Les républicains et les écoles congréganistes à Toulouse
p. 633-638
Résumés
Dans le cadre de la mobilisation de la gauche pour consolider la République par l’élimination de l’influence politique des congrégations, le décret du 29 mars 1880 supprime les jésuites en France, et par voie de conséquence leurs collèges. Les jésuites tentent de parer l’offensive en cédant les bâtiments à des associations privées, et la direction à des laïcs. Le gouvernement, pour briser cette résistance, ordonne aux recteurs de perquisitionner dans ces collèges, avec l’aide de la police. À Toulouse, l’école Sainte-Marie est entourée par la force publique et les élèves dispersés. Le directeur en titre est poursuivi et condamné par le conseil académique sur la base de l’article 68 de la loi Falloux pour inconduite et immoralité. Le collège du Caousou sera, lui, confisqué en 1912, mais racheté plus tard et réoccupé par les jésuites.
Within the framework of the mobilisation of the left-wing for consolidating the French Republic by eliminating the political influence of religious congregations, the decree of 29 March 1880 put an end to the Jesuits and consequently, their schools in France. To combat this, the Jesuits handed over their buildings to private institutions, and let them be managed by lay people. To thwart their efforts, the government ordered the rectors to search these schools, assisted by the police. In Toulouse, the School of Sainte-Marie was surrounded by the police and its pupils dispersed. The principal of the school was arrested and convicted by the Academic Council (article 68 of the Falloux law for misconduct, immorality). The Caousou School, confiscated in 1912, was bought back and occupied by the Jesuits at a later stage.
En el entramado de la mobilización izquierdista para la consolidación de la República Francesa que pasaba por la eliminación de la influencia política de las congregaciones religiosas, el decreto del 29 de marzo de 1880 suprime la orden de la Compañía de Jesús en Francia, y como consecuencia sus colegios. Los jesuitas intentan responder a la ofensiva mediante la donación de sus bienes inmuebles a asociaciones privadas, y la atribución de la dirección de sus centros de enseñanza a laicos. Para quebrar esta resistencia el Gobierno manda que los rectores penetren en los colegios con la ayuda de la policía. En Toulouse, la escuela de Sainte-Marie se ve rodeada por las fuerzas de orden público y los alumnos son dispersados. El director es inculpado y condenado por el consejo académico siguiendo el artículo 68 de la ley Falloux por falta profesional e inmoralidad. El colegio Caousou será, por su parte, confiscado en 1912, para ser comprado posteriormente y ocupado de nuevo por los jesuitas.
Texte intégral
1Les événements toulousains que nous allons évoquer dépassent de loin le niveau du fait divers. Ils s’intègrent dans la grande offensive conçue par les républicains, maîtres du pouvoir politique à la suite des élections de 1877 et 1879, pour asseoir définitivement leur pouvoir par la formation des jeunes générations au moyen d’une éducation républicaine appropriée. Comme leurs « grands ancêtres » de 1793, ils considèrent, avec raison, que la consolidation du pouvoir implique la maîtrise de l’opinion par l’éducation.
2Ils ont été échaudés par les échecs, celui de 1830 (la République échappe aux républicains au profit du roi citoyen Louis-Philippe), celui de 1848 (le printemps des illusions débouche sur la guerre civile, la victoire du parti de l’ordre, finalement une nouvelle expérience césarienne). Les vrais républicains considèrent que le suffrage universel ne suffit pas à consolider la démocratie, s’il n’est pas appuyé par la liberté de la presse et une éducation qui fasse des citoyens conscients et républicains. « Qui tient l’école tient la France », disent-ils.
3Républicaniser l’enseignement, ce n’est pas simplement modifier les institutions, créer un enseignement primaire laïque obligatoire (ce que feront les lois « laïques » de 1880 à 1882) ; c’est aussi lutter contre l’influence des congrégations enseignantes catholiques (jésuites) qui, depuis que la loi Falloux avait autorisé la création de collèges privés, l’emportaient souvent sur les collèges et lycées publics par le nombre des élèves et la faveur des parents.
4Derrière Gambetta toute la gauche est unie, des révolutionnaires aux bourgeois, par le slogan repris par Gambetta à Peyrat : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » Par cléricalisme, on entend toutes manifestations extérieures de l’Église catholique. Le combat pour la laïcité entend imposer à la jeunesse et à la France une culture laïque, sans Dieu ni religion, alors que les catholiques étaient encore la majorité en France.
5Les républicains ne s’étaient jamais accommodés de la liberté d’enseignement, reconnue pour l’enseignement primaire par la loi Guizot de 1833, pour l’enseignement secondaire par la loi Falloux en 1850. Dans ce mouvement politique et culturel pour transformer « l’âme de la France », le rôle de leader est joué par Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique dans le premier gouvernement formé par le président de la République républicain Jules Grévy en février 1878. En opportuniste, il ne prend pas le risque de mobiliser une majorité contre lui par une seule loi ; il préfère proposer et faire voter des lois successives de manière à diviser les oppositions, en commençant par les secteurs les moins conflictuels. Sa première réforme concerne la composition du conseil de l’université et des conseils d’académie, qui assistent respectivement le ministre et les recteurs et qui ont la qualité de juridictions disciplinaires. La réforme ne conserve que les enseignants, en majorité élus ; il n’y a plus de représentants des autorités morales, religieuses ou sociales. Les résultats des élections ont satisfait Jules Ferry, qui dispose de conseils en accord avec sa politique de laïcité. La seconde étape est le dépôt devant la Chambre des députés d’une loi comportant un article 7 qui exclut du droit d’enseigner les membres des congrégations non autorisées. Cette disposition entraîne une vive mobilisation, à gauche pour la loi, par phobie contre les jésuites, à droite contre cette disposition, au nom de l’égalité républicaine. La gauche républicaine a pris contre les jésuites le relais des gallicans, qui avaient obtenu en 1762 l’expulsion des jésuites, qui n’avaient jamais été autorisés officiellement en France depuis lors. En 1828, une coalition des gallicans et de la gauche avait obligé le roi Charles X à édicter une ordonnance interdisant l’enseignement aux membres des congrégations non autorisées. Les jésuites s’étaient dispersés sans bruit à la demande du pape et du roi. La loi Falloux (1850), qui reconnaît l’existence de collèges libres, est suivie de la création par les catholiques de nombreuses institutions privées qui concurrencent les collèges publics et les lycées. Certes, les ministres de Napoléon III défendent l’enseignement public, mais le rapport des forces politiques oblige l’empereur à ménager les catholiques.
6Parmi les établissements privés existant à Toulouse, deux se distinguent par le nombre des élèves et la réputation des enseignants. Il y a abord les écoles des frères des écoles chrétiennes, autorisés depuis le Consulat, et notamment le pensionnat Saint-Joseph, établi rue Caraman dans de grands bâtiments. La tour de la chapelle domine le quartier. Les frères ont d’abord accueilli gratuitement les enfants pauvres, puis ensuite ceux des familles qui paient une contribution. Les frères ont la réputation d’être d’excellents pédagogues, qui connaissent bien leurs élèves et se préoccupent aussi de leur formation professionnelle. Ils sont soutenus par le clergé et par l’ensemble de la population catholique, mais ils se heurtent aux méfiances de la gauche. En particulier les Toulousains se sont divisés à propos de l’affaire Cécile Combette, jeune blanchisseuse trouvée assassinée auprès du pensionnat Saint-Joseph. La rumeur publique a accusé le frère Léotade, qui a toujours nié. L’affaire est jugée aux assises au moment du bouillonnement de la Révolution de 1848. L’avocat de la partie civile, Joly, l’un des chefs républicains à Toulouse, charge à fond contre les frères. Le frère Léotade sera condamné aux travaux forcés. Le véritable criminel avouera beaucoup plus tard, mais le mal était fait, et le frère Léotade mourra au bagne.
7Quant aux jésuites, qui avaient géré à partir de 1567 et jusqu’en 1762 un collège réputé, ils ont utilisé la loi Falloux pour prendre en charge l’école Sainte-Marie, rue Merly, à proximité des boulevards. Ils ont également construit la grande bâtisse du Caousou, sur la colline de Guilheméry, à partir de 1872. Ce bâtiment imposant domine la ville. La réussite des jésuites, très appréciés par l’aristocratie royaliste, exaspère les républicains. Ils redoutaient particulièrement la concurrence des jésuites en tant que préparant efficacement les jeunes aux concours d’entrée dans les écoles militaires. Les jésuites avaient ouvert à Toulouse en 1868 un classe de préparation à Saint-Cyr et en 1871 une classe de préparation à Polytechnique.
8La ville de Toulouse, qui était avant 1789 une grande cité catholique, mais qui avait été prise en main par des municipalités de gauche depuis 1790, a connu avec la Restauration la prépondérance des royalistes, sous Louis-Philippe celle des hommes du « juste milieu », et en 1848 le ralliement général à la République. Par la suite, le conseil municipal a été divisé entre républicains et modérés, les républicains l’emportant peu à peu.
9Jules Ferry, nous l’avons vu, a tenté de faire voter dans une loi sur l’enseignement supérieur un article interdisant l’enseignement à tous les membres des congrégations non autorisées, ce que visait particulièrement les jésuites. Cet article a été rejeté de peu par le Sénat, républicain mais libéral. Le gouvernement riposte par deux décrets du 29 mars 1880, l’un qui anéantit les « prétendus jésuites », l’autre qui donne aux autres congrégations non autorisées un délai de six mois pour constituer un dossier de demande d’autorisation. Les jésuites ont paré le coup en vendant ou en louant à des laïcs les bâtiments des collèges et en remplaçant les directeurs jésuites par des laïcs ou de simples prêtres ; par ailleurs, la plupart des professeurs jésuites restaient en fonction et enseignaient comme simples particuliers. Par ces moyens les jésuites promettaient aux parents la réouverture des collèges à la rentré d’octobre 1880. Mais ils ont trouvé en face d’eux des juristes déterminés et retors : Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, le ministre de l’Intérieur Constans et celui de la Justice, Cazot. Les ministres ont décidé de commencer l’exécution du décret par Toulouse, où la présence des jésuites était emblématique, afin d’anéantir les collèges existants et de rendre impossible leur remplacement.
10L’opération est racontée en détail par La Dépêche, journal républicain radical et violemment hostile aux catholiques, qui soutient le gouvernement et considère qu’on a trop tardé à exécuter les décrets. Le ministre de l’Instruction publique à envoyé aux recteurs, le 9 octobre, une circulaire ultra-confidentielle leur ordonnant de prendre toutes mesures de police pour mettre fin à l’existence des collèges de jésuites réorganisés. La Dépêche du 15 octobre, dans la rubrique des nouvelles locales, conte que la veille au petit matin le quartier Arnaud Bernard, où se trouvait un établissement des jésuites, l’école Sainte-Marie, a été occupé par la troupe et la gendarmerie placées sous l’autorité du commissaire central délégué par le préfet. Les rues ont été bloquées. Peu après huit heures, alors que les professeurs viennent de commencer leurs cours, la police envahit et occupe l’école Sainte-Marie et se met en devoir d’interroger le directeur et les professeurs pour connaître leurs identités et vérifier qui sont jésuites parmi eux. Les cours sont interrompus et les enfants rendus aux familles. Il apparaît, d’après les interrogatoires, que la plupart des professeurs sont des jésuites qui s’étaient intégrés au clergé diocésain pour tourner les dispositions du décret du 29 mars. Selon La Dépêche le public toulousain, loin de prendre fait et cause pour les jésuites, a observé les événements avec tranquillité, en considérant que l’exécution du décret devait être accomplie. Seuls quelques aristocrates ont protesté mais n’ont pas été suivis. Quant au collège du Caousou, situé sur la colline, les cours n’y avaient pas encore commencé et la police n’est pas intervenue.
11La presse s’est exprimée en sens opposés sur ces événements. L’évêque de Montpellier s’est rendu à la préfecture de l’Hérault pour signifier solennellement au préfet qu’il était excommunié, ce qui n’a eu d’autre effet que de susciter les plaisanteries.
12À Toulouse, l’administration ne s’est pas contentée de disperser les jésuites ; elle a introduit une procédure disciplinaire à l’encontre du sieur Villars, directeur installé par les jésuites, considéré comme directeur apparent pour servir de paravent aux jésuites. Certes on ne poursuit pas individuellement les professeurs, qui ont agi en tant que citoyens, mais le ministre entend frapper le directeur pour enlever à tous le désir de remplacer les jésuites dans la direction de leurs collèges. Aucune infraction de droit commun ne pouvait être relevée contre Villars, mais il sera poursuivi sur la base de l’article 68 de la loi Falloux du 15 mars 1850, qui disposait que les responsables d’institutions privées pouvaient être poursuivis devant le conseil d’académie en cas d’inconduite ou d’immoralité. De fait le recteur convoque le conseil de l’académie pour juger Villars ; ce dernier sera défendu, comme il en avait le droit, par un avocat, en l’espèce de Bellomayre, ancien conseiller d’État qui venait d’être épuré.
13La loi du 18 mars 1880 détermine la composition des conseils d’académie. Le conseil de l’académie de Toulouse comprend trente-six membres sous la présidence du recteur : ce sont les inspecteurs d’académie des départements de l’académie, des chefs d’établissement, les doyens et un professeur de chaque faculté, le maire de Toulouse et un conseiller général. Le choix du rapporteur est significatif : il s’agit de Compayré, professeur de philosophie à la faculté des lettres, un fidèle de Jules Ferry connu pour ses sentiments républicains anticléricaux. Il se fera connaître bientôt comme auteur d’un manuel d’instruction civique qui sera condamné par l’Église catholique. Le rapport de Compayré conclut que Villars s’est rendu coupable d’inconduite en refusant de déférer aux injonctions de l’inspecteur de l’académie qui lui ordonnait de se séparer des professeurs jésuites ; qu’il s’est rendu coupable d’immoralité en organisant une véritable fraude à la loi en se comportant comme directeur, alors que les jésuites restaient responsables de l’enseignement. Par trente voix sur trente-six (il y a deux abstentions, deux absences et deux membres récusés), le conseil suivit les termes de ce rapport, et en conséquence condamna Villars a être suspendu de ses fonctions pendant trois mois, décision exécutoire malgré appel.
14Ainsi le ministre était confirmé dans sa politique, et le collège des jésuites a cessé provisoirement d’exister. Les événements ont été narrés avec satisfaction par La Dépêche, tandis que la presse de droite rendait un son tout différent, accusant les autorités d’arbitraire et de violence et les membres du conseil de servilité.
15Cette exécution d’octobre 1880 ne met pas définitivement fin aux activités d’enseignement des jésuites à Toulouse. Le domaine du Caousou avec ses bâtiments a été transmis à une société de pères de famille et utilisé pour l’enseignement à nouveau avec des professeurs prêtres séculiers ou laïques. En 1909, il compte 450 élèves.
16Mais la seconde offensive contre les congrégations, menée par le président du Conseil Émile Combes, s’attaque une nouvelle fois au Caousou. Les bâtiments sont acquis par les Domaines et les enseignants expulsés en décembre 1912. Le Caousou est vidé pendant plusieurs années, puis transformé en hôpital. La direction des Domaines le met en vente en 1923. Il sera acheté aux enchères par une société civile composée d’anciens élèves, et les cours reprendront dès la rentrée suivante. Les incapacités frappant les jésuites seront abolies en 1941.
17Quant à l’école Saint-Joseph, les frères des écoles chrétiennes ne tombent pas sous le coup du décret de 1880 contre les congrégations non autorisées, puisqu’ils étaient autorisés depuis le Consulat. Toutefois, la seconde offensive anticatholique animée par Émile Combes aboutit au vote par la Chambre des députés d’une loi qui abolit les autorisations qui avaient été données régulièrement. En octobre 1906, les frères des écoles chrétiennes doivent abandonner les locaux de la rue Caraman et se replier à Lés, dans le Val d’Aran, ou ils organiseront un pensionnat. Les locaux de la rue Caraman seront nationalisés et serviront à construire l’Institut électrotechnique. Cependant, le pensionnat Saint-Joseph réouvrira à la rentrée de 1925 dans les locaux de l’ancien noviciat, rue de l’Étoile. Ces derniers locaux sont abandonnés en 1968 au profit d’une nouvelle construction, rue de Limayrac, sur la colline.
18Ces deux écoles catholiques toulousaines ont donc survécu aux mesures répressives contre les congrégations.
Sources
19Collection de La Dépêche du Midi, aux archives du journal ; collection des autres périodiques, dont le journal de droite L’Union du Midi, aux Archives départementales de la Haute-Garonne.
Bibliographie
Bibliographie
Chevallier, Pierre, La séparation de l’Église et de l’école : Jules Ferry et Léon XIII, Paris, Fayard, 1981.
Cholvy, Gérard et Hilaire, Yves-Marie (dir.), Histoire religieuse de la France contemporaine. 2, 1880-1930, Toulouse, Privat, 1986.
Lazare, M., Un collège au xixe siècle : le Caousou, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Toulouse-Le Mirail, 1972.
Auteur
Professeur émérite à l’université de Toulouse 1. Mainteneur des Jeux floraux.
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