Chapitre VII. Relations pacifiques et conflictuelles : diversité des regards
p. 383-415
Texte intégral
1Les contours distincts que l’on trace souvent entre les deux positions, endogènes et exogènes, aux arènes scientifiques africaines, paraissent beaucoup moins précis lorsque l’on se penche plus en détail sur l’ensemble des productions de l’une d’entre elles – en l’occurrence, l’historiographie du Niger. Quand ils évoquent les relations contractées entre les peuples de l’espace nigérien (et non plus seulement entre nomades et sédentaires) au cours des siècles passés, les historiens nigériens ne s’expriment pas d’une seule voix.
2Deux écoles se dessinent. Deux types de discours, de représentations et d’analyses semblent délimiter une dualité de tendances, deux sensibilités distinctes, lorsqu’il s’agit d’apprécier l’importance des conflits et des échanges pacifiques en tant que grilles de lecture des changements et des permanences de l’histoire du Soudan Central et du continent africain en général.
3Il est permis, à la lumière des considérations que les chercheurs ont développées au niveau de leurs mémoires de thèse et de maîtrise, de distinguer un front intérieur, ou plutôt une ligne de partage entre deux niveaux de sensibilité différents. Les spécialistes de l’ouest – approximativement de l’aire songhay-zarma – paraissent adopter un regard sensiblement différent de celui qu’appliquent les historiens du centre et de l’est du pays, c’est-à-dire l’espace englobant les aires touarègues de l’Aïr et hausaphones.
1. Les spécialistes de l’est et du centre : un engagement clair en faveur de la thématique relationnelle
4Pour ces derniers, les processus de rapprochement dans la longue durée – relations économiques et culturelles, dynamiques de métissage… – l’emportent, quelles que soient les périodes et les territoires considérés. Pour Djibo Hamani par exemple, la prédominance des relations militaires entre les espaces et les entités politiques nigériennes, en particulier lorsqu’il s’agit d’appréhender les rapports entretenus entre le sultanat d’Agadez et les cités-État hausa à partir du XVIe siècle, doit moins à une réalité historique qu’au corpus des sources disponibles. Celui-ci serait de refléter la structure d’ensemble sur la longue durée, acquise selon lui à une structure longue, privilégiant l’affermissement de liens pacifiques, basés sur la complémentarité des modes de vie et des intérêts entre l’Ayar et les pays hausaphones du sud nigérien. L’auteur systématise son interprétation à l’ensemble de l’espace nigérien. Selon lui en effet, si l’on cède à une pratique des sources disponibles altérée par l’absence d’une juste évaluation des potentialités réelles qu’elles offrent pour l’histoire, on aurait alors tendance à privilégier les rapports de compétition armée, passant ainsi à côté de l’essentiel1.
5Le tableau ci-dessous recense les travaux qui défendent de façon directe cette thématique relationnelle. On constate que leurs auteurs sont tous des spécialistes des espaces situés à l’est de la zone zarma-songhay : Ayar, espaces hausaphones et kanuriphones du centre et de l’est du Niger. Il s’agit d’un axe d’étude qui semble prendre une ampleur croissante à partir de la dernière décennie : il faut attendre une dizaine d’années après la publication de l’article de Spittler et de la thèse d’État de Djibo Hamani pour que de nouveaux écrits, directement liés à la polémique déclenchée par les revendications nationalistes de la rébellion touarègue, pour assister à une ré-activation du sujet. A partir des années 80, une nouvelle étape est franchie avec l’ouverture d’un nouveau chantier, l’étude des relations entre les deux principaux groupes ethniques du pays, Hausa et Songhay-Zarma. L’un des mémoires de maîtrise les plus récents pilotés par Djibo Hamani est consacré aux relations entre nomades touaregs et agriculteurs songhay au niveau d’une région proche du fleuve Niger. Cette étude propose une lecture différente de ces relations : elle participe à la contestation des discours conflictuels et des représentations plutôt négatives de ces relations que la plupart des historiens spécialistes de l’ouest nigérien ont eu tendance à véhiculer dans leurs analyses.
Année | Type de la publication | Auteur | Sujet général |
1984 | Article paru dans Mu Kara Sane | Gerd Spittler | Les relations entre nomades Kel Ewey et populations hausa (centre du Niger) |
1985 | Thèse d’État | D. Hamani | Le sultanat touareg de l’Ayar |
1994 | Article | D. Hamani | « Une gigantesque falsification de l’histoire » (réponse au programme-cadre de la rébellion touarègue) |
1994 | Article | Maïkoréma Zakari | « Un travestissement de l’histoire pour les besoins de la cause » (réponse au programme-cadre de la rébellion touarègue) |
1996 | Thèse (Ph.D.) | Malam Issa | Le Damergu au XIXe siècle |
1999 | Actes du colloque | M.Addo | Les relations entre les mondes Hausa et Songhay |
2002 | Article (Mu Kara Sane) | M. Addo | Relations entre les mondes Hausa et Songhay |
2002-2003 | Mémoire de maîtrise (dir. D. Hamani) | Boubacar Seyni Gagara | Relations entre Touaregs et sédentaires sur un terroir de l’ouest nigérien (le Taghazar) |
a. L’article de Gerd Spittler
6L’un des premiers jalons importants de cette tendance historiographique mettant en avant les dynamiques pacifiques des relations entre peuples de l’espace nigérien repose sur l’article de Gerd Spittler. Il fait suite, selon les dires de l’auteur, à une série de conférences que ce spécialiste du monde touareg donna les mois précédents à l’université de Niamey, dans le cadre des cours d’histoire dont il avait la responsabilité. Sa problématique vise à démontrer les liens très étroits entre l’Ayar et le monde hausa au point d’avoir contribué à forger, au cours des âges, un ensemble homogène du point de vue culturel. Tout comme la seconde thèse de Djibo Hamani publiée un an après la parution de ce numéro de Mu Kara Sani, la démonstration s’attarde sur les articulations qui associent les deux aires. L’approche ainsi adoptée tente de conférer à ces rapports l’équilibre que les études précédentes semblent avoir ignoré au profit des seuls groupes Kel Ayar. Ces deux travaux imposent une grille de lecture par laquelle les éléments d’altérité entre les peuples en contact se trouvent gommés au profit de ce qui les fond dans un espace relationnel commun. À ce titre, confrontées l’une à l’autre, les deux contributions scientifiques mentionnées apparaissent fort complémentaires, bien qu’elles n’aient pas la même envergure. L’article de Spittler imprime sa marque au niveau de la sphère économique et culturelle. Étudiant les divers aspects de cette sphère d’échange, l’auteur s’efforce, libéré des cadres chronologiques, de montrer l’importance des échanges réciproques que des pratiques commerciales et pastorales régulières – commerce caravanier et transhumance notamment – permettaient de nouer entre ces groupes nomades et sédentaires amenés à vivre ensemble sur les mêmes terroirs, années après années, pendant de longues périodes. Les échanges commerciaux, étroitement complémentaires, induisent en effet la mise en partage d’habitudes alimentaires qui ont fini à rapprocher, dans ce domaine, les Kel Ewey des populations hausas et, inversement, de les distinguer des autres groupes Kel Ayar2. Le commerce du sel depuis les oasis du Nord-Est nigérien n’est donc pas le seul en cause : le mil et les tissus constituent autant de marchandises qui renforcent les liens et contribuent à homogénéiser les pratiques matérielles des deux éléments socioculturels en contact. Le séjour prolongé des pasteurs avec leurs troupeaux sur les terres des agriculteurs au sud du massif favorisa sans doute le renforcement des synergies. L’étude des effets culturels de la transhumance aurait été, d’après l’auteur, fortement négligée par les historiens comparativement aux études consacrées au commerce du sel. L’article souligne la forte implication écologique de cette transhumance, qui était adaptée aux variations annuelles des conditions naturelles en Aïr et en Hausa. Il souligne surtout ses fortes implications socio-économiques. Pendant leur long séjour en pays hausa, les Kel Ewey prenaient leur temps pour vendre le sel et acheter le mil dont ils avaient besoin, réalisant ainsi un profit maximum. D’autre part la civilisation sédentaire exerçait sur eux un très fort attrait Le marché aurait été le lieu de contacts culturels privilégiés, un moment d’intenses communications et d’échanges, de biens matériels mais aussi d’idées, d’habitus et de pratiques culturelles. Les pasteurs Kel Ewey vivaient ainsi en étroite symbiose avec les cultivateurs hausa : les chameaux engraissaient les champs, les paysans offraient l’espace de pâture, le repas et parfois le logis et le bois…
7On comprend facilement que, dans ces conditions, les relations politiques entre les Kel Ewey et le pays Hausa sont bonnes. Au XIXe, les Kel Ewey vivent en état de guerre surtout avec leurs voisins du Nord et de l’Est. Les Arabes du Fezzan, les Tubus du Tibesti, les Arabes Aulad Souleyman du Kanem, pillent fréquemment les caravanes des Kel Ewey et enlèvent des milliers de chameaux. Par contre, étant donné que les intérêts entre les Kel Ewey et Hausa sont complémentaires, il y a peu de guerres entre eux au XIXe siècle. La plupart du temps ils entretiennent des relations amicales3.
8Les liens matrimoniaux entre Kel Ewey et Hausas contribuent à renforcer les liens entre les deux communautés. Les mariages entre hommes Twaregs et esclaves hausas auraient contribué à renforcer les liens culturels entre les deux groupes : la femme esclave devenait automatiquement libre à partir de la naissance du premier enfant et celui-ci était un Twareg libre, sans restriction. La femme hausa vivait en pays Hausa. L’enfant apprenait la langue hausa dès son plus jeune âge. Seul ce groupe touareg semble avoir pratiqué de façon fort courante l’alliance matrimoniale avec des esclaves hausa. Pour l’auteur, l’explication est donnée par le système matrilinéaire et matrilocal des Kel Ewey : en se mariant avec une esclave, l’homme était sûr d’être le maître dans sa maison. Les Kel Ewey semblent avoir peu pratiqué le rezzou dans un but de se procurer des esclaves ; ils préféraient les acheter sur les marchés de Kano. Selon l’auteur, l’affranchissement des esclaves est plus répandu chez les Kel Ewey que chez les autres Touaregs. La raison serait à trouver dans la transhumance : ils étaient obligés de bien traiter leurs dépendants pour éviter les fuites lors du long séjour en pays hausa.
9Cet article de Gerd Spittler est fort représentatif des buts poursuivis par les études consacrées aux relations entre Kel Ayars et Hausa au fil des siècles. Dans celles-ci, répondant ainsi à la remarque déjà citée et formulée par Boubou Hama dans sa Recherche sur l’histoire des Touaregs sahariens et soudanais, les distinctions raciales susceptibles de former l’armature de relations de dominations en fonction de la couleur plus ou moins claire de la peau – y compris au sein du monde Touareg avec la distinction souvent relevée entre touaregs « blancs » et bellas « noirs » – se trouvent être progressivement atténuées par un métissage continu qui contribue à atténuer les barrières tout en individualisant les Kel Tamajakh nigériens des populations berbères d’Afrique saharienne et méditerranéenne. À partir de tels angles d’approche, visant à souligner la prégnance, au cours des âges pré-coloniaux, d’un axe relationnel Nord-Sud, l’espace nigérien prend forme, revêt une cohérence forte, en partie fondée sur l’entretien de liens continus et pacifiques entre peuples en présence. La mise en valeur des relations privilégiées entre le massif de l’Ayar et ses franges hausaphones méridionales en constitue l’armature essentielle.
b. L’important apport des recherches de D. Hamani
10Les travaux de Djibo Hamani, en particulier la thèse qu’il consacre à l’histoire de l’Ayar, constituent sans doute les pièces maîtresses, mais non fondatrices comme nous pensons l’avoir montré par l’analyse de la contribution du chercheur d’origine allemande, de cette tendance. Les études menées par ce spécialiste nigérien possèdent bien entendu une envergure plus ample par rapport à l’article de Spitller qui se focalise sur un groupe touareg bien précis et quelque-peu particulier par rapport aux autres fédérations qui évoluent au sein du massif. L’objectif poursuivi demeure cependant fort voisin : la démonstration s’efforce de mettre en évidence que l’émergence d’un ensemble politique original en Ayar avec la création du sultanat au XVIe siècle s’inscrit dans une dynamique d’ensemble qui favorise l’accélération des relations entre le massif et les cités-États situées au sud dont certaines voient leur puissance s’affirmer en même temps. Une évolution politique est l’œuvre au niveau de l’ensemble de cet espace centro-soudanien, et l’analyse ne peut l’isoler d’autres phénomènes qui donnent une cohérence à cette vaste aire. L’émergence et l’affirmation des puissances politiques touarègues et hausas le long d’un axe Agades-Kano seraient intimement liés à évolution économique significative : la maîtrise croissante des principales routes du commerce à longue et moyenne distance par les Touaregs et les pôles commerciaux du monde hausa. Ainsi s’affirme une aire de puissance au Soudan Central à partir du XVe siècle associant étroitement les deux civilisations, nomades et sédentaires. Cet espace d’intenses relations culturelles, politiques et économiques s’individualise et se renforce, par rapport aux entités occidentales (monde Songhay) et orientales (le Bornou) qui l’encadrent. Celles-ci subissent désormais sa concurrence4. Cette perception des relations étroites fondées entre populations du Nord et du Sud du Niger est reprise et systématisée par l’auteur, lorsqu’il s’efforça de démonter un à un les éléments de justifications liés à une perception de l’histoire des Touaregs publiés dans le programme-cadre de la rébellion.
11L’un des aspects essentiels de cette contre-attaque orchestrée par Djibo Hamani du point de vue historique concerne la prétendue individualité politique, économique et culturelle du massif et de ses habitants au cours des siècles passés. Cette altérité touarègue vis-à-vis des autres peuples du Niger fonderait une identité suffisamment forte qu’elle justifierait, aux yeux de la rébellion, l’autonomie des régions touarègues nigériennes, voire leur indépendance, vis-à-vis d’un pouvoir centralisé et accaparé par la majorité « noire ». L’axe-clé de l’argumentation que le professeur développe pour contester ce montage repose sur ses travaux de thèse et, semble-t-il, des recherches plus spécifiques comme celles de Spittler. Il s’agit de montrer l’inanité de cette vision d’une nation touarègue dégagée des cultures soudaniennes voisines en montrant l’ampleur des phénomènes relationnels, pacifiques et multiples, que les peuples de l’espace nigérien développèrent les uns par rapport aux autres avant la colonisation. À l’inverse de ce qu’affirme le programme-cadre, l’histoire précoloniale montrerait ainsi que les éléments identitaires touaregs ne peuvent être séparés d’un espace de civilisation couvrant au moins l’espace compris entre la boucle du Niger et les rives du Lac Tchad. L’individualité des Touaregs du Niger ne prendrait alors son sens que par rapport à l’histoire générale des peuples et des espaces sahéliens en général, nigériens en particulier.
12N’en déplaise aux nouveaux théoriciens d’un apartheid à la sauce sahélienne ou saharienne, l’histoire nous apprend que le monde touareg nigérien a de tout temps été intimement lié aux mondes bornuan, hausa, songhay, au point qu’on peut penser qu’il y avait véritablement un seul espace économique, culturel et religieux divisé en entités politiques quelquefois en conflit mais le plus souvent en relations pacifiques et fructueuses. La complémentarité des zones climatiques (Sahel Sud, Sahel Nord, Sahara) a obligé leurs habitants à établir des échanges (céréale, tissus, sel, natron, animaux). Après les Koyams, les Touaregs ont mis le Sahel Sud et le désert en relation, transportant les produits des uns chez les autres et se maintenant dans les zones arides grâce aux ressources procurées par ce trafic. La création du sultanat de l’Ayar elle-même ne s’explique que par les relations établies à la fin du XIVe entre les Touaregs Kel Ayar désireux de participer au commerce transsaharien sans passer par Tigidda et des Etats Hausas soucieux d’avoir accès à une route indépendante des pouvoirs bornouans et songhays. De même qu’on ne peut expliquer la relativement forte densité du peuplement de l’Ayar (par rapport aux zones comme l’Adghagh des Ifoghas ou le Tibesti) que par le trafic triangulaire Kawar-Ayar-Hausa qui permet aux Kel Aways de disposer de ressources importantes tirées de ces échanges.
13Ces liens d’intérêt ont engendré des liens culturels, des solidarités religieuses qui font d’Agades, de Tigidda, de Kulumfardo, de Katsina, Sokoto, Gao, Tombouctou ou Birni Gasargamo des références fondamentales pour toutes les ethnies de ce pays. Des fraternités solides unissent des taushits touaregs aux paysans hausas, zarmas ou kanuris5.
2. Les relations entre peuples « songhays » et « hausas » : un champ d’investigation novateur au niveau de l’« axiologie relationnelle ? »
a. Une thématique clairement posée par une production récente, à partir de nombreux précédents
14Le jalon le plus récent de cette axiologie relationnelle – et l’un des plus importants en termes de déploiement théorique en vue de consolider les positions ainsi défendues – se trouve au niveau de l’article récent que le professeur Addo Mahaman publia dans le dernier numéro de la revue de l’IRSH, Mu Kara Sani. Il aborde un thème présenté comme nouveau, celui des relations entre les mondes hausas et songhays à l’époque précoloniale. En effet, lorsqu’il s’est agi de traiter des relations entre peuples, espaces ou ensembles politiques, les problèmes spécifiques au Niger ont sans doute contribué à davantage focaliser l’attention des chercheurs en fonction d’un axe approximatif nord-sud des rapports entre nomades et sédentaires, au détriment d’une orientation est-ouest qui les aurait pourtant amenés à sonder les dynamiques relationnelles en action à la confluence des deux ethnies majoritaires du pays. Le champ d’investigation que l’article de Mahaman Addo propose d’ouvrir constitue sans doute un pas historiographique important dans le cadre du projet identitaire d’ensemble, fondé sur l’axiologie relationnelle. L’auteur la présente d’ailleurs comme une contribution novatrice, au niveau de la thématique qu’il aborde6 et ceci non sans raisons, puisqu’il s’agit de la première tentative de synthèse sur le sujet. Cependant, un certain nombre de travaux antérieurs recèle des passages relatifs aux phénomènes d’interaction et de contacts mettant en jeu les deux peuples concernés. Nous avons vu par exemple que les professeurs D. Hamani et B.Gado évoquaient le sujet lorsqu’ils abordent dans leurs thèses les problématiques du peuplement ancien, en particulier au niveau de l’Ayar. Les approches respectives des deux spécialistes diffèrent cependant sur certains points. Hamani cite un article que H. Lhote a consacré à la ville de Merendet, paru dans la revue Archéologia, pour authentifier la présence d’un ancien peuplement Hausa dans ce secteur7. Il ne mentionne cependant pas une présence songhay à Merendet, à la différence de B. Gado… celui-ci se réfère à Boubou Hama : « (…) de même que les groupes hausas de l’Aïr et de Maranda englobaient encore des éléments songhays à en croire la survivance de traces matérielles et de parlers Songhay à In Gall (…) et les traditions songhays que nous rapporte B. Hama »8.
15Alors que B. Gado fait un usage abondant des travaux de Boubou Hama, Hamani ne le cite jamais, ni en note, ni en bibliographie… Hamani n’évoque pas les rapports lointains entre ces deux peuples… il est intéressant de constater que B. Gado se réfère à Djibo Hamani – qu’il complète avec Boubou Hama – pour étayer sa théorie :
Ce bref aperçu des sources nous montre donc que dès le IXe siècle, les populations haoussas occupaient au moins l’Est de l’axe Aïr-Adar-Dallol Maouri en contact avec les populations sonraïs qui avaient déjà fondé leur capitale à Kukya ou même Gao et dont le royaume naissant comprenait peut être quelques sous-groupes Haoussas de même que les groupes Haoussas de l’Aïr et de Maranda englobaient encore des éléments sonraïs ou encore la survivance de trace matérielles et de parlers sonraïs à Ingal (…) et les traditions Sonraïs que nous rapporte Boubou Hama sur la présence de Sonraï Zarma dans l’Abzin de Gobirawa. D’ailleurs, nous pensons aussi que les Sonraï et les Haoussa avaient déjà dû connaître dans leur zone septentrionale des échanges réciproques qui se sont poursuivis plus au Sud.9
16Au-delà des précautions sémantiques utilisées, les positions des deux historiens nigériens se rejoignent. L’enjeu, chez Hamani, ne se situe pas au niveau des relations Songhay-hausas. Il les lie à l’origine septentrionale de tous les peuples noirs soudaniens, qui auraient cohabité ensemble au niveau de l’Aïr, avec les peuples blancs venus du Nord du Sahara : il se positionne ainsi sur un terrain plus général. La démonstration vise dans les deux cas à croiser deux théories :
- l’origine septentrionale des peuples noirs des contrées sahéliennes actuelles (Haoussa Songhaï),
- les échanges entre ces deux peuples qui d’ailleurs auraient partagé la même odyssée migratoire, depuis les confins septentrionaux du Sahara nigérien.
17Au niveau de cette thématique relationnelle particulière entre mondes hausa et zarma/songhay, la ligne de partage entre historiens de l’est et de l’ouest du pays est beaucoup moins consistante. Cela est sans doute dû au fait que les jeux d’interactions envisagés entre ces deux peuples apparaissent beaucoup moins sensibles que ceux mettant en jeu les dynamiques de congruence entre « nomades » et « sédentaires ». Maham Addo fait référence à certains passages de la thèse de Boubé Gado qui font état de l’ancienneté des relations entre populations sonraï et hausa. L’auteur du Zarmatarey use de considérations relatives à l’histoire ancienne du peuplement et des migrations :
18D’autre part, l’influence nigériane apparaît prépondérante, et le sujet semble avoir été approché par maintes études liées aux pôles universitaires du puissant voisin. Mahaman Addo se sert des nombreuses contributions scientifiques nigérianes pour étayer sa démonstration : nombre d’entre elles se sont penchées sur le sujet des rapports entre le monde hausa et les espaces voisins. On retrouve ainsi cette forte influence des pôles de recherche nigérians. Ils représentent, pour cette vaste question des échanges et des phénomènes divers qu’ils induisent, d’importantes sources d’inspiration en terme de problématique et de travaux de référence, en particulier pour les historiens nigériens qui consacrent une part essentielle de leurs efforts de recherche pour les aires centre et est du pays – celles qui appartiennent à l’aire de civilisation hausa ou qui lui sont très fortement liées10.
b. La mise en avant d’un axe est-ouest d’échanges pacifiques
19L’article récent de M. Addo vise, en conformité avec le postulat qu’il rappelle d’ailleurs de façon très claire, à montrer que les relations entre les deux mondes furent structurées par des processus pacifiques d’échanges, moins que par des situations d’affrontements et de compétition.
Les conflits entre le monde Hausa et Songhay n’ont été que ponctuels et très circonstanciels. Ils n’ont jamais été à la base des relations entre les deux peuples. Ces relations se sont étalées sur la longue durée. Elles ont commencé longtemps avant le règne d’Askia Muhammad (1493-1528) et se sont poursuivies jusqu’à nos jours. Leurs bases essentielles demeurent les échanges économiques et culturels et non les conflits, la conquête et la domination.11
20La teneur de nombreux textes, ainsi que certains indices, paraissent entériner le fait qu’une véritable réflexion commune (sinon une sorte d’école) se forme autour de cet axe d’analyse privilégié. La première version de la contribution, celle retenue pour les actes du colloque de 1999, nous apprend que l’entreprise a été vivement encouragée par Malam Issa, Mahaman Alio et Djibo Hamani : tous trois, avec l’auteur de l’article, forment l’essentiel du groupe d’historiens spécialistes du monde hausa et Touareg nigérien. Les remerciements montrent que des discussions informelles ont eu lieu entre eux, signe d’un projet collectif structuré par des problématiques et une épistémologie communes. L’auteur, afin de consolider sa théorie, doit en effet s’efforcer de démonter des hypothèses contraires, qui pourtant semblent avoir dominé depuis l’époque coloniale jusqu’à la rédaction de cet article. La batterie de critiques qu’il met en œuvre s’aligne contre un front d’historiens « de l’ouest », en particulier Boubou Hama et Mme Konare, à qui il reproche notamment d’avoir trop utilisé des sources peu fiables, notamment Urvoy et Léon l’Africain. Les deux pommes de discordes qui motivent l’attaque concernent deux aspects essentiels des relations hausa-songhay : le rôle des marchands-marabouts wangarawas d’une part et l’éventualité de la domination du Songhay sur les États hausas à l’époque des Askias. Les objections à l’encontre des auteurs visés se situent au niveau des sources. Léon l’Africain n’aurait eu qu’une vision très imparfaite de la situation, n’étant jamais allé lui-même jusqu’aux pays hausa qu’il évoque. Boubou Hama est vite escamoté : on ne pourrait lui faire confiance en raison de son manque de rigueur au niveau des références qu’il utilise. Mme Konaré, quant à elle, aurait trop fait confiance aux auteurs précédents sur lesquels elle se serait appuyée pour sa propre démonstration12. Des trois auteurs, c’est Urvoy qui fait l’objet d’un traitement approfondi. Sa théorie semble la plus solide car elle ne fait pas appel à des sources anciennes, mais à un élément qui émane des milieux hausas eux-mêmes. La contestation de la position défendue dans l’ouvrage de 1936 utilise une argumentation solide, basée sur la critique des sources disponibles. L’auteur commence d’abord par remarquer qu’Urvoy ne cite pas sa source. Addo Mahamane l’identifie, avant de la soumettre à une analyse critique serrée :
Selon H. Lhote, « les sources songhays ne mentionnent pas que le Katsena fut vassal de l’empire de Gao » (1956) même s’il semble que les sources hausas témoignent de cette vassalité selon Urvoy. Alors qu’Urvoy ne donne aucune précision sur ces traditions hausas. C’est ‘Abd al-Qadir b. al-Mustafa (décédé en 1864) qui affirme : « Le pouvoir du Songhay était celui d’Askia, qui conquit tout le Haut-Soudan, non compris le Borno et une partie du Moyen-Soudan et la moitié du Bas-Soudan. Son pouvoir fut plus grand à l’ouest : au nord, il conquit tout l’Ahir ; et envoya des expéditions dans toutes les villes. Les dirigeants actuels de l’Ahir sont des descendants de ses esclaves qui s’y installèrent ». Ce témoignage pourrait être lu dans le contexte du jihad. En effet, ce témoin peut être considéré comme celui d’un « descendant » des populations venues de l’ouest des États Hausa, à qui tout prestige du Soudan occidental, la région d’origine de ses ancêtres, peut politiquement profiter.13
21La critique s’inscrit dans le processus naturel d’évolution des connaissances auquel le capitaine n’avait pas accès à son époque. Elle témoigne en effet du progrès accompli au niveau de certaines catégories d’événements tel le jihad, ainsi que d’une heuristique plus élaborée au niveau des sources disponibles : une analyse interne apparaît désormais possible, afin de déterminer la position du sujet vis-à-vis du discours qu’il défend. La rigueur érudite tranche avec l’amateurisme de l’époque coloniale. Il ne nous appartient pas de discuter de la validité de l’argumentaire défini par l’auteur : un travail d’érudition absolument hors de notre portée s’imposerait pour mener à bien une telle entreprise. Il faudrait sonder le vaste ensemble des ressources documentaires nigérianes… Notons cependant que le flou que l’auteur souligne quant à l’absence d’identification des sources de la part d’Urvoy ne lève pas totalement son hypothèse : elle en ajoute simplement une autre (M. Addo utilise d’ailleurs la tournure conditionnelle pour exposer sa propre interprétation) qui ne rend pas la précédente définitivement caduque. L’identification précise de la source cachée montre en définitive la légitimité du savoir construit par le précurseur, puisque il est relativement aisé de cerner les matériaux qu’il utilisa en son temps. Il y a bien une forte hiérarchisation des jugements de valeur qui départage les trois auteurs mis en cause : Boubou Hama et Madame Konaré ne bénéficient pas d’un traitement aussi attentif et « scientifique » que leur lointain prédécesseur…
22Un autre passage de l’Histoire des populations du Soudan central est utilisé pour montrer l’ancienneté des relations entre Hausa et Songhay. Il s’agit d’une appellation des deux rives du Niger, rives Gurma et Hausa qui désignent respectivement les rives droite et gauche du fleuve.
Les Azna de la région de Konni ont la tradition ferme que leur race allait autrefois jusqu’au Niger à l’ouest. En outre, une expression géographique est éloquente. De Tombouctou à Tillabéry, sur toute la partie du fleuve occupée par les Sonraï, la rive droite s’appelle le Gourma, la rive gauche le Haoussa. Ces termes datent certainement d’un temps où les Sonraï habitant le fleuve étaient encadrés par ces deux peuples. Mais en aval de Boumba, les Gourmas disparaissent, ce qui ramène au tronçon Tillabéry-Say, dont les îles furent occupées de toujours par les Sorkos (Sonraïs pêcheurs). Cette appellation des deux rives, née au berceau de leur race, ils la transportèrent avec eux du VIIe au XIIe siècle, dans leur lente remontée du fleuve.14
23Le capitaine semble être le premier à relever une telle appellation. Il l’utilise pour retracer un bref historique de l’histoire du peuplement de la zone fluviale et contester l’opinion de M. Delafosse qui place l’origine des Songhay au Kebbi. Pour Urvoy, le berceau de ce peuple se situe entre Tillabéry et Say15, zone à partir de laquelle ils auraient essaimé vers le nord et l’est en provoquant un départ progressif des groupes hausas anciennement implantés le long de la rive gauche. Boubé Gado l’utilise au niveau de sa thèse afin de renforcer son hypothèse, sans toutefois lui accorder une attention aussi importante qu’aux relations qui se seraient tissées au niveau de l’Aïr. Zoumari Issa Seyni l’utilise à son tour et reprend à son compte la thèse développée par l’officier colonial. Mahamane Addo la reprend à son tour de façon logique pour sa démonstration : elle prouverait selon lui l’ancienneté des relations entre les deux « ethnies » qui auraient ainsi, en des temps très lointains, cohabité le long du fleuve. Urvoy fournit ainsi un précieux apport à une thématique qui, au demeurant, était totalement étrangère à la vision générale de l’histoire du Niger précolonial développée dans son œuvre16.
c. Des enjeux multiples, liés à la nouvelle thématique
24Tentons à présent un bref récapitulatif des objectifs généraux que permet de poursuivre la mise en valeur de ces choix interprétatifs.
25L’un s’inscrit dans une pente naturelle de l’historiographie africaine postoloniale : il serre de près son programme qui doit assurer, selon les propres termes de Djibo Hamani, une réappropriation définitive de l’histoire par les historiens africains. Cela implique de contester la perception d’une prédominance des divisions et des relations conflictuelles comme constante des rapports entre peuples et territoires africains au cours des âges. Ces idées, nées à l’époque coloniale, paraissent en effet avoir la vie dure. Elles se retrouvent ainsi reléguées dans ce vaste sac où l’on s’efforce, depuis les années 50 et 60, d’enfermer ces idées révolues et négatives, véritables « shiboleths » de l’imagerie sombre du continent noir qui serait, selon celles-ci, sorti de sa sauvagerie, de ses divisions et de son immobilisme ahistorique grâce au « viol » colonial…
26L’autre but est tout à la fois lié à l’ambitieuse fonction que les historiens entendent jouer au niveau de l’entreprise d’édification identitaire engagée dans le cadre de la nation nigérienne indépendante. Les difficultés croissantes auxquelles la société se heurte depuis les années70, la montée des réflexes particularistes qui contribuent à menacer une cohésion nationale très fragile dans un contexte socio-économique de plus en plus délicat posent à cet engagement historien des problèmes et des pistes de réflexion qui réactivent cette thématique relationnelle. La mise en avant des rapports séculaires d’échanges et d’apports culturels réciproques entre les mondes hausa et touareg, peut en effet être perçue comme un apport précieux des sciences sociales à la mise en œuvre de stratégies de régulation des conflits régionaux susceptibles de menacer la cohésion de la société nigérienne. De même, l’ouverture d’un nouveau champ d’investigation visant à mettre en relief les dynamiques de congruence entre peuples hausa et songhay pourraient constituer des recherches de solution par le récit historique à une certaine montée de réflexes « ethnicistes » qu’ont récemment contribué à cristalliser certains calculs de nature politique, notamment lors de récentes périodes d’élection.
27Cependant, on peut également interpréter certains aspects de la démonstration de Mahaman Addo, en particulier les passages critiques vis-à-vis de la théorie défendue par Mme Konaré et Boubou Hama. L’objectif poursuivi serait alors tout autant de réhabiliter un passé en privilégiant un angle d’attaque hausa que d’ouvrir un axe relationnel nouveau susceptible de compléter et de renforcer l’attribution identitaire du territoire national. La tâche que l’historien s’efforce alors d’accomplir s’inscrit dans les cadres d’un révisionnisme historique à l’encontre de théories que l’on identifie de façon implicite à un dispositif rhétorique qui aurait, à dessein ou de manière confuse, survalorisé le rôle de l’élite marchande Sonraï. Le rééquilibrage au détriment de la prétendue suprématie wangarawa suit alors un objectif autant politique qu’historiographique, dans la mesure où il s’inscrit dans ces logiques d’instrumentalisation de l’histoire des élites à des fins politiques, afin de légitimer et de valoriser, au moyen de schéma identitaires régionaux ethniques et réducteurs, l’emprise sur tout ou partie du pouvoir du groupe auxquels ils sont censés appartenir.17 Cependant, la démarche de Mahaman Addo ne risque-t-elle pas de reprendre les mêmes schèmesque ceux qu’il s’efforce de combattre ? La mise à égalité des relations entre les deux espaces en contact à l’époque précoloniale, le Mali-Songhay et les États hausas, la valorisation des contacts pacifiques basés sur une dynamique de réciprocité qui se nouèrent entre eux et non pas des contacts guerriers présentés comme nécessairement ponctuels, ne retournent-elles pas en effet les tentatives idéologiques de légitimer l’hégémon d’un groupe au détriment d’un autre. L’axiologie relationnelle pourrait dans ce cas représenter un outil de régulation au niveau de la production historique d’une certaine élite intellectuelle ciblée afin de prévenir l’impact de tels prédicats sur les dynamiques de crispations « ethniques » réductrices qu’ils contribuent à cristalliser. Elle peut également servir, dans ce cas spécifique des rapports entre les mondes inhérents aux deux ethnies majoritaires du pays, à réinvestir la fonctionnalité politique des discours historiques valorisants en fonction de logiques plus englobantes que celles des anciennes clientèles réduites à un groupe plus restreint et identifié à une seule entité « ethnique ».
3. L’historiographie de l’ouest nigérien : des approches moins engagées dans la voie relationnelle ?
a. L’importance des dynamiques d’affrontement
28Les études centrées sur l’ouest du pays recèlent souvent une dominance de représentations fort négatives à l’encontre des groupes touaregs, perçus la plupart du temps comme des éléments menaçant les équilibres essentiels des sociétés sédentaires qu’ils s’efforcent de dominer. Les logiques d’affrontement l’emportent. Il apparaît à ce titre fort significatif que ce soient des historiens dont les recherches se sont à un moment focalisées sur l’ouest nigérien, Idrissa Kimba et Mahamane Karimou, qui aient élaboré des appareils théoriques qui s’efforcent de démontrer l’importance du rôle exercé par les dialectiques successives d’affrontement au sein de la dynamique générale de l’histoire africaine.18 Avant eux, Boubou Hama semble avoir davantage retenu une lecture conflictuelle de l’histoire précoloniale, surtout lorsqu’elle concerne les rapports que tissèrent entre eux les ensembles politiques du Soudan précolonial.19 Ses considérations envers les relations que nouèrent les Touaregs et les populations sédentaires des abords du fleuve Niger apparaissent en continuité avec les observations que leur portaient les écrits de l’époque coloniale, ceux d’Y. Urvoy en particulier :
Yves Urvoy, dans son Histoire des populations du Soudan Central, relève une des causes de la faiblesse des sociétés noires devant la pression des Touaregs : la division qui a fait qu’au cours des XVIIIe et XIXe, les Songhays de Téra, ceux de la rive droite en général, ne parvenant pas à s’unir, s’opposèrent par des guerres atroces fratricides où leurs principautés, pour un succès momentané, en appelèrent les unes après les autres aux Touaregs qui s’infiltrèrent dans leurs querelles intestines et les dominèrent toutes.20
29Ce jugement de valeur plutôt négatif porté sur les stratégies à l’œuvre par les groupes Touaregs en contact avec les populations sédentaires Zarma-songhay vivant à proximité du fleuve se retrouvent dans la plupart des publications ultérieures qui traitent du Niger occidental, dont les auteurs semblent pour la plupart appartenir, par leurs origines familiales, aux milieux « sédentaires » de ces contrées. Ainsi, à l’exception d’un mémoire de maîtrise récent, la perception de ces rapports entre les nomades Touaregs et les populations d’agriculteurs de l’ouest nigérien semble avoir peu varié depuis les premiers rapports coloniaux. Les travaux de Boubé Gado et d’Idrissa Kimba, évoquent, comme nous l’avons vu dans un chapitre précédent en deuxième partie de notre étude, les dynamiques sociales à l’œuvre sous l’effet de la situation d’insécurité et d’affrontements endémiques que connaît l’espace le Niger occidental à partir de la fin du XVIIIe siècle. Dans une récente contribution, Mahamane Karimou, auteur par ailleurs d’une thèse consacrée aux Mawri zarmaphones, reprend cette dynamique sociale majeure fondée sur un durcissement des relations d’affrontement pour en faire l’une des caractéristiques essentielles de l’histoire de l’ouest africain à partir du XVIe siècle.21
30Au niveau de leurs thèses, les analyses en question confrontent les populations fixées de longue date à deux groupes d’éleveurs « nomades22», les Touaregs et les Peuls, dont l’arrivée dans ces contrées s’effectue, selon des modalités diverses, bien après la fixation et la prise de possession des terroirs concernés par les populations de pêcheurs et d’agriculteurs sédentaires de la région. L’analyse des incidences politiques, sociales, économiques et culturelles des conflits qui résultèrent de ces contacts est envisagée à partir de l’optique sédentaire : il s’agit d’évaluer et d’interpréter les évolutions à l’œuvre au sein des sociétés Zarma-songhay.
31Le professeur Kimba, reprenant divers travaux d’anthropologie historiques, utilise le concept de différenciation sociale fondé sur la césure fondamentale entre libres et non-libres au sein des sociétés pré-capitalistes. Il emprunte à l’historiographie occidentale une grille de lecture théorique qui vise à dégager comme causalité essentielle des transformations sociales à certaines périodes de l’histoire les situations de conflit23 :
Dans les analyses sur les sociétés pré-capitalistes, ont s’est beaucoup intéressé à présenter une classification sociale sans très souvent se soucier de dégager ce qui constitue le (ou les) critères essentiels de la position de chaque classe. À partir des observations précédentes, et partant du constat d’une différence notable entre hommes libres et captifs par rapport à leur participation aux activités guerrières, il semble que le statut d’homme libre (et par conséquent le critère de la liberté) soit intimement lié au droit de participer aux expéditions militaires et de conduire la guerre. L’homme libre parce qu’il peut s’armer, porter des armes, participer aux expéditions, devenir grand guerrier et conduire la guerre, recevoir une partie du butin, a ainsi une position rigoureusement distincte de celle du captif. Tout comme G. Duby l’avait noté pour la Germanie des VIIe et VIIIe siècles, il apparaît que ce droit de participer aux activités militaires s’il ne constitue pas ici le critère essentiel de la liberté, semble néanmoins être l’un des éléments importants de cette liberté.24
32Cette grille de lecture est utilisée afin d’interpréter les changements à l’œuvre au XIXe siècle et au début du XXe dans l’ouest nigérien, caractérisée, selon l’auteur, par un contexte conflictuel dont les acteurs essentiels furent, à l’époque précoloniale, les Touaregs et les Peuls, avant l’avènement d’un acteur nouveau, les troupes coloniales, qui cristallisa, à partir de la fin du XIXe siècle, un nouveau front de conflit, avec l’ensemble des populations autochtones cette fois.
33Dans ce cadre d’analyse, l’image que véhiculent ces travaux des groupes actifs dans le déclenchement des conflits de l’époque précoloniale – Touaregs et Peuls – trahit une certaine ambivalence. Celle des Touaregs, l’un des principaux protagonistes de cette situation, apparaît fort peu flatteuse dans la plupart de ces recherches. Par la terreur et les razzias, ils établissent leur domination sur les populations d’agriculteurs, en particulier Zarma-songhay. Ils suivent des objectifs essentiellement de prédateurs : ils ne semblent pas avoir, selon les analyses développées dans ces deux mémoires de thèses, d’objectifs politiques, ni de tout autre nature, à long ou moyen terme : le but essentiel est une domination suffisante sur les groupes sédentaires afin d’assurer la ponction en ressources disponibles : récoltes et esclaves. Les récits les désignent comme des pillards avant tout. Les représentations qu’ils donnent des groupes tamacheks impliqués dans ces opérations apparaissent ainsi fort négatives et il est sans doute fort significatif que Idrissa Kimba les évoque fort peu en comparaison des Peuls, en se contentant d’utiliser un extrait d’un rapport d’administrateur colonial pour caractériser les rapports qui se sont noués entre touaregs et sédentaires zarma-songhay :
Quant aux Touaregs qui ont à la hauteur de Sinder leur principal centre de puissance, on ne peut que les combattre et les expulser. À leur fanatisme musulman, ils joignent en effet contre nous une animosité tout à fait laïque. Seuls Blancs établis dans le pays, exploitant le prestige de leur race pour obtenir par la terreur tout ce qu’ils désirent des habitants du pays, ils comprennent depuis longtemps que ce système d’exploitation disparaîtra le lendemain de notre installation dans le pays. Ce sont des méconciliables.25
34L’auteur juge « très pertinente » une telle analyse, et ne la soumet pas à la critique dont font généralement l’objet des sources coloniales lorsqu’elles distinguent, afin de les opposer, les différents groupes socioculturels en présence. Cet extrait met pourtant l’accent sur une irréductible séparation entre nomades Touaregs et sédentaires soudaniens, une altérité fondée non pas uniquement sur une différence de modes de vie. La taxonomie ainsi dégagée définit en effet une hiérarchisation des uns par rapport aux autres en fonction d’une éventuelle appartenance à la catégorie des individus de race blanche, ceux-ci ne pouvant d’ailleurs être originaires d’autres horizons que ceux appartenant à l’Afrique subsaharienne. La critique d’une telle idéologie n’est de toute façon plus vraiment d’actualité. Les sciences africanistes se sont efforcées de balayer certains de ces préjugés d’un autre temps. Cependant, l’évolution des savoirs ne semble pas, au niveau du milieu scientifique historique nigérien, avoir touché la dimension raciale de l’organisation des sociétés touarègues dans l’histoire, ni des rapports qu’elles entretenaient avec les sédentaires. Djibo Hamani évoque ainsi cette question sans l’éviter.
Il est bien connu aujourd’hui que la société touarègue présente deux grandes stratifications : le groupe des hommes libres et le groupe des hommes de condition servile. Dans l’ensemble, et surtout aux époques les plus reculées, les hommes libres étaient de race blanche et descendaient des immigrants venus du nord de l’Afrique : certains auteurs, lorsqu’ils parlent de « touareg », n’envisagent d’ailleurs que cette seule fraction des Kel Tamageqs, ce qui, objectivement, diminue la portée de leur conclusion. Le deuxième groupe, celui des hommes de condition servile, était noir et constitué soit d’autochtones asservis, soit de captifs razziés ou achetés en zone soudanaise (…). Autochtones ou achetés du sud, ils (les esclaves) étaient exclusivement noirs et ce fait va donner à la société touareg une structure où la division en « classes » était aussi une division « raciale » : en haut, l’aristocratie des hommes libres, tous blancs, au bas de l’échelle la masse servile, composée de noirs. C’est ce qui permet de comprendre les paroles qu’Alawjili (1975) met dans la bouche de Hadahada au XVIIe siècle, en réponse au Sultan Attafig qui lui demandait de relâcher des prisonniers de guerre Kel away : il lui répondit qu’il n’avait pris que des noirs et qu’un homme noir fait prisonnier pouvait être réduit en esclavage.26
35Il ne semble ainsi pas y avoir de différences sur la question entre spécialistes de l’histoire nigérienne précoloniale. L’utilisation de l’extrait du compte-rendu de la mission Toutée par I. Kimba sans appareil critique contribue à mettre en avant une image fort peu flatteuse des relations que les groupes touaregs ont tissées tout au long du XIXe avec les populations sédentaires de la partie occidentale du Niger. On retrouve des considérations similaires dans les passages de la thèse que Boubé Gado consacre aux relations entre Touaregs et sédentaires :
Au début du XIXe, l’infiltration insidieuse des Touaregs au Tagazart et en Imanan, et des Peuls dans le Boboye, rompit l’équilibre fragile des sous groupes du Zarmatareye car les nouveaux venus n’entendaient rien aux compromis et aux jeux des alliances matrimoniales. L’impression fut brutale de la part des Touaregs qui instaurèrent une ère endémique de razzias, tandis que les Peuls n’entrèrent en belligérance ouverte qu’à l’avènement d’Ousmane Dan Fodio dans le Gobir, belligérance qu’il fixa comme finalité la conquête du pays zarma et sa soumission aux Peuls.27
36Si les analyses de ces deux spécialistes de l’histoire de l’ouest nigérien précolonial admettent que les exactions touarègues, en entretenant un climat d’insécurité et de terreur latent, contribuent à provoquer une certaine évolution sociale par le biais d’une militarisation sociale susceptible de créer ou de renforcer le rôle de certains acteurs, en particulier les gens de guerre – processus nommé « wangarisation » pour la première fois par Boubé Gado –, les deux historiens confèrent aux confrontations entre groupes zarmaphones et peuls une tout autre importance.
b. Dynamiques d’affrontements et valorisation des nationalismes régionaux : les différences entre les deux versions de la thèse de Boubé Gado
Nous avons vu que l’élément moteur de la geste d’Issa Korombé a été son désir de bouter dehors les Peuls du Dallol, territoire qu’il considérait comme le sol national des Djermas au terme de leurs migrations.28
Qu’en est-t-il de BAYERO à la veille de Boumba ? (…) l’installation Peule dans le Dallol fut donc postérieure à celle des Djermas ne serait-ce qu’en comparant leurs nombres respectifs. Cette installation qui ne s’était affirmée qu’après l’installation de Ousman Dan Fodio au Gobir a été relativement courte (…). BAYERO revenait pour reconquérir le royaume de son grand-père, mais notons bien un territoire dont la population est ethniquement différente de la sienne et se considère sur son sol national. BAYERO allait donc à une guerre de reconquête. Le sentiment national qui l’anime se situe à un autre degré que Issa Korombé qui lui combattait pour sauvegarder le territoire national djerma de ce qu’il considère comme une intrusion peule.
Nous voilà ainsi en face de deux nationalismes qui sont à deux niveaux différents. Issa Korombé est à la veille d’une unification d’une partie des Djermas, BAYERO prolonge la grande épopée peule qui s’est emparée dans la première moitié du XIXe d’une grande partie du Soudan occidental et central. Le premier nationalisme a tiré son origine de l’ethnie, le second l’a tiré d’abord de la religion avant de lui donner son caractère véritable, c’est-à-dire, l’imposition d’un pouvoir politique ethnique.
Dans le contexte de l’histoire du Soudan occidental et central, ces deux nationalismes sont en déphasage avec le temps. Avec le premier, nous allons assister à l’avènement d’une société en puissance d’organisation étatique, avec le deuxième à une reconquête d’un pouvoir presque étatique perdu il y a un demi-siècle.29
37Les introductions et conclusions ainsi que les têtes de chapitres des deux moutures de la thèse (notamment au niveau de la 3eme partie qui porte, dans les deux productions, le même titre : « les guerres de libération nationale ») contiennent un grand nombre d’expressions nationalistes, telles que : Sol national – sentiment national – territoire national – nationalisme – unification d’une partie des Zarmas – prise de conscience d’un intérêt général commun à l’ethnie – danger national pour l’ethnie – risorgimento…
38Elles utilisent également certains termes à connotation guerrière (risorgimento – guerre de libération nationale – résistance et résistants…) qui véhiculent de fortes connotation nationales, voire « nationalistes ». Remarquons que ce vocabulaire se retrouve d’ailleurs au niveau des travaux consacrés aux résistances à la colonisation…
39Dans les deux versions, l’auteur légitime le nationalisme zarma, davantage que le nationalisme peul, par l’antériorité du peuplement – signalons que les peuls sont d’ailleurs, à ce titre, systématiquement disqualifiés d’uns légitimité de pouvoir sur un espace donné… Le droit du sol, l’antériorité du peuplement conforte la légitimité du groupe le plus anciennement installé… L’histoire du peuplement insérée dans l’objectif d’écriture d’une histoire politique, permet de justifier par la « primalité » du peuplement (généralement à l’issue de migrations anciennes), la suprématie de telle « ethnie » sur les autres…
40Cependant, on note de fortes variations entre les deux conclusions :
41A- La consonance nationaliste semble davantage présente dans la première mouture. Au niveau de la conclusion des Études Nigériennes, l’auteur restreint ses considérations nationalistes au cas djerma. Dans la première conclusion, celle de 1976, il aborde quatre catégories « nationalistes », ou plutôt quatre positionnements différents de postures identitaires chacune liée à un groupe « ethnique » particulier :
- Issa Korombe et les Zarma de l’Est, véritables « nationalistes ethniques » aux dires de l’auteur ;
- Les Peuls de Bayéro : national dans le sens aristocratique… et « ethnique » (suprématie d’une « ethnie » sur une autre).
- Ahmadou Cheikou, Ali Bouri : des rois en exil, des champions de la lutte anticoloniale à l’échelle africaine… l’auteur tente de les réhabiliter à ce titre.
- Les Zarma de l’Ouest : chez eux, selon l’analyse, pas de conscience « nationale » véritable, pas de prise de conscience de « l’intérêt général » – entendu comme l’intérêt zarma… Boubé Gado les place par conséquent à l’écart de la dynamique « d’étatisation… de risorgimento »… décrite par l’auteur et qui est censée prendre en écharpe l’ensemble de la région soudanaise, d’ouest en est, à cette époque…
42Des quatre formes de sentiment national, l’auteur valorise le premier, celui qui est au centre de son analyse. Selon celle-ci, il représenterait en effet un « peuple » dans son ensemble luttant sur son sol « national » pour sa liberté, contre des menaces venues de l’extérieur…
43La conclusion de la première version révèle une connotation politique, nationaliste, davantage marquée que la seconde. Tandis que la première version de l’introduction met en relief ces problématiques nationalistes, la seconde est recentrée sur la problématique de l’usage historiographique des mythes – passage totalement inexistant de l’introduction de la thèse dactylographiée…
44B- Autre différence de taille entre les deux conclusions : la disparition, de l’une à l’autre, de la notion d’ethnie…
45Voici un relevé des passages utilisant le mot « ethnie » au niveau de la conclusion dactylographiée :
« Bayero… un territoire dont la population est ethniquement différente… » « … imposition d’un véritable pouvoir politique ethnique… »
« … non pour défendre un quelconque territoire national ou ethnique… » « … ni sur une communauté ethnique… »
« … vengeance ethnique en dedans… »30
« … intérêt général commun à l’ethnie… »
« … danger national pour l’ethnie… »
Ces termes n’apparaissent plus au niveau de la version publiée aux E.N. Comment expliquer une telle disparition de cette terminologie d’une conclusion à l’autre ?
46En gommant ainsi toute référence aussi systématique à la notion d’ethnie, rattachée à des groupes humains différenciés et opposés les uns aux autres, la seconde conclusion revêt une caractère général beaucoup moins engagé dans un sens identitaire fractionné en autant de peuples et d’espaces spécifiques. Les logiques d’affrontement favorisent sans doute un tel développement du paradigme « ethniciste ». L’escamotage dans la deuxième version de la conclusion de la liste taxinomique des nationalismes de l’ouest nigérien permet de ne plus diviser de façon aussi nette ces peuples entre eux. Une fois ces termes et ces catégories masqués, il apparaît alors possible de mettre en valeur un discours final apaisé, apuré des sur-interprétations de terroir et de la notion de « nationalisme ethnique », pour adopter un vernis beaucoup plus consensuel. Le lissage sémantique pratiqué d’une version à l’autre permet de gommer les engagements et les partis-pris susceptibles de sursignifier une histoire non consensuelle, une histoire qui mettrait l’accent de façon univoque sur les facteurs de divisions identitaires, en occultant totalement les phénomènes de cohésion et de rapprochement entre peuples en contact.
47Dans la même logique, la seconde conclusion occulte fortement par rapport à la première les divergences entre Zarma de l’est et de l’ouest et les appréciations fort critiques de l’auteur vis-à-vis des seconds. On n’évoque plus la « trahison » des Zarma de l’ouest, ni leur absence de « sentiment national »… la seconde conclusion adopte un ton beaucoup plus consensuel.
c. L’interprétation d’Idrissa Kimba
48Idrissa Kimba reprend au niveau de sa première thèse cette thématique guerrière entre les différents acteurs désignés comme Zarma/Songhay et Peuls. Il formule à ce titre une analyse polémique vis-à-vis des considérations formulées par Boubé Gado au niveau de ses interprétations « ethnicistes » et « nationalistes » des logiques d’affrontement concernées :
Les guerres contre les Peuls sont beaucoup plus intéressantes à examiner parce qu’elles ont été révélatrices des antagonismes qui se trouvaient au sein des aristocraties zarma, parce qu’elles ont élargi le champ des conflits en intégrant plusieurs forces extérieures (Sakwato, Gwandu, Arewa, Kabi, etc.), parce qu’enfin les bouleversements qu’elles ont introduits au sein de ces sociétés ont été déterminants lors de la conquête coloniale.
Il ne s’agit pas de guerres ethniques comme le laisserait entendre l’appellation généralement répandue et un peu trop abusive de Guerres zarmas/peules. Cette désignation n’est pas conforme à la réalité des faits historiques. Certains auteurs poussent plus loin l’aberration en qualifiant de troisième guerre zarma/peule, les luttes contre Ahmadu Sheiku et Ali Bury. Il s’agit plutôt, répétons-le, d’une lutte contre une oppression politique et économique exercée par une certaine classe aristocratique et maraboutique. Même dans les rangs des Zarmas de l’Est, on note la présence de quelques éléments peuls. Nous devons également désormais bannir des allégations du type « les envahisseurs peuls » qui nous semblent fortement tendancieuses.31
49Le passage cité forge une discussion, à défaut de polémique32, avec deux travaux antérieurs. Elle est intéressante à plus d’un titre : le texte nomme précisément les auteurs dont on conteste les positions, ce qui apparaît déjà en soi fort singulier lorsque l’on considère le soin que prennent en général les historiens nigériens à exprimer des désaccords à mots couverts, en prenant soin de demeurer dans le vague et l’allusif. Le désaccord qui s’exprime est en fait double. Le premier concerne les rapports entre Zarma et Peul et l’image de ceux-ci telle qu’elle est construite par les travaux historiques précédents. La seconde appartient toujours au domaine relationnel, mais à une échelle plus fine : elle ne porte pas sur les liens socioculturels tissés entre deux peuples différents. Ce sont les interprétations jusque-là données des relations tendues entre deux groupes zarma, ceux de l’ouest (vivant en bordure du fleuve) et ceux de l’est (liés au Zarmaganda éloigné du grand cours d’eau) dont il est question.
50Idrissa Kimba tente de renouveler le jugement porté jusque-là, selon lui, par les travaux historiques envers les Peuls de l’ouest nigérien. Pour B. Gado, les Peuls sont des envahisseurs, des intrus, au même titre que les Touaregs. Les guerres menées contre eux sont par conséquent des guerres de libération… Vieille thèse si l’on en croît I.Kimba, véhiculée par l’historiographie coloniale, selon la traditionnelle distinction entre l’élément sédentaire positif et l’élément Peul nomade, perçu comme une force venue perturber, du moins dans un premier temps, les équilibres plus anciens du peuplement. L’image que le professeur Kimba veut donner des Peuls paraît en effet beaucoup plus positive. Selon lui, il n’y a pas d’opposition ethnique. On trouverait des Zarma et des Peul des deux côtés. Pour les besoins de sa démonstration, l’auteur prend en compte des situations localisées, qui contestent le postulat de départ qui généralise et réduit, selon sa critique, la réalité… Les affrontements sont présentés comme une péripétie de luttes entre catégories, ou classes, qui aurait opposé celle des marabouts et des hommes libres, et non comme un affrontement entre « ethnies » différentes. L’image d’unité des Zarma de l’Est face aux Peuls véhiculée par les travaux de Boubé Gado et Yves Urvoy ne correspondrait pas non plus à la réalité : une source orale collectée montrerait, selon l’auteur, qu’il y aurait eu en fait des ressortissants d’individus assimilés à différents groupes ethniques peul, zarma de l’ouest ou de l’est dans les deux camps opposés, tandis que la victoire des wanragis zarma de l’est sur les Peuls – avec ces figures héroïques qui marquèrent les traditions orales, comme celle de Issa Korombe – auraient été obtenues grâce à l’intervention de puissances voisines, notamment le Kabi :
De ce fait, et en tenant compte du fondement des alliances et des événements historiques des XVIIe et XVIIIe, il nous semble un peu partial et abusif d’intercepter ces conflits en termes de guerre de résistance et lutte de libération (cf. B. Gado, Le Zarmatarey, op. cit., pp. 173-230).
Urvoy dans son « Histoire des populations du Soudan Central » avait donné la même interprétation. D’autre part l’unité des Zarma de l’Est dont ces auteurs font cas, ne fut que relative. De nombreux groupes de population (…) refusèrent de suivre Daudu et restèrent fidèles à Luluudji. Après la défaite de ce dernier ils durent quitter leur village craignant les représailles des « résistants » et allèrent fonder des villages sur le fleuve. Ce fut lecas de Sorbon-Hausa par exemple. (D’après les informations recueillies auprès de Sumana Issaka, cultivateur, chef de quartier à Sorbon-Hawsa, mars 1979).33
51Ce dernier passage figure en note et non dans le corpus général du récit. Il montre l’importance essentielle que revêt l’axiologie relationnelle, même lorsque les dynamiques d’affrontements paraissent jouer un rôle-clé comme moteur de l’histoire politique et sociale. La différence de point de vue exprimée par I.Kimba à l’encontre des points de vue d’Urvoy et Boubé Gado indique qu’il est fort malaisé de schématiser des tendances bien distinctes qui fédéreraient totalement les spécialistes en fonction de positions clairement affirmées. L’absence de véritable dynamique polémique contribue sans doute à brouiller les pistes. L’option monographique joue également un rôle important dans cette situation : chaque étude adopte des références conceptuelles et des problématiques différentes en raison de la variété des lieux d’impulsion épistémologiques – chaque thèse fut, comme nous l’avons vu, élaborée au sein d’écoles doctorales distinctes les unes des autres – en fonction aussi de la sensibilité des chercheurs et de leurs motivations. L’interprétation d’Idrissa Kimba se veut progressiste vis-à-vis des relations zarmas-peules ; elle s’efforce de briser les rapports de confrontation envisagés à partir d’une grille de lecture strictement « ethniciste ». En cela, elle représente une évolution vis-à-vis d’une vue forgée à l’époque coloniale, notamment par les travaux d’Urvoy, et qui eut la vie dure, puisque Boubé Gado aurait repris une interprétation similaire. Moins que l’application d’une stratégie critique, la démonstration tend à valoriser, au niveau des processus d’affrontement, une dynamique finalement voisine de celle que Malam Issa s’efforce de fonder au niveau du Damergou. Dans un cas comme dans l’autre, sous l’effet de facteurs endogènes aux passé pré-colonial de ces contrées soudaniennes, d’importants processus de mixigénation seraient à l’œuvre, prémices à la gésine de sociétés nouvelles par la mise en relation de plus en plus étroites d’acteurs issus d’horizons socioculturels différents. L’interprétation conserve toutefois, dans le cas de l’ouest nigérien traité par ces spécialistes, d’importantes constantes que d’aucun pourraient qualifier de « conservatrices », dans la mesure où elles témoignent d’une certaine continuité avec l’époque coloniale. Les historiens nigériens spécialistes de la partie occidentale du pays paraissent en effet fédérer leurs positions au niveau des représentations négatives que leurs textes expriment envers les relations que maints groupes touaregs tissèrent avec les populations sédentaires des régions concernées.
52Une sensibilité particulière, partagée par beaucoup des chercheurs liés à l’ouest nigérien, semble ainsi se dégager de l’ensemble des travaux centrés sur l’aire songhay-zarma, lorsque ceux-ci s’efforcent de donner sens à la nature des relations qui motivèrent les mises en contact des peuples et des espaces constitutifs de la « nation nigérienne. » Non point que leurs positions contestent la dimension structurante de l’axiologie pacifique dans l’optique des stratégies de légitimation par l’histoire, stratégies qu’ils s’efforcent de mettre en oeuvre tout autant que leurs confrères spécialistes des régions centrales et orientales du pays. Toutefois, la guerre et les modes de confrontation de diverses natures surgissent de manière plus insistante au niveau de la plupart de leurs analyses. Ces positions, qui ne sont d’ailleurs pas figées en un front univoque et cohérent comme nous nous sommes efforcé de le démontrer, découlent sans doute pour la plupart des historiens concernés de la praxis de données événementielles et d’une mémoire collective spécifique, utilisée comme trace privilégiée pour l’écriture d’une histoire savante et monographique. Pris ensemble, ces facteurs définissent, dans le domaine des relations entre peuples et pour certaines périodes comme le XIXe siècle, une situation différente selon que l’on se positionne au niveau des histoires régionales de l’ouest ou de l’est du pays. Ainsi, en ce qui concerne la question des relations entre pasteurs et sédentaires au niveau des terroirs de peuplement zarma-songhay, la situation semble présenter certaines spécificités par rapport à celles qui prévalent dans nombre de régions du centre. Les contacts entre les groupes touaregs et les agriculteurs du Niger occidental se multiplient à partir du XVIIIe siècle, à la faveur d’un accroissement de migrations issues de l’Ayar. Les rapports ne peuvent par conséquent pas être de même nature : moins anciens que ceux qui lient le monde hausa au sultanat d’Agades, ils paraissent obéir à une logique dominante dure, faite de rivalités et de calculs stratégiques afin d’affermir la prééminence d’un groupe sur l’autre, ou la survie de celui qui est menacé par les tentatives hégémoniques lancées par les éléments concurrents.34
53Cette « sensibilité du conflit » que nous percevons par conséquent davantage parmi les écrits des historiens ayant travaillé sur l’ouest nigérien, leur permet d’investir plus en avant le champ théorique. Dans le récent article que nous avons précédemment cité, Mahamane Karimou brosse une « histoire des conflits en Afrique de 1900 à nos jours ». Cette contribution, contemporaine à une ou deux années près de celle que Mahaman Addo consacre aux relations pacifiques entre mondes Sonraï et Hausa, abordent la problématique de front en s’interrogeant sur sa portée et sa valeur exactes en tant que moteur de l’évolution des sociétés africaines en général. L’objectif ne s’inscrit pas par conséquent dans l’optique de la construction nationale pour l’histoire. Il s’agit davantage de dégager une série de paradigmes à partir d’exemples issus pour la plupart de l’aire nigérienne valables pour l’ensemble du continent noir.35 L’angle d’attaque se trouve ainsi fort différent : à la différence de la théorie défendue par le professeur M. Addo, les phénomènes de conflits ne sont plus escamotés en étant ravalés au rang d’épiphénomène : ils se trouvent placés au cœur de la réflexion et de la démonstration :
Les conflits africains sont-ils spécifiques ou obéissent-ils à la dialectique qui détermine les rapports entre communautés humaines ?
Sont-ils un phénomène récent ou sont-ils partie intégrante de l’évolution des communautés africaines ?
Leurs caractéristiques ont-elles évolué avec les réalités géographiques du moment ?
Cette évolution est-elle liée aux vicissitudes de l’histoire ? Si oui, la nature, la virulence, l’extension géographique ainsi que la nature des protagonistes ont-ils varié avec les contraintes historiques et géopolitiques?36
54La conclusion de l’article ne remet cependant pas en cause la teneur générale de la courte phrase par laquelle nous croyons déceler la mise en avant de la position de la tendance historiographique « infra-conflictuelle ». En contextualisant la problématique d’ensemble dans l’absolu de la chronologie (elle aborde les trois périodes successives précoloniale, coloniale, postcoloniale), l’auteur relativise la portée des dynamiques d’affrontement. Il place l’Afrique, sur ce terrain, à équidistance avec les autres sociétés humaines, tout en reconnaissant cependant aux conflits africains certaines spécificités, liées aux configurations particulières. Selon M. Karimou, les conflits entrent aussi en compte dans la formation d’une identité africaine par l’histoire (ce que tendrait sans doute à contester M. Addo).
55Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, les guerres, petites ou grandes, les conflits et les dissensions ont jalonné, modelé et déterminé la vie des hommes. Des batailles tribales aux combats pour la constitution d’ensembles communautaires plus vastes, les guerres ont toujours été intimement liées à l’évolution des sociétés humaines. L’Afrique ne fait pas exception à la règle. Une observation attentive permet de constater que l’originalité de ce continent apparaît à plusieurs niveaux. Elle révèle que la dépendance de l’Afrique a imprimé aux conflits africains des caractéristiques et des mécanismes fortement liés à l’oppression dont a été victime ce continent. Elle démontre que ces conflits ont évolué avec le contexte et que leur schéma directeur (la prévention, le déclenchement, la gestion et la résolution) a également changé avec la nature des protagonistes37.
4. Les hésitations de l’historien
56Certaines des théories relatives aux sociétés touarègues sont fort contestées par l’ensemble des historiens nigériens qui suivent en cela le mouvement critique amorcé à partir des années 50 à l’encontre de certains éléments inhérents à des présupposés plus ou moins fondés à partir de l’époque coloniale. Les attitudes paraissent cependant moins franches qu’il n’y paraît ; les considérations développées çà et là témoignent, sinon d’un véritable malaise, à tout le moins de certaines réticences à aborder certains sujets délicats, lorsqu’il s’agit de tenter d’apaiser la « question touarègue » afin de conforter les bases de l’unité nationale nigérienne. La dimension raciale de l’organisation de certains groupes tamacheks, le rôle de cette perception au niveau des relations qu’ils entretinrent avec différents groupes de sédentaires représentent sans doute, pour reprendre un terme utilisé par André Salifou lorsqu’il évoquait la dimension esclavagiste des sociétés nigériennes précoloniales, l’un des talons d’Achille de l’histoire nigérienne. Le professeur Kimba, comme nous l’avons vu, s’en remet à un bref passage de la mission Toutée, sans autre forme de commentaire. Un mémoire de maîtrise38 consacré à une région de peuplement touarègue située dans le Nord du département de Tahoua reflète cet état de fait. La partie consacrée aux « structures sociales » de la société étudiée apparaît fort déséquilibrée : sept pages en tout sont consacrées aux groupes des hommes libres, avec comme objectif principal de montrer une étroite interdépendance entre les nobles et les « vassaux » Imghads39. Par contre, deux pages à peine sont consacrées aux dépendants, dont une, aux trois-quarts complétée, pour la classe la plus basse dans la hiérarchie sociale, celle des « Eklans » :
Les Eklans sont au bas de l’échelle dans la classification. Tout le monde pouvait avoir un ou plusieurs Eklans. Ils sont astreints aux différents travaux : bergers, domestiques, cultivateurs dans les zones de culture…
Les Eklans n’ont pas la même origine que les Ilalans.
Ils sont le fruit de la domination des zones sédentaires voisines par les razzias et l’achat.
Certains ont évolué dans les différentes familles.
Depuis la colonisation les Eklans ont été libérés et regroupés. Mais cette situation précédait en fait la colonisation pour certaines tribus de l’Azawagh.40
57L’auteur, tout en l’occultant dans le vocabulaire qu’il utilise, entérine la référence raciale dans la césure fondamentale de la société touarègue entre libres et dépendants. Il utilise le terme d’« esclave » avec beaucoup de parcimonie : ce terme n’est qu’une seule fois utilisé, lorsqu’il évoque rapidement les cas d’affranchissement à l’époque coloniale.
Chez les Kel Tamajaqs en général il y a deux grands groupes : Les Ilalans qui sont libres et d’origine blanche.
Les Eklans et des groupes affiliés dépendants des Ilalans.41
58Hormis cette allusion rapide, et deux autres de moindre importance, l’auteur ne revient pas sur le critère racial de distinction entre hommes libres et catégories serviles. Il ne désigne pas les Eklans, dans la phrase qui leur est consacrée, selon leur origine noire, sorte de pudeur, de malaise, à nommer certaines réalités par le vocabulaire approprié (en l’occurrence, les populations serviles). L’intérêt davantage marqué pour les libres, les précautions sémantiques adoptées, tout cela montre les difficultés à aborder cette thématique « racialiste » que l’on ne peut pourtant éviter d’évoquer lorsque l’on prend en compte les acteurs touaregs de l’histoire nigérienne. Les sensibilités demeurent vivaces au sein de la société nigérienne, sans doute encore davantage au niveau des milieux universitaires. Le mémoire est soutenu en 1991, alors que la « question touarègue » prend une dimension de plus en plus critique, avec le déclenchement de la rébellion42.
59Un passage de l’introduction à l’exemplaire manuscrit de la thèse de Boubé Gado – le paragraphe a été escamoté de la publication aux Études Nigériennes – affirme l’inévitable dialectique d’affrontement qui s’instaure dans le Zarmatarey entre populations sédentaires et groupes nomades touaregs, du fait de l’irréductible altérité qui les sépare. Tout ou presque semble en effet les distinguer, quel que soit le domaine d’activité ou d’organisation considéré :
Les Touaregs sont des nomades sahariens dont l’économie est basée sur l’élevage et sur la guerre ; partant, l’organisation sociopolitique et la stratégie militaire sont différentes et plus fermes. L’opposition et l’affrontement entre eux et les sédentaires surtout agriculteurs et chasseurs est inévitable. Ou bien des Zarma s’unissent pour défendre leurs familles, leurs biens où alors ils acceptent de payer de lourds tributs, devenir des esclaves et de voir l’anéantissement de leurs activités économiques par les razzias.43
60La main de l’historien semble une fois encore trembler lorsqu’il s’agit de dénouer le fil des relations tourmentées et de leurs causes, entre les « berbères voilés » et soudaniens de l’espace nigérien. Boubé Gado préfère ainsi supprimer le passage énoncé de la publication de son travail. Nous n’avons pu obtenir d’éclaircissements à ce sujet, mais il semble fort aisé d’en déduire qu’il préféra expurger son texte de considérations difficilement conciliables avec l’objectif d’unité nationale que poursuivirent les différents gouvernements nigériens depuis l’indépendance. À ce titre, comme semblent le montrer de multiples études, les pouvoirs politiques ont pris soin, dès la fin des années 50, d’intégrer la minorité touarègue à la gestion des affaires publiques de l’État, en leur octroyant un nombre de postes de responsabilité bien supérieur à la place qu’occupe en fait la minorité par rapport à la population totale44.
61Un autre mémoire de maîtrise soutenu au milieu des années 80 sous la direction du professeur Idrissa Kimba45, révèle certaines incohérences intéressantes car fort révélatrices de ce genre d’hésitations : certains passages de la conclusion dudit mémoire paraissent davantage relever de la déclaration d’intention, d’une interprétation subjective quant à l’aboutissement des processus historiques décrits que d’un raisonnement centré sur la teneur des sources utilisées. L’étude porte sur la principauté du Kurmey, des origines à l’époque coloniale, soit l’un des territoires constituant le Dendi, cette ancienne province du Songhay impérial appartenant à l’aire culturelle traditionnelle songhay-zarma. Le mémoire suit le schéma normatif de ce genre d’exercice : il s’agit d’une monographie pré-coloniale, embrassant la très longue durée, avec comme période butoir les débuts de l’ère coloniale. On y retrouve deux thématiques essentielles : l’histoire du peuplement et l’évolution politique de l’espace considéré. Il s’agit d’une aire qui bénéficie d’une attention soutenue et ancienne de la recherche : l’auteur bénéficie ainsi d’un nombre appréciable d’études antécédentes, qu’il cite d’ailleurs, depuis les travaux des administrateurs coloniaux à ceux de Jean-Pierre Olivier de Sardan. L’une des originalités épistémologiques de ce mémoire se situe d’ailleurs à ce niveau : il s’appuie, afin de retracer le passé récent, le XIXe siècle, sur les écrits de l’anthropologue français, notamment lorsqu’il aborde le problème des relations entre nomades (Touaregs et Peuls) et sédentaires Zarmas-Songhays46.
62Le tableau que le mémoire brosse de ces relations se trouve en étroite conformité avec les théories avancées par Boubou Hama et I. Kimba au niveau de sa première thèse, qui utilisèrent eux-mêmes, comme nous l’avons vu, des sources de l’époque coloniale. On y retrouve en effet la distinction de valeur entre les buts des stratégies respectivement menées par les Touaregs et les Peuls : les uns manœuvrent afin de raffermir leur domination pour organiser une ponction des ressources à leur profit, tandis que les seconds seraient entré en belligérance pour des motifs politiques47. S’alliant tantôt avec les uns, tantôt avec les autres protagonistes des luttes intestines entre partis composés de Songhay et de Peul, les Touaregs finissent, à la fin du XIXe siècle, par imposer une domination très dure sur des populations épuisées par des années de conflits internes. Utilisant les sources orales collectées par des études précédentes – administrateurs coloniaux et de Sardan en 1976 – le récit dépeint la dureté des exactions touarègues qui n’auraient, à en croire les témoignages mentionnés, rien eu à envier aux premières années de mainmise coloniale. On y retrouve, à l’instar du récit qu’Idrissa Kimba avait emprunté à Toutée, cette très forte barrière entre sociétés en contact, forgée par des rapports de sujétion fondés sur une perception très négative, de la part des sources sédentaires, des dominants touaregs, assimilés aux blancs qui viendront les supplanter :
Avec la mort de Gabelinga (1885), tout le Soney « saigné à blanc » passait à la merci des Twaregs (…) Les Surgeys restaient la force permanente et dominante dans une région en pleine décadence. L’Amenokal y exerçait même une autorité personnelle et redoutée. Les Touaregs commandaient tout le monde et tenaient tout le pays entre leurs mains. Quiconque leur déplaisait ne pouvait se tenir droit. Personne n’était noble face aux Touaregs, leur pouvoir s’étendait sur tous. Le pouvoir des Touaregs, lui, peut se comparer au pouvoir des blancs aujourd’hui.48
63La conclusion revient sur la nature et les objectifs de cette domination. L’auteur s’efforce ainsi de rappeler, en s’appuyant sur une citation d’Olivier de Sardan, que les Touaregs n’avaient pas l’intention de forger un pouvoir politique direct : leur principal souci étant la ponction de plus en plus systématique des richesses agricoles et humaines de la région, ils laissèrent les autorités traditionnelles en place se charger de la « gestion des affaires courantes ». Les nomades n’apparaissent ainsi que peu dans la vie quotidienne des populations sédentaires. Ils auraient maintenu une forte distance entre eux et les sociétés exploitées, abordées lors des ponctions périodiques, ou lorsque des actes de résistance ou de réticences à ces prélèvements survenaient49. Sur ce terrain, se retrouvent les positions d’I.Kimba et même de l’anthropologue français dont l’étude de ces exactions et des rapports entre Touaregs et sédentaires représente une thématique importante de quelques-unes de ses publications des années60 à 80.
64L’auteur clôt cependant son mémoire en émettant une opinion personnelle, qui vient contredire, en quelques mots, l’ensemble des récits et des sources développées tout au long du mémoire, et de la majeure partie de sa conclusion :
Nous pensons que si les Français n’étaient pas arrivés les Touaregs devraient pouvoir construire quelque chose de cohérent au Soney (…) Ces Surgeys, on le sait aussi, sont un groupe ethnique doté d’une tradition écrite. Ils possèdent aussi de longue date une conception d’une structure politique et administrative.50
65Aucun argumentaire, source à l’appui, ne vient soutenir ce regard en porte-à-faux avec l’ensemble de la démonstration. On y perçoit sans doute la confuse volonté d’atténuer un tableau trop sombre des relations dépeintes entre Touaregs et sédentaires, peut-être un désir de contester des travaux qui n’appartiennent pas à l’histoire endogène – et même pas à la discipline historique. On y perçoit aussi la manifestation de cette sensibilité critique envers une approche des rapports entre sociétés par trop conflictuelle, voire « ethniciste », que l’on s’efforce, par tous les moyens, de contrer et de contester. On y retrouve enfin cet effort pour dégager des dynamiques positives, générées par des situations de conflit, que l’ordre colonial aurait tué dans l’œuf… Une telle hypothèse permet de dépasser les faits observés, ainsi que les représentations que donnent pourtant les témoignages des populations sédentaires de la nature des relations entretenues à cette époque avec les groupes nomades. La conclusion leur ouvre une perspective positive dans la cadre de la construction nationale : ils apparaissent comme des acteurs à part entière, potentiellement performants, d’une évolution utile des liens sociaux et d’une organisation politique susceptible de fonder un nouveau contrat social, fédérateur et riche de potentialités pour une communauté d’intérêts élargie à l’ensemble des sociétés impliquées.
5. La dimension « nationaliste » des conflits précoloniaux
66La question apparaît essentielle dans l’optique des enjeux liés à l’analyse du processus historique de l’identité nationale nigérienne. À première vue, comme semblent le montrer certaines points de vue et hésitations plus ou moins prononcés, les rapports conflictuels qu’entretenaient les diverses sociétés ne semblent pas générer les assises d’une conscience identitaire transcendant les rivalités et les particularismes locaux. Le souvenir des affrontements et des rapports de force passés apparaissent même susceptibles, par le truchement de la tradition orale recueillie et des sensibilités plus ou moins consciemment objectivées des analystes, d’infléchir leurs jugements : parfois, ceux-ci deviennent moins sûrs lorsqu’il s’agit d’évoquer les anciennes situations de dépendances des uns par rapport aux autres ou les situations de vendettas endémiques… La forme monographique que revêtent la plupart des approches ne favorise pas à première vue la mise en chantier d’un socle commun. Malgré les efforts entrepris pour aller du particulier au général et déceler dans l’histoire de telle région des éléments susceptibles de se retrouver à l’échelle du territoire national, il apparaît souvent bien difficile, à travers de tels travaux, de ne pas mettre d’abord en avant le passé des terroirs concernés. Contester l’importance des rapports conflictuels entre le monde Hausa et Songhay permettrait ainsi de valoriser l’histoire des premiers en minorant les influences venues des empires de la boucle du Niger ; au contraire, la mise en avant des actes de conquête ou de résistance pourrait rééquilibrer la balance au profit de l’ouest nigérien, qui ne bénéficie pas d’un passé aussi intéressant que le monde hausa au niveau de la thématique des États et des institutions.
Notes de bas de page
1 « Les informations les moins squelettiques que nous possédons sur les relations Ayar-Hausa relèvent malheureusement, pour la plupart, du domaine des conflits militaires. C’est surtout le Kabi qui apparaît alors. L’un des intérêts de ces sources est de nous montrer, une fois de plus, combien étaient imbriquées les actions des divers Etats de la région, du Tchad au moyen Niger et au massif de l’Ayar », D. Hamani, Au carrefour du Soudan et de la Berbérie : le sultanat touareg de l’Ayar, p. 210.
2 « Si l’on tient compte de tous les achats des Kel Ewey en pays Hausa ont voit qu’ils sont nettement tributaires des Hausas en ce qui concerne la civilisation matérielle. Mais ce qui compte le plus c’est leur dépendance sur le plan alimentaire. Le mil ne constitue pas moins pour les Kel Eways que pour les Hausas la nourriture de base. C’est là qu’ils se distinguent nettement des autres Twareg qui vivent davantage des produits laitiers. Même aujourd’hui ils s’en aperçoivent et ils disent volontiers qu’ils appartiennent, sur le plan alimentaire, à la civilisation Hausa. De l’autre côté les Hausas dépendent eux aussi des Kel Eweys. Le sel constitue un élément essentiel dans l’alimentation dont on ne peut pas se passer. Il aurait été difficile pour le pays Hausa de se procurer ailleurs les quantités de sel dont il avait besoin tant pour les hommes que pour le bétail », Spittler, op. cit., p. 3.
3 Spittler, op. cit., p. 6.
4 « Les développements précédents ont montré que les liens de l’Ayar avec les pays Hausas furent plus étroits qu’avec ses autres voisins. Relativement nouveaux venus sur la scène du commerce transsaharien, l’un etl’autre profitèrent de la complémentarité de leurs positions géographiques, pour se faire une place qui allait être très rapidement enviable et provoquer l’appétit des deux puissants voisins, Gao et Birni Gazargamo. Ces relations n’étaient certes pas nouvelles mais avant l’arrivée du sultanat de l’Ayar et l’expansion de Kano et de Katsina, elles s’inscrivaient dans le cadre général du commerce transsaharien (…) Nous savons que seul le Hausa avait vraiment besoin d’Agades, pour assurer l’autonomie de ses relations vers le Nord, et seul le Hausa pouvait permettre à Agades de jouer un rôle comparable à ceux des Iwalatans (Walata), Tadamakkas, Tigiddas et Bilmas. C’est pourquoi, avec l’expansion économique du monde Hausa, les relations s’intensifièrent sur les voies menant d’Agades à Kano et Katsina, contribuant ainsi au renforcement des monarchies dont les revenus s’accrurent par le prélèvement des taxes ; les échanges accélérèrent le développement des industries locales, et le transit des marchandises vers le Golfe de Guinée ou l’Afrique du Nord prit une ampleur sans précédent », Djibo Hamani, Au carrefour du Soudan et de la Berbérie : le sultanat touareg de l’Ayar, p. 201.
5 Djibo Hamani, « Une gigantesque falsification de l’histoire », dans Éléments de réponse au Programme cadre de la « Résistance armée », Niamey, juin 1994, pp. 41-42.
6 « Un tel sujet est difficile à traiter en raison de la rareté des sources. Il est cependant nécessaire de l’aborder pour susciter des recherches qui permettront de réaliser des progrès dans la connaissance de l’histoire des relations entre le Soudan central et le Soudan occidental », op. cit., p. 249.
7 « Quoi qu’il en soit, il n’est pas impossible que Marendet, si souvent cité par nos informateurs, ait été autrefois une ville hausa importante », D. Hamani, L’Adar précolonial, p. 33.
8 Boubé Gado, Le Zarmatarey – Contribution à l’histoire des populations d’entre Niger et Dallol Mawri, E.N., p. 86.
9 Boubé Gado, op. cit., p. 86.
10 Ces travaux nigérians apparaissent en effet incontournables. Ils constituent le plus important corpus de sources historiographiques utilisé par l’auteur : Seminar on History of Central Sudan before 1804, Zaria, ABU, 1979, avec en particulier l’intervention de Mme Adam. B. Konaré, « Les relations politiques et culturelles entre le Mali-Songhoy et les cités Hausa avant le déclenchement de la jihad » ; F. de F. Daniel, A History of Katsina, Zaria ; M. Adamu, The Hausa Factor in West African History, Zaria, ABUP, 1978 ; J. E. Lavers, « Katsina and the outside world : Advertures in the Historiography of Birni and Kasar Katsina », International Seminar on Islam and the History of Learning in Katsina State. Katsina, May 1992 ; P. E. Lovejoy, Caravans of kola. The hausa kola trade 1700-1900, Zaria, ABUP, 1980.
11 M. Addo, « Les relations entre le monde hausa et le monde songhay », Mu Kara Sane, vol. 10, janvier-juin 2002, p. 70.
12 « Lorsqu’on examine le texte de Mme Konare on se rend compte qu’elle a deux handicaps : elle a des difficultés à situer chronologiquement la domination du Songhay sur les Etats hausas, dans la mesure où elle parle de l’invasion des “proto-Songhoy” et d’une “mainmise de courte durée” sous Askia Mohammed. Sa difficulté est liée au fait qu’elle fait trop confiance à Boubou Hama et à toutes les sources qu’elle a utilisées, en général. Cette confiance illustre son deuxième handicap quand elle affirme que Léon l’Africain a visité certaines capitales hausas. Si l’on peut admettre que Léon l’Africain a visité le Songhoy, l’examen de sa description de certains États hausas montre clairement qu’il ne les a pas visités » (p. 259). Et l’auteur de conclure : « à partir des éléments dont nous disposons, il est très difficile de conclure que le Songhoy a conquis le Katsina sous le règne d’Askia Mohamed ou tué un de ses rois, même si on ne peut pas exclure qu’il y ait eu un affrontement entre les deux États ».
13 M. Addo, les relations entre le monde hausa et le monde songhay, Mu Kara Sani, p. 69.
14 Urvoy, op. cit., p. 25.
15 « Nous prendrons donc simplement les Sonraïs installés au VIIe siècle le long du Niger, dans la région de Tillabéry et dans les îles, entre Tillabéry et Say. C’est là le noyau dont ils ont foisonné à l’est et à l’ouest », Urvoy, Histoire des populations du Soudan Central, p. 24.
16 Jean-Pierre Olivier de Sardan utilise l’appellation de « rive gurma-rive hausa » pour aborder l’histoire du peuplement de l’ensemble songhay-zarma-dendi au Niger. Il ne reprend pas la thèse d’Urvoy qu’il juge par ailleurs peu crédible, à tout le moins fort hypothétique.
17 « La tentation permanente de l’intelligentsia, elle-même le plus souvent d’origine aristocratique, est de vouloir réduire cette complexité à des schémas d’auto-valorisation, d’auto-justification ou d’auto-légitimation, à son profit ou au profit des siens. C’est d’ailleurs ce qui alimente les stratégies de nombre d’idéologues, hommes politiques, et autres “entrepreneurs identitaires”, prompts à “naturaliser”, “durcir” et simplifier les identités régionales ou “ethniques” et à les transformer ainsi en slogans ou en emblèmes, pour se susciter des clientèles politiques ou électorales », J.-P. O. de Sardan, « Unité et diversité de l’ensemble songhay-zarma-dendi », Peuplement et migrations, 1995, pp. 91-92 et M. Tidjani Alou, 1992.
18 Il s’agit de la thèse de 3eme cycle d’I. Kimba soutenue en 1979 et d’un article récent écrit par M. Karimou mais qui n’a pas bénéficié d’une publication quelconque, à la différence de la thèse défendue à peu près au même moment par Mahaman Addo. Nous avons eu connaissance de ce texte grâce à la sollicitude de M. Niang.
19 « (…) la dualité permanente qui a toujours existé entre l’est et l’ouest de l’Afrique saharienne et soudanaise, matérialisée, par ailleurs, par l’opposition permanente entre les empires noirs de la vallée du Niger – Soudan occidental (Ghana, Mali, Gao, etc.) et central (Gobir, empire tardif de Dan Fodio) et ceux éclos dans le bassin du Tchad (Kanem, puis Bornou). L’Aïr et les pays haussas subiront la pression ou même l’occupation (Aïr) des empires soudanais de l’ouest et ceux du bassin du Tchad », Boubou Hama, Recherches sur l’origine des Touaregs sahariens et soudanais, p. 322.
20 Boubou Hama, « L’unité africaine, sa réalité et ses réalités, contextes de cultures au service de notre combat pour notre indépendance économique, la libération et la liberté de notre continent », Symposium d’Alger (21 juillet au 1er août 1969), Niamey, pp. 140-141.
21 « Chefs de guerre, mercenaires et aventuriers, les Wangaris, mot Zarma désignant les guerriers, ont émergé avec l’insécurité et le désordre consécutif aux bouleversements politiques et à la désorganisation économique et sociale qui ont marqué l’ouest de l’Afrique à partir du XVIIe siècle. Les plus connus sont Daouda Bouggarane, Hamma Fandou, Issa Korombé, Bayéro, Kaoussan, Samna Karfé, Ali Bouri, etc. », M. Karimou, « Histoire des conflits en Afrique de 1900 à nos jours », p. 6. Ce document nous a été donné par Mangoné Niang.
22 L’appellation de « nomade » doit cependant être prise avec précaution pour les sociétés peules fixées dans l’ouest nigérien, car beaucoup de ses membres, en particulier l’élite maraboutique, semblent être en grande partie sédentarisés.
23 Lors de l’entretien que le professeur Kimba nous accorda, il nous expliqua avoir repris le titre de son mémoire de thèse du célèbre ouvrage de Georges Duby, et s’être fortement inspiré de l’analyse des conditions dans lesquelles s’élaborèrent les fondements des société féodales d’Europe occidentale pour retracer les dynamiques sociales à l’œuvre, aux XVIIIe et XIXe siècle, dans l’ouest du Niger. (Entretien effectué le jeudi 26 février 2005)
24 I. Kimba, Guerre et société : les populations du Niger occidental au XIXe et leurs réactions face à la colonisation, 1896-1906, Paris 7, thèse, 1979 p.34. L’auteur mentionne les références suivantes : Duby (G.), Guerriers et paysans. Diop (M.), Histoire des classes sociales en Afrique de l’Ouest, Paris, Maspéro, 2 vol., 1971-72. Goody (M.), Technologie, tradition and the state in Africa, London, 1971. Olivier de Sardan (J.-P.), Système des relations économiques et sociales chez les Wogo (Niger), Paris, Institut d’Ethnologie, 1969, 300 p. Pin (E.), Les classes sociales, Paris, Ed. Spes, 1962. Tuden (A.) et Plotnicov (L.), eds., Social Stratification in Africa, New York, 1970.
25 I. Kimba, op. cit., p. 91.
26 D. Hamani, Le sultanat touareg de l’Ayar, pp. 302 et 308.
27 Boubé Gado, Le Zarmatarey, thèse de doctorat, introduction, p. 15.
28 Boubé Gado, conclusion de la version dactylographiée de sa thèse, IRSH, 1976, p. 266.
29 Op. cit., pp. 269-270.
30 Le passage suivant interprète l’opposition des Zarmas de l’ouest à ceux de l’est. Le ton en est martial, le vocabulaire trahit les stratégies motivées par les logiques d’affrontement : « Ils vont à la guerre non pour défendre un quelconque territoire national en ethnique, mais pour se venger des rancoeurs anciennes datant du temps de leur dissidence et de leur migration dans la région du fleuve et des exactions récentes de leur cousin Issa Korombé. L’alliance ne se fonde ni sur une communauté ethnique, ni sur la sauvegarde d’un territoire national donné, ni sur la région, mais sur la vengeance ethnique en dedans, qui n’est pas arrivée à une prise de conscience d’un intérêt général commun à l’ethnie, ni d’un danger national pour l’ethnie. Disons à la décharge des Zarmas de l’ouest que Kollo date de 1895 et Boumba de 1896. Les plaies sont vives encore et la cicatrisation est lente à venir, pour donner à penser aux Zarmas de l’ouest qu’ils devaient aider Issa Korombé (…) », Introduction de la version dactylographiée, pp. 272-273.
31 I. Kimba, op. cit., p. 58.
32 Il y a absence de véritable polémique dans la mesure où les observations d’Idrissa Kimba à l’encontre des théories développées par Boubé Gado n’ont pas fait l’objet, à notre connaissance, d’un débat contradictoire fixé par un quelconque support écrit ou audiovisuel.
33 I. Kimba, op. cit., p. 58. Notons au passage que l’argumentation étayant la critique repose sur un seul témoignage, collecté par les soins de l’auteur. On retrouve d’ailleurs, à travers celui-ci, cette approche de l’histoire par le haut fort caractéristique, comme nous avons tenté de le montrer dans un chapitre précédent, de l’approche historiographique nigérienne.
34 Sur cette question, outre les contributions de Boubé Gado, Mahamane Karimou et Idrissa Kimba, il faudrait également ajouter d’autres travaux, dont ceux de J.-P. O. de Sardan.
35 L’auteur puise maintes illustrations à ses propos à partir de ses propres recherches et de travaux dont la plupart concernent le Soudan occidental. Il se réfère également à plusieurs reprises aux thèses de B. Gado et I. Kimba.
36 M. Karimou, op. cit., p. 1.
37 M. Karimou, op. cit., p. 23 (conclusion).
38 Alfarouk Rissatan, Introduction à l’histoire de l’Azawagh nigérien, Niamey, 1991.
39 « Contrairement à ce qui est avancé actuellement, les Imghads étaient très indépendants vis-à-vis des Imajaghans. » op. cit., p. 79
40 Op. cit., p. 83.
41 Op. cit., p. 75.
42 La rébellion touarègue éclate en novembre 1991 avec l’attaque par un groupe armé du poste administratif d’In Gall. L’affrontement fut précédé d’une dégradation de plus en plus vive des conditions de vie dans la zone saharienne et une accumulation de frustration, notamment parmi les jeunes Touareg.
43 Boubé Gado, Le Zarmatarey, introduction à la thèse manuscrite, p. 6.
44 La conclusion d’un ouvrage assez récent d’Emmanuel Grégoire consacré à la question touarègue au Niger insiste sur ce point, en citant l’ouvrage d’André Salifou, La question touarègue : « Si le début de la période coloniale fut marqué par un antagonisme aigu, les relations entre les Français et les Touaregs s’améliorèrent par la suite. Depuis 1960, les différents chefs d’Etat nigériens s’efforcèrent d’associer toutes les communautés à la gestion du pays afin de conforter l’unité nationale. André Salifou note qu’il y a eu depuis 1958 en moyenne deux ministres Touaregs dans les trente-huit gouvernements qui se sont succédé au Niger, ce qui est considérable car cette moyenne est de quatre pour les Haoussas qui constituent plus de 50 % de la population du Niger tandis que les Touaregs n’en représentent que 8 à 9 % », E. Grégoire, Touaregs du Niger : le destin d’un mythe, Karthala, 1999, p. 314.
45 Koutchi Djibrilla, La principauté du Kurmey des origines à la conquête coloniale- contribution à l’étude des populations soney du Gurma, Niamey, mémoire de maîtrise, 1984-1985.
46 L’auteur évoque également les relations entre les deux groupes de nomades, en mettant l’accent sur une irréductible rivalité d’intérêts qui ne pouvait aboutir qu’à l’éviction de l’un des deux protagonistes de la scène locale : « De toute évidence, l’entrée des Surgeys n’est pas un fait du hasard. Les Touaregs et les Fulbes sont deux groupes nomades différents par leur structure, leur évolution et leur économie ; mais qui pratiquent la même activité. Les bergers Fulbes fréquentent l’espace pastoral des Touaregs et inversement les Touaregs transhument dans l’espace Fulbe. Ce partage des zones de pâturage et des points d’eau est une source de conflits entre les communautés nomades comme il l’est entre nomades et sédentaires. Enfin, la présence de l’un ou de l’autre constituerait un véritable obstacle aux ambitions d’autrui », op. cit., p. 49.
47 « Précisons que l’objectif des Silance n’est pas d’imposer la religion musulmane aux sédentaires Soney. La tradition orale rapporte d’ailleurs que les Fulbes de notre région ne pratiquaient pas l’Islam. A cet effet nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que l’action des Peuls Silance était purement politique. Elle visait le renversement des pouvoirs locaux puis la création d’une entité politique Fulbe au Soney », op. cit., p. 44.
48 Op. cit., p. 80.
49 « Cette suprématie n’avait cependant pas effacé entièrement les autorités Soneys. Les touaregs n’ont jamais cherché à organiser les populations qu’ils dominaient, à créer une structure politique nouvelle, à mettre en place un appareil d’État même embryonnaire, même là où ils se sont sédentarisés. Partout ailleurs, restés nomades, ils se sont contentés de mettre à profit leur mobilité pour rançonner les agriculteurs sédentaires par un processus constant d’infiltration, de domination », op. cit., p. 96 (extrait d’un témoignage collecté par J.-P. O. de Sardan, publié dans Chefs, esclaves et paysans : les sociétés Zarma-Songhay en 1981).
50 Op. cit., p. 97.
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