ou jeunes, le fermier en laissera toujours quelques uns de plus que le nombre porté par les ordonnances. Ainsi, le taillis a la possibilité de croître en futaie. D’autant que le fermier, après avoir fait couper « ras et bas », doit laisser place nette à chaque coupe et faire « déblayer les épines et broussailles et autres arbustes inutiles, et non propres au charbon, et qui pourraient occuper les terrains ». Ce nettoyage de la coupe ne peut que faciliter la croissance des jeunes arbres. Les « branches, broussailles et dépouilles » appartiennent au fermier jusqu’au bail signé en 1783 et qui doit commencer en 1788, dont une clause prévoit que le tiers de ces broussailles sera distribué annuellement par les gardes du marquis aux habitants de la terre de Portes, à l’époque fixée par le fermier. Puis, à partir de 1792, le seigneur s’en réserve la totalité, à l’exception de celles qui sont indispensables à l’usage du fermier ; signe de l’augmentation du prix du bois de chauffage. L’application rigoureuse de ces dispositions est contrôlée par le marquis de Portes qui fait vérifier par ses gardes les coupes avant qu’elles ne soient commencées et lorsqu’elles ont été faites. Leur travail de surveillance est renforcé à partir du 1er janvier 1788. Le fermier doit, enfin, faire creuser et nettoyer les fossés qui séparent la forêt du marquis de Portes des bois appartenant à différents particuliers.
96Le charbonnage se fait non seulement aux frais et dépens du fermier, mais encore il est étroitement contrôlé. Seules les anciennes places de charbonnières doivent être utilisées. Pour créer de nouveaux emplacements, la permission expresse du marquis est obligatoire. De plus, les charbonnières ne peuvent être dressées que dans la partie de forêt affermée, rendant ainsi plus difficile l’utilisation de bois pris frauduleusement. Ces mesures facilitent la surveillance du travail des charbonniers. Les transports et charrois, aux frais du fermier, sont faits obligatoirement à dos de chevaux, mulets ou ânes, jamais avec des charrettes.
97Si l’on excepte le bail signé en 1775 qui comprend, outre la forge, le martinet et la partie de forêt indispensable à son roulement, 2 moulins à eaux, 3 moulins à vent, une tuilerie et de nombreuses métairies, pour la valeur de 24 000 livres chaque année, les cinq autres baux intéressent seulement les usines sidérurgiques et les bois. Une comparaison devient alors possible. La somme due, chaque année, est en augmentation constante d’un bail à l’autre. Cette hausse est uniquement interrompue par l’intermède des quatre années qui vont de 1792 à 1795, pendant lesquelles le montant se porte à 10 000 livres et à seulement 8 000 livres pour 1792 parce que cette première année est déjà entamée lors de la signature du nouveau contrat. Le montant de l’afferme est de 11 000 livres en 1783, de 12 000 livres en 1794, de 16 000 francs en 1802, et enfin de 17 000 francs en 1811. À partir du bail passé en 1792, des paiements en nature viennent s’ajouter dont 24 piles de bois portées chaque 1er janvier et rangées en bûcher dans la cours du château ; 12 charges de charbon de bois, rendues au fur et à mesure que le marquis le demandera ; 9 quintaux de fer de la qualité voulue par le seigneur, brut, paré ou chevillé. En 1802, toujours 24 piles de bois ou 10 francs par pile non demandée par le marquis et 12 charges de charbon ou 6 francs par charge non prise, mais seulement 5 quintaux de fer. En 1811, 18 piles de bois ou 36 stères ou 10 francs par pile ; 6 charges de charbon ou 6 francs par charge et 10 quintaux ou 400 kg de fer. L’augmentation de la valeur en argent de l’afferme, d’un bail à l’autre, est une façon pour le propriétaire de profiter de la hausse du bois, puisqu’il semble que la superficie affermée d’un bail à l’autre soit approximativement la même. De plus, il se réserve une part croissante des ressources en bois non charbonnable. Les réévaluations opérées lors du renouvellement du bail compensent avec retard cette moins-value.
98Dans certains cas, ce n’est pas le bailleur qui supporte la perte de revenu, mais bien le fermier. Le fermier de la forge d’Ascou prétend que « faute de bois, elle [l’afferme] diminuera de moitié au premier bail »142. Le subdélégué Simorre atteste, le 9 février 1758, de « l’insuffisance des forêts du marquisat de Mirepoix pour la fourniture de 7 000 charges de charbon » comme le prévoyaient les contrats des fermiers des forges de Villeneuve et de Barthalé. Il est par conséquent nécessaire de réduire la ferme, qui est de 21 000 livres, à 17 000 livres143. Quoi qu’il en soit, le prix de l’affouage semble plus avantageux pour le fermier que le prix du marché, d’autant qu’il est bloqué pour la durée du bail.
- Les affectations des Eaux et Forêts
99L’administration des Eaux et Forêts peut attribuer des forêts aux maîtres de forges. Ainsi, en vertu d’un arrêt du conseil d’État de 1781 qui « cantonne » M. de Pointis, propriétaire de la forge d’Ustou, le maître particulier de la maîtrise de Saint-Gaudens lui a adjugé par sentence en interprétation de cet arrêt le tiers des bois de la vallée d’Ustou. Il existe un dernier mode d’attribution : l’affectation, droit que reçoit le constructeur d’une forge d’exploiter une superficie donnée dans les forêts domaniales. Ce droit peut être illimité, c’est-à-dire cesser avec l’usine, ou comporter un terme. Les forges de Mijanès et d’Engomer ont reçu ce privilège lors de leur permission. Le marquis d’Usson est autorisé à construire deux forges dans le Donnezan par un arrêt du Conseil d’État du 26 mai 1714 (lettres patentes du 29 mars 1715). Un autre arrêt du conseil du roi du 28 mars 1719 lui accorde une coupe annuelle de 800 piles de bois dans la forêt royale des Ares pour l’affouage de la forge de Mijanès. Le contrat de vente de cette forge devenue bien national, avec son « droit aux bois » (souligné deux fois dans l’acte de vente du 30 messidor an IV), stipule que cet affouage est fait « pour un temps indéfini »144. Lors de l’estimation des biens d’Élisabeth d’Usson en l’an III, le grand avantage de bénéficier d’une telle dotation de bois est balancé par « la mauvaise qualité des charbons qui ne peuvent être que de bois de sapin et de pin, le bois blanc étant très insuffisant pour fournir les 800 piles qui y sont affectées », belle illustration du fait que la quantité de bois ou la superficie de forêt ne suffisent pas, mais qu’elles doivent toujours être corrélées avec l’état de la forêt145. Autre rare exemple d’affectation, le décret impérial du 21 octobre 1808 qui autorise la construction d’un haut fourneau et d’une forge à la catalane à Engomer, accorde, en même temps, la concession de diverses forêts dans le Castillonnais, une coupe annuelle de 220 hectares, pendant 25 ans, pour leur roulement. En 1812, cette concession est évaluée à 150 000 francs146. Il est intéressant de rappeler que le conservateur des Eaux et Forêts Dralet est à l’origine de ce projet et que son but est de tirer profit des forêts du Couserans.
100Force est de constater que les forêts personnelles du propriétaire d’une forge sont insuffisantes, que l’affouage de l’usine est incapable de couvrir ses besoins. La recherche de combustible supplémentaire appelle invariablement la même réponse : la diversification des sources d’approvisionnement. D’abord par l’acquisition de forêts quand cela est possible, souvent lointaines, jusqu’en Espagne ; puis par l’achat de coupes. Mais le moyen le plus utilisé est sans conteste l’achat de charbon. Ce recours au commerce a pour but de s’assurer un approvisionnement régulier et sûr, à un coût le moins élevé possible. Il ne faut pas oublier que le prix du charbon est plus élevé que celui du minerai. La principale caractéristique est la complexité des moyens mis en œuvre pour se procurer le charbon indispensable au roulement de la forge.
- Le cas particulier de Vicdessos : l’échange (xive-fin xviiie siècle)
101Les hommes du fer de Vicdessos ont réalisé, très tôt, un troc minerai de fer contre bois et charbon du Couserans forestier voisin, l’échange, exceptionnel dans les Pyrénées. Il a été souvent décrit. Picot de Lapeyrouse en dresse un tableau saisissant : « Jamais elles [les forêts de Vicdessos] n’ont pu fournir aux cinq forges l’aliment qui leur est nécessaire… Ce fut sans doute cette puissante considération qui détermina en 1347 le traité d’échange… La succession des temps a sans doute amené des révolutions qui pourraient permettre aux propriétaires des forêts du Couserans de faire un usage différent de leur bois. Mais outre qu’ils sont libres de cesser le travail de leurs forges, comment pourraient-ils vouloir, après un titre aussi solennel que le traité d’échange de 1347, après une exécution paisible et confiante de ce traité pendant plus de cinq siècles ; comment oseraient-ils prétendre à obtenir la résiliation de ce traité ? Cependant quelques particuliers la sollicitent au Conseil du Roi »147. Le décor est planté, les personnages sont présentés, mais Picot est-il parfaitement objectif ?
102L’origine médiévale de l’échange est une parfaite illustration de la permanence des structures de la sidérurgie ariégeoise. En 1347-1348, à l’issue de négociations difficiles, le comte de Foix, la communauté de Vicdessos et le vicomte de Couserans signent un traité : l’acheminement, par les ports de Suc et de Saleix, de charbon de bois mais également de fûts entre les vallées de Massat et d’Ercé et celle de Vicdessos qui, en contrepartie, alimente en minerai de Rancié les moulines du Couserans. Cet échange pose le problème de l’interprétation des sources puisqu’on ne dispose que d’un original, très dégradé et de copies tardives datées du XVIIIe siècle. Dans les textes modernes, conservés par Vicdessos, l’accord apparaît à l’avantage exclusif des détenteurs de la mine. Cependant, les quelques extraits déchiffrables de l’original laissent supposer que les conditions émises par le Couserans pour l’exploitation de ses forêts n’étaient pas si modérées. Incontestablement, les copies du XVIIIe siècle ont falsifié les dispositions originelles. L’accord de 1347-1348 doit être interprété plus comme « une mesure conservatoire anticipée du couvert forestier » que comme une réponse « à un processus de dégradation déjà avancé »148.
103L’étude de la naissance de ce traité conduit au coeur du XVIIIe siècle. Elle nous pousse à nous demander quel est l’état des forêts de la vallée aux XVIIe et XVIIIe siècles et à chercher dans quelle mesure leur situation explique la crispation de Vicdessos sur les clauses de cet échange et leur durcissement jusqu’au recours à un faux par omission. Une forêt encore importante subsiste dans la deuxième partie du XVIIe siècle, preuve que la crise forestière n’a pas été aussi absolue que le décrit l’historiographie locale149. Et pourtant, les bois des hautes vallées avaient alimenté à la fin du XVIe siècle l’essor sidérurgique que connaît le haut Sabarthès150. Les forges se cantonnent désormais dans la basse vallée, leur nombre (de 5 à 6) ne varie guère du XVIIe au XIXe siècle. Cet espace forestier est en crise au cours du XVIIIesiècle parce que l’intensité des prélèvements dépasse les possibilités de renouvellement des ressources écologiques. Preuve en est les décisions prises par la communauté de Vicdessos : à la mise en défens s’ajoutent dès les années 1720 d’autres mesures de conservation. De sévères réglementations régissent le charbonnage. Simple restriction dans un premier temps (il n’est plus possible de charbonner dans certains bois, pas seulement dans les sapinières, mais aussi dans les hêtraies) qui se transforme en 1740, pour la première fois, en une interdiction totale de charbonner sur l’ensemble du territoire. Cette interdiction semble avoir été respectée, peu de délits sont relevés et Picot de Lapeyrouse le confirme lorsqu’il écrit que cela fait plus de 30 ans que l’on ne charbonne plus dans les bois du consulat de Vicdessos. Il signale aussi qu’il ne reste à la communauté de Vicdessos, outre les bois réservés aux mines, qu’environ 100 arpents en futaie de sapin et de hêtre, réservés pour les bâtiments151.
104Il semble logique d’attendre le XVIIIe siècle pour décrire en détails les clauses de l’échange, dans la mesure où les sources nous renseignent, avant tout, sur la situation à cette époque. Les maîtres de forges couserannais se sont engagés à fournir « 2 sacs de charbon de 6 pans de hauteur sur 2 de diamètre » contre 122 livres de minerai de fer, à payer une prime de 6 sols en argent aux voituriers pour les 30 livres qu’ils apportent en plus, soit un total de 152 livres de mine ; c’est-à-dire que l’on échange environ 80 kg de charbon contre environ 60 kg de minerai152. Le traité est devenu très avantageux pour Vicdessos qui dispose ainsi d’une source d’approvisionnement en charbon sûre et régulière, à un prix intéressant et maîtrisé, tout en conservant le contrôle d’un concurrent grâce aux quantités de minerai qu’il exporte, au prix qu’il fixe. Pour une forge qui participe à l’échange (charbon nécessaire à l’achat du minerai, plus celui indispensable à la réduction), le nombre de sacs de charbon par feu est de 29 sacs au lieu des 13 ou 14, au maximum, qui suffisent à une forge qui achète le minerai. Le nombre de sacs peut même se porter à 33 si l’on suit Vergniès, maire de Vicdessos, qui répond à une question sur le coût de ce traité pour un Couserannais : « pour l’échange de la mine, il faut 16 sacs et 4 sacs environ pour le déchet, soit 20 sacs. Pour le travail du feu, il faut 13 sacs, soit au total 33 sacs »153. L’échange exige une dépense supplémentaire en charbon de 120 à 135 % du combustible nécessaire au roulement de la forge. Les forges du Couserans ne disposent pas de magasins à charbon suffisamment vastes pour entreposer les grandes quantités de combustible destiné à Vicdessos. Là est l’origine d’une fraude sur une vaste échelle : les voituriers de Vicdessos chargent les sacs de charbon directement dans les forêts, ce qui rend le contrôle très difficile pour les Couserannais. Les voituriers en prennent autant qu’ils veulent. Cette fraude est quasiment impossible à empêcher, d’autant plus que tous les litiges concernant l’échange sont jugés par les consuls de Vicdessos qui sont ainsi juges et parties ! Cette clause du traité est considérée comme « singulière » par Dietrich.
105Une dernière comparaison permet de prendre la véritable mesure du problème pour le Couserans, non plus seulement du point de vue du prélèvement sur les forêts et des conséquences sur leur état, mais en considérant l’aspect financier : le quintal de minerai obtenu par la voie de l’échange revient à 60 sols à la forge d’Ercé alors qu’il ne coûte que 36 sols à la forge de Canadèlle (Boussenac), située à peu près à la même distance de Rancié, mais qui achète son minerai à Tarascon. Il faut environ 50 charbonniers pour avoir de quoi faire travailler une forge toute l’année en faisant l’échange, à condition bien sûr que l’on trouve « bon bois ». L’échange ne peut se faire au printemps et à l’automne car les jours sont courts et les chemins mauvais ; il nécessite une voiture de 24 mulets154. Pourtant, 300 mulets conduits par 150 personnes sortent tous les jours de Vicdessos pendant 9 mois de l’année, traversent la montagne par les ports de Suc et de Saleix pour se rendre dans le Couserans. Ils rapportent 12 000 charges de charbon qui servent à alimenter les 6 forges de la vallée (dans les années 1780)155. En 1772, lors des inondations de septembre, une charbonnière pleine de combustible a été submergée, la perte est estimée à 4 000 livres156. Les deux magasins de la forge de Laprade contiennent assez de charbon pour faire aller la forge pendant huit mois, étant donné qu’il s’emploie ordinairement 5 000 charges de charbon tous les ans, chaque charge coûte 8 livres rendue aux forges de cette vallée, 3 667 charges valent 29 236 livres157. Ces exemples donnent une idée des quantités de charbon présentes dans les charbonnières des forges de Vicdessos et de l’importance des flux, même si rien ne garantit que la totalité de ce combustible provienne uniquement de l’échange puisque la vallée procède à des achats dans d’autres régions.
106Cet accord devient de plus en plus ruineux pour le Couserans. La crispation des hommes de Vicdessos pour obtenir un respect scrupuleux des clauses de l’échange, telles du moins qu’elles apparaissent dans les documents qu’ils présentent, s’explique par la gravité de la crise forestière que connaît alors la vallée. La mauvaise volonté croissante du Couserans, née de la dureté des conditions de ce troc, ne se trouve-t-elle pas renforcée par une dégradation des forêts, devenues incapables de supporter le poids du traité ? En 1762, les consuls de Vicdessos constatent que « les bois qui étaient le plus à portée de la vallée sont actuellement épuisés, les propriétaires ou fermiers des forges du dit Couserans ont été obligés de faire charbonner des bois plus écartés en sorte qu’ayant un plus long trajet à faire une grande partie des voituriers se contentent d’aller prendre de la mine et de la vendre », sans rapporter du charbon158. Il s’en suivrait un manque de bois qui entraînerait le chômage des forges de la vallée minière. Lors d’une délibération sur l’échange, le 25 février 1771, la communauté de Vicdessos rappelle : « tant que les charbons du Couserans furent abondants et à portée, l’échange se fit sans trouble par les habitants de cette vallée ; mais lorsque les charbons devinrent plus rares et qu’il fallut départir la mine dans les forges les plus éloignées comme dans celles qui étaient plus près, il fut nécessaire d’établir une règle »159. Ne pourrait-on pas voir dans cette nécessité « d’établir une règle » un timide aveu ? Il est difficile de savoir si l’épuisement des ressources forestières est réel ou s’il est le fruit d’une pénurie organisée de la part de personnes de plus en plus réticentes à un échange bien défavorable à cette époque. De très rares études ont été réalisées sur l’histoire forestière du Couserans, recherches rendues difficiles parce que les bois sont essentiellement entre les mains des seigneurs et des communautés. L’arpenteur envoyé par de Froidour pour dresser l’état de la forêt d’Aulus, au mois d’août 1669, se voit interdire d’y pénétrer par le consul de la communauté qui refuse de lui en indiquer les limites. Il peut malgré tout rendre compte dans son procès-verbal du mauvais état de la forêt de hêtre dont une partie est de haute futaie et une autre « abougri et abrouti », et des peuplements de sapin dans lesquels, enfin, « il y a diverses dégradations » selon les renseignements fournis par des pasteurs. Seule la vallée de Seix est « l’unique lieu du Couserans où le roy ayt des forests dans lesquelles les habitants de ce lieu ont droit d’usage »160.
107D’autre part, ce traité rend très aigus les conflits entre maîtres de forges et communautés montagnardes, comme à Ustou, à Oust et à Couflens. Et pourtant, dans son désir de se libérer de l’échange, vers 1786, le comte de Chambors propose aux communautés un arrangement pour couper court aux abus : elles seraient chargées de faire faire le charbon, surveilleraient les charbonniers qu’elles payeraient. Si cet arrangement était accepté, le plus grand obstacle à l’approvisionnement de sa forge serait le transport des charbons « parce que M. de Chambors est désolé de ne plus employer les voituriers de Vicdessos, ne voulant plus absolument faire l’échange ». Une autre remarque éclaire sur les tensions qui existent dans le Couserans : en 1728, la communauté d’Aulus fait un procès au fermier des forges d’Aulus et d’Ercé qui appartiennent au comte d’Ercé. Les charbonniers du fermier commettent « depuis cinq ans » tant de dégâts que la communauté souffre de préjudices irréparables. En 1759, les consuls de Vicdessos se plaignent que « le ferrier d’Aulus arrête journellement notre voiture pour la forcer à décharger à la forge la mine qui est destinée pour les autres forges »161. Il doit s’agir pour lui d’un moyen de continuer à faire travailler sa forge malgré l’état déplorable de ses bois. La forge d’Aulus ne travaille plus depuis deux ans en 1786 et elle est délabrée. Le comte d’Ercé, son propriétaire, possède aussi les forêts de cette paroisse. Il serait donc libre de prendre les charbons là où il y en aurait « si ces forêts n’étaient pas trop épuisées pour pouvoir suffire à la dépense énorme de charbons qu’exige l’échange »162.
- La contestation de l’échange par les maîtres de forges du Couserans
108Le synchronisme entre les tensions perceptibles dans l’application de l’échange, alors qu’il semble s’être déroulé sans trop d’à-coups jusque là, et la véritable crise forestière que connaît la vallée au milieu du siècle, ne peut être un hasard. Une hausse excessive de la demande exigée par Vicdessos est vraisemblablement à l’origine de l’action du Couserans qui cherche à se libérer, dès 1720, de ce carcan qui ruine ses forêts. Les seigneurs de Massat et d’Ercé refusent de continuer l’échange parce qu’ils craignent de se trouver dépourvus de bois. L’affaire est portée devant l’intendant de Roussillon qui rend un jugement favorable à la vallée de Vicdessos (1722). La communauté minière justifie ses prétentions par le traité de 1347. On peut, sans trop d’incertitude, émettre l’hypothèse selon laquelle c’est dans ce contexte que le document original a été manipulé. Ce faux était d’autant plus facile à imposer qu’à l’époque les archives du Couserans étaient déjà en partie dispersées. Manquant de charbon de bois, voulant s’en procurer aux conditions les moins onéreuses possibles, Vicdessos s’attache à l’application la plus stricte de ce traité d’autant que, dans les années 1740, une crise de mévente des fers du comté de Foix vient s’ajouter à la crise forestière. Sans entrer dans le détail des très nombreuses procédures entamées par les maîtres de forges couserannais pendant tout le siècle, citons la nouvelle tentative du comte de Sabran qui fut de nouveau débouté par le conseil, en 1742. Ou encore l’action de la famille de Polignac qui intervient auprès de l’intendance de Perpignan, le 18 décembre 1777, pour qu’elle l’appuie dans son différend avec Vergniès à propos de l’échange de la mine163. Les arrêts du conseil d’État du 16 mai 1780 et du 13 février 1781 qui figurent sur les cahiers de doléances, donnent à Mme de Montgrenier, propriétaire de la forge d’Arbas dans le Comminges, et à M. de Sabran, propriétaire de la forge de Lispartens au Port, le droit d’acheter le minerai à prix d’argent et, par conséquent, les libèrent de l’échange. Un jugement du 11 avril 1783 de la subdélégation de Saint-Girons, intendance d’Auch, autorise, au nom de la liberté du commerce, Mme de Montgrenier à construire des magasins pour la mine à Massat164. Les consuls de Vicdessos qui redoutent que ces décisions fassent jurisprudence, forts du soutien des États de Foix, ne se résignent pas et contre-attaquent en faisant appel. Les cahiers de doléances témoignent parfaitement des deux positions inconciliables, le Couserans veut consolider son avantage et rendre définitifs les arrêts, alors que le pays de Foix demande leur révocation et le retour aux conditions de 1347. Les rédacteurs des cahiers du Couserans se placent dans la logique du libéralisme économique, « la liberté est l’âme du commerce ». L’échange « obligatoire et involontaire » doit être supprimé. Les maîtres de forges du Couserans achèteront le minerai « à prix d’argent », ceux de Vicdessos feront de même pour le charbon de bois165. Pour le Vicdessos, les cahiers de doléances sont la simple continuité des procédures judiciaires déjà engagées, une possibilité supplémentaire de faire annuler les arrêts qui leur sont défavorables. Le texte de l’article 11 du cahier en est la preuve : pas de pétition de principe, mais le simple rappel de l’ancienneté de cet usage et une démarche très chicanière, assez inattendue dans un cahier de doléances, « les députés de la province fourniront les pièces qui autorisent cette révocation », pas question bien évidemment d’en appeler au libéralisme166.
- La résistance des maîtres de forges de Vicdessos
109L’appel des décisions de justice qui leur sont défavorables n’est pas la seule action engagée par les hommes de Vicdessos pour continuer à imposer au Couserans l’échange. C’est que le milieu du XVIIIe siècle connaît une véritable crise forestière, la métallurgie n’est plus une activité florissante. Quatre ou cinq forges se maintiennent tant bien que mal dans la vallée grâce à la présence de la mine de Rancié qui constitue une chance pour accéder au charbon de bois non seulement du Couserans, mais aussi d’autres parties des Pyrénées ariégeoises. Les notables de Vicdessos s’accrochent bec et ongles à l’application la plus stricte du traité, quitte à tricher : l’ingénieur des Ponts et Chaussées Mercadier considère qu’il est possible que la longueur de la canne (à Vicdessos, la canne se trouve plus grande que dans tout autre endroit du comté de Foix) ait été instaurée pour rendre la charge de charbon plus forte. Mais, ajoute-t-il, on ne s’en est pas tenu là, « comme dans ce pays il y a beaucoup de forges et point de bois, que le charbon qu’on y porte de fort loin y est très cher et qu’on y en est fort avide, on a imaginé de faire vider les sacs dans des parsous dont la capacité, comme nous l’avons vu, est supérieure à celle des forges extérieures à la vallée »167. Mais encore les consuls imposent l’échange aux forges récemment érigées dans le Couserans. Les représentants de Mlle de Polignac, propriétaire mineure de la Forge neuve d’Oust qui est encore en construction, passent, le 12 octobre 1774, un contrat d’échange avec les habitants de Vicdessos168. Les notables de Vicdessos cherchent, enfin, dans le même temps, à étendre l’échange à d’autres vallées. Ainsi, en 1770, le marquis de Bonnac et la communauté signent une convention pour troquer le charbon de Mijanès et le minerai de Vicdessos (31 mars 1770)169.
110Dernier moyen d’imposer le maintien de l’échange : garder la maîtrise du minerai grâce à l’appui des États de Foix qui prennent le parti de la vallée, comme de bien entendu, a-t-on envie d’ajouter. Pour cela, la communauté de Vicdessos obtient d’eux que les syndics soient « chargés de veiller qu’on ne fasse pas des entrepôts de mine » à Vicdessos, à Saurat et dans le Couserans parce que ces magasins permettent de tourner les dispositions de l’échange (procès-verbal du 19 mai 1756). La requête s’élargit en 1778, les syndics des États de Foix doivent « être chargés de veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux privilèges de cette vallée et à ce que les propriétaires des forges du Couserans ne puissent prendre de la mine de Sem que par l’échange du charbon ». Avec ces mesures d’ordre général, la communauté demande aux États de prendre des décisions concernant des individus. Le seigneur de Niaux est particulièrement visé. La position de sa forge à l’aval de la vallée lui permet « d’arrêter la mine » et d’obliger les voituriers à aller à Saurat dans le but de favoriser l’échange illégal avec le Couserans qui se fait au détriment de Vicdessos (18 octobre 1756). Les maîtres de forges de Saurat qui manquent de charbon, parfaitement conscients des avantages que Vicdessos retire du traité avec le Couserans, ont organisé, sur le modèle de la vallée minière, un troc minerai (de Rancié, là est le nœud de la contestation) contre charbon de la vallée de Massat. Cette concurrence est d’autant plus redoutable que les liens personnels entre Massat et Saurat sont forts. Le comte de Sabran et des bourgeois de Saurat qui possèdent des bois et des forges dans les deux vallées sont doublement gagnants sur le charbon à Saurat et sur le minerai à Massat. Les consuls de Vicdessos imposent aux forges de Massat d’acquérir le minerai par l’échange traditionnel grâce à la décision des États du 18 octobre 1779170. Toujours dans l’idée de conserver le contrôle de la commercialisation du minerai, la communauté s’oppose une nouvelle fois à M. de Niaux qui cherche à se procurer du charbon dans la vall Ferrera. Le 15 septembre 1753, l’intendant de Perpignan signifie aux consuls de Vicdessos une ordonnance qui permet au seigneur de Niaux de prendre en payant tout le minerai dont il aura besoin pour faire marcher sa forge de Tor en Espagne. Par délibération du 23 septembre 1753, les consuls s’opposent à cette ordonnance parce qu’elle « est contraire aux intérêts de la vallée » dans la mesure où la communauté perdrait son monopole sur le minerai de Rancié171. Elle ne peut se permettre une nouvelle concurrence alors que les tensions s’aggravent. Faut-il voir dans le fait que Vicdessos n’honore pas totalement ses engagements, tout en demeurant dans le cadre de l’échange, une volonté de peser sur des forges rivales en restreignant les quantités de minerai cédées ? Le fermier de la forge neuve d’Oust se plaint que Vicdessos, malgré l’obligation de fournir « autant de mine que la forge en pourrait consommer », n’ait pas voituré mille quintaux de mine depuis un an que cet accord a été signé. La raison invoquée par la vallée minière est la difficulté du chemin « qui a dégouté les voituriers » ; le fermier ne paraît pas convaincu par cette affirmation.
111Lorsque le Couserans devient de plus en plus récalcitrant à assumer l’échange, la communauté de Vicdessos cherche à renforcer la part de la vall Ferrera dans son approvisionnement en combustible. Le libre transport des bois et des charbons entre le Vicdessos et la vall Ferrera est garanti par les traités de lies et passeries, annuellement renouvelés. Si la vallée catalane lui fournit du charbon depuis longtemps, l’exploitation forestière est en partie, au XVIIIe siècle, dirigée vers le Vicdessos172. En 1757, le 26 juillet, les propriétaires de la forge de La Vexanelle demandent à la communauté l’autorisation d’utiliser le minerai de Sem tout en prenant le charbon en Espagne. En effet, les consuls d’Areu leur auraient vendu les bois de Bouet et de Fontaillade exploités par des bûcherons et des charbonniers qui empruntent le port de Bouet. Cette exploitation donne lieu à un important trafic, à dos de mulet, de charbon et de postam (planches et chevrons). À cette occasion, un état des lieux est dressé par des experts : « cette forêt de Bouet et de Fontaillade est en état de faire travailler annuellement 2 forges pendant l’espace de 80 ans […] il y ont trouvé 14 charbonniers […] et ont estimé le travail qu’ils feront cette année à la quantité de 3 000 charges de charbon »173. En 1771, la communauté de la vall Ferrera intercède auprès du roi d’Espagne afin qu’il interdise l’exportation de charbon vers Vicdessos. Aussitôt, à Vicdessos, une délibération consulaire est prise pour s’opposer à cette mesure174. En 1773, les Espagnols s’approprient ces bois et interdisent ainsi toute exploitation pour Vicdessos175. Il ne semble pas que cette défense ait été respectée puisque, en juin 1788, les consuls d’Alins et d’Areu donnent procuration au consul d’Auzat pour poursuivre ceux qui se rendraient coupables de délits, faisant charbon et planches dans leurs bois176. Aucune étude écohistorique de cette vallée catalane n’a encore été réalisée. Des charbonnières situées à proximité du Vicdessos ont été datées du XVIIIe siècle par le radiocarbone177.
112Finalement, c’est la Révolution qui met fin à l’échange, au troc minerai-charbon. Désormais, les forges de Vicdessos doivent, comme leurs concurrentes, s’approvisionner en charbon de bois par la voie du commerce. Et pourtant la communauté de Vicdessos n’a pas réellement renoncé. Elle garde l’espoir d’une restauration d’un système très bénéfique pour elle. Lors de l’enquête qui suit la demande de reconstruction de la forge d’Ustou en l’an X, les fermiers et propriétaires de forges de Vicdessos sont favorables à ce rétablissement. Leur argument principal est en réalité une défense et illustration de l’échange : « Nous nous presserons d’autant plus à appuyer de l’avis le plus favorable la reconstruction de cette forge que c’est sans contredit la seule qui puisse exister sans présenter qu’un avantage général… ces bois ne peuvent être utilisés qu’en les réduisant en charbon. Le charbon porté dans la vallée de Vicdessos au moyen de l’échange sera un nouveau moyen de subsistance pour les particuliers qui s’en occuperont… ce nouveau secours les [les propriétaires de forges de Vicdessos] dispensant de se pourvoir de la même quantité dans les autres parties du département, cette quantité épargnée tournera au profit des autres forges ou en faira diminuer le prix exorbitant pour les premiers besoins de la société. Le public trouvera donc son avantage dans cette reconstruction »178. L’autorisation est certes donnée, mais les espoirs de Vicdessos sont déçus, l’approvisionnement en combustible devra se faire « par commerce ». Le mot demeure encore dans les années 1810-1820, mais la réalité est différente : il s’agit tout simplement, classiquement, de diminuer le prix du transport en évitant le retour à vide des animaux de bât ou des charrettes. Le maître de la forge de Cabre explique clairement : « les charrettes qui portent le charbon aux forges de Vicdessos, rapportent à d’autres forges du Couserans pareille quantité de minerai, c’est ce qu’on nomme l’échange »179. Quel bel exemple de survivance dans les esprits d’une coutume autrefois spécifique et bénéfique, reprise pour qualifier une pratique banale et affadie ! Ce moindre coût intéresse tout autant le Couserans que Vicdessos.
3/ Le ou les prix du charbon de bois ?
113Faut-il parler du prix du charbon de bois ou, pour rester au plus près de la réalité du terrain, des prix ? D’autre part, l’achat du combustible se pratique au volume. Cette façon de procéder ne permet pas, dans le plus grand nombre de cas, de payer le charbon à sa juste valeur. Il est vrai que le prix des charbons légers diffère de celui des charbons forts, et que, d’un autre côté, l’achat au poids pourrait entraîner des falsifications par addition d’eau de la part des charbonniers et des transporteurs. Le prix du charbon est donc fonction de l’essence utilisée. Puis et peut-être surtout, l’accès au charbon de bois (forêts personnelles, achats de bois à charbonner, de coupes, de charbon), la manière dont le paiement du charbon est effectué (en argent, par contrat) doivent être pris en considération. Ces différents modes d’accès peuvent se retrouver dans des proportions variables, et selon les périodes considérées, dans un même établissement. Enfin, la distance entre les forêts et la forge a une forte influence sur le coût de l’approvisionnement. L’éparpillement des données ne permet pas une étude sérielle. Au XIXe siècle, les statistiques portent sur des moyennes départementales. Il est donc assez difficile de comprendre dans une seule formule les données économiques du prix du charbon.
114La différence de prix selon les essences charbonnées est facile à présenter, une simple constatation suffit. Le véritable problème est le rapport volume/poids variable selon les espèces d’arbres. Munibe note que le charbon de pin coûte un tiers de moins que celui de chêne. Dans les années 1840, le prix des charbons légers diffère de celui des charbons durs dans le rapport moyen de 33 à 27180. Le salaire des charbonniers ne suffit pas, à lui seul, à justifier le prix du charbon. Ceux de la forge d’Oust reçoivent 3 francs par charge pour la confection uniquement, l’achat des bois est de la responsabilité du fermier de la forge181. Pour comprendre l’évolution du prix du combustible, il est, d’abord, nécessaire d’en connaître la structure. Trois éléments doivent être pris en compte : 1° le bois ; 2° la façon ou les frais de carbonisation qui comprennent l’abattage du bois, le roulage, le dressage, la préparation des places et la cuisson ; 3° le transport du charbon à la forge. Deux postes se retrouvent dans tous les cas de figure, la façon et le port. Par contre, l’acquisition du bois peut changer selon qu’il s’agit de l’achat de bois à charbonner ou non. Or, ce dernier renseignement est souvent absent des comptabilités ou des statistiques. L’explication se trouve dans les réponses des maîtres de forges à l’enquête de 1811 : « la question relative au prix du bois a été éludée presque toujours sous le prétexte que le charbon seul entrait dans la consommation des forges »182. En 1669, le charbon revient à 8 sols pour la façon et à environ 8 sols pour le transport à ceux qui possèdent des forêts. Lorsqu’il est pris dans d’autres bois, 24 sols et jusqu’à 40 et même 50 sols à Allens183. Les archives de la Forge neuve d’Oust permettent une première étude de la structure du prix d’un sac de charbon184 :
Structure du prix d’un sac de charbon de bois
année | bois | % | façon | % | port | % |
1774 |
|
| 7 sols |
| 9 sols |
|
1780 | 2 sols | 9 | 8 sols | 36,3 | 12 sols | 54,5 |
1786 | 4 sols | 13,7 | 12 sols | 41,3 | 13 sols | 44,8 |
115Avec beaucoup de prudence, nous pouvons voir se dessiner un double mouvement : les parts respectives du bois, de l’achat dans le cas de cette usine, et de la façon augmentent, alors que la part du transport a tendance à diminuer, tout en restant le poste de dépense le plus important. En 1786, le sac subit une forte hausse (plus de 31 %). Au XIXe siècle, la plupart des forges sont à plus d’une journée de marche des forêts, à l’exception de Manses, Villeneuve d’Olmes et le Mas d’Azil185. Autour des années 1870, dans le département, les frais de carbonisation se montent en moyenne à 2,50 francs la charge dans les forêts de montagne et à 2 francs en plaine. La façon d’une tonne de charbon, qui représente de sept charges un tiers à douze selon les essences, coûte de 18,32 francs à 30 francs en montagne et de 14,66 francs à 24 francs en plaine. Le transport revient à 15 centimes le sac par kilomètre en montagne, à dos de mulet, ce qui donne 3,30 francs la tonne sur 1 kilomètre, et à 1,5 centime en plaine par les chemins ordinaires, soit 33 centimes la tonne. Malheureusement, nous n’avons pas de renseignements sur le prix du bois. Le prix de la tonne de charbon, bois de chêne, rendue à la forge, est alors aux alentours de 61 francs et même 57 francs186.
116Le discours général est bien connu : la tendance du prix du charbon est, malgré des baisses conjoncturelles de courte durée, orientée à la hausse. Pour le XVIIIe siècle, en 1728, le sac de charbon rendu à la forge de Niaux vaut de 28 à 30 sols. Dans la seconde moitié du siècle, la charge de trois sacs se paie 4 livres 5 deniers dans les forges de la famille de Lévis-Mirepoix, 3 livres à Villeneuve (1757-1758). En 1770, le propriétaire de la forge de La Cabirole demande l’autorisation de permettre aux habitants du Bosc de faire du charbon avec les bois morts dans la forêt du roi. Il propose à la communauté de payer ce charbon comme celui qu’il achète à des particuliers à raison de 3 livres la charge prise sur place187. L’année suivante, la charge se monte à 4 livres à Niaux, à 6 livres à Bonnac alors qu’elle valait 4 livres « autrefois ». En 1775, comme en 1777, la forge de Saint-Paul touche la charge à 4 livres 15 sols rendue à l’usine ; 3 livres à Niaux pour du charbon d’aulne et de chêne mais sans le port (1776). La moyenne pour les forges de Villeneuve, Queille et Campredon est de 3 livres 11 sols 2 deniers en 1782, 3 livres 7 sols 10 deniers en 1783, en 1785 et en 1786, alors que la moyenne de 1784 était de 3 livres 7 sols 6 deniers, soit 4 deniers de différence par charge. Nous avons le prix de la charge dans les trois forges pour l’année 1783 : 3 livres 8 sols 6 deniers à Villeneuve, 3 livres 2 sols 6 deniers à Campredon et 3 livres 12 sols 7 deniers à Queille. Enfin, la charge rendue à Vicdessos coûte 8 livres en 1785.
117Les informations sont très nombreuses au XIXe siècle. En 1807, le canton de Foix se procure du charbon à 4,50 francs le quintal (100 kg), celui de Saint-Girons à 9 francs et le sac de charbon (40 kg) vaut 4 francs dans le canton de Pamiers188. Le quintal de charbon vaut, à cette date, 9,50 francs à Vicdessos, 7,50 francs dans les forges de la vallée d’Ax, 8,50 francs dans celles des environs de Foix, 7,60 francs dans les usines du Couserans et enfin 6,50 francs seulement dans le pays d’Olmes. Alors que, dans les années 1811- 1813, la forge de Queille paie son charbon 7,50 francs, la forge de Cabre, à Vicdessos, de 6 à 10 francs, le terme moyen se trouve autour de 8 francs189. Dans l’enquête de 1811, les forges de la haute Ariège, avec celles des Ardennes, sont en France les usines sidérurgiques qui paient le charbon de bois au plus haut prix190. Nous disposons de la série complète du prix moyen du quintal de 1815 à 1842191 :
Prix moyen en franc d’un quintal de charbon de bois (1815-1842)
années | vallée de | environs | environs | Couserans | région de | moyenne |
1815-1825 | 8,51 | 6,51 | 7,51 | 6,91 | 4,67 | 6,57 |
1826-1828 | 9,45 | 6,99 | 8,09 | 7,3 | 5,61 | 7,51 |
1829 | 8,51 | 6,05 | 7,15 | 6,36 | 4,67 | 6,57 |
1830-1833 | 7,56 | 5,1 | 6,2 | 5,41 | 3,72 | 5,62 |
1834-1836 | 8,27 | 5,81 | 6,91 | 6,12 | 4,43 | 6,33 |
1837-1839 | 9,45 | 6,99 | 8,09 | 7,3 | 5,61 | 7,51 |
1840 | 9,50 | 7,04 | 8,14 | 7,35 | 5,66 | 7,56 |
1841 | 9,66 | 7,2 | 8,3 | 7,51 | 5,82 | 7,72 |
1842 | 9,96 | 7,5 | 8,6 | 7,81 | 6,12 | 8,02 |
118Sur une trentaine d’années, dans la première moitié du XIXe siècle, le prix du quintal de charbon de bois est à la hausse. Certes, durant cette même période, le stère de bois de charbonnage, en forêt, augmente de façon continue, de 2,80 francs en 1807 à 3,63 francs en 1842, prix moyen sur l’ensemble du département. La hausse de 1826 est liée à un essor de la demande de fer. De même, l’augmentation du prix du charbon constatée à partir de 1834-1837 s’explique par une forte reprise du travail des forges qui suit la période difficile de 1830 à 1833 pendant laquelle le charbon a subi une baisse conjoncturelle. Au point que, en 1838, 8 nouveaux feux sont mis en activité. La demande de fers ariégeois s’accentue en 1841, certains maîtres de forges vont jusqu’à payer le charbon 10,55 francs et même 11,05 francs. Au-delà de la mise en évidence d’une augmentation du prix du combustible, ce tableau invite à raisonner sur des zones de prix. Cette répartition régionale, qui donne une vision plus exacte des réalités du terrain, ne doit pas faire oublier qu’il existe aussi de fortes disparités entre les forges d’une même aire géographique. L’historien se heurte une nouvelle fois à la complexité du monde sidérurgique des Pyrénées ariégeoises192.
119Très tôt, le charbon de bois est devenu de plus en plus cher. Au XVIIIe siècle, il a subi une hausse de 63 % dans le royaume de France, selon C.-E. Labrousse. Dans la région Midi-Pyrénées, Georges Frêche a calculé que le prix du bois a été multiplié par 5 ou 6. Or, le combustible est le facteur de production le plus contraignant du système technique de la sidérurgie proto-industrielle, « diverses circonstances et surtout le prix du charbon influent sur le prix du fer »193, affirmation qui est confirmée par l’étude de la structure du prix du fer. En moyenne, en 1758 comme en 1835 ou encore en 1871, le charbon représente, et de loin, la dépense la plus grande. De 48 %, au milieu du XVIIIe siècle (mais dans les conditions particulières des forges du pays d’Olmes qui utilisent les forêts de leur propriétaire, ce qui tire vers le bas le prix du combustible), à 60 % environ dans les années 1870 (mais le calcul porte sur les moyennes des forges du département), la part du combustible ne s’est pas amoindrie, elle se serait même renforcée. Le prix du charbon de bois doit être mis en parallèle avec le prix du fer. Leur rapport peut conduire à une situation paradoxale : en 1856, il s’est établi une concurrence « funeste » pour l’achat du combustible, qui a pour résultat un chômage partiel des usines et un bénéfice insignifiant pour les maîtres de forges lorsqu’ils ne travaillent pas à perte. Il est alors parfaitement compréhensible que les propriétaires de forges trouvent plus avantageux de vendre les charbons que de faire du fer. Le maître de forges d’Ascou tantôt emploie ses charbons dans sa forge, tantôt les vend194.
4/ La forge à la catalane et les économies de combustible
120Le charbon de bois est un élément décisif du choix de la fidélité au procédé direct, alors que la production du fer augmente et que, par conséquent, la consommation de combustible s’accroît. La forge à la catalane naît et s’impose dans un contexte d’essor de la demande de métal. En dépit de ses qualités unanimement reconnues, la nécessité de chercher à diminuer la consommation de charbon s’impose d’elle-même. L’économie de cette matière première devient alors d’une grande importance dans un pays où elle est de plus en plus rare, donc de plus en plus chère. L’effort pourrait porter d’abord sur les méthodes de carbonisation. La réputation des charbonniers ariégeois est bonne, ce qui indique qu’ils ont un savoir-faire reconnu. En réalité, cette pratique commune n’a guère éveillé la curiosité195. Il faut attendre le milieu du XVIIIe siècle pour que les sidérurgistes français commencent à se préoccuper de perfectionner les méthodes traditionnelles de carbonisation en meules dont les rendements en poids étaient très faibles, à peine 15 % à 18 %. L’amélioration de cette « méthode des forêts » rencontre des difficultés et n’apporte pas une réponse satisfaisante196. Rien, dans l’état actuel de la recherche, ne permet de mettre en évidence une quelconque amélioration dans les Pyrénées.
- Quelques expédients peu efficaces
121Les maîtres de forges s’efforcent, en plus des achats de forêts et de charbon, de compléter leur approvisionnement au meilleur prix en ayant recours à des procédés qui méritent d’être qualifiés d’expédients. De matière générale, ils demandent qu’il leur soit permis de ne pas respecter les dispositions des ordonnances des Eaux et Forêts. Il s’agit pour eux, au milieu du XVIIIe siècle, de se dégager « de la rigueur de l’ordonnance de 1669 » ou de ne pas exécuter certaines de ses dispositions, en particulier le bornage et l’arpentage des bois. Dans le haut pays, l’exploitation des bois ne peut se faire sur les montagnes que du mois de juin au mois de septembre à cause des neiges dont elles sont couvertes tout le reste de l’année. Les charbonniers, lorsqu’ils commencent à entrer dans les bois, ne peuvent couper les arbres qu’à 3, 4 et jusqu’à 6 pieds (97,2 cm, 1,296 m, 1,94 m) du sol à cause de la neige qui est glacée autour du tronc de l’arbre : voilà les raisons ou plutôt « les obstacles insurmontables » invoqués par les maîtres de forges qui ne permettent pas de se conformer à l’ordonnance de 1669, ni pour le moment de la coupe ni pour la forme de l’exploitation197. Autres moyens privilégiés, en 1770, le propriétaire de la forge de La Cabirole demande que les habitants du Bosc soient autorisés à « faire du charbon avec les bois morts dans la forêt du roi », en Barguillère198. Celui de la forge de Queille passe un accord, le 3 mai 1721, avec le sieur Loupies qui achète des bois pour l’entretien du canal royal et la construction de barques : « Les débris des bois n’étant pas à portée du canal, ni des rivières navigables et des villes où on puisse en faire la consommation », seront transformés en charbon199. Ou encore, ce qui de plus préservera l’avenir, ne prendre le charbon que sur les chablis pour approvisionner la forge parce qu’en les enlevant on nettoie le bois et on donne de l’air qui laisse pousser les jeunes plants sans nuire ni toucher aux arbres anciens. Charbonner les arbres cassés par le vent ou en partie pourris, ou trop vieux pour en rien espérer de bon ; il est sage de les abattre pour faire place à un nouvel arbre « bon et sain », à la condition cependant que les charbonniers n’aient pas la liberté d’en abattre sans ordre ou permission.
122Les maîtres de forges, toujours pour diminuer la part du combustible dans le prix de revient du fer, tentent de limiter les pertes de charbon, même s’il s’agit d’une voie qui ne peut apporter que de faibles économies. Ils cherchent avant tout à éviter les déchets résultant des déplacements. Quand cela est possible, ils font peu d’approvisionnements afin de réduire les déchets dans les charbonnières. Ils exercent une surveillance vigilante dans l’emploi du charbon lors du travail des forgeurs. Les ouvriers, payés à la tâche, ont toujours suffisamment de minerai, mais jamais assez de charbon. Le fermier commence par leur en livrer un parsou, soit 9 sacs, quantité qui est estimée devoir suffire à peu près pour un feu. Presque toujours, pourtant, il devient nécessaire vers la fin de l’opération de leur accorder un supplément de combustible, sous peine de perdre le fruit de tout le travail précédent. Quelques maîtres de forges recourent à une ruse pour rendre cette dépense supplémentaire moins forte, ils ont des parsous qui contiennent moins de 9 sacs. Les forgeurs ne se laissent guère prendre par ce subterfuge ; il peut, pourtant, leur faire économiser le charbon.
123Ces solutions ne sont guère satisfaisantes, les économies qu’elles entraînent restent marginales et sont sans commune mesure avec l’intensité de celles qu’il faudrait impérativement réaliser. La véritable réponse, s’il y en a une, est à chercher à l’intérieur du procédé sidérurgique lui-même. Avant de l’étudier, il est nécessaire d’évoquer les tentatives qui ont été conduites pour remplacer le charbon de bois par le charbon minéral, solution qui paraît logique au premier abord et qui est dans l’air du temps, tourné vers le modèle britannique.
- La forge à la catalane et le charbon de terre200
124Ce paragraphe pourrait s’intituler : histoire d’une hérésie sidérurgique. La description de fausses pistes, d’incertitudes technologiques, révèle un système technique en mouvement. Le charbon fossile n’est pas tout à fait inconnu dans l’Ariège. Un arrêt de 1781 permet au marquis de Lévis d’exploiter les mines de charbon qu’il a découvertes. Les expériences de substitution de combustible dans la forge à la catalane provoquent, de prime abord, un certain étonnement chez l’historien. Hassenfratz consacre quelques pages de La Sidérotechnie à la « méthode à la catalane avec le charbon de houille »201. Il tire les arguments de sa démonstration d’un article de l’ingénieur Berthier qui préconise, en réalité, l’abandon du procédé direct, et des tentatives de Blavier qui, outre la description de ses essais, mentionne, sans donner de précisions, des expériences réalisées dans le Tarn et l’Aveyron202.
125Des essais ont été réalisés dans le pays de Foix dans les années 1780-1799. Joseph Vergniès Bouischère, maître de la forge de Guilhe à Vicdessos, conduit avec Dietrich des expériences sur le corroyage de l’acier au charbon de terre qui le familiarisent avec le charbon minéral. La houille employée en mélange avec le charbon de bois provient de Carmaux. Vergniès Bouischère présente ses recherches en 1795 : « elles ont porté sur un mélange de charbon de terre « coak » avec du charbon de bois pour la réduction du minerai de Rancié dans un creuset à la catalane ». « Coak », il s’agit d’un charbon plus ou moins bien dessoufré. Il aurait été nécessaire de répéter les épreuves. Malheureusement, il n’a pu le faire devant les envoyés de l’Agence des Mines. D’ailleurs, en 1800 lorsqu’il rappelle au Conseil des Mines qu’il avait démontré, dans un mémoire de 1790, l’économie qu’apportait l’utilisation de la houille203, il ne mentionne pas ses travaux de 1795. Autres expériences, celles conduites par Henry à la forge de Villeneuve d’Olmes de 1793 à 1799. Compétent dans l’utilisation du charbon de terre car il a dirigé au Creusot « la fabrication de fer qui s’affinait avec du coak », il décide d’obtenir de l’acier en « raffinant » le fer à la catalane par « la méthode des Allemands » telle qu’elle est décrite par Jars. Henry ne tente donc pas de réduire le minerai, mais s’efforce, en prenant comme matière première le fer à la catalane, de le transformer en acier en employant le charbon fossile. Le Conseil des mines ne comprend pas ses tentatives. Il chercherait, selon lui, à introduire la houille dans le procédé direct pour obtenir de l’acier « à la catalane, qui serait moins coûteux que les autres procédés, en ce que, la mine suivant ce mode, étant mise dans un foyer d’affinerie, s’y convertit sur le champ en acier »204.
126Hors de l’Ariège, de mai 1803 à septembre 1805, aux confins de l’aire technique à la catalane, Blavier, en poste dans l’Aveyron où se trouvent des mines de fer et de charbon205, réalise des essais avec le soutien de l’administration. Les premiers se déroulent dans un bas fourneau navarrais avec un gros soufflet de forge maréchale. Puis une forge à la catalane est érigée près de Rodez. L’ingénieur y mène ses expériences en grand avec des forgeurs ariégeois. Blavier quitte l’Aveyron en septembre 1805. Convaincu du succès et désireux d’aider ceux qui poursuivront ses recherches, il publie les résultats de ses travaux avec les chaleureux encouragements de son collègue Muthuon206. En réalité, Blavier est optimiste, comme Hassenfratz. Ces deux ingénieurs sont les porte-parole de l’opinion unanime des experts, favorables au changement de combustible dans l’ensemble de la métallurgie207. Genssane, spécialiste de la sidérurgie indirecte possédant l’expérience de la houille208, engagé par les États de Languedoc pour développer l’utilisation du combustible fossile, préconise « de substituer les hauts fourneaux aux fourneaux catalans »209. Dietrich, dont un des buts avoués est de faire connaître aux forgeurs ariégeois l’usage du charbon de terre, comme Duhamel, ne parle que de corroyage de l’acier et non pas de réduction du minerai210. Pour Picot de Lapeyrouse, « on a proposé d’employer le charbon de terre […] Cet expédient est très sage ; mais la prudence n’exigerait-elle pas que l’on prit en même temps des mesures pour conserver les forêts ? »
127Les expérimentateurs estiment avoir connu une réussite partielle, la quantité de charbon de terre utilisée lors de la réduction reste encore insuffisante. Vergniès Bouischère considère avoir réussi pour l’économie : « 2 quintaux de coaks épargneraient au moins 4 sacs de charbon de bois par massé ». Il reconnaît cependant avoir un problème pour la qualité du métal « un peu rouverain », peu propre au travail à la forge. Blavier avoue sa déception, il n’est pas parvenu à dépasser la proportion de 1/7 de houille épurée. De plus, le massé ne résiste pas sous les coups du marteau. Il est donc loin de la production industrielle qu’il espérait. Comment expliquent-ils leurs déboires communs ? Ils avancent d’abord des causes circonstancielles, le manque de charbon de terre pour l’un, le manque d’eau pour l’autre. Ils insistent, ensuite, sur la mauvaise qualité de la houille et de son épuration. Blavier considère que ses essais ont été réalisés dans des conditions peu favorables. Les difficultés sont nées de « la mauvaise volonté des forgeurs qu’on a eu la maladresse de choisir dans un pays [l’Ariège] où la houille est restée jusqu’ici presque inconnue et dont l’industrie principale consiste dans le forgeage du fer avec le charbon de bois ». Il a dû laisser au foyé et aux forgeurs, jaloux de leur secret, une entière liberté. Convaincu que le procédé à la catalane est indépendant de la nature du combustible, Blavier met en avant les facteurs humains. Ces explications sont confirmées par les autorités administratives et techniques qui les incitent à poursuivre leurs recherches. Pour Vergniès Bouischère, il suffirait de recommencer avec de la meilleure houille bien épurée. Il le répète encore en 1812 au ministre des Manufactures qui conclut que le peu de succès que ses expériences ont obtenu tient peut-être « à ce que le procédé de l’épurement du charbon de terre n’est pas assez perfectionné »211. L’ingénieur Blavier estime qu’il importe de ne pas avoir recours aux forgeurs ariégeois. Le travail sera alors dirigé sans que l’on ait à craindre « la subtilité ou la mauvaise foi » des ouvriers. La réussite est, pour lui, certaine avec une houille épurée bien choisie pour réduire un minerai de fer convenablement trié et calciné avec des forgeurs faciles à conduire.
128Les essais ne seront pas repris. Les maîtres de forges ariégeois ont conservé le souvenir de ces tentatives infructueuses, « absurdes rêveries », lorsqu’ils écrivent : « il reste à prouver que ce produit [la houille] peut être appliqué à la fusion de nos minerais dans les fourneaux à la catalane, ce que nous sommes loin d’accorder, puisque nous tenons de l’expérience que son union au minerai de fer est infructueuse dans nos creusets »212. François tire la conclusion définitive : « L’emploi de la houille dans le traitement direct est aussi avantageux, quelle que soit la destination du fer, pour le ressuage et le travail ultérieur sur le fer déjà cinglé, qu’il serait nuisible, si on mettait ce combustible, toujours plus ou moins pyriteux, au contact du minerai ou du fer à l’état naissant »213. Il ajoute que les qualités essentielles du fer à la catalane dérivent « de la conduite du fondage au feu de réduction au charbon de bois ». Les conclusions de François sont proches des analyses actuelles des métallurgistes. Le charbon de bois ne contient pas de soufre, c’est ce qui fait sa qualité sidérurgique, contrairement à la houille qui a aussi le défaut de renfermer une grande quantité de produits volatils formant des goudrons qui agglomèrent la charge au point de la rendre solide et imperméable aux gaz et donc de ralentir ou d’interrompre la réduction. Les recherches des paléométallurgistes ont mis en valeur le double rôle du charbon de bois, à la fois agent réducteur et énergie. Il donne, en outre, une petite quantité de sels minéraux (les cendres représentent environ 2 à 3 % de son poids) qui participent au système de la réduction214.
129L’usage du charbon de bois n’est pas signe d’archaïsme. La recherche de l’innovation ne trouve pas son origine dans la médiocrité du système à la catalane. Elle répond à un besoin économique : résoudre les difficultés nées de l’enchérissement d’un facteur de production, le charbon de bois. Cette tentative du milieu à la catalane, ou d’un de ses représentants les plus progressistes, pour « acclimater » le charbon de terre est un élément supplémentaire de la démonstration que nous sommes bien devant un choix. La fidélité au procédé direct ne doit rien au hasard, la sidérurgie à la catalane n’ignore pas les évolutions modernes de la sidérurgie indirecte. Durant le XIXe siècle, les sidérurgistes, ingénieurs des Mines, tel François, ou ingénieurs civils, comme Richard, se sont évertués à économiser le charbon de bois, mais aucun n’envisage le recours à la houille. Il en est de même pour Chenot, Tourangin, Karr.
- Charbon de bois et évolution technique de la forge à la catalane
130L’une des solutions les plus efficaces est de rendre la méthode à la catalane moins gourmande en charbon. La présentation de la structure du prix du fer à la sortie de la forge, aux XVIIIe et XIXe siècles, a révélé la part prépondérante du combustible, cela est vrai pour la méthode à la catalane mais aussi pour les autres procédés sidérurgiques. Il n’est guère étonnant, par conséquent, que le charbon joue un rôle de premier plan dans l’évolution technique de la forge à la catalane : 100 de fer qui exigent, en 1838-1840, 345 de charbon, en demandaient auparavant 358215. Mais comment quantifier l’économie de combustible avant le XIXe siècle ?
131Même s’il est toujours indispensable de rappeler la fragilité des données chiffrées, la tendance mise en évidence n’est guère contestable216. De 1667 à 1744, alors que la consommation de minerai reste quasiment stable, la quantité de charbon utilisée chute de 5,2 %, passant de 404 à 383, dans le cas le moins favorable, pour atteindre 25,5 %, de 593 à 442, dans la série la plus spectaculaire. Quelle que soit son importance, la baisse est indiscutable. Bien plus, et aussi intéressant, cette diminution se perpétue, régulière, avec une accélération entre 1780 et 1807, puisque la différence est de 18,5 % dans le premier cas, estimation haute, et de 9,7 %, pour la série basse. De 1744 à 1868, enfin, cette tendance générale de longue durée se confirme avec 34,4 % et 24,3 %. C’est dire que la baisse de la consommation de charbon est réellement notable. Quelles que soient les données utilisées, séries statistiques, comptabilités de forge ou archives éparses, le résultat est toujours le même, même si l’intensité du phénomène est variable : diminution de la consommation de combustible végétal. La baisse totale, de 1667 à 1868, soit la quasi totalité de la période à la catalane, se monterait ainsi à 51 % dans le cas le plus haut et 28,2 % dans le cas le plus défavorable qui pourtant reste impressionnant. Hypothétiques ou non, ces informations offrent une fourchette de possibilités, un ordre de grandeur vraisemblable d’une tendance multiséculaire indiscutable. Il faut ajouter que, parallèlement, la consommation de minerai par feu a augmenté.
Évolution de la consommation de charbon de bois et de minerai pour 100 de fer (1667-1868)
années | 1667 | 1744 | 1780 | 1807 | 1818 | 1835 | 1837 | 1868 |
minerai | 305 | 300 | 300 | 322 | 316 | 326 | 338 | 300 |
charbon | 593 | 442 | 412 | 336 | 323 | 303 | 310 | 290 |
Évolution de la consommation de charbon de bois et de minerai pour 100 de fer (1667-1868), seconde hypothèse
années | 1667 | 1744 | 1780 | 1807 | 1818 | 1835 | 1842 | 1868 |
minerai | 305 | 300 | 300 | 322 | 326 | 315 | 315 | 300 |
charbon | 404 | 383 | 372 | 336 | 324 | 317 | 317 | 290 |
132Comment les sidérurgistes ariégeois sont-ils parvenus à un résultat aussi positif ? La réponse donnée le plus souvent est que l’abandon du recuit en est la principale explication. Or, cette affirmation ne prend pas en compte l’ensemble de la chronologie. En effet, l’abandon du grillage se produit à une époque précise, la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, exemple célèbre de recherche de gisement d’économies de combustible en amont de la chaîne opératoire de la réduction directe, lors de la préparation du minerai, avant même l’utilisation dans le bas fourneau. Il existe peu de travaux dans ce domaine au niveau général de la sidérurgie217. Une constatation identique peut être faite pour les Pyrénées et la sidérurgie à la catalane. Des historiens pensent que, contrairement à l’opinion habituellement soutenue, il ne semble pas que cette économie soit imputable à l’abandon de la calcination. En effet, certains comptes de forges dissocient très nettement la consommation nécessaire pour la réduction et celle employée pour le grillage (un sac supplémentaire)218. François, cependant, affirme sans aucune ambiguïté que l’abandon du grillage est bien à l’origine de la baisse de la consommation de combustible. Selon lui, l’économie serait de 17 de charbon en moyenne pour 100 de fer, à partir de 1794 très précisément. Il donne une double explication : la rareté du charbon a fait rejeter le recuit du minerai à une époque où la mine de Rancié fournissait une grande quantité de mine spathique noire, très fusible qui n’avait pas besoin de grillage219. La conjonction de ces deux faits a décidé de l’abandon de cette préparation du minerai.
133Cet abandon ne s’est fait ni brusquement, même s’il fut particulièrement rapide, ni sans raison. Des essais avaient été réalisés auparavant par le marquis de Gudanes qui avait adopté l’usage de ne griller qu’un tiers ou une moitié du minerai. Mais l’expérience a prouvé, selon certains auteurs, qu’il y avait des désavantages (sans plus de précision), c’est pourquoi, dans les forges de Gudanes, comme dans toutes les autres forges des Pyrénées ariégeoises, on grille de nouveau, en 1786, la totalité du minerai, d’une façon identique à celle qu’on pratiquait auparavant. Dietrich justifie ainsi cette reprise de l’ancien procédé : Tronson du Coudray lui paraît « avoir démontré que la perfection du travail des fers dans le comté de Foix était fondée sur la différence de la fusibilité des matières terreuses et des matières ferrugineuses et sur ce que ces dernières n’entraient point en fusion complette et fluide dans la fabrication du massé »220. Premières tentatives avant l’abandon définitif. Et pourtant, s’il faut en croire une tradition tenace, cette innovation est due au hasard. On rapporte qu’un fermier de forge n’ayant plus de mine grillée pour charger son creuset, utilisa, à l’insu du propriétaire de l’usine, du minerai cru et que le résultat de la réduction dépassa son attente. Il continua donc à employer de la mine crue et s’en trouva si bien qu’il en fit l’aveu à son maître. Ce dernier procéda à de nouvelles expériences qui furent favorables. C’est ainsi que le procédé fut adopté et généralisé. Quelle que soit la manière dont s’est produite cette découverte, Vergniès Bouischère, une fois encore, nous apporte une réponse vraisemblable. Il considère que la suppression de la calcination est l’innovation la plus marquante de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle parce qu’elle « offre des résultats infiniment majeurs et heureux ». Il entreprend d’en faire la démonstration : « lorsque je faisais griller la mine, j’employais pour un recuit (ou fournée de 100 feux) 25 faix de bois et, au plus bas, 75 sacs de charbon, ce bois coûtait alors environ 10 francs, on ne pourrait se le procurer aujourd’hui à 36 francs ; d’après cette consommation, il résulte qu’il fallait, indépendamment du bois, 3/4 de sac de charbon par massé. Une forge qui ne manque ni d’eau ni de matériaux peut faire lestement 1 000 feux par an, je réduis ces 1 000 feux à 800 par forge qui, à 3/4 de sac de charbon, consommait 600 sacs de charbon pour le grillage de l’année et 800 faix de bois pesant au plus bas 200 quintaux [8 tonnes] ». Il calcule que l’économie réalisée par les 40 forges se monte à 24 000 sacs de charbon et à 8 000 quintaux (320 tonnes) de bois par an. Il termine par une réflexion : « Où en serions-nous, sans cette heureuse découverte ? ». En ce qui concerne la qualité du métal, Vergniès Bouischère rassure : « Quant à la qualité du fer produit par la mine crue, il est également bon ; nous avons même cet avantage que depuis que nous travaillons sans griller, nous ne voyons plus de fer rouverain, cassant à chaud qu’en terme de forge on appelle magagne, comme l’on en voyait du temps du grillage ». Comment explique-t-il ce résultat favorable ? « De deux choses l’une, dit-il, ou les mines qu’on exploite depuis le non-grillage ont moins de parties cuivreuses, pyriteuses, sulfureuses, ou le laitier produit par ces mines plus abondant ou plus actif les détruit ou les absorbe ». Autre question importante, la consommation de minerai, « j’avais d’abord cru qu’elle était plus forte depuis la suppression du grillage ; mais je crois aujourd’hui que c’est à peu près la même chose. Nous employons au moins mille livres [400 kg] pesant de mine cuite par massé, nous en mettions au plus bas douze cents [480 kg] de crue, c’est environ 200 livres [80 kg] de différence ; mais, comme on compte que le grillage emportait un sixième de son poids, que nous lavions la mine quelquefois avant le grillage et qu’il restait encore des terres cuites qu’on ne pouvait souvent consommer dans la fonte, la consommation est à peu près égale »221. Un rapport de 1810, vraisemblablement rédigé par l’ingénieur des Mines Brochin, constate à son tour que « la méthode du grillage du minerai (avant son traitement à la forge) a été généralement supprimée dans le département de l’Ariège, et les produits n’en sont ni moins bons ni moins forts »222. L’étude des comptes des forges de Villeneuve, de Queille et de Campredon, de 1772 à 1791, a permis de calculer la part, variable selon les forges et les périodes, du recuit par rapport à la consommation totale : de 3,2 % à 9,8 %. C’est dire que l’abandon du grillage, s’il permet au mieux de comprendre l’accélération des années 1780-1800, n’est pas vraiment une explication satisfaisante pour rendre compte de la diminution de la consommation de combustible végétal.
134La mise en évidence d’innovations apportées au bas fourneau et à la trompe rend compte de l’ensemble de la chronologie, du XVIIe au XIXe siècle. Vers le milieu du XVIIIe siècle, le travail ordinaire d’une forge est d’un quarteron (25 livres) de fer par sac de charbon ; 12 sacs, quantité pour un feu, donnent 3 quintaux de fer. En 1786, cette quantité de combustible rend ordinairement 75 livres de métal de plus, elle donne parfois un massé de 4,5 quintaux et même jusqu’à 560 livres223. Les ingénieurs assurent, en 1810, que, depuis 20 ans, le procédé des forges à la catalane s’est amélioré dans le département de l’Ariège, au point de parler de « révolution dans les procédés depuis Picot ». Le produit avec les mêmes moyens, en est plus fort, les scories sont beaucoup plus légères224. Chercher à connaître les explications de l’amélioration du rendement d’un feu est délicat. Les « vieux forgeurs », eux-mêmes, lorsqu’ils sont interrogés sur les causes d’un tel changement ne savent que répondre. Ils ne le contestent pas, mais l’amélioration a été lente et si insensible qu’ils n’ont pu en saisir les étapes, les progrès. Il est cependant possible de noter une augmentation de la taille du bas fourneau, un changement de la position de la tuyère, son relèvement. Des modifications sont apportées dans le système d’admission de l’eau et de l’air dans la trompe, qui provoquent une élévation croissante de la pression et du débit du courant d’air forcé qui favorise l’activation de la combustion et, par conséquent, diminue la consommation de combustible, même s’il est impossible d’évaluer avec précision les effets obtenus sur ce plan. Les changements apportés au foyer et à la soufflerie ont aussi entraîné des ajustements dans la façon de travailler des forgeurs. Leur savoir-faire s’est adapté aux nouvelles conditions de leur travail et s’est perfectionné. La manière de charger le feu s’est modifiée dans le but de diminuer la consommation de charbon, ou du moins pour en tirer un plus grand parti. Donner au charbon en hauteur ce qu’il occupe en largeur, en faisant rétrécir le feu par le haut, du côté de la cave, à l’angle que fait ce côté avec celui de la tuyère. Faire avancer cet angle vers le haut du feu de manière qu’en abaissant une perpendiculaire de cet angle, elle ne tombe qu’à 13,5 cm de la tuyère. Ainsi, le charbon qu’on employait inutilement auparavant en largeur au haut du fourneau, est ramené sur le feu225.
135S’il n’est guère possible d’évaluer les effets pratiques sur la consommation de chaque innovation, l’ensemble des améliorations doit être pris en compte. Aucune d’entre elles n’apporte à elle seule une réponse, un gain décisif. Il serait possible de reprendre la notion de « grappe d’innovations » même si l’on peut penser qu’il ne s’agit dans le cas du procédé à la catalane que de modestes changements. Nous retrouvons ici, et dans des termes identiques, la question qui s’était posée lorsque nous avons décrit l’évolution de la forge elle-même et le procédé à la catalane. Les notions de routine et d’archaïsme ne sont guère recevables pour définir la sidérurgie directe à la catalane qui ne demeure pas figée. Faut-il alors parler de « micro-innovations », ou de combinaisons entre « innovation innovante » et « innovation courante », somme d’adaptations et d’ajustements mineurs qui permet à un procédé de durer ? Percy apporte une réponse séduisante : « ces faits [les modifications de la hauteur et de l’inclinaison de la tuyère] sont très instructifs, parce qu’ils démontrent à quels résultats importants dans la pratique peuvent conduire de légères modifications… La morale que les métallurgistes peuvent tirer de faits de cette nature, est qu’ils ne doivent jamais dédaigner les innovations, sous prétexte que tout d’abord elles semblent avoir peu d’importance »226. Quoi qu’il en soit, les modifications successives qu’a connues le traitement direct du fer dans les Pyrénées ariégeoises, montrent « quel pas la routine, abandonnée à ses propres forces, mais poussée par la nécessité, a fait faire à l’art ». Jules François rend un hommage à la « marche » suivie par les forgeurs, en particulier au soin avec lequel ils tiennent le vent et la région du feu où se forme le massé227. La diminution de la quantité de charbon de bois par feu doit aussi être attribuée, vers les années 1780-1800, aux soins que quelques maîtres de forge, essentiellement Vergniès Bouischère, ont mis à éclairer la pratique des forgeurs, à la publicité donnée au procédé (voir la multiplication des publications sur la méthode à la catalane) et à la présence plus constante sur leurs forges des propriétaires, qui précédemment y étaient comme étrangers, assiduité qui facilite la surveillance des matières premières apportées aux ouvriers, nous dirions grâce à un meilleur management. Du point de vue chronologique, un premier temps fort après la naissance de la forge à la catalane, se rencontre autour des années 1750, le second entre 1780 et 1810. Le troisième, enfin, se situe dans les années 1830- 1840, lorsque le procédé à la catalane s’achemine vers son optimum technique. Depuis cette époque, la situation des forges à la catalane s’est encore modifiée. La consommation de charbon de bois a continué à baisser alors que la production de chaque feu a augmenté, 170 kg en moyenne. En 1868, les forges de Vicdessos utilisent 290 de charbon pour 100 de fer.
136Le charbon de bois a donc joué un rôle essentiel dans l’évolution technique vers des gains de productivité. Le désir de fabriquer toujours plus de fer pour répondre à une demande de plus en plus forte s’est accompagné de l’obligation d’économiser le combustible, de plus en plus impérieuse au fur et à mesure que son prix augmente. Le prix de revient du métal doit impérativement rester raisonnable par rapport à son prix de vente sur un marché concurrentiel. Ces explications rationnelles non seulement reflètent un état d’esprit tourné vers la recherche d’économie, mais encore renforcent, de fait, la vraisemblance de cette baisse. Ce progrès met en œuvre la quasi totalité des moyens dont dispose une activité métallurgique. Malgré ses difficultés d’approvisionnement en charbon de bois, la sidérurgie directe ariégeoise a gardé son efficacité grâce, entre autres raisons, aux innovations et ajustements techniques nettement perceptibles du XVIIe au XIXe siècle. Ainsi, des moulines médiévales à la forge à la catalane, le procédé direct est demeuré le mieux adapté à l’écosystème des Pyrénées ariégeoises, à ses évolutions et le plus économique.
- Comparaison entre différents procédés sidérurgiques directs et indirects
137Il importe aux sidérurgistes de connaître les procédés « les moins dévoreurs » de combustible et de s’efforcer de les mettre en pratique dans l’ensemble du royaume lorsque les minerais le permettent. La comparaison comprend deux niveaux : d’abord, classiquement, entre sidérurgie directe et sidérurgie indirecte, mais aussi entre les divers procédés directs. Pour nous, l’enjeu est différent : la confrontation entre les différents procédés sidérurgiques n’est conduite que dans le désir de comprendre le maintien du procédé direct dans les Pyrénées ariégeoises. Peu importe s’il s’agit d’une figure académique imposée, peu importe si ce débat est biaisé et si sa conclusion tient plus de l’opinion que de la raison, l’essentiel est, ici, ce que pensent les contemporains même si nous rencontrons une nouvelle fois « le mythe catalan ». L’adhésion à l’opinion générale permet de sortir, d’une façon élégante, de la dichotomie somme toute caricaturale selon laquelle la sidérurgie directe représenterait l’archaïsme, alors que la sidérurgie indirecte illustrerait le progrès.
138À partir de 1775, les sidérurgistes qui se livrent à une comparaison entre le procédé direct, qualifié désormais de « catalan », et le procédé indirect, font tous référence à l’ouvrage de Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, comparées avec les forges à hauts-fourneaux. L’auteur argumente sa comparaison en 3 points : la nature et la marche des procédés, la qualité des produits et enfin l’économie financière. Nous ne retiendrons ici que les éléments de sa démonstration concernant le combustible. « Ce qui regarde le charbon est une autre affaire. C’est la différence, à la fois, la plus considérable et la plus importante peut-être qui soit à l’avantage de la méthode catalane. D’après les observations, les questions que j’ai faites dans différentes de nos forges, je vois qu’on peut estimer que chaque livre de fer forgé coûte à-peu-près six livres de charbon, compris ce qu’en dépense le fourneau pour fondre la mine, l’affinerie pour convertir la gueuse en fer forgé, et la chaufferie pour achever de l’étirer. Or, d’après les relevés les plus exacts faits en Corse, dans le pays de Foix et dans le Roussillon, je vois que la méthode catalane, qualité moyenne de charbon, n’emploie que trois livres à trois livres quatre onces au plus par chaque livre de fer forgé ; ce qui est environ moitié moins que notre méthode… Il est inutile d’insister beaucoup sur l’avantage d’une économie aussi considérable, surtout dans la plupart de nos Provinces où le bois a été livré aux forges et aux verreries avec tant d’indiscrétion, qu’en moins d’un demi-siècle on a passé dans ce genre de richesses de l’extrême abondance à une indigence qui fait craindre pour les besoins de la vie, qui dépendent la plupart de l’aliment du feu »228. Les publications qui suivent l’ouvrage de Tronson confirment son opinion. Dietrich, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée, est moins optimiste. Dans le meilleur des cas, le procédé à la catalane doit épargner un bon tiers de charbon sur la consommation ordinaire de la fabrication usitée dans le reste du royaume, « En général on ne compte que trois livres à trois livres un quart de charbon à la livre de fer forgé dans le comté de Foix, tandis qu’il est constant que les grosses forges les mieux montées en consomment au moins cinq livres, et qu’il y en a, qui en emploient jusqu’à six livres et demie »229. Comment expliquer cette supériorité des forges à la catalane ? Dietrich reprend les explications avancées par Tronson du Coudray et Duhamel qui peuvent être facilement résumées ainsi : « au lieu de convertir la mine en fonte comme dans nos hauts fourneaux, pour être portée dans les affineries, puis dans les chaufferies, la mine dans le comté de Foix est immédiatement réduite en fer forgé, et étirée dans un seul feu sans avoir passé par l’état de fonte »230. Avec, cependant, une nuance, il est persuadé que l’avantage et le bénéfice des forges du comté de Foix ne sont plus aussi considérables. Le prix du fer n’a pas suivi l’augmentation du prix des charbons, il n’en est pas moins vrai pour lui que cet avantage est encore tel qu’il désire rendre cette méthode commune à tout le royaume. Grâce aux améliorations du XVIIIe siècle finissant, le calcul de la consommation de charbon pour la fabrication de 1 000 kg de métal donne pour le procédé à la catalane, tel que le Conseil des Mines en vantait les avantages en l’an VII : 2 830 kg, contre 5 830 kg en Dordogne avec le procédé indirect. Au tout début du XVIIe siècle, dans les usines nivernaises d’Harlot, la part du combustible dans les coûts de production s’établit à 41,37 % pour la fabrication de la fonte et à 17,23 % pour l’affinage de celle-ci en fer. Deux siècles plus tard, c’est à 58 % en moyenne que s’élève la part du combustible pour les hauts fourneaux des années 1811-1815231.
139La comparaison avec les hauts fourneaux est conduite avec plus de nuances dans les années 1820-1830. La question semble moins claire qu’à la fin du XVIIIe siècle. Il est certain pour les ingénieurs que les forges à la catalane l’emportent, car, précisent-ils, elles consomment 2,93 de charbon pour 1 de fer, et que par le procédé indirect, il faut au moins 4 ou 4,5 de charbon. Il est vrai, cependant, que, dans la méthode directe, la quantité de fer qui passe en scories est estimée à 45,59 % du fer produit alors que, dans un haut fourneau, elle est seulement de 33 %. Mais, pour prononcer un jugement équitable au point de vue économique, il est nécessaire de raisonner sur des usines censées être établies dans la même localité et employer des matières premières identiques. Les comptes sont alors les suivants : le prix coûtant d’un quintal métrique de fer en grosses barres dans une usine composée d’un haut fourneau et de deux feux d’affinerie est de 62,70 francs. Son prix dans une forge à la catalane est de 40,962 francs. L’avantage de la forge de réduction directe est renforcé par le fait suivant : le produit d’une bonne forge à la catalane représente plus de la moitié de celui d’une affinerie alors que le capital total qu’elle exige n’est, au plus, que le quart de celui nécessaire pour un haut fourneau et deux affineries, 300 000 à 350 000 francs. C’est-à-dire que pour la même quantité de fabrication, le procédé indirect exige un capital au moins égal au double de celui nécessaire pour une forge à la catalane, et produit un bénéfice bien moindre. Qu’en est-il de la comparaison avec la méthode anglaise ? Les chiffres utilisés sont fournis par Héron de Villefosse qui a calculé que le prix coûtant de 100 kg de fer fabriqué à la houille en France est de 53,66 francs ; l’avantage est encore du côté du procédé à la catalane. De plus, pour une même quantité de métal, le procédé anglais exige deux fois et demie plus de capitaux que celui des Pyrénées. La conclusion des ingénieurs est imparable : de tous les procédés connus pour fabriquer le fer, celui du pays de Foix est le plus avantageux sous tous les rapports232.
140Les ingénieurs qui ont expérimenté la méthode à la catalane partagent eux aussi cette opinion. Loin des Pyrénées, Gueymard qui a travaillé avec des forgeurs venus de l’Ariège, considère « que le procédé catalan, dans le département de l’Isère, offre des avantages considérables. On ne consomme maintenant que du tiers au quart du combustible employé par la méthode bergamasque, et un feu catalan donne autant de fer que quatre et demie forges anciennes travaillant sur la fonte, et que sept à huit forges travaillant sur le minerai par le procédé bergamasque »233. Marrot, en poste à Vicdessos, pense que la méthode à la catalane est la plus économique de toutes celles que l’on peut employer pour le traitement des minerais de fer à son époque, puisque, dans « les procédés ordinaires », on emploie au moins 350 de charbon pour 100 de fer. Dans la Dordogne, où l’on suit la méthode d’affinage dite comtoise, on consomme en tout au moins 360 et ordinairement 388 de charbon pour obtenir 100 de fer forgé234. Jules François, enfin, dresse le tableau comparatif suivant, toujours pour 100 de fer : par l’affinage toscan : 365 de charbon de bois ; dans la Comté, la Haute-Marne et la Meuse : 351 ; par la méthode mixte champenoise : 155 de charbon de bois, plus 140 de houille235.
141Deux opinions tranchent sur ce discours unanime, cet air du temps, dont le porte-parole le plus écouté est le célèbre professeur de l’École des Mines de Paris Jean-Henri Hassenfratz236 : celles de Genssane et de Héron de Villefosse. Ces deux techniciens, partisans de la sidérurgie indirecte, n’argumentent pas leur position dissidente d’une façon identique. L’un conteste la démonstration de Tronson, le second se contente d’une affirmation. Genssane a détaillé ses connaissances sur la réduction indirecte dans son Traité De la Fonte des mines par le feu du charbon de terre… et usages des fourneaux propres à la fonte des métaux, publié à Paris de 1770 à 1776. Sa conclusion est assurée : rien n’empêche de substituer les hauts fourneaux aux fourneaux à la catalane parce que, après avoir examiné à fond cette question, il est persuadé que, « proportion gardée à la quantité de fer qui en provient, il n’en coûte pas plus de charbon dans une forge à haut fourneau par la voie des gueuses, que dans une forge catalane »237. Héron de Villefosse adopte une position plus nuancée, « quand même l’emploi des forges catalanes devrait offrir partout une économie réelle de minerais et de combustibles, il est d’autres considérations qui s’opposeraient à ce qu’on les substituât généralement aux autres procédés, comme quelques auteurs en ont émis le vœu… Quel que pût être le résultat technique de l’emploi des forges catalanes dans certaines contrées, il ne serait pas possible de se procurer par ce procédé les quantités de fer qu’on obtient annuellement [des hauts fourneaux]…»238.
142Comparaison ensuite avec d’autres méthodes de réduction directe. La méthode à la catalane l’emporte sur elles, car « elles ne sont que l’enfance de l’art : la consommation en charbon y est énorme ». Le procédé du pays de Foix en particulier offre des avantages sur celui adopté dans les usines du même genre de l’arrondissement de Céret qui pratiquent la méthode petite catalane239. La consommation de charbon dans les Pyrénées-Orientales est de 375 pour 100 de fer contre seulement 272 en Ariège240. Les forges en emploient en Corse 520, dans les années 1830-1840. De même, si l’on compare avec les données de production et de consommation des forges basques, on s’aperçoit que si ces dernières ont une production par ouvrier plus forte, elles ont une consommation plus élevée de charbon de bois241.
143« Qu’il s’agisse de tirer le meilleur parti des conditions hydrauliques ou de retenir la méthode de production qui économise le mieux le combustible, la sidérurgie ne cherche donc pas toujours les réponses dans la seule modernité » (Denis Woronoff). D’une façon très générale, le procédé direct, par la simplicité de son matériel et de son roulement, se prête avantageusement aux exigences topographiques des contrées montagneuses où les forêts disséminées sur une grande étendue conviendraient difficilement à la concentration d’une grande force productive. Il offre, ensuite, l’avantage de produire avec un emploi de charbon égal, sinon inférieur, à celui des différents procédés qui utilisent le combustible végétal. Mais encore, la méthode à la catalane est considérée comme le meilleur procédé de réduction directe. La sidérurgie indirecte, malgré ses qualités techniques pour répondre à une demande accrue, exige un approvisionnement trop important en combustible dans un écosystème où elle aurait eu des difficultés pour trouver sa place.
144Le prix du combustible est très variable dans les Pyrénées ariégeoises. Or, le prix du minerai dans chaque usine est à peu près en raison inverse de celui du charbon (les forges qui obtiennent le combustible le moins cher sont aussi celles qui paient le minerai le plus cher). De cet état des choses résulte la coexistence de toutes ces usines, grâce à une complémentarité, au « secours mutuel » qu’elles se prêtent, les unes ne recevant du minerai que par le retour des transports de charbon ; les autres ne pouvant avoir du charbon, si l’on ne venait pas chercher du minerai. Il faut remarquer néanmoins que le transport du minerai coûte moins que celui du charbon, et que par conséquent les forges voisines des forêts sont les plus favorisées. Ainsi, les ateliers rapprochés du minerai paient chèrement le charbon, aussi cherche-t-on à traiter le plus de minerai avec le moins de combustible. À l’inverse, les forges éloignées de Rancié cherchent à obtenir le plus de fer avec le moins de minerai. Lorsque la réduction est terminée, dans les forges de Vicdessos, les forgeurs ne retirent guère que la valeur d’un demi-sac de charbon de dessus le massé, alors que dans quelques autres usines, il en reste 3 ou 4 fois plus. En général plus le charbon est abondant dans une forge, plus on en consomme. Ces pratiques expliquent en partie les grandes différences entre les forges de l’Ariège. Un tableau permet de mieux prendre la mesure de ces particularités. Les forges sont regroupées par zone géographique, la comparaison porte toujours sur 100 de fer et concerne les années 1837 et 1840 :
forges de | minerai (1837) | charbon (1837) | minerai (1840) | charbon (1840) |
Vicdessos | 324 | 320 | 310 | 302 |
vallée d’Ax | 320 | 361 | 303 | 345 |
environs Foix | 324 | 325 | 310 | 306 |
pays d’Olmes | 315 | 349 | 303 | 345 |
Couserans | 311 | 337 | 301 | 315 |
145Ces différences de consommation selon la situation géographique de la forge illustrent de façon éclatante la souplesse du procédé à la catalane, capable de s’adapter aux conditions de production spécifiques d’une usine, de faire porter ses efforts de façon préférentielle soit sur les économies de combustible, soit sur les économies de minerai. À l’intérieur de la géographie de l’aire à la catalane de l’Ariège, se dessine ainsi une autre géographie qui oppose des zones déterminées par la primauté de l’une ou l’autre des matières premières et par leurs rapports respectifs. Ce zonage est un autre visage de la complexité de l’activité métallurgique dans les Pyrénées. Élément supplémentaire pour comprendre le choix réitéré de la sidérurgie directe et son maintien en des temps où elle paraît, pourtant, dépassée. Preuve aussi que des logiques techniques et économiques sont à l’œuvre pour tirer le meilleur profit possible de conditions naturelles, économiques et sociales variables dans le temps et dans l’espace, bref d’un écosystème difficile. Mais le charbon de bois n’est pas le seul élément d’explication, il est indispensable de chercher simultanément du côté du minerai, de la demande de métal qui est, on le sait, un des moteurs de l’évolution à travers les quantités de fer réclamées, mais aussi de l’exigence de certaines qualités particulièrement recherchées.
Notes de bas de page
1 Au début du XVIIe siècle, en Biscaye et en Guipuzcoa, l’oligarchie municipale et les maîtres de forges s’opposent radicalement aux tentatives d’installations de hauts fourneaux conduites par Jean Curtius et Hurtuno d’Ugarte, soutenus par le roi d’Espagne. Les hauts fourneaux seront finalement construits dans l’actuelle Cantabrie. I. Carrion, « La sidérurgie basque à l’époque moderne », L’artisan au village dans l’Europe médiévale et moderne, M. Mousnier éd., Toulouse, 2001, p. 243.
2 J. Cantelaube, C. Verna, « Les forges à la génoise dans les Pyrénées centrales au XVIe siècle : quel transfert d’innovation ? », Il ferro nelle Alpi, op. cit., p. 154, 158-160.
3 Arch. dép. Hérault, C 2736, f° 320, 321 ; Arch. dép. Ariège, 1 J 57.
4 J. Cantelaube, « Les hommes et le fer en Ariège pendant la Révolution », op. cit., p. 117- 131.
5 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 27.
6 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 35.
7 J.-H. Hassenfratz, La Sidérotechnie, op. cit., tome I, p. 16.
8 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 162.
9 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 237.
10 J. François, Extrait d’un rapport de Mr Jules François à Mr le ministre de l’Agriculture et du Commerce, sur la question d’importation des fers au bois du nord de l’Europe, Moulins, 1845, p. 16.
11 Sur l’état de la science métallurgique, voir la remarque de S. Benoit, F. Pichon, « Buffon métallurgiste : regards de l’historien et du technicien », Buffon 88, op. cit., p. 80.
12 M. Leroy, P. Merluzzo, « Les mécanismes de réduction des minerais de fer en réduction directe : l’exemple des minerais sédimentaires oolithiques de Lorraine-France », Il ferro nelle Alpi, op. cit., p. 58.
13 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome deuxième, p. 466, 476.
14 P. Benoit, P. Fluzin et autres, « Apports de l’archéométrie à la restitution de la chaîne opératoire des procédés sidérurgiques directs à partir des vestiges archéologiques ; intérêts des comparaisons ethnoarchéologiques », The Importance of Ironmaking, op. cit., volume I, p. 56-64.
15 J. Simon et alii, « Estudi de les fases presents en un forn experimental de farga catalana. I.- El mineral i els primers estadis del procés ; II.- El masser. Interpretacio del procés », La farga catalana en el marc de l’arqueologia siderurgica, op. cit., p. 139-147 et 149-154. Julia Simon a réalisé une étude comparée de son expérimentation à la catalane avec celle du procédé biscayen conduite sous la direction de Peter Crew à la forge d’Agorregi, J. Simon, « Arqueologia experimental en la ferreria de Agorregi ; relaciones con la farga catalana », La ferreria y los molinos de Agorregi, M. Urteaga ed., San Sebastian, 2002, t. II, p. 166-193.
16 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 44.
17 R. Amanieu, « Une personnalité toulousaine de la fin du XVIIIe siècle : Philippe Picot, seigneur de Lapeyrouse », Annales du Midi, n° 46, 1959, p. 143-192.
18 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 349-380.
19 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 132-137.
20 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 361-370.
21 R. Eluerd, Le vocabulaire de la sidérurgie française au XVIIIe s. (1722-1812), op. cit., p. 915-916.
22 D. Woronoff, « Le quotidien des techniques : de la répétition aux aménagements », op. cit., p. 787.
23 Arch. dép. Ariège, 15 M 2, canton des Cabannes.
24 H. Otto Sibum, « Les gestes de la mesure. Joule, les pratiques de la brasserie et la science », Annales Histoire, Sciences Sociales, n° 4-5, juillet-octobre 1998, p. 745-774.
25 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 113, note 119.
26 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 168 ; P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. L’ouvrier. - II. Les forgeurs », op. cit., p. 212.
27 Arch. nat. 436 AP 366, Villeneuve, 27 avril 1699 ; Arch. nat., 436 AP 48, Barthalé, 1705, 1718, 1741.
28 Bibliothèque de l’École des Mines de Paris, M1827/65, M. Chevalier, Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos, 1827, p. 41.
29 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 265.
30 Il se produit quelquefois de la « fonte blanche » dans les forges à la catalane. Richard indique qu’il en a recueilli environ 500 grammes mélangées aux scories lors de leur écoulement par le chio, pendant une réduction.
31 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 60.
32 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 43.
33 H. Otto Sibum, « Les gestes de la mesure », op. cit., p. 748, note 11 et p. 749-752.
34 Il existe deux types de calcinations : celles qui ont pour seul but une modification physique : dessication, élévation de température, désagrégation d’un minerai, séparation de deux produits ; celles qui ont pour but une modification chimique, le grillage à proprement parler : décomposition directe, action oxydante, action réductrice, action chlorurante, action carburante. Débarrasser le minerai de la pyrite par exemple qui doit être éliminée parce qu’elle contient du soufre et du phosphore.
35 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 39.
36 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 270-271.
37 Munibe décrit la calcination du minerai dans les forges du pays de Foix et la compare avec celle des ferrerias basques, El Tratado de Metalurgia, op. cit., p. 85-86 et 271-280.
38 Arch. dép. Ariège, 1 B 169106, forge de Laprade, 1760 ; 1 B 189167, forge de Capounta, 1768.
39 Arch. dép. Ariège, 1 B 189164, 1768.
40 Les expérimentations actuelles confirment les connaissances empiriques des forgeurs. Les paléométallurgistes ont constaté que maintenir des scories à l’intérieur du fourneau contribue à lutter contre l’oxydation de la loupe. Laisser le trou d’écoulement ouvert plus ou moins longtemps ou le fermer plus ou moins rapidement permet de maîtriser la quantité de laitier conservée dans le feu et, par conséquent, de contrôler la réduction du minerai. Ces scientifiques considèrent qu’il s’agit de gestes techniques très importants parce qu’ils révèlent une démarche volontaire de recherche d’une bonne qualité du métal. Communication orale de Jean-Claude Leblanc, Table ronde du 13 mars 2001, Université de Toulouse-Le Mirail, Du Languedoc aux Pyrénées, du terrain au laboratoire, la sidérurgie médiévale à la lumière de l’archéologie.
41 Arch. dép. Ariège, 102 S 166, forge de Montgailhard, 1833.
42 Arch. dép. Ariège, 1 B 189164, 1768.
43 Arch. dép. Ariège, 1 B 189167, forge de Capounta, 1768.
44 Arch. dép. Ariège, 1 B 281134-140, forge de Laprade, 1789.
45 Les paléométallurgistes et les ethno-archéologues ont réalisé des études sur le rapport du poids du fer en barre au massé plus lourd parce qu’il ne reste pas l’équivalent en fer après la phase d’épuration. La perte en poids oscille entre 80 et 50 %, en fonction de la qualité de la loupe, c’est-à-dire du pourcentage de scories, de charbons de bois et d’autres impuretés associées au métal. L’avantage est encore au procédé à la catalane ; P. Fluzin, « Il processo siderurgico… », La miniera perduta, op. cit., p. 67.
46 Arch. dép. Ariège, 1 B 281134-140, forge de Laprade, 1789.
47 El Tratado de Metalurgia, op. cit., p. 89-90 ; voir aussi M. Urteaga et autres, « Restitution ethnoarchéologique et conduite des procédés. Forges d’Agorregi, Pays basque, Espagne », Arts du feu et productions artisanales, XXe Rencontres Internationales d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes, Antibes, 2000, p. 53-72.
48 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., introduction et p. 147.
49 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome deuxième, p. 465.
50 Arch. nat., 436 AP 382, n° 36, 5 octobre 1744.
51 Arch. dép. Ariège, 137 S 3, 1903, 1904.
52 D. Woronoff, « Le quotidien des techniques : de la répétition aux aménagements », op. cit., p. 785-791.
53 L’apport de l’ethnographie ne doit pas être négligé. Voir par exemple : M. C. Bailly-Maître, « La métallurgie préindustrielle. Ethnographie, expérimentation, archéologie médiévale : étude comparative des gestes techniques », Table Ronde La transmission des connaissances techniques, Cahiers d’Histoire des Techniques, 3, 1995, p. 163-189 ; P. Merluzzo, C. Forrieres, « Les premières étapes du travail du fer en foyer de forge selon des procédés traditionnels japonais », Paléométallurgie du fer, op. cit., p. 71-86 ; P. Andrieux, « Les témoins archéologiques et leur restitution expérimentale dans l’étude de la gestuelle et des conceptions culturelles : les liens possibles entre l’objectivité et la sensualité », Paléométallurgie du fer, op. cit., p. 65-71.
54 A. Corbin, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Paris, 1996, p. 164.
55 J. Bonhôte, J. Cantelaube, C. Verna, « De la mouline à la forge à la catalane : six siècles de sidérurgie directe dans les Pyrénées ariégeoises (XIIIe-XIXe siècles) », op. cit., p. 749-792.
56 D. Woronoff, « Le quotidien des techniques : de la répétition aux aménagements », op. cit., p. 791.
57 A.-F. Garçon, « L’innovation au regard du complexe technique minéro-métallurgique armoricain », Annales Bretagne et Pays de l’Ouest, Mines, Carrières et Sociétés, op. cit., p. 34-37 ; A.-F. Garçon, Mine et Métal, 1780-1880 ; les non-ferreux et l’industrialisation, op. cit., p. 82.
58 V. Izard, Les montagnes du fer, op. cit., volume I, p. 340-341.
59 S. Benoit, « La consommation de combustible végétal et l’évolution des systèmes techniques », Forges et forêts, op. cit., p. 89.
60 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 50-51.
61 J. B. Souquet, Métrologie du département de l’Ariège, Toulouse, 1840, p. 94.
62 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R2, 18 décembre 1777.
63 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, 1824-1825.
64 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138.
65 J. B. Mercadier, Métrologie du département de l’Ariège, an XIII, p. 44-46.
66 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts, op. cit., p. 168, note 83.
67 J. B. Souquet, Métrologie du département de l’Ariège, op. cit., p. 96.
68 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer », Annales des Mines, op. cit., p. 483.
69 Archives privées, M. Marquis.
70 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 5.
71 Arch. nat., 436 AP 206, n° 95.
72 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R3, Forge neuve d’Oust, 16 mars 1788.
73 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais », Annales des Mines, op. cit., p. 488.
74 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 178-179.
75 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R1.
76 Par exemple, Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 35 ; M. Chevalier, Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos, École des Mines de Paris, M 1827/65.
77 Arch. dép. Ariège, Z° 2226.
78 E. Gueymard, « Mémoire sur les forges catalanes de Pinsot situées dans l’arrondissement de Grenoble », Annales des Mines, tome I, 1816, p. 392.
79 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138.
80 Arch. nat., K 1162, Pays de Foix.
81 El Tratado de Metalurgia, op. cit., p. 90-91.
82 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R1 ; R2 et R3.
83 Arch. nat., FIC V, Ariège I.
84 Drouot, Mémoire sur l’affinage du fer par la méthode catalane aux environs de Perpignan, École des Mines de Paris, M 1827/62.
85 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 225.
86 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 270-272.
87 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 51.
88 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 269.
89 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts, op. cit., p. 167-170.
90 Arch. nat., 436 AP 206, n° 95, comptes de l’administration des forges de Villeneuve, Queille et Campredon, 1772-1791 ; Arch. dép. Ariège, 137 S 1, arrondissement de Pamiers, 1811, 1812, 1813 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 17, arrondissement de Saint-Girons, 1824, 1839, 1840 ; arrondissement de Foix, 1839-1840 ; arrondissement de Pamiers, 1839-1840 ; Foix, 1848.
91 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 255-257.
92 Arch. nat., 436 AP 206, n° 95, comptes de l’administration des forges de Villeneuve, Queille et Campredon, 1772-1791.
93 Arch. dép. Ariège, Z° 2226.
94 Arch. dép. Ariège, 137 S 3, 1827-1828.
95 Arch. dép. Ariège, 137 S 3, États récapitulatifs des produits des mines et usines à fer de l’Ariège.
96 Hellot, De la fonte des mines, des fonderies, 1764, tome I, p. 309.
97 P. Berthier, Traité des essais par la voie sèche, tome I, p. 286 ; P. Berthier, « Note sur le poids de quelques espèces de bois à brûler, et sur la consommation comparative de ce combustible et de la houille dans les travaux minéralogiques », Annales des Mines, tome III, 1818, p. 51-58.
98 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, Forges à la catalane, sans date.
99 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 168.
100 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer », Annales des Mines, op. cit., p. 486.
101 C. Fruhauf, Forêt et société, de la forêt paysanne à la forêt capitaliste en pays de Sault sous l’ancien régime (vers 1670-1791), op. cit., p. 98-103 en particulier ; J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit. en particulier p. 78-87 ; 105-110 ; 155-160 ; 170-190 ; B. Davasse, Forêts, charbonniers et paysans dans les Pyrénées de l’Est, du Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 149- 200.
102 Carla, Arch. dép. Ariège, 2 B 2164-68 ; Niaux, Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 251 et 2 B 52276- 281 ; Bonnac, Arch. dép. Ariège, 1 C 164 ; Ascou, Arch. dép. Ariège, 2 B 3569-76 ; Lévis-Mirepoix, Arch. nat., 436 AP 49, 1758 ; Arignac, Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 293-294.
103 J. Bonhôte, « La consommation proto-industrielle de bois en Ariège au XIXe siècle », Actes du VIIe Colloque national sur le patrimoine industriel, Toulouse, octobre 1985, L’Archéologie industrielle en France, 15, 1987, p. 11.
104 Mijanès, Urs, Saurat, Arch. dép. Ariège, 138 S 13 ; Bélesta, archives privées M. Marquis ; Teilhet, Arch. dép. Ariège, 14 M 17, 1839-1840 ; Léran, Arch. nat., 436 AP 406 ; Pamiers, Arch. dép. Ariège, 138 S 17.
105 M. Chevalier, « Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos », École des Mines de Paris, M 1827/65.
106 Arch. dép. Ariège, 3 J 17.
107 El Tratado de Metalurgia, op. cit., p. 90-91.
108 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 53.
109 Combes, « Mémoire sur les deux forges catalanes de Gincla et de Sahore », Annales des Mines, tome IX, 1824, p. 333-334.
110 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 182-183, 187, 216.
111 J. Bonhôte, « La consommation proto-industrielle de bois en Ariège au XIXe siècle », op. cit., p. 9-20.
112 C. Verna, « Fer et pouvoir : la politique sidérurgique des comtes de Foix (XIIIe-XVe siècles) », Pallas, op. cit., p. 297-309 ; C. Verna, Le temps des Moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 115-135, 311-312.
113 P. Dardenne, Essai sur la statistique du département de l’Ariège, op. cit., p. 286.
114 Dralet, Description des Pyrénées considérées spécialement sous le rapport de la géologie, de l’économie politique, rurale et forestière, de l’industrie et du commerce, 1813, vol. II, p. 134-135.
115 M. Chevalier, « Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos », École des Mines de Paris, M 1827/65.
116 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer », Annales des Mines, op. cit., p. 489.
117 Furetage : à chacun de ses passages, le forestier enlève sur les souches les rejets ayant atteint un diamètre d’exploitabilité fixé à l’avance. On a ainsi des peuplements d’âges multiples. Ce mode d’exploitation avec rotation de coupes s’applique surtout au hêtre. Il n’est pratiqué en Ariège qu’au XIXe siècle. Blanc-étoc : coupe rase sur une étendue donnée où le forestier ne réserve aucun arbre. Cépée : touffe de tiges ou de rejets produits par une souche après la coupe. J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 264, 270.
118 J. Bonhôte « La consommation proto-industrielle de bois en Ariège au XIXe siècle », op. cit., p. 14-15.
119 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, forge de Cabre.
120 H. Frontault, Essai sur la transformation de la métallurgie au bois dans l’Ariège, Paris, 1871, p. 46-47.
121 Voir les recherches conduites dans le cadre du CIMA-URA 366-CNRS, puis de GEODE-CNRS, UMR 5602, de l’Université de Toulouse-Le Mirail.
122 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 173.
123 H. Frontault, Essai sur la transformation de la métallurgie au bois, op. cit., p. 44.
124 C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 243-255.
125 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 748, 771, 773. Par exemple, Les Esqueranes, Arch. dép. Ariège, 2 B 20163 ; La Mouline, Arch. dép. Ariège, 2 B 21293 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 30, f° 334 ; 1 B 2561-66 ; 2 B 2415, forges de Mérens ; Arch. dép. Ariège, 2 B 2660-68, forge de Siguer.
126 Arch. nat., 436 AP 382, n° 13.
127 Arch. dép. Ariège, 1 C 164.
128 Arch. dép. Ariège, 138 S 25, forge de Teilhet.
129 Archives privées, M. Kapfer, rapport du 14 juillet 1874.
130 Ibidem et Arch. dép. Ariège, 14 M 17, le sous préfet de Pamiers.
131 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R1 et R2.
132 Arch. dép. Ariège, 1 C 163 ; 1 Mi 10, R1.
133 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 293-294.
134 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, Foix et Montgailhard.
135 Affouage : droit des habitants à prendre le bois nécessaire à leur chauffage. Ce terme est également employé pour désigner l’approvisionnement des forges en combustible ; J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 263.
136 Arch. dép. Ariège, 1 B 3726.
137 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 163, 1773.
138 Arch. nat., 436 AP 382, n° 36.
139 Arch. nat., 436 AP 49.
140 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R1.
141 Archives privées, M. Kapfer.
142 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 145.
143 Arch. nat., 436 AP 49.
144 Arch. dép. Ariège, 1 C 165 ; 138 S 13.
145 Arch. dép. Ariège, 1 Q 964.
146 Arch. dép. Ariège, 138 S 8 ; 137 S 1, État des forges et martinets à fer et à cuivre, 1824.
147 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 64-65.
148 C. Verna, Le temps des Moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 125-128.
149 B. Davasse, Forêts, charbonniers et paysans dans les Pyrénées de l’est du Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 87-147 ; B. Davasse, D. Galop, « Le paysage forestier du Haut Vicdessos. Évolution d’un milieu anthropisé », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1990, vol. 61, p. 433-457.
150 J. Cantelaube, C. Verna, « Les forges à la génoise dans les Pyrénées centrales au XVIe siècle : quel transfert d’innovation ? », Il ferro nelle Alpi, op. cit., p. 152-163.
151 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 64 ; note 1, p. 27.
152 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 228-231 ; sa description est confirmée par Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2.
153 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1.
154 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1, témoignage de Vergniès, de Vicdessos.
155 Arch. dép. Ariège, 3 J 16.
156 Arch. dép. Ariège, 1 C 31, Auzat.
157 Arch. dép. Ariège, 1 C 33, forge de Laprade.
158 Arch. dép. Ariège, 145 E suppl., série BB 7, 8 juillet 1762.
159 Arch. dép. Ariège, 1 J 212.
160 L. de Froidour, Lettres écrites à Mr de Héricourt et à Mr de Meudon, publiées par P. de Castéran, Auch, Foix, 1899, p. 36.
161 Arch. dép. Ariège, 145 E suppl., série BB 7, 25 juin 1759.
162 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 246-247.
163 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R2.
164 Arch. dép. Ariège, 3 J 16.
165 A. de Saint-Blanquat, « Documents inédits ariégeois sur 1789… les cahiers de doléances du Couserans », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1989, p. 105-147.
166 Archives parlementaires de 1789 à 1860, Paris, 1879, tome 4, p. 279-287.
167 J. B. Mercadier, Métrologie du département de l’Ariège, op. cit., p. 46. Ce procédé survit-il à l’instauration du système métrique ? On comprend tout l’intérêt de conserver les mesures anciennes et les pratiques qui vont avec, surtout lorsque l’échange aura disparu !
168 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R1.
169 Arch. dép. Ariège, 145 E suppl., BB 9, 11 février, 8 avril 1770 ; Arch. dép. Ariège, 1 J 212.
170 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix.
171 Arch. dép. Ariège, 145 E suppl., série BB 7.
172 B. Davasse, Forêts, charbonniers et paysans dans les Pyrénées de l’est du Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 142-143.
173 Arch. dép. Ariège, 145 E suppl., série BB 7, 4 septembre 1757.
174 Arch. dép. Ariège, 145 E suppl., série BB 9, 2 octobre 1771.
175 Arch. dép. Ariège, 145 E suppl., série BB 9, 5 septembre 1773.
176 Arch. dép. Ariège, 1 J 318.
177 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 165-175 ; B. Davasse, Forêts, charbonniers et paysans dans les Pyrénées de l’est du Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 167-168 ; l’analyse anthracologique des charbonnières se trouve p. 192-197.
178 Arch. dép. Ariège, 138 S 26, forge d’Ustou, 17 ventôse an 10.
179 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, forge de Cabre, 1811-1827, par exemple.
180 J. François, Recherches sur les gisements…, op. cit., p. 179.
181 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, Oust, 1825.
182 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 5 novembre 1812.
183 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 139.
184 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 et R 3.
185 Hors des Pyrénées ariégeoises, nous avons l’exemple de la forge de Monségou, dans le Tarn, qui est alimentée par 450 hectares de bois demi-futaie, hêtre, mélangé de chêne en quelques endroits. Le service annuel de l’usine, 27880 myriagrammes, absorbe par an la coupe de 20 à 25 ha. La distance des bois est de 7 km. Les 100 myriagrammes de charbon reviennent sur la forge à 51 francs en 1810 dont 1/3 pour le transport, 1/3 pour la valeur du bois et 1/3 pour la façon ; L. Cordier, « Sur la forge à la catalane de Monségou », Journal des Mines, tome 27/1, n° 157, janvier 1810, p. 183.
186 H. Frontault, Essai sur la transformation de la métallurgie au bois dans l’Ariège, op. cit., p. 46.
187 Arch. dép. Ariège, 2 B 261.
188 Arch. dép. Ariège, 5 M 1(3).
189 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, 1811-1827.
190 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France, op. cit., p. 246.
191 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 176.
192 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, renseignements généraux, forge d’Engomer.
193 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, le sous préfet de Pamiers, 1825.
194 Arch. dép. Ariège, 14 M 18, 3ème trimestre 1856, canton d’Ax ; 4ème trimestre, canton de Tarascon.
195 J. Bonhôte, C. Fruhauf, V. Izard, « Le charbonnage dans les Pyrénées : une pratique généralisée mal connue », La forêt charbonnée, op. cit., p. 33-47 ; J. Bonhôte, Forges et Forêts, op. cit., p. 32-36.
196 S. Benoit, « La consommation de combustible végétal et l’évolution des systèmes techniques », Forges et forêts, op. cit., p. 101-109.
197 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, assemblée des propriétaires et fermiers des forges, 1741.
198 Arch. dép. Ariège, 2 B 261.
199 Arch. nat., 436 AP 382, n° 12.
200 Ce paragraphe est repris de J. Cantelaube « Le charbon de terre : un combustible de remplacement pour la forge à la catalane (XVIIIe-début du XIXe siècle) ? », Le Charbon de terre en Europe occidentale avant l’usage industriel du coke, op. cit., p. 177-185.
201 J. H. Hassenfratz, La Sidérotechnie ou l’art de traiter les minerais de fer pour en obtenir de la fonte, du fer ou de l’acier, op. cit., tome III, p. 125-128.
202 Blavier, « Observations sur l’emploi du charbon de houille dans le traitement du minerai de fer, à la forge à la Catalane », Journal des Mines, n° 110 (février 1806), p. 135-166 ; toutes les mentions des expériences de Blavier sont extraites de cet article ; P. Berthier, « Analyses des minerais de fer de la vallée des Arques (département du Lot), et des scories des forges qu’ils alimentent », Journal des Mines, n° 157, (janvier 1810), p. 193-212.
203 Arch. nat., F144300, dossier B ; Arch. dép. Ariège, 1 L 121. Tous les renseignements sur les essais de Vergniès Bouischère sont tirés de ces dossiers.
204 Arch. nat., F144300, dossiers B et 3 ; Arch. dép. Ariège, 1 L 162.
205 L. Cordier, « Sur les mines de houilles de la France », Journal des Mines, n° 215, (novembre 1814), p. 321-400.
206 « Lettre de M. Muthuon, Ingénieur en chef des Mines, à M. Blavier, Ingénieur, au sujet de ses Observations sur l’emploi du charbon de houille dans le traitement du minerai de fer, à la Forge Catalane, insérées dans le n° 110 du Journal des Mines », Journal des Mines, n° 115, (juillet 1806), p. 75-79 ; Muthuon, Traité des forges dites catalanes, op. cit., p. 174-176.
207 G. Jars, Voyages métallurgiques, ou recherches et observations sur les mines et forges de fer, la fabrication de l’acier, celle du fer blanc, et plusieurs mines de charbon de terre, faites depuis l’année 1757 jusques et compris 1769, en Allemagne, Suède, Norwege, Angleterre et Ecosse…, Lyon, Gabriel Regnault, 1774-1781, p. 13-14. Les frères Jars ont réduit du minerai de cuivre avec de la houille ; voir P. Benoit, La mine de Pampailly, XVe-XVIIIe siècles. Brussieu-Rhône, Lyon, 1997, p. 111-113.
208 Arch. dép. Haute-Garonne, C 2417, 679 ; Genssane, Traité de la fonte des mines par le feu du charbon de terre, ou Traité de la construction et usage des fourneaux propres à la fonte et affinage des métaux, Paris, Vallot-La-Chapelle, 1770-1776, 2 volumes.
209 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 169.
210 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. XV-XIX, 69-125.
211 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 5 novembre 1812.
212 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, forge de Montgailhard, 20 août 1824.
213 J. François, Recherche sur les gisements, op. cit., p. 341, 167.
214 V. Serneels, Archéométrie des scories de fer. Recherche sur la sidérurgie ancienne en Suisse Occidentale, thèse de doctorat de l’Université de Lausanne, 1989, vol. 1, p. 63-64.
215 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 270-272.
216 J. François, « Précis historique sur le traitement direct du fer dans l’Ariège, suivi de quelques détails statistiques sur l’industrie du fer dans ce département », Annales des Mines, 3e série, tome XII, 1837, p. 588 ; J. François, Recherche sur les gisements…, op. cit., p. 321 ; Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, tome XV, 1869, p. 168.
217 S. Benoit, « La consommation de combustible végétal et l’évolution des systèmes techniques », Forges et forêts, op. cit., p. 101-105.
218 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts, op. cit., p. 169, note 85.
219 J. François, « Précis historique sur le traitement du fer dans l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 589.
220 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 42.
221 Dardenne, Essai sur la statistique du département de l’Ariège, op. cit., p. 404-405.
222 Arch. dép. Ariège, Z° 2226, État des forges du département de l’Ariège, 1810.
223 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 226-227.
224 Arch. dép. Ariège, Z° 2226, État des forges du département de l’Ariège, 1810.
225 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 54.
226 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome II, p. 437.
227 J. François, « Précis historique sur le traitement du fer dans l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 590.
228 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 138-139.
229 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 35.
230 Ibidem, p. 36.
231 S. Benoit, « La consommation de combustible végétal et l’évolution des systèmes techniques », Forges et forêts, op. cit., p. 87-88, 94.
232 M. Chevalier, « Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos », École des Mines de Paris, M 1827/65.
233 E. Gueymard, « Mémoire sur les forges catalanes de Pinsot situées dans l’arrondissement de Grenoble », Annales des Mines, tome I, 1816, p. 592-593.
234 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer », Annales des Mines, op. cit., p. 486.
235 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 55, note 1.
236 J.-H. Hassenfratz, La Sidérotechnie, op. cit., tome I, p. 15-16.
237 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., 1777, tome IV, p. 169.
238 Héron de Villefosse, De la richesse minérale, 1819, tome III, p. 423.
239 M. Chevalier, « Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos », École des Mines de Paris, M 1827/65.
240 Drouot, « Affinage catalan des environs de Perpignan », École des Mines de Paris, M 1827/62.
241 I. Carrion, « La sidérurgie basque à l’époque moderne », op. cit., p. 248.
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