L’enseignement de la médecine à Toulouse au xviiie et au xixe siècle
p. 917-927
Résumés
Au dix-huitième siècle, la faculté de médecine de Toulouse était la troisième de France par son importance, après Montpellier et Paris. Elle avait cinq chaires et une cinquantaine d’étudiants par année d’études, au moins dans la deuxième moitié du siècle. Pendant cette même période, s’est installée et développée une brillante école royale de chirurgie. La suppression de toutes les structures traditionnelles d’enseignement supérieur, par la Convention en 1793, décida les médecins et chirurgiens toulousains, désormais réunis, à recréer un enseignement médical, d’abord non officiel, puis officialisé par Napoléon en 1806. Ce ne fut qu’une école de médecine, mais la meilleure du pays, après les trois facultés recréées par l’Empire. En 1891, Toulouse récupéra enfin sa faculté de médecine.
In the 18th century, the medical school in Toulouse was ranked third in France in importance, after Montpellier and Paris. The school had five chairs and around fifty students in each year of studies, at least in the second half of the century. During this same period, an excellent royal school of surgery was set up and developed. The elimination of all traditional structures of Higher Education, by the Convention of 1793, pushed Toulousain doctors and surgeons, now united, to create a sort of medical school which was at first unofficial, but was then recognised by Napoleon in 1806. It was merely a medical school but the best in the region after the three schools re-created by the Empire. In 1891, Toulouse finally recovered its medical school.
En el siglo XVIII la Facultad de medicina de Toulouse era la tercera de Francia en importancia después de las de Montpellier y París. Tenía cinco cátedras y una cincuentena de estudiantes en cada curso, al menos en la segunda mitad de siglo. Durante el mismo período se creó y desarrolló una brillante escuela real de cirujía. La supresión de todas las estructuras tradicionales de enseñanza superior por la Convention en 1793 llevó a los médicos y cirujanos de Toulouse, ya reunidos, a volver a crear una enseñanza medical, primero no oficial, después oficializada por Napoleón en 1806. Fue sólo una escuela de medicina, pero la mejor del país, después de las tres facultades creadas de nuevo por el Imperio. Por fin Toulouse recuperó su Facultad de medicina en 1891.
Texte intégral
La faculté de médecine au xviiie siècle
1Bien que la faculté de médecine de Toulouse soit la troisième de France par son importance, après Montpellier et Paris, son volume numérique est faible. À la fin du siècle, elle n’a que cinq chaires, le nombre d’étudiants, en régulière progression, est de dix à soixante-dix par année d’études et il en sort de deux à vingt docteurs en médecine par an. Bien sûr, son enseignement est encore encombré par des théories fumeuses, mais ce n’est plus la médecine de Molière. Désormais, on dissèque les cadavres officiellement pour l’enseignement de l’anatomie. Les sciences d’observation, les sciences naturelles se développent beaucoup et intéressent tous les gens instruits y compris les médecins. C’est aussi le début de la chirurgie moderne, toute basée sur l’anatomie.
2Les professeurs de la faculté de médecine doivent faire face à cette concurrence ; ils ont compris le message et créent une chaire consacrée à l’anatomie et à la chirurgie. Le professeur qui l’occupe préside, à l’école royale de chirurgie, le jury de réception à la maîtrise de chirurgie. Les étudiants de l’école de chirurgie suivent ses cours. Médecins et chirurgiens toulousains ont décidé de collaborer. Autre exemple de collaboration : quand l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse décide de créer un Jardin des plantes, l’un des professeurs de médecine y donne des cours de botanique.
3En ce qui concerne les statuts, c’est l’affaire du gouvernement. En mars 1707, le roi édicte de nouveaux règlements pour les facultés de médecine. Le texte comporte trente-huit articles, concernant aussi bien l’assiduité des professeurs que l’organisation des concours, des « disputes », pour le choix des titulaires de chaire.
4La faculté de médecine est située rue des Lois, dans le « quartier latin » de Toulouse, où sont les campus, ou mieux les collèges où sont logés les étudiants. En 1764 et 1773, la ville de Toulouse acheta des maisons adjacentes à la faculté pour agrandir ses locaux et créer un nouvel amphithéâtre, une bibliothèque et des laboratoires de chimie.
Les professeurs
5À côté des cinq professeurs royaux, il y avait des docteurs conventuels ou agrégés, assez nombreux, qui les aidaient pour des tâches administratives, pour l’enseignement et pour les concours où il fallait un jury de sept membres.
6Certains professeurs méritent plus qu’une mention honorable :
7Pierre Gouazé (1688-1756) fut un des trois fondateurs de la Société des sciences, transformée en 1742 en Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres. Il fut doyen de la faculté. Il avait publié un Recueil de remèdes.
8Jean Astruc (1684-1809) fut le deuxième titulaire de la chaire d’anatomie et chirurgie. Il venait de Montpellier et il y revint pour remplacer Chirac devenu médecin du régent puis du roi Louis XV. Astruc devint lui-même médecin du roi de Pologne, puis régent à Paris où il enseigna jusqu’à sa mort et fit des cours au Collège de France. Il fut aussi nommé capitoul de la ville de Toulouse.
9Louis-Guillaume Dubernard (1728-1809), nommé professeur très jeune, à 28 ans, devint médecin chef de l’Hôtel-Dieu en 1772 et le resta après la Révolution. Il enseignait aussi la botanique au Jardin des plantes ou sur les coteaux de Pech-David. Il fut doyen, membre de l’Académie royale de médecine et, lui aussi, nommé capitoul.
10Jean-Baptiste Gardeil (1726-1808), né à Toulouse, passa plusieurs années à Paris où il apprit le droit, les mathématiques, la botanique et plusieurs langues et où il devint l’ami de Diderot et de d’Alembert. Docteur en médecine de Toulouse en 1755, il enseigna d’abord les mathématiques au collège royal. Puis il fut nommé professeur de médecine. Pendant trente ans, il traduisit les œuvres d’Hippocrate et publia aussi les Institutes medicinæ.
Les étudiants
11Pour entrer à la faculté de médecine, il fallait être maître ès arts avec deux ans de philosophie. Les études de médecine duraient quatre ans. Au bout de trois ans, on pouvait être bachelier en médecine, au bout de quatre, licencié. Les aspirants à la licence, indispensable pour exercer et pour devenir docteur, devaient soutenir une thèse en latin.
12Dès 1702 s’était installé le système des inscriptions avec un registre des inscriptions. On connaît ainsi le nombre d’étudiants par année d’études : 11 à 35 de 1714 à 1720 ; 22 à 50 de 1758 à 1772 ; 40 à 70 de 1773 à 1787.
13Patrick Ferté1, de l’université du Mirail, a suivi le cursus individuel des étudiants en médecine toulousains au xviiie siècle Voici ses plus précieuses conclusions : d’abord, ils sont beaucoup moins nombreux que les étudiants montpelliérains et aussi nombreux que les étudiants parisiens. Cela confirme la troisième place de Toulouse. Ensuite ces étudiants sont mobiles : ils commencent leurs études à Toulouse et les finissent à Montpellier ou à Paris, ou l’inverse. Enfin, quarante pour cent d’entre eux sont des étrangers, surtout des Catalans et des Irlandais.
Activités scientifiques et de recherche de la faculté
14La faculté tenait le premier jour de chaque mois (prima mensis) une réunion où les professeurs et docteurs associés faisaient le point des maladies observées à Toulouse le mois précédent. Certains étaient chargés de faire quotidiennement le relevé de l’état atmosphérique, température, pression, ensoleillement, vents, pluie : observations précieuses aujourd’hui.
15Ces informations et les autres travaux étaient présentés à l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres et, par bonheur, ils ont été conservés dans les archives de cette académie. J’en présente une analyse plus loin.
L’école royale de chirurgie
16Dés le début du xviiie siècle, un peu partout en France, les chirurgiens, définitivement séparés des barbiers, s’étaient réunis en communautés assurant un enseignement mutuel. Ces communautés avaient un statut depuis 1730. Chacune était dirigée par un lieutenant du premier chirurgien du roi. La fonction de premier chirurgien du roi avait été rétablie en 1723 : il choisissait un lieutenant sur une liste de trois chirurgiens établie par les maîtres chirurgiens de chaque communauté. Pour être reçu maître en chirurgie – c’est-à-dire pour devenir professeur –, il fallait dix ans d’études et six ans d’assistanat chez un ou plusieurs chirurgiens ; et, pour terminer, un vrai concours. En 1749, on institua en outre une thèse en latin.
17À partir de 1745, certaines de ces communautés s’instituèrent en écoles de chirurgie. Il y en avait quinze en 1774. L’école royale de chirurgie de Toulouse a été établie par lettres patentes du 29 août 1761 et cinq professeurs royaux et « perpétuels » furent nommés : Cazabon pour enseigner les principes ; Brun pour l’anatomie ; Bécane, pour les maladies des os ; Sicre pour les techniques opératoires, Fronton pour les accouchements.
18Il est spécifié que les cours sont publics et gratuits, que chaque professeur fera au moins trois leçons par semaine et qu’il tiendra à jour les feuilles de présence des étudiants. Les cadavres nécessaires aux démonstrations seront fournis gratuitement aux professeurs. Les dissections ont lieu dans une des tours du rempart Saint-Étienne, la Tour de l’Anatomie. En 1761, on y fit des aménagements pour augmenter le nombre des gradins.
19Cette école fut une réussite : il y eut dès la première année plus d’une centaine d’étudiants. En 1768, ils étaient 142, dont 30 de Toulouse, 27 du Comminges, 30 du Gers.
20Certains maîtres méritent une mention spéciale : Carrière, créateur avec Gouazé, en 1729, de la Société des sciences ; Cazabon, premier directeur de l’école ; Jean Viguerie, chirurgien chef de l’Hôtel-Dieu, qui a initié de nombreux progrès en chirurgie ; Fronton, créateur de l’obstétrique à Toulouse ; Bécane, qui a laissé plusieurs livres à l’usage des étudiants.
21Comme l’écrit Jules Barbot2, le premier historien de la médecine toulousaine : « L’École de Chirurgie est désormais sur le même pied que la vieille faculté de Médecine et ses maîtres reconnus professeurs royaux… Les élèves en chirurgie prenaient le titre d’étudiant et laissaient celui de compagnon auquel restait attaché un certain discrédit… ». J’ajoute que le statut social des maîtres en chirurgie s’éleva singulièrement à partir de 1756 avec l’appui du pouvoir central : ils jouissent désormais des honneurs et prérogatives attribués aux autres arts libéraux. Ils seront regardés comme notables bourgeois et pourront prétendre aux offices municipaux.
Travaux des médecins et chirurgiens toulousains au xviiie siècle
22Les médecins et chirurgiens toulousains ont présenté leurs travaux aux séances de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse3. Elle fut leur tribune, mais elle était pluridisciplinaire et comprenait six classes : anatomie, astronomie, botanique, chimie, géométrie et physique. Médecins et chirurgiens étaient reçus dans la classe anatomie.
23Au cours du siècle, une douzaine de professeurs de la faculté de médecine ou de l’école de chirurgie furent membres titulaires de cette académie, qui était ouverte à une centaine de membres correspondants, pour la plupart des provinces voisines, mais aussi des pays étrangers.
24J’ai relevé et étudié plus de 300 communications médicales soigneusement transcrites sur les registres puis imprimées à partir de 1782. Elles constituent 27 % des communications de l’Académie.
Thèmes des communications
25Les communications anatomiques sont assez rares. Je citerai une dissection du larynx en présence des membres de la société (Taillard, 1749), la présentation d’un œil reconstitué et démontable en ivoire (Lapouyade, 1738) et celle de M. Genty, professeur d’anatomie et de chirurgie à Londres sur la position de l’utérus et du fœtus pendant la grossesse. Il souhaitait devenir membre correspondant de notre Académie : il le fut.
26Les observations physiologiques sont intéressantes dans le domaine obstétrical. Les deux sujets principaux furent la nutrition du fœtus et le déclenchement de la respiration chez le nouveau-né. Fronton (1749) affirme que la circulation ombilicale est indispensable à la vie du fœtus. Un chirurgien de Gaillac, Rigal, démontre l’efficacité de l’insufflation nasale dans l’asphyxie du nouveau-né.
27Les observations anatomo-cliniques sont nombreuses. Les Toulousains sont déjà adeptes de la méthode anatomo-clinique où s’illustrera plus tard Laënnec. Médecins et chirurgiens admettent tous que le diagnostic final réside dans les constatations anatomiques.
Les interventions chirurgicales
28La spécialisation chirurgicale a commencé au xviiie siècle pour l’ophtalmologie, l’obstétrique, l’orthopédie et l’urologie.
29En ophtalmologie, le grand progrès est le traitement de la cataracte par ablation du cristallin. Daviel, chirurgien des galères à Marseille, ophtalmologiste du roi, a inventé cette technique en 1745. En 1752 il avait déjà fait 206 extractions avec 182 bons résultats. Il devint célèbre et mourut à Genève en 1762. Notre Société des sciences avait déjà reconnu sa valeur et l’avait nommé membre correspondant.
30En obstétrique, Fronton a étudié les dangers de la paracentèse chez les femmes enceintes (1758), les injections intra-utérines destinées à décoller le placenta (1759) et les indications de la césarienne (1760).
31En orthopédie, Saboureau présenta un mémoire sur les amputations du membre supérieur (1765) ; il en décrivait les accidents les plus graves : hémorragie, gangrène, inflammation, suppuration et même les douleurs sympathiques. Les travaux de Jean Viguerie sont les plus importants en théorie et en pratique : il a apporté la preuve quasi-expérimentale de la réalité de la régénération des zones osseuses nécrosées, ce que réfutaient les meilleurs chirurgiens de l’époque et, en conséquence, il proposa et réalisa des opérations mineures pour éviter les amputations (1786).
32En urologie, le grand sujet c’est la pierre de la vessie (lithiase vésicale) et son extirpation par l’opération dite de la taille. En 1766, Saboureau fait un rapport sur les quatre types d’opération pratiquées.
33Parmi les autres communications, je citerai dix travaux sur les traitement des anévrismes et les remarquables observations de Jean Viguerie sur le traitement des hernies étranglées.
34Ainsi on peut affirmer que les médecins et les chirurgiens du xviiie siècle à Toulouse étaient d’un bon niveau, connaissaient ce qui se faisait à Paris et à Londres et pratiquaient les mêmes opérations que dans ces capitales.
35Les chirurgiens créèrent, à l’instar de Paris, une Société académique en juillet 1787.
36On peut affirmer aussi qu’il y avait, à Toulouse, de bonnes relations entre médecins et chirurgiens, ce qui n’était pas le cas à Paris. Ils avaient compris qu’il leur fallait s’unir pour enseigner dans une institution unique, ce qui se fit spontanément au lendemain de la Révolution.
L’école de médecine de Toulouse (xixe siècle)
37Elle a été créée par la Société de médecine, chirurgie et pharmacie de Toulouse, en 1801, pour remplacer la faculté de médecine et l’école de chirurgie, supprimées par la Convention (décret du 15 septembre 1793). La Révolution ne voulait plus des anciennes structures, on voulait faire du neuf à tout prix. On proposa des formes nouvelles d’enseignement : Vicq d’Azyr, médecin du roi, Guillotin, Talleyrand, Condorcet, tour à tour firent des rapports, mais on ne décidait rien. Puis on eut autre chose à faire, on faisait la guerre ! Alors, il devint urgent de fabriquer, le plus vite possible, des médecins militaires, appelés officiers de santé. C’est pourquoi on créa des écoles de santé, à Paris, Strasbourg et Montpellier, mais pas à Toulouse.
38Cela ne corrigeait pas l’absence d’un enseignement organisé et sérieux dans les autres villes de faculté et laissait la porte ouverte à tous les « sans diplôme » et aux « ravages que le charlatanisme exerçait sur la partie du peuple que ses moyens mettaient hors d’état de pouvoir consulter », lisait-on dans le préambule à la proposition de création de la Société de médecine toulousaine. Il fallait faire quelque chose, sans attendre les décisions du gouvernement. C’est à cela que s’employèrent les praticiens toulousains.
La création de la Société de médecine, chirurgie et pharmacie
39Au départ ils étaient cinq, Reverbel, Delpech, Duffourc, Calmettes et Montespan. Ils écrivirent à tous les médecins, chirurgiens et pharmaciens de Toulouse pour leur proposer de faire partie d’une société qui « réparerait la perte de l’enseignement médical ». Il faut souligner cette décision remarquable et fondamentale : enseigner la médecine ensemble ! C’était devenu une évidence. Voici leurs propositions :
- La Société vivrait à ses frais sur la base d’une cotisation annuelle ;
- elle se réunirait deux fois par mois pour étudier les ouvrages nouveaux, les travaux de chacun et les maladies observées à Toulouse le mois précédent ;
- elle donnerait chaque semaine des consultations gratuites, comme le faisait l’ancienne faculté et effectuerait, gratuitement, les vaccinations jennériennes ;
- elle ferait un enseignement public et gratuit.
40Magnifique programme alliant l’enseignement, la recherche et les soins, et qui fut réalisé en tous points. Le préfet voulut bien officialiser cette société le 3 juillet 1801 ; la municipalité donna aussi son aval ainsi qu’une subvention annuelle. La première séance eut lieu le 14 novembre avec quinze membres fondateurs qui élirent Carrère comme président. Les cours commencèrent en janvier 1802 dans l’ancienne faculté de médecine, 30 rue des Lois.
Résumé de l’histoire de l’école de médecine (1802-1891)
41On espérait l’officialisation gouvernementale et son soutien financier. En 1805, on envoya à Paris Alexis Larrey – devenu professeur d’anatomie en remplacement de Delpech, parti à Montpellier – avec mission de faire les démarches nécessaires auprès du ministre et de son neveu Dominique Larrey, chirurgien apprécié de l’empereur. Cette officialisation fut obtenue et signée le 1er mai 1806. Contrairement à la légende, le décret ne fut pas signé sur le champ de bataille d’Iéna (octobre 1806), mais à Saint-Cloud, bien avant. Et contrairement à ce que l’on espérait, bien que devenue école impériale, elle ne reçut jamais un sou du pouvoir central.
42Et ce n’est rien qu’une école distribuant des diplômes d’officier de santé. Pour aller plus loin et devenir docteur en médecine, il faut aller dans une des trois facultés rétablies, Paris, Strasbourg ou Montpellier ; insupportable contrainte !
43Cependant l’école prit son autonomie, bien que les mêmes hommes fussent à la fois membres de la Société et enseignants à l’école. Ducasse, par exemple, sera longtemps secrétaire général de la Société, directeur de l’école et professeur d’obstétrique.
44Les enseignements cliniques, au lit du malade, sont officialisés ; en sont chargés Charles Viguerie, médecin chef de l’Hôtel-Dieu et Dubernard, ancien professeur de la faculté.
Demandes de « restauration » de la faculté
45On a écrit que si Toulouse n’a récupéré sa faculté de médecine qu’en 1891, c’est parce que les Toulousains ont accepté cette école incomplète sans réagir. C’est une contrevérité ; depuis 1806, les médecins de l’école ont réclamé vingt fois et véhémentement leur faculté et tout le monde s’y est mis. En 1829, par exemple, il y eut une démarche appuyée par les députés du département de la Haute-Garonne et des départements voisins. Le ministre refusa sous le prétexte qu’il n’y avait pas eu de faculté de médecine à Toulouse avant la Révolution… Lamentable ignorance !
46L’école de Toulouse marchait très bien malgré cela : elle avait plus d’élèves que celles de Bordeaux, Nantes et Rennes réunies. Elle avait plus d’élèves que la faculté de Strasbourg. C’est elle qui fabriquait le plus d’officiers de santé.
Installation dans la nouvelle école
47En 1837, l’école de médecine, trop à l’étroit, s’installe sur les allées Saint-Michel dans l’ancien couvent des Carmes déchaussés. Avant l’inauguration, les nouveaux locaux avaient été inspectés par le doyen de la faculté de Paris, Orfila. En conclusion il écrivait : « Toulouse est la ville de France qui possède les conditions les plus favorables à la (re-) création d’une faculté de médecine. »
48Urbain Vitry, architecte de la ville, est responsable de la façade gréco-romaine à quatre colonnes doriques ! Derrière elle, la principale salle disposée en amphithéâtre peut contenir six cent étudiants. C’est aujourd’hui le théâtre Daniel Sorano.
49En 1857, l’école a huit chaires dont une de médecine légale et une d’hygiène.
Restauration de la faculté
50Sous la Troisième République, on commence à croire à la faculté ! En 1887, la décision de construire une faculté de médecine à Toulouse est prise conjointement par le gouvernement et la municipalité. Mais jusqu’au dernier moment il a fallu se battre : le doyen Caubet, le recteur Perroud, le préfet, le maire, le conseiller municipal à l’instruction publique, Jean Jaurès, se déplacèrent tous les cinq à Paris pour supplier le directeur de l’enseignement supérieur, Louis Liard, qui n’était pas décidé. Ils avaient heureusement l’appui du ministre de l’Intérieur, Constans, un Toulousain d’origine.
51Le 19 mai 1891, il ne restait qu’à inaugurer la nouvelle faculté, construite au bord des allées Saint-Michel, par Joseph Thillet, architecte de la ville. La municipalité avait payé la moitié de la construction (500 000 francs).
52Le président de la République, Sadi Carnot, a présidé à l’inauguration des deux facultés, celle de médecine et celle des sciences. La nouvelle faculté de médecine a les locaux et les équipements nécessaires à ses 25 professeurs, avec leurs laboratoires, un grand amphithéâtre, plusieurs salles de cours et une grande bibliothèque.
Les travaux de la Société de médecine, chirurgie et pharmacie
53Elle se réunit tous les quinze jours comme le faisait l’ancienne faculté pour étudier les maladies régnantes et écouter les communications de ses membres.
54À partir de 1804, elle publie ses travaux sous forme de Comptes rendus, une fois l’an ; puis à partir de 1826, dans un journal mensuel, le Journal de la Société de Médecine, Chirurgie et Pharmacie de Toulouse. Il est remplacé en 1867 par la Revue médicale de Toulouse. Un autre journal, la Gazette médicale (1851) était spécialement destiné aux étudiants.
55Dans ce panorama d’un siècle d’enseignement médical à Toulouse, on ne peut qu’évoquer les thèmes des publications destinées à ce que l’on peut appeler, avant la lettre, l’enseignement continu des internes et des médecins. Les grands sujets étaient les maladies épidémiques et, pour les chirurgiens, les deux progrès majeurs du xixe siècle, l’anesthésie et l’asepsie.
56La première maladie épidémique préoccupante était la variole. Il y eut deux épidémies à Toulouse : la première de 1869 à 1871, avec 1325 décès, la seconde en 1878-1879 qui dura 18 mois et ne fit que 117 victimes. Dans les deux cas, la maladie n’atteignait que des personnes non vaccinées.
57La deuxième préoccupation fut le choléra. On s’attendait à sa venue à Toulouse, après Paris, en 1832. Il ne vint pas. Par contre, nous avons eu une épidémie très sévère dans le Sud-Ouest en 1854. À Toulouse, sa gravité a été limitée grâce aux mesures de prévention organisées par le comité de salubrité.
58Puis l’attention des médecins toulousains fut centrée sur la tuberculose, la syphilis et la typhoïde.
59L’usage systématique de l’anesthésie par les chirurgiens mit du temps à s’imposer du fait des accidents observés et du choix difficile à faire entre éther et chloroforme, alors même que les chirurgiens de l’Hôtel-Dieu avaient leur première anesthésie à l’éther en janvier 1841. Quant à l’antisepsie et à l’asepsie, elles eurent du mal à être reconnues comme indispensables, à Toulouse comme ailleurs, avant que Pasteur en démontre la logique et la nécessité.
Quelques portraits de professeurs de l’École
60Deux grandes familles de chirurgiens dominèrent la scène, les Viguerie et les Larrey.
61C’est à Guillaume Viguerie (1779-1855) qu’est dédiée la rue Viguerie. Il a succédé à son père, Jean, sans concours, comme chirurgien chef de l’Hôtel-Dieu, en 1802. Autoritaire, présent toute la journée à l’hôpital, il sait tout faire et renvoie le chirurgien de la taille et celui de la cataracte. Il crée les « aides en chirurgie ». Il fait à l’hôpital un excellent enseignement clinique. Il oblige les étudiants à prendre les observations des malades et à les lire pendant les visites. Il parle anglais et traduit les travaux anglais. Lors de la bataille du 10 avril 1814, il a épaté les blessés anglais et leurs médecins. Il a été félicité et officiellement remercié par le commandement anglais.
62Charles Viguerie (1810-1867), neveu de Guillaume, devint aussi chirurgien chef de l’Hôtel-Dieu
63Les Larrey sont cinq chirurgiens. Alexis (1750-1827) est arrivé à Toulouse à 15 ans, depuis Baudéan, petit village pyrénéen, pour apprendre la chirurgie. En 1776, il se présenta au concours de chirurgien chef de l’Hôtel Dieu, mais c’est Jean Viguerie qui l’emporta. Il fut chirurgien de La Grave, puis après la Révolution, professeur d’anatomie et premier directeur de l’école.
64Dominique (1766-1842), le plus célèbre, commença ses études à Toulouse auprès de son oncle Alexis. Il devint chirurgien de la garde impériale, et soigna les blessés sur tous les champs de bataille de l’Empire. Napoléon le fit baron ; il disait de lui : « C’est le plus honnête homme que je connaisse ».
65Le fils d’Alexis, Auguste (1790-1868), avait fait la campagne d’Espagne. Il démissionna de l’armée et s’installa à Toulouse où il fut professeur d’obstétrique et président de la Société de médecine.
66Quant à Hippolyte, fils de Dominique, il a donné son nom à l’hôpital Larrey, bien que ce fût le seul membre de la famille à n’avoir jamais fréquenté Toulouse. Il devint en effet chirurgien de Napoléon III et fut baronifié à son tour.
67Un cinquième Larrey, Claude, plus discret, fut chirurgien major de l’hôpital de Nîmes.
68Parmi les médecins, nous citerons Gaussail, Desbarreaux-Bernard et Gérard Marchant.
69Joseph Gaussail (1807-1876), né à Verdun-sur-Garonne, partit étudier la médecine à Paris, puis s’installa à Toulouse et devint professeur de pathologie interne en 1852. Il fut président de la Société de médecine et membre de l’Académie de médecine de Paris. Rédacteur en chef du Journal de Médecine de Toulouse, il a publié une cinquantaine de travaux sur des sujets neurologiques.
70Tibulle Desbarreaux-Bernard (1798-1880) fut médecin chef de l’Hôtel-Dieu, professeur de clinique interne et président de la Société de médecine. Il fut aussi un remarquable bibliophile et bibliographe. Il avait une des plus belles bibliothèques de Toulouse, aujourd’hui léguée à la Bibliothèque d’études et du patrimoine de la ville.
71Gérard Marchant, médecin psychiatre, fut professeur de médecine légale. Élève d’Esquirol, il dessina avec Delaye les plans de l’hôpital psychiatrique construit à Braqueville, inauguré en 1858 et dont il fut le premier directeur. Il a été tué par un de ses malades.
72L’École eut aussi trois « fondamentalistes » d’exception.
73Jean-Baptiste Noulet (1802-1890), naturaliste, botaniste et médecin, professeur de thérapeutique. Passionné d’occitan, curieux de tout, un des premiers à s’occuper de préhistoire, il fut un des grands directeurs du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
74Nicolas Joly (1812-1895), naturaliste, botaniste et zoologiste, médecin, fut le premier à enseigner la physiologie comparée. Polyglotte, il parlait l’allemand, l’italien et l’espagnol. Il s’est aussi intéressé aux microbes et à la génération spontanée comme Pasteur, qu’il n’hésita pas à affronter en Sorbonne.
75Édouard Filhol (1814-1883) homme fort de l’école qu’il dirigea à partir de 1857. Biochimiste, toxicologue, homme politique aussi, il fut nommé maire après la démission d’Amilhau en 1867. C’est lui qui installa le Muséum d’histoire naturelle derrière l’École de médecine, dans le couvent des Carmes.
Conclusion sur la valeur de l’École de médecine de Toulouse
76Si elle avait autant d’étudiants, c’est, je pense, en raison de la qualité de son enseignement. Ses grands principes pédagogiques ont été rappelés à plusieurs reprises par les présidents de la Société de médecine et par les directeurs de l’École. Ducasse, par exemple, insistait toujours sur la priorité de l’anatomie normale et pathologique et, tout de suite après, sur la « clinique », c’est à dire l’étude des maladies au lit du malade. C’était une médecine d’observation, écartant définitivement « les idées absolues, les systèmes erronés, les doctrines exclusives », écrivait-il.
Bibliographie
Bibliographie
Arlet, Jacques, « L’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres, tribune des médecins et chirurgiens toulousains au xviiie siècle », Mémoires de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, 2004, p. 65- 87.
Barbot, Jules, Les Chroniques de la faculté de médecine de Toulouse du treizième au vingtième siècle, t. I, Toulouse, Librairie Ch. Dirion, 1905.
Ferté, Patrick, « Les étudiants de la faculté de Médecine de Toulouse au xviiie siècle », Toulouse médical au xviiie siècle, Colloque du Centre d’étude d’histoire de la médecine, octobre 2006 (Actes à paraître).
Notes de bas de page
1 Patrick Ferté, « Les étudiants de la Faculté de Médecine de Toulouse au xviiie siècle », Toulouse médical au xviiie siècle, Toulouse, colloque du Centre d’étude d’histoire de la médecine, octobre 2006 (actes à paraître).
2 Jules Barbot, Les chroniques de la Faculté de médecine de Toulouse du treizième au vingtième siècle, t. 1, Toulouse, librairie Ch. Dirion, 1905.
3 Jacques Arlet, « L’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres, tribune des médecins et chirurgiens toulousains au xviiie siècle », Mémoires de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, 2004, p. 65-87.
Auteur
jacques.arlet@numericable.fr
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Le religieux et le politique
Jean-Pierre Albert, Anne Brenon et Pilar Jiménez (dir.)
2015
Huit ans de République en Espagne
Entre réforme, guerre et révolution (1931-1939)
Jean-Pierre Almaric, Geneviève Dreyfus-Armand et Bruno Vargas (dir.)
2017