Les maisons d’éducation à Toulouse au xviiie siècle
p. 929-938
Résumés
Au siècle des Lumières, une vive critique remet en cause l’enseignement traditionnel et préconise l’abandon des collèges accusés de ne pas savoir capter l’intérêt des élèves. Dans leurs prospectus, les gazettes proposent le nouvel « idéal pédagogique » vanté par les « maisons d’éducation » qui se multiplient à Toulouse. Le succès de ces institutions tient à ce qu’elles comblent les désirs des parents et offrent un enseignement plus moderne et mieux adapté aux besoins des enfants.
During the Enlightenment, sharp criticism called into question traditional teaching and advised the abandonment of colleges which were accused of not knowing how to attract students’ interest. In their brochures, the gazettes suggested a new « pedagogical ideal » which praised the « Educational Houses » which were multiplying in Toulouse. The success of these institutions came from the fact that they fulfilled parents’ wishes and offered teaching which was more modern and better adapted to students’ needs.
En el siglo de las Luces, aparece una fuerte crítica contra la enseñanza tradicional, la cual recomienda dejar los colegios acusados de no saber captar el interés de los alumnos. En sus programas, las gacetas proponen el nuevo « ideal pedagógico » alabado por las « casas de educación » que se multiplican en Toulouse. El éxito de estas instituciones procede del hecho de que colman los anhelos de los padres y que ofrecen una enseñanza más moderna y más adecuada a las necesidades de los niños.
Texte intégral
1L’innovation de la pédagogie, de l’art d’enseigner aux enfants, suscite un véritable engouement que Marcel Grandière situe au début du xviiie siècle, en le qualifiant de nouvel « idéal pédagogique »1. Toute l’ingéniosité des pédagogues qui proposent de nouvelles méthodes (la méthode interlinéaire de Dumarsais, le bureau typographique de Dumas, les projets de sciences nouvelles de Vallange2, la méthode latine de Radonvilliers) consiste à répondre à une demande sociale d’instruction sans cesse réaffirmée au siècle des Lumières. Il s’agit de satisfaire la volonté des parents de favoriser l’intégration des enfants dans la société et d’exaucer la préoccupation d’encourager la curiosité des élèves.
2Le foisonnement des idées nouvelles dans le domaine pédagogique touche la ville de Toulouse. À côté des anciens établissements scolaires que sont les collèges, de nouvelles structures naissent et proposent des innovations pédagogiques : il s’agit des maisons d’éducation. Cette expression, avec pour synonyme couramment utilisé le mot « pension », reflète des réalités très diverses. En parcourant les almanachs de la fin du xviiie comme l’Almanach historique de la ville de Toulouse ou Affiches et annonces de Toulouse et du Haut-Languedoc3, de nouvelles approches pédagogiques sont proposées aux parents afin de donner à leurs enfants une éducation qui se veut innovante et mieux adaptée aux besoins de la société. Il s’agit ici de caractériser les innovations des maisons d’éducation toulousaines et d’analyser les nouveaux types d’enseignements qui y sont donnés. Il conviendra de se demander quelle a été l’efficacité de ces innovations pédagogiques, au-delà d’un indéniable succès.
Inventer une pédagogie correspondant mieux aux goûts et aux besoins des enfants
3Pour Marcel Grandière, la nouvelle conception de la pédagogie se préoccupe de mieux connaître la nature humaine et recherche de nouvelles méthodes pour faciliter les apprentissages scolaires des enfants. Les philosophes de la seconde moitié du xviiie siècle ont contribué à faire connaître partout en Europe les idées françaises sur les questions d’éducation. Condillac, Diderot, Rousseau proposent, à l’inverse de ce qui se passe dans les collèges, une éducation qui entend susciter la curiosité des enfants en combattant la routine. Pour eux, tout enseignant doit rechercher, par l’observation de l’être humain, les ressorts susceptibles de susciter l’intérêt de l’enfant. La pédagogie se constitue « sur le modèle de la science newtonienne en véritable physique de l’âme ». Ainsi, l’école doit-elle répondre aux aspirations des parents et s’adapter à leurs nouvelles attentes. Plus exigeants sur le plan pédagogique, ils cherchent des écoles mieux adaptées, selon eux, aux besoins de leurs enfants, à leurs capacités et à la préparation de leur avenir. L’éducation suppose une attention à l’individu qui ne peut exister dans une classe. Capter l’intérêt de l’enfant, c’est d’abord partir de ses besoins et tenir compte de ses capacités personnelles. L’entourer de son affection est nécessaire à son épanouissement. Depuis la Renaissance, « l’idéal pédagogique de l’Occident moderne est non directif », écrit Béatrice Durand. Déjà chez Montaigne, la pédagogie consiste à aider l’enfant à construire lui-même son savoir et le maître, au lieu de se limiter à transmettre, doit lui apprendre la « vraie vie » comme l’écrit Rousseau4.
4Le souci de donner une éducation personnalisée se retrouve dans les Mémoires5 de Guillaume-Marie Ayral, le fils d’un seigneur gascon, anobli de fraîche date. Décrivant le parcours anarchique de ses études et le contenu de l’enseignement qu’il a reçu au cours de son enfance, il raconte les divers épisodes de sa scolarité dans les villes où son père exerçait sa profession de magistrat. À Toulouse, il se rend chez un maître de latin et prend des leçons d’écriture, de dessin, d’escrime, de danse et de musique. Évoquant ce séjour de quelques mois, il mentionne les raisons qui ont poussé son père à faire ce choix :
Dans le désir de m’y faire donner une éducation brillante, il me mit à demi-pension chez un bon maître de latin qui se faisait payer fort cher. Je revenais tous les soirs à la maison car sa tendresse ne lui permettait pas de se priver entièrement de ma vue.
5Quelques mois après, soucieuse de suivre de près l’éducation du fils, la famille s’installe à Auch, chez les grands-parents, et choisit un maître de latin « qui enseignait les écoliers avec beaucoup de douceur ». Imprégnée par les idées nouvelles en matière de pédagogie comme dans la nouvelle vision du monde, l’instruction de Guillaume-Marie Ayral reste essentiellement littéraire. Tardivement, il s’initie aux études scientifiques et porte un grand intérêt aux expériences de physique ou de chimie comme le font tous les esprits cultivés de son temps.
6Cette instruction désordonnée témoigne d’une conception individualiste de l’éducation, où le père entend respecter les goûts de l’enfant et lui accorder une grande liberté dans ses apprentissages. Selon une conviction maintes fois répétée, cette nouvelle pédagogie résolument optimiste et proche de la nature ne peut avoir cours dans les collèges, mais elle se pratique de plus en plus couramment dans les pensions où le maître se montre proche de l’enfant, comme peut l’être un précepteur. Dans l’annonce de M. Moret, en1781, est évoquée « la tendresse la plus marquée pour les enfants »6. L’éducation suppose une attention à l’individu qui ne peut exister dans une classe. Capter l’intérêt de l’enfant, c’est d’abord partir de ses besoins, tenir compte de ses capacités personnelles, susciter sa curiosité.
L’école doit répondre aux aspirations des parents et s’adapter à leurs nouvelles attentes
7Plus exigeants sur le plan pédagogique, les parents adoptent les stratégies éducatives qui leur paraissent les mieux adaptées pour instruire leurs enfants. Le choix d’une pension ou d’une maison d’éducation dépend de sa notoriété ou de la qualité de ses maîtres. Les formes nouvelles de pédagogie se multiplient et l’idée de regrouper les enfants dans de grands établissements est jugée néfaste, tellement elle risque de les distraire de leurs études.
8Ceux qui ont en charge les « maisons d’éducation » se disent « sieur », « maître », « professeur » ou « maître de pension ». Ces derniers ont reçu leur « lettres de permission » du grand chantre. Quand ils sont admis dans la « compagnie des maîtres de pension de l’Université » par le recteur, ils portent ce titre, et font un discours de réception. Les parutions de l’Almanach historique de la ville de Toulouse, entre1781 et1785, citent quinze ou seize de ces maîtres chaque année7. Beaucoup de « pensions » sont en fait des « maisons d’éducation » puisqu’elles dispensent un enseignement dans leurs murs et qu’elles accueillent majoritairement les élèves en âge d’aller au collège.
9Première préoccupation des maîtres, choisir une maison qui attire les parents. Les prospectus magnifient la qualité du lieu choisi. Comme ces établissements parisiens faisant leur publicité dans une gazette toulousaine, ils vantent la qualité de l’air pur. M. Leparmentier met en avant la proximité du jardin du Luxembourg, dans un quartier de Paris, « des plus favorables pour la salubrité de l’air »8. La maison d’éducation pour la jeune noblesse établie faubourg Saint-Germain est ainsi décrite par M. Moret : « La maison est agréable vaste et commode par sa distribution, située entre cour et jardin, en bon air et à portée des plus belles promenades pour les enfants »9. Il importe que le corps des élèves soit développé dans les meilleures conditions possibles et que l’on se préoccupe de leur santé. Le travail éducatif consiste à mieux connaître l’enfant et à lui donner une « éducation naturelle », c’est-à-dire selon la nature.
10Les maîtres décrivent leurs maisons dans les avis ou annonces des journaux et s’engagent à les faire visiter par les parents, lors de l’inscription de leur enfant. Certains prospectus détaillent le contenu du trousseau : aisance, propreté et simplicité, voici les qualités exigées pour les vêtements, dans le but de s’opposer au luxe, à l’orgueil d’« être plus » que les autres. Les uniformes peuvent être parfois imposés aux élèves. Ils visent à garantir l’égalité de tous.
11La propreté et l’hygiène générale deviennent une obsession de plus en plus largement partagée. Les auteurs des traités d’éducation influencés par la philosophie nouvelle intègrent, dans leur réflexion, la nécessité de l’éducation physique. Monsieur Édeline écrit dans son annonce :
Les exercices du corps contribuant seuls autant que le reste à la santé, à l’agilité, à la perfection de la constitution, M. Édeline, les rendra fréquents, les réglera lui-même, et en fixera l’heure.10
12Autre particularité des maisons d’éducation : elles doivent être à l’image des familles où le père et la mère exercent leur autorité. Un courant éducatif fait du père le premier éducateur de ses enfants avec sa femme. Les « maisons d’éducation » se veulent dans les prospectus comme des « maisons » semblables ou presque aux maisons familiales, où le maître, l’instituteur a le rôle et l’autorité du père. Le sieur Feyzeau s’engage à informer très vite les parents en cas de maladie d’un élève et à suivre les prescriptions du médecin lorsqu’il devrait donner des médicaments.
13Déjà, dans la première partie du xviiie siècle, Rollin, très souvent cité tout au long du siècle, avait bien insisté dans le discours préliminaire de son traité sur les trois objets de l’instruction des jeunes gens : la science, les mœurs et la religion. Les « maisons d’éducation », suivant en cela l’ancien recteur de l’Université de Paris, cherchent à donner une éducation totale : « les facultés de l’âme, du corps et de l’esprit » doivent être simultanément développées afin de former des chrétiens et des hommes sociables, des citoyens utiles à l’État. C’est le leitmotiv bien connu des décennies d’avant la Révolution : instruire solidement des préceptes de la religion chrétienne, garantir et enraciner un esprit vertueux, forger un homme moral qui sache et assume ses devoirs envers la société, former un citoyen en donnant aux enfants des connaissances utiles, tels sont les buts assignés aux tâches d’éducation.
14Sur tous ces points, les collèges auraient échoué, si l’on en croit le flot de griefs qui leur sont faits. Modèle éducatif recherché, la « maison d’éducation » tente de proposer aux parents une pédagogie nouvelle quand les collèges, malgré leur évolution, symbolisent une tradition jugée rétrograde.
15Au-delà des connaissances, l’objectif que se fixent les maîtres est d’assurer la formation générale du chrétien et du citoyen. Cette ambition peut être résumée dans les propos de monsieur Édeline qui :
se propose de redoubler de zèle et de vigilance […] n’ayant rien tant à cœur que de donner à l’État des citoyens qui honorent autant leur patrie par leurs mœurs que par leurs talents.11
La crise des collèges
16« Les deux dernières décennies de l’Ancien Régime ont été marquées par l’accroissement très net des pensions et institutions privées » qui seraient, aux yeux de deux spécialistes de l’histoire de l’éducation, « la réponse à une demande des parents soucieux d’une éducation à la fois plus soignée et plus surveillée »12.
17L’instruction relève de plus en plus de l’initiative privée et cela ne fait qu’aggraver les difficultés financières des collèges, au moment où une nouvelle vague de création d’écoles, répondant davantage aux exigences des parents, semble se développer. Le succès des « maisons d’éducation » est très certainement lié à l’expulsion des jésuites et à l’évolution beaucoup trop lente de l’enseignement en collège. Malgré les indéniables efforts des « bureaux d’administration », leurs finances connaissent trop de difficultés et la « routine » retarde les changements13.
18Moins rigides, moins administratives, plus proches des courants pédagogiques nouveaux, les « maisons d’éducation » sont capables de se moderniser et de s’adapter vite et mieux aux besoins des enfants. Elles répondent aisément aux préoccupations des esprits éclairés : former des citoyens qui acquièrent des connaissances utiles pour la patrie ; faire évoluer les matières d’enseignement en adaptant aux réalités le vieux plan humaniste d’éducation ; répondre aux goûts du public pour la nature, la jurisprudence, la physique expérimentale, les techniques nouvelles, l’astronomie et diverses formes d’enseignement scientifique… Ces attentes se retrouvent dans les gazettes toulousaines comme Affiches et annonces.
19La critique des collèges prend parfois des tours inattendus. Ainsi, le sieur Lacombe, un maître de langue française et de latin, se lance dans une diatribe (qu’on pourrait croire d’actualité !) sur l’incapacité des élèves des collèges à maîtriser la langue française. Ses propos sont édifiants :
On envoie au collège des enfants qui savent à peine bégayer dans un livre et qui griffonnent sur leur cahier des mots sans aucune ortographe [sic], qu’ils ne peuvent déchiffrer eux-mêmes : de là ces ignorants dont les classes fourmillent, et ce n’est que par les soins assidus d’un précepteur instruit qu’un très petit nombre parvient avec beaucoup de peine ; les professeurs ont depuis longtemps senti ce défaut, plusieurs font leur possible pour les corriger ; mais il faudrait pour y réussir qu’ils abandonnassent le train de leur classe et les leçons qu’ils donnent à cet égard ne peuvent produire que très peu de fruit. C’est donc aux pères de prévenir par leur vigilance un pareil abus ; c’est à eux de choisir, pour donner à leurs enfants les premiers principes de l’éducation, un maître sinon désintéressé, du moins instruit, qui puisse les remplacer.14
20Il s’agit bien de réformer les études et les méthodes pratiquées dans les collèges en encourageant la création de nouveaux établissements.
Des « maisons d’éducation » aux enseignements classiques
21Assurant un enseignement parfois identique à celui des collèges mais souvent plus spécialisées, ces écoles naissent et se développent grâce à des initiatives individuelles et mettent en œuvre de nouvelles méthodes pédagogiques15. À Toulouse, Affiches et annonces contribuent à faire la publicité de ces institutions qui sont présentées sous le titre de « maison d’éducation » ou celui de « pension ».
22Le sieur Langlade, maître écrivain, tient pension chez lui pour apprendre à lire, à écrire et découvrir l’arithmétique ou le latin. Le sieur Feyzeau vise manifestement une clientèle plus huppée. Il limite le nombre de ses pensionnaires à huit et le montant de pension exigé s’élève à 800 livres, une somme énorme qui correspond aux gages annuels de quatre ou cinq maîtres d’écoles ! Pour un tel montant, les élèves « seront bien nourris, blanchis, éclairés, chauffés ». Son enseignement reste classique ; il propose, en plus, l’histoire, la géographie et « principalement la religion chrétienne ».
23Le sieur Édeline peut accueillir douze pensionnaires, dont la pension annuelle s’élève à 432 livres. Il s’engage à enseigner la lecture, l’écriture, l’orthographe, la langue latine, l’histoire « tant nationale qu’étrangère », la géographie et la mythologie. Il propose, en outre, « aux jeunes gens que leurs parents destinent à l’état militaire », un cours de tactique.
24Dans le numéro du21 octobre1789, le sieur Duplan, maître ès arts, peut recevoir quinze élèves dans une pension qu’il ouvre près du collège royal. Visant un accompagnement scolaire des collégiens, il enseigne le français, le latin et les humanités, mais il propose aussi de conduire les élèves au collège voisin. Le sieur Maury, marchand, ouvre une pension où il pourrait accueillir vingt-quatre élèves avec trois classes. Un maître est chargé des leçons de latin et les deux autres proposent un enseignement qui semble viser une clientèle d’enfants se destinant au commerce : l’un enseigne « l’écriture et la finance » et l’autre « l’arithmétique ». Si l’enseignement donné dans ces maisons d’éducation en reste aux apprentissages fondamentaux, des maîtres proposent des compléments dans des domaines qui touchent aux sciences, aux techniques militaires ou commerciales, et de plus en plus d’établissements se consacrent à ces spécialités.
Des enseignements plus spécialisés
25Dans une société avide de progrès, les apprentissages utiles dans les métiers sont valorisés et un intérêt pour les techniques et les nouvelles méthodes encourage la création des écoles professionnelles en concurrence avec les collèges humanistes. Ces établissements touchent surtout les métiers des arts en général, la profession militaire, et les activités de commerce. Les écoles de dessin se multiplient au xviiie siècle. En décembre1750, des lettres patentes du roi Louis XV autorisent les assemblées de la Société des arts de Toulouse à s’ériger en Académie royale de peinture, sculpture et architecture16.
26Des institutions se spécialisent dans l’éducation des enfants de la noblesse17 afin de les préparer à tenir leur rang ou à se lancer dans une carrière militaire. À Toulouse, une académie pour l’éducation des gentilshommes, établie par lettres patentes du roi et pensionnée par la province de Languedoc et par la ville, existe depuis la fin du xviie siècle18. Comme un almanach le rappelle vers1752, on y apprend « tous les exercices convenables à la noblesse » : monter à cheval, tirer les armes, s’initier aux mathématiques ; autant d’apprentissages nécessaires afin de se préparer à la carrière militaire19. La formation des officiers devient une préoccupation majeure dans la deuxième moitié du xviiie siècle, comme l’a bien montré Pascal Roux20. Pendant une quinzaine d’années, on trouve à Toulouse un spécialiste des fortifications et du génie militaire : le sieur Delaistre. Dans le prospectus destiné à assurer la promotion de son école, il propose d’amener ses élèves sur le terrain ; là, « il leur apprendra à lever, à niveler, à dessiner la carte et le paysage, à lever les plans des fortifications »… Son enseignement très technique « joindra des leçons sur la construction des chemins, des ponts, des canaux et en général sur tous les ouvrages hydrauliques »21. La formation en génie civil devient de plus en plus nécessaire et l’Académie royale de peinture, sculpture et architecture de Toulouse décide, en1782, de créer en son sein une école de génie pour les Ponts et chaussées. Son objectif est de former des spécialistes « capables de diriger avec intelligence les travaux publics »22. Il s’agit bien de la mise en place d’un véritable enseignement technique, qui se soucie alors d’encourager des apprentissages professionnels. Avec les mêmes préoccupations, le professeur Olléac donnera un cours de mathématiques afin de préparer, écrit-il, au commerce, au génie civil ou militaire, à l’artillerie ou à la marine… Il se présente comme un grand savant capable de résoudre des problèmes très difficiles23.
27Un enseignement tout aussi spécialisé permet de préparer à des métiers du commerce. Le cas de la pension Gaubain est exemplaire. Son prospectus est un modèle du genre avec une présentation originale, pleine page, qui tranche avec le reste de la gazette, et son texte met en avant les qualités du maître dans un langage très publicitaire. Il vante sa pédagogie active et résolument tournée vers la pratique de la comptabilité :
Il ose d’autant plus se flatter de mettre les jeunes gens qu’on lui confiera, à même d’entrer chez un négociant, comme quelqu’un qui aura travaillé dans un comptoir, que les occupations qu’il donne à ses élèves, sont les mêmes qui se font journellement dans les maisons de commerce…24
28Bel exemple d’une école pratiquant des méthodes actives, en sachant s’adapter aux nouveaux besoins de la société !

Prospectus de la pension Gaubain dans Affiches et annonces de Toulouse, mercredi 14 février 1781 (Bibl. mun. Toulouse, Rés. B XVIII 130)
29La diversité et l’incohérence du réseau d’écoles25 qui existait sous l’Ancien Régime semblent s’aggraver, à la veille de la Révolution, du fait de la multiplication des pensions ou maisons d’éducation qui concurrencent les écoles traditionnelles. Dès le xixe siècle, ces cours rivalisent avec l’enseignement public et on tend de plus en plus à les considérer comme un système laissé à l’initiative privée.
30Dans la Grande Encyclopédie, Eugène Blum écrit : « les tentatives de réformes n’étaient brillantes que dans les prospectus »… Jugement sévère qui doit conduire à un bilan plus nuancé : les maisons d’éducation sont bien des lieux d’innovation pédagogique et à ce titre, elles ont suscité un enthousiasme justifié… Mais lorsque des maîtres se vantent de faire acquérir en trois ans le même niveau que les élèves mettent habituellement sept ans à atteindre, cela paraît clairement extravagant. Manifestement beaucoup de maisons d’éducation ont profité d’un engouement dont le succès, comme beaucoup d’effets de mode, ne repose en rien sur des résultats sérieux. Une chose est sûre : dans la deuxième moitié du xviiie siècle, les besoins de renouveau ont fragilisé un ancien système qui a du mal à s’adapter aux exigences des parents, sans pour autant proposer des structures pédagogiques durables. La Révolution a mis fin aux collèges et a laissé libre cours à des institutions instables, souvent précaires, mais on peut encore retrouver la trace de ces pensions au xixe siècle.
Notes de bas de page
1 Marcel Grandière, L’Idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation,1998.
2 Marcel Grandière, « Éducation et société dans la première moitié du xviiie siècle : de Vallange et ses projets de réforme complète de l’éducation1710-1740 », Paedagogica Historica, XXXIII,1997-2.
3 Bibl. mun. Toulouse, Rés. B XVIII1-30, souvent cités dans ces notes.
4 Béatrice Durand, Le paradoxe du bon maître. Essai sur l’autorité dans la fiction pédagogique des Lumières, Paris, L’Harmattan,1999. Partant de la lecture d’ouvrages classiques sur l’éducation dont le Télémaque de Fénelon ou l’Émile de Rousseau, l’ouvrage entend démontrer les contradictions de la pédagogie non directive.
5 Mémoires de la jeunesse de Guillaume-Marie Ayral, manuscrit Bibl. mun. Toulouse, ms1353, fol.60. Petit-fils d’un conseiller à la cour des Aides de Montauban qui achète la seigneurie de Sérignac en Lomagne, Guillaume-Marie naît du mariage tardif de son père avec une Auscitaine, le 1er janvier1766. Engagé dans l’armée sous la Révolution, il fait ensuite une brillante carrière militaire sous l’Empire. Parfaitement rédigé quelques années après ses études, à l’âge de24 ans, son manuscrit met en évidence son excellente maîtrise de la langue française.
6 Affiches et annonces de Toulouse, Supplément aux Affiches n° 41, mercredi10 octobre1781.
7 Bibl. mun. Toulouse, Rés XVIII208.
8 Cette publicité d’un établissement parisien figure dans la gazette toulousaine : Affiches et annonces de Toulouse, mercredi 3 avril1782, p. 56.
9 Affiches et annonces de Toulouse, Supplément aux Affiches n° 41, mercredi10 octobre1781.
10 Affiches et annonces de Toulouse,12 décembre1781, p. 203
11 Affiches et annonces de Toulouse,12 décembre1781, p. 204.
12 Dominique Julia et Paul Pressly, « La population scolaire en1789 », Annales E.S.C., nov-déc.1975, p. 1545.
13 Sur tous ces points, voir mon ouvrage, Les Chemins du savoir en Quercy et Rouergue à l’époque moderne, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail,1999.
14 Affiches et annonces de Toulouse, mercredi24 décembre1783, p. 212.
15 Marcel Grandière, « L’éducation en France à la fin du xviiie siècle : quelques aspects d’un nouveau cadre éducatif, les “maisons d’éducation” (1760-1790) », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, t. 33, juillet-août1986, p. 440-462.
16 Arch. mun. Toulouse, AA29/14.
17 On trouve un pareil établissement à Montauban. Le pensionnat des pères cordeliers accueille vingt-sept élèves, en1773, pour la plupart issus de la noblesse des quatre coins du Sud-ouest ; ils sont inscrits dans les différents « exercices littéraires » proposés et pratiquent des spécialités liées à la vie nobiliaire comme l’escrime ou les fortifications.
18 Arch. mun. Toulouse, AA28/83.
19 Cela est rappelé dans l’Almanach historique et chronologique de Languedoc,1752-1754, p. 256.
20 Pascal Roux, « Éducation et formation des officiers militaires à Toulouse dans la deuxième moitié du xviiie siècle », Histoire, économie et société,2001, n° 3, p. 371-383.
21 Affiches et annonces de Toulouse, mercredi10 mars1784.
22 Arch. dép. Haute-Garonne, Br. 787, Mémoire présenté à MM les capitouls par l’Académie royale de peinture, sculpture et architecture de Toulouse, en faveur d’une école de génie qu’elle a établie dans son hôtel pour l’utilité de ses habitants et de la province, s.d.
23 Affiches et annonces de Toulouse, mercredi 9 décembre1789.
24 Affiches et annonces de Toulouse, mercredi14 février1781.
25 En matière d’enseignement, un débat essentiel, qui marque aussi bien le xixe que le xxe siècle, surgit alors dans la vie politique française et ce débat oppose les tenants d’une école contrôlée par l’État et destinée à préparer de futurs citoyens et ceux qui défendent une liberté jugée fondamentale : celle des parents.
Auteur
guy.astoul@club-internet.fr
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