Une idée de hiérarchie
p. 23-83
Texte intégral
1L’histoire du travail use de mots ou de concepts pour partie anachroniques, tels « travail », « industrie », « artisan » ou « corporation », parfois empruntés tardivement à l’italien (artisan) ou à l’anglais (corporation), et bien souvent issus d’un contexte régional et chronologique précis. Ce fait a été suffisamment mis en évidence pour que l’on puisse s’abstenir d’y revenir en détail1. Si la généralisation du recours à ces notions fait qu’il ne paraît guère possible de ne pas s’y référer dans le cadre d’une étude sur le monde médiéval de la production, leur emploi ne va pas sans quelques difficultés. Que recouvre, par exemple, la notion d’industrie chez les divers auteurs utilisant ce terme pour la période d’Ancien Régime : une fabrication en série ? Un domaine mobilisant en un lieu une grande quantité d’ouvriers salariés et de machines ? Une « faculté de l’âme qui suppose l’invention et se développe hors des normes établies2 » ? Certains se refusent à l’employer pour le Moyen Âge, d’autres y recourent avec plus ou moins de circonspection suivant la définition plus ou moins stricte qu’ils adoptent pour ce terme. La notion fait, aujourd’hui, débat en histoire des techniques ; la question étant de rendre dans toutes leur subtilité et leurs nuances les rapports que purent entretenir artisans et industrie. Le propos de la présente recherche n’est pas de prendre position sur ce point important, de discuter de ce vocabulaire-là. Mais les discussions engagées imposent de ne pas considérer de telles notions comme évidentes et, pour le moins, de préciser le sens dans lequel une partie de ce vocabulaire sera utilisée, de manière à éviter un certain nombre de confusions nuisibles à la compréhension des propos qui vont suivre.
2En dehors des termes « maître », « valet », « compagnon », « ouvrier » et « apprenti », sur lesquels nous reviendrons en détail ultérieurement, l’emploi de « métier », « artisanat », pouvait poser problème. Nous n’avons pas cherché à dégager, pour l’occasion, des définitions personnelles, plus ou moins consensuelles. Chacune de celles que nous adoptons peut être discutée – ce qui, une fois de plus, n’est pas le propos du présent travail. Ces définitions n’ont pour but que de clarifier le vocabulaire employé dans la suite du texte.
3– « Artisan » : ce mot n’apparaît dans la langue française qu’au milieu du xvie siècle, vraisemblablement issu de l’italien. Il désigne selon Émile Littré « celui qui exerce un art mécanique, un métier3 ». De nos jours, l’artisan est un « travailleur qualifié exerçant, pour son compte personnel, seul ou avec l’aide de quelques compagnons (de 1 à 10) une activité manuelle4 ». Quant à « artisanat », le mot n’apparaît pas avant la fin du xixe siècle (il n’est pas donné par Littré). Il s’agit d’un « secteur d’activité défini depuis 1962 par la notion de taille d’entreprise (limitée à 5 salariés, puis 10) et par une liste de métiers où l’activité de transformation l’emporte sur l’activité de distribution5 ». L’artisan, réduit au petit patron, voit donc son champ d’activité considérablement restreint. Ce glissement sémantique s’explique par le fait que « les observateurs et théoriciens du travail et de la plus-value ont unifié d’un mot – l’artisanat – le monde très complexe des anciens métiers pour mieux l’opposer à l’industrie6 ». Nous nous en tiendrons, dans le cadre de cette étude, à la définition large de Littré pour le terme « artisan ». Il ne nous a toutefois pas paru possible de ne pas tenir compte de l’opposition entre industrie et artisanat aussi avons-nous opté pour une solution quelque peu ambiguë en considérant l’artisanat comme une « catégorie du travail et des services de proximité7 ».
4– « Industrie » : par opposition à l’artisanat, l’industrie se définira par « la commercialisation d’une production massive, en série, de qualité constante8 ».
5– « Corporation » : ce terme ne s’est imposé en France pour désigner les organisations de métiers que vers 1750. Il venait de Grande-Bretagne où il désignait « tout groupement doté de la personnalité légale par une charte de la Couronne ou par un acte du Parlement9 ». Certains historiens en proscrivent l’usage10. Il nous a paru difficile d’en faire de même tant le terme est d’un usage courant. Nous l’avons adopté dans la définition qu’en donne Émile Coornaert : « Groupement économique de droit quasi public (ou semi-public), soumettant ses membres à une discipline collective pour l’exercice de leur profession11. »
6– « Métier » : le mot métier désigne tout à la fois la profession, « l’exercice d’un art mécanique » (Littré) et le corps de métier, l’organisation regroupant les artisans exerçant la même profession. Nous utiliserons ces deux sens, distinguant le second par des guillemets.
7– « Ouvrier » : nous emploierons ce terme, dans un sens plus réduit que celui qu’il avait au Moyen Âge, pour désigner toute personne ne travaillant pas pour son compte, par opposition au patron.
Une notion historique : usages de la hiérarchie chez les historiens contemporains
Le fait corporatif
8Le premier constat que l’on peut faire, à la lecture du dossier réuni, est que la hiérarchie maître - valet - apprenti se trouve généralement mentionnée dans le cadre de l’analyse des « métiers » ou corporations entre xiiie et xve siècle. C’est, en effet, dans près de 80 % des cas, au sein d’un paragraphe ou d’un chapitre intitulé « statuts et règlements12 », « les métiers, instruments de contrôle économique et social13 » ou, plus sobrement « les métiers14 », voire « corporations15 », que cette division est évoquée16.
9Diverses raisons peuvent être invoquées pour justifier ce phénomène. La première réside dans le fait que la question du travail à la fin du Moyen Âge se trouve plus d’une fois réduite à celle des corporations17. Les dictionnaires, glossaires et autres lexiques en offrent l’illustration ; Les cinquante mots clés de l’histoire médiévale retenus par Pierre Bonnassie ne comprenant que les entrées Corporation et Forge pour aborder le domaine de la production non agricole18. Il est possible d’expliquer en partie ceci par le fait que, pour certains, « l’organisation corporative reposait sur la hiérarchie des apprentis, des compagnons et des maîtres19 » ou que l’une des « préoccupations essentielles » de la réglementation corporative était « le souci de hiérarchiser et de figer le travail20 ». Maurice Bouvier-Ajam en fait l’un des douze points de la « théorie des corps de métiers » qu’il développe dans le cadre de son Histoire du travail en France21. Après quelques précautions relatives à la portée de cette théorie qui « ne saurait être générale » car « les particularités régionales et les dérogations circonstancielles, les spécificités de certains métiers et les différences de l’empirisme constructif ne le permettent pas22 », ce juriste « énumère les caractéristiques de la corporation dans la période capétienne, qui resteront, malgré les vicissitudes de l’évolution, très perceptibles dans la corporation des âges classiques ». Le troisième de ces « douze points essentiels » précise que « la corporation est une institution hiérarchisée en maîtres, compagnons et apprentis ».
10Admettons cette théorie, fortement influencée par les travaux d’Étienne Martin Saint-Léon et de François Olivier-Martin, et considérons, pour le moment, la tripartition maître - valet - apprenti comme la hiérarchie corporative classique. On peut alors s’interroger sur les hiérarchies non corporatives, mais qu’existe-t-il hors du système corporatif ? La première distinction, majeure, dont nous trouvons mention repose sur le fait que « si l’artisanat n’est pas spécifiquement urbain, ce qui l’est, en revanche, c’est, à partir de la seconde partie du XIIIe siècle, son organisation en métiers23 ».
Production artisanale et monde rural
11Si, comme le souligne Monique Bourin24, « les activités secondaires ne sont nullement un monopole des villes du xiiie siècle », la place faite au « mécanicien » du village et aux artisans ruraux en général est plutôt réduite25. L’essor de ce type de production, particulièrement sensible à partir du xive siècle, a surtout été envisagé sous l’angle des rapports entre ville et campagne, dans le cadre, notamment, de l’étude du Verlagssystem26. L’organisation interne de cette production, jugée dans bien des cas, pour la période médiévale, comme une simple source de « profits complémentaires27 », ne fait pas l’objet de mentions spécifiques. Elle semble, pour Georges Duby, se confondre avec celle de la famille paysanne quand il écrit : « Pour les familles de cultivateurs, il était plus facile de se procurer quelques ressources d’appoint en exerçant, sans abandonner le travail de la terre, un artisanat à temps partiel […] en fabriquant à la maison quelques objets28. » Alain Belmont, dans la belle étude qu’il a récemment consacrée aux artisans ruraux du Dauphiné sous l’Ancien Régime, insiste sur la « souche paysanne » dont ces artisans ne se démarquèrent que progressivement au cours de l’époque moderne, mais lorsqu’il envisage la vie quotidienne de ces hommes et femmes, et leur accès au métier, c’est sur le mode de la division tripartite maître - valet - apprenti29. L’essentiel de la documentation rassemblée par cet auteur pour traiter de cette question s’avère, il est vrai, postérieure à 1550 (507 contrats sur 510) ; il rejoint toutefois les propos de Philippe Contamine lorsque, traitant du Moyen Âge tardif, il note que « à la campagne et surtout en ville, les gens de métier (maîtres, compagnons ou valets, aussi appelés sergents ou joindre à Paris, apprentis) constituaient un secteur fondamental30 ».
12Cellule familiale paysanne ? Hiérarchie corporative ? Pour Georges Duby, les deux types peuvent n’en faire qu’un puisque, décrivant le monde des associations de métier, il dresse le portrait suivant : « Le maître, un ou deux compagnons, un ou deux apprentis, qui, le plus souvent sont ses fils, vivent tous en commun, à la même marmite, dans un climat très semblable à celui du lignage rural31. » Philippe Contamine parle, lui, d’« ambiance familiale32 ». Il faut se contenter d’allusions, d’assimilations car l’organisation interne du secteur secondaire rural n’a pas droit de cité dans les histoires générales du travail, celui-ci se trouvant, à bien des égards, écrasé par son pendant urbain : « Tout de même, que les arbres ne nous cachent pas la forêt : c’est dans les faubourgs urbains, bruissants d’activité, fleurant la teinture, le tan et les peaux que réside l’essentiel de l’industrie33. »
13La concentration artisanale en ville est un phénomène indéniable mais les campagnes abritaient encore, à la fin du Moyen Âge, la majeure partie de la population (90 à 95 % selon une évaluation très générale de Guy Fourquin34). Et, parmi ces paysans, combien de paysans-artisans ? 13 % dans les villages picards où les comptages sont possibles pour le xiiie siècle35 ; environ 10 à 15 %, voire 40 %, en Dauphiné au milieu du xve siècle36. « Assurément une partie non négligeable de la population rurale37. » Les données chiffrées sont trop rares pour apprécier pleinement cette catégorie et ses fluctuations mais elles engagent à ne pas en minimiser l’importance. D’un strict point de vue quantitatif, et sans spéculer outre mesure sur des données plus que lacunaires, notons qu’avec 10 % de 90 % de la population totale, les effectifs de l’artisanat rural rejoindraient à peu près ceux de l’ensemble des citadins. Où est l’arbre et où est la forêt ? Cette évaluation très grossière ne peut que nous faire regretter de ne pas disposer de renseignements plus précis sur ce versant des activités de production.
14Revenons, faute d’éléments spécifiques pour le monde rural, à la ville : cadre sinon exclusif du moins largement majoritaire des exposés portant sur l’organisation de la cellule de production.
De la diversité urbaine
15Nombre d’auteurs rappellent que « le régime corporatif est loin de s’imposer partout, à toutes les professions et à tous les travailleurs38 ». La diversité géographique nous retiendra peu ; l’exemple de la ville de Lyon, repris par une grande partie des publications39, suffisant à illustrer une proposition largement admise. Il convient, en revanche, de s’arrêter sur les différences entre professions et entre travailleurs.
– « À toutes les professions »
16Si l’on trouve, sous la plume de Georges Duby, que « mis à part les éléments domestiques et les éléments troubles, mendiants, vagabonds, étroitement surveillés et soumis à un régime d’exception, tous les hommes de la ville, tous ceux qui participent à ses franchises et portent le titre de bourgeois, se trouvent ainsi englobés dans ces associations professionnelles40 », il faut replacer cette phrase dans le contexte des villes capétiennes des années 1180- 1270. Même pour un domaine aussi circonscrit, la proposition est apparue trop forte ;
17Robert Delort rappelant, par exemple, que « Paris, d’après le Livre des métiers d’Étienne Boileau, n’aurait eu que 101 métiers jurés, sur plus de 300 que mentionnent les livres de taille, à la fin du xiiie siècle41 ». Le constat d’une diversité de situations s’impose, mais quelques hésitations demeurent quant à la classification des solutions observées. Les manuels, quand ils abordent cette question, font, dans la plupart des cas42, état de deux grands types43, dotés de nombreuses formes intermédiaires : les métiers jurés, organisés en communauté dont les membres, liés par serment, se sont dotés eux-mêmes de leur loi ; les métiers réglés, obéissant à un certain nombre de règles édictées par la municipalité ou le pouvoir seigneurial.
18L’ambiguïté, déjà soulignée, du terme métier (tour à tour profession ou association professionnelle) explique sans doute qu’évoquant les « métiers » (associations), un certain nombre d’auteurs ne prennent pas en considération le cas des métiers (professions) dits libres, c’est-à-dire « caractérisés par la libre concurrence44 ». Ce type de travail, soumis aux règlements de police, s’est vu, en outre, englobé par d’autres dans l’ensemble des métiers « réglés45 ». La notion de liberté a des limites floues d’où une multiplicité de points de vue possibles qui explique les différences d’appréciation et les précisions apportées par certains auteurs. Alors que Robert Delort constate sobrement « on ne connaît guère les travailleurs libres, bien qu’ils soient probablement majoritaires dans de nombreuses villes46 […] », Maurice Bouvier-Ajam n’évoque que « métiers jurés, métiers réglés et formes intermédiaires », notant cependant que si « la liberté absolue est rare, très rare […] il n’empêche qu’il y a toujours eu de surprenantes exceptions à la règle47 ». D’abord très prudent, Philippe Wolff écrit, pour sa part, que « la liberté du travail, au sens où l’ont entendue les libéraux du xixe siècle, est à peu près absente de l’artisanat médiéval », mais, dans la phrase suivante, il tranche : « Il faut se borner à marquer une différence entre “métiers jurés” et “métiers réglés48”. » Peu ou prou, tous les auteurs reconnaissent l’existence du travail libre mais divergent quant à leur évaluation de cette pratique jugée, comme on le voit, « à peu près absente », « rare, très rare » ou « majoritaire ». Les historiens rencontrent quelques difficultés à définir les catégories49. Le fait est clairement perceptible dans l’exposé d’Édouard Dolléans qui, abordant la diversité des types de métiers, énumère : le métier libre, le métier juré et le métier réglé, mais précise, dans ce dernier cas, que « ce métier sera tantôt un métier libre, en ce sens que l’accès en sera ouvert à tous, l’exercice seul en étant réglementé par la municipalité, tantôt un métier organisé et hiérarchisé comme la jurande50 ». Le problème n’a pas, pour le moment, trouvé de solution et, dans la majorité des publications, la question du métier libre se trouve soit contournée par la seule prise en considération des associations professionnelles, soit minimisée, marginalisée, voire éludée suivant l’invite faite par Philippe Wolff. Et le système corporatif de s’imposer insidieusement sinon à l’homme médiéval du moins au médiéviste.
19Cette réduction radicale du champ d’étude est un phénomène suffisamment important pour que l’on puisse s’arrêter un instant sur les formes qu’elle emprunte. Là encore le recours à des citations s’avère utile, non pour pointer d’éventuelles erreurs – ce qui ne revêt aucun intérêt – mais pour mettre en évidence certains des mécanismes de la focalisation du discours sur les métiers jurés et/ou réglés. Il y a, en premier lieu, l’omission due à une optique particulière (politique, par exemple) : « Pour parer à la crise, on avait eu recours au dirigisme municipal, sous forme de réglementation urbaine et d’organisation corporative ; les métiers jurés limitaient la production, supprimaient la libre concurrence, assuraient l’hégémonie des maîtres sur les artisans et les apprentis51 […]. » Il y a aussi la raison quantitative, le choix du majoritaire, du plus représentatif : « Au xiiie siècle, les professions artisanales ne sont pas encore toutes organisées en “métiers” […]. C’est cependant le cas du plus grand nombre, et le “métier” est un aspect caractéristique du travail en France du nord et en Languedoc52. » De la majorité à la norme, il n’y a qu’un pas et, pour les xive-xve siècles, on trouve : « La structure du travail artisanal en ville n’a pas connu de modifications comparables à celles de la seigneurie campagnarde. Les métiers, les arti, demeurent toujours le cadre normal de l’embauche, et de la sécurité53. » Il y a, de même, la vision dynamique qui dégage les grands traits d’une évolution dépassant parfois la période médiévale : « Après une phase de croissance sauvage, ils [les acteurs économiques] sont aussi passés au stade de l’organisation professionnelle54. » Il y a également la dissociation du général et du particulier : « En s’insérant plus complètement dans le cadre urbain, il [l’artisanat] s’organise en métiers […]. Le régime corporatif est loin de s’imposer partout, à toutes les professions, à tous les travailleurs55. » Ce dernier exemple illustre bien la forme sous laquelle le métier organisé (juré et/ou, dans une moindre mesure, réglé) s’impose comme modèle représentatif du cadre du travail à la fin du Moyen Âge. Ici, le caractère abusif de la généralisation est atténué par une phrase corrective, qui relativise la portée de la première proposition, mais cette pratique n’est pas partagée par tous les historiens, certains affirmant : « À la fin du “Moyen Âge”, dans les villes d’Occident, tous les métiers s’organisaient effectivement en guildes très solides56. »
20Mal connu car mal documenté, atypique, le travail libre demeure comme un clou dans la chaussure de l’historien du travail qui ne peut nier sa réalité mais ne parvient pas à la cerner. D’où une tentation de définir cette catégorie par comparaison. La distinction formalisée par Édouard Dolléans entre métier libre (ouvert à tous) et métier « organisé et hiérarchisé comme la jurande » réduit le choix à une alternative57. L’analyse formelle des métiers se fait suivant deux grilles différentes, superposables, mais utilisant un vocabulaire en partie commun.
21Dans le modèle bipartite exposé par Édouard Dolléans la différenciation porte sur la possession ou non de certains critères de la jurande. Ce mode de classement se retrouve, de manière plus large, dans l’emploi d’expressions telles que « métiers organisés58 » ou « métiers structurés59 » pour désigner les corporations. Cela ne sous-entend-il pas, en retour, que les métiers libres seraient « inorganisés » ou « non structurés » ? Ne faut-il pas voir dans cette difficulté à envisager les métiers libres, la marque d’une approche trop strictement juridique de la question du travail ? Cette facette de la production a du mal à trouver place dans les classifications établies par les juristes, peut-être parce que, précisément, aucune réglementation n’y est attachée.
22Revenons à la question de la hiérarchie. La distinction opérée par Édouard Dolléans porte pour une bonne part sur la hiérarchisation. Faut-il comprendre que les métiers libres ont une hiérarchisation différente, ou qu’ils n’en ont pas ? L’absence de virgule entre « organisés et hiérarchisés », d’une part, et « comme la jurande », d’autre part, laisse la question pendante. Cette absence de précision n’est pas spécifique à Édouard Dolléans car aucune autre publication ne se lance dans une quelconque comparaison explicite de l’organisation interne des différents types de métiers évoqués. Là encore, il faut se contenter d’essayer de saisir l’implicite. Les trois quarts des ouvrages consultés n’envisagent la question de la hiérarchie que dans le cadre strict de la corporation. Cet aspect de l’organisation du travail était considéré par beaucoup comme une des caractéristiques majeures des « métiers », mais le tient-on pour un trait exclusif de ces derniers ?
23La présentation de la division en maîtres, valets et apprentis se fait dans des termes en général relativement neutres ; la corporation « est composée de60 », « rassemble61 », « comprend62 », « réunit63 », etc. Toutes formulations qui laissent entendre que ces catégories pouvaient se retrouver plus largement64. De même, quand Édouard Perroy écrit – nous l’avons vu – que les métiers jurés « assuraient l’hégémonie des maîtres » cela n’implique-t-il pas que, en dehors de ce système, maîtres, valets et apprentis existaient aussi ou déjà ? C’est aussi ce que donne à entendre Jacques Le Goff quand il constate que l’organisation corporative fait « apparaître sous un jour plus direct et plus cru les stratifications et les antagonismes socio-professionnels à l’intérieur du métier65 ».
24Aucun des ouvrages consultés ne s’attache à décrire ce qu’a pu être l’organisation du travail libre, mais certains adoptent un point de vue large ou, tout au moins, ne se limitent pas expressément au système corporatif. Dans Les bonnes villes de France du xive au xvie siècle, Bernard Chevalier, abordant les structures de l’économie urbaine au xive siècle, commence par déclarer que « les bonnes villes ne connaissent qu’une seule cellule de travail et de vie sociale tout à la fois et c’est l’atelier familial ». Puis il se livre à une évocation de cet atelier : « Au sein de cette petite exploitation qui est aussi un “feu”, toutes les fonctions se confondent : l’ouvroir où l’on travaille est une pièce de la maison d’habitation, le patron est le “ménager”, chef de famille, les garçons restés au foyer apprennent le métier du père comme l’apprenti nourri et logé, la mère donne le coup de main au travail, tient l’étal à la halle, fait la cuisine et le ménage avec ses filles. S’il arrive que le “maître” ait besoin d’un valet salarié et la mère de chambrières pour les aider, ces domestiques sont membres du feu et partagent la table et souvent la chambre familiales66. » Nous y retrouvons la triade maître - valet - apprenti, « présente dans chaque atelier67 », et la cellule familiale, déjà évoquée pour l’artisanat rural. Nous voyons, ici encore, se rejoindre travail et famille dans cette notion d’atelier familial68 que l’on trouve appliquée également aux unités de production des corporations où « apprentis et ouvriers sont soumis au maître, à qui ils doivent obéissance. Chaque échoppe est une sorte de plus grande famille où l’autorité du maître se confond avec celle du père69 ». Les recoupements entre les deux sont nombreux70, les similitudes également, et l’on trouve à de multiples reprises allusion aux maîtres « vivant comme en famille avec ses quelques valets et apprentis71 », ou à « un caractère familial assez marqué72 ». « Comme en famille », « caractère familial », « ambiance familiale », le risque de confusion justifie pour certains auteurs une mise en garde : « Ces pratiques ne doivent pas faire conclure que les corporations constituent un système familial et idéal. Les compagnons sont des salariés73. » Si l’on peut ainsi réduire les unités de production à une cellule de base qui serait (réellement ou artificiellement) familiale, où réside alors, en matière de hiérarchie interne, la différence entre « métiers organisés » et libres ? Dans le caractère plus strict, ou plus formel, de la division ? C’est ce que l’on peut penser, mais cela reviendrait à opposer, en quelque sorte, l’atelier familial à l’atelier pseudo-familial, qui regrouperait des étrangers au sein d’un atelier familial ou sur un modèle familial. Cela impliquerait également une assimilation entre le travail libre et le travail « en famille », et aucun auteur ne va jusque-là.
25L’image de l’artisan affairé dans son atelier, quoique omniprésente, est dans bien des cas relativisée par la mention d’autres cadres de production74. La mine, dont l’exploitation est à la fin du Moyen Âge de plus en plus confiée à des équipes de salariés75, en est un ; mais l’exemple le plus flagrant est le chantier de construction, considéré comme le lieu du salariat par excellence76. Le chantier – entendons par-là celui des constructions monumentales, des emblématiques cathédrales – a longtemps été envisagé comme un cas « à part77 ». Son étude, bien souvent de type monographique a, à quelques exceptions notables près78, été conduite par des historiens de l’art ou des archéologues plutôt que par des spécialistes d’histoire sociale et/ou économique79. Même si le développement des recherches sur les divers types de chantier a permis de constater que « les mêmes hommes sont capables de travailler dans des contextes bien différents, et qu’en dépit des barrières qu’érigent les métiers, ils peuvent être amenés à se définir autrement que par leur formation initiale et leur appartenance à une fraternité80 » – atténuant par-là l’image tenace d’artisans d’exception voués aux seules constructions monumentales – , le monde du chantier connaît encore un traitement particulier car il échapperait, au moins en partie, à l’emprise de la réglementation professionnelle ou urbaine. Mais quand, par exemple, Bronislaw Geremek décrit la situation singulière du bâtiment, il recourt pour ce faire aux trois catégories d’apprenti, maître et valet, ce qui laisse entendre que cette subdivision n’est pas complètement remise en cause pour ce domaine81. Ce système n’est, du reste, pas incompatible avec une organisation – mise en avant dans bien des textes82 – qui regrouperait, selon un schéma également ternaire, maître d’œuvre, ouvrier qualifié et manœuvre, dans la mesure où il n’englobe pas tous les travailleurs.
– « À tous les travailleurs »
26Certaines catégories de travailleurs échappent, en effet, à l’emprise de la corporation. De nombreux auteurs y insistent, mettant principalement en avant le cas des ouvriers non qualifiés83. Une séparation stricte entre capital et travail dénie en effet le plus souvent à l’entrepreneur la qualité de travailleur et lie son étude à celle de la naissance du capitalisme.
27Dans « l’industrie lainière », il y a, pour Roberto S. Lopez, d’une part, « la cohorte des maîtres, apprentis et ouvriers qualifiés des guildes […] plutôt bourgeois que prolétaires » et, de l’autre, « tout au bas de l’échelle, les prolétaires : ouvriers et ouvrières non spécialisés84 ». Cette césure entre qualifiés et non qualifiés est plus d’une fois évoquée85. C’est grâce à elle que l’on passe des dehors de la corporation au bas de la hiérarchie sociale : « Reste le cas des travailleurs libres, soumis non aux stricts règlements corporatifs, mais aux dures lois de la concurrence ; ceux qui, en début de journée, à Paris comme à Cologne ou ailleurs, n’avaient pas trouvé de place au marché de l’embauche, soit devaient accepter un salaire très bas pour un travail non spécialisé, soit risquaient de jeûner86. » Des exclus aux « hors la Loi », il n’y a qu’un pas, franchi par Robert Fossier qui, dans un récent ouvrage sur Le travail au Moyen Âge, résume la situation des « hors statuts » en ces termes : « Même après qu’eurent été rédigés les statuts, règlements, assises et communautés, […] des groupes d’hommes ont échappé à la Loi. Les exclus de la société, certes, mais aussi des individus dont l’activité échappe à tout contrôle, soit parce qu’ils ne peuvent être atteints par l’ordre humain, soit parce qu’ils forment des groupements extérieurs au monde ordinaire et qu’ils se régissent selon leurs propres usages87. »
28Au monde réglé, organisé, structuré, charpenté (les qualificatifs employés sont multiples) des groupements professionnels se voit donc opposé, sous des formes négatives, celui des non spécialisés, non qualifiés, hors statuts, exclus. D’un côté l’ordre, l’organisation, et de l’autre : l’inorganisation, le désordre ? La situation n’est jamais décrite dans ces termes quoi que nous n’en soyons pas loin lorsque Jacques Le Goff écrit, comme il a été relevé plus haut, que l’organisation professionnelle succède à une phase de croissance « sauvage ». Robert Fossier88, plus radical, évoque la « nécessité » ou le « besoin » de groupement et de règlement pour les travailleurs urbains. Si « on ne peut travailler dans le désordre89 », de quel ordre parle-t-on ? De celui de la « mise en ordre » effectuée par les corporations au xiiie siècle90 ?
29Les visions proposées sont diverses, plus ou moins précises, plus ou moins radicales, mais elles se rejoignent sur l’importance accordée au fait corporatif. Même remis en perspective, le système corporatif demeure l’angle d’approche privilégié, sinon unique, des métiers médiévaux et, partant, de leur organisation interne. La hiérarchie maître - valet - apprenti, présentée comme caractéristique des métiers organisés, apparaît dans ce cadre comme une structure unique. Elle se trouve, en outre, dans la position paradoxale d’un trait distinctif que l’on pourrait qualifier d’universel puisque ce schéma est utilisé, en dehors du cadre corporatif, pour décrire, par exemple, la structure d’entreprises rurales ou les relations dans le monde du bâtiment. La terminologie paraît, ici, imposer une logique implacable : l’organisation interne des métiers est celle des métiers organisés. Il est, bien sûr, fait mention d’ateliers familiaux, mais ces derniers ne sont pas présentés comme une véritable alternative dans la mesure où, au xiiie siècle au moins, « l’atelier est familial ». Au juste, qu’entend-on par « familial », car la notion de famille n’est pas sans poser problème au médiéviste91 ?
30Les rares descriptions proposées92 montrent que l’on ne doit pas adopter ici la définition actuelle des économistes réduisant la famille au seul ensemble formé par les époux et leurs descendants. Nous voyons qu’au-delà de cette famille étroite le terme « familial » recouvre, dans nos manuels, la famille élargie, notamment à la domesticité, et la famille artificielle que peut constituer l’unité économique de production formée, dans une « ambiance familiale », d’un maître et d’un ou plusieurs valets et apprentis sans lien de parenté entre eux93. Notons qu’aucun de ces types de groupement – ou des formes intermédiaires qui en résultent – n’est fondamentalement incompatible avec le système corporatif. La reconnaissance, par les historiens, de la large diffusion du modèle maître - valet - apprenti semble reposer en partie sur le syllogisme qui suit : si toutes les formes d’atelier familial peuvent se retrouver au sein des corporations, et si, au sein des corporations, la subdivision en maîtres - valets - apprentis est de règle, alors cette hiérarchie doit nécessairement se retrouver dans tout atelier familial. Ajoutons que la position de l’atelier familial urbain, présenté comme largement majoritaire dans le système médiéval de production artisanale, renforce encore le sentiment d’universalité de cette subdivision : comme l’atelier est familial, la cellule de production est hiérarchisée suivant le schéma (corporatif) ternaire maître - valet - apprenti ; ce qui ne va pas sans poser problème, malgré le caractère « familial » proclamé, pour traiter du travail des femmes et des enfants. L’enfant était-il toujours un apprenti ? Et qu’en était-il de la femme du maître, ni tout à fait maîtresse, ni tout à fait employée ? La force du modèle corporatif se mesure à son pouvoir d’exclusion. Le cas des femmes en offre la meilleure illustration94. Leur travail a, de fait, longtemps été occulté95. On peut penser, comme le suggère Michelle Perrot96, qu’une « valorisation abusive mais signifiante du travail “productif” a érigé en seules travailleuses les salariées », évacuant, par-là, les participations plus informelles, largement dominantes. Mais cette cause ne se double-t-elle pas d’une impossibilité à envisager le travail féminin – toutes les formes de travail féminin – dans le cadre corporatif ? Gustave Fagniez le suggérait en 1929, notant que : « Pour se faire une juste idée du développement de la main-d’œuvre féminine, il faut descendre aux derniers rangs de cette hiérarchie [corporative], il faut même franchir les limites du monde corporatif. La vie professionnelle est beaucoup trop soumise aux besoins de ceux qui en vivent, et plus encore de ceux du public, pour avoir jamais pu se renfermer dans les cadres rigides de ce monde-là97. » Le développement autonome de ce champ de recherche, ces dernières décennies, en une Histoire du travail des femmes98, s’explique probablement en partie par notre dépendance à l’égard de ce cadre99 : comment traiter du travail des femmes avec un vocabulaire, une grille de lecture, empruntés aux corporations alors que ces groupements eurent tendance à exclure les femmes100 ? Les outils manipulés pour appréhender le travail des femmes manquent de neutralité mais limiter leur analyse à des rapports de genre ne ferait que nuire à leur compréhension. Il n’est pas difficile d’entrevoir, par exemple, la difficulté qu’il y a à concevoir la présence de métiers entièrement libres dans un monde du travail où régnerait, au minimum, une hiérarchisation organisant les relations entre les principaux acteurs.
31La notion d’atelier « familial » induit également une certaine stabilité des rapports. L’« harmonie101 » qu’est censé maintenir le « souci d’ordre et de morale102 » présidant à l’établissement du régime corporatif, est clairement remise en question par certains auteurs qui, comme Jacques Rossiaud, parlent à son endroit de « légende dorée » ou, comme Jacques Le Goff, soulignent que « la solidarité urbaine qui, à travers statuts, corporations, mouvement des affaires, crée un équilibre entre les diverses couches citadines reçoit souvent des faits un grave démenti103 ». Reste le caractère durable de la relation qui justifie a contrario, semble-t-il, l’assimilation des travailleurs libres aux manœuvres, journaliers et exclus, inscrits, eux, dans le temps plus court d’une vie au jour le jour.
32Nous avons vu, par ailleurs, que le bâtiment peut reprendre en partie le schéma de l’atelier familial. Quant à l’organisation des mines ou des (rares) installations industrielles évoquées, elle est généralement abordée en termes de salariat et de capital, renvoyant dos à dos, ou face à face, employés et employeurs104. Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de souligner que plusieurs auteurs insistent sur le fait que le système corporatif, avec sa hiérarchie tripartie, laisse échapper deux catégories d’acteurs économiques : les entrepreneurs, ou donneurs d’ouvrage, d’une part, et la main-d’œuvre non qualifiée, d’autre part ; catégories qui regrouperaient respectivement capitalistes et prolétaires105. À la tripartition corporative répondrait une bipartition extra corporative ; la « corporation » apparaissant comme une structure médiane, comme un « tiers départageant » assurant, en quelque sorte, la stabilité de l’ensemble. Mais l’opposition entre salariant et salarié – pour reprendre les termes de Pierre Chaunu106 – peut également se transposer entre maître et dépendant ; la hiérarchisation n’apparaissant que comme une possibilité d’approche de l’organisation interne, parmi d’autres. Alors, pourquoi ce choix ? Les questions de hiérarchie ont, jusqu’à présent, été abordées d’un point de vue général, faisons place, à présent, à certaines nuances, notamment chronologiques.
Tri ou bipartition – de l’ordre à la lutte des classes
33La hiérarchie corporative classique distingue, nous l’avons vu, trois catégories d’acteurs. Il arrive cependant que certains historiens aient recours, pour décrire le monde du travail, à une simple bipartition entre maîtres et ouvriers. Ces deux visions n’ont, du reste, rien d’incompatible si l’on en juge au fait qu’elles peuvent cohabiter chez un même auteur. Que signifie alors le passage d’un système ternaire à un système binaire ? Il semble que plusieurs raisons, parfois concomitantes, puissent être invoquées, et, en premier lieu, la position particulière de l’apprenti107.
L’apprenti : faux valet ou maître en puissance ?
34La catégorie des apprentis se trouve à de multiples reprises omise lorsque, d’un trait rapide, l’historien évoque, tel Louis Halphen, la ville « peuplée d’artisans, maîtres et ouvriers, vivant de l’industrie et du commerce108 ». On peut penser que l’apprenti a, alors, été englobé dans un ensemble plus large, avec les compagnons ; Jacques Heers fait ainsi allusion, dans un paragraphe intitulé « Ouvriers et compagnons », au prolétariat qui comprend « les petits ouvriers, compagnons et apprentis109 ». Mais quand il est fait mention des « travailleurs, maîtres ou compagnons110 », où se trouvent les apprentis ? Ces derniers ne seraient-ils, alors, pas considérés comme des travailleurs ? C’est ce que peut laisser entendre l’emploi du terme « ouvrier » ou « artisan » en lieu et place de « valet » dans les formules « maître - ouvrier - apprenti » ou « maître - artisan - apprenti », utilisées parfois111. Le fait que l’apprenti soit normalement en formation pourrait justifier de considérer son cas comme particulier. Il est toutefois à noter que cette raison n’est jamais invoquée. Le recours aux apprentis comme simple main-d’œuvre est, en outre, largement mentionné en raison d’une possible concurrence avec les valets du fait de l’allongement excessif de leur stage112.
35L’analyse que, à la suite d’Édouard Perroy, Robert Fossier ou Jean Kerhervé font de la situation ouvre, semble-t-il, d’autres perspectives. Ces derniers opposent en effet la position du valet, « simple compagnon salarié louant ses bras pour une période », à celle de l’apprenti, sur laquelle « un parfum domestique plane toujours113 ». Plus qu’entre travailleurs et apprentis (au sens de personnes apprenant le métier), la distinction se ferait donc entre salariés (extérieurs à la familia du maître – Édouard Perroy parle de maisnie) et domestiques (intégrés à la familia du maître). La formule de Bernard Chevalier selon laquelle l’apprenti serait un « travailleur au pair » résume bien cette situation. Elle rend compte d’une position, entre maison et boutique, entre patron et ouvrier (ou salarié), que certains auteurs114 ont, semble-t-il, cherché à traduire par le recours au schéma maître - apprenti - valet, rapprochant le maître de l’apprenti (« maître en puissance »), et l’éloignant, dans le même temps, du valet, « destiné à demeurer dans son état toute sa vie115 ». À partir du moment où le caractère graduel implicite de la hiérarchie apprenti - valet - maître est, ainsi, remis en cause, les apprentis peuvent être classés avec les maîtres – qui « [les] prendront dans leur famille au début du xive siècle116 » – et/ou parmi les ouvriers ; l’allongement de leur stage les amenant à « prendre la place des salariés117 ». La superposition est, de ce fait, possible entre tri et bipartition ; elle correspond avant tout à un changement d’optique mettant en avant les rapports de dépendance ou une opposition entre liens « familiaux » et rapports d’argent. On peut alors s’interroger sur les raisons de ce changement d’approche, mais, pour ce faire, il faut replacer ces considérations dans le contexte plus large de l’étude de l’évolution des rapports de production.
De l’harmonie à la lutte de classes
36Il est très largement admis118 qu’entre le xiiie siècle et, disons, les xive-xve siècles (les appréciations divergent sur ce terme), les métiers connurent une fermeture progressive. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche119 résument de manière particulièrement explicite cette évolution lorsqu’ils écrivent : « L’hérédité des ateliers est une réponse normale à l’insécurité de la période [le xive siècle]. Dans ces conditions, les valets n’accèdent plus à la maîtrise : de transitoire, leur situation devient permanente. Ils forment donc une main-d’œuvre salariée à laquelle viennent s’ajouter des maîtres trop pauvres, contraints de travailler chez d’autres, et des apprentis dont le temps d’apprentissage s’est démesurément allongé. Cette évolution est capitale : elle favorise l’essor du marché libre du travail où le salaire est fonction de l’offre et de la demande, par opposition au marché réglementé du xiiie siècle et elle développe, en particulier chez les valets, un esprit de corps […]. Les conflits sont nombreux : les ouvriers forment des “alliances” et se mettent en grève. »
37Évolution capitale qui conduit, en premier lieu, d’une situation où chaque individu serait amené, au cours de sa carrière, à gravir tous les degrés de la hiérarchie professionnelle, à une sclérose des rapports faisant du valet un salarié à vie. La fermeture de l’accès à la maîtrise – toutes les synthèses y insistent – est progressive : la frontière « tend » à devenir infranchissable120 ; les difficultés « s’ajoutent121 » ; la réglementation « se développe122 » ; les conditions de vie sont « de plus en plus » dures123 ; on « glisse » vers l’hérédité124. La chronologie joue ici un rôle majeur : suivant l’époque considérée et la perception qu’a l’auteur du degré d’avancement du processus, l’opposition binaire entre patrons-maîtres (et futurs maîtres), d’une part, et salariés, d’autre part, apparaît plus ou moins patente et se trouve plus ou moins soulignée. Plus que comme la traduction littérale d’une modification dans l’organisation interne des cellules de production, ce passage du ternaire au binaire apparaît comme une construction rhétorique destinée à rendre compte du passage d’une phase dynamique à une situation de blocage (d’opposition frontale). Dans tous les cas, le schéma ternaire demeure fondamental, ou sous-jacent ; il fait partie de cet « héritage médiéval » conservé par l’artisanat urbain jusque tard dans le xviiie siècle.
38« Labeur a perdu son espérance ». Ces mots du poête Alain Chartier, repris par plusieurs auteurs125, paraissent rendre parfaitement compte d’une situation que Bronislaw Geremek résume ainsi : « Les difficultés économiques croissantes qui, aux xive et xve siècles, freinent l’accession à la maîtrise, diminuent l’espoir d’une promotion sociale126. » De ce constat, Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche passent au développement d’un esprit de corps chez les valets (le compagnonnage), et aux conflits. En d’autres termes : « L’union des compagnons contre les maîtres annonce le début de la question ouvrière127 », ou « les hommes des métiers vont constituer des classes distinctes et antagonistes128 ». Inutile de multiplier les citations, ce mécanisme s’impose comme une évidence si l’on considère, avec Roberto Lopez, que jusque-là « les conflits internes étaient en général atténués par l’intérêt que tous portaient à la bonne santé de la profession et par une quasi-certitude que tôt ou tard, tout apprenti capable et tout compagnon travailleur passeraient maîtres et prendraient part, à leur tour, au gouvernement du métier129 ». L’évolution perçue prend, pour certains, les traits d’une « cassure entre maîtres et ouvriers130 », opposant clairement un avant à un après. Mais quel avant ?
39Le sobre constat, déjà relevé, de Jacques Le Goff, selon lequel « la solidarité urbaine qui, à travers statuts, corporations, mouvement des affaires, crée un équilibre entre les diverses couches citadines reçoit souvent des faits un grave démenti131 », rejette, en 1971 –, comme Roberto Lopez, en 1974132 – une image trop idéalisée du xiiie siècle. Ces propos sont à rapprocher de ceux de Bronislaw Geremek écrivant, en 1962, que « l’image d’un artisanat corporatif, où régneraient entre les classes une harmonie parfaite et la “concorde sociale”, est une fiction des historiens du xixe siècle133 ». Si la « fiction des historiens du xixe siècle » n’a plus cours, la notion d’harmonie ou d’équilibre a-t-elle pour autant quitté le champ de la recherche sur le travail médiéval ? Les propos de Guy Fourquin, constatant, en 1977, que « de ces métiers, on a fait jadis un tableau passablement idyllique – pour tomber de nos jours dans le travers opposé134 », annoncent une forme de recentrage. Plus qu’une éradication, cette notion semble avoir subi un repli. Repli quantitatif et/ou chronologique sur un « âge d’or135 », pour ceux qui, avec Jean-Luc Sarrazin, considèrent que « en définitive, l’institution corporative, dont le poids économique réel est bien difficile à évaluer, apparaît comme un régime de contrainte et de prohibition conforme à l’idéal de stabilité136 ». Repli qualitatif, également, avec, en premier lieu, la mention de l’existence, dans le système corporatif, de liens horizontaux, « censés réunir des égaux137 », mais aussi de liens verticaux inégalitaires (entre métiers et entre membres des cellules de production). Vient, en second lieu, l’idéal de stabilité que représentent encore les rapports « familiaux ». Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point. Bronislaw Geremek, quand il rejette l’image du règne de la « concorde sociale » au sein de l’artisanat corporatif, tempère ses propos par la reconnaissance de ce que l’on peut appeler des circonstances atténuantes : « Certes, il serait injuste de ne pas remarquer l’ampleur de la solidarité, l’identité des intérêts qui unissaient l’apprenti ou le valet au maître : la communauté des conditions de travail, le fait même de travailler, le caractère patriarcal des relations dans l’atelier artisanal créaient autant de liens entre eux138. » Du patriarcal solidaire au familial paisible il n’y a qu’un pas, franchi par Daniel Furia et Pierre-Charles Serre lorsqu’ils écrivent, en 1970, que : « La vie en commun rapproche maîtres et valets. Mais l’atmosphère peut être familiale ou intenable pour le compagnon139. » Le caractère « familial » des relations au sein de l’entreprise serait donc le garant d’une certaine harmonie. Robert Fossier ne dit pas autre chose quand il constate, en 1991, que l’évolution « tendant ainsi à restreindre toute possibilité de promotion sociale dans les métiers, à créer en leur sein des rivalités de catégories, à soumettre le marché du travail au contrôle de patrons associés, a créé peu à peu un climat d’hostilité entre employeur et employés qui n’existait probablement pas au xiiie siècle où le caractère familial de l’entreprise était préservé140 ».
40C’est ce principe qui fait de l’apprenti, domestique intégré à la famille, un proche du maître et l’oppose, avec ce dernier, au valet, salarié. La typologie élaborée par Pierre Chaunu, qui distingue entre « artisans salariants », « artisans salariés » et un « type pur de l’artisan » (n’employant qu’une main-d’œuvre familiale), va dans le même sens. Le qualificatif employé est fort. Il assimile implicitement le salariat à une altération et fait de la famille la cellule de production disons initiale, d’où toutes les autres dériveraient – ce qui demanderait à être démontré. Une évolution linéaire, qui mènerait de l’unité de production familiale stricto sensu à l’entreprise « à caractère familial » puis aux rapports de salariat, semble inscrite en filigranes dans cette conception des rapports de travail ; chaque étape éloignant un peu plus les acteurs de l’idéal de concorde qu’est censée représenter la famille141. Le moment de rupture avec le « caractère familial » et les liens extra professionnels qu’il implique est toutefois difficile à préciser dans un monde où les rapports de travail sont d’une extrême diversité, où l’apprenti peut être en partie salarié, où le valet peut être plus ou moins intégré à la famille. Sauf à recourir, de manière antinomique, au type inversé du « salarié pur », que nous avons déjà rencontré. Au modèle du type pur de l’artisan est alors opposé un salariat, tout aussi pur, qui fonde, en quelque sorte, de nouveaux rapports142.
41L’idée d’un « âge d’or », où l’artisanat (« familial »), moteur d’une promotion sociale soutenue, n’aurait connu que des positions subalternes, transitoires, nourrit une sensation de dérèglement, de grippage, que viendraient étayer les nombreuses « commotions » émaillant l’histoire des derniers siècles du Moyen Âge en Occident. L’évolution de la situation des valets et leur regroupement – mis en relation étroite avec l’hérédité des ateliers143 – sont, à ce titre, présentés comme des phénomènes majeurs. Daniel Furia et Pierre-Charles Serre parlent, en 1970, de la constitution de « classes distinctes et antagonistes144 » ; Robert Delort, en 1972 et 1982, note qu’aux xive et xve siècles « les conditions d’une lutte des classes, réalisées dans la ville, gagnent peu à peu le monde des campagnes à la faveur des crises145 » ; Robert Fossier, en 1983, fait, quant à lui, état d’une « atmosphère d’opposition de classes » se faisant jour au xive siècle146, et Bernard Chevalier relève, en 1998, qu’avec la fermeture des métiers « un écart de classe est là en germe », bien que « les conflits de classes restent très sporadiques147 ». Si le recours à la notion de « lutte de classes » est parfois hésitant, c’est, semble-t-il, que la société des xiiie-xve siècles ne se laisse pas aisément diviser, contrairement à celle que connut Karl Marx, en « deux grandes classes diamétralement opposées148 ». Jean Kerhervé pointe bien le problème lorsque, traitant des hiérarchies qui, à partir du xiiie siècle, distinguent métiers majeurs et mineurs, il écrit « là se trouvent les vraies oppositions de ce qui n’est pas une lutte de classes, puisque les ouvriers du métier partagent encore les a priori de leurs patrons149 ». Le « encore » de Jean Kerhervé annonce toutefois une modification imminente150, un mouvement engagé tendant à « assurer la suprématie de l’élite patronale sur le monde des artisans et des ouvriers151 ».
42Il faut alors envisager le jeu sur la présentation tri ou bipartie des métiers dans le cadre plus large d’une analyse de l’évolution générale de la société du bas Moyen Âge. Pour le xiiie siècle, Jacques Le Goff place, comme Roberto Lopez et bien d’autres152, les corporations en position médiane dans une stratification de la société urbaine décomposée en patriciat, corporations et pauvres. Le rejet des travailleurs libres vers les couches inférieures, noté précédemment, trouve ici sa cohérence. Or c’est précisément cette « classe moyenne » qui, pour reprendre les termes de Robert Delort, aurait été broyée aux xive-xve siècles ; les maîtres des métiers majeurs se fondant dans le patriciat, tandis que les petits artisans et les compagnons-ouvriers tombaient dans la pauvreté153. L’évolution des relations à l’intérieur des métiers nous est donc présentée comme parfaitement symétrique de celle d’une société urbaine passant d’un apogée à une période de crises : abandonnant un système triparti pour une simple opposition binaire. Elle en serait, selon Robert Fossier154, l’un des effets. À bien y regarder, le monde des métiers apparaît toutefois au cœur même de cette transformation puisque c’est sa propre division qui permettrait la bipartition de l’ensemble.
43À ce niveau de la démonstration, les auteurs se heurtent au problème de la désignation des groupes dégagés. Les solutions adoptées sont, une fois de plus, diverses. Si, dès 1962, Bronislaw Geremek émet des réserves sur la « prolétarisation » des valets lorsque, considérant l’évolution dont il vient d’être question, il écrit : « La diversité des conditions et des situations dans le cadre de cette évolution amène à se demander si une certaine précipitation et quelque légèreté n’ont pas fait désigner ce phénomène du nom de prolétarisation. » Jacques Heers emploie, en 1965 et dans les rééditions successives de son ouvrage sur Le travail au Moyen Âge, le terme de « prolétariat » pour désigner non seulement les ouvriers des grandes industries de la laine et de la soie, mais également tous les compagnons des métiers155. D’autres sont plus réservés dans leur formulation, tel Robert Delort décrivant, en 1972 et 1982, « la masse des travailleurs, soit protégés (valets), soit employés à la tâche ou sous-payés, les “ongles bleus”, qui sont, semble-t-il, de vrais prolétaires156 ». C’est que la vision globalisante, monolithique, de la condition des « ouvriers » se heurte à ce qu’Édouard Perroy désigne, en 1963, comme « l’inégalité des situations économiques et des statuts juridiques des ouvriers », opposant les ouvriers de la laine (« purs salariés ») aux « professions considérées qui s’exercent dans les ateliers artisanaux157 ». Si l’on admet, avec les conditions d’emploi de ce terme énoncées par Robert Castel158, que les valets sont des « salariés », il y a un pas de là à faire de tous ces salariés des prolétaires, c’est-à-dire des personnes n’ayant pour survivre que la force de leurs bras.
44L’industrie, désignée dans les ouvrages les plus anciens comme la « grande industrie » ou « l’artisanat travaillant pour l’exportation159 », est, on le voit, proposée comme une ligne de partage possible160. Elle serait à l’origine du prolétariat comme du capitalisme161. Mais ces origines, ces traits supposés communs entre la société capitaliste, ou industrielle, des xixe-xxe siècles et la société de la fin du Moyen Âge, sont-ils fondamentaux ? Leur découverte, ou leur recherche – sur l’intérêt desquelles il n’est, bien sûr, pas question de revenir – ne créent-elles pas toutefois un continuum permettant d’apprécier l’une par rapport à l’autre162 ? D’appréhender ces questions d’organisation du travail, en fonction du schéma industriel ?
45Le point de vue adopté se lit parfois clairement, en négatif, dans les questions posées. « Quand s’est imposée l’organisation maître-ouvriers ? Quand débute l’embauche à temps ? Quand apparaissent les apprentis ? Quand se met en place une barrière entre le travailleur du métier et le patron qui l’emploie163 ? » Si ces interrogations dégagent des axes de recherche a priori passionnants – dont on imagine bien qu’ils puissent donner lieu à une série d’articles érudits et polémiques –, leur caractère régressif est manifeste. Elles sont bâties, dans une perspective évolutionniste, à partir d’une image posée comme « aboutie » : celle d’une organisation du travail distinguant maîtres et ouvriers, patrons-employeurs et travailleurs-salariés, reposant sur l’embauche à temps et l’existence d’une catégorie distincte d’apprentis. À bien y réfléchir, plus que sur une approche de la réalité médiévale, ces propositions ouvrent sur la reconnaissance des prémices de formes d’organisation modernes, voire contemporaines.
46Le passage d’une tri à une bipartition peut, on le voit, s’interpréter comme une forme rhétorique destinée à rendre compte d’une évolution sociale, des prémices de ce que Denis Woronoff désigne comme « la lente décantation du travail industriel hors de la sphère familiale et rurale164 ». Il semble, en effet, que le changement de point de vue mis en évidence traduise le sentiment d’une césure forte, marquée par l’avènement de l’ère protoindustrielle. Les « interminables préludes » de l’industrie rendent la limite relativement mouvante, mais c’est bien en termes d’opposition entre production artisanale, d’une part, et production industrielle, d’autre part, que peut se lire le glissement du ternaire au binaire. Cet affrontement, entre artisanat et industrie – ou technologie, si l’on veut reprendre le vocabulaire de Jean Gimpel165 –, en recouvre un autre, entre familial et salarial, qui mène, par « lente décantation », du type « pur » de l’artisan à celui du salarié « pur » ; l’hérédité des ateliers, ou de la maîtrise, marchant de pair avec une « prolétarisation » des valets. L’hérédité des positions sociales ouvre à son tour sur la notion de classes et, partant, sur celle de lutte de classes, dont nous avons vu que (acceptée ou refusée) elle sous-tend en grande partie l’analyse faite des « commotions » de la fin du Moyen Âge.
47De nombreuses nuances et subtilités échappent à un survol aussi rapide. La situation serait à envisager attentivement pour chaque pays, ce qui dépasse nos capacités et le propos du présent travail centré, rappelons-le, sur la production française. Partant d’un ensemble de synthèses publiées entre 1950 et 2000, seules ont été circonscrites, jusqu’à présent, les notions qui semblent former le cadre d’analyse de la question de l’organisation interne de la cellule de production. Cette approche a, bien sûr, elle-même les défauts de la synthèse, gommant les nuances et dressant un portrait quelque peu théorique et idéal d’un ensemble en réalité plus disparate ou hétérogène que ne le laissent à penser les conclusions exposées. Elle semble néanmoins – après d’autres – mettre en évidence certaines idées fortes : importance accordée au fait corporatif, opposition entre artisanat et industrie, évolution menant de l’harmonie à la lutte de classes, organisation interne des métiers nécessairement calquée sur celle des métiers organisés ; idées fortes qui ont le statut de représentations collectives et déterminent notablement notre mode d’appréhension du monde de la production médiévale.
48Il n’est pas sans intérêt, à ce niveau de la réflexion, de s’interroger sur le processus de formation de ces idées. Le principe méthodologique qui impose à l’historien de partir des sources engage à pousser plus avant l’enquête et à envisager les matériaux sur lesquels reposent, pour le traitement de cette question d’organisation interne de la production, les synthèses utilisées.
Sources et modèles : Recherches sur les fondements d’un sens commun166
49Avant que d’aborder la question des sources à proprement parler, il convient de s’arrêter un instant sur la structure même de la hiérarchie maîtres - valets - apprentis, sur cette tripartition qui n’est rien moins que neutre.
« Et cette ternarité surtout qui, mystérieusement, procure le sentiment de l’équilibre167 »
50Il n’est pas question, ici, de chercher à percer ce mystère, ni de revenir sur l’origine du modèle, mais d’en souligner la force au sein de la communauté des historiens, et notamment des médiévistes. La division interne de la cellule de production n’a, a priori, de commun avec le système trifonctionnel étudié par Georges Duby que la tripartition. Le nombre trois est, bien sûr, chargé d’une symbolique forte, mais il semble que l’on puisse aller au-delà du niveau du simple rapport arithmétique. Rapprochant du Traité des Ordres et Simples Dignitez, de Charles Loyseau168, un extrait de l’ouvrage Notre beau métier de soldat, suivi d’un Essai de portrait moral du chef, Georges Duby décrit ainsi la proposition du colonel de Torquat169 : « Pas d’“ordres” ici, des “routes”, des voies et qui sont choisies, des vocations – encore que celles-ci constituent bien des degrés, puisque le même individu pourrait, devrait successivement s’engager dans la troisième voie, puis dans l’autre, enfin dans la première et, assumant, tour à tour au cours de sa vie les trois missions, s’“élever” de la sorte progressivement de la terre vers le ciel […] ». Ne retrouvons-nous pas, ici, le schéma d’une progression parallèle à celle qui, avant la fermeture des métiers, conduisait, nous dit-on, l’apprenti à devenir compagnon puis maître ? Les degrés gravis par l’ouvrier seraient alors bien ceux d’une perfection, technique, certes, mais relevant quand même d’un « idéal chrétien de vie laborieuse et modeste ». Poursuivons notre lecture : « D’autre part ces trois “routes” ne sont pas les seules. Ce sont simplement les bonnes. Des autres ce discours, manichéen, ne dit mot. Parce qu’il les condamne. Toute une part du social est par lui maudite, rejetée, néantisée. » Le rejet des travailleurs libres vers la non qualification, qui a été observée dans certains discours d’historiens, ne participe-t-il pas de la même néantisation sociale et professionnelle des individus ne rentrant pas dans le moule de la tripartition ?
51Toute comparaison a ses limites. Il ne s’agit pas, par ces rapprochements, de faire de la division tripartie des cellules de production un avatar de la tripartition fonctionnelle dégagée par Georges Dumézil. Ne peut-on voir, néanmoins, dans ces deux tripartitions la trace d’une même manière de penser, « un idéal et, en même temps, un moyen d’analyser170 » ? Mais une manière de penser l’harmonie sociale pour les hommes de la fin du Moyen Âge, ou pour les historiens ? Arrêtons-nous un instant sur la pratique historique. « Un idéal » : dans leur Introduction aux études historiques, publiée en 1898, Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos proposaient, par exemple, de diviser le travail historique entre des « ouvriers en catalogues descriptifs et en index », de « jeunes chercheurs » se consacrant à des monographies et des « maîtres » étudiant ces monographies et les combinant « d’une façon scientifique en des constructions générales171 ». Ce manuel « bible de générations d’étudiants172 », propose une organisation en « ouvriers »- « novices » - « maître » qui n’est pas sans rappeler fortement celle des « métiers ». Ne faut-il pas en voir quelque trace dans la hiérarchie professeur - maîtres-assistants - assistants qui, jusqu’à la réforme de 1984, structurait l’enseignement supérieur173 ?
52« Un moyen d’analyser » : la division ternaire de l’analyse historique se retrouve, bien sûr, dans l’incontournable plan en trois parties – dont nous retrouvons emblématiquement l’empreinte dans l’ouvrage dirigé par Jacques Le Goff et Pierre Nora, intitulé, justement, Faire de l’histoire et divisé en I. « Nouveaux problèmes », II. « Nouvelles approches » et III. « Nouveaux objets174 ». Cette tripartition apparaît également dans plus d’un titre, formé sur une triade. On pense, par exemple, à Le chevalier, la femme et le prêtre, de Georges Duby175, ou à Civilisation matérielle, économie et société, dont, selon l’auteur, « un schéma tripartite est devenu la table de référence176 ». Mais ce sont des dizaines d’ouvrages, et d’articles, dont le contenu est évoqué sous cette forme : Crise du féodalisme, économie rurale et démographie en Normandie orientale du début du XIVe siècle ; Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V ; Guerre, état et société à la fin du Moyen Âge ; Mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale ; Littérature, politique et société dans la France du Moyen Âge ; Mineurs, férons et maîtres de forge ; Ville, espace urbain et archéologie177. La revue Les Annales a elle-même longtemps porté dans son intitulé la triade Économies, Sociétés et Civilisations, abandonnée en 1989 au profit de Histoire, Sciences Sociales. Il serait bien sûr possible de trouver tout autant, sinon plus, de titres formés sur la juxtaposition de deux termes (Guerriers et paysans ; Commerce et marchands de Toulouse), ou sur un seul (Les Pauvres au Moyen Âge ; La Rue au Moyen Âge). Il n’est pas question d’exclusive dans ce domaine. Seul importe ici de montrer que le schéma tripartite n’est pas étranger à notre pratique d’historiens178.
53Sans doute faut-il se méfier des frontières étanches derrières lesquelles une science, résolument objective, voudrait se réfugier, et considérer, avec Georges Duby, que : « Trente, quarante générations successives ont imaginé la perfection sociale sous la forme de la trifonctionnalité. Cette représentation a résisté à toutes les pressions de l’histoire. C’est une structure179. » La position des hommes de la fin du Moyen Âge sera envisagée ultérieurement. Poursuivons, pour le moment, l’examen de notre propre démarche à travers l’étude de ses fondements. Les synthèses contemporaines reposent, tout à la fois, sur les recherches personnelles de leurs auteurs, sur leur pratique des sources médiévales et sur des données bibliographiques. S’il n’est pas envisageable de proposer un examen de toutes les sources sollicitées, il paraît possible, et pertinent, de prêter attention à celles qui sont expressément mentionnées. Il sera tout d’abord traité des archives, puis de la bibliographie.
Une figure emblématique : Étienne Boileau et son Livre des métiers
54Ordonnances, statuts, actes de la pratique, chaque publication, selon l’époque envisagée, l’angle d’approche adopté, la région privilégiée, ou l’époque de rédaction, a sollicité des sources relativement diverses. Suivre le détail de ces bases documentaires permettrait sans doute d’affiner notablement une approche historiographique du thème du travail médiéval. Cela nécessiterait, toutefois, de pouvoir, avant toute chose, identifier clairement des mentions qui, bien souvent, ne sont qu’allusives, puis de se livrer à une analyse minutieuse des données dont la longueur et la complexité semblent disproportionnées avec l’objet, plus modeste, de la présente étude : la mise en évidence d’un langage commun. Notre approche s’est concentrée sur les similitudes plus que sur les nuances. Il paraissait, en ce sens, particulièrement important de prêter attention aux mentions explicites qui semblent se dresser comme autant de signes de reconnaissance. « Document exceptionnel », « source irremplaçable », l’Establissement des mestiers de Paris, plus connu sous le nom de Livre des métiers, apparaît comme une référence incontournable pour qui traite du travail au Moyen Âge – et bien au-delà. Cette source n’est certes pas la seule citée et, encore moins, la seule utilisée, mais elle s’avère unique par la fréquence de ses mentions dans le cadre du sujet qui nous intéresse. Convoquée expressément dans 40 % des synthèses consultées (30 sur 74), elle devance, et de loin, les références faites aux arts florentins, au sire Jehan Boinebroke, à la mine de Pampailly ou autres. Elle est, de ce fait, présentée comme la source par excellence sur les métiers médiévaux et, partant, sur l’organisation du travail médiéval. Ce n’est rien retirer à l’intérêt de ce recueil de statuts professionnels, rédigé vers 1268 à la demande du prévôt de Paris, Étienne Boileau, que de constater qu’il revêt, pour les historiens, un caractère symbolique, qu’il a, en quelque sorte, une valeur emblématique. Au fond, quoi de plus logique si l’on veut bien admettre que, dans le cadre d’une synthèse, la question de l’organisation interne de la production se réduit, comme nous l’avons vu dans bien des cas, à l’évocation des pratiques attestées dans les métiers organisés, et plus particulièrement dans les métiers jurés des villes de la France du Nord, au sein desquelles Paris tient, on le sait, une place particulière.
55La fortune de cette source vient-elle de son exceptionnelle richesse ou d’une forme de centralisme ? La question est complexe et dépasse largement le cadre de la présente enquête. Nous nous contenterons de souligner qu’elle a très tôt été servie par deux éditions scientifiques, la première en 1837 et la seconde en 1879180. Il faut également tenir compte du fait que ce recueil se trouve en quelque sorte porté par l’importance même de la documentation parisienne en matière d’organisation des métiers – documentation elle-même mise en valeur par des éditions comme celles de Gustave Fagniez, Études sur l’industrie et la classe industrielle à Paris au xiiie et au xive siècles, en 1877, ou de René de Lespinasse dans l’Histoire générale de Paris, en 1886, 1892 et 1897181. Elle a été relayée ensuite par diverses études majeures telles celles d’Étienne Martin Saint-Léon ou d’Émile Coornaert182 – sur lesquelles nous reviendrons – et, plus récemment, par celle de Bronislaw Geremek, Le salariat dans l’artisanat parisien aux xiiie-xve siècles. Étude sur le marché de la main-d’œuvre au Moyen Âge183. Ce dernier ouvrage, publié en polonais en 1962 puis en version française en 1968, republié depuis à plusieurs reprises, mérite une mention particulière car, à ce jour, il est, en France, l’ouvrage le plus cité sur la question184.
56Mais le modèle parisien, « parangon et paradigme du système corporatif185 », ne s’est pas imposé comme tel du seul fait des historiens. Ces derniers paraissent, en cela, avoir simplement pris le relais d’un mouvement (politique ?) beaucoup plus ancien, tendant à uniformiser les pratiques « à l’instar [de celles] des villes jurées de ce royaulme », ainsi que le préconise un texte aixois de 1569186. Très tôt des voix se sont pourtant élevées, chez les historiens, pour contester la représentativité du modèle parisien et plaider pour la « diversité du régime industriel ». Henri Hauser, dans l’introduction qu’il donne en 1906 à la seconde édition de son Ouvriers du temps passé (publié en 1899)187, explique que « l’une des principales causes de l’illusion [l’uniformité du régime industriel aux xve-xvie siècles] que ce livre a la prétention de dissiper, c’est qu’on étudie trop exclusivement l’histoire des corporations parisiennes ». En venant à la question des sources, il constate : « Paris se trouve posséder sur ces sujets une masse énorme de documents, facilement accessibles aux chercheurs […] ; un très grand nombre d’entre eux sont même publiés […]. Cette masse en impose, et fait illusion188. » Facile d’accès, « très riche et très minutieuse », la législation parisienne avait tout pour séduire les chercheurs189. L’adoption de cette « référence » n’est toutefois pas sans poser quelques problèmes.
57Il y a l’aspect strictement parisien de cette documentation – contre lequel Henri Hauser s’élève – et, à partir de Paris, la généralisation d’un modèle septentrional à laquelle s’opposèrent notamment, en 1958, les travaux d’André Gouron sur La réglementation des métiers en Languedoc au Moyen Âge190. Il y a également la nature normative d’un type de sources privilégié par les historiens du droit, à qui nous devons plusieurs synthèses parmi les plus importantes sur l’histoire du travail191. Il suffit de rapprocher la préconisation, par Henri Hauser, d’un recours parallèle aux actes de la pratique, de la nécessité d’une « intégration systématique des acquis de l’histoire économique et sociale et d’une utilisation plus fréquente des matériaux prosopo-graphiques disponibles » relevée, près d’un siècle plus tard par Jean-Pierre Sosson192, pour constater que, sur ce point, la recherche est restée enfermée sur la lecture193 d’une source privilégiée194. C’est à ce défaut de méthode que Jean-Pierre Sosson attribue « les images statiques, désincarnées sinon lénifiantes des métiers », évoquant l’« harmonieuse construction que conforte de surcroît une hiérarchie artisanale à trois niveaux – apprenti, compagnon, maître195 […] ».
58La nécessité d’engager d’autres lectures est patente. Elle ne l’était pas moins à l’époque où Henri Hauser écrivait, et d’autres après lui196, mais ne suffit pas, à elle seule, pour revenir sur certains schémas197. La relecture remarquable engagée par Bronislaw Geremek l’a, par exemple, amené à observer, au-delà de la « hiérarchie classique » : apprentis, compagnons, maîtres, « différentes sortes de salariés », et à ajouter, après les pages qu’il consacra aux apprentis et aux valets, un paragraphe sur les « salariés divers », simple appendice à la tripartition198. Cette dernière pouvait, ainsi, perdurer comme schéma, et continuer de tenir son rôle dans un modèle explicatif plus large. Le défaut évoqué n’est pas une simple erreur méthodologique. Il trouve son sens, replacé dans la perspective de ce que Jean-Pierre Sosson désigne – reprenant les propos de Rainer Schröder199 – comme une Legitimationsgeschichte. Archives et bibliographie sont, de ce point de vue, fortement intriquées.
Corporations et corporatisme
59« Peu de sujets ont, autant que les corporations médiévales, donné lieu à un débordement de flatteuses inexactitudes. Visions attendrissantes du petit patron partageant son pain en famille avec ses apprentis et valets, d’une société de modestes chefs d’ateliers réalisant un idéal chrétien de vie laborieuse et modeste, qui donne à chacun sa juste part du bien commun. Absolument tout n’est pas faux dans cette image. Mais quelques traits bien localisés dans l’espace et le temps ont été abusivement généralisés au service d’une doctrine étrangère à la recherche historique200. » La hiérarchisation occupe une place de choix dans l’image « abusivement généralisée » qu’évoque Philippe Wolff. Son étude se trouve, de fait, intimement liée à celle des corporations médiévales – dont elle est donnée comme un élément constitutif (nous l’avons vu). Chercher à appréhender cette notion implique de s’intéresser à celle qui la recouvre, l’englobe. C’est donc par le biais du thème des corporations médiévales que nous aborderons la question de l’historiographie antérieure à 1950.
60La référence à une idéologie dépassée, qui aurait en quelque sorte dévoyé ou égaré la recherche historique, est récurrente. Nous l’avons rencontrée dans les propos de Bronislaw Geremek comme dans ceux de Jacques Le Goff ou de Guy Fourquin201. D’allusives, les mentions se sont faites, ces toutes dernières années, beaucoup plus claires202. Jacques Le Goff débute ainsi l’article « Corporations » du Dictionnaire du Moyen Âge publié en 1997 par l’Encyclopædia Universalis et Albin Michel203 : « Sous l’influence d’idéologies et de régimes d’inspiration fasciste, des théories politiques et sociales “corporatistes” ont conduit, non seulement à glorifier un prétendu idéal d’ordre et d’équilibre que les corporations auraient réalisé, mais à exagérer l’importance de l’organisation corporative par le passé. »
Du corporatisme204
61La « connotation infamante » attachée au terme « corporatisme » apparaît clairement205, tout comme l’association faite entre cette doctrine et l’idéologie au pouvoir en France pendant la deuxième guerre mondiale. De nombreux ouvrages ont été consacrés au corporatisme206, et il n’y a pas lieu, ici, de reprendre le détail de son adoption, par les régimes de Mussolini, Salazar, Hitler ou Pétain, comme doctrine d’État, ni sur les différences qui purent exister entre ses applications françaises, italiennes ou allemandes207. Revenons, en revanche, sur le lien entre fascisme et corporatisme. Ce lien, comme le souligne Alain Cotta, est avant tout historique208. La référence au corporatisme dont usèrent, dans leur prise en main de l’organisation du travail, le gouvernement de Mussolini, dès les années 1920 et, après lui, ceux d’Hitler, dès 1933, et de Pétain, à partir de 1940, a fait apparaître cette période comme celle du « corporatisme au pouvoir209 ». Envisager cette doctrine dans le seul contexte fasciste paraît toutefois fort réducteur.
62La redécouverte du corporatisme est, de fait, bien antérieure à cette époque, et participe d’un mouvement plus large de retour vers un Moyen Âge exemplaire210 porté par un romantisme rétrospectif dont le poète Novalis (1772-1801) fut une figure marquante. Le propos n’est toutefois pas de revenir en détail sur cette genèse, sur cette « construction » du discours sur les corporations211, opposée à juste titre à « une historiographie encore trop dominante qui, d’Étienne Martin-Saint-Léon à Émile Coornaert, chantait les louanges d’un système corporatif vu comme un tout figé212 ». Il est nécessaire, en premier lieu, de chercher à appréhender l’usage fait de la notion de corporation dans la production historique contemporaine – c’est-à-dire de la seconde moitié du xxe siècle. Aussi passerons-nous assez rapidement sur les périodes antérieures, nous attardant surtout sur les vingt années qui précédèrent immédiatement : années de formation d’une partie des acteurs et pendant lesquelles le corporatisme connut un succès particulier.
63Dès le xixe siècle, l’idée se développa, dans le cadre de la réflexion menée sur le progrès, « qu’un Moyen Âge imaginaire pouvait servir une critique de la modernité ouverte par la Renaissance213 ». La corporation, pensée comme élément constitutif du modèle médiéval, apparut à certains comme une solution possible à une partie des problèmes sociaux qui secouaient alors l’Occident. C’est, en effet, en réaction à la misère des classes laborieuses, à l’aggravation des conditions de vie des salariés et au développement des conflits du capital et du travail – particulièrement sensibles pendant la période 1815-1848 – que « des hommes de bonne volonté [cherchèrent] des solutions aux questions sociales, autres que celles de l’école matérialiste qui régnait dans presque toutes les chaires d’économie politique214 ». Malgré quelques décalages chronologiques et des nuances dues, par exemple, au fait que dans certains pays comme l’Allemagne les corporations n’avaient pas été abolies, le mouvement dépassa les cadres nationaux. En France, l’école de la paix sociale défendue par Frédéric Le Play (1806-1882) proposait un retour à des structures de travail familiales ou paternalistes pour apaiser les rapports entre patrons et ouvriers, arguant du fait que : « Les éléments de la paix sociale étaient fortement établis dans la vie privée. L’intérêt personnel, ennobli par le sentiment du devoir, portait chacun à respecter un maître : dans le foyer domestique, les enfants étaient soumis au père ; dans l’atelier de travail, les ouvriers obéissaient au patron ; dans le voisinage, les pères et les patrons se groupaient respectueusement autour de l’Autorité sociale, qui avait la sagesse nécessaire pour maintenir l’union des sentiments et des intérêts. Souvent, comme aux bonnes époques du moyen âge, l’harmonie s’étendait à une province entière, avec le concours d’une solide hiérarchie de familles et de localités215. » Et c’est surtout avec son disciple, René de la Tour-du-Pin (1834-1924), et avec Albert de Mun (1841-1914)216 que, pendant la crise des années 1873-1896, l’idée d’un régime corporatif, « organisation du travail la plus conforme aux principes de l’ordre social chrétien et la plus favorable au règne de la paix et de la prospérité générale217 », paraît s’imposer chez les partisans d’un catholicisme social fortement influencé par l’œuvre de l’évêque de Mayence, monseigneur Ketteler218.
64Cette idée fut reprise au plus haut niveau de l’Église catholique dans la fameuse encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII, datée du 15 mai 1891. Après y avoir affirmé que « les patrons et les ouvriers eux-mêmes peuvent singulièrement aider à la solution de la question [sociale] par toutes les œuvres propres à soulager efficacement l’indigence et à opérer un rapprochement entre les deux classes » et que, dans cette optique, « la première place appartient aux corporations ouvrières qui, en soi, embrassent à peu près toutes les œuvres », le souverain pontife prend nettement position en faveur d’un régime corporatif : « Nos ancêtres éprouvèrent longtemps la bienfaisante influence de ces corporations. Elles ont d’abord assuré aux ouvriers des avantages manifestes. De plus, ainsi qu’une foule de monuments le proclament, elles ont été une source de gloire et de progrès pour les arts eux-mêmes. Aujourd’hui, les générations sont plus cultivées, les mœurs plus policées, les exigences de la vie quotidienne plus nombreuses. Il n’est donc pas douteux qu’il faille adapter les corporations à ces conditions nouvelles. Aussi, nous voyons avec plaisir se former partout des sociétés de ce genre, soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons. Il est à désirer qu’elles accroissent leur nombre et l’efficacité de leur action219. »
65L’idée d’un nécessaire retour aux corporations – mais à des corporations anciennes « mi-imaginaires mi-réalistes220 » – reçut par-là une caution de poids et se combina, dans une certaine mesure, avec l’importance grandissante accordée au Moyen Âge par les contemporains. Un Moyen Âge qui – Otto G. Oexle l’a bien montré – devint de plus en plus une arme face à ce qui était ressenti comme une « décadence des valeurs221 ». C’est de ce mouvement comparatiste que participent notamment les grandes enquêtes menées sur l’étude des prix et des salaires qui voient le jour dans les mêmes années. Georges d’Avenel introduit, par exemple, ainsi le chapitre qu’il consacre au « Salaire des ouvriers de métier » : « Quelle a été l’influence des corporations sur le salaire des ouvriers de métier ? C’est là une question qui se pose naturellement dans cette étude et dont l’intérêt nous semble d’autant plus vif que beaucoup de gens paraissent las, à l’heure actuelle, de la liberté du travail, telle qu’elle existe depuis cent ans, et recommandent la restauration, sous des noms modernisés, des pratiques socialistes de nos pères222. »
66La doctrine corporatiste connaît, avant les années 1930, une histoire complexe qui dépasse le propos de la présente étude223. Notons simplement qu’en 1941 Émile Coornaert constatait, que « depuis le début du xxe siècle, les maîtres et le public des Semaines Sociales se sont appliqués avec zèle à maintenir l’idée corporative parmi les préoccupations des penseurs et, parfois, des politiques224 ». L’idée corporative faisait l’objet, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, de divers courants ou tendances225. Et sa large diffusion en France explique, notamment, la participation de syndicalistes aux premiers travaux du « Comité d’organisation professionnelle » préparant, en 1941, le statut des professions. Le projet de Charte du Travail fut, lui-même, diversement perçu par les corporatistes et cette dernière ne se présenta que comme une « base à la création de futures corporations qui restent le grand espoir de l’avenir français », selon l’exposé de ses motifs226. Pour Maurice Bouvier-Ajam, le gouvernement de Vichy a fait preuve d’une « sorte de corporatisme d’intention227 ».
67Tenter d’appréhender le corporatisme et son éventuelle influence sur notre manière d’envisager l’organisation médiévale du travail, implique de le replacer dans une perspective débordant largement les seuls cercles fascistes ou national-socialistes. Antérieur à ces mouvements, le corporatisme les dépasse. Vichy, comme l’écrit Steven L. Kaplan, « ressuscita les corporations de façon aussi éphémère que partielle et leur donna le coup de grâce dans la mémoire des Français228 ». Nous en trouvons une illustration dans le rapprochement qui peut être fait entre L’Histoire du travail qu’Édouard Dolléans publie chez Domat-Montchrestien en 1944229, et celle qu’il cosigne avec Gérard Dehove, chez le même éditeur, neuf ans plus tard, en 1953230. Dans le premier ouvrage, qui peut se lire comme une remise en perspective des lois sur le travail d’août 1940 et octobre 1941 (Charte du Travail)231, nous trouvons les considérations suivantes, en introduction au premier chapitre intitulé Les communautés d’arts et métiers du xiie au xviiie siècle : « En fait, dans cette première période [xiie-xve siècles] de l’histoire des métiers, il n’existe pas d’opposition de classes, les artisans sont proches des compagnons : ils vivent sous le même toit232. » Ces propos prennent tout leur sens rapprochés de ceux tenus quelques pages plus loin : « Le premier trait caractéristique de la Charte du Travail est donc la volonté de substituer aux antagonismes sociaux une atmosphère de paix sociale et la volonté de substituer à la lutte des classes une politique de collaboration dans le cadre de l’organisation professionnelle233. »
68Après 1945, le ton change. Le deuxième ouvrage procède d’une « refonte et mise à jour » du premier. La période la plus récente a été confiée à « un jeune collègue » et, si l’on retrouve, dans les chapitres précédents, nombre de phrases de la première édition, celles que nous avons citées ont disparu pour laisser la place à un paragraphe, plus technique, sur « les différentes formes de métiers234 ». Le tableau idyllique, trop marqué par la « souillure vichyste », a disparu. L’Histoire du travail publiée par Édouard Dolléans en 1944 a été remplacée dans les bibliographies par la réactualisation de 1953235, la vision qu’elle proposait n’a, on l’a vu, pas totalement disparu des publications historiques. C’est peut-être – si l’on en juge aux nombreuses publications consacrées, depuis la fin des années 1970, au néocorporatisme – qu’après 1945 le corporatisme a poursuivi ses avancées « en empruntant des voies souterraines236 ».
69N’y a-t-il qu’une coïncidence de date avec les propos de Guy Fourquin regrettant, en 1977 : « De ces métiers, on a fait jadis un tableau passablement idyllique – pour tomber de nos jours dans le travers opposé237 » ? C’est dans les mêmes années, en 1978, que Maurice Bouvier-Ajam publia ses Recherches sur la genèse et la date d’apparition des corporations médiévales en France238. Maurice Bouvier-Ajam, corporatiste convaincu qui dirigea à sa fondation, en 1934, l’Institut d’Études Corporatives et Sociales239, publia, en 1941, La doctrine corporative puis une Histoire du travail en France : des origines à la Révolution (1957) et depuis la Révolution (1969)240.
70Les figures de Maurice Bouvier-Ajam et d’Édouard Dolléans laissent à entendre que la pérennité des schémas peut, en partie au moins, s’expliquer par le rôle de relais tenu par de telles personnes. Il faut, dans le cadre d’une approche prosopographique, évoquer la place particulière occupée par Émile Coornaert et son ouvrage Les corporations en France avant 1789, publié en 1941 et republié en 1968. Cette étude est assurément la plus souvent citée dans les travaux français sur la question, parfois même la seule241. « Excellent ouvrage d’ensemble242 », livre salué comme « pionnier à son époque243 », il demeure « l’ouvrage classique244 » sur la question des métiers. « Classique », c’est également cette épithète qu’emploie Pierre Bonnassie, en 1981, pour qualifier la définition de la corporation proposée par Émile Coornaert245. Il apparaît comme un jalon dans la production scientifique246. La nouvelle édition de 1968, réalisée par ce membre de l’Institut, professeur honoraire au Collège de France, revue et augmentée, a assuré en quelque sorte une deuxième jeunesse à cette publication, lui permettant, dans nombre de bibliographies, de passer la barre fatidique de 1950 en-deçà de laquelle un livre n’est plus d’actualité. Elle a permis également à l’auteur de réaffirmer en préface : « L’intérêt de notre étude était, reste, en dehors de ces contingences [politiques des années 1940] » ; ce qu’il avait proclamé dans son avant-propos dès 1941, mais que démentait en partie sa conclusion. Il le ressentit bien, du reste, en 1968, ajoutant en plus d’une préface, une postface lui permettant de dissocier « les vues d’un professeur » exprimées « dans les dernières pages de [sa] conclusion de 1939 », du reste du travail. Sans remettre en doute l’honnêteté du chercheur, peut-on vraiment y croire ? Sans nous lancer dans une analyse détaillée des quelques 300 pages du livre, notons simplement que, dans l’édition « revue et augmentée » de 1968, Émile Coornaert a quand même jugé bon de changer le présent (suggestif) du titre « La réglementation du travail déborde les cadres corporatifs » en un imparfait « La réglementation du travail débordait les cadres corporatifs247 ». La Libération a manifestement arrêté le débordement.
71Nous reviendrons sur la conclusion elle-même, mais il faut bien admettre que, même revue et augmentée en 1968, cette étude est, dans sa genèse, dans son esprit et dans sa forme, fille du début du xxe siècle. En 1968 encore, son auteur notait que « de l’amas de livres et d’articles consacrés aux corporations d’autrefois, mis à part les ouvrages de Martin Saint-Léon et d’Olivier-Martin, il n’est sorti jusqu’ici que des lumières dispersées. En France, il n’a pas été formulé de synthèses claires » ; ajoutant que « dans l’état actuel des curiosités, on ne peut espérer pour un avenir prochain la mise en train d’une vaste enquête à laquelle il était permis de penser naguère248 ». Et, pour le Moyen Âge, il a vu vrai. Nous sommes, en ce sens, tributaires d’une production fortement marquée par une époque où le débat sur le corporatisme n’était rien moins que serein. Il paraissait important de souligner que la seule prise en compte des dates d’édition, ou de réédition, ne permettait pas toujours de le percevoir. Mais revenons sur cette époque pour considérer, rapidement, la place que tint la discipline historique dans ce débat.
Corporatisme et histoire…
72C’est à la faveur, notamment, du renouveau de l’étude historique du Moyen Âge que fut, au xixe siècle, redécouvert le corporatisme. « Évoquer les communautés d’autrefois pour les proposer en remèdes aux abus du progrès matériel », voici comment Émile Coornaert résume le projet des premiers corporatistes249. La doctrine repose, de fait, sur un développement de la connaissance des corporations dont atteste le formidable essor que connurent alors les publications historiques sur ce thème. Nous nous contenterons de rappeler les 957 notices imprimées relevées par Hippolyte Blanc dans sa Bibliographie des corporations ouvrières, en 1885250, et de souligner l’intérêt pour ce thème que révèle cette initiative, procédant de la mise au concours, en 1876, par la Société Bibliographique, de « la rédaction pour la France et les pays de langue française d’un catalogue de documents (imprimés et manuscrits) relatifs à l’histoire des corporations et confréries ouvrières ». Et si Émile Levasseur, dans la préface de la première édition de son Histoire des classes ouvrières en France de Jules César à la Révolution (1859)251, constate que « l’histoire des classes ouvrières n’a jamais été écrite », il témoigne toutefois de l’engouement contemporain : « Aujourd’hui, après les systèmes que nous avons vu naître et les révolutions que nous avons traversées, on commence à se préoccuper beaucoup d’intérêts d’une autre nature, et on s’applique à pénétrer plus intimement dans l’ancienne organisation industrielle de la nation : on voudrait retrouver dans les origines de sa fortune celles de sa liberté et de sa puissance. » Quarante ans plus tard, pour la seconde édition de cet ouvrage (1900), il note : « Les matériaux de cette histoire sont beaucoup plus abondants aujourd’hui qu’ils n’étaient au milieu du siècle », et de citer 46 noms d’auteurs ayant poursuivi des « recherches d’érudition et des publications sur des points particuliers du sujet252 ». Henri Hauser253 rend compte avec clarté de ce phénomène, en 1929 : « C’est ainsi que près de l’école de Le Play se développait celle des chrétiens-sociaux qui voyaient dans le retour à la corporation et à la confrérie le remède à tous les maux. Ils se représentaient les temps où florissaient ces institutions comme des époques bénies de confiance et d’amour. Mais il leur fallait, pour asseoir leur thèse, publier des statuts de confréries et de compagnonnages ; oubliant qu’entre le texte et la réalité il est plus de distance que de la coupe aux lèvres, ils versaient sur les parchemins jaunis de brûlantes larmes de joie en songeant aux bons patrons, aux bons ouvriers du bon vieux temps. À leur façon, ils servaient l’histoire. Et les économistes attaqués dans leurs positions étaient obligés de faire de l’histoire pour résister à leurs contradicteurs. Les socialistes eux-mêmes, quoique leurs regards fussent plutôt tournés vers l’avenir que vers le passé, ne devaient pas toujours résister au désir d’aller voir dans les documents si l’âge des corporations avait bien été, comme le prétendait l’école féodale, un âge d’or. » Nous trouvons dans ce débat l’illustration du fait que : « Le travail de l’homme, source de la valeur, perd son sens quand l’individu est privé du contrôle de sa création, quand l’objectification produit des sujets aliénés, puisque le producteur et son produit sont séparés, puisque la formation juridique et sociale enregistre la coupure entre l’homme et le monde. Cette vision, qui peu ou prou conditionne nos choix, suppose l’existence d’un univers antérieur plus authentique et plus riche254. »
73Recherche historique et élaboration doctrinale se côtoient, se conjuguent aussi, parfois. Si l’Histoire des classes ouvrières en France de Jules César à la Révolution d’Émile Levasseur – dont l’influence fut immense255 – foule, en 1859, un champ de recherche encore neuf, elle accorde déjà une place importante aux organisations professionnelles et adopte une subdivision des travailleurs en « maîtres, apprentis et ouvriers ». La contamination des travaux historiques par le débat idéologique se fait nettement sentir dans les grandes synthèses qui virent le jour quelques décennies plus tard256. Le projet d’Étienne Martin Saint-Léon est relativement clair si l’on prend la peine de donner l’intégralité du titre de son Histoire des corporations de métiers depuis leurs origines jusqu’à leur suppression en 1791, suivie d’une étude sur l’évolution de l’idée corporative de 1791 à nos jours et sur le mouvement syndical contemporain257. La censure de Vichy ne s’y est pas trompée, en 1941, lorsqu’elle a amputé la 4e édition, posthume, de cet ouvrage de son livre VII « Étude sur l’évolution de l’idée corporative de 1791 à nos jours. Le présent et l’avenir », sous prétexte que : « Les orientations distinctes qu’ont prises, depuis plusieurs années, le corporatisme et le syndicalisme, nous ont convaincu [c’est l’éditeur anonyme qui parle258] de la nécessité de faire une séparation nette entre les deux parties. » L’ouvrage de Henri Hauser sur les Ouvriers du temps passé (xve-xvie siècles), publié un an plus tard, rend compte dans son introduction de l’opposition entre « économistes orthodoxes » et chrétiens sociaux, et tente de redonner des bases historiques au débat259. Émile Levasseur, dans la réédition qu’il présente, en 1900-1901, de son Histoire des classes ouvrières en France avant 1789, fait lui aussi allusion aux discussions qui agitent son époque, et se positionne alors clairement en économiste libéral260.
74Ces trois exemples, sans couvrir tout le champ des positions adoptées par les historiens de l’époque, montrent la variété de celles-ci. Ils soulignent la conscience qu’a alors l’historien d’apporter des éléments importants à une discussion qui agite toute la société. Son rôle sera, face aux « théories abstraites des économistes et des sociologues [qui] ne suffisent plus à notre temps inquiet », d’apporter « des faits et des preuves positives261 ». Qu’il se lance dans la bataille ou qu’il se réfugie dans (derrière ?) son domaine de compétence, l’historien prend, on le voit, part à un débat qui n’est pas réduit à un cercle de théoriciens corporatistes. Il faudrait, également, tenir compte de ce qu’a pu représenter, plus largement, pour les sciences humaines la position prise, par exemple, par Émile Durkheim, en 1902, en faveur de l’organisation corporatiste du travail262. Position qui, notons-le, s’appuie en grande partie sur la lecture d’historiens tels qu’Émile Levasseur ou Gustav Schmoller.
75Nous retrouvons, peu ou prou, chez les historiens des années 1930-1940 les mêmes attitudes qu’au xixe siècle. L’importance de l’histoire dans les discussions autour du corporatisme est attestée, en premier lieu, par le fait que l’objet officiel de l’Institut d’Études Corporatives et Sociales, fondé en 1934, recouvre expressément « l’étude scientifique du corporatisme, de son histoire, de sa doctrine263 […] ». Maurice Bouvier-Ajam, directeur de cet institut écrivit, en 1957, une Histoire du travail en France, mais avant lui, en 1938, François Olivier-Martin, membre du Conseil supérieur de ce même institut, publia une synthèse sur L’organisation corporative de la France de l’Ancien Régime, qui demeure un ouvrage de référence264. Reprenant la genèse de ce travail dans son introduction, François Olivier-Martin indique que cette entreprise est partie d’un cours, donné en 1933-1934, auquel « le mouvement favorable aux idées corporatives qui se dessinait en France à cette époque et les expériences tentées à l’étranger semblaient donner quelque intérêt265 ». . L’auteur déclare toutefois avoir « tâché d’être impartial, selon le devoir d’un historien » et finit son introduction sur une formule proche de la litote : « Je n’ai pas, comme historien, à dire si son [celle de l’Ancien Régime] expérience peut servir aux sociétés en désarroi d’aujourd’hui. »
76Il n’est pas inintéressant non plus de noter, par ailleurs, que la réédition de l’ouvrage d’Étienne Martin Saint-Léon Histoire des corporations de métiers depuis leurs origines jusqu’à leur suppression en 1791, même amputé ou surtout amputé, intervint en 1941 – année de la promulgation de la Charte du Travail du gouvernement de Vichy – et que cette entreprise éditoriale des Presses Universitaires de France fut menée parallèlement à celle de Gallimard qui devait, en 1941 toujours, aboutir à la publication du livre d’Émile Coornaert, Les corporations en France avant 1789. Les deux ouvrages sont liés, en outre, par le fait que l’on demanda à Émile Coornaert d’apposer sur la coupure faite dans l’œuvre d’Étienne Martin Saint-Léon, le pansement d’un « appendice de bibliographie critique ». Arrêtons-nous un instant sur Les corporations en France avant 1789 d’Émile Coornaert. L’ouvrage procède d’une commande de l’éditeur et était destiné à un public relativement large266, ce qui l’ancre semble-t-il un peu plus dans l’actualité de sa parution. L’auteur adopte, en introduction, une position relativement neutre, se refusant à « entrer dans le jeu compliqué des débats politiques et sociaux267 ». La conclusion est plus personnelle ; Émile Coornaert y affirme, entre autres : « Je crois à la nécessité d’organiser les professions ; mon propos d’historien m’interdisait de voler au secours d’une victoire maintenant assurée, dans son principe268. » Plus loin, nous retrouvons des propos déjà entrevus sur le rôle de l’histoire : « Pourquoi ne pas rechercher dans un passé inexorablement aboli des indications pour nos besoins actuels ? L’histoire ne peut pas nous fournir de modèles tout faits, de recettes préparées ; mais elle peut nous indiquer des directions, donner des enseignements269 » : le Moyen Âge comme « modèle de relations sociales270 ». Présentant le « corporatisme » comme « une solution moyenne, raisonnable », l’historien constate : « À ses modèles d’autrefois, il peut emprunter aussi leurs méthodes, non certes dans la décevante diversité de leur pratique, mais dans leurs inspirations essentielles271. » Ces propos donnent une autre résonance à la troisième partie du livre, intitulée « Les caractères permanents des corporations ». Ils évoquent le projet de « dégager des règlements et des statuts particuliers des métiers l’idée directrice qui les inspira » exposé en 1898 par Étienne Martin Saint-Léon au début de son Histoire des corporations de métiers et repris – mais est-ce un hasard ? – par l’éditeur anonyme de la version tronquée de 1941272.
… médiévale
77Importance de l’histoire, donc, et, plus particulièrement, de l’histoire médiévale car les corporations envisagées, données en exemple ou honnies, sont avant tout celles du Moyen Âge, époque de redécouverte et apogée273. Nous n’en prendrons que quelques exemples rapides, envisagés par ordre chronologique.
78C’est, en premier lieu, Émile Levasseur qui, adoptant en 1859 un découpage en sept livres, résume le troisième et le quatrième en ces termes : « La troisième période de la féodalité et des croisades, est une époque de prospérité […]. Les corps de métiers se reforment sur un plan tout nouveau […]. . La quatrième, la période de la guerre de Cent ans […]. C’est l’époque où le corps de métier reçoit sa forme complète […] ». C’est Pierre Boissonnade qui, en 1921274, parlant des « foules médiévales » écrit : « Elles ont surtout préparé l’avènement des démocraties, et légué aux masses laborieuses les instruments de leur puissance, les principes de liberté et d’association. » C’est Émile Coornaert, enfin, qui remarque, en 1941, que les corporations « nous sont présentées d’ordinaire comme essentiellement médiévales » ; vision qu’il essaie de rectifier, concédant tout de même : « Il est vrai que le Moyen Âge a fortement imprégné leur jeunesse, qu’elles en ont, autant qu’aucune autre institution, gardé longtemps l’esprit, une sorte de parfum moral275. »
79Plus largement, quand, en 1847, Karl Marx et Friedrich Engels évoquent, dans le Manifeste du parti communiste, l’organisation en classes des sociétés des « premiers temps de l’histoire », c’est, entre autres, aux maîtres de jurande et aux compagnons qu’ils font appel pour stigmatiser le Moyen Âge. Quand Émile Durkheim, en 1902, parle de la possibilité de « ressusciter artificiellement la vieille corporation », c’est « telle qu’elle existait au Moyen Âge276 ». Quand Maurice-H. Lenormand rédige, en 1938, son Manuel pratique du corporatisme277, il ressent la nécessité de préciser que le régime corporatif « loin de ne convenir qu’aux arts et métiers dans les conditions restreintes du marché du Moyen Âge », sied également à l’industrie moderne. Dernier exemple parmi tant d’autres, les propos de Giuseppe Bottai, en 1933, affirmant que « entre la corporation du Moyen Âge et la corporation fasciste, il n’existe pas seulement une analogie de nom278 […] ».
80Mais qu’entendent ces auteurs et leurs contemporains par « corporations médiévales » ? Il serait par trop grossier de considérer que tous n’avaient de ces corporations qu’une image idyllique279. Cette vision existait – nous l’avons rencontrée à plusieurs reprises et il n’y a pas lieu d’y revenir – mais elle fut également combattue, dès 1899 par Henri Hauser, et en 1941 encore par Émile Coornaert280, entre autres. La diversité, mise en évidence par Henri Hauser, est couramment admise, énoncée, enseignée281. Malgré les efforts de définition de François Olivier-Martin282 pour distinguer les métiers libres des métiers réglés et des métiers jurés, une certaine confusion règne dans la terminologie283, révélatrice, pour partie, du fait que le travail libre, c’est-à-dire inorganisé, est rarement pris en compte. La France est bien souvent parisienne284 ; le Livre des Métiers faisant déjà figure de référence obligée. Pour en finir avec le cadre large des métiers disons que la corporation est essentiellement une affaire urbaine285.
81En ce qui concerne plus particulièrement les questions de hiérarchies, celle qui existait entre les métiers est clairement attestée par Étienne Martin Saint-Léon ou Émile Coornaert286. La hiérarchie interne des métiers est, quant à elle, évoquée non sans nuances. La hiérarchie apprentis - valets - maître est donnée comme une constante, fixée au xiiie siècle287. Cette division entre « ceux qui s’instruisent, ceux qui servent et ceux qui commandent288 », cette « hiérarchie forte fondée sur la capacité professionnelle et l’expérience289 » est présentée comme « ascensionnelle » ; l’apprenti devenant généralement – mais pas toujours290 – valet et ce dernier passant à son tour, généralement, maître291. Situation harmonieuse292, où le valet était « beaucoup plus rapproché du maître que l’ouvrier du xixe siècle293 », mais moins que l’apprenti294. Un apprenti qui pouvait dans certains cas apparaître comme un concurrent pour le valet295. Mais un valet qui n’était « pas encore rivé à sa condition de salarié296 », et se présentant, du fait de son « incorporation » comme l’élite de la main-d’œuvre297. Notons que le travailleur libre se trouve, de ce fait, ravalé à un rang inférieur.
82Après la Guerre de Cent ans et « l’époque où le corps de métier reçoit sa forme complète » viennent, dans le plan de l’ouvrage élaboré par Émile Levasseur en 1859, la Renaissance et la Ligue, où « tous les abus de la corporation éclatent au grand jour ». La quasi-totalité des auteurs s’y conforme, avec des variations sur les dates, dénonçant le « renforcement de la subordination » des valets298, le développement du chef-d’œuvre, les difficultés de plus en plus grandes pour accéder à la maîtrise et l’apparition d’une « oligarchie héréditaire299 ». Henri Hauser nous servira, une fois de plus, à résumer les propos de ses contemporains : « La situation d’ouvrier était autrefois un passage, elle devient une carrière ; les ouvriers étaient la pépinière où se recrutaient les maîtres, ils deviennent une classe, classe condamnée à vivre exclusivement, et à toujours, du seul travail de ses mains. Et c’est ainsi qu’en face du capitalisme naquit le prolétariat300. »
83Nombre de propos et de thèmes dégagés dans la bibliographie des années 1950-2000 se trouvent ainsi déjà dans les ouvrages du xixe et du début du xxe siècle. Si l’atelier est peu mentionné en tant que tel301, c’est peut-être qu’il n’est pas encore ébranlé dans son hégémonique évidence par l’idée d’une fabrique médiévale. La famille est, elle, bien présente, à travers la base familiale de la production302, le « paternalisme » du maître303 et, plus largement, le caractère « familial » de la corporation304, mis à mal par « les poussées individualistes de la Renaissance305 ». Déclin ou progrès ? Les appréciations divergent selon les auteurs mais il faut bien reconnaître là, comme le souligne Otto G. Oexle306, un « schéma explicatif qui se perpétue jusqu’à nos jours ». Des limites sont mises à une vision par trop idyllique de l’organisation du travail médiéval. La vision « corporatiste » est contrebalancée par des considérations telles que celles publiées dans l’Histoire de France dirigée par E. Lavisse : « Au Moyen Âge, la corporation avait sa raison d’être. Il n’y a pas lieu d’admirer une institution qui entrava le progrès industriel, condamna les hommes d’initiative et les esprits inventifs à la médiocrité307, autorisa une brutale exploitation des adolescents et finalement aboutit à la création d’un prolétariat, mais on comprend qu’elle se soit développée et qu’elle ait rendu des services : à ses origines, elle a défendu les artisans contre l’oppression seigneuriale308. »
84Au-delà des différences d’appréciations morales ou économiques sur le système lui-même, certaines constantes se font jour, à commencer par le caractère central, on serait tenté de dire métonymique, du thème des corporations dans l’approche synthétique de l’organisation de la production médiévale. Nous ne rencontrons, en effet, pas de réelle remise en cause, pour les xiiie-xve siècles, de la représentativité de la corporation, entendue dans le sens large de « groupement économique de droit quasi public (ou semi-public), soumettant ses membres à une discipline collective pour l’exercice de leur profession309 ». L’un des ancrages majeurs nous en semble être une référence aux origines qui – positive même dans les textes peu favorables aux corporations (cf. supra) – se manifeste comme le point de départ indispensable du discours (général lui aussi) sur l’altération des relations. Une grande partie de la discussion repose alors sur la séparation, faite par certains dès le xixe siècle, entre le « régime corporatif310 » – ou « la corporation » –, d’une part, et « les corporations », d’autre part. Pour ce faire il a fallu, en premier lieu, unifier un ensemble diversifié sous un vocable unique, plus large ou plus souple que le « jurande » employé notamment par Karl Marx ; un terme sans histoire, si l’on ose dire, emprunté à une autre langue, à un autre contexte, détourné ; un mot neuf en quelque sorte, à la définition ouverte311. Les corporations (arti, ghildes, jurandes), subsumées à la corporation, l’idée put se dégager des aléas de ses applications matérielles et apparaître comme « ouvrière d’un nouvel ordre social312 ». Pour Émile coornaert, même dans le cas où le travail demeurait « authentiquement libre », les mesures partielles prises par les pouvoirs publics (concernant les heures de travail, les salaires) « procèdent du même esprit, concourent au même but que toute l’organisation professionnelle313 ». . L’esprit, nullement limité aux unités corporatives, a donc pu étendre son influence très largement, jusqu’à servir, selon les termes d’Émile Durkheim, de « cadre élémentaire à nos sociétés actuelles314 ».
85Steven L. Kaplan n’est pas très éloigné de ces propos lorsqu’il déclare que son ouvrage La fin des corporations a pour but de « montrer que le corporatisme a été une composante essentielle de la culture française315 ». Pour cet auteur, les communautés d’arts et métiers se présentaient comme des maillons de la « grande chaîne de la condition corporative316 » ; elles « structuraient le monde urbain du travail et leur influence s’étendait bien au-delà de leurs limites juridiques317 » ; le modèle corporatif, dans la pratique, « conditionnait l’organisation du travail aux quatre coins du royaume, même dans les espaces dits “libres”, en ville et à la campagne318 ».
Quel Moyen Âge ?
86Un cadre, une structure, une organisation, un ordre, donc, qui prendraient naissance dans un Moyen Âge normatif. Mais quel Moyen Âge ? Reprenons, à titre d’exemple, l’ouvrage de Steven L. Kaplan. Celui-ci traite de l’histoire politique et sociale du xviiie siècle mais revient sur le Moyen Âge comme période de genèse. Le portrait qu’il en dresse dans son introduction se présente – l’exercice le veut – comme la synthèse de synthèses. Il est à ce titre fort révélateur de l’« idée de corporation » véhiculée par les travaux des médiévistes. Que dit-il ? « Au Moyen Âge, nombre d’entre elles [les communautés d’arts et métiers, ou corporations] avaient déjà une organisation hiérarchique : sous couvert de tutelle parentale, les maîtres exerçaient une autorité à la fois sociale, économique et morale sur leurs apprentis et bien souvent aussi sur leurs “valets” (les futurs compagnons). Les maîtres eux-mêmes étaient regroupés en plusieurs classes, selon leur ancienneté ou leur clientélisme, et élisaient les jurés (ou “gardes du métier”) qui ne tardèrent pas à prendre les traits d’une oligarchie. » Suit la référence à Étienne Boileau « prévôt de Paris [qui] a présidé à la rédaction du Livre des métiers, qui posait les règlements de plus d’une centaine de métiers. Une grande partie de cette réglementation devait sans doute rester en vigueur, dans la lettre ou dans l’esprit, jusqu’en 1791319 ». Nous retrouvons là, la plupart des traits dégagés précédemment : un Moyen Âge parisien mais, surtout, un Moyen Âge normatif. Faut-il s’en étonner à voir l’importance des sources réglementaires dans la documentation sollicitée par les historiens, et l’orientation juridique de nombre des recherches menées sur l’histoire du travail320 ? Faut-il s’en étonner, enfin, à considérer la volonté de théoriser, de dégager les inspirations essentielles, les idées directrices, affichée par nombre d’auteurs321 ? L’idée que ce cadre, cette organisation, s’imposerait jusque dans les espaces dits « libres » rejoint, nous semble-t-il, la conception selon laquelle « on ne peut travailler dans le désordre322 ». Seuls échapperaient à cet ordre les exclus, parmi lesquels, nous l’avons vu, sont parfois rangés les « travailleurs libres ». Le système est cohérent, mais il bute, à notre sens, sur cette question de la liberté et donc, de la dépendance des acteurs, de leur hiérarchisation. En un mot : qu’est-ce qu’un travailleur libre ?
87Quand Philippe Wolff écrit que « la liberté du travail, au sens où l’ont entendue les libéraux du xixe siècle, est à peu près absente de l’artisanat médiéval323 », il fait référence au « Laissez-faire », « Laissez-passer » des écoles de pensée économiques d’inspiration classique. Il utilise ce faisant le même vocabulaire que Max Weber estimant que « le “prolétariat”, en tant que classe, ne pouvait exister en l’absence de toute entreprise organisant le travail libre324 ». Mais cette liberté n’est pas celle de Maurice Bouvier-Ajam pour qui les métiers dits « libres » rentrent dans la catégorie des métiers réglés325 ; ni celle de Robert Delort notant que « on ne connaît guère les travailleurs libres, bien qu’ils soient probablement majoritaires dans de nombreuses villes326 […] ». .
88La discussion sur le système corporatif a occulté le débat sur la liberté du travail, juste évoqué par Henri Hauser327. La théorisation, la volonté de dégager une idée permettant de faire le lien entre toutes les formes et toutes les périodes, a amené à l’élaboration d’un schéma à partir duquel, par retour, nous sommes engagés à considérer les pratiques médiévales. Ce cadre « classique » ou « traditionnel », trop rigide, amène à tenir la diversité pour secondaire, marginale, et notre vision, par trop normative, construit un « Moyen Âge normatif ». Il nous semble important de reconsidérer la diversité des modalités d’organisation de la production qui, pour le Moyen Âge, est probablement fondamentale. Peut-être parviendrons-nous, ainsi, à substituer une vision du quotidien, du « vécu », à un schéma passablement désincarné.
89Pour ce faire, il paraissait nécessaire de revenir à une histoire plus « locale328 », de nous attacher à l’examen des pratiques attestées dans un domaine géographique relativement restreint – celui de la basse Provence occidentale329 – sur une période relativement longue – du xive siècle au milieu du xvie siècle. Nos recherches ont, jusqu’à une date récente, porté essentiellement sur le domaine du bâtiment et, malgré des investigations complémentaires, nous ne pouvons nier un certain déséquilibre dans les métiers représentés. Les travaux menés ont, en revanche, tenté de tirer parti d’un ensemble très large de sources ; alliant l’étude des textes réglementaires à l’analyse, notamment, des actes de la pratique dont cette région est particulièrement riche.
Notes de bas de page
1 Je renverrai, à ce propos, aux articles « Artisans », « Guildes » et « Travail », rédigés respectivement par Philippe Braunstein, Otto G. Oexle et Jacques Le Goff, dans J. Le Goff et J. Cl. Schmitt (dir.), op. cit.
2 Ph. Braunstein, « Artisans », art. cit., p. 67.
3 É. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1863-1872.
4 Lexique Économie, Paris, 5e éd., 1995.
5 Ibidem.
6 Nous empruntons ces données à l’article « Artisans » rédigé par Philippe Braunstein dans J. Le Goff et J. Cl. Schmitt (dir.), op. cit.
7 Ph. Braunstein, « L’industrie à la fin du Moyen Âge : un objet historique nouveau ? », dans L. Bergeron et P. Bourdelais (dir.), La France n’est elle pas douée pour l’industrie ?, Paris, 1998, p. 25-40.
8 Ibidem, p. 25.
9 G. Lefranc, Histoire du travail et des travailleurs, Paris, [1957], nouvelle édition revue et augmentée, 1975, p. 117.
10 « On doit bannir ce terme de corporation qui n’est pas médiéval » : P. Chaunu et R. Gascon, L’État et la ville, 1450-1660, dans F. Braudel et E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France, Paris, 1977, p. 244.
11 É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 31.
12 R. Fossier, Le travail, op. cit.
13 M. Kaplan (dir.), Le Moyen Âge, XIe-XVe siècle. Histoire médiévale, Paris, 1994.
14 Ph. Contamine, M. Bompaire, St. Lebecq et J.-L. Sarrazin, L’économie médiévale, Paris, 1993.
15 Ph. Braunstein, « Artisans », dans J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt (dir.), op. cit.
16 C’est également le cas, par exemple, dans D.-J.-V. Fisher, « Economic institutions in the towns of medieval England », dans La ville, II Institutions économiques et sociales, Bruxelles, 1955 (Recueils de la Société Jean Bodin VII), p. 531-550 [p. 545].
17 Ce constat vaut également pour d’autres pays. Dans M.I. Falcon, M.L. Ledesma, C. Orcastegui et E. Sarasa, « La construction à Saragosse à la fin du Moyen Âge : conditions de travail, matériaux, prix et salaires », dans D. Menjot et A. Rucquoi (dir.), La construction dans la péninsule ibérique XIe-XVIe, Cahiers de la Méditerranée, 31, 1985, p. 73-93, les auteurs utilisent ce raccourci, consacrant un chapitre à l’« Organisation du travail et associationisme professionnel ». Citons, également, G. Cherubini, « I lavoratori nell’Italia dei secoli xiii-xv : considerazioni storiografiche e prospettive di ricerca », dans Artigiani e salariati. Il mondo del lavoro nell’Italia dei secoli xii-xv, Pistoia, 9-13 ottobre 1981, Pistoia, 1984, p. 1-26 [p. 1] : In Italia ha prevalso a lungo la storia del lavoro come storia delle corporazioni e dell’organizzazione corporativa del lavoro.
18 Fort de ses 1790 entrées, le Dictionnaire du Moyen Âge, dirigé par Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink (Paris, 2002), offre une vision plus complexe du monde de la production, mais répond en partie à ce schéma, renvoyant pour le mot artisan aux entrées Travail et Métiers (c’est-à-dire « Les métiers organisés »). Même si – nous y reviendrons – les définitions proposées pour les mots Maître, Valet et Apprenti prennent, par leur caractère plus nuancé, une certaine distance avec le modèle classique.
19 L. Halphen et R. Doucet (dir.), Histoire de la société française, Paris, 1953, p. 107. Formulation reprise dans P. Bonnassie, Les cinquantes mots clés de l’histoire médiévale, Toulouse, 1981.
20 R. Fossier, Sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Âge occidental, Turnhout, 1999, p. 284. « Les deux préoccupations essentielles d’une telle réglementation [Le statut des chaussetiers parisiens, pris comme exemple de la réglementation des métiers], et qui sous-tendent les théories économiques du Moyen Âge sont, d’une part, le souci de hiérarchiser et de figer le travail, vieil héritage antique et, d’autre part, d’éliminer toute notion de concurrence, que l’Église estime source de gains inavouables. » Également M.-T. Lorcin, La France au XIIIe siècle, Paris, 1975, p. 90, pour qui le « métier » se caractérise, entre autres, par « une structure très hiérarchisée d’apprentis, de compagnons (ou ouvriers) et de maîtres (ou patrons), l’accès à chacune de ces étapes étant soumis à un certain nombre de conditions ».
21 M. Bouvier-Ajam, Histoire du travail en France des origines à la Révolution, Paris, 1957 : t. I, Des origines à la Révolution ; Livre III, Le travail en France au temps des Capétiens ; Chap. II, Le fait corporatif ; 4e partie, D’une théorie des corps de métiers [p. 238-245].
22 Ibidem, p. 240.
23 M. Kaplan, op. cit., p. 174.
24 M. Bourin-Derruau, Temps d’équilibre, temps de ruptures, XIIIe siècle, Paris, 1990, p. 127.
25 Ce constat, fait par Georges Duby en 1962 (L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, France, Angleterre, Empire, ixe-xve siècle, Paris, 1962, p. 263), repris en 1976 par Guy Fourquin (Histoire de la France rurale, t. I, p. 406) est encore d’actualité de nos jours (A. Belmont, Des ateliers au village. Les artisans ruraux en Dauphiné sous l’Ancien Régime, 2 vol., Grenoble, 1998, p. 11). Il convient toutefois de faire une place à part aux travaux de Robert Fossier, à qui est empruntée cette formule de « mécanicien » du village, ainsi qu’à ceux de Mathieu Arnoux (Mineurs, férons et maîtres de forge, études sur la production du fer dans la Normandie du Moyen Âge, xie-xve siècles, Paris, 1993), de Catherine Verna (Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (xiiie-xvie siècles), Paris, 2001), d’Alain Belmont et à la publication du colloque de Flaran (L’artisan au village dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des XIXe Journées internationales d’histoire de l’Abbaye de Flaran, septembre 1997, M. Mousnier (éd.), Toulouse, 2000).
26 Nous renverrons ici à W. von Stromer, « Une clé du succès des maisons de commerce d’Allemagne du Sud : le grand commerce associé au Verlagssystem », Revue historique, CCLXXXV/1, 1991, p. 29-50. La dépendance de la campagne à l’égard de la ville, en terme d’artisanat, est très souvent évoquée. Cf. pour l’Italie, par exemple, l’article « Città et campagna », dans R. Romano (dir.), Storia dell’economia italiana, I, Il Medioevo : dal crollo al trionfo, Turin, 1990 (Biblioteca di cultura storica, 184/1) [p. 213-232], dans lequel Giuliano Pinto souligne : La stessa grande manifattura urbana (la lana) impiegò manodopera residente nelle campagne [p. 229], ou le chapitre consacré, dans l’ouvrage de Donata Degrassi (L’economia artigiana nelle’Italia medievale, Rome, 1996), à L’economia artigiana tra città e campagna, dont le premier paragraphe est intitulé : Artigianato cittadino e manodopera rurale : dall’immigrazione in città al lavoro a domicilio nel contado [p. 153-159]. Pour l’Espagne, par exemple, J.L. Martín, La Península Ibérica en la Edad Media, Barcelone, [1975], rééd. 1993, évoquant La utilizatión de la mano de obra rural, más barata que la urbana, y la difusión del sistema productivo representado por el mercader-empresario [p. 817].
27 G. Duby, L’économie rurale, op. cit., p. 263 ; H. Neveux dans Histoire de la France rurale, t. II, p. 31.
28 G. Duby, L’économie rurale, op. cit., p. 266.
29 Dans la deuxième partie de ce travail « le métier d’artisan », le chapitre VI est ainsi divisé en : « L’apprentissage » et « De l’apprenti au maître : les compagnons ; l’acquisition d’une boutique ».
30 Ph. Contamine, M. Bompaire, St. Lebecq et J.-L. Sarrazin, op. cit., p. 277.
31 G. Duby et R. Mandrou, Histoire de la civilisation française, t. I, Moyen Âge-xvie siècle, Paris, [1968] 1982, p. 143.
32 Ph. Contamine, M. Bompaire, St. Lebecq et J.-L. Sarrazin, op. cit., p. 277 : « Chaque maître artisan devait avoir sa part de marché et être directement responsable d’une cellule de production restreinte : au mieux quelques compagnons, un nombre limité d’apprentis travaillant dans une ambiance familiale. »
33 L.-H. Parias (dir.), Histoire générale du travail : t. II, Ph. Wolff et F. Mauro, L’âge de l’artisanat, ve-xviiIe siècle, Paris, 1960, p. 123. Des considérations relativement proches se retrouvent, par exemple pour la Grande-Bretagne, dans les écrits de Michael M. Postan, The Medieval Economy and Society – An Economic History of Britain in the Middle Ages, Londres, 1972, [p. 207] : The bulk of medieval trade and industry was very highly professionalized and very largely confined to commercial towns ; sur l’Allemagne, J. Schneider, « Les villes allemandes au Moyen Âge. . Les institutions économiques », dans La ville, II, Institutions économiques et sociales, Bruxelles, 1955 (Recueils de la Société Jean Bodin VII), p. 403-482 [p. 442] : « Toute l’activité qui se centrait sur le marché local tendait à s’organiser dans le cadre corporatif et la corporation, avec sa réglementation, est considérée comme l’institution caractéristique de l’économie urbaine » ; ou sur l’Espagne, dans J. Valdeòn, J.M. Salrach et J. Zabalo, Feudalismo y consolidaciòn de los pueblos hispànicos (siglos xi-xv), dans M. Tuñon de Lara, Historia de España, Barcelone, 1980, t. IV, p. 133-134.
34 Histoire de la France rurale, t. I, p. 554. Pourcentages repris par Robert Delort, Le Moyen Âge, histoire illustrée de la vie quotidienne, Lausanne, 1972, p. 124.
35 R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du XIIIe siècle, 2 vol., Paris - Louvain, 1969.
36 A. Belmont, op. cit.
37 Histoire de la France rurale, t. II, p. 31.
38 Ph. Contamine, M. Bompaire, S. Lebecq, J.-L. Sarrazin, op. cit., p. 214. Si Jacques Heers, (Le travail au Moyen Âge, Paris, 1965, p. 107) affirme que « À la fin du “Moyen Âge”, dans les villes d’Occident, tous les métiers s’organisaient effectivement en guildes très solides ; mais souvent à une date relativement tardive […] », Georges Duby (G. Duby et R. Mandrou, op. cit., p. 142) est, lui, plus nuancé ; limitant aux villes du « rassemblement capétien », des années 1180-1270 une vision aussi uniforme : « À l’exemple des marchands, associés depuis la renaissance du commerce pour former les caravanes saisonnières, les revendeurs, les artisans spécialisés dans la fabrication ou la distribution d’un même produit se sont rassemblés en communautés, les “métiers”. Confrérie religieuse avant tout, réunie autour d’un saint protecteur, association de prières pour les membres défunts, de charité pour ceux qui, vivants, ont besoin d’aide, le métier est un groupement fermé qui détient le monopole d’une certaine activité. Mais il est régi par un règlement qui, édicté et appliqué par l’autorité de la ville, veille à éviter la concurrence et protège les consommateurs en fixant les prix et en contrôlant la qualité. Mis à part les domestiques et les éléments troubles, mendiants, vagabonds, étroitement surveillés et soumis à un régime d’exception, tous les hommes de la ville, tous ceux qui participent à ses franchises et portent le titre de bourgeois, se trouvent ainsi englobés dans ces associations professionnelles. » Nous renverrons, sur ce sujet, au point très clair que dresse Robert Carvais pour le domaine du bâtiment dans R. Carvais, « Les statuts des métiers de la construction et l’économie de l’industrie du bâtiment : premiers résultats d’une enquête en cours dans la France moderne », dans S. Cavaciocchi (dir.), L’edilizia prima della rivoluzione industriale secc. xiii-xviii, Prato, 2005 (Serie II - Atti delle « Settimane di Studi » e altri convegni, 36), p. 136-165.
39 Histoire de la France urbaine, t. II, p. 280 ; M.-Th. Lorcin, Société et cadre de vie en France, Angleterre et Bourgogne (1050-1250), Paris, 1985 ; M. Kaplan, op. cit. ; R. Delort, op. cit., p. 265. Le caractère emblématique du contre exemple lyonnais serait sans doute à examiner en détail car on le trouve convoqué dès le XVIIe siècle. Steven L. Kaplan (La fin des corporations, Paris, 2001, p. 15), cite en effet un mémoire de 1668 : « Confrontant l’organisation parisienne du travail, parangon et paradigme du système corporatif, et la pratique lyonnaise “où l’accès est ouvert au tout-venant pour travailler de toutes sortes d’ouvrages”. »
40 G. Duby et R. Mandrou, op. cit., p. 142.
41 R. Delort, op. cit., p. 265. Le même exemple est exposé par Jacques Le Goff (« Les métiers », art. cit.).
42 L. H. Parias (dir.), op. cit. ; R. Fédou, op. cit. ; M. Kaplan, op. cit.
43 Pierre Bonnassie (Les cinquante…, op. cit.) fait état d’un troisième type d’organisation, celui des confréries, mais pour l’Espagne. Ce souci de classification n’apparaît pas de manière aussi récurrente chez nos confrères européens. S’agit-il là d’une spécificité française ?
44 É. Dolléans et G. Dehove, Histoire du travail en France. Mouvement ouvrier et législation sociale, t. I, Des origines à 1919, Paris, 1953, p. 60 : « Le métier libre est caractérisé par la libre concurrence, c’est-à-dire qu’on ne rencontre pas, dans ce métier, le moindre monopole d’exercice de la profession, au profit de qui que ce soit. »
45 R. Fédou, op. cit. ; M. Bouvier-Ajam, Histoire du travail en France des origines à la Révolution, op. cit., p. 236-237.
46 R. Delort, op. cit., p. 265.
47 M. Bouvier-Ajam, Histoire du travail en France des origines à la Révolution, op. cit., p. 237.
48 L.-H. Parias (dir.), op. cit., p. 136.
49 Geneviève Bresc-Bautier traite ainsi le cas des peintres siciliens par référence au modèle dominant dans l’historiographie, évoquant l’« absence de corporations », Artistes, praticiens et confréries. Production et consommation de l’œuvre d’art à Palerme et en Sicile occidentale (1348- 1460), Rome, 1979 (Collection de l’École française de Rome, 40), p. 25.
50 É. Dolléans, et G. Dehove, op. cit., p. 61.
51 É Perroy, R. Doucet et A. Latreille, Histoire de la France pour tous les Français par les historiens spécialistes de chaque époque, t. I, Des origines à 1774, Paris, 1950, p. 225.
52 M.-Th. Lorcin, La France…, op. cit., p. 90.
53 R. Fossier (dir.), Le Moyen Âge, t. III, Les temps de crises, Paris, [1983], 1990, p. 103.
54 Histoire de la France urbaine, t. II, p. 280.
55 Ph. Contamine, M. Bompaire, S. Lebecq, J.-L. Sarrazin, op. cit., p. 214.
56 J. Heers, Le travail, op. cit., p. 107. Ce type d’allégation se rencontre également hors de France, chez J. Valdeòn et J.-L. Martín, t. XII, La Baja Edad Media Peninsular. Siglos XIII al XV. La población, la economía, la sociedad, dans Jover J.M. (dir.), Historia de España, Madrid, 1996 [p. 273] : évoquant le triunfo de la estructura gremial en la Castilla del siglo XV ; ou dans A.B. Hibbert, « The Economic Policies of Towns », dans M.M. Postan, E.E. Rich et E. Miller (éd.), The Cambridge Economic History of Europe, vol. III Economic Organization and Policies in the Middle Ages, Cambridge, 1963, p. 157-229 [p. 213] : all branches of production and distribution were monopolized by the appropriate guilds […].
57 Ce type d’approche se retrouve très largement dans la manière même de désigner les différentes catégories de travailleurs. Il est ainsi fait mention des masters, apprentices, journeymen et non-guilds labourers, dans A. Black, Guilds and Civil Society in European Political Thought from the Twelfth Century to the Present, Londres, 1984, p. 10, ou des ungilded workers, dans A.B. Hibbert (art. cit., p. 214). Pour Robert Carvais, cette distinction « ne se révèle plus pertinente à la fin du XVIIIe siècle », art. cit., p. 146.
58 Histoire de la France urbaine, t. II, p. 283, évoque : « La naissance des métiers organisés – que nous appelons corporations. »
59 P. Léon (dir.), Histoire économique et sociale du monde, t. I, B. Bennassar et P. Chaunu, L’ouverture du monde xive-xvie siècles, Paris, 1977, p. 245 ; G. Bois, La grande dépression médiévale xive-xve siècles. Le précédent d’une crise systémique, Paris, 2000, p. 136.
60 J.-F. Lemarignier, La France médiévale, institutions et société, Paris, 1970, p. 305-311.
61 M. Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, [1978] nouvelle édition 1986, p. 1210.
62 J.-L. Biget et P. Boucheron, La France médiévale, t. I, ve-xiiie siècle, Paris, 1999 ; t. II, xiiie-xve siècle, Paris, 2000, p. 12-13 ; É. Dolléans et G. Dehove, op. cit.
63 J. Gimpel, La révolution industrielle du Moyen Âge, Paris, 1975.
64 C’est également ce qui ressort de R.M. Dentici Buccellato, « I mestieri della città. Palermo tra due e trecento », dans Cl. Dolan (dir.), Travail et travailleurs en Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, Toronto, 1991, (Papers in mediaeval studies, 13), p. 103-145 : È evidente, quindi, nella bottega una gerarchia che si articola nei tre gradi di maestro, lavorante salariato e apprendista e che sarà sancita più tardi dagli statuti delle maestranze, che possediamo a partire dal XV secolo [p. 104].
65 Histoire de la France urbaine, t. II, p. 280.
66 B. Chevalier, Les bonnes villes de France du XIVe au XVIe siècle, Paris, 1982, p. 151-152. L’image dégagée est, en quelque sorte, prolongée pour les siècles suivants. Ainsi, dans F. Bayard et Ph. Guignet, L’économie française aux xvie-xviie-xviiie siècles, Paris, 1991, p. 33 : « Depuis le Moyen Âge, le tissu “industriel” de la France est constitué par un réseau d’innombrables et minuscules ateliers artisanaux où travaille un maître avec sa famille et, le cas échéant, une poignée de compagnons et d’apprentis. » Mais Bernard Chevalier envisage-t-il bien là des structures non corporatives, dans la mesure où, au moins pour la période 1470-1600, il considère que le système corporatif est « une des pièces », qui structurent les bonnes villes ?
67 G. Bois, La grande dépression, op. cit., p. 133.
68 La description de l’atelier familial donnée par Fernand Braudel va tout à fait dans ce sens : « Les innombrables, les minuscules ateliers familiaux, soit un maître, deux ou trois compagnons, un ou deux apprentis ; soit une famille à elle seule. » (F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe siècle, Paris, 1979, t. II, p. 348).
69 M.-Th. Lorcin, La France…, op. cit., p. 99.
70 La famille, par exemple, constitue, d’après Bronislaw Geremek, la base de l’unité de production dans l’artisanat parisien, op. cit., p. 14. La même considération se retrouve, par exemple, chez Donata Degrassi, op. cit., p. 43 : Se vogliamo comprendere appieno le dinamiche che orienta-vano la vita e l’organissasione del lavoro in ambito artigianale, dobbiamo rinunciare a prendere in considerazione il singolo artigiano […] per assumere invece come parametro di riferimento l’unità domestica : la moglie, i figli e quanti abitavano sotto lo stesso tetto - parenti, domestici o apprendisti che fossero – collaboravano tutti, con modalità e compiti diversi, al funzionamento dell’azienda familiare. Dans S.L. Thrupp, « The Guilds », dans M.M. Postan, E.E. Rich et E. Miller (éd.), The Cambridge Economic History of Europe, vol. III, Economic Organization and Policies in the Middle Ages, Cambridge, 1963, p. 230-280 [p. 264], la famille est présentée également comme unité de base : the majority of artisans, in or out of gilds, seem not to have kept more than two helpers besides their wife and their own young children.
71 P. Léon (dir.), op. cit., p. 246. Nous retrouvons à peu près les mêmes termes pour Saragosse (M.I. Falcon, M.L. Ledesma et alii, op. cit., p. 76), où « les apprentis vivaient dans la maison du maître, participant à toute la vie de la famille ».
72 R. Delort, op. cit., p. 268. Margalida Bernat i Roca, op. cit., p. 122, évoque, pour sa part, une « ambit de caire domèstic » dans laquelle évolue l’apprenti.
73 Cl. Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve au XVe siècle, Paris, 1996, p. 263. C’est un point de vue également partagé. Voir, entre autres, R.M. Dentici Buccellato, op. cit., p. 104.
74 Monique Bourin-Derruau a bien montré les limites de cette image « à la fois exacte et erronée », op. cit., p. 126.
75 Ph.-J. Hesse, « Artistes, artisans ou prolétaires ? Les hommes de la mines au Moyen Âge », dans X. Barral i Altet (éd.), Artistes, artisans et production artistique au Moyen Âge, I – Les hommes, Paris 1986, p. 431-471. Le cas du travail de la mine a très tôt posé problème aux « corporatistes », ainsi qu’en atteste l’ouvrage d’Hippolyte Blanc, Le mineur en dehors du système corporatif, publié à Paris dès 1891.
76 M. Bloch, « Le maçon médiéval : problèmes de salariat », Annales HES, t. VIII, 1935 ; ou R.S. Lopez, « Économie et architecture médiévale », ibidem, 1952/4, p. 433-438. Le phénomène est loin d’être réduit à la France. Citons, par exemple, Giovanni Cherubini (art. cit., p. 8) : Pesa probabilmente anche l’acquisita convinzione sulla maggiore « modernità » dello status di salariati dei lavoratori edili rispetto ad altre categorie di lavoratori.
77 « Il faut faire une place à part aux métiers du bâtiment en ce temps des grands chantiers urbains de cathédrales. Nous sommes malheureusement mal renseignés sur l’organisation de ces chantiers » déclare, par exemple, Jacques Le Goff dans le paragraphe consacré à « l’institution corporative » au sein de La ville médiévale (Histoire de la France urbaine, t. II, p. 288).
78 Nous pensons notamment aux utilisations, par Bronislaw Geremek (op. cit.), des comptes du couvent des Augustins et de l’hospice Saint-Jacques de Paris ; aux travaux de Philippe Braunstein sur le Dôme de Milan, Ph. Braunstein, « Il cantiere del Duomo di Milano alla fine del XIV secolo : lo spazio, gli uomini e l’opera », dans J.-Cl. Maire-Vigueur et A. Paravicini-Bagliani (dir.), Ars et Ratio. Dalla torre di Babel al ponte di Rialto, Palerme, 1990, p. 147-164 ; idem, « Les débuts d’un chantier : le Dôme de Milan sort de terre, 1387 », dans P. Benoit et O. Chapelot (éd.), Pierre et métal dans le bâtiment au Moyen Âge, Paris, 1985, p. 81-102 ; à ceux d’Odette Chapelot sur les chantiers bourguignons, O. Chapelot, La construction sous les ducs de Bourgogne : l’infrastructure (moyens de transport, matériaux de construction), Thèse de 3e cycle, Paris I, 1975, ou à ceux de Micheline Baulant sur les chantiers parisiens, M. Baulant, « Les salaires des ouvriers du bâtiment à Paris de 1400 à 1726 », Annales ESC, 26, 1971, p. 463-483 ; de Charles de la Roncière, pour Florence, Ch. de La Roncière, Prix et salaires à Florence au XIVe siècle (1280-1380), Rome, 1982 ; ou les travaux pionniers de Georges d’Avenel, Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général, depuis l’an 1200 jusqu’en l’an 1800, Paris, 1894-1898, 4 vol. ; et Henri Hauser, Recherches et documents sur l’histoire des prix en France de 1500 à 1800, Paris, 1936.
79 Cette activité, malgré les articles de Marc Bloch ou Roberto S. Lopez (cf. supra), a été, comme le note Patrick Boucheron (M. Kaplan, op. cit., p. 175), « longtemps négligée par les historiens ». Il semble que ces dernières années voient naître un intérêt nouveau des chercheurs pour le monde de la construction, à en juger, par exemple, à la récente publication de l’ouvrage P. Boucheron, Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (xive-xve s.), Rome, 1998 (Collection de l’École française de Rome, 239).
80 Ph. Braunstein, « Artisans », dans J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt, op. cit., p. 73.
81 B. Geremek, op. cit., p. 44 : « […] la situation se singularise nettement, du point de vue social et par les conditions de la production, dans les métiers du bâtiment. Ici, l’apprenti qui a fini son temps devient plus facilement maître, puisque cette promotion n’est pas obligatoirement liée à l’indépendance économique, mais que le nouveau maître se fait embaucher par un employeur, tout comme les valets dans les autres métiers. En revanche, les valets salariés du bâtiment sont “initiés” à un moindre degré ; c’est dire qu’ils se trouvent maintenus à un niveau inférieur de qualification professionnelle […] ».
82 C’est le cas, entre autres, d’ouvrages traitant du bâtiment, auxquels une miniature tirée de la Relatio de innovatione ecclesie sancti Geminiani mutinensis conservée dans la Bibliothèque capitulaire de Modène et datée du XIIIe siècle apporte une caution médiévale. C’est une présentation que l’on retrouve notamment chez Isabel Montes Romero-Camacho, « Precios y salarios de la construccion en la Sevilla del siglo XV », dans D. Menjot et A. Rucquoi (dir.), La construction dans la péninsule ibérique xie-xvie, Cahiers de la Méditerranée, 31, 1985, p. 97-124 [p. 108].
83 Nous en trouvons de nombreux exemples dans la documentation réunie (par exemple, R.S. Lopez, Naissance de l’Europe, Paris, 1962, p. 287 ; J. Heers, Le travail, op. cit., p. 86-87 ; J. Heers, L’Occident aux XIVe et XVe siècles, aspects économiques et sociaux, Paris, 1963, p. 221 ; R. Delort, op. cit., p. 271). On l’observe plus largement avec des travaux comme ceux d’Antony Black qui assimile unskilled et non-guild labourers, op. cit., p. 10.
84 R.S. Lopez, Naissance, op. cit., p. 287 et 289.
85 Notamment I. Montes Romero-Camacho, op. cit., p. 108, ou M.I. Falcon, M.L. Ledesma, C. Orcastegui et E. Sarasa, op. cit., p. 18.
86 R. Delort, op. cit., p. 268-269. Également P. Léon (dir.), op. cit., p. 244 ; M. Balard, J.-Ph. Genet et M. Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Paris, 1990, p. 161.
87 R. Fossier, Le travail, op. cit., p. 115.
88 R. Fossier, Le travail, op. cit., p. 109 : « En ville, où la variété des types de travail était plus grande qu’au plat pays, on a éprouvé assez vite le besoin d’organes intermédiaires entre l’autorité publique et l’atelier » ; idem, Sources, op. cit., p. 283 : « Dès la fin du XIe siècle, la nécessité d’un texte, fixant les droits et les obligations des travailleurs, devint pressante. »
89 Idem, Le travail, op. cit., p. 103.
90 L. Halphen et R. Doucet, op. cit., p. 62.
91 Nous nous contenterons, pour ce problème, de renvoyer à l’article « Parenté » rédigé par Anita Guerreau-Jalabert dans J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt, op. cit., p. 861-876.
92 Voir B. Chevalier, Les bonnes villes, op. cit., p. 151-152 ; G. Brunel et E. Lalou (dir.), Sources d’histoire médiévale IXe-milieu du XIVe siècle, Paris, 1992, p. 474 ou B. Laurioux, La civilisation du Moyen Âge en France, xie-xve siècles, Paris, 1998, p. 52.
93 C’est ce qui ressort également de la description proposée par Donata Degrassi, op. cit., p. 43 : La moglie, i figli e quanti abitavano sotto lo stesso tetto – parenti, domestici o apprendisti che fossero – collaboravano tutti, con modalità e compiti diversi, al funzionamento dell’azienda familiare.
94 La même démonstration pourrait toutefois se faire en ce qui concerne le travail des enfants mais également des esclaves ou des Juifs.
95 Il n’y a pas lieu de revenir, ici, sur une occultation patente, bien rendue par l’appellation de « travail caché », (Schattenarbeit – D. Rippmann, « Weibliche Schattenarbeit im Spätmittelalter », Schweizerische Zetschrift für Geschichte, 34-3, 1984, p. 332-345) ; appellation dont Katarina Simon-Muscheid a élargi l’usage au cas des enfants, « Indispensable et caché. Le travail des enfants au bas Moyen Âge et à la Renaissance », Médiévales, 30, 1996, p. 97-107. Soulignons, cependant, que des travaux tels que K. Bücher, Die Frauenfrage im Mittelalter, Tübingen, 1882, ou G. Fagniez, Études sur l’industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècles, Paris, 1877, ont, très tôt, souligné le rôle des femmes dans la production.
96 M. Perrot, « De la nourrice à l’employée. Travaux de femmes dans la France du XIXe siècle », Le Mouvement social, 105, 1978, cité par F. Battagliola, Histoire du travail des femmes, Paris, 2000, p. 3.
97 G. Fagniez, La femme et la société française dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1929, p. 98. Page suivante, il revient à la charge : « Ce qu’il faut conclure de ces observations pour le sujet qui nous occupe, c’est que la main-d’œuvre féminine, depuis l’entrepreneuse jusqu’à l’ouvrière, échappait soit ouvertement, soit clandestinement à l’empire d’institutions moins générales qu’on ne le croit et qu’elle abondait plus encore que ces institutions ne nous donnent lieu de le penser. » On ne peut que regretter que le programme dégagé n’ait pas été beaucoup suivi.
98 On peut citer, par exemple, B. Hanawalt (dir.), Women and Work in Preindustrial Europe, Bloomington, 1986, ou D. Herlihy, Opera Muliebra : Women and Work in Medieval Europe, New York - Saint-Louis, 1990, ou le récent ouvrage de Françoise Battagliola, cité ci-dessus, qui ne remonte guère, pour sa part, au-delà de la fin du XVIIIe siècle.
99 L’importance de ce cadre, en matière d’histoire du travail des femmes, est clairement visible, par exemple, dans la présentation des économies de l’Angleterre et de la France préindustrielles données en préambule à l’ouvrage sur Les femmes, le travail et la famille, de L.A. Tilly et J.W. Scott, [1978] trad. fr. Paris, 1987 (notamment p. 35). On la retrouve également dans le titre évocateur, bien que féminisé de l’article de Cécile Béghin, « Donneuses d’ouvrages, apprenties et salariées aux XIVe et XVe siècles dans les sociétés urbaines languedociennes », Clio, 1996-3, p. 31-54. Le bilan historiographique dressé par Denise Angers, « Le rôle de la famille et la place de la femme dans l’organisation du travail en Allemagne à la fin du Moyen Âge : bilan historiographique », dans Cl. Dolan (dir.), Travail et travailleurs en Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, Toronto, 1991, (Papers in mediaeval studies, 13) p. 63-78, nous la montre à l’œuvre en Allemagne dans les travaux de K.-J. Lorenzen-Schmidt, « Zur Stellung der Frau in der frühneuzeitlichen Städtgesellschaft Schleswigs und Holsteins », Archiv für Kulturgeschichte, 61-2, 1979, p. 317-339, ou de M. Mitterauer, « Familie und Arbeitsorganisation im städischen Gesellschaften des Spätenmittelalters und der früehen Neuzeit », dans Haus und Familie in der spätmittelalterlichen Stadt, p. 1-36. Eviter l’écueil que représente la constitution de l’histoire des femmes en domaine séparé « se développant à côté de l’histoire au masculin » passe probablement par une réflexion sur ces cadres d’analyse qui marginalisent une grande partie des travailleurs, et pas seulement les femmes.
100 Peu évoquées dans les statuts professionnels, les femmes semblent se voir exclues de ces associations à la fin du Moyen Âge (voir sur ce point les conclusions des articles déjà cités de Cécile Beghin ou Denise Angers).
101 L. Halphen et R. Doucet, op. cit., p. 62 ou G. Fourquin, Histoire économique de l’Occident médiéval, Paris, [1969] 1979, p. 187.
102 J. Favier, Le temps des principautés, de l’an mil à 1515, dans J. Favier (dir.), Histoire de France, t. II, Paris, 1984, p. 198.
103 J. Le Goff, Le Moyen Âge (1060-1330), Paris - Montréal, 1971, p. 179.
104 M. Balard, J.-Ph. Genet et M. Rouche, op. cit.
105 Voir R.S. Lopez, Naissance, op. cit., p. 287 ; J. Heers, Le travail, op. cit., p. 86-87 ; J. Heers, L’Occident, op. cit., p. 221 ; R. Delort, op. cit., p. 271.
106 P. Chaunu et R. Gascon, op. cit., p. 417.
107 Si l’apprentissage a donné lieu à une littérature importante sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, des auteurs comme Sylvia L. Thrupp, op. cit., p. 264, Steven A. Epstein (Wage Labor and Guilds in Medieval Europe, Chapel Hill - Londres, 1991 ; « Craft Guilds, Apprenticeship, and Technological Change in Preindustrial Europe », dans The Journal of Economic History, 58-3, 1998, p. 684-713) ou Roberto Greci (Corporazioni e mondo del lavoro nell’Italia padana medievale, Bologne, 1988) insistent clairement sur l’attention particulière portée par les corporations à la réglementation de l’apprentissage.
108 L. Halphen et R. Doucet, op. cit., p. 104. Quelques pages plus loin (p. 107) cet auteur fait pourtant expressément mention du fait que « l’organisation corporative reposait sur la hiérarchie des apprentis, des compagnons et des maîtres […] ».
109 J. Heers, L’Occident, op. cit., p. 221. Compagnons et apprentis se trouvent également regroupés sous le terme « oficial (llamado en los documentos, muchas veces criado o mozo) » dans l’étude d’Isabel Montes Romero-Camacho sur Séville, op. cit., p. 108.
110 Voir, par exemple, L. Génicot, Le XIIIe siècle européen, Paris, 1968, p. 344, où il est fait allusion aux entreprises : « Régies par et pour les travailleurs, maîtres ou compagnons ? », ou bien R. Fossier, Le travail, op. cit., p. 69, où il est écrit que « l’artisanat urbain englobe presque toutes les formes d’activité en ville, et rassemble maîtres et compagnons […] ».
111 Cf. J. Verger, Naissance et premier essor de l’Occident chrétien, Ve-xiiIe s., Paris, 1975, p. 201 ; P. Bonnassie, Les cinquante, op. cit. ; J. Kerhervé, Histoire de la France : la naissance de l’État moderne, 1180-1492, Paris, 1998, p. 62 ; É. Perroy, R. Doucet et A. Latreille, op. cit., p. 225. C‘est également ce que l‘on retrouve dans diverses publications espagnoles qui usent des trois catégories de « maestros, oficiales y aprendices » (par exemple J. Valdeòn, J.M. Salrach et J. Zabalo, art. cit., p. 250).
112 Robert Fossier (La société médiévale, Paris, [1970] rééd. 1991, p. 326), par exemple, insiste sur le rôle d’« éléments de pression sur les compagnons » que les maîtres firent jouer aux apprentis : main-d’œuvre bon marché qui vit son stage prolongé au détriment de l’embauche des valets. Voir également M. Balard, J.-Ph. Genet et M. Rouche, op. cit., p. 247 ; M. Luzzati, « La dinamica secolare di un “modelo italiano” », dans R. Romano (dir.), Storia dell’economia italiana, I, Il Medioevo : dal crollo al trionfo, Turin, 1990, p. 5-114 [p. 74] ou S.L. Thrupp, art. cit., p. 264.
113 É. Perroy, Le travail dans les régions du Nord du XIe au début du XIVe siècle, Paris, 1963 (Les cours de La Sorbonne - agrégation), 2 vol., p. 124 : « Simple compagnon salarié, louant ses bras pour une période, toujours très courte, le valet ne faisait pas partie, du moins en principe, de la maisnie de son maître ; celui-ci n’avait pas le droit de l’héberger ni même de le nourrir, comme il faisait de ses apprentis » ; J. Kerhervé, op. cit., p. 62, « Bien des petits patrons, qui se comportent parfois très durement avec leurs salariés (compagnons, valets) et avec les apprentis logés chez eux qu’ils traitent parfois en simples domestiques […] » ; R. Fossier, La société, op. cit., p. 326 : « L’étroite surveillance des 4 ou 5 apprentis qu’ils [les maîtres] tiennent pour leurs domestiques, puis qu’ils prendront dans leur famille au début du XIVe siècle, leur donnait un élément de pression sur les compagnons. »
114 Cf. P. Bonnassie, Les cinquante, op. cit. ; J. Le Goff, « Les métiers », art. cit., p. 324 ; É. Carpentier et M. Le Mené, La France du XIe au XVe siècle : population, société, économie, Paris, 1994, p. 259 ; A. Vauchez, op. cit., art. « corporation » ; A. Demurger, L’Occident médiéval, XIVe-XVe siècle, Paris, 1995, p. 102 ; J. Gimpel, op. cit. ; M. Kaplan, op. cit., p. 174 ; R.S. Lopez, Naissance, op. cit., p. 287 ; H. Pirenne, op. cit., p. 159. On retrouve également ce type de présentation dans M.M. Postan, op. cit., p. 216 ; Ph. Dollinger, « Les villes allemandes au Moyen Âge. Les groupements sociaux », dans La ville, II, Institutions économiques et sociales, Bruxelles, 1955 (Recueils de la Société Jean Bodin VII), p. 371-401 [p. 397], ou E. Portela Silva, M.C. Pallares Mendez, J.E. Gelabert Gonzalez et alii, art. cit., p. 18.
115 Histoire de la France urbaine, t. II, p. 289. Voir également J. Valdeòn, J.M. Salrach et J. Zabalo, art. cit., p. 250.
116 R. Fossier, La société, op. cit., p. 326. Sur ce point voir également B. Geremek, op. cit., p. 138.
117 B. Chevalier, Les bonnes villes, op. cit., p. 157.
118 Michel Mollat et Philippe Wolff, dans Ongles bleus, Jacques et Ciompi. lles révolutions populaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1970 (réédité sous le titre Les révolutions populaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1993, p. 60), évoquent la « cristallisation des cadres sociaux » comme « un fait général, commun d’ailleurs à toute la société au XIVe siècle ». On le retrouve fort largement, chez Michael M. Postan (op. cit., p. 216), Philippe Dollinger (art. cit., p. 397), Giovanni Cherubini (art. cit., p. 14), A.B. Hibbert (art. cit., p. 213), Margalida Bernat i Roca (op. cit., p. 127), Hans van Werveke, « Les villes belges (1). Histoire des institutions économiques et sociales », dans La ville, II, Institutions économiques et sociales, Bruxelles, 1955 (Recueils de la Société Jean Bodin VII), p. 551-576 [p. 561], Jean-Pierre Sosson, Les travaux publics de la ville de Bruges. xive-xve siècles. lles matériaux et les hommes, Bruxelles, 1977, p. 141, et bien d’autres.
119 M. Balard, J.-Ph. Genet et M. Rouche, op. cit., p. 247.
120 M. Kaplan, op. cit., p. 174.
121 R. Delort, op. cit., p. 271.
122 B. Geremek, op. cit., p. 45.
123 B. Chevalier, Les bonnes villes, op. cit., p. 169.
124 R. Fossier, Sources, op. cit., p. 284.
125 M. Bouvier-Ajam et G. Mury, Les classes sociales en France, Paris, 1963, p. 262.
126 B. Geremek, op. cit., p. 51.
127 J. Kerhervé, op. cit., p. 132.
128 D. Furia et P.-Ch. Serre, Techniques et sociétés, Paris, 1970, p. 127.
129 R.S. Lopez, La révolution, op. cit., p. 176.
130 R. Fosssier, La société, op. cit., p. 431. Bernard Chevalier emploie pour sa part le terme de césure (A. Vauchez, op. cit.).
131 J. Le Goff, Le Moyen Âge (1060-1330), op. cit., p. 179.
132 Roberto Lopez (voir supra) ne parle que d’atténuation des conflits internes.
133 B. Geremek, op. cit., p. 101.
134 P. Léon (dir.), op. cit., p. 244.
135 R. Castel, op. cit.
136 Ph. Contamine, M. Bompaire, St. Lebecq et J.-L. Sarrazin, op. cit., p. 216.
137 M.-Th. Lorcin, La France, op. cit., p. 99. Également A.B. Hibbert, art. cit., p. 213.
138 B. Geremek, op. cit., p. 101. Sur le paternalisme cf. entre autres Giovanni Cherubini (art. cit., p. 18-19), Donata Degrassi, « La trasmissione dei saperi : le botteghe artigiane », dans La trasmissione dei saperi nel medioevo (secoli xii-xv), Pistoia, 2005, p. 53-88, p. 60-61, et Franco Franceschi, « La grande manifattura tessile », ibidem, p. 355-390 [p. 365].
139 D. Furia et P.-Ch. Serre, op. cit., p. 128.
140 R. Fossier, La société, op. cit., p. 431. Alain Derville, dans La société française au Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, 2000, décrit en ces termes la situation au XVe siècle : « Les artisans du XVe siècle avaient une vaisselle d’étain, leurs ouvriers consommaient quotidiennement de la viande et du vin et ils avaient tendance à se reposer le lendemain des jours chômés » (p. 235) ajoutant toutefois à la page suivante : « Cette situation édénique se dégrada dans le dernier tiers du XVe siècle. La journée de travail s’allongea et le nombre des fêtes chômées diminua. . Les salaires réels baissèrent à mesure que le prix du blé se releva. Vers 1500 apparurent des compagnonnages ou organisations de valets, sévèrement interdites évidemment, donc clandestines. Le XVIe siècle devait être un siècle de fer, comme le XIIIe. » Cet auteur propose une vision plus cyclique de l’évolution des rapports.
141 Il y aurait sans doute des parallèles à établir entre cet « atelier familial » et la « famille souche » de Frédéric Le Play (La méthode sociale, [1879] rééd. Paris, 1989), et des éléments à prendre dans la critique du modèle faite par Peter Laslett (Household and Family in Past Time, Cambridge, 1972), ainsi que le laissent à entendre les considérations d’André Burguière (« Pour une typologie des formes d’organisation domestique dans l’Europe moderne, xvie-XIXe siècles », Annales ESC, 1986-3, p. 639-655, notamment p. 640). le rapprochement est, de fait, largement suggéré par Henri Hauser (Travailleurs et marchands dans l’ancienne France, Paris, 1929, p. 22), voir infra.
142 L’opposition apparaît explicite lorsque Claude Gauvard, envisageant les liens créés par les confréries entre les membres d’un métier, note : « Ces pratiques ne doivent pas faire conclure que les corporations constituent un système familial et idéal. Les compagnons sont des salariés » (La France, op. cit., p. 263).
143 M. Mourre, op. cit. ; R. Fossier, L’Occident médiéval, ve-xiiie siècle, Paris, 1995, p. 99 et Sources, op. cit., p. 284 ; L. Génicot, Le XIIIe siècle, op. cit., p. 332 et 1951, p. 326 ; G. Bois, La grande dépression, op. cit., p. 133 ; G. Duby (dir.), Histoire de la France, Paris, [1970] 1988, p. 52.
144 D. Furia et P.-Ch. Serre, op. cit., p. 128.
145 R. Delort, op. cit., p. 273.
146 R. Fossier, Le Moyen Âge, t. III, op. cit., p. 104-105.
147 A. Vauchez, op. cit., art. « Travail », puis art. « Corporation ». Également G. Cherubini (art. cit., p. 14) ou Ph. Dollinger (art. cit., p. 397).
148 K. Marx et F. Engels, Le manifeste du parti communiste, Paris, 1847, p. 20.
149 J. Kerhervé, op. cit., p. 63. Il est possible de rapprocher ces propos de ceux de Monique Bourin-Derruau qui écrit, op. cit., p. 131 : « Est tout aussi erronée, parce que anachronique, la conception qui voit l’artisanat médiéval comme un affrontement entre des maîtres – ceux-ci fermant l’accès du métier par l’obligation d’un chef-d’œuvre coûteux et un droit d’entrée très élevé – et des valets, piétinant d’impatience. La réalité du XIIIe siècle est tout autre. »
150 Pour cet auteur, la transformation semble en partie réalisée à la période suivante des xive-xve siècles, puisqu’il parle alors de « l’antagonisme de classe [qui] transparaît dans les violences des Jacques contre les seigneurs, et l’union des compagnons contre les maîtres [qui] annonce le début de la question ouvrière », p. 132.
151 J. Le Goff, Le Moyen Âge (1060-1330), op. cit., p. 178.
152 J. Le Goff, Le Moyen Âge (1060-1330), op. cit., p. 176 et 178 ; R.S. Lopez, La révolution, op. cit.
153 Les mêmes considérations se retrouvent chez Michael M. Postan, op. cit., p. 215, Philippe Dollinger (art. cit., p. 395) ou Emilio Cristiani (« Artigiani e salariati nelle prescrizioni statutarie », dans Artigiani e salariati. Il mondo del lavoro nell’Italia dei secoli xii-xv, Pistoia, 9-13 ottobre 1981, Pistoia, 1984, p. 417-429 [p. 420]).
154 R. Fossier, Le travail, op. cit., p. 228 : « L’histoire sociale du Moyen Âge montre que les difficultés surgies au sein du monde artisan sont davantage l’effet des évolutions extérieures, celles du marché ou de la monnaie, qu’une opposition de principe entre patrons et ouvriers. »
155 J. Heers, L’Occident, op. cit., p. 221, et Le travail, op. cit., p. 86, « Les compagnons de métier, ce prolétariat ouvrier ». Également M. Balard, J.-Ph. Genet et M. Rouche, op. cit., p. 161.
156 R. Delort, op. cit., p. 171.
157 É. Perroy, Le travail, op. cit., p. 119.
158 R. Castel, op. cit., p. 109 : « Est-on dès lors en droit de parler de salariat pour des époques antérieures [au XXe siècle], et spécialement pour des périodes lointaines, lorsque pratiquement aucune des conditions de sa définition rigoureuse n’est présente ? Oui, à condition de savoir que l’on n’a alors que des embryons, ou des traces, de ce rapport salarial moderne. »
159 Qu’il s’agisse de l’industrie de la soie (L. Halphen et R. Doucet, op. cit., p. 106 ; H. Pirenne, op. cit., p. 161), de la laine (G. Duby et R. Mandrou, op. cit. ; M.-Th. Lorcin, Société, op. cit. ; M. Reinhard (dir.), Histoire de France, t. I, des origines à 1715, Paris, 1954 ; J. Heers, Le travail, op. cit.) ou de l’industrie minière (M. Balard, J.-Ph. Genet et M. Rouche, op. cit., p. 255 ; P. Chaunu et R. Gascon, op. cit., p. 417). Les considérations de Jean Gimpel (op. cit.) sur ce qu’il appelle « la technologie » vont dans le même sens.
160 La distinction opérée rejoint en grande partie, notons-le, la division, déjà envisagée, entre ouvriers spécialisés et main-d’œuvre peu ou pas qualifiée, ou entre valets des métiers et journaliers ou manœuvres (travailleurs « libres »). Élisabeth Carpentier et Michel Le Mené marquent bien, dans leur étude sur la population, la société et l’économie de la France du XIe au XVe siècle, parue en 1994, une nuance que la multiplication des études sur l’économie de la production a permis d’accuser : « Les valets ou compagnons sont les salariés du maître ; les uns sont des salariés fixes ; les autres, embauchés à la journée, constituent un véritable prolétariat urbain », op. cit., p. 259. Voir également M. Kaplan, op. cit., p. 175 ou L. Halphen et R. Doucet, op. cit., p. 106.
161 G. Espinas, Les origines du capitalisme, I Sire Jehan Boinebroke, patricien et drapier douaisien, Lille, 1933 (Bibliothèque de la Société d’histoire du droit des pays flamand, picard et wallon, VII) ; J. Baechler, Les origines du capitalisme, Paris, 1971.
162 Sur ce point, voir les propos de Paul Veyne (Comment on écrit l’histoire, [1971] Paris, éd. 1979, p. 197-198) sur « l’œuvre historique de Weber » et la nécessité pour l’histoire de « s’arracher à trois limitations : l’opposition du contemporain et de l’historique, la convention du continuum, l’optique événementielle ». Également O.G. Oexle, « Les groupes sociaux du Moyen Âge et les débuts de la sociologie contemporaine », Annales ESC, mai-juin 1992/3, p. 751-765.
163 R. Fossier (dir.), Le Moyen Âge, t. II, L’éveil de l’Europe, 950-1250, Paris, 1982, p. 284.
164 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France. Du XVIe siècle à nos jours, Paris, 1994, p. 10.
165 J. Gimpel, op. cit., G. Lefranc, Histoire du travail et des travailleurs, Paris, [1957], nouvelle édition revue et augmentée, 1975, et F. Barret, Histoire du travail, Paris, 1944, opposent quant à eux, de manière fort contestable, « l’âge de l’outil » à « l’âge de la machine ».
166 « Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune », G. Bachelard, op. cit., p. 14.
167 G. Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, 1978, p. 11. On trouvera une illustration très récente de ce « sentiment d’équilibre » dans l’article « La médiation. Des médiateurs » de Jean-François Six, dans Y. Michaud (dir.), Université de tous les savoirs. 3. Qu’est-ce que la société ?, Paris, 2000, p. 432-442, où l’auteur développe sa conception d’une médiation qui « en tant que telle poursuit comme but le ternaire » opposé au binaire « dominants-dominés ».
168 Ch. Loyseau, Traité des Ordres et Simples Dignitez, Paris, 1610.
169 M. de Torquat, Notre beau métier de soldat, suivi d’un Essai de portrait moral du chef, Paris, 1951. G. Duby, Les trois ordres, op. cit., p. 14-15.
170 G. Dumézil, Mythes et épopées, Paris, 1968, t. I, p. 15.
171 Ch.-V. Langlois et Ch. Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1898, p. 96, 263 et 277. Voir G. Bourdé et H. Martin, Les écoles historiques, Paris [1983], rééd. 1997, p. 193-194.
172 Voir Ch.-O. Carbonell et J. Walch (dir.), Les sciences historiques de l’Antiquité à nos jours, Paris, 1994, p. 170-171.
173 La formule de Werner Sombart (Der moderne Kapitalismus, 1, 2e éd., Munich-Leipzig, 1916) citée par Bronislaw Geremek, op. cit., p. 143, selon laquelle « de même qu’un étudiant n’est qu’un clerc débutant, et ce dernier un juge débutant, de même l’apprenti n’est qu’un futur compagnon, et le compagnon, un futur maître », ne peut-elle se lire dans les deux sens ?
174 J. Le Goff et P. Nora (dir.), Faire de l’histoire, Paris, 1974. S’il n’y a pas lieu de s’attarder ici sur la structure ternaire qui régit nombre de textes, il ne semble pas sans intérêt de noter que c’est celle qu’adopte Paul Ricœur dans un récent et fameux ouvrage, La mémoire, l’histoire, l’oubli (Paris, 2000), et qu’il revendique, précisément dans la partie intitulée « Histoire, épistémologie » : « J’adopte en outre dans ses grandes lignes la structure triadique de l’essai de Michel de Certeau, quitte à lui donner sur des points importants des contenus différents. J’avais mis à l’essai cette tripartition à la fois claire et performante dans un travail d’étape commandé par l’Institut international de philosophie » (p. 169).
175 G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Paris, 1981.
176 F. Braudel, op. cit., t. I, p. 10 : « C’est ainsi qu’un schéma tripartite est devenu la table de référence d’un volume que j’avais délibérément conçu en marge de la théorie, de toutes les théories, sous le signe de la seule observation concrète et de la seule histoire comparée. » Cette notation de Fernand Braudel souligne, en négatif, le caractère classique du schéma tripartite, dont l’auteur se défend en quelque sorte d’être parti a priori.
177 G. Bois, Crise du féodalisme, économie rurale et démographie en Normandie orientale du début du XIVe siècle, Paris, 1976 ; R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève-Paris, 1982 ; Ph. Contamine, Guerre, état et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France, 1337-1494, Paris-la haye, 1972 ; P. Benoit et Ph. Braunstein, Mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale. Actes du colloque de Paris, Paris, 1983 ; D. Boutet et A. Strubel, Littérature, politique et société dans la France du Moyen Âge, Paris, 1979 ; M. Arnoux, Mineurs, férons et maîtres de forge, études sur la production du fer dans la Normandie du Moyen Âge, xie-xve siècles, Paris, 1993 ; H. Galinié, Ville, espace urbain et archéologie, Tours, 2000.
178 Dans le contexte de l’étude de la production médiévale, la force du schéma maître-valet-apprenti peut se mesurer, en outre, aux détournements dont il fait l’objet. Citons, par exemple, le titre du quatrième paragraphe « “Magistri”, “subalterni”, “imprenditori”. Il mondo della produzione cittadina » de la partie « I fattori della produzione (secoli v-xvi) » rédigée par Duccio Balestracci dans R. Romano (dir.), Storia d’ell’economia italiana, I Il Medioevo : dal crollo al trionfo, Turin, 1990, p. 157-169 ou, le premier paragraphe « Maestri, manovali, apprendisti » de l’article de Giuliano Pinto « L’organizzazione del lavoro nei cantieri edili (Italia centro settentrionale) », dans Artigiani e salariati. Il mondo del lavoro nell’Italia dei secoli xii-xv, Pistoia, 9-13 ottobre 1981, Pistoia, 1984, p. 69-101. Il n’est pas sans intérêt, également, de verser au dossier de la tripartition le fait que le compagnonnage lui-même se subdivisait en trois étapes : celles de l’apprenti, du compagnon et du compagnon-fini.
179 G. Duby, Les trois ordres, op. cit., p. 16.
180 Règlements sur les arts et métiers de Paris, rédigés au XIIIe siècle et connus sous le nom du Livre des métiers d’Étienne Boileau, G.B. Depping (éd.), Paris, 1837 ; Le Livre des métiers, R. de Lespinasse et F. Bonnardot (éd.), Paris, 1879.
181 G. Fagniez, Études, op. cit. ; R. de Lespinasse, Les métiers et corporations de la ville de Paris, I, xive-XVIIIe s., Ordonnances générales. Métiers de l’alimentation, Paris, 1886 (Histoire générale de Paris) ; Idem, Les métiers et corporations de la ville de Paris, II, xive-xviiie s., Orfèvrerie, sculpture, mercerie, ouvriers en métaux, bâtiment et ameublement, Paris, 1892 (Histoire générale de Paris) ; Idem, Les métiers et corporations de la ville de Paris, III, xive-xviiie s., Tissus, étoffes, vêtement, cuirs et peaux, métiers divers, Paris, 1897 (Histoire générale de Paris).
182 É. Martin Saint-Léon, Histoire des corporations de métiers depuis leurs origines jusqu’à leur suppression en 1791, suivie d’une étude sur l’évolution de l’idée corporative de 1791 à nos jours et sur le mouvement syndical contemporain, Paris, 1897 ; É. Coornaert, « Notes sur les corporations parisiennes au temps de saint Louis, d’après le Livre des métiers d’É. Boileau », Revue historique, t. CLXXVII, 1936, p. 343-352.
183 B. Geremek, op. cit.
184 Cette notoriété justifiée s’étend bien au-delà du cercle des historiens français, puisque cet ouvrage est cité dans de nombreux travaux, notamment italiens du fait de sa traduction dans cette langue dès 1975.
185 S. L. Kaplan, op. cit., p. 15.
186 AC Aix-en-Provence : BB 66, fol. 14, le 20 janvier 1569.
187 H. Hauser, Ouvriers, op. cit., p. XXVII.
188 Ibidem, p. XXVIII.
189 En 1936, par exemple, avant de tenter lui-même des « Notes sur les corporations parisiennes au temps de saint Louis, d’après le Livre des métiers d’É. Boileau », Émile Coornaert constatait : « S’il est une étude rebattue, c’est celle des corporations parisiennes au Moyen Âge : elle est au centre d’une littérature surabondante sur le régime corporatif. N’est-elle pas appuyée sur des textes exceptionnellement riches ? », dans « Notes sur les corporations », art. cit. p. 343.
190 A. Gouron, op. cit. Cet auteur, répondant à la question « Pourquoi étudier la réglementation des métiers en Languedoc ? », précise, en avant propos de son ouvrage (p. 9) : « Ces caractéristiques [communes aux villes du Languedoc] ne vont pas sans s’opposer aux aspects les plus courants de la vie corporative, sinon dans le reste de la France, au moins dans la partie du royaume où les métiers nous sont les mieux connus, c’est-à-dire les pays situés au nord de la Loire […] ».
191 Outre les travaux, déjà cités, d’André Gouron, nous pouvons citer, entre autres, les publications de Maurice Bouvier-Ajam (Histoire du travail en France des origines à la Révolution, op. cit.) ; Édouard Dolléans et Gérard Dehove (op. cit., reprise partielle, en 1953, de É. Dolléans, Histoire du travail, Paris, 1944) ; François Olivier-Martin (L’organisation corporative de la France de l’Ancien Régime, Paris, 1938). Il convient d’insister sur l’importance que revêt, en France et au-delà (voir Ph. Braunstein, « Les statuts miniers de l’Europe médiévale », Académie des inscriptions et belles-lettres, 1992, p. 35-56 [p. 37] ou G. Cherubini, art. cit., p. 2), l’approche juridique du travail.
192 J.-P. Sosson, « Les métiers : norme et réalité. L’exemple des anciens Pays-Bas méridionaux aux XIVe et XVe siècles », dans J. Hamesse et C. Muraille-Samaran (éd.), Le travail au Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, 1990, p. 338-348 [p. 339]. Il ne s’agit pas, pour cet auteur, d’abandonner ce type de source mais d’adopter « trois niveaux d’observation, fortement intriqués […]. D’abord les statuts eux-mêmes […]. Ensuite les fiscalités et les mesures modulant l’accès à la maîtrise […]. Les “vécus” socio-économiques, enfin, que révèlent les documents de la pratique » (p. 340). Point de vue qu’il ébauche dans Les travaux publics… op. cit. (notamment p. 129) et dans « Structures associatives et réalités socio-économiques dans l’artisanat d’art et du bâtiment aux Pays-Bas (xive-xve siècles). Perspectives de recherches », dans Barral i Altet X. (éd.), Artistes, artisans et production artistique au Moyen Âge, I – Les hommes, Paris 1986, p. 111-121.
193 J.-P. Sosson avance le qualificatif de « moniste ».
194 Nous pouvons lire, dans un manuel récent (M. Kaplan, op. cit., p. 174) : « Les métiers sont donc connus par leurs statuts ».
195 J.-P. Sosson, « Les métiers », art. cit, p. 341.
196 Jean-Pierre Sosson le rappelle, citant A. Sapori, Le marchand italien au Moyen Âge, Paris, 1952, p. LXII ; R. Van Uyten et W. Blockmans, « De noodzaak van een geïntegreerde sociale geschiedenis. Het voorbeeld van de Zuidnederlandse steden in de late middeleeuwen », Tijdschrift voor geschiedenis, 84 (1971), p. 276-290. C’est un point de vue que l’on trouve soutenu dans divers autres travaux tels ceux de Françoise Michaud-Fréjaville, « Les contrats d’apprentissage en Orléanais 1380-1480 », dans Les entrées dans la vie, XIIe congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public, Nancy, 1982, p. 183-208 [p. 184] ou d’Emilio Cristiani, op. cit., p. 417-418 et 429.
197 Selon Roger Chartier (Au bord de la falaise. ll’histoire entre certitudes et inquiétude, Paris, 1998, p. 10), le phénomène serait inverse : « Devant le reflux des grands modèles explicatifs, une première et forte tentation a été le retour à l’archive […] ». Est-ce le cas ici ?
198 De même, Bernard Chevalier – dont l’ouvrage Les bonnes villes de France du XIVe au XVIe siècle (Paris, 1982) propose, selon Jean-Pierre Sosson, une vision irénique des métiers – ne peut être soupçonné de méconnaître les « vécus » socio-économiques que révèlent les documents de la pratique. Mieux, nous y trouvons, p. 163, les notations suivantes : « Pour le connaître [le marché de l’apprentissage], nous n’interrogerons pas, comme on le fait trop, les statuts si mal observés, mais nous suivrons ces jeunes gars venus des faubourgs ou des campagnes qui viennent avec leur père ou leur tuteur chez le notaire traiter des termes réels de leur contrat avec leur futur maître. » Et, p. 167 : « Enfin, avant de pouvoir conclure péremptoirement, il faudrait être sûr que ces règlements draconiens ont bien été appliqués, ce dont il est permis de douter, notamment en ce qui concerne l’interdiction du marchandage et de la sous-traitance. » Peut-on, dans ce cas, accuser la méthode ? Un dernier exemple, ces considérations d’Émile Coornaert en conclusion de l’article déjà cité (« Notes sur les corporations », art. cit.) : « Des corporations, on n’a ordinairement fait valoir qu’un aspect schématique, devenu trop souvent caricatural. Il semble aussi que leur histoire ait été trop isolée, étudiée dans des vues étroitement économiques ou, surtout, vaguement sociales. On a trop négligé leur caractère administratif. Les corporations doivent être replacées dans l’ensemble des institutions de leur temps […] ».
199 R. Schröder, Zur Arbeitsverfassung des Spätmittelalters. Eine Darstellung mittelalterliche, Arbeitsrechts aus der Zeit nach der grossen Pest, Berlin, 1984 (Schriften zur Rechtsgeschichte).
200 L.-H. Parias (dir.), op. cit., p. 132.
201 Voir supra, « De l’harmonie à la lutte des classes ».
202 Faut-il, ici, invoquer la nécessité de revenir sur des événements qui, avec le temps, ont perdu de leur évidence, de leur « actualité », ou la distance mise entre l’historien et son objet ? En ce sens, notre propre recherche s’inscrit dans un mouvement qui semble se dessiner dans les années 1990.
203 J. Le Goff, « Corporations », dans Dictionnaire du Moyen Âge, histoire et société, Paris, 1997, p. 252-258. Dans la même veine, citons un extrait de l’article « Artisans », écrit par Philippe Braunstein dans J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt (dir.), op. cit. : « On sait la force de l’idée “corporative” dans la représentation d’une société d’ordre(s), habilement utilisée et recomposée par le discours de la “réaction” politique, pour qui les divisions, privilèges et hiérarchies organisatrices sont bienvenues, dans la mesure où elles laissent peu d’espace aux revendications horizontales qui unissent les travailleurs. Il est bien vrai que l’artisanat s’accommode du corporatisme dans les représentations figées et les constructions idéologiques de “bon vieux temps”. »
204 Deux ouvrages majeurs viennent d’être publiés sur ce sujet (S.L. Kaplan et Ph. Minard (dir.), La France malade du corporatisme ? xviiie-xxe siècles, Paris, 2004, et P. Rosanvallon, Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, 2004) et il ne s’agit pas pour nous de prétendre à une quelconque synthèse. Nous nous bornerons donc dans le présent paragraphe à un rapide rappel, insistant plus particulièrement sur la construction, aux xixe et xxe siècles, du discours sur les corporations anciennes et plus particulièrement médiévales.
205 Steven L. Kaplan (op. cit., p. IX) le note bien, qui ouvre l’ouvrage qu’il a consacré à la fin des corporations sur : « Serait-ce un paradoxe français ? Le mot “corporation” a aujourd’hui le charme suranné de l’anachronisme, alors que son dérivé “corporatisme” a souvent une connotation infamante. » Voir également, sur le vocabulaire du XIXe siècle, J. Lalouette, « Les insaisissables corporations du premier xixe siècle : enquête sur les usages d’un mot », dans S.L. Kaplan et Ph. Minard, op. cit., p. 147-170.
206 Citons, parmi les plus importants consacrés à la France : G. Pirou, Essais sur le corporatisme. Corporatisme et libéralisme. Corporatisme et étatisme. Corporatisme et syndicalisme, Paris, 1938 ; F. Perroux, Capitalisme et communauté de travail, Paris, 1938 ; G. Pirou, Néolibéralisme, néocorporatisme, néosocialisme, Paris, 1939 ; M. Bouvier-Ajam, La doctrine corporative, Paris, 1941 ; M. Bouvier-Ajam, Histoire du travail en France depuis la Révolution, Paris, 1969 ; O. Wormser, Les Origines doctrinales de la révolution nationale, Vichy 10 juillet 1940 - 30 septembre 1941, Paris, 1971 ; Cl. Patriat, Le corporatisme ou la quête de l’ordre communautaire, thèse de sciences politiques, Dijon, 1979 ; A. Cotta, Le corporatisme, Paris, 1984. Pour une bibliographie récente et synthétique, cf. S.L. Kaplan et Ph. Minard (dir.), op. cit.
207 Alain Cotta (Le corporatisme, op. cit.) se livre à une intéressante étude comparative, soulignant que « le corporatisme français est indiscutablement plus proche du Moyen Âge que ne le sont les variétés italiennes et allemandes » (p. 83). Cette vision peut être complétée par le point fait, pour l’Espagne par Antoni Riera i Melis (« La aparición de las corporaciones de oficio en Cataluña (1200-1350) », dans Cofradías, gremios y solidaridades en la Europa medieval, Actas de la XIX Semana de estudios medievales de Estella 20-24 julio de 1992, Pampelune, 1993, p. 285-318). L’étendue du phénomène ne saurait toutefois se restreindre à ces quelques pays. On s’en convaincra à la lecture du virulent plaidoyer rédigé par un ancien ministre et professeur à l’école polytechnique de Bucarest, Mihail Manoïlesco (Le siècle du corporatisme. Doctrine du corporatisme intégral et pur, Paris, 1938).
208 L’analyse qu’Alain Cotta (Le corporatisme, op. cit., p. 89-90) fait de « l’intimité de l’alliance » rejoint en grande partie celle de Maurice Bouvier-Ajam (Histoire du travail en France depuis la Révolution, op. cit., Livre IV, chap. I).
209 C’est le titre de l’un des paragraphes de l’ouvrage de Robert O. Paxton (La France de Vichy, 1940-1944, [1972] trad. fr. Paris, 1973) : « Comment échapper à la lutte des classes et à la concurrence : Le corporatisme au pouvoir. »
210 Voir, entre autres, A. Dion-Tenenbaum, Le Moyen Âge vu par le XIXe siècle, Paris, 1987 ; G. Amalvi, Le goût du Moyen Âge, [1996] Paris, 2001 ; C.O. Carbonell, L’historiographie, Paris, 1985 et la présentation que Laure Verdon fait de cette « construction du Moyen Âge » dans les chapitres introductifs de L. Verdon, Le Moyen Âge, Paris, 2003.
211 Pour la fin du XVIIIe siècle et les débats sur le rétablissement des corporations (1805-1825), nous renverrons à S.L. Kaplan et Ph. Minard (dir.), op. cit. et P. Rosanvallon, op. cit.
212 Cl. Lemercier, « La France contemporaine : une impossible société civile ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52-3, juil.-sept. 2005, p. 166-179 [p. 170].
213 O. G. Oexle, L’historisme en débat. De Nietzsche à Kantorowicz, Paris, 2002, p. 152.
214 R. de la Tour-du-Pin, préface de la 4e édition de Vers un ordre social chrétien. Jalons de route, [1882-1907], Paris, 1921.
215 F. Le Play, op. cit., p. 5.
216 C’est à Albert de Mun que revint, par exemple, d’employer pour la première fois l’expression de « régime corporatif », dans la revue l’Association catholique, en 1876.
217 R. de La Tour-du-Pin, « Du régime corporatif », Association catholique, août 1883, repris dans Vers un ordre social chrétien. Jalons de route, [1882-1907], 6e éd., Paris, 1942, p. 16.
218 Voir notamment R. Aubert, « Monseigneur Ketteler, évêque de Mayence, et les origines de catholicisme social », Collectanea Machliniensia, t. XXXII, 1947, p. 534-539, et, pour une vision plus large et plus récente : G. Cholvy, Christianisme et société en France au XIXe siècle. 1790-1914, Paris, 2001.
219 Léon XIII, Encyclique Rerum novarum sur la condition des ouvriers, Paris, 1946.
220 S.L. Kaplan, « Un laboratoire de la doctrine corporatiste sous le régime de Vichy : l’Institut d’études corporatives et sociales », Le Mouvement social, 195, avril-juin 2001, p. 35-77 [p. 55]. Sur ce point, voir également C. Crowston, « Du corps des couturières à l’Union de l’Aiguille : les continuités imaginaires d’une corporation au féminin », dans S.L. Kaplan et Ph. Minard, op. cit., p. 197-232.
221 Voir O.G. Oexle, « Le Moyen Âge comme arme. ll’Empereur Frédéric II d’Ernst H. Kantorowicz dans les controverses politiques de la république de Weimar », dans idem, op. cit., p. 147-240 et l’importante bibliographie qu’il donne en note de ce travail.
222 G. d’Avenel, Paysans et ouvriers depuis sept cents ans, Paris, 1899, p. 84.
223 Voir l’analyse faite sur ce point par Gaétan Pirou, Essais, op. cit.
224 Voici le rappel historiographique auquel se livra Émile Coornaert en 1941, dans l’avant-propos de Les corporations en France avant 1789 (Paris, 1941, p. 9-10) : « Les corporations ont aujourd’hui des partisans divers. Les premiers sont les catholiques sociaux. Il y a cent ans environ, les hommes de leur esprit, émus de l’affreuse misère des ouvriers de la grande industrie, inquiets de voir se creuser et s’élargir un abîme entre eux et leurs patrons, évoquèrent les communautés d’autrefois pour les proposer en remèdes aux abus d’un progrès matériel qui prenait la société et l’État lui-même au dépourvu : leurs idées généreuses se heurtèrent aux ambitions hostiles des grands et de ceux qui étaient en passe de le devenir, aux souvenirs amers des ouvriers et elles pâtirent d’être liées à des systèmes politiques, à des doctrines sociales et morales que contredisaient les aspirations du XIXe siècle ; depuis le début du XXe siècle, les maîtres et le public des Semaines Sociales se sont appliqués pourtant avec zèle à maintenir l’idée corporative parmi les préoccupations des penseurs et, parfois, des politiques […] ». Ces réflexions montrent amplement l’inscription des initiatives de Vichy dans une histoire plus large du corporatisme.
225 Sur ces tendances et les oppositions entre les tenants d’un corporatisme d’État et ceux d’un corporatisme d’association ; entre « chartistes » et « corporatistes professionnalistes », voir M. Bouvier-Ajam, Histoire du travail en France depuis la Révolution, op. cit., p. 347, 349-350, 367, 377, 380.
226 Ibidem, p. 374.
227 Ibid., p. 367.
228 Op. cit., p. XVI.
229 É. Dolléans, op. cit.
230 É. Dolléans et G. Dehove, op. cit.
231 Nous n’en prendrons que deux exemples. Une citation extraite de l’avant-propos (p. 11) : « L’histoire seule peut éclairer la réalité présente. Les problèmes que pose et les critiques qu’a soulevées la Charte du Travail seraient incompréhensibles si l’on ne connaissait pas l’évolution qui la précède : soit pour les textes législatifs ; soit pour ce qui concerne l’opinion publique […] cette confrontation du passé et du présent est seule capable de faire comprendre les traditions et les ruptures auxquelles se rattache l’institution nouvelle » ; et la dernière phrase du livre (p. 357) : « Par conséquent, on ne peut pas reprocher son empirisme au législateur de la loi du 16 août 1940 ni à celui du 4 octobre 1941. En dépit des progrès techniques et du développement de la prospérité matérielle qu’ont connus les meilleures périodes du XIXe siècle et les premières années du XXe siècle, il n’était pas possible d’avoir une économie organisée et stabilisée dans un monde économique en déséquilibre et en constante perturbation ; cette situation s’est prolongée et ne permet qu’une organisation du provisoire, du transitoire et de l’empirique. » Nous retrouvons, semble-t-il, chez un auteur qui se réclame (p. 9-10) de Pierre-Joseph Proudhon, René de La Tour Du Pin, Albert de Mun et Charles Péguy, l’idée selon laquelle la Charte du Travail pourrait être un premier pas vers le corporatisme.
232 Ibidem, p. 35, le paragraphe mérite d’être donné en entier : « En fait, dans cette première période [xiie-xve siècles] de l’histoire des métiers, il n’existe pas d’opposition de classes, les artisans sont proches des compagnons : ils vivent sous le même toit. Maître et valets travaillent et vivent en famille, mangent à la même table ; leur culture, leur formation d’esprit n’est pas sensiblement différente. Les différences entre maîtres et compagnons se marquent surtout en ceci : le maître a quelques épargnes et, par conséquent, les frais qu’imposent la confection du chef-d’œuvre et l’accession à la maîtrise sont plus facilement supportés par les fils de maîtres que par les compagnons. Entre ces hommes qui travaillent ensemble, pendant longtemps, il n’a existé que des différences peu sensibles dans la mentalité, aucune dans la technique, puisque les bons compagnons sont des techniciens aussi habiles que les maîtres. »
233 On ne peut que rapprocher ces propos du projet développé par le marquis René de La Tour-du-Pin dans un article de 1892 « Le Glas d’un régime », repris dans son Vers un ordre social chrétien, op. cit., p. 149-159 : « Le régime patronal a fait place au régime capitaliste. Celui-ci n’ayant pas su procurer la paix sociale, va faire place à un régime corporatif nouveau. »
234 É. Dolléans et G. Dehove, op. cit., p. 60-61.
235 Il ne faut sans doute pas minimiser l’importance de cette première version dans la mesure où l’auteur justifie la refonte de 1953 par le fait que « les deux premières éditions de cette histoire du travail ont été rapidement épuisées ».
236 Alain Cotta (op. cit., p. 93) développe cette opinion dans Le triomphe des corporations, Paris, 1983. Il est suivi, sur ce point, par Steven L. Kaplan pour qui « l’instinct corporatiste se porte à merveille » (op. cit., p. 616). Nous renverrons sur ce point aux nombreux travaux cités par ce dernier auteur qui fait état de « la masse colossale de littérature consacrée au néocorporatisme » et de « son sous-développement en France, dû en grande partie à la charge négative qui pèse sur le sujet » (ibid., p. 618, n. 24). Émile Coornaert note également, dans la préface à la nouvelle édition de son livre Les corporations en France avant 1789 (Paris, 1968) : « Encore aujourd’hui, il n’est pas rare de déceler l’influence diffuse de l’idée corporative parmi les plans d’avenir. »
237 P. Léon (dir.), op. cit., p. 244.
238 M. Bouvier-Ajam, Recherches sur la genèse et la date d’apparition des corporations médiévales en France, Paris, 1978.
239 Cet institut d’enseignement et de recherche, fondé sous l’égide de l’Union corporative, s’efforça de regrouper des personnalités de diverses écoles corporatistes. Il fut placé, en 1941, « sous le haut patronage du chef de l’État ». Il comptait, parmi les personnalités universitaires formant son Conseil supérieur, François Olivier-Martin, auteur notamment de L’organisation corporative, op. cit., dont nous reparlerons. Il décida, en 1941, de ne pas être représenté directement au « Comité d’organisation professionnelle » et se divisa en partisans de la « lutte pour les réalisations corporatives » et en « chartistes ». En juin 1944, on lui retira tout parrainage officiel puis il fut dissous, avant d’être à nouveau dissous à la Libération. Sur cet organisme et la figure de Maurice Bouvier-Ajam, voir S.L. Kaplan, art. cit.
240 S. L. Kaplan, op. cit., n. 7, p. 618.
241 M.-Th. Lorcin, Société, op. cit.
242 E. Perroy, Le travail, op. cit., p. 130.
243 R. Fossier, Sources, op. cit., p. 285.
244 M. Balard, J.-Ph. Genet et M. Rouche, op. cit., p. 254 : « Sur le problème des métiers, l’ouvrage classique reste celui d’E. Coornaert, Les corporations […] ».
245 P. Bonnassie, Les cinquante, op. cit. Cette définition est reprise par de nombreux auteurs. Voir notamment M. Kaplan, op. cit., p. 174 ; M. Arnoux, Mineurs, férons…, op. cit., p. 79 : « Reste le livre d’Émile Coornaert, Les Corporations en France avant 1789, Paris, 1941, étroitement juridique et vieilli dans sa conception, mais bien plus large de vue, en particulier du fait de l’érudition de son auteur, que de nombreuses recherches publiées depuis sur le sujet. » Jean-Pierre Sosson, Les travaux publics…, op. cit., s’y réfère pour introduire le livre II consacré aux hommes. Antony Black, op. cit., y fait également de nombreuses références.
246 Ph. Braunstein, « L’industrie… », art. cit., p. 33 : « Et pourtant, depuis la réédition en 1968 de l’ouvrage de Coornaert sur les corporations […] ».
247 Dernier paragraphe de la 1re partie « Qu’est-ce qu’une corporation ? »
248 É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., éd. 1968, p. 292.
249 É. Coornaert, Les corporations, op. cit., éd. 1941, p. 9.
250 H. Blanc, Bibliographie, op. cit., Paris, 1885.
251 É. Levasseur, op. cit., Paris, 1859.
252 É. Levasseur, Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France avant 1789, Paris, 1900, p. IX.
253 H. Hauser, Travailleurs, op. cit., p. 22.
254 Daniel Roche, dans Histoire des choses banales, Paris, 1997, p. 15.
255 Si Henri Hauser a montré, dès 1904 (leçons données à l’École des Hautes-Études sociales reproduites sous le titre « L’histoire économique dans l’ancienne France », dans Travailleurs, op. cit., p. 1-56) ce que l’histoire économique de la seconde moitié du XIXe siècle devait, entre autres, aux travaux de Montesquieu, Voltaire, Augustin Thierry et Jules Michelet, cet auteur reconnaît, avec Charles Seignobos (Méthode historique appliquée aux sciences sociales, Paris, 1901) qu’il n’y eut pas, avant Émile Levasseur, de spécialistes d’histoire économique (p. 4). L’impact de ce travail peut se mesurer aux multiples citations et rééditions dont il fit l’objet. On en trouvera la trace notamment dans le compte-rendu de sa réédition (1900-1901) qu’en donna François Simiand dans l’Année sociologique, 1902, t. VI (réédité dans F. Simiand, Méthode historique et sciences sociales, M. Cedronio (éd.), Paris, 1987, p. 109-112), ou dans l’éloge que dresse Georges d’Avenel (Paysans, op. cit., p. 84) de ce « livre magistral ».
256 Cet avènement est à mettre en relation avec « l’effondrement du paradigme du progrès », survenu dans les années 1870. Voir l’analyse que fait Otto G. Oexle (art. cit.) du changement de discours de Jacob Burckhardt entre 1860 et 1884.
257 É. Martin Saint-Léon, Histoire des corporations, op. cit., réédité en 1909, 1922 et 1941. Étienne Martin Saint-Léon reprit ses propositions d’une organisation du travail par la corporation obligatoire dans Le compagnonnage, publié à Paris, en 1901.
258 S’agit-il d’Émile Coornaert, chargé d’augmenter cette édition d’une bibliographie ?
259 H. Hauser, Ouvriers, op. cit. Citons, par exemple, p. XXVII : « En premier lieu, le régime industriel du XVe et du XVIe siècle a été infiniment plus divers et plus instable que ne le prétendent amis et ennemis des anciennes communautés. Les socialistes chrétiens qui rêvent de rétablir l’organisation des jurandes, les économistes orthodoxes qui n’en prononcent le nom qu’avec horreur, tous sont d’accord pour voir dans ce régime un bloc qu’il faut admirer ou rejeter en entier. Mais ce bloc n’a jamais existé. » Revenant, dans la préface de la réédition de 1906 sur les circonstances de la rédaction de la première édition, il note : « Il était nécessaire, en 1898 [sic], de frapper fort, d’insister avant tout sur l’extrême diversité des modes d’organisation du travail, sur la prépondérance du travail libre, l’étroitesse de la sphère réservée au travail en jurande. Aujourd’hui, il faudrait se défier de certaines affirmations un peu brutales et un peu sommaires, analyser d’un peu près la notion de liberté du travail. »
260 É. Levasseur, Histoire des classes ouvrières en France avant 1789, op. cit., p. XI : « Sans doute le passé ne renferme pas nécessairement tout le secret de l’avenir […]. Cependant il est certain que son passé, ayant sa raison dans le sol, dans les mœurs, dans l’histoire de la nation, l’engage en partie, et que la connaissance de cette histoire peut lui faire mieux distinguer les obstacles […] » ; p. XIII : « Les uns – ce sont en général des érudits aimant le passé qu’ils fouillent curieusement, ou des moralistes dégoûtés du présent qui n’est jamais sans tâche ou sans épines –, présentent le corps de métier comme une condition de stabilité sociale et comme la garantie efficace de la qualité du produit et du bien être du producteur et affirment qu’ils seraient le remède à l’émiettement de l’individualisme actuel […] » ; p. XV : « Économiste, je professe que l’économie est une science qui professe de l’observation […] mais je déclare aussi que son devoir [celui de l’économiste] est de tirer de l’étude des faits une doctrine, sous peine de n’être qu’un collectionneur. La mienne est une doctrine libérale […] ».
261 C’est ainsi que Guillaume Des Marez définit son projet en introduction à son L’organisation du travail à Bruxelles au XVe siècle (Bruxelles, 1904, p. VII).
262 Émile Durkheim, dans la préface à la seconde édition de son ouvrage (De la division du travail social, Paris, 1902) propose « quelques remarques sur les groupements professionnels » au sein desquelles nous pouvons lire: « L’activité d’une profession ne peut être réglementée efficacement que par un groupe assez proche de cette profession même pour en bien connaître le fonctionnement, pour en sentir tous les besoins et pouvoir suivre toutes les variations. Le seul qui réponde à ces conditions est celui que formeraient tous les agents d’une même industrie réunis et organisés en un même corps. C’est ce qu’on appelle la corporation ou le groupe professionnel » (p. VI).
263 Revue Le Corporatisme, n° 5, octobre 1937, cité par Maurice Bouvier-Ajam, Histoire du travail en France des origines à la Révolution, op. cit., p. 349. Les italiques sont de nous.
264 Sur la carrière de François Olivier-Martin, voir G. Lepointe, « François Olivier-Martin (1879- 1952) », Revue historique de droit français et étranger, t. XXX, 1953, p. 1-29.
265 F. Olivier-Martin, op. cit., p. VII.
266 É. Coornaert, Les corporations, op. cit., p. 14. L’auteur parle du « type d’ouvrage que m’a proposé l’aimable invitation de mon éditeur » et de son souhait de s’adresser « à un public plus étendu que celui des érudits ».
267 Ibidem, p. 9. Citons également, p. 10 : « Que le lecteur ne cherche pas sous cette couverture l’écho des polémiques sur le régime corporatif à bâtir : il n’y est question ni de restes de l’économie libérale à sauver, ni de jalons à poser pour un socialisme à venir, ni de quelque autre programme encore, mais simplement des corporations en France avant 1789. Je ne crois pas que l’on puisse me tenir rigueur d’une tel parti. »
268 Ibidem, p. 289.
269 Ibidem, p. 290. Édouard Dolléans, en 1944 (op. cit.), ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : « L’histoire seule peut éclairer la réalité présente. »
270 Cette recherche d’un modèle apparaît, nous l’avons vu (sur ce point O.E. Oexle, op. cit.), comme un mouvement large. On la retrouve notamment sous la plume de John Hooper Harvey qui, s’apprêtant à retracer la vie d’Henry Yevele. c. 1320 to 1400. The Life of an English Architect, Londres 1944, p. VI, écrit : « I am advocating the study of the fourteenth century as a means of solving the problems of the twentieth. » Elle était déjà exprimée au siècle précédent, par exemple, chez Eugène Viollet-le-Duc qui, dans l’article « Ouvrier » de son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVe siècle (Paris, 1854-1868, 10 vol.), après avoir décrit le mode d’organisation du chantier médiéval constate : « Nous avons changé tout cela […]. Nous sommes certainement des gens civilisés, mais nous le serions davantage si, au lieu de manifester un dédain profond pour des institutions que nous connaissons si mal et qui donneraient quelque peine à étudier, nous tentions d’en profiter. » Et nous la retrouvons, par exemple, en Allemagne avec l’ouvrage de Paul Ludwig Landsberg, Die Welt des Mittelalters und wir, Bonn, 1925. Cette conception de l’histoire peut avoir quelque chose de suranné, elle n’est toutefois pas complètement abandonnée si l’on en juge par la volonté de « chercher des références » dans le Moyen Âge exprimée par Régine Pernoud, Raymond Delatouche et Jean Gimpel dans Le Moyen Âge pour quoi faire ? (Paris, 1986).
271 É. Coornaert, Les corporations, op. cit., p. 292-293. Ces propos sont à rapprocher de ceux tenus par le même Émile Coornaert évoquant, dans « Les ghildes médiévales (ve-xive siècles). Définition - Évolution » (Revue historique, t. CXCIX, 1948, p. 22-55 et 208-243), les historiens qui « se devaient d’obéir à une exigence scientifique élémentaire : découvrant des faits très différents, ils essayèrent de retrouver leur origine commune, leur racine unique » (p. 22).
272 Nous pouvons les mettre également en relation avec la « théorie des corps professionnels », esquissée par François Olivier-Martin et saluée par Émile Coornaert comme d’un « grand intérêt », ou avec la « théorie des corps de métiers » proposée par Maurice Bouvier-Ajam (Histoire du travail en France des Origines à la Révolution, op. cit., t. I, Des origines à la Révolution ; Livre III, Le travail en France au temps des Capétiens ; Chap. II, Le fait corporatif ; 4e partie, D’une théorie des corps de métiers, p. 238-245). Curieusement, Émile Coornaert et Maurice Bouvier-Ajam semblent s’ignorer mutuellement sur ce point.
273 Pour Gabriel Martin (Histoire économique et financière de la France, dans G. Hanotaux (dir.), Histoire de la nation française, Paris, 1927, 15 vol, t. X, p. 110) le XIIIe siècle est, ainsi, la période de « plein épanouissement » des corporations.
274 P. Boissonnade, « Le travail dans l’Europe chrétienne au Moyen Âge (ve-xve siècle) », dans G. Renard (dir.), Histoire universelle du travail, Paris, 1921, p. 418. Ibidem, p. II, il dépeint le Moyen Âge comme « l’une des périodes les plus brillantes et les plus fécondes du passé historique, pendant laquelle le travail a franchi l’une des étapes les plus décisives vers le bien-être, la justice et la liberté ».
275 Op. cit., p. 12.
276 Op. cit., éd. de 1998, p. VIII.
277 M.-H. Lenormand, Manuel pratique du corporatisme, Paris, 1938, p. 15.
278 Dans le paragraphe qu’il consacre à « l’expérience corporatiste italienne » (p. 318-324), Édouard Dolléans cite (p. 321) ces propos de G. Bottai (« Orientation et évolution du système corporatif », Revue économique internationale, février 1933).
279 Voir infra, les considérations de Charles Petit-Dutaillis ou Gabriel Martin.
280 Voir op. cit., p. 10 : « Laissons donc les bonnes, les trop bonnes et vieilles images des ateliers pittoresques, familiers, où ouvriers et patrons travaillent d’un cœur fraternel, où les classes se réconcilient et collaborent, dans un monde où la production est paternellement organisée. »
281 Voir P. Viollet, « Les corporations au Moyen Âge », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1900, p. 624-656 [p. 633] ; A. Luchaire, « Louis VII - Philippe Auguste - Louis VIII (1137-1226) », dans E. Lavisse, Histoire de France, t. III, Paris, 1901, p. 130 ; F. Barret, op. cit., p. 30 ; É. Dolléans, op. cit., p. 34.
282 Voir op. cit., p. 104 et suivantes.
283 Voir notamment P. Boissonnade, op. cit., p. 261-262 ; ou Ch. Petit-Dutaillis, « Charles VII, Louis XI et les premières années de Charles VIII (1422-1492) », dans E. Lavisse, Histoire de France, t. IV, Paris, 1902, p. 132, qui consacre un paragraphe à la « réglementation des métiers libres ».
284 Henri Hauser (Ouvriers…, op. cit., p. XXVII) se plaignait en 1899 des généralisations hâtives et du fait qu’on « étudie trop exclusivement l’histoire des corporations parisiennes ». Il citait pour illustrer son propos le travail d’Étienne Martin Saint-Léon. Émile Coornaert lui répondit indirectement, en 1936 (« Notes sur… », art. cit., p. 344) : « L’organisation corporative, même dans les grandes villes industrielles, présente des caractères fonciers plus semblables qu’il ne paraît au premier abord à ceux des métiers parisiens. Ceux-ci, du reste, dès les XIVe et XVe siècles, ont constitué un type auquel peu à peu se sont conformées un grand nombre de communautés dans l’ensemble du royaume. S’il ne faut pas l’exagérer, il ne faut donc pas davantage trop diminuer leur valeur d’exemple. »
285 Par exemple H. Hauser, Travailleurs, op. cit., p. 133 ; G. Martin, op. cit., p. 105.
286 É. Martin Saint-Léon, Histoire des corporations…, op. cit., p. 233 ; É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 101.
287 H. Sée et R. Schnerb (collab.), Histoire économique de la France, Paris, 1937-1938, p. 41.
288 É. Martin Saint-Léon, Histoire des corporations…, op. cit., p. 75.
289 P. Boissonnade, op. cit., p. 262.
290 Voir, par exemple, É. Levasseur, Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France avant 1789, op. cit., p. 309, ou Ch. Petit-Dutaillis, op. cit., p. 134 ; É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 189.
291 Étienne Martin Saint-Léon (Histoire des corporations…, op. cit., p. 76), note cependant que la condition de valet peut être définitive, pour une minorité.
292 P. Boissonnade, op. cit., p. 276 : « Il n’y avait en général, parmi eux ni capitalistes, ni prolétaires. L’harmonie régnait alors dans le monde du travail, qui n’avait pour ennemis que les pouvoirs féodaux et le patriciat. » C’est un point de vue que l’on retrouve, par exemple, chez Guillaume Des Marez, op. cit., p. 64-65 ou Melchiore Roberti, « Il contratto di lavoro negli statuti medioevali », Rivista internazionale di scienze soziali, XL, 1932, p. 29-51 et 156-168 [p. 33].
293 P. Viollet, art. cit., p. 643. Cette notion est assez largement répandue. Voir, par exemple, É. Levasseur, Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France avant 1789, op. cit., p. 313.
294 Émile Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 203 note déjà ce que signalent Jacques Le Goff et d’autres par l’adoption de la hiérarchie maître - apprenti - valet (voir supra).
295 P. Viollet, art. cit., p. 638.
296 H. Sée et R. Schnerb, op. cit., p. 43.
297 É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 203, « Il n’est pas possible d’assimiler les ouvriers des anciennes corporations à ceux d’aujourd’hui : ils étaient beaucoup moins nombreux ; ils constituaient, dans la main-d’œuvre d’autrefois, une élite, toujours capable, du moins en principe, d’accéder à la maîtrise » ; p. 205, « ils se distinguaient des autres ouvriers qui n’étaient dans le métier que des auxiliaires aux droits incertains […] destinés à rester dans une situation inférieure ». Nous ne pouvons que rapprocher ces propos de ceux de Maurice-H. Lenormand (Manuel pratique du corporatisme, Paris, 1938, p. 193) : « Le compagnon est membre actif et de plein droit de la profession. Il est l’ouvrier qualifié. […] Ayant fait preuve de sa science technique, le compagnon jouit de certains avantages vis-à-vis des autres professionnels. […] Les travaux communs sont laissés aux ouvriers non qualifiés et aux manœuvres […] ».
298 F. Barret, op. cit., p. 40.
299 Ch. Petit-Dutaillis, op. cit., p. 137. Voir, par exemple, E. Martin Saint-Léon, Histoire des corporations…, op. cit., p. 231, 234 ; H. Sée et R. Schnerb, op. cit., p. 68 ; P. Viollet, art. cit., p. 652-653 ; P. Boissonnade, op. cit., p. 372, 379. Gino Arias – juriste italien membre de la Commission des Dix-Huit chargée, en janvier 1926, de soumettre à Mussolini des suggestions sur les organisations syndicales et l’établissement des corporations – mérite une attention particulière. . La conférence qu’il prononça à Paris en 1936 – à laquelle assista Émile Coornaert – (« Le Système corporatif en Italie au Moyen Âge et son influence sur l’économie de l’époque », Revue des études italiennes, I, 1936, p. 359-375) insiste lourdement sur cette évolution, qui résonne comme une justification des « points fondamentaux du régime corporatif fasciste » sur lesquels il clôt son intervention. Or que dit-il ? Tout simplement que : « Dans certaines villes, surtout à Florence, le système corporatif des arts majeurs correspond à la première phase du capitalisme. Au sein de la corporation ce sont les marchands et les industriels qui ont la prééminence, rigoureusement garantie par les statuts. La corporation de la laine de Florence est vraiment typique à cet égard. Cette corporation est sous la domination d’une minorité ploutocratique qui en dirige la législation en vue de ses propres intérêts économiques. Et l’État qui est gouverné par cette ploutocratie lui laisse les mains libres pour arriver à ses fins et souvent l’aide de tout son pouvoir. Dans la Corporation, il y a une distinction nette entre les membra majora et les membra minora. Les membra majora comprennent exclusivement les grands industriels ; ils jouissent de nombreux privilèges. Les autres font partie de la Corporation comme membres mineurs, par exemple les teinturiers […] Désormais, il n’y a plus personne qui mette en doute l’existence d’un prolétariat, exclu de la corporation, mais soumis à elle par des règlements inflexibles, je dirai même inhumains […] De l’ancienne égalité entre patrons et ouvriers, et de la dépendance filiale de l’apprenti envers le maître, nous sommes arrivés (surtout à Florence au XIVe siècle) à un véritable régime d’oppression du travail manuel qui provoquera des agitations et des tumultes […] » (p. 366-368).
300 H. Hauser, Ouvriers, op. cit., p. XLII.
301 Nous le trouvons quand même évoqué clairement par Charles Petit-Dutaillis, op. cit., p. 134, qui consacre un paragraphe à « un atelier de métier juré », mettant précisément en scène l’« artisan qui travaillait dans son atelier avec quelques apprentis et un ou deux valets ».
302 É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 189 : « Au fond, la corporation se considère comme un groupe permanent composé de familles. »
303 G. Martin, op. cit., p. 122 : « Grâce à ce système paternaliste, les salariés connaissent un bien être relatif et la sécurité du lendemain. » On peut rapprocher ces propos de ceux d’Eugène Viollet-le-Duc, op. cit., article « Boutique » : « On ne connaissait pas, pendant le Moyen Âge, ce que nous appelons aujourd’hui le marchandage, l’ouvrier en chambre, tristes innovations qui ont contribué à démoraliser l’artisan, à avilir la main-d’œuvre, et à rompre ces liens intimes, et presque de famille, qui existaient entre l’ouvrier et le patron. Les mœurs impriment leurs qualités et leurs défauts sur l’architecture domestique plus encore que sur les monuments religieux ou les édifices publics. Les boutiques du Moyen Âge reflètent l’organisation étroite, mais sage, prudente et paternelle, qui régissait les corps de métiers. »
304 Ibidem, p. 125 : « L’organisation sociale établie par les corporations tendait à se dissocier, et l’antagonisme entre patron et ouvrier remplaçait le régime familial que le statut du corps de métier avait prétendu instituer. » Ce caractère « familial » est parfois exprimé en des termes dont, a posteriori, nous pouvons apprécier toute la portée réactionnaire. Émile Coornaert (Les corporations…, op. cit., p. 189-190) parle ainsi, pour les groupements professionnels, d’« États-familles », rejoignant Étienne Martin Saint-Léon qui finit son ouvrage sur Le compagnonnage (Paris, 1901, p. 374) par « quelle création pourrait être plus utile et plus féconde que celle de cette corporation professionnelle en laquelle se résumeront les affections et les espérances les plus chères du travailleur, puisqu’elle sera à la fois sa grande famille et sa petite patrie ? » Travail, famille, patrie… tout y est.
305 É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 111. Nous retrouvons là une des applications de l’opposition entre communauté (gemeinschaft) et société (gesellschaft) défendue par Ferdinand Tönnies (Gemeinschaft und Gesellschaft. Abhandlung des Communismus und des Socialismus als empirischer Culturformen, Leipzig, 1887) dont Otto Gerhard Oexle (art. cit. p. 760-761) a souligné l’importance chez les historiens médiévistes.
306 O. G. Oexle, art. cit., p. 752. Ce schéma nous ramène peu ou prou aux « blocs » dont parlait Henri Hauser (voir supra).
307 Il est difficile, ici, de ne pas penser à l’« ambiance de médiocrité dorée » qu’évoque, pour Roberto S. Lopez (Naissance, op. cit., p. 291), le fait que « les règlements corporatifs sont observés dans toute leur sagesse, dans toute leur étroitesse aussi. Les maîtres suivent les traces de leurs pères, les apprentis s’efforcent de devenir maîtres, sans autre ambition que de préserver les bonnes méthodes traditionnelles ». Vue sous un autre angle, l’entrave au « progrès industriel » peut être rapprochée du fait que « les corporations médiévales ont cherché à empêcher par la force la transformation du maître en capitaliste », K. Marx, Le Capital, L. I, Paris, [1867] 1993, p. 345.
308 Ch. Petit-Dutaillis, op. cit., p. 140. Les italiques sont de nous. On en trouverait de semblables dans divers ouvrages, notamment, G. Martin, op. cit., p. 126 : « Ainsi, l’affirmation que le Moyen Âge a connu l’âge d’or du travail ne peut être acceptée sans réserve. Le régime corporatif exempt de rivalités d’intérêts n’a existé, sous cette forme idyllique, qu’à l’état exceptionnel et sous l’influence plus religieuse que laïque d’un système constructif soumettant la satisfaction des besoins matériels à des règles sévères de haute moralité. »
309 É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 31.
310 La paternité de ce « mot » est attribuée (en 1883) par René de La Tour-du-Pin, op. cit., p. 17, à Albert de Mun qui en aurait usé pour la première fois dans la revue l’Association catholique en 1875. René de La Tour-du-Pin insiste sur le sens précis donné à cette appellation recouvrant « un régime légal d’organisation du travail, reposant sur le fonctionnement autonome, mais réglé dans l’État, de corporations définies strictement par certains caractères fixes ».
311 Voir supra.
312 É. Coornaert, Les corporations…, op. cit., p. 63.
313 Ibidem, p. 34.
314 É. Durkheim, op. cit., p. XXV. Cadre, c’est le terme qu’emploie également Émile Coornaert (Les corporations…, op. cit., p. 84), considérant que « la corporation est le cadre normal du travail organisé ». Nous le retrouvons aussi chez Robert Fossier (Le Moyen Âge, t. III, op. cit., p. 103) qui présente les métiers comme « le cadre normal de l’embauche et de la sécurité ».
315 S.L. Kaplan, op. cit., p. XII.
316 Ibidem, p. XIII : « Les “communautés d’arts et métiers” constituaient les maillons de ce que j’appelle la “grande chaîne de la condition corporative” car une large partie de la population appartenait à un corps de ce type, depuis les assemblées villageoises ou les communautés urbaines jusqu’aux parlements, les universités, les académies, le clergé et la noblesse représentant eux-mêmes chacun une corporation. » Voir également chap. IX.
317 Ibidem, p. 600.
318 Ibidem, p. XIII.
319 Ibidem, p. XII.
320 Ce procédé nous amène trop souvent, comme le constate Alain Guerreau (« L’Étude de l’économie médiévale. Genèse et problèmes actuels », dans J. Le Goff et G. Lobrichon (dir.), Le Moyen Âge aujourd’hui. Trois regards contemporains sur le Moyen Âge : histoire, théologie, cinéma. Actes de la Rencontre de Cerisy-le-Salle (juillet 1991), Paris, 1997, Cahiers du Léopard d’or, 7, p. 31-82), « à réinterpréter au travers des cadres de l’histoire du droit » (p. 36).
321 Voir supra ce que nous avons déjà noté pour les travaux d’Étienne Martin Saint-Léon, François Olivier-Martin, Émile Coornaert ou Maurice Bouvier-Ajam.
322 R. Fossier, Le travail, op. cit., p. 103.
323 L.-H. Parias (dir.), op. cit., p. 136.
324 M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, éd. 1964, p. 17. Les italiques sont de Max Weber.
325 M. Bouvier-Ajam, Histoire du travail en France des origines à la Révolution, op. cit., t. I, p. 236.
326 R. Delort, op. cit., p. 265. Cette question de la liberté mériterait, à elle seule, une étude.
327 Henri Hauser, Ouvriers, op. cit., écrit dans sa préface de la deuxième édition, p. IX : « Il était nécessaire, en 1898, de frapper fort, d’insister avant tout sur l’extrême diversité des modes d’organisation du travail, sur la prépondérance du travail libre, l’étroitesse de la sphère réservée au travail en jurande. Aujourd’hui il faudrait se défier de certaines affirmations un peu brutales et un peu sommaires, analyser d’un peu près la notion de liberté du travail. »
328 Nous rejoignons, en cela, l’avis exprimé par Georges Espinas dans ses études sur la draperie de Valenciennes, « Groupe économique, groupe religieux, les tisserands de Valenciennes au XIVe siècle », Annales HES, 1930, p. 48-63 ; « L’organisation corporative des métiers de la draperie à Valenciennes dans la seconde moitié du XIVe siècle (1362-1403) », Annales de la Société scientifique de Bruxelles, 1932, 25 p.
329 Par basse Provence occidentale, nous entendons les actuels départements du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône.
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