La réduction directe et l’acier : le cas à la Catalane (xviie-xixe siècle)
p. 361-386
Résumés
L’un des atouts du procédé de réduction directe du minerai de fer « à la catalane » est sa production d’acier naturel. S’agit-il vraiment de l’acier tel qu’il est défini aujourd’hui ? La démonstration repose sur l’étude du vocabulaire des forgeurs, sur celle des publications scientifiques et des traités métallurgiques. Les informations ainsi réunies sont confrontées aux observations des paléosidérurgistes. D’autre part, les utilisations de ce type de métal font apparaître des usages exclusivement réservés à l’acier. Les marchés, enfin, confirment la production de cette qualité. L’Andorre, pour conforter sa domination sur le marché catalan, reste fidèle à la production de l’acier et choisit une politique commerciale originale. Les Pyrénées ariégeoises abandonnent ce produit et se tournent vers un débouché nouveau, l’industrie de la cémentation. Ainsi, démontrer la présence de l’acier dans la sidérurgie à la catalane met en lumière une des principales logiques de son maintien jusqu’à la fin du xixe siècle.
Steel production was one of the assets of “Catalan forge” direct process. But was it really steel such as it is defined today? The demonstration rests on the study of forgemen’s vocabulary, on technical publications and on metallurgical treatises. Moreover, results are contrasted with paleosiderurgist observations. On the other hand, the uses of this metal reveal specific using of steel. Finally, the study of the markets points out the production of this quality of metal. To consolidate its dominion in the Catalan market, Andorra carried on steel production and developed an original commercial policy. In Ariège, forge-men left this product and looked for a new outlet, the cementation industry. So, by showing the existence of steel in the “Catalan forge” industry, we highlight the logical sequence which explains the survival of this industry since the end of the 19th century.
Entrées d’index
Mots-clés : acier, forge « à la catalane », réduction directe, Andorre, Ariège, Pyrénées, cémentation.
Keywords : steel, « Catalan forge », direct process, Andorre, Ariège, Pyrénées, cementation.
Texte intégral
1L’Encyclopédie définit l’acier comme un état intermédiaire entre le « fer de fonte » et le « fer forgé ». Il est obtenu à partir du « fer de fonte », « c’est donc à épurer le fer de ces matières étrangères [parties sulfureuses et terrestres] que consistent les deux arts de faire l’acier naturel et l’acier artificiel ». Après avoir décrit les différentes régions européennes de production de l’acier et les procédés qu’elles utilisent, l’Encyclopédie ajoute que, dans le Roussillon et le pays de Foix, « [la] masse tirée du feu se divise en cinq ou six parties qu’on remet au feu, et qu’on allonge ensuite en barres. Un côté de ces barres est quelquefois fer, et l’autre acier1 ».
2La forge à la catalane a la réputation de produire du fer et de l’acier. Mieux, au xixe siècle, certains maîtres de forges se targuent d’avoir mis au point un procédé qui leur permet d’obtenir uniquement et à volonté autant d’acier qu’ils le désirent2. Le procédé à la catalane est une méthode directe de réduction du minerai de fer qui apparaît dans l’est des Pyrénées au xviie siècle. Il est caractérisé par la présence d’un foyer quadrangulaire dont certaines parois sont constituées de pièces métalliques, par l’utilisation d’une trompe hydro-éolienne comme appareil de soufflerie et d’un marteau hydraulique pour cingler et étirer la loupe (massé) qui est obtenue après une réduction d’environ six heures. Du xviie au xixe siècle, le procédé s’améliore. En moyenne, 460 kg de minerai et 405 kg de charbon de bois donnent 150 à 170 kg de fer, quatre réductions sont réalisées par 24 heures, soit une production journalière d’environ 650 kg. Toutes les forges à la catalane occupent huit forgeurs qui sont pour la plupart originaires du pays de Foix. Il existe une véritable filière technique reproduite de façon identique dans une vaste aire sidérurgique, sur les deux versants des Pyrénées, animée par des spécialistes, constructeurs de forge, administrateurs, forgeurs, charbonniers, tous originaires des Pyrénées ariégeoises (fig. 1). Cette aire sidérurgique est aussi définie par le vocabulaire technique qui est celui des forgeurs du pays de Foix3.
3Or, lorsque nous considérons ce vocabulaire tel qu’il est restitué par les archives, nous ne pouvons que constater l’absence du mot « acier ». Cela signifie-t-il l’absence de cette qualité de métal ? Malheureusement, nous ne disposons ni de données archéologiques, ni d’analyses métallographiques. Dans ce cas, sommes-nous fondés à affirmer que la forge à la catalane produit de l’acier ?
Les sources écrites, le procédé à la Catalane et l’acier
4Le vocabulaire des forgeurs à la Catalane ariégeois est l’un des mieux connus de la sidérurgie ancienne grâce aux glossaires que nous ont laissés des observateurs rigoureux. Nous les compléterons avec différents types d’archives, des registres notariaux aux documents administratifs, des actes judiciaires aux comptabilités de forges et aux livres commerciaux.
Le vocabulaire technique des forgeurs : fer doux ou mol, fer fort et fer cédat
5Au xviiie siècle, sur le versant nord, lorsque nous rencontrons le terme « acier » dans les archives, c’est toujours dans des documents administratifs émanant du pouvoir central et de ses représentants locaux. Par exemple, l’enquête générale sur les forges françaises de 1772 utilise le mot « acier » opposé au « fer doux » dans les observations sur la généralité de Perpignan à laquelle le pays de Foix est rattaché ; l’étude de chaque usine de cette circonscription administrative comporte une rubrique « acier4 ». Il en est de même pour l’état des forges du pays de Foix dressé le 1er avril 1771 et pour celui de la forge de Bonnac5. Une des rares exceptions se trouve dans les comptes de la forge de Villeneuve d’Olmes : « fer assier6 ». En Andorre, trois références seulement d’un fer dit « acer » apparaissent dans les registres de la forge du Serrat7.
6Si l’on fait abstraction des dénominations nées de la présentation du métal, trois appellations principales sont utilisées pour différencier les qualités de métal : fer mol ou fer doux, fer fort et fer cédat. Dans les Pyrénées ariégeoises, l’état de la forge de Bonnac assimile fer fort et acier, « elle fait assez de fer fort qu’on peut regarder comme de l’acier ». Une confirmation est donnée par l’état de la forge de Mijanès, « elle fait du fer de la meilleure qualité et quelques fers forts qu’on peut comparer à de l’acier8 ». Les mentions de fer fort et fer cédat sont nombreuses dans les registres des forges de Villeneuve d’Olmes, de Campredon, de Queille, dans le grand Livre de la forge de Tourné à Castelnau-Durban, par exemple9.
7Au premier abord, pour le versant sud, des différences peuvent être relevées. Le type de sources n’est pas le même : il s’agit quasi exclusivement de comptabilités (livres de production, livres de livraison et livres commerciaux)10. La terminologie fer fort se rencontre dans deux cas spécifiques : sur les listes des stocks établies par les administrateurs des forges à la fin de la campagne de production et dans les commandes de métal effectuées par les forgerons de village. C’est aussi pour ces artisans que l’on trouve les seules mentions de fer moll. Indirectement, le fer fort peut être distingué du reste de la production dans certaines listes de produits. Deux cas principaux sont à différencier : d’une part, on voit apparaître fer fort lorsqu’il y a mise en forme du métal à la forge, sous le martinet. Dans ce cas, on qualifie l’objet fini, pas la qualité du fer utilisé. Néanmoins, certains de ces objets peuvent être classés dans les aciers, citons, entre autres, les axes tournants des pierres (meules) de moulin ou les pointes d’araire. Dans d’autres cas, l’objet n’étant pas fini à la forge, ce n’est pas la forme qui est désignée, mais l’utilisation que l’on veut faire du métal. Il est précisé que les forgerons ou les martinéteurs prennent le fer pour faire des faux ou des faucilles. Cette fois encore, c’est l’emploi du fer qui laisse penser qu’il s’agit d’un acier, la référence au fer fort est implicite. Parfois, à l’inverse, alors que le fer fort n’est pas mentionné dans la comptabilité de la forge, cette qualité est reconnue par l’acheteur. Ainsi, dans la seconde moitié du xviiie siècle, Bonnin Cadet, marchand de Saint-Girons, en France, exige expressément des maîtres des forges du Serrat et d’Ordino, en Andorre, qu’ils ne lui expédient que « du vrai fer fort qui veut dire cédat11 ». C’est l’unique mention de fer cédat de la documentation andorrane. Il est à noter que ce fer est commandé et vendu comme cédat, reconnu comme tel par le grossiste, mais aussi par les clients, puisque ce sont les plaintes de ces derniers, motivées par la perte de qualité du fer, qui conduiront à la rupture de relations commerciales qui avaient duré une dizaine d’années. Cet exemple, auquel on peut ajouter ceux de nombreuses commandes passées par des martinéteurs catalans, prouve de manière irréfutable que l’absence de toute référence au fer fort dans la comptabilité n’est pas une preuve de l’inexistence de cette qualité de métal dans la documentation. La qualité du fer n’est spécifiée que lorsque cela est nécessaire ; dans le cas contraire, il ne s’agit, précisément, que du fer livré à une certaine personne. Sa qualité étant connue au préalable par les deux parties, il n’est pas nécessaire de la préciser.
8Dans les comptabilités andorranes, comme dans les textes ariégeois, le fer fort et le fer cédat sont présents. Les dénominations locales doivent être mises en résonnance avec le vocabulaire en cours de normalisation de la science métallurgique qui se constitue au long du xviiie siècle.
Les traités métallurgiques des xviiie et xixe siècles : l’acier naturel
9Les traités techniques emploient les termes « acier », « acier natif » et « acier naturel ». Il existe une certaine ambiguïté dans les dénominations. L’acier produit par le procédé direct est celui que certains métallurgistes des xviiie et xixe siècles nomment « acier naturel ». Cependant, d’autres savants, Grignon par exemple, appellent « acier naturel » ou « acier de forge » l’acier obtenu par décarburation partielle de la fonte. Dans ce cas, l’acier obtenu par la méthode directe prend le nom d’« acier natif12 ». D’autres auteurs, enfin, emploient indifféremment les deux désignations dans le même ouvrage.
10Pour le xviiie siècle, parmi les traités généraux sur la sidérurgie, en 1722, Réaumur considère que le procédé utilisé dans le Roussillon et le pays de Foix n’est pas à proprement parler une méthode d’obtention du fer, « la seconde manière de faire l’acier, est encore de le faire de fonte, mais d’une fonte qui n’a jamais coulée hors du fourneau. Il n’est point d’acier qui doive moins à l’art […] C’est dans le Roussillon et particulièrement dans le Pais de Foix, où l’on a des mines, à la fonte desquelles on ne donne point d’écoulement […] Une partie de chaque barre se trouve acier, et le reste fer13 ». Dans la rubrique « acier » de son dictionnaire minéralogique, Buc’hoz écrit que « le [acier] natif se tire immédiatement de certaines mines de fer qui se trouvent en France, dans le Roussillon et le comté de Foix. On fond ces mines dans de petits fourneaux, on forge soigneusement le fer qu’elles produisent et c’est ainsi que la plus grande partie de ce fer devient un Acier très bon14 ». Buffon livre une constatation identique : « Ces massets [loupes] contiennent souvent de l’acier qu’on a soin d’en séparer, et le reste est du bon fer ou du fer mêlé d’acier15. »
11La méthode à la catalane est très présente dans la littérature scientifique, de nombreuses publications spécifiques lui ont été consacrées. Durant l’été 1770, le jeune métallurgiste don Ramon María Munibe fait un voyage d’étude dans le Languedoc et le comté de Foix pour chercher des solutions aux difficultés de la sidérurgie basque. Il rapporte que
Es esencial hablar aquí de un hecho no menos singular y más constante, que en todas las ferrerías que consumen de la vena de Sem, consulado o juridizión de Vicdessos, no se saca fundición que no tenga parte de hacero mui bueno. Algunas vezes encuentran baras enteras, otras vezes lo son por mitad, sea a lo ancho o lo largo. Han observado que comunmente eso se encuentra en las cabezas y colas de la fundición16.
12Pour Tronson du Coudray, « il est constant que les massets des forges catalanes fournissent tous nécessairement […] une quantité d’acier toujours considérable physiquement » et plus loin « les forges catalanes ont sur les autres l’avantage incontestable de produire les deux autres espèces de fer, appellé fer fort & acier, produit très considérable », la première « espèce » de fer est le fer doux17. Picot de Lapeyrouse mentionne le « fer fort ou acier natif », « fer fort ou acier ». Dans son Vocabulaire des ouvriers des forges du pays de Foix, il donne la définition suivante : « Cédat : fer cédat. Nom de l’acier naturel18. » Cette même année, Dietrich emploie fer fort et fer cédat et les assimile à l’acier19.
13Au xixe siècle, les ingénieurs des mines, dans la continuité de leurs prédécesseurs, même si les connaissances théoriques se sont affirmées (rôle du carbone) et si la définition des différentes qualités de fer a changé, considèrent toujours le fer fort et le fer cédat comme des aciers. Muthuon, étudiant la réduction directe, emploie le terme acier et le définit comme « la combinaison du carbone avec le fer ». Il considère que l’on a obtenu de l’acier avant le fer, « en chauffant le minerai à plusieurs reprises au milieu de beaucoup de charbon, n’obtenait-on pas de l’acier plutôt que du fer, et l’un ne fut-il pas connu avant l’autre20 ? » Hassenfratz annonce que l’on « verra en lisant la méthode à la Catalane que, de tous les fers, celui que l’on obtient le plus facilement, est celui qui est connu sous le nom d’acier21 ». Les ingénieurs des mines en poste en Ariège décrivent la méthode et la forge qui travaille dans leur circonscription administrative. Marrot indique que les forges à la catalane fournissent trois « sortes de produits que l’on distingue dans le pays sous les noms de fer doux, fer fort et fer cédat ». Il précise que le fer doux forme la majeure partie des loupes. Le fer fort est un mélange de fer et d’acier. Les forgeurs obtiennent quelques barres où l’acier domine et constitue le fer fort. Le fer cédat est « un véritable et excellent acier naturel22 ». En 1838, l’ingénieur civil Tom Richard, dont l’ouvrage sur la forge à la catalane fait autorité, écrit que l’on « connaît plusieurs espèces d’acier. Les principales sont l’acier de cémentation, l’acier fondu et l’acier naturel. » Puis, quelques lignes plus loin, « l’acier naturel est précisément celui que l’on obtient quelquefois dans [nos] forges [les forges à la catalane de l’Ariège]… ». Il reprend la définition que Picot de Lapeyrouse avait donnée du fer cédat23. Pour l’ingénieur des mines Jules François, auteur d’un des meilleurs ouvrages sur la forge à la catalane, les produits du traitement direct sont de deux sortes, « un fer dur et un acier naturel, dit fer fort. Il présente une variété, le fer cédat […]. C’est une qualité supérieure d’acier naturel, mais qui trop souvent passe au fer fort ordinaire24 ». En 1869, enfin, l’ingénieur des mines Mussy écrit que le fer de l’Ariège est souvent accompagné d’acier naturel ou fer fort qui est parfois « d’excellente qualité et porte le nom d’acier cédat ; le plus souvent, l’acier naturel est mélangé de fer25 ».
14Les paléométallurgistes utilisent les articles et traités sur les forges ariégeoises pour approfondir leurs propres travaux. À partir des critères spécifiques de leur discipline, ils insistent sur la validité des observations et analyses rapportées par leurs auteurs26.
15L’équivalence fer fort et fer cédat avec l’acier est ainsi établie. Connaître la destination précise de ces deux qualités de fer à la catalane, c’est-à-dire considérer l’utilisation banale qui en est faite apporte un autre type d’informations.
Fer fort et fer cédat : des usages exclusivement réservés à l’acier
16L’Encyclopédie indique que l’acier est destiné à la fabrication d’outils et d’instruments tranchants de toute espèce. Avant d’indiquer à quelles utilisations le fer fort et le fer cédat des forges à la catalane étaient destinés, il est important de dire comment les forgeurs, les marchands de fer et les acheteurs reconnaissaient les différentes qualités de métal.
Distinguer le fer fort et le fer cédat
17Les différentes variétés de fer à la catalane sont reconnues à l’œil (tri à l’œil) après fragmentation de la loupe, c’est-à-dire d’une façon purement mécanique. Encore aujourd’hui, les forgeurs japonais qui utilisent les méthodes traditionnelles sauvegardées depuis le xvie siècle agissent d’une manière similaire pour identifier l’acier présent dans la loupe qu’ils ont obtenue par réduction directe27. Le forgeur à la catalane distingue facilement, sous le gros marteau hydraulique, l’acier du fer à la tendance qu’il a à s’y briser. La brisure du massé permet aussi d’identifier le fer fort et le fer cédat. Le fer fort casse à blanc, tandis que le fer cédat casse à noir ou à violet28. L’un est d’un tissu serré et granulé, l’autre a un grain encore plus serré. On nomme fer cédat l’acier qui éclate de lui-même pendant son séjour dans l’eau ; il est considéré infiniment supérieur à celui qui ne produit point cet effet et qu’on appelle simplement fer fort29. Les fractures transversales, sortes de gerçures, qui se font sur les bandes de fer étirées, pendant ou après la trempe, portent le nom de cèdes30. Ce sont, dans la cassure, des espèces d’ellipses, blanches au milieu et bleuâtres sur les bords. Elles sont un indice d’un fer plus carburé que le fer fort, celui que l’on qualifie de cédat. En résumé, les différentes qualités d’acier sont reconnues au brillant, au grain et au profil de la cassure : plus le métal est riche en carbone, plus la cassure est nette31. La variabilité du taux de carburation s’explique par l’hétérogénéité des conditions de réduction à l’intérieur du foyer à la catalane. Une autre façon de différencier ces deux qualités d’acier consiste, à la forge maréchale, à repérer les qualités mécaniques de chacune d’elles grâce à des contrôles démonstratifs qui sont en réalité de véritables essais.
Fer fort et fer cédat : des qualités recherchées
18Les forgeurs ariégeois sont capables d’obtenir du fer fort et du fer cédat à la demande32. Ils adoptent alors une conduite particulière de la réduction. Cela ne signifie pas qu’ils obtiennent uniquement ces deux qualités, mais que certaines pratiques favorisent leur présence en quantités plus ou moins importantes dans une loupe qui, dans tous les cas, renferme toujours du fer mol. Le chargement du foyer se fait d’une façon spécifique. Il est indispensable d’apporter un supplément de charbon de bois pour augmenter l’action du feu. Pendant la réduction, le forgeur emploie plus de combustible et fournit moins de greillade (minerai de fer réduit en poudre) que lors d’un feu ordinaire. Il avance le minerai vers la tuyère plus fréquemment et avec moins de force que lors d’une réduction ordinaire et fait s’écouler plus fréquemment les scories. Laisser trop de scories empêche la carburation du fer mais, d’un autre côté, en conserver suffisamment permet de lutter contre l’oxydation du massé : tout le talent du forgeur réside dans l’équilibre à trouver. Geste technique essentiel qui révèle la recherche raisonnée d’une qualité de métal. Dernier point, le forgeur favorise la carburation en augmentant la durée de l’opération, il met plus de temps pour former la loupe. En conclusion, l’idée à retenir est la reproductibilité du procédé. Dans les Pyrénées ariégeoises, avant même de constituer un enjeu scientifique, le fer fort, le fer cédat et le savoir-faire qui les accompagne ont des incidences économiques. En octobre 1777, le forgeur qui travaille à la Forge neuve d’Oust, s’occupe plus de l’intérêt du marchand que de celui du propriétaire de l’usine : pour lui procurer du fer fort, il fait « trop épurer le massé », ce qui a pour conséquence de diminuer la quantité du fer et qui occasionne une dépense supplémentaire de deux ou trois sacs de charbon par feu33.
Que représente la production de fer fort et de fer cédat ?
19Chercher à évaluer l’importance de la production entraîne à se poser une série de questions. Est-il possible d’estimer la production de fer fort et de fer cédat dans un massé34, puis dans la production totale d’une forge et enfin au niveau général des bassins de production ? Quoi qu’il en soit, quantifier la production d’acier naturel n’est pas chose aisée, tant nos connaissances sont parcellaires. Et pourtant, il n’y a presque pas de forge qui n’ait la prétention de produire plus de fer fort et de fer cédat que toutes les autres. Or, Richard n’a pas trouvé de très grandes différences des unes aux autres sous ce rapport. Il faut attendre les dernières décennies des années 1700 pour recueillir quelques précisions. La forge de Bonnac produit 10 quintaux poids de marc par semaine d’acier, contre 62 quintaux poids de marc de fer. Dans l’enquête de 1772, elle est la seule de la Généralité de Perpignan pour laquelle une production d’acier soit indiquée : 50 000 livres (350 000 livres de fer), en dehors de la viguerie de Conflent et Capcir pour laquelle les observations générales indiquent qu’« il est accidentel qu’on y fasse de l’acier », 270 quintaux au total (9 900 quintaux de fer doux). Quant à la forge de Mijanès, le peu qu’elle en fait ne doit pas entrer en considération. Pour les années 1780, l’essentiel de la documentation vient de Picot de Lapeyrouse. Les forges de Vicdessos rendent une quantité bien plus grande de fer fort que les autres. Sur la fin de septembre 1785, la forge de Guilhe donne 27 quintaux de fer fort sur 19 feux. Un massé de 366 livres est tout entier d’acier natif. La semaine précédente, elle en avait rendu 22 quintaux. Du 6 octobre 1783 au 27 septembre 1785, cette forge a fait 1 823 feux qui ont produit 7 022 quintaux 60 livres, et sur ce total, il y a eu plus de 1 000 quintaux de fer fort. En règle générale, de 1760 à 1790, la fabrication de fer fort s’est élevée dans de bonnes usines jusqu’aux 2/5 de la fabrication totale35.
20Pour les forges andorranes, l’estimation de la proportion de fer fort est aussi malaisée que pour les forges ariégeoises. Les références directes ne concernent que certains cas particuliers. Les forgerons de village sont les plus petits clients, et le fer fort ne représente qu’une dizaine de kilogrammes sur une commande totale d’une centaine. Mais cette proportion n’est valable que pour les commandes de ces artisans qui répondent à la demande d’un marché hétérogène pour lequel ils produisent et réparent divers objets (fers à cheval, outils agricoles, outils d’artisans et pièces pour la construction). Pour ce qui est des comptabilités annuelles des stocks de forge, la part du fer fort n’est pas insignifiante. En 1877, à la forge Rossell, 24 % de fer fort sont comptabilisés sur un total de 11,8 tonnes d’invendus. Les 3/4 du fer fort correspondent à du métal en lingots, le reste à des demi-produits ou à certaines pièces spécifiques. Pour le reste de la production, la référence porte sur la finition du fer et elle ne permet pas de connaître la qualité du métal employé36. L’année précédente, il n’y avait que 17 % de fer fort sur 9 tonnes de stock37. En 1873, sur 7,5 tonnes de métal, 7 % correspondent à du fer fort en barres, 17 % à du fer fort manufacturé. Des chiffres équivalents sont fournis dans la plupart des listes dressées d’après les fonds des forges du Serrat, d’Ordino et de La Massana. Ces quantités doivent être relativisées car le fer fort est celui qui se vend le mieux. Il est le premier à partir au cours de la saison. La proportion par rapport à la production est forcément supérieure.
21Il est à noter que la distinction du métal selon la qualité est très difficile à réaliser à partir des comptes de la commercialisation, car les livraisons sont essentiellement différenciées grâce au travail de parage du fer et non par la qualité du métal. Sur 4 185 références de ventes de fer dépouillées pour la période 1700-1876, il n’est apparu que cinq mentions de fer moll et vingt-huit de fer fort, alors que, par exemple, les commandes de Bonnin de Saint-Girons ne portent officiellement que sur du fer cédat et qu’elles totalisent 67 tonnes de métal en six ans (1775-1781), soit 6 % de la production des deux forges qui le fournissaient (celles du Serrat et d’Ordino)38. Si l’on y ajoute les commandes effectuées par les couteliers et les autres martinéteurs qui constituent les principaux clients des forges, il est clair que la proportion de fer fort et de fer cédat par rapport à la production totale est supérieure à ce que laisse entrevoir la documentation au premier abord. La spécialisation chaque fois plus poussée du marché consommateur permet de mettre en évidence une tendance à l’augmentation de ce ratio. Sur ce point, le xixe andorran s’inscrit dans la suite logique du xviiie, ce n’est pas le cas de la sidérurgie ariégeoise.
22Au xixe siècle, les données de l’année 1825 offrent un panorama d’ensemble de la production des 42 forges ariégeoises (fig. 2)39. Les forges de l’ancien comté de Foix et du pays d’Olmes ont une production de fer fort et de fer cédat toujours inférieure à 10 % de leur production de fer mol et, pour l’essentiel, autour de 5 % seulement. En comparaison, dans les forges du Couserans, le fer fort et de fer cédat représentent de 24 % à 50 % de la production de fer mol. Les rares données recueillies dans les années suivantes confirment cette tendance lourde à l’abandon de la production de fer fort, à l’exception du Couserans. En 1827, il ne représente plus que 3,3 % de la production totale des fers à la catalane. Dans les années 1830-1840, sa production ne dépasse pas 1/22 et elle s’abaisse même au-dessous de 1/27. C’est-à-dire que le fer fort est presque un accident40. Pendant les campagnes 1839 et 1840, ont été produits 2 150 quintaux de fer fort, soit 3,5 % de la production totale. Puis les renseignements deviennent de moins en moins nombreux, les statistiques se limitent à la simple mention. Ainsi, pour l’année 1856, au 3e trimestre, la forge d’Orlu et les forges du canton d’Ax ont produit « des plattes de fer fort41 », dernière mention pour l’Ariège de cette fabrication particulière dans les statistiques.
23L’étude du vocabulaire des forgeurs, les descriptions données par les traités techniques, les différents types de métal présents dans les comptabilités des forges et dans les statistiques ont permis de mettre en évidence la présence de l’acier dans le système productif à la catalane. De remarquer aussi que, en Ariège, la production de cette qualité de métal devient de plus en plus faible au xixe siècle. Il reste à voir ce que les artisans fabriquent avec cette matière première dont nous venons de voir qu’elle était recherchée.
Serruriers, couteliers, martinéteurs, taillandiers
24Les propriétés physiques de l’acier le rendent particulièrement bien adapté à la production d’outils tranchants, taillants ou pas, qui sont essentiels pour développer la production artisanale et industrielle, pour améliorer la productivité agricole. L’artisan, l’ouvrier ont besoin d’outils nombreux et de qualité. La productivité agricole est directement en relation avec la surface qu’un paysan est capable, par son travail, de mettre en valeur. Celui qui dispose d’un outillage abondant et efficace peut cultiver une surface plus grande : il peut donc produire plus.
25Or, précisément, le fer fort et le fer cédat des forges à la catalane sont employés dans ces applications, aciérer les outils aratoires qui sont fabriqués dans des martinets de taillanderie. Le fer fort « est très estimé pour la confection des outils aratoires et tranchants42 ». Il s’étire assez facilement et donne d’excellents outils pour l’agriculture43. Jules François précise que « le fer cédat […] est recherché[e] dans le commerce pour l’agriculture44… ». Ce fer cédat peut aussi servir à des ouvrages qui exigent de l’acier « plus fin », à l’exemple des rasoirs45. On en fait aussi des ressorts de voitures. Autres fabrications particulières, l’acier pour marteaux pointeurs qui servent à rhabiller les meules du moulin farinier46.
26Pour le marché catalan47, divers exemples permettent de reconnaître des marchés spécialisés qui pourraient correspondre à un emploi de fer fort. Dans la ville de Solsona, en Catalogne, Pascual Madoz décrit une importante activité de transformation. Les huit coutelleries qui y sont installées fournissent un produit de qualité, pour lequel le rayon de diffusion sort largement du marché strictement catalan puisqu’il est reconnu et exporté dans toute la péninsule48. Cet auteur précise également que l’essentiel du fer qui est employé dans cette ville provient des forges andorranes. De fait, dans les comptes des forges de la principauté, les martinéteurs de Solsona sont présents dès la seconde moitié du xviiie siècle et ils sont omniprésents jusqu’à la fin du xixe siècle. Un autre exemple est fourni par les taillandiers installés à la Seu d’Urgell. À partir des années 1760-1780, une importante activité de transformation du métal se développe dans cette ville. Au xixe siècle, elle deviendra l’une des principales plaques tournantes du fer andorran. Dans la liste des articles qui y sont fabriqués, sont mentionnées les faux, les faucilles et les limes. Il doit donc s’agir de fer fort puisque, pour les lames et pour les limes, le métal doit obligatoirement être de l’acier. Dans ces deux villes, mais aussi dans d’autres lieux de transformation (Cardona, Terrassa, etc.) sont également cités des serruriers. Or, si la boîte de la serrure ne requiert pas une qualité spéciale de métal, son mécanisme nécessite l’usage de l’acier. Cependant, l’utilisation du fer des forges andorranes la plus répandue est la fabrication d’outils agricoles. L’importance de ce débouché pour le métal produit par la filière directe est une constante dans les réponses au questionnaire des douanes de 1867. Ainsi, pour la forge de Massanet de Cabrenys, « … casi todo el hierro de estas ferrerías se destina para útiles de agricultura… », pour celle de Grau « … casi todo el hierro producido se destina a la agricultura… » et « … esta clase de ferrerías […] surten a la agricultura de toda clase de útiles con hierro de superior calidad49… ». Joan Bassols, le propriétaire de la forge de Darnius, est encore plus explicite : « … como en las demás de esta provincia se destina casi exclusivamente a la agricultura, proporcionándola con prontitud toda classe de útiles de mucha duración por la especialidad del hierro de naturaleza acerosa50… ». Cette caractéristique n’est pas spécifique des seules forges qui travaillent à la catalane, puisque le même type de réponses est fourni par les maîtres de forges de l’Aragon (certaines forges aragonaises sont à la catalane), de la région de Burgos, mais aussi par les propriétaires des vingt-quatre forges navarraises qui affirment que, mis à part les cercles et les axes des roues de charrette, la majeure part de leur fer est destinée aux aperos (outils) et aux « outils aratoires ».
27La conclusion est évidente : toutes les utilisations du fer fort et du fer cédat que nous avons rencontrées sont des applications exclusivement réservées à l’acier stricto sensu.
La demande des marchés confirme la présence de l’acier
28Une remarque du marchand de fer de Saint-Girons sur la qualité des fers que lui envoient les maîtres de forges andorrans montre bien le rôle décisif du marché dans le choix de privilégier l’obtention du fer fort ; elle confirme, en même temps, que le procédé à la catalane produit un acier véritable. En septembre 1771, Bonnin écrit : « Les fers de votre forge [celle du Serrat] et de celle de monsieur Areny ont totalement perdu la réputation depuis l’an passé, personne n’ose s’y fier […] si vous et monsieur Areny ne m’aidez pas à sortir de l’embarras en m’envoyant du vrai fer cédat, mon fonds sera longtemps en magasin51. » Dans un procédé où la « main de l’ouvrier » décide de la réussite (en quantité et en qualité) de la réduction du minerai, il existe des marges de manœuvre importantes pour adapter la production aux désirs de la demande.
Les demandes des marchés et les espaces de commercialisation
29Pour les fers andorrans, le débouché principal est resté le marché catalan tout au long des xviiie et xixe siècles (fig. 3, en fin d’article). La concurrence de certaines régions productrices (Pallars, Gironés, etc.) ou le développement de certains pôles de transformation du fer (Seu d’Urgell, Barcelonès, etc.) modifièrent certes l’espace de diffusion du métal ; mais, globalement, les caractéristiques du marché sont les mêmes : ce fer se vend au niveau régional, seuls les produits manufacturés fabriqués par les martinéteurs descendent au-delà de l’Ebre. Ce second marché échappe complètement aux maîtres de forges andorrans. Progressivement, à partir du dernier quart du xviiie siècle, des marchands spécialisés prennent un poids prééminent. Au xixe siècle, ils monopolisent l’essentiel de la production. On est passé d’une demande fragmentée, ordonnée autour d’une multitude de petits acheteurs, à un marché organisé et spécialisé qui est entre les mains d’une minorité de grossistes. Dans le cadre de ce changement, les forgeurs ariégeois engagés dans la principauté ont réussi à adapter leur production à des commandes massives qui portent sur une qualité régulière de métal. Si, dans l’ensemble, la tendance est indéniable, il est néanmoins vrai que les protestations, émanant des acquéreurs, qui se plaignent ponctuellement de ne pas recevoir la qualité commandée, prouvent que le système n’est pas infaillible. Cependant, la longévité des contrats qui couvrent plusieurs dizaines d’années prouve que ces défaillances ne sont que temporaires. La perte de contrôle sur le débouché final n’est pas une caractéristique andorrane, on la retrouve également sur le versant nord.
30L’espace de chalandise du fer fort et du fer cédat est le même que celui du fer ariégeois en général, Toulouse et les régions environnantes. Les caractéristiques du marché des fers ariégeois sont simples, la commercialisation du métal échappe complètement aux maîtres de forges, elle est entièrement entre les mains des marchands de Toulouse qui pèsent sur les prix (trait structurel fondamental). La capitale languedocienne redistribue les fers pyrénéens sur un vaste marché inter-régional couvrant une grande région sud de la France et ouvert à la concurrence des fers d’autres régions françaises et de l’étranger. Ces marchés sont attachés à la distinction des qualités de fer, reconnues par les acheteurs, avec une prédilection pour l’acier, ce qui explique la bonne réputation des fers ariégeois, particulièrement du fer fort et du fer cédat. On comprend facilement que les marchands fassent pression sur les maîtres de forges pour qu’ils privilégient l’obtention de ces deux catégories, recherchées sur les marchés, dont les débouchés sont assurés. Ainsi, la demande a une influence avérée sur les caractéristiques du métal produit et, à l’évidence, sur les prix.
Des prix hiérarchisés selon la qualité du fer
31La préférence marquée pour les qualités d’acier se traduit aussi par une hiérarchisation des prix (fig. 4). Le principe général est très simple : le fer cédat a une valeur beaucoup plus grande que le fer fort qui se vend lui-même plus cher que le fer doux. Pour les Pyrénées ariégeoises, nous ne disposons que de quelques exemples pour le xviiie siècle, de juin 1705 à 1771, de 7 livres le quintal de fer fort à 24 et 28 livres. Le mouvement des prix est orienté à la hausse tout au long du siècle, tendance lourde malgré le petit nombre de données. À titre de comparaison, en avril 1771, le quintal de fer mol est vendu 17 livres, c’est-à-dire de 7 à 11 livres de moins que le fer fort. Au xixe siècle, en 1809, le prix du quintal de fer fort est supérieur de 27 % à celui du fer mol ; celui du fer cédat de 77 %52. Une autre série de prix peut être donnée53 : en 1824, le rapport est de plus 18 % pour le fer fort et de plus 82 % pour le fer cédat. Dans l’année 1837, le fer doux se vend 15 à 20 francs de moins les 100 kg que le fer fort ou le fer cédat54. La différence entre fer commun et fer fort n’est que de 10 % en 1839. Enfin, en 1850, fer doux et fer fort ont une valeur identique. Autrement dit, la différence de prix entre les qualités de fer s’atténue au fur et à mesure que le siècle s’écoule.
32En Andorre, entre 1619 et 1625, à la forge de Puntal, les quelques références de fer fort enregistrées placent le prix de ce métal entre 10 et 15 % au-dessus du fer commun. Pour le xviiie siècle, la différence varie de 7,5 % au minimum en 1705 à 47 % au maximum en 1796. Dans l’ensemble, les tarifs du fer fort se situent entre 20 et 40 % au-dessus des prix minima enregistrés.
33La recherche des volumes de production, les utilisations spécifiques de ces deux types de fer, l’existence d’une hiérarchie des prix en fonction des qualités de métal conduisent à une conclusion intéressante : au xviiie siècle, l’Andorre et les Pyrénées ariégeoises ont en commun l’intérêt porté à la production de fer fort et de fer cédat55. Au contraire, à partir de la seconde moitié du xviiie et au xixe siècle, un mouvement divergent oppose ces deux bassins sidérurgiques. Or, il faut rappeler que les forgeurs ariégeois travaillent dans l’un et l’autre de ces bassins. L’idée qui s’impose est que les forgeurs sont capables de répondre aux choix de la qualité à produire (fer fort et fer cédat ici, fer doux là) que font les maîtres de forges en fonction de la demande. C’est constater que la technique sidérurgique sait s’adapter à la demande commerciale.
Le paradoxe du marché andorran à partir de 1760-1770
34La demande de plus en plus forte de fer fort et de fer cédat, la pluralité de prix selon la qualité de métal concernée sont un trait structurel commun aux deux marchés. Cependant, ces marchés de l’aire technique à la catalane connaissent des évolutions divergentes. La première rupture très nette pourrait être qualifiée de paradoxe andorran. En effet, l’appellation fer fort disparaît définitivement des sources commerciales alors que la production de cette qualité de fer non seulement se perpétue, mais encore augmente fortement. Ce paradoxe trouve son origine dans la technique de vente des maîtres de forges andorrans qui commercialisent eux-mêmes leur fabrication. À partir de 1760-1770, ces fabricants bouleversent complètement leurs pratiques commerciales, ils ne différencient plus les prix du métal selon les diverses qualités qu’ils produisent toujours. Le choix d’un tarif unique s’explique simplement : les maîtres de forges s’adressent maintenant à de gros acheteurs qui sont propriétaires ou locataires de martinets (fig. 5).
35Cette modification dérive d’un constat simple. Pour les maîtres de forges, l’investissement (amortissement de la forge, achats de matière première et de combustible, salaires des forgeurs et coût de la main-d’œuvre, fonds de roulement, etc.) est constant, quelle que soit la qualité de fer obtenue par les ouvriers. Au cours d’une même saison de production, la charge (minerai, charbon de bois) du bas foyer est fixée au préalable, les quantités de minerai et de charbon employés ne varient pas. Les seuls ajouts consentis correspondent à un nombre réduit de paniers de charbon de bois qui servent à conduire la réduction à terme. Le salaire des forgeurs ne varie que par rapport à la quantité de produit obtenu, la qualité du métal n’entre aucunement en compte. Partant, le prix de revient du métal est identique ou presque identique pour le fer doux, le fer fort ou le fer cédat. Les acheteurs qui sont connus pour être les meilleurs ouvriers dans la transformation du fer brut, sont systématiquement les premiers servis et, surtout, ils ont le choix de la qualité du métal. La courbe de l’évolution des prix est sur ce point révélatrice. Au xixe siècle, à l’inverse de ce qui se passait au siècle précédent, les prix du fer fort sont quasiment identiques à ceux appliqués au fer moll, sorti de la forge. Dans l’ensemble, elle perd de son amplitude. Les différences tarifaires ne tiennent compte que des opérations complémentaires qui se rajoutent à la chaîne de production des lingots de fer brut. Transformation du métal au martinet, vente à crédit ou frais de livraison sont les seuls facteurs qui font varier le prix de vente du métal de manière significative. Cette technique de vente ne s’applique qu’aux plus gros clients qui, au xixe siècle, absorbent la majorité de la production des forges andorranes. Cette pratique permet aux maîtres de forges non seulement de consentir une ristourne à moindres frais, mais facilite également la vente du métal. En effet, en livrant le meilleur fer aux meilleurs artisans, ils favorisent l’écoulement de l’objet fini et, ainsi, ils fidélisent la clientèle du taillandier. Cette hiérarchie dans le choix des acheteurs, qui se traduit parfois par le refus de vente à des martinéteurs qualifiés de « mauvais ouvriers », est l’un des meilleurs moyens de pérenniser l’activité des fabriques.
36Cette technique commerciale [politique du prix unique du fer fondée sur la qualité supérieure du produit vendue au prix de la qualité la plus basse et réservée à des clients privilégiés] a pour but de fidéliser les acheteurs du métal brut. Ainsi, pour les Andorrans, la pratique commerciale prime. La situation sur le versant français est diamétralement opposée, les maîtres de forges ariégeois et les marchands toulousains demeurent fortement attachés à la multiplicité des prix.
La naissance d’un marché des fers à cémenter en France vers 1814
37La deuxième rupture survient en Ariège vers 1814. Le fer fort est bien moins recherché, sa production diminue régulièrement tout au long du siècle. Renversement total, la production du fer mol, matière première de l’industrie de la cémentation qui se développe alors en France, est privilégiée. Le marché des fers ariégeois conserve cependant son aspect traditionnel de marché inter-régional ; mais, dans le même temps, un second marché se met en place, une partie de plus en plus grande des fers pyrénéens est écoulée sur un nouveau marché qui devient national.
38La renommée des fers à la catalane du pays de Foix comme fers à cémenter56, réputation connue à l’intérieur comme à l’extérieur de la France et en particulier dans les pays de langue allemande, explique pourquoi Toulouse et l’Ariège jouent, au xixe siècle, un rôle de premier plan dans l’essor de l’industrie de la cémentation en France avec l’aide de techniciens allemands57. Les fers ariégeois deviennent une des matières premières préférées de cette industrie. En 1832, les 3/8 des fers des forges ariégeoises ont un écoulement différent de celui qu’ils avaient autrefois, 30 000 quintaux sont convertis en acier (fig. 6). En 1837, 39,62 % de la production totale de fer brut ont été vendus pour cémentation aux usines de l’Ariège et de la Haute-Garonne. Le groupe des Pyrénées, premier producteur national d’acier en 1841, toutes techniques confondues, comprend : l’Ariège, la Haute-Garonne, l’Aude, le Tarn58. Ces départements ont en commun d’utiliser les fers pyrénéens pour leur industrie de la cémentation (fig. 7). Le fer cémenté ariégeois donne à l’analyse 0,0115 à 0,0177 de carbone. L’ingénieur des mines Berthier a trouvé 0,0187 de carbone pour un acier de cémentation anglais destiné à la fabrication de l’acier fondu59. L’acier de cémentation occupe désormais toute la place et ne laisse plus aucun espace au fer fort qui n’est plus demandé par le marché et que les forgeurs ne produisent donc plus. Les maîtres de forges ont été contraints de délaisser la fabrication du fer fort pour le travail en fer ordinaire afin de répondre à la demande en expansion des fabriques d’acier françaises qui connaissent un développement rapide. Cependant, la qualité supérieure de l’acier naturel, le fer cédat, reste toujours recherchée.
39L’espace de vente des aciers cémentés ariégeois ne se limite ni au département, ni à la région élargie, mais il s’étend à la France entière. Sur place, dans le département, parmi les débouchés de l’acier cémenté, des martinets se consacrent à l’étirage, c’est essentiellement une industrie de la vallée de la Barguillère, près de Foix, où l’on étire les aciers, suivant les termes consacrés, à 1, 2, 3 et 4 corroyages. Ces aciers, aux dires des ingénieurs des mines, sont parfaits et n’ont pas d’autres inconvénients que leur prix trop élevé. Puis viennent les fabriques de faux et de limes, ressorts, etc. Il se consomme, en 1825, environ 1/6 des produits des usines métallurgiques dans le département60. L’acier en barres, comme les faux, les limes et les autres produits en acier cémenté, sont envoyés dans la même proportion partout en France, suivant les commandes faites directement aux fabricants qui ont d’abord cherché à placer leurs productions dans les lieux les plus faciles d’accès et là où ils ont pu les faire transporter à meilleur marché, en suivant, naturellement, les rivières et les côtes de l’Océan et de la Méditerranée (fig. 8, en fin d’article). Ainsi, en quelques années, toute la partie qui s’étend de Bayonne à Dunkerque a été approvisionnée par des aciers obtenus à partir des fers de l’Ariège. Les aciers de l’usine de Pamiers, par exemple, se vendent dans toute la France. La vente de la moitié des produits est faite par le voyageur de la maison, l’autre moitié est demandée directement par les consommateurs ; ce débouché est dû à la supériorité des aciers de cette fabrique, les « patrons » ne se sont servis d’intermédiaires que pour traiter avec le gouvernement, c’est une seule maison qui agit en leur nom ; elle a soumissionné pour eux à la fourniture du port de Lorient, où les aciers ont été trouvés si beaux que les ingénieurs de la commission déléguée, tout en s’empressant d’accepter leur soumission, n’ont pu s’empêcher de marquer leur surprise, au point qu’ils ont cru qu’une partie des aciers présentés était de l’acier fondu. Le préfet de l’Ariège considère que plus on convertit du fer en acier, plus le prix du métal se soutient et amène du numéraire dans le département.
Conclusion
40Le fer fort et le fer cédat présentent des caractéristiques comparables à celles de l’acier, c’est-à-dire qu’ils sont plus carburés que le fer mol61. Leur production n’est marginale ni au xviiie ni au xixe siècle, surtout si l’on songe au déficit français et espagnol en acier. Les Pyrénées sont au premier rang de la production française d’acier dans la première partie du xixe siècle tous procédés d’obtention confondus ! Au sud des Pyrénées, les chiffres globaux manquent. Si Rafael Uriarte estime, qu’au milieu du xixe siècle, la sidérurgie directe fournit encore près de 60 % du fer espagnol62 et que Jordi Nadal, pour la période 1866-1870, considère qu’elle produit encore près de 30 % de la production nationale63, pour l’acier aucune donnée fiable n’existe. À cela une raison principale : la différence entre les critères choisis par les rédacteurs de documents sur la sidérurgie et ceux mis en avant dans les textes fournis par les maîtres de forges. Alors que ces derniers mentionnent l’acier ou le fer aciéré, les premiers ne citent que du fer doux ou malléable. Cependant, cette dénomination n’est pas utilisée pour caractériser le fer, elle répond à un critère de classification par procédé de production. Le fer malléable est le métal obtenu par réduction directe que l’on travaille sous le marteau, c’est la matière première du forgeron que l’on oppose à la fonte des hauts fourneaux. Nos recherches sur le rôle de l’acier au niveau du marché, catalan ou espagnol, restent pour l’heure trop fragmentaires pour pouvoir dessiner une image globale.
41Les forgeurs ariégeois font appel à un savoir-faire spécifique lorsqu’ils veulent obtenir du fer fort et du fer cédat ; ils adaptent leur tour de main selon la région de l’aire technique à la catalane où ils travaillent. Une démarche délibérée pour obtenir une qualité recherchée est ainsi mise en lumière, en contradiction avec la réputation de routine dont on stigmatise les ouvriers paysans ariégeois de la sidérurgie directe. Ces spécialistes répondent ainsi aux attentes multiples des marchés qui, en dernier ressort, dictent leurs choix à la technique sidérurgique. Le procédé à la catalane, demeuré inchangé puisque mis en œuvre par les mêmes ouvriers ariégeois quelle que soit la région où il est employé, est capable de reproduire à volonté les caractéristiques d’une qualité précise de métal, l’acier par exemple, tendant vers une standardisation exigée par les marchés. Certes, l’étape du forgeage peut se révéler décisive pour la qualité du produit. La capacité des forges andorranes à fournir des commandes, massives et sur le long terme, de fer destiné à un usage particulier est révélatrice de cette évolution. Preuve en est la rareté des quelques missives envoyées par des martinéteurs se plaignant d’une diminution de qualité du métal reçu alors que, sur des périodes de plusieurs dizaines d’années, la fréquence annuelle de l’échange épistolaire entre le propriétaire de la forge et un client dépasse la dizaine de lettres. Il semble donc que, dans l’ensemble, les forgeurs étaient capables de répondre fidèlement au cahier des charges de chaque acquéreur.
42Le marché andorran et la politique du prix unique du fer, le marché ariégeois et l’approvisionnement de l’industrie française de la cémentation en plein essor fournissent des explications convaincantes au maintien du système productif à la catalane jusque dans les dernières décennies du xixe siècle. Loin de l’archaïsme, des logiques commerciales élaborées, sophistiquées même, justifient la fidélité à un procédé direct capable de répondre, selon des conditions économiques acceptables, aux demandes contradictoires de marchés en expansion. Mieux, jusque vers les années 1840, la forge à la catalane est présentée par certains métallurgistes comme une solution possible aux difficultés de la sidérurgie française. Autre exemple, dans la seconde moitié du xviiie siècle, la sidérurgie directe biscayenne connaît des difficultés qui s’expliquent, en partie, par la crise de l’armurerie de Tolède64, or elle cherche des réponses aussi bien dans le Languedoc et le pays de Foix qu’en Suède. Pour les contemporains, la modernité offre plusieurs visages, les possibilités semblent plurielles.
Notes de bas de page
1 Encyclopédie, 1751, article « Acier », t. I, p. 100-108 ; pays de Foix, p. 107 ; voir aussi supra, V. Serneels, « À propos de la qualité des fers produits par la méthode directe de réduction ».
2 Ch. Combes, « Mémoire sur les deux forges catalanes de Gincla et de Sahorre », Annales des Mines, t. IX, 1824, p. 329-360.
3 C. Mas, Historia de la Farga catalana. El cas de la vall Ferrera, al Pallars Sobirà (1750-1850), Lleida, 2000, p. 57-99, 111-116 ; J. Cantelaube, La forge à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises, une industrie à la montagne (xviie-xixe siècle), Toulouse, 2005, p. 43-160, 403-423, 429-436 ; J.-M. Bosch, O. Codina et A. Vila, La Farga Rossell. El zenit de l’obtenció del ferro pel sistema directe, 1842-1876, Andorre, 2001.
4 B. Gille, Les forges françaises en 1772, Paris, 1960, p. 135-151.
5 AD Ariège, 1 C 165.
6 CHAN, 436 AP 48, fol. 42, 1746.
7 AHN/APCA, livre 8 et apcr, doc. 366.
8 AD Ariège, 1 C 165, 1771.
9 AD Ariège, 36 J, Grand Livre de la forge de Tourné, 1807-1808.
10 ANA/ACA et ACR, croisement de la documentation des forges de Puntal, du Serrat, d’Ordino, d’Encamp et de La Massana (1619-1632 ; 1700-1876).
11 O. Codina, De laine et de fer. Les vallées andorranes du xvie au xixe siècle, Perpignan, 2005, p. 311.
12 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire, Paris, 1984, p. 349-361.
13 R. Éluerd, Les Mots du fer des Lumières, Paris, 1993, p. 244.
14 P. J. Buc’hoz, Dictionnaire minéralogique et hydrologique de la France…, Paris, 1774, vol. III, p. 7.
15 Buffon, édition par Sonnini, an VII-1808, vol. 10, Du Fer, t. VI, p. 246.
16 El Tratado de Metalurgia de las Comisiones (Segundas) de la Real Sociedad Bascongada de Amigos del País, 1765-1773, M. Urteaga éd., San Sebastián, 2000, p. 95. « Il est essentiel de parler ici d’un fait non moins singulier que constant, que dans toutes les forges qui utilisent le minerai de Sem, consulat ou juridiction de Vicdessos, on ne sort une loupe qui n’ait une partie de très bon acier. Quelquefois, on rencontre des barres entières, d’autres fois elles le sont à moitié, dans la largeur ou la longueur. On observe communément qu’il se trouve dans la tête ou la queue de la loupe. »
17 Ch. Tronson du Coudray, Mémoire sur les forges catalanes comparées avec les hauts fourneaux, Paris, 1775, p. 121, 125.
18 Ph. Picot de Lapeyrouse, Traité sur les forges et les mines du comté de Foix, Toulouse, 1786, p. 182, 200, 289, 356.
19 Ph. F. Dietrich, Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées, Paris, 1786, p. 49, 67.
20 J. M. Muthuon, Traité des forges dites catalanes ou l’art d’extraire directement et par une seule opération le fer de ses mines, Turin, 1808, p. 168-166, 173.
21 J.-H. Hassenfratz, La Sidérotechnie ou l’art de traiter les minerais de fer pour en obtenir de la fonte, du fer ou de l’acier, Paris, 1812, t. 1, p. 17.
22 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de l’Ariège », Annales des Mines, t. VIII, 1835, p. 475-476.
23 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer de ses minerais sans convertir le métal en fonte, Paris, 1838, p. 122, 362.
24 J. François, Recherches sur les gisements et le traitement direct des minerais de fer dans les Pyrénées et en particulier en Ariège suivies de considérations historiques, économiques et pratiques sur le travail du fer et de l’acier dans les Pyrénées, Paris, 1843, p. 52.
25 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, t. XV, 1869, p. 170-171.
26 M. Leroy, P. Merluzzo, « Les mécanismes de réduction des minerais de fer en réduction directe : l’exemple des minerais sédimentaires oolithiques de Lorraine - France », dans Il ferro nelle Alpi. Giacimento, miniere e metallurgia dall’antichità al XVI secolo, Atti del Convegno, Bienno, 2-4 ottobre 1998, C. Cucini-Tizzoni et M. Tizzoni éd., Breno, 2000, p. 58.
27 P. Merluzzo, C. Forrières, A. Thouvenin et A. Ploquin, « Les premières étapes du travail du fer en foyer de forge, selon les procédés traditionnels japonais », dans Paléométallurgie du fer et Cultures. Symposium international du Comité pour la sidérurgie ancienne, Sévenans, 1-2-3 novembre 1990, P. Benoit, P. Fluzin éd., Belfort, 1995, p. 71-86.
28 J. François, op. cit., n. 24, p. 273.
29 Ph. F. Dietrich, op. cit., n. 19, p. 67.
30 Ph. Picot de Lapeyrouse, op. cit., n. 18, p. 356.
31 Ph. Fluzin, « Il processo siderurgico : evoluzione storica e indizi archeometrici », dans La miniera perduta. Cinque anni di ricerche archeometallurgiche nel territorio di Bienno, C. Cucini Tizzoni et M. Tizzoni éd., Breno, 1999, p. 67.
32 J. Cantelaube, op. cit., n. 3, p. 257-294 ; AD Aude, S 754, Gincla, procès-verbal de l’ingénieur en chef des mines, le 7 septembre 1823.
33 AD Ariège, 1 Mi 10, R1.
34 La question se pose de savoir où se trouve le fer fort dans la loupe. Voir J. Cantelaube, op. cit., n. 3, p. 261-264.
35 J. François, op. cit., n. 24, p. 331.
36 ANA/ACR, livre 413.
37 ANA/ACR, livre 129.
38 ANA/ACA, livre 36 à 41, liasses XX à XXII.
39 AD Ariège, 14 M 17, 1824 et 1825.
40 J. François, op. cit., n. 24, p. 331.
41 AD Ariège, 14 M 181, 1856.
42 Marrot, op. cit., n. 22, p. 475-476.
43 Mussy, op. cit., n. 25, p. 170-171.
44 J. François, op. cit., n. 24, p. 52.
45 AD Ariège, 1 C 165.
46 CHAN, 436 AP 48.
47 O. Codina, « Marchés sidérurgiques et forges : les espaces du fer andorran (1600-1876) », Annales du Midi, t. 117, n° 251, juillet-septembre 2005, p. 383-405.
48 P. Madoz cite également quatre fabriques de serrures et deux cloutiers, P. Madoz, Diccionario geográfico estadístico histórico de España i de ultramar, 1840 ; édition de la partie consacrée à la Catalogne, Barcelone, 1985, vol. 2, p. 333.
49 « […] quasiment tout le fer de ces forges est destiné aux outils agricoles… ; presque tout le fer produit est destiné à l’agriculture […] et […] ce type de forges […] sont les seules qui fournissent à l’agriculture toutes sortes d’outils en fer de qualité supérieure… », Comisión nombrada por real decreto del 10 de noviembre de 1865, Información sobre el derecho de bandera y sobre los de aduana, Madrid, 1867, t. II, p. 147, 149-150.
50 « […] comme pour toutes les autres [forges] de la province il est destiné [le fer] quasi exclusivement à l’agriculture, lui procurant toutes sortes d’outils qui durent très longtemps grâce à la spécificité de ce fer de nature aciérée… », ibid., p. 159.
51 AHN/ACR, doc 318 ; à ce sujet, voir O. Codina, op. cit., n. 11, p. 311-324.
52 AD Ariège, 36 J, forge de Tourné, 1808.
53 AD Ariège, 14 M 17 ; AD Ariège, 14 M 181, 1856.
54 T. Richard, op. cit., n. 23, p. 53.
55 J. Cantelaube, « Minerai de fer, charbon de bois et métal : diversité et complexité des échanges de la sidérurgie ariégeoise dans les Pyrénées (xviie-xixe siècle) », dans Circulation des marchandises et réseaux commerciaux dans les Pyrénées (xiiie-xixe siècles), 7e Curs d’Historia d’Andorra, col-loqui d’Andorra, J.-M. Minovez et P. Poujade éd., Toulouse, 2005, vol. 2, p. 567-580.
56 F. Le Play, « Mémoire sur la fabrication et le commerce des fers à acier dans le Nord de l’Europe et sur les questions soulevées depuis un siècle et demi par l’emploi de ces fers dans les aciéries françaises », Annales des Mines, t. IX, 1846, p. 209-272, en particulier p. 232.
57 BM Toulouse, Lmc 10407 (XVIII), procès entre Garrigou, Massenet et Jaegerschmidt, 1817- 1819 ; AD Ariège, 138 S 9, Planissoles (Foix) ; AD Ariège, 138 S 17, Pamiers ; P. Genevray, « Ouvriers allemands et concurrence allemande dans les Pyrénées ariégeoises, il y a cent ans », extrait des Annales du Midi, t. XXXII, n° 127-128, juillet-octobre 1920 ; J. Cantelaube, op. cit., n. 3, p. 295-326.
58 F. Le Play, « Mémoire sur la fabrication de l’acier en Yorkshire, et comparaison des principaux groupes d’aciéries européennes », Annales des Mines, t. III, 1843, p. 680-682.
59 J. François, op. cit., n. 24, p. 311.
60 AD Ariège, 14 M 17.
61 Les premiers résultats des analyses métallographiques de vestiges découverts au cours des fouilles archéologiques des forges Rossell et Areny menées par le Service du Patrimoine Culturel d’Andorre permettent de placer ces pièces, à l’exception d’une seule, dans le domaine des aciers. Cependant, cette étude est encore à poursuivre afin que l’échantillonnage soit assez large pour être représentatif. Pour ce qui est de l’analyse des échantillons de fer de la forge Rossell, la teneur en carbone d’un fragment de massé est de 0,85 % (phase de séparation entre la ferrite/perlite et la perlite cémentite) tandis que pour un rejet du bas foyer (prélevé à l’état pâteux, il a épousé la forme de la sole du canal d’évacuation dans lequel on l’avait jeté) deux phases ferreuses se différencient, l’une à 1,06 % (perlite et cémentite), l’autre beaucoup plus carburée 6,7 % (cémentite). Deux phases sont identifiables dans une pièce de fer forgé (coin) qui était au contact du bas foyer, l’une à 1,13 % de carbone (perlite/cémentite) l’autre beaucoup plus carburée (6,05 % cémentite). Cette dernière probablement recarburée au contact des gaz réducteurs lors de plusieurs réductions. La composition des gouttes de fer piégées dans la calotte du bas foyer est de la cémentite à 6,9 % de carbone ; il pourrait s’agir de la fonte blanche que décrivent les ingénieurs du xixe siècle. Pour les échantillons de fer prélevés dans de la scorie, le moins carburé provient d’une scorie de forgeage de la forge Rossell (0,45 % perlite/ferrite), alors qu’un fer piégé dans de la scorie coulée est composé de deux phases métalliques claires, l’une 1,38 %, l’autre 1,11 % de carbone, dans les deux cas perlite/cémentite. Pour finir, pour le métal provenant de la croûte de scorie de la sole du canal d’évacuation de la forge Areny trois phases métalliques sont identifiées, 1,17 %, 1,66 % et 4,64 %, respectivement perlite/cémentite et cémentite/lédéburite (analyses réalisées pour le Service de Recherche Historique du Gouvernement d’Andorre par le laboratoire de cristallographie de l’Universitat autònoma de Catalunya). Malgré la tendance qui semble se dessiner, cela est surtout représentatif de l’hétérogénéité du procédé. Dans l’état actuel de nos connaissances, ces analyses ponctuelles sont difficilement acceptables pour la caractérisation du produit de la forge. L’analyse globale des barres produites par la forge sera probablement le seul moyen de les caractériser d’une manière plus fiable.
62 R. Uriarte, « The direct process in the Spanish ironmaking during the 19th century : survivals and last improvements », dans The Importance of Ironmaking. Technical Innovation and Social Change, G. Magnusson éd., Stockholm, 1995, p. 375-384.
63 J. Nadal, El fracaso de la revolución industrial en España 1814-1913, Barcelone, 1975, p. 167.
64 I. Carrión Arregui, « La sidérurgie basque à l’époque moderne », dans L’Artisan au village dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des xixe Journées internationales d’histoire de l’Abbaye de Flaran 5-6-7 septembre 1997, M. Mousnier éd., Toulouse, 2001, p. 249.
Auteurs
FRAMESPA, université de Toulouse-Le Mirail.
Àrea de Recerca Històrica, ministeri de cultura, Govern d’Andorra.
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