Chapitre 2. La révolution napoléonienne et la construction de l’Empire brésilien
p. 45-61
Texte intégral
1« Vive l’Empereur ! »« Viva o Imperador ». Napoléon a eu une influence considérable sur les Brésiliens pendant les premières décennies du XIXesiècle. Napoléon et son régime ont d’abord servi de source d’inspiration à ceux qui aspiraient à l’indépendance du Brésil. Ils ont aussi servi de modèle pour l’État-nation désiré et pour la structure de cet État-nation, une fois l’indépendance accomplie en 1822. Le fait que l’influence de Napoléon n’était pas reconnue à l’époque et n’a pas été admise par les historiens, qu’ils soient Brésiliens, Français ou autres, n’en diminue pas l’importance1.
2Ce chapitre est divisé en trois parties. La première donne un aperçu nécessaire à la compréhension de l’émergence du Brésil comme État-nation et de ses relations avec la France. La seconde partie analyse la nature et les causes de l’attrait de Napoléon et de son régime pour les Brésiliens. Finalement, la troisième partie examine en quoi Napoléon et son régime ont exercé une influence durable au Brésil pendant ses premières décennies d’État-nation.
3Commençons par ce qui se passait au Brésil et en France à la fin de l’année 1799, au moment du coup d’État du 18 Brumaire. Ce qui est aujourd’hui le Brésil comptait à ce moment-là dix-sept capitanías (colonies) dont l’ensemble ne représentait ni une nation ni un État. Même s’il existait un Estado do Brasil (État du Brésil) dont le chef était un vice-roi siégeant dans la ville de Rio de Janeiro, les capitanías du nord n’appartenaient pas à l’Estado, et c’était de Lisbonne et non de Rio de Janeiro que venaient les ordres pour toutes les capitanías. Le gouvernement royal avait prohibé l’introduction de l’imprimerie et des institutions d’éducation supérieure dans les colonies d’Amérique portugaise. Le but de ces colonies était la culture du sucre, du coton et d’autres produits tropicaux (y compris le café), tous exportés au Portugal pour revente aux nations de l’Europe alors en guerre. Les esclaves, dont certains étaient nés au nouveau monde mais qui pour la plupart venaient d’Afrique, fournissaient la main-d’œuvre indispensable. Le grand soulèvement des esclaves à Saint-Domingue en 1793 avait éliminé le concurrent principal de l’Amérique portugaise pour les produits tropicaux et renforcé la prospérité et l’autorité du Portugal au Brésil, parce que les couches sociales et économiques dominantes des capitanías redoutaient que la mise en question de l’ordre colonial ne cause le risque d’un soulèvement des esclaves semblable à celui de Saint-Domingue2.
4À la fin du xviiie siècle, une conscience d’être différent avait bien sûr vu le jour dans les couches dominantes des capitanías, mais ces idées naissantes portaient sur la communauté que l’on appelait la patrie. Le mot brasileiro (brésilien) désignait alors seulement une personne née dans le nouveau monde. On distinguait entre les portugueses brasileiros et les portugueses europeus (personnes nées au Portugal), mais pas entre les brasileiros et les portugueses. Les liens entre les colonies de l’Amérique portugaise et la métropole furent paradoxalement consolidés par un flot croissant à travers l’Atlantique de jeunes hommes désirant étudier à l’Université de Coimbre au Portugal ou dans d’autres universités européennes. Quelques-uns de ces jeunes ont obtenu leur diplôme de médecin à la Faculté de Médecine de l’Université de Montpellier. Leurs études achevées, certains sont rentrés chez eux, mais beaucoup sont restés au Portugal, souvent au service du Roi3.
5À la fin de 1799, la France était sans aucun doute un État et une nation, mais elle se trouvait dans une situation lamentable. Les armées de la deuxième coalition lui avaient infligé de nombreuses défaites et lui avaient causé la perte de l’Italie et du sud de l’Allemagne, ce qui avait terni la gloire des forces révolutionnaires. À l’intérieur de la France, un état de révolte existait partout. Le peuple était profondément divisé, l’économie incertaine, et les réformes de la Révolution inachevées et improductives. Le Directoire était corrompu, autocratique, incompétent et incapable de s’affirmer comme régime légitime. Il n’est guère étonnant que Sieyès, de retour à la vie publique et élu membre du Directoire en juillet 1799, ait rêvé d’un nouveau système politique d’où les partis seraient bannis, l’ordre et le calme rétablis et les bienfaits de la Révolution consolidés. Que le sort ait forcé Sieyès à remplacer celui qu’il avait choisi pour réaliser son rêve, le général Joubert, mort à la bataille de Novi, par le général Bonaparte, n’avait en rien altéré sa résolution. Par la suite, en dépit du quasi échec du coup d’État du 18 Brumaire et de la demi-victoire de Marengo, le Premier Consul et son régime avaient survécu et prospéré4.
6Le Portugal faisait partie de la deuxième coalition contre la France. Le Premier Consul avait incité l’Espagne, alliée de la France depuis 1795, à envahir le Portugal en mai 1801. L’incapacité du Portugal de résister à cet assaut, connu comme « la guerre des Oranges » avait révélé la faiblesse du pays, la désuétude de son gouvernement et le manque de valeur de son armée. Il ne restait plus à Don João, Prince régent au nom de sa mère, la Reine Maria Ière, folle depuis plusieurs années, qu’à demander la paix. Le traité de Madrid imposait au Portugal la cession de territoires à l’Espagne, le paiement d’une forte indemnité à la France, et sa neutralité dans la guerre5. Le problème essentiel pour le Portugal était d’être pris entre la France et l’Angleterre. Selon un courant d’opinion, les liens d’amitié avec l’Angleterre, qui contrôlait les mers, étaient indispensables ; selon un autre, les liens d’amitié avec la France, qui contrôlait le continent, étaient non moins essentiels. Dans chacun de ces deux courants, on était prêt à payer le prix des choix faits. Le gouvernement du Portugal chercha alors à se concilier la puissance qui lui paraissait la plus menaçante. En 1803 le Prince régent congédia les ministres favorables à l’Angleterre, les remplaçant par des partisans de la France, dont le plus notable était António de Araújo e Azevedo. Cependant, comme les membres du gouvernement le comprenaient bien, la survie du Portugal exigeait que l’on cherche à éviter un alignement sans retour sur l’une ou l’autre de ces puissances6.
7La faiblesse de cette politique était que dès le début, Napoléon n’avait vu le Portugal que comme un laquais insubordonné. Il n’était jamais satisfait. Il multiplia ses revendications après la reprise de la guerre avec l’Angleterre en 1803. La guerre économique instituée par les décrets de Berlin (1805) et de Milan (1806) ne pouvait réussir que si tous les ports du continent se fermaient au commerce anglais. Mais le Portugal ne pouvait pas se permettre d’obéir aux ordres de l’Empereur. L’ambassadeur personnel de Napoléon à Lisbonne lui en avait rendu compte dès le 9 mai 1805, avant même l’entrée en vigueur du blocus continental : « Si Votre Majesté veut forcer le Portugal à se déclarer, il se déclarera pour l’Angleterre parce que c’est le seul moyen de ne pas mourir de faim. Peut-être le gouvernement s’en ira-t-il au Brésil (comme c’est ici l’opinion de ceux qui ont le plus d’influence dans les affaires) »7 . Les victoires de 1805 et de 1806 avaient donné à l’Empereur un sentiment accru d’omnipotence et l’avaient rendu sourd à de tels avertissements. Les esquives et les demi-mesures du gouvernement portugais n’avaient servi qu’à accroître sa colère. Au mois de juillet 1807, il décida de se débarrasser de ces tracas en mettant fin au statut d’État indépendant du Portugal8. En novembre, l’invasion commença avec la coopération de l’Espagne. Les troupes françaises du général Jean-Andoche Junot, ancien ambassadeur à Lisbonne, ne rencontrèrent aucune résistance, mais le gouvernement portugais fit le choix que Junot avait prévu, se retirer au lieu de se soumettre. La famille royale et le gouvernement embarquèrent donc sur la flotte mouillée sur le Tage. Le 29 novembre la flotte prit le large vers le nouveau monde. Le lendemain, Junot et son avant-garde entraient à Lisbonne9.
8Le résultat de cette invasion fut, pour le Portugal, une occupation de six mois (1807-1808), suivie de deux invasions par les forces de Napoléon (1809 et 1810-1811). Ce conflit dévasta le nord et le centre du pays. Pour le Brésil, le résultat fut complètement différent. Au mois de mars 1808 les fugitifs arrivèrent enfin à Rio de Janeiro. Le gouvernement royal se rétablit dans cette ville, fonda des écoles, militaires et de médecine, et installa une imprimerie et un journal du gouvernement. Même avant l’arrivée à Rio de Janeiro, le commerce du Brésil avec le reste du monde avait été établi. Toutes les capitanías, devenues « provinces » étaient maintenant administrées par le gouvernement de Rio de Janeiro. En décembre 1815 le royaume du Brésil fut créé, déclaré égal au royaume du Portugal et uni avec lui. En somme, l’invasion du Portugal par Napoléon mettait un terme à la condition coloniale de l’Amérique portugaise et l’établissait comme un État distinct. Ce sont les institutions créées en 1808 et par la suite qui ont rendu possible la déclaration d’indépendance du Brésil en tant qu’État-nation en 182210.
9En dépit de la conviction générale que la conséquence inévitable des événements de 1807 et de 1808 était l’indépendance politique sous la forme d’un État-nation unique, la réalité était tout autre. Une révolte au nord-est du Brésil en 1817 visait à faire de chaque province un État indépendant. D’autre part, le concept d’un « Empire du Brésil » empire portugais centré sur le Brésil, avec Rio de Janeiro comme capitale, existait au moins depuis la seconde moitié du xviiie siècle. La transformation de la France réalisée par Napoléon et la création de l’Empire en 1804 donnaient du crédit à cette aspiration. Peu après le transfert de l’autorité à Rio de Janeiro, un jeune gradué de l’Université de Coimbra a écrit : « le moment est arrivé pour le monarque du Portugal de prendre le titre d’Empereur, lequel correspond vraiment à la majesté de sa personne, à l’héroïsme de ses ancêtres, et à l’étendue de ses possessions ». Le Brésil « au lieu d’être une colonie maritime interdite de commerce extérieure, devient un empire puissant, appelé à devenir le médiateur de l’Europe, l’arbitre de l’Asie, et le maître de l’Afrique »11.
10Vu le traitement du Portugal par Napoléon et les trois invasions qu’il lui avait fait subir, son rôle d’inspirateur pour les Brésiliens paraît aussi improbable que paradoxal. En réalité, ceci s’explique de trois manières. Premièrement, les Portugais considéraient depuis longtemps la France comme un modèle et un guide en politique et en culture. C’était le sentiment de tous les Brésiliens qui rêvaient d’indépendance. En mai 1801, un membre d’une famille puissante de la capitanía de Pernambuc faisait remarquer à un ami « qu’il était nécessaire de chercher la liberté » et, à la suite d’une réponse évasive, ajoutait la question : « Même avec l’assistance d’une nation étrangère comme la France ? »12. En deuxième lieu, un grand nombre de Portugais et de Brésiliens étaient tellement séduits par Napoléon et par ses hauts-faits qu’ils en oubliaient ses erreurs. Même après la conquête française en 1807 et 1808, une bonne partie de la noblesse titrée, du haut-clergé et du corps judiciaire collaborèrent de bon gré avec le régime du général Junot. Ce que ces gens voulaient, c’était l’introduction au Portugal des avantages que Napoléon avait accordés à la France et aux États qu’il avait créés. Plus précisément, ils voulaient une constitution pour leur pays ressemblant à celle donnée au Grand-duché de Varsovie, récemment établi. L’Empereur fit rédiger un « projet de statut constitutionnel pour le Portugal ». Les révoltes de mai et de juin 1808 en Espagne et au Portugal mirent fin à la transformation du Portugal en État vassal. Pourtant, un certain nombre de ces collaborateurs, appartenant principalement à la noblesse, restèrent au service de l’Empereur. Les plus prudents essayèrent de justifier leurs actions pendant le régime de Junot. Notons que le monarque portugais a pardonné par la suite à presque tous les collaborateurs13.
11Une troisième raison de l’influence de Napoléon sur les Brésiliens réside dans la nature et les réalisations de son régime. Les Brésiliens pouvaient s’extasier sur les gloires futures de leur pays, mais ils étaient obligés de reconnaître l’état de désorganisation et de retard du Brésil pour le moment. Les innovations introduites en 1808 et par la suite par le gouvernement portugais n’avaient fait que très peu de choses pour altérer cette dure réalité. Le nouveau royaume du Brésil institué en 1815 n’était pas doté de nouvelles structures administratives. Le système de gouvernement colonial restait en place. Ce qu’il aurait fallu pour le Brésil, c’était un souverain doté de la volonté, de la vision et de la capacité à agir. Napoléon était ce genre d’homme et son programme et ses actions pendant le Consulat (1799-1804) avaient transformé la France, faisant d’elle un pays puissant, solide, bien organisé et prospère. Tous les aspects de sa société, de sa culture et de son économie se trouvaient réglementés. Le Premier Consul maintenait les avantages de la Révolution et il les mariait au meilleur de l’Ancien Régime14.
12Tout cela, Napoléon l’avait accompli en cinq ans. Une transformation semblable du Brésil exigerait bien plus de temps, mais assurément un homme « providentiel » du calibre de Napoléon pourrait le faire. Ce qui accroissait encore les attraits de Napoléon pour les élites des provinces, ci-devant capitanías, était son conservatisme social, et avant tout sa restauration de l’esclavage dans les colonies françaises en 1802. Le Concordat avec l’Église Catholique signé en 1801, la création de la Légion d’Honneur en 1802 et son adoption du titre d’Empereur en 1804 fournirent d’autres preuves de son conservatisme. L’indépendance politique n’était plus liée à l’égalité radicale sociale et économique. La création par l’Empereur des royaumes d’Italie et de Westphalie et du Grand-duché de Varsovie, qui étaient tous à peu près des copies du régime napoléonien, fournissait des modèles pour un Brésil indépendant15.
13Les Brésiliens étaient informés sur l’Empereur et sur son régime de plusieurs manières. Deux de leurs sources étaient des documents imprimés. Le gouvernement portugais de Rio de Janeiro a formellement déclaré la guerre à la France en mai 1808 et par la suite mené une campagne de propagande contre Napoléon et son système, par voie de journaux et de pamphlets. Cette campagne a eu l’effet, fortuit mais prévisible, de familiariser les lecteurs avec l’Empereur et son système16. Une seconde source, beaucoup plus importante, était le Correio Brasiliense, revue mensuelle publiée à Londres de 1808 à 1822. Son propriétaire et directeur était Hipólito José Pereira da Costa, né dans le nouveau monde. Franc-maçon et partisan de l’Angleterre, Hipólito José avait été emprisonné par l’Inquisition portugaise, mais il avait réussi à s’échapper et à se réfugier en Angleterre. Le Correio Brasiliense, largement distribué au Portugal et au Brésil, s’opposait toujours à Napoléon, mais entre 1808 et 1814 cette revue a publié chaque mois une information considérable sur le système impérial, y compris des traductions de traités, de lois et de décrets17.
14Une autre voie d’information était la communication de personne à personne. Un certain nombre de Brésiliens ont vécu en France pendant l’Empire, dont José Antônio Soares de Sousa, docteur en médecine de la Faculté de Paris, marié à une Française et chirurgien de l’armée française. Après la chute de Napoléon en 1814, Soares de Sousa et sa famille sont retournés à leur pays natal18. Plus nombreux et plus importants étaient les Français et les Françaises émigrés au Brésil. Le Portugal a servi d’abri à un bon nombre d’émigrés royalistes pendant la dernière décennie du xviiie siècle, notamment le duc de Montmorency-Luxembourg19. Un certain nombre de ces émigrés ainsi que des Français établis comme artisans et marchands à Lisbonne se réfugièrent au Brésil en 1807 et en 1808. La restauration de la paix en 1814 et les suites des Cents-Jours en 1815 ont amené beaucoup de Français à émigrer vers le Brésil20.
15La plupart de ces immigrants visaient probablement à trouver de l’emploi et du profit. Les négociants du Havre, de Bordeaux et de Marseille, depuis longtemps exclus des marchés du nouveau monde par le blocus britannique, se dépêchèrent de profiter des opportunités qu’offrait la paix. En avril 1815, un bureaucrate de Rio de Janeiro a écrit : « Des navires sont arrivés ici venant de plusieurs ports français. Ils étaient chargés d’habits, d’autres articles de mode et de bagatelles, tous moins chers que les produits des Anglais. Ces derniers sont au désespoir, parce qu’ils veulent monopoliser le marché ». Le bureaucrate a ajouté : « Un grand nombre de Français sont déjà établis ici, et on peut les reconnaître à leur cocarde blanche »21. Des groupes de Français, notamment des artisans, des boutiquiers et des fournisseurs de services, allant des coiffeurs aux médecins, se sont installés et ont joué pendant longtemps un rôle notable à Rio de Janeiro et dans les autres ports du Brésil. Les plus influents parmi eux étaient probablement les libraires. Des marchands de livres français étaient établis à Lisbonne et à Rio de Janeiro depuis le xviiie siècle. En plus de leur rôle indispensable dans l’échange des idées, les libraires offraient des centres de discussions intellectuelles, étant donné que le français était la langue adoptée pour le discours culturel22.
16Les immigrants venus de France en 1814 et en 1815 avaient vécu, il faut le souligner, une quinzaine d’années sous le règne de Napoléon. Pour eux, son régime avec ses triomphes et ses gloires était devenu la norme. Seuls les gens d’âge moyen avaient connu personnellement l’Ancien Régime et la dynastie des Bourbons. De plus, parmi les Français immigrant au Brésil, il y avait beaucoup d’exilés politiques. En 1814, les Bourbons s’étaient abstenus de persécuter leurs opposants, mais ce fut tout le contraire après les Cent-Jours. Le plus éminent de ceux qui avaient fui la France pour le Brésil après la restauration de Louis XVIII, était Dirk van Hogendorf, né aux Pays-Bas, patriote néerlandais, administrateur et comte impérial23. Arrivé à Rio de Janeiro en 1816, van Hogendorf y résida jusqu’à sa mort en 1822, cultivant sa plantation de café près de la ville. Il s’était constitué un grand cercle d’amis et avait acquis une excellente réputation. Les exilés n’étaient pas tous aussi tranquilles. Les autorités en soupçonnaient plusieurs d’organiser des complots pour délivrer Napoléon de sa captivité à Sainte-Hélène. Le Brésil était, après le Cap de Bonne Espérance, le territoire le plus proche à partir duquel on pouvait lancer une expédition de libération. Le gouvernement vivait dans une crainte constante de telles tentatives. En 1817 une expédition gagna la côte du nord-est du Brésil mais le groupe y abandonna le navire. Le chef de cette tentative fut par la suite arrêté à Rio de Janeiro et déporté en Europe24. Le chargé d’affaire français à Rio de Janeiro, qui en 1816 envoyait beaucoup de rapports à ce sujet, avait probablement raison de remarquer que Bonaparte, « loin d’avoir des partisans dans cette partie de l’Amérique, ne trouverait ici que des hommes désireux de le faire passer en jugement, en supposant qu’il puisse fuir cette île fortement gardée »25.
17Les idées transmises par les immigrants français ont trouvé un auditoire réceptif à Rio de Janeiro et dans les autres villes du Brésil. Depuis 1808, les Anglais avaient soumis le gouvernement portugais à un traitement exorbitant, exigeant la concession de grands avantages économiques par le traité commercial de 1810. En 1814, les Anglais envoyèrent une flotte à Rio de Janeiro dans le but de forcer le gouvernement à retourner à Lisbonne26. Déjà en 1814 le Prince Régent avait nommé comme son ministre principal António de Araújo e Azevedo, le membre le plus important de la faction francophile au Portugal, et qui avait accompagné le gouvernement royal au Brésil en 1807. Cette nomination « est un événement qui a fait parler quelques-uns et fait taire d’autres »27, a observé un bureaucrate de Río, parce que ceci indiquait une reprise de l’influence politique et culturelle de la France.
18La deuxième chute de Napoléon n’a fait qu’encourager cette tendance. Le « dragon corse » n’était plus une menace, et les diatribes contre lui cessèrent. Le changement d’opinion était évident quand le gouvernement portugais a refusé de contribuer par l’envoi de troupes à la campagne militaire contre l’Empereur en 1815. De plus, les Cent-Jours ont marqué un curieux revirement d’opinion au sujet de Napoléon. En France, beaucoup de républicains, de libéraux et de radicaux, tous dégoûtés du régime des Bourbons, s’étaient ralliés à l’Empereur qui cherchait à se les concilier. En particulier, citons son décret d’abolition de la traite des noirs dans les possessions françaises. Citons aussi sa demande à Benjamin Constant de concevoir un nouveau système politique qu’il a sanctionné comme « l’Acte Additionnel aux Constitutions de l’Empire »28. Les libéraux sont devenus par la suite beaucoup plus favorables aux idées et aux réalisations du système napoléonien, en réaction à la politique rétrograde qui dominait l’Europe après 1815.
19C’est dans ce contexte que s’est créée au Brésil « a missão artistica francesa »29, la Mission artistique française. Un groupe d’artistes – des peintres, des sculpteurs et des architectes – tous partisans du régime napoléonien, se trouvèrent sans but et menacés de persécution à la suite des Cent-Jours. Dans ce groupe se trouvait Joachim Lebreton à qui on avait enlevé en 1815 sa position de secrétaire perpétuel de la classe des Beaux-Arts de l’Institut de France30. Il n’est pas clair si l’initiative de la mission était prise par António de Araújo e Azevedo ou par Lebreton lui-même, mais grâce à l’appui du chargé d’affaire du Portugal à Paris, le groupe d’artistes recrutés par Lebreton est arrivé à Rio de Janeiro à la fin du mois de mars 1816. Le groupe était composé de quatorze maîtres, cinq associés, treize membres de leur famille et deux domestiques. Quant aux spécialités, il y avait deux peintres, un sculpteur, un architecte, un compositeur de musique, cinq artisans (dont un graveur), trois carrossiers et deux travailleurs du cuir. Quant à la nationalité, le seul étranger était le compositeur autrichien, Sigmund von Keukomm, le meilleur élève de Joseph Haydn31. En avril 1816, le chargé d’affaires de France à Rio de Janeiro a envoyé en France un rapport sur le groupe : « Il est probable qu’un vague sens de vulnérabilité a poussé quelques-uns d’entre eux à consentir à quitter la France, croyant qu’ils seraient plus à l’abri outre-mer. Les autres sont venus au Brésil seulement dans l’espoir d’améliorer leur situation et de faire fortune ». Le chargé d’affaire a ajouté : « Il n’y a aucun doute que leurs espoirs seront trompés »32.
20Ce jugement, inspiré surtout par l’orgueil national blessé, ne s’est pas tout de suite trouvé justifié. Un décret royal du 12 août 1816 autorisait la création d’une école des sciences, des arts et des métiers. Le même décret accordait une pension mensuelle aux artistes pendant une durée de six ans, à la fin de laquelle l’école même devait être construite et en fonctionnement. La réalisation de ces buts fut tout autre. Le retard était une caractéristique de l’administration portugaise. De plus, la création d’une institution nécessitant de grandes dépenses et amenant des innovations considérables ne pouvait qu’éveiller l’opposition de beaucoup d’intérêts établis. Finalement, le plus grand problème était la santé chancelante d’António de Araújo e Azevedo, comte de Barca en 1816, et sa mort en juillet 1817, qui priva l’école de son patron et protecteur indispensable. À la mort de Joachim Lebreton en 1819, ce dernier fut remplacé par un peintre portugais qui n’avait aucun désir d’exécuter l’ambitieux projet original. Trois professeurs donnèrent leur démission et rentrèrent en France. Les autres furent congédiés mais restèrent au Brésil. On reconstitua l’institution en octobre 1820 sous le nom de l’École de dessin, de peinture et d’architecture civile. En 1826 on changea de nouveau son nom : elle devint l’École des Beaux-Arts (Escola de Belas Artes)33.
21L’initiative commencée en 1815 avait en apparence manqué de réaliser les buts de ses fondateurs. Cependant, une telle conclusion juge mal de l’influence profonde de la « Mission artistique » sur la culture nationale brésilienne. Les édifices qu’Auguste Grandjean de Montigny a conçus et construits à Rio de Janeiro ont donné naissance au style néoclassique au Brésil, avec pour résultat qu’après l’indépendance en 1822 ce fut le style habituel pour les édifices officiels. Quant à la peinture, Jean-Baptiste Debret, cousin de Jacques-Louis David et son disciple à Rome, et Nicolas-Antoine Taunay, étudiant à Rome en même temps que David, ont introduit au Brésil le style néoclassique ou « historique ». Debret, mieux connu peut-être pour ses tableaux Première distribution des croix de la Légion d’honneur et Napoléon rend hommage au courage malheureux, se spécialisa pendant son séjour au Brésil (1816-1831) dans les décorations pour les fêtes publiques telles que les couronnements et les mariages royaux. Taunay a produit des tableaux de paysage tropicaux, qui ont eu une influence profonde sur la façon des artistes brésiliens de percevoir la nature de leur pays. Debret a fait beaucoup d’aquarelles qui dépeignent les gens du peuple, souvent noirs ou mulâtres, et la vie de tous les jours34.
22Nicolas-Antoine Taunay rentra en France en 1821, mais quatre de ses fils restèrent au Brésil. Félix-Emile Taunay, le troisième fils, a remplacé son père comme professeur de paysage et plus tard sera un des instructeurs du jeune Don Pedro II, le deuxième Empereur du Brésil. Félix-Emile enseignait à son élève le « culte du beau » culto do belo, dont la culture français était l’exemple type. Pendant son règne de presque cinquante ans (1840-1889), l’Empereur répandit ce « culte du beau » parmi ses sujets35. Le culte du beau était encore considéré comme un idéal jusqu’au milieu du siècle xxe. En fin de compte, le résultat de la « Mission artistique française » fut l’acceptation et l’intériorisation par les Brésiliens cultivés du triomphalisme culturel, partie intégrante du régime napoléonien.
23La mort de António de Araújo e Azevedo, comte de Barca, en juillet 1817 fut une des causes, comme nous l’avons déjà expliqué, de l’échec de l’École des sciences, des arts et des métiers à Rio de Janeiro. Cet échec était aussi une conséquence de la crise économique et sociale qui a bouleversé le monde atlantique après les Cents-Jours de 1815. Le retour de la paix a diminué la vente des produits agricoles du Brésil36. La prospérité amenée par la guerre avait soutenu le système politique créé à la suite de l’installation du gouvernement à Rio de Janeiro. La fin de cette prospérité causa un mécontentement grandissant tant au Portugal qu’au Brésil37. Au Portugal, un complot mené par les officiers de l’ancienne Légion Portugaise, au service de Napoléon (1807-1813), et par des francs-maçons (souvent partisans de la France) chercha à mettre fin au statut subalterne du Portugal depuis 1807. Au Brésil, les mécontents dans les villes portuaires principales fondèrent des loges maçonniques dans lesquelles on discutait de la liberté et de la République38.
24Au Portugal, les autorités ont découvert en mai 1817 un complot mené par le général Gomes Freire de Andrade avant qu’aucune action n’ait été entreprise par lui. Cependant, à Recife, ville portuaire au nord-est du Brésil, à l’occasion d’une parade militaire, une tentative maladroite d’arrêter les officiers dénoncés comme francs-maçons déclencha une révolte qui s’empara facilement de la ville. Un gouvernement provisoire proclama la République. Comme António de Araújo e Azevedo le dit à son souverain (Don João VI, devenu roi à la mort de sa mère en mars 1816) : « Je supplie Votre Majesté de se calmer et de croire que c’est un moment pénible mais sans danger »39. En effet la révolte fut étouffée, mais, après la mort de Araújo e Azevedo, le gouvernement à Rio de Janeiro est resté perpétuellement effrayé et sur la défensive.
25Comme l’historien Clive Emsley l’a dit dernièrement, la personnalité de Napoléon a fasciné et profondément influencé des hommes de la génération romantique en Europe tels qu’Alfred de Musset et Alfred de Vigny40. Un autre membre de cette génération, né la même année qu’Alfred de Vigny, était Don Pedro, le fils aîné du roi Don João VI. Le prince était par son caractère tout le contraire de son père, hyper-actif, impatient, hardi, partisan à l’outrance, et facilement influencé. « C’est probablement à partir de ce moment (la fuite de Lisbonne en 1807) que la personnalité de Napoléon a commencé à le séduire et, sans qu’il l’ait bien compris, à le fasciner »41. Ce qui a séduit le jeune prince, c’est Napoléon comme homme de destin et homme d’action. À l’âge de dix-neuf ans, le Prince Pedro épousa l’Archiduchesse Léopoldine d’Autriche, et par conséquent devint le beau-frère de Napoléon. Le prince n’était pas un intellectuel et son éducation n’avait pas été brillante, mais il parlait bien le français et avait lu assez d’œuvres d’auteurs européens, dont certainement les livres de Gaetano Filangieri et de Benjamin Constant, pour comprendre le concept d’une monarchie constitutionnelle et libérale42.
26Le Prince Pedro joua un rôle important dans la crise politique qui aboutit à l’indépendance du Brésil en 1822. La révolte du colonel Riego à Cadix en janvier 1820 déclencha une révolte semblable à Porto en août 1822. Les buts de cette révolte militaire étaient la convocation des Cortes ou assemblée constituante et le retour du gouvernement royal à Lisbonne. En février 1821 le Prince Pedro encouragea la garnison portugaise de Rio de Janeiro à se révolter et à exiger du Roi un régime constitutionnel43. On peut voir dans cet événement un parallèle à l’action du jeune Bonaparte en Vendémiaire an III. En avril 1821 on obligea le roi et la cour à retourner à Lisbonne. Pourtant, le roi laissa à Rio de Janeiro Don Pedro en qualité de prince régent du royaume du Brésil, et peu de temps avant son embarquement il dit à son fils aîné : « Pedro, si le Brésil fait sécession, que ce soit sous toi, qui certainement me respectera, plutôt que sous un de ces aventuriers »44. Et c’est ce qui se passa. Plutôt que de courir le risque que le régime révolutionnaire à Lisbonne détruise l’unité du Brésil et le ramène à la condition de colonies dans le nouveau monde, les classes dirigeantes au Brésil, de la fin 1821 aux derniers mois de 1822, arrivèrent à accepter l’indépendance du pays en tant qu’État-nation distinct comme la seule solution viable45. Pourtant, la question demeurait : quel type d’État-nation ?
27Dans les discussions à ce sujet, souvent en termes voilés, on pouvait distinguer deux sources d’inspiration idéologique : la Constitution française de 1791 et le régime de Napoléon. Les partisans les plus engagés et les plus bruyants de l’indépendance brésilienne préféraient la République, mais ils ont dû reconnaître que, dans les circonstances qui régnaient au Brésil, la monarchie était le seul moyen de maintenir l’unité du pays et d’assurer un maximum d’appui populaire à la cause. Néanmoins, ils désiraient que le monarque soit subordonné à l’assemblée nationale, seul représentant du peuple. Le titre même d’Empereur impliquait, à leurs yeux, que la position du monarque était soumise à l’assentiment du peuple. Par contre, les éléments traditionnalistes en politique approuvaient le titre d’Empereur, parce qu’ils considéraient le modèle napoléonien comme le système qui convenait au Brésil, étant donné la vaste étendue de ses territoires et leur perception du monarque comme la seule source légitime d’autorité. Quand le Prince Pedro fit la proclamation officielle de l’indépendance du Brésil, le 1er octobre 1822, il se donna le titre d’« Empereur par la grâce de Dieu et l’acclamation unanime du Peuple »46.
28Après la proclamation, les radicaux essayèrent de forcer l’Empereur à renoncer à toute prétention de représenter la souveraineté du peuple, en exigeant que le nouveau titre dépende d’une acceptation préliminaire de la Constitution qui serait écrite par une future assemblée constituante. Ce plan fut mis en échec, les chefs du parti radical étant emprisonnés ou obligés de s’exiler. Lors du sacre du monarque, le 1er décembre 1822, les insignes et le cérémonial s’inspiraient de ceux employés à Notre-Dame le 2 décembre 180447. Le 5 mai 1825, les séances de l’Assemblée Constituante commencèrent et le conflit relatif à l’autorité du monarque reprit. Une majorité des députés soutenaient un projet qui déclarait que les lois adoptées par l’Assemblée « seraient promulguées sans sanction préalable »48, déniant ainsi à l’Empereur la qualité d’émanation de la souveraineté du peuple. L’opinion contraire fut exprimée par un député qui avait longtemps été un fonctionnaire supérieur : « Le fondement du gouvernement constitutionnel, représentatif et monarchique est que le chef de la nation joue dans le corps législatif un rôle tel que les lois adoptées ne peuvent pas être promulguées et exécutées sans la sanction du monarque »49.
29L’orateur exposa alors le concept d’ordre politique que Sièyes avait élaboré sous le Directoire et que Benjamin Constant avait inclus dans l’Acte Additionnel de 1815 :
Le monarque constitutionnel, en plus d’être le chef du pouvoir exécutif, … est la première autorité de surveillance, gardien de nos droits et de la Constitution. Cette autorité suprême qui rend sa personne sainte et inviolable et que les théoriciens les plus sages de notre époque ont considérée comme un pouvoir souverain distinct du pouvoir exécutif en raison de sa nature, de son intention et de son caractère – cette autorité, nommée par certains le Pouvoir neutre ou modérateur, … est indispensable aux gouvernements représentatifs.
30Ce raisonnement n’a pas convaincu les députés qui ont décidé de faire passer le projet régularisant le passage des lois. Néanmoins, ce débat n’a pas résolu la question, et il fut l’occasion d’un choc entre l’assemblée et le monarque. L’esprit traditionnaliste de l’entourage de l’Empereur augmentait encore la méfiance et le ressentiment de ce dernier. De plus, les députés attiraient le courroux des officiers de la garnison de Rio de Janeiro. Le 11 novembre 1823, l’Empereur ordonna aux troupes de dissoudre l’Assemblée, coup d’État semblable à celui du 18 Brumaire. Bien que Don Pedro Ier ait promis immédiatement l’élection d’une nouvelle Assemblée Constituante, la dissolution l’a mis dans l’impossibilité d’agir de telle façon. L’Empereur établit un Conseil d’État, manifestement calqué sur le Conseil d’État napoléonien, et le chargea de rédiger une constitution. Le Conseil d’État, composé de traditionnalistes (y compris le député cité ci-dessus), prépara une charte que l’Empereur octroya le 15 mars 1824. Dans l’article 10, on lit : « Quatre pouvoirs politiques sont reconnus par la constitution : le pouvoir législatif, le pouvoir modérateur, le pouvoir exécutif, et le pouvoir judiciaire ». L’article 98 déclare que le pouvoir modérateur est « la clef de toute l’organisation politique » et le « délègue à l’Empereur, chef suprême de la nation et son premier représentant, afin qu’il puisse surveiller constamment l’indépendance, l’équilibre et l’harmonie des autres pouvoirs politiques ». Dans son emploi du pouvoir modérateur l’Empereur n’est tenu de rendre compte à personne. Il est « inviolable et sacré »50.
31Il est très clair que la constitution brésilienne de 1824 doit beaucoup à l’Acte Additionnel de 1815. Pendant les Cent-Jours, le nouveau rôle de Napoléon en tant que monarque constitutionnel n’a jamais été mis à l’épreuve. Après Waterloo, l’Empereur envisagea de dissoudre le Corps Législatif mais il ne le fit pas. L’expérience de Don Pedro Ier pendant le reste de son règne jusqu’à son abdication le 7 avril 1831, suggère que Napoléon, s’il avait continué à être Empereur en 1815, aurait probablement trouvé que le plan constitutionnel de Benjamin Constant comportait trop d’obstacles et de contraintes. Il est certain que Don Pedro Ier n’avait pas la capacité administrative, la finesse en politique et la ténacité que possédait Napoléon. Toutefois, Napoléon aurait sûrement fait face aux mêmes difficultés que Don Pedro Ier en ce qui concerne sa prérogative de choisir librement n’importe qui comme ministre et en ce qui concerne la responsabilité des ministres envers le Corps Législatif. Don Pedro Ier a abdiqué le 7 avril 1831 plutôt que de compromettre ses droits à ce sujet51. Par contre, son fils, Don Pedro II, possédait les qualités précises pour faire fonctionner efficacement la constitution de 1824 tout en gardant le plein contrôle du système politique durant presque un demi-siècle.
32On peut voir dans le rapport entre Napoléon et l’indépendance du Brésil des effets à la fois directs et indirects. La nécessité de maintenir son régime et ses réalisations, combinée à son ambition sans bornes a poussé Napoléon à envahir le Portugal en 1807. Le gouvernement royal, au lieu de se soumettre, s’est replié sur ses colonies du nouveau monde. Ce repli sur Rio de Janeiro a mis fin au système colonial et a fait avancer l’unité du Brésil, une unité qui devint un fait en décembre 1815. L’incapacité du gouvernement portugais de créer un nouveau système administratif et politique au Brésil à la mesure de sa nouvelle situation a eu pour résultat que les gens prirent le système napoléonien comme modèle et source d’inspiration. La deuxième chute de Napoléon en 1815 a miné la prospérité économique et la conjoncture politique qui rendaient viable le statu quo existant depuis 1808. L’Acte Additionnel et les années d’exil à Saint-Hélène ont changé la réputation de Napoléon, faisant de lui une source d’inspiration pour ceux qui désiraient une monarchie constitutionnelle. Quand on considère le cours des événements dans le monde portugais qui entraîna l’indépendance du Brésil, on peut bien comprendre que les leaders du nouvel État-nation aient choisi le système napoléonien comme modèle pour le Brésil.
Notes de bas de page
1 Voir la discussion de la question, probablement la première, dans Roderick J. Barman, Brazil : The Forging of a Nation, 1798-1852, Stanford CA, Stanford University Press, 1988, pp. 5, 114, 134, 139 – 40.
2 Barman, Brazil, pp. 9–41.
3 Barman, Brazil, pp. 26 – 28.
4 Denis Woronoff, La République bourgeoise : de Thermidor à Brumaire, 1794-1799, Paris, Éditions du Seuil, 2004 ; Jean Tulard, Napoléon : le mythe du sauveur, Nouv. éd. Paris, Fayard, 1986 ; et Isser Woloch, Napoleon and His Collaborators : the Making of a Dictatorship, New York, W. W. Norton, 2001, pp.4–18.
5 Nicole Gotteri, Napoléon et le Portugal, Paris, Bernard Giovanangeli, 2004, pp. 59 – 81 ; et Alexander Grab, Napoleon and the Transformation of Europe, Houndsmill, Basingstoke, Palgrave, 2003, pp. 145–46.
6 Nicole Gotteri, à la p. 125 par exemple, remarque que « le royaume n’avait de relations véritables et constantes qu’avec les Anglais », mais une telle opinion ne rend pas justice à la situation.
7 Cité dans Gotteri, Napoléon, p. 120.
8 Goterri, Napoléon, pp. 137–38 ; et Grab, Napoleon, pp. 146–47.
9 Gotteri, Napoléon, pp. 153–67.
10 Barman, Brazil, pp.42 – 64.
11 Antonio Luiz de Brito Aragão e Vasconcelos, « Memorias sobre o establecimento do Imperio do Brazil, ou Novo Imperio Lusitano », Annaes da Biblioteca Nacional,43/44, 1920-1921, p. 7.
12 Dénonciation de Francisco de Paula Cavalcante faite par José da Fonseca da Silva e Sampaio, marchand né au Portugal, dans la Biblioteca Nacional do Río de Janeiro, Documentos históricos, vol. 110 : Devassa de 1801, Río de Janeiro, Biblioteca Nacional, 1955, pp. 19 – 20.
13 Gotteri. Napoléon, pp. 187 – 92.
14 Louis Bergeron, L’Épisode napoléonien. Aspects intérieurs 1799-1815, Paris, Éditions du Seuil, pp. 11 – 64, Isser Woloch, The New Regime : Transformations of the French Civic Order, 1789-1820, New York, W. W. Norton, 1994.
15 Bergeron. L’Épisode, pp. 23–30.
16 Voir le chapitre relatif à cette campagne dans Maria Beatriz Nizza da Silva, Cultura e sociedade no Rio de Janeiro (1808-1821), São Paulo, Companhia Editora Nacional, 1977.
17 Barman, Brazil, pp. 50 – 53.
18 Le fils de José Antônio Soares de Sousa était Paulino José Soares de Sousa, vicomte d’Uruguai, éminent ministre des affaires étrangères au Brésil, José Antônio Soares de Souza, A vida do visconde do Uruguay (1807-1866) (Paulino José Soares de Souza), São Paulo, Companhia Editora Nacional, 1944, pp. 9 – 11.
19 Paul Filleul, Le duc de Montmorency-Luxembourg Premier baron chrétien de France Fondateur du Grand Orient : Sa Vie et ses Archives, Paris, Labergerie, 1939.
20 En 1817 après la révolte du nord-est, toute personne de nationalité française devait se faire inscrire à la police, chacun donnant des informations relatives à son occupation, son lieu de naissance, son port d’embarquement, et sa date d’arrivée ; Os franceses residentes no Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Arquivo Nacional, 1960.
21 Luís Joaquim dos Santos Marrocos à son père, Rio, le 10 avril 1815 dans Luiz Joaquim dos Santos Marrocos, « Cartas de Luiz Joaquim dos Santos Marrocos », Annaes da Biblioteca Nacional, vol. 56, 1939, p. 444.
22 Voir le commentaire d’Otávio Tarquinio de Sousa dans « O segredo da francesa », História dos fundadores do Império do Brasil, Rio, José Olympio, 1957, tome IX : Fatos e pesonagens en tôrno de um regime, pp. 183–184 Un libraire, Pierre Plancher, est arrivé au Brésil en 1824 et y a fondé le Jornal do Commercio en 1826, selon Felix Pacheco, Un Français-Brésilien, Rio, Jornal do Commercio, 1924.
23 Sousa. História dos Fundadores, tom. III : A vida de D. Pedro I, pp.496–497 ; et l’article sur Wikipedia, « Dirk Hogendorp » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Dirk_Hogendorp) consulté le 6 avril 2008.
24 L’histoire de l’expédition de Lapatie écrite par Alberà Rangel, Transanteontem (episódios e relatos históricos), São Paulo, Livraria Martins Editora, 1943, pp. 146 – 151, est embrouillée et contradictoire quant aux dates et événements, mais elle se base sur de nombreuses sources tirées des archives.
25 Le duc de Luxembourg aux ministres des affaires étrangères, Rio, 18 juillet 1816, dans Rangel, Transanteontem, pp. 140 – 141.
26 Barman, Brazil, p. 53.
27 Luís Joaquim dos Santos Marrocos à son père, Rio, February 22, 1814 ; voir « Cartas de Marrocos », p. 185.
28 Sur l’Acte Additionnel, voir l’analyse bien longue dans Dominique de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Paris, Perrin, 2001, pp. 271–308. L’auteur souligne le manque de popularité de la réforme constitutionnelle.
29 Affonso d’Escragnolle Taunay, A missão artistica de 1816, Rio, 1956.
30 Claudine Lebrun Jouve, Nicolas-Antoine Taunay (1755-1830), Paris, Arthena, 2003, p. 87 : « Lors de la séance d’assemblée officielle de l’Institut du 28 octobre 1815, en présence de la cour et de Wellington, Lebreton reprocha ouvertement à l’Angleterre le vol de statues du Parthénon alors qu’elle était en train de forcer la France à rendre ses prises de guerre ».
31 Voir l’article dans la Gazeta do Rio de Janeiro, le 6 avril 1816, reproduit dans les « Cartas de Marrocos », p. 289.
32 L’envoyé français au ministre des affaires étrangères, Rio, 25 avril 1816, cité dans Manuel de Oliveira Lima, Dom João VI no Brasil, 1808-1821. 2e éd., Rio, José Olympio, 1945, tome I, pp. 264 – 265.
33 Taunay, A missão, pp. 162 – 163, 172 – 175, 240 – 241.
34 Sur Nicolas-Antoine Taunay, voir dans ce volume le chapitre 14, Lilia Schwarz, « La Mission Française de 1816 : un art académique et napoléonien sous les tropiques brésiliens » ; Lebrun Jouve, Taunay ; et sur Jean-Baptiste Debret, Rodrigo Naves, « Debret, o Neoclassismo e a escravidão », pp.41 – 129 dans Naves, A forma difícil : ensaios sobre a arte brasileira, São Paulo, Editora ática, 1996, et Castro Maya Colecionador de Debret, Rio, Capivara, 2003.
35 Roderick J. Barman, Citizen Emperor : Pedro II and the Making of Brazil (1825-1889), Stanford CA, Stanford University Press, 1998, p. 52.
36 N. M. Rothschild & Sons, Archive (Londres), Boîte 215A, Samuel Phillips & Co à N. M. Rothschild, Rio, et 19 juillet 1815, et Samuel & Phillips à N. M. Rothschild, Rio, le 31 juillet 1820.
37 Carlos Guilherme Mota, Nordeste 1817 ; estruturas e argumentos, São Paulo, Perspectiva, 1972, p. xii.
38 Barman, Brazil, pp. 56 – 57.
39 Comte de Barca au roi João VI, Bom Retiro, 16 Avril 1817, dans Angelo Pereira, D. João VI principe e rei, Lisbon, Empresa Nacional de Publicidade, 1956, III, A independência do Brasil, p. 254.
40 Clive Emsley, Napoleon : Conquest, Reform and Reorganisation, Harlow Eng., Pearson/Longman, 2003, p. 78.
41 Sousa. História dos Fundadores, tom. II : A vida de D. Pedro I, p. 22.
42 Sousa. História dos Fundadores, tom. II : A vida de D. Pedro I, pp. 132 – 133.
43 Barman, Brazil, pp. 65 – 70.
44 Barman, Brazil, p. 72.
45 Barman, Brazil, pp. 80 – 83.
46 Barman, Brazil, p. 100.
47 Barman, Brazil, p. 101.
48 Séance du 12 juin 1823 dans le Diario da Assemblêa Geral Constituente e Legislativa do Imperio do Brasil, Rio, 1823 tome I, p. 210.
49 Discours de Joaquim José Carneiro de Campos, futur marquis de Caravelas, séance du 26 juin 1823, Diario, tome I, pp. 299–300.
50 Barman, Brazil, pp. 117, 123–125.
51 Barman, Brazil, pp. 150 – 159.
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