Aprisions et presuras au début du ixe siècle : pour une étude des formes d’appropriation du territoire dans la Tarraconaise du haut Moyen Âge
p. 167-210
Résumé
Se propone en este trabajo una nueva lectura comparada de los textos relativos a la presura y la aprisión de las primeras décadas del siglo IX, desde el ángulo de las formas de apropiación del espacio. En el alto valle del Ebro, la presura aparece enmarcada en la dialéctica surgida en época visigoda entre el cenobitismo regular y el “cristianismo de frontera". En los condados carolingios, la coherencia del dossier documental es inséparable de su comprensión como plasmación de un arbitraje entre intereses y discursos opuestos. Aprisión y presuras muestran la emergencia de formas aldeanas de ocupación del territorio, en las que la noción de vicinus se constituye en clave de arco de la vinculación orgánica de un espacio silvopastoril con el área habitada y el terrazgo agrícola. Además, el análisis de la lógica interna de las operaciones de toma de tierras desvela algunos mecanismos por los que concepciones antiguas de la propiedad se reorganizan para articular realidades nuevas. En fin, la vitalidad, potencialidad y pénétración social que muestra la presura / aprisión remite a una realidad del último siglo visigodo de la que el Liber Iudicum no ofrece sino un muy empañado reflejo.
Texte intégral
1Comparer l’aprision catalane et la presura castillane est une vieille habitude pour tous les spécialistes du haut Moyen Âge ibérique. On pourrait penser, par conséquent, que le dossier est épuisé depuis longtemps. Il n’en est rien ; sans doute parce que le caractère routinier de la comparaison n’est pas la meilleure garantie de son renouvellement. De fait, la spécialisation et le cloisonnement des recherches n’ont guère favorisé les études comparatives, et le sujet n’a été que bien peu visité. Ce pourrait être, déjà, une raison suffisante pour vouloir reprendre la question à nouveaux frais.
2Notre intention, cependant, est tout à la fois plus complexe et plus limitée. Nous voudrions mener l’enquête en essayant de voir essentiellement ce que l’aprision et la presura peuvent nous apprendre concernant les formes d’appropriation du territoire. De quelle façon était organisé l’accès de chacun aux ressources du sol ? C’est la question qui a guidé quelques uns de nos travaux précédents1 et qu’il nous paraît pertinent aujourd’hui de poser aux textes traitant de la presura et de l’aprision. L’une et l’autre pratique, en effet, impliquaient des transformations dans l’usage et l’attribution du sol, mais des transformations qui étaient elles-mêmes organisées. En observant la façon dont l’aprisionnaire ou le presor obtenait sa part d’un territoire, on peut donc espérer comprendre la logique de son acte, l’organisation du milieu dans lequel il intervenait, voire même la congruence des deux. C’est cette position étrange de la presura et de l’aprision dans l’appropriation du territoire que nous voudrions examiner, et il faut le souligner, c’est sous cet angle seulement que nous aborderons le sujet. Il est vrai, néanmoins, que nous avons dû pour ce faire procéder à une relecture des textes, et proposer une interprétation nouvelle sur bien d’autres points.
3Par ailleurs, et contrairement à l’usage, il nous a paru important de ne traiter qu’une très courte période de temps, le tout début du IXe siècle. Il s’agissait d’abord de ne pas préjuger de la stabilité du phénomène : pourquoi l’aprision et la presura auraient-elles été insensibles à toute évolution ? De même, il n’était guère raisonnable dans notre optique de prétendre observer les effets de ces pratiques dans des contextes de peuplement aussi différents que le début du IXe siècle et l’an mil, par exemple. Enfin, il nous a semblé particulièrement intéressant d’observer les structures d’appropriation du territoire deux ou trois générations à peine après la chute du royaume wisigothique.
I
4Les vallées de Valdegobía, Losa, Mena et Cuartango se trouvent au nord de l’Èbre, entre la province castillane de Burgos (Losa et Mena) et la province basque d’Alava (Cuartango et la plupart de la vallée de Valdegobfa, partagée avec Burgos). À l’époque du royaume de Tolède, la plus grande partie de ce territoire relevait sans doute de l’évêché d’Oca, comme le montre par exemple l’épigraphe commémoratif de la consécration, en 589, de la remarquable basilique de Mijangos, à proximité de Valdegobía2. Entre le milieu du VIIIe siècle et le début du Xe, et à l’exception de la vallée la plus septentrionale (Mena), ces contrées montagneuses étaient au cœur de la marche orientale du royaume asturien connue par les chroniqueurs arabes sous le doublet « Alava et al-Qila » (Alava et le pays des châteaux, c’est-à-dire la Castille)3. Elles subissaient périodiquement les raids des armées musulmanes, et l’on n’en dénombre pas moins de vingt-et-un entre 767 et 886. De fait, la paix intérieure du long règne d’Alphonse II (791-842) fut largement troublée par cette succession d’incursions provenant d’un Al-Andalus tout proche. C’est ainsi, par exemple, que les entreprises colonisatrices de l’évêque Jean, dont nous reparlerons, furent contemporaines des très ravageuses aceifas de 791 et 792. Son monastère se trouvait à une trentaine de kilomètres à peine de l’un des champs de bataille les plus disputés, les gorges de l’Oroncillo, le Wadi-Arun.
Abbés et presuras
5Dans le premier tiers du IXe siècle, quelques hommes d’Église d’un certain rang produisirent, à l’automne de leurs vies, des documents destinés à assurer à leurs fondations monastiques principales l’affectation des patrimoines assez considérables qu’ils avaient amassés dans ces vallées (eux-mêmes ou leurs parents). C’est ce que firent, notamment, l’évêque Jean de Valpuesta, l’abbé Avito de Tobillas, l’abbé Vitulo de Taranco et son frère Ervige4. Leurs droits sur une grande partie de ces biens découlaient de l’exercice de la presura. Aussi la présentation de leurs patrimoines relève-t-elle souvent de la narration plus que de la description :
Ego Ihoannes episcopus sic ueni in locum que uocitant Ualle Conposita et inverti ibi eglesia deserta uocabulo Sante Marie Uirginis et feci ibi fita sub regimine Domino Adefonso principe Obetau, et construxi uel confirmabi ipsam eglesia in ipso loco et feci ibi presuras cum meos gasalianes...5
6On comprend bien que pareilles scènes aient longtemps fasciné les médiévistes de la « vieille école », engagés qu’ils étaient dans d’ardues polémiques sur le dépeuplement du nord de la Meseta au VIIIe siècle et sur son repeuplement ultérieur. Ils y étaient d’autant plus enclins qu’ils s’appuyaient sur une représentation juridique très schématique de la presura qui interprétait le droit acquis comme l’occupation d’une portion de sol en terra nullius au moyen de sa mise en culture : c’était pour eux, indubitablement, un instrument de colonisation6. Or le point actuel de nos connaissances est fort éloigné de cette interprétation, disons, classique. J.A. Garcia de Cortázar s’est penché dès 1969 sur le cas des presuras de la vallée de Mena7, et a ouvert de nouvelles voies d’analyse, approfondies ultérieurement par E. Peña. Tous deux ont resitué la presura dans toute sa complexité en se fondant, d’une part, sur une analyse minutieuse de chaque cas, et d’autre part, sur leur vision d’ensemble de l’organisation sociale de l’espace dans cette région. Il en résulte une image de la presura fort éloignée de la définition juridique traditionnelle. L’article de synthèse publié en 1993 par E. Peña, ainsi que le dossier documentaire qu’elle y traite, nous servira de point de départ pour tenter de mieux cerner les différents visages de cette pratique au début du IXe siècle8. Mais voyons-en d’abord les idées force :
7Les presuras peuvent être opérées sur des espaces compacts plus ou moins vastes, comme étaient par exemple les quelque 3000 hectares qui entouraient l’église de Valpuesta et que s’appropria l’évêque Jean, mais peuvent aussi concerner des séries de biens fort divers qui apparaissent occupés et exploités dès avant la presura. Voici l’inventaire de ces types de biens établi par Peña, et les proportions de leurs citations respectives : églises (20 %) ; agri et sernas (20 %) ; espaces sylvo-pastoraux – c’est-à-dire, soit des bois et des eaux, soit des terrains spécialisés et bornés, tels que les prés ou les dehesas – (25 %) ; parcelles diverses – vignobles, champs céréaliers, jardins ou ferraginales – (16 %) ; moulins (14 %) ; maisons et autres hereditates (5 %).
8Pour ce qui est des églises, E. Peña en recense onze fondées par les presores eux-mêmes contre une cinquantaine dont ils prennent possession par l’acte de presura et qui paraissent avoir été régulièrement desservies avant même leur arrivée. Il s’agirait donc d’une sorte de remise en ordre ecclésiastique, une prise de contrôle des petits monastères par les abbés et les évêques qui s’employaient à tisser des réseaux monastiques à l’échelle régionale.
9Les presores agissent sur un territoire occupé et organisé par d’autres communautés, monastiques ou laïques. Cela a été mis en lumière par García de Cortázar depuis longtemps. À titre d’exemple, devenu paradigmatique depuis les premiers travaux de cet auteur, les presuras de Vitulo et d’Ervige à Taranco ont pour limites des accidents géographiques, mais aussi illo agro Maurenti, illo campo iuxta via, illas calles de Latrero, prato de so Foze. En outre, Vitulo et Ervige possèdent des terres in loco qui dicitur Agromaiore in campos de Taranco. Manifestement, les acteurs des presuras sont des hommes qui connaissent déjà très bien le territoire.
10E. Peña invite à se méfier de toute corrélation hâtive entre presuras et phénomènes de dépeuplement et colonisation ; elle allègue à juste titre la presura faite vers 760 par le prêtre Maximo sur la colline qui portera ultérieurement Oviedo9. De même, elle croit peu vraisemblable que l’on puisse songer à une rupture totale concernant l’occupation de la région au VIIIe siècle. Il n’est pas nécessaire de chercher en d’autres terres l’origine des paysans et des moines que les documents montrent vivant sur place avant l’arrivée des presores.
11On le voit, E. Peña a conduit fort loin une analyse minutieuse des circonstances entourant chaque action de presura, et révélé ainsi qu’il s’agissait d’opérations beaucoup plus complexes que la simple colonisation du désert. Cela dit, parvenu à ce point, sait-on encore ce qu’est une presura ? Comment interpréter les faits et la rédaction des actes qui nous les donnent à connaître ? Dans l’hypothèse classique d’une appropriation d’espaces vides de toute forme d’occupation, la question ne posait pas de gros problèmes. Mais comment comprendre une presura dès lors qu’elle est effectuée sur un bien qui se trouve déjà en exploitation quand survient le presor ?
12Selon E. Peña, les presores auraient, en l’occurrence, projeté un concept de propriété dérivé du droit romain sur des biens qui étaient jusque-là mis en valeur dans des cadres conceptuels radicalement différents : autrement dit, l’appropriation du territoire contrôlé par des communautés vivant d’une économie largement sylvo-pastorale se serait fondée sur des usages totalement étrangers à la proprietas. Dans cette opposition, la rédaction des actes de presura aurait donc joué un rôle fondamental d’instrument de pouvoir, en venant soutenir le droit que revendiquaient les groupes porteurs de cette tradition romaine, dont ils étaient au demeurant les principaux bénéficiaires par la pratique même de la presura. La thèse générale que l’on retrouve ici est évidemment celle de l’acculturation des peuples du Nord10.
13Cette interprétation pose au moins un problème, très important à nos yeux. Si les documents ne permettent de connaître que la seule logique des presores, il faut admettre par conséquent que celle des paysans nous est définitivement insaisissable : l’explication fonctionne alors comme une sorte de butoir auquel se heurte toute tentative d’approche des communautés locales et de leur fonctionnement (alors même que l’existence de telles communautés est le postulat qui fonde l’interprétation). L’impasse est d’autant plus insatisfaisante qu’E. Peña a beaucoup fait progresser l’analyse des presuras : si l’on ne peut revenir complètement en arrière, il n’est guère possible, non plus, de se contenter de ses propositions conclusives sans vérifier qu’il n’est aucune autre sorte d’explication recevable. D’entrée de jeu, on pourrait noter qu’il est loin d’être évident que les presores eux-mêmes aient été originaires d’autres régions. Mais on pourrait relever encore que les documents conservés sont des dispositions testamentaires destinées à assurer le contrôle de l’ensemble du patrimoine par l’abbaye principale : aucun texte n’a été rédigé dans un contexte litigieux ou défensif. Cela dit, nous ne souhaitons en aucune façon argumenter ex silentio ; ce sont des interrogations très concrètes et un nouvel examen du dossier documentaire qui nous incitent à reprendre l’analyse d’E. Peña.
14En usant d’un concept de proprietas méconnu ou inconnu jusque-là, un nouveau venu dans la région s’empare d’un bien déjà exploité et possédé par une personne, une famille ou une communauté (la notion de possession mise en œuvre important peu ici) ; on voit très bien comment une telle idée peut s’intégrer de manière fort cohérente dans les argumentations globales d’E. Peña et de J.A. García de Cortázar. Mais comment comprendre cela en se situant à ras de terre ? Quand le presor survient, il y a sur place quelqu’un qui déjà fauche le pré et engrange le foin, quelqu’un qui cultive et vendange la vigne... Des paysans en chair et en os. À partir de là, comment s’exécute la presura ? Comment se déroulent les faits ? Les fruits sont-il partagés ? Et comment ? Le paysan, la famille, la communauté, doivent-ils déguerpir ? Et surtout : pourquoi les paysans accepteraient-ils de faire l’un ou l’autre ? Un bout de parchemin suffisait-il à les tenir en respect ? Et pourquoi auraient-ils cédé à des conceptions de la propriété qui n’auraient eu aucun sens pour eux ? Où donc est la logique sociale d’une pareille transaction ?
15La grille d’analyse d’E. Peña s’est révélée très efficace pour dégager cette problématique du vieux débat sur le dépeuplement/repeuplement dans la Péninsule, mais pour mieux répondre aux questions qui restent en suspens, il nous semble important de faire apparaître une dimension des presuras qui jusqu’ici n’a pas été articulée à l’ensemble du dossier. De quoi s’agit-il ? Nous avons vu plus haut l’énumération des types de biens faisant l’objet de presuras, et l’importance des églises. À ce sujet, E. Peña notait que l’abbé Avito de Tobillas faisait ses presuras « sur des espaces qui sont déjà en exploitation [lors de son arrivée] ou sur des églises qui semblent desservies (...) et qui n’ont jamais été "ruinées" ou "abandonnées"... »11. À notre sens, il convient surtout de discuter la conjonction utilisée (« ou ») et l’alternative qu’elle paraît proposer. Les églises semblent en fait totalement indissociables des autres biens dont s’empare le presor12, soit parce que la presura d’un espace vacant sert à édifier une église, soit parce que les presuras d’autres types de biens accompagnent toujours l’absorption des églises locales par ces personnages – l’église étant parfois présentée elle-même comme l’objet de la presura. Comme le montre le tableau présenté en annexe, il n’est que deux passages du long testament d’Avito de Tobillas dans lesquels on pourrait voir des presuras apparemment indépendantes de la prise d’églises. Or, il faut y insister, d’autres parties du même texte dévoilent qu’Avito a obtenu des moitiés d’église à l’endroit même de ces presuras ou à proximité de celles-ci. Partout ailleurs, il n’est jamais question de presura sans qu’une église ait été soit édifiée par les presores, soit, ce qui est plus courant, entièrement ou partiellement acquise par eux. Au vu de cette remarque, il paraît donc pour le moins opportun de s’interroger sur le contexte ecclésiastique des presuras.
16« Une densité monastique fabuleusement haute »13, « nulle part ailleurs en Occident un si grand nombre de monastères et d’églises ne s’accumula dans un espace géographique aussi restreint »14 : le foisonnement spectaculaire de petits établissements ecclésiastiques dans l’Espagne chrétienne, et plus particulièrement dans les régions de mouvance asturo-léonaise, est une donnée aussi fréquemment soulignée qu’incontestable. Les vallées qui nous occupent sont assurément concernées de très près par le phénomène. On pourrait même avoir l’impression qu’Avito, Vitulo ou Jean devaient voir des églises quelle que fût la direction dans laquelle ils tournaient leurs regards. À titre d’exemple, on peut signaler que dans l’aire d’influence de Vitulo et d’Ervige, c’est-à-dire dans une sorte de petit triangle d’entre deux et quatre km de côté formé par Taranco, Burceña et Arceo, il y avait au strict minimum sept églises dès le premier tiers du IXe siècle15. En outre, il s’agissait là d’un phénomène profondément enraciné : la zone est en effet, pour les archéologues de l’Antiquité tardive, caractérisée par d’importants complexes troglody-tiques, liés au moins partiellement au mouvement cénobitique16.
17Dans l’effervescence ecclésiastique que révèlent les textes, A. Linage, tout en restant fidèle à la figure classique du moine pionnier, reconnaissait volontiers la survie ou l’essor des formes pseudo-monastiques de l’époque wisigothique que les pères du monachisme hispanique avaient énergiquement condamnées. L’exubérant épanouissement de ces pratiques, qui s’affirma bien au-delà de son foyer originaire dans le nord-ouest péninsulaire, s’expliquerait par l’adéquation de ces formes religieuses aux nouvelles conditions sociales et territoriales17. Le dernier siècle wisigothique, en effet, a vu se développer dans les milieux ruraux éloignés des chefs-lieux ecclésiastiques ce que certains spécialistes ont qualifié de « christianisme de frontière »18. Les interdictions conciliaires témoignent du grand nombre d’églises pauvrement dotées, érigées à l’initiative des fidèles (a populi vulgo incitati) et consacrées en dehors de toute autorité épiscopale par de simples prêtres, lesquels, de surcroît, s’accordaient le droit de conférer prêtrise et diaconat19. Pour canaliser ce bouillonnement, on ne pouvait guère compter sur une pénétration réelle et profonde de l’autorité épiscopale jusqu’au fond des campagnes du VIIe siècle, et c’était naturellement vers le mouvement monastique qu’il fallait se tourner. Comme le montre la vie de Fructuoso, celui-ci était fort suspect, aussi bien aux yeux des évêques qu’à ceux des ducs. Les uns craignaient l’indépendance des abbés vis-à-vis des cadres diocésains ; les autres redoutaient la perte massive de sujets redevables des charges fiscales et militaires. Néanmoins, ce cénobitisme régulier était sans doute la seule façon quelque peu efficace d’encadrer le christianisme rural, et pour ainsi dire sauvage, que laisse fort bien deviner la simple lecture de la Regula Communis20. Tout récemment, J. López Quiroga a montré, témoignages archéologiques à l’appui, ce formidable foisonnement des pseudo-monastères, dénoncés par la Regula mais tout aussi bien inspirés par l’esprit érémitique qu’elle-même véhiculait. Dans de vastes aires galiciennes, ces communautés ont joué aux VIIIe-IXe siècles un rôle décisif dans la configuration d’un modèle de peuplement rural aussi pauvre du point de vue matériel que dynamique dans la colonisation du saltus. Il est caractérisé par une pléthore de petites communautés dépourvues ou presque de mécanismes d’articulation supra-locaux21.
18Ces éléments de contexte permettent, nous semble-t-il, de resituer les entreprises d’Avito et de Jean, et dans une moindre mesure celles de Vitulo et d’Ervige (plus limitées et plus liées au prestige d’une famille de bâtisseurs d’églises locales), au carrefour de deux mouvements : d’une part, un vigoureux élan monastique issu du dernier siècle wisigothique, caractérisé par une dialectique entre le cénobitisme régulier et le « christianisme de frontière » ; d’autre part, un souci de réorganisation des cadres supra-locaux dans les marges orientales du royaume asturo-léonais, trois quarts de siècle après l’invasion musulmane et une génération après l’incorporation au royaume de ce territoire22. En tenant compte de cette double logique, on peut essayer de relire les documents et de prolonger leur interprétation.
19À l’instar de Fructuoso, qui rassemble l’agmen monachorum de Compludo ex familia sua et ex conversis ex diversis Spaniae partibus23, Jean ou Avito apparaissent dès leur établissement secondés par des groupes de dépendants (leurs gasalianes) ; en outre, ils prévoient pour la suite d’accueillir des peregres et des aduenes. Il convient de noter, par ailleurs, que le rayonnement de leurs entreprises dépasse largement le cadre des habitats paysans et des vallées, même s’il reste très loin encore des dimensions qu’atteindra au siècle suivant le domaine de San Millán de la Cogolla, par exemple. Mais à cette époque, soulignons-le, les ressorts comtaux sont eux aussi beaucoup plus modestes que ne le sera le grand comté de Castille bâti au Xe siècle par Fernán González. Le parallèle n’est pas dépourvu d’intérêt. Avito, en effet, dispose d’une fortune notable (dans cette région et à cette époque), lors de la rédaction de son testament, à tout le moins. L’abondance de ses troupeaux a été remarquée à maintes reprises : des jougs de bœufs, une centaine de vaches, une centaine de têtes d’équin dont quatre-vingts juments... En revanche, on s’est plus rarement interrogé sur l’importance de son cheptel équin. Or, à une demi-journée de frontières toujours menacées, n’est-il pas permis de penser que l’ost comtal avait quelque raison de trouver à employer les chevaux d’Avito ? Qu’en était-il, au demeurant, de ses gasalianes, et d’Avito lui-même ? Peut-on sérieusement imaginer qu’ils n’aient pas participé aux combats ? Il y a là, inévitablement à notre sens, matière à soupçonner la dimension régionale du personnage : un poids et des soutiens politiques et militaires qui situent son envergure bien au delà du cercle local, mais contribuent aussi à expliquer la réussite de son implantation. Dans le même ordre d’idée, il convient sans doute d’expliciter ce qui peut se cacher derrière l’affirmation rhétorique qui fait du presor un constructeur bâtissant de ses propres mains (manibus meis edificaui). La recherche archéologique récente a mis en lumière des vestiges de la première église de San Román de Tobillas24. Un chevet couvert d’une voûte à pendentifs témoigne, en particulier, de la mise en œuvre de moyens remarquable. Cette puissance matérielle a pu découler du patrimoine de l’abbé ou de sa capacité à attirer la munificentia mercedis bonorum christianorum25 ; dans les deux cas, qui ne s’excluent nullement, on comprend mieux de quelle manière le presor a pu subjuguer les habitants qui l’avaient précédé sur ce territoire.
20En effet, si l’aisance matérielle (foncière et mobilière) et l’amitié des puissants contribuent toujours à séduire les volontés et adoucir les résistances, l’éclat religieux de ces abbayes dans l’horizon régional ne fait, en outre, aucun doute. Il faut imaginer, pour en prendre la mesure, Avito ou Jean (lequel, au demeurant se parait du titre d’évêque) officiant dans des églises sinon imposantes du moins solidement bâties, entourés d’une congrégation bien organisée, dirigeant une liturgie riche et orthodoxe rehaussée par l’exhibition de calices, patènes et vêtements étincelants, et disposant, en outre, de bibliothèques non négligeables26. Peut-être même possédaient-ils des reliques ; cela reste toutefois incertain, faute de mention27. Ces hommes, on le sait, ont érigé de nouvelles églises ; ils en ont rebâties d’autres, abandonnées ou à demi ruinées (c’est une problématique ancienne28). Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est qu’ils ont obtenu des droits sur de nombreuses églises préexistantes. Une phrase bien connue de l’évêque Jean de Valpuesta devient ainsi particulièrement claire : Et inueni ibi eglesias antiquas, id est Sanctorum Cosme et Damiani et [suivent cinq dédicaces] et adfirmabi eas meo iure. D’après la législation canonique, en effet, l’affirmation du ius episcopale (que Jean opère ici) pouvait tout simplement être réalisée par la consécration de l’église29.
21Peut-on mieux dire, à partir de ces considérations, ce que furent les presuras ? En fonction des équilibres locaux ou selon les stratégies des presores, les circonstances entourant chaque presura sur une église ont pu, de toute évidence, être fort diverses. Force est de constater, hélas, qu’on ne peut guère, au delà de ce point, proposer mieux que des conjectures. Ici, des moines ont pu se placer sous l’autorité d’Avito ou Jean ; là, des familles fondatrices, des membres de la frange supérieure des communautés ont peut-être choisi de céder leurs églises, avec ou sans l’accord des prêtres et des abbés locaux. Quelques communautés rurales ont vraisemblablement donné leurs églises ou, ce qui était plus prudent, les ont partagées avec les grands abbés – d’où peut-être les moitiés d’églises du testament d’Avito ; d’autres encore ont pu accueillir avec satisfaction la réfection de chapelles mal desservies et à demi ruinées... Les différents cas de figure, que l’on suspecte ou non, furent sans doute aussi nombreux que variés. Mais, il y a, sans doute, plus remarquable encore. Si l’on tente, en effet, d’imaginer à partir de là le fonctionnement concret des presuras sur les biens attachés à ces églises, le nombre des combinaisons possibles semble augmenter de façon exponentielle. Comment, par exemple, pouvait se matérialiser l’affectation d’un pré à une chapelle ? S’agissait-il d’un pré entretenu par les voisins du lieux, dont le foin était alloué aux besoins des desservants ? Appartenait-il à une famille qui, de la même manière, livrait aux clercs le produit de son travail, en entier ou en partie ? Ou bien, était-ce le prêtre qui le fauchait personnellement ? Était-ce réellement le pré qui était donné une fois pour toutes à l’église ? Ou bien, était-ce seulement la dîme du foin qu’une famille, ou un groupe de familles, avait pris l’habitude de verser à l’église ? On pourrait à l’envie multiplier les solutions possibles. Encore faut-il songer à des combinaisons de ces virtualités, dans l’espace et dans le temps, et ne pas oublier que les dispositions testamentaires d’Avito, Jean ou Vitulo ne nous fournissent qu’un instantané. Les patrimoines affectés aux églises étant au centre du tissu vivant et dynamique des rapports familiaux et locaux, il est permis d’imaginer qu’après leur acquisition ils furent soumis à toute sorte de transactions et d’accords, des réaménagements constants qui rendent encore plus difficile à saisir les modalités concrètes des appropriations réalisées au moyens des presuras. On relèvera, dans cette perspective, que la Règle Commune condamne et évoque dans son premier chapitre les disputes, âpres et parfois même violentes, qu’engendrait la rupture des pactes monastiques ; elle dévoile, au demeurant, la volonté subséquente d’enlever aux monastères locaux ce qui leur avait été auparavant affecté30. Des phénomènes de ce type pourraient se cacher derrière quelques anomalies apparentes repérées dans la documentation, comme l’éventuel recoupement des presuras de deux monastères différents sur un même espace31, ou la localisation sur un même secteur du finage de Taranco des presuras de Vitulo et Ervige et de certaines terres qu’un prêtre local accordait un demi-siècle plus tard à leur monastère32.
22Ces quelques remarques sur la presura n’épuisent nullement le sens du mot et ne prétendent en rien circonscrire les pratiques sociales qu’il a pu recouvrir. Il nous semble important, cependant, de mettre en valeur cette dimension du phénomène parce qu’elle débouche sur des interrogations nouvelles dont on peut espérer beaucoup. Au IXe siècle, dans ces régions orientales du royaume asturo-léonais, des gens d’Église d’un certain rang désignent du nom de presura leur mainmise nouvelle sur des églises et sur des biens affectés à celles-ci, ainsi que la prise des hermes qu’ils utilisent pour en bâtir de nouvelles. Mais pourquoi ont-ils préféré ce vocable à des termes comme « don », « échange » ou « convention », par exemple ? N’auraient-ils pas cherché, ce faisant, à contourner quelques faits, quelques contraintes juridiques, quelques représentations idéologiques ? À l’inverse, ne faut-il pas se demander quelles sont les réalités sociales ou idéologiques auxquelles ils prétendaient s’adosser en employant une telle notion ? Ces questions appelleraient de nouvelles études. Pour l’heure, nous nous contenterons de constater le fait. À titre de suggestion, toutefois, nous voudrions ajouter deux remarques.
23La vie de Fructuoso permet de voir très nettement qu’il fondait des monastères aussi bien sur ses domaines que sur ceux d’autrui, partout dans le royaume. De la même manière, sur des terres qui ne leur appartenaient pas, Valerio et ses compagnons bâtissaient des églises et des maisons, défrichaient des hermes et faisaient des plantations de leur propre initiative, sans aucune allusion à des donations préalables. En fait, dans les écrits de Valerio, un homme très sourcilleux dès qu’il s’agissait de ce qui lui était offert ou enlevé, il est manifeste que le consensus des gens des alentours était nécessaire pour mener à bien pareilles entreprises, mais que point n’était besoin de transferts formels de droits33. Ces éléments s’accordent bien avec la force et l’importance que la législation wisigothique semble reconnaître à la possessio ; il y a là, peut-être, matière à repenser le contexte dans lequel la presura a pu plonger ses racines. Notre seconde remarque concerne les formes qui auraient pu constituer une solution alternative à la presura des églises. Dans les sources contemporaines de la région, la traditio corporis et animae d’un prêtre avec son église et son patrimoine n’est pas inconnue34. Mais elle est rare. Or, si l’on considère que formaliser une donation implique de reconnaître la légitimité des droits du donateur sur la chose donnée, et que la Règle Commune et les actes conciliaires blâment le pseudo-monachisme « sauvage » – haec non dicimus monasteria sed animarum perditionem et ecclesia subuersionem35 –, n’est-il pas loisible de penser que la figure de la presura traduit la volonté de faire table rase de l’état préalable des choses ? Autrement dit, ne s’agissait-il pas d’une sorte de fiction juridique destinée à marquer, dans l’esprit des presores – plus que dans la réalité, sans doute –, la rupture avec un passé que l’on estimait trop à l’écart de l’orthodoxie ? On le voit, le débat est loin d’être clos.
L’occupation du territoire
24Relevons ces deux points avant d’essayer de faire progresser notre analyse : (1) les presuras ne furent pas réalisées dans un désert vide d’hommes, loin s’en faut ; (2) et au vu des remarques précédentes, elles ne nous semblent pas, non plus, impliquer un radical et total bouleversement du paysage et des structures d’appropriation du sol. Si notre analyse est correcte, le dossier des presuras offre dès lors, non pas un échantillon complet, certes, mais du moins un glanage d’éléments sur l’organisation du paysage et de la société dans lesquels opérèrent les presores. Il nous faut donc maintenant, pour étayer cette proposition, tenter de rassembler et d’ordonner un peu les indices qui nous sont fournis.
25Les presuras « fondatrices » d’Avito et Jean, c’est-à-dire celles qui accueillent leurs monastères principaux, montrent l’existence d’interstices dans le réseau de peuplement. C’est un aspect bien connu du sujet. Jean s’empare de l’intégralité d’une petite vallée, limitrophe de la chaussée qui traverse la Valdegobía et des territoires de quelques communautés – dans un endroit, par conséquent, qui est loin d’être absolument marginal. Au total elle comprend 3000 ha environ, non arables pour la plupart. La surface de la presura d’Avito, à deux heures à pied du monastère de Jean, a été estimée à 2000 ha36. Comme J.A. García de Cortázar et E. Peña l’ont souvent remarqué, il se peut fort bien que les hommes des alentours aient pratiqué là des formes d’exploitations sylvo-pastorales temporaires, et les presuras ont pu être opérées avec leur consentement plus ou moins tacite. À Valpuesta, Jean a découvert une église désertée, indice ambigu d’occupation autant que de désertion. Cela dit, le contraste entre ces zones où l’emprise des hommes semble relativement faible et ce que les textes dévoilent dans d’autres terroirs est assez parlant ; nous y reviendrons. Disons, pour rester dans une perspective globale, que l’on a l’impression – mais ce n’est rien de plus qu’une impression – d’être en présence d’un stade intermédiaire entre l’occupation du territoire en taches de léopard de l’Antiquité tardive et le maillage serré des villas et villares du Xe siècle.
26Partout, semble-t-il, les hermes font l’objet de bornage et d’une appropriation conçue en termes d’hereditas, et cela, il faut le souligner, sans que soient prises en compte les modalités de leur mise en valeur. On est loin de l’idée classique d’un droit acquis par le travail de la terre. Avito est on ne peut plus clair à cet égard lorsqu’il définit l’espace dont il s’empare : quod ego scalidaui uel a me aplicaui en Touiellas, de ualle Placini usque ad fonte Sabanaira, cum omnibus fontibus et silbas. Ce qu’il n’a pas défriché fait partie de son hereditas, tout autant que ce qu’il a défriché. Il en va de même dans les zones de peuplement plus dense et plus ancien : à Valluerca et à Villamanca37, par exemple, les eaux et les bois sont également conçus comme une hereditas. Mais la différence, cruciale, est qu’ici les titulaires d’hermes bornés ne sont pas seulement des individus ; dans ce cas, en effet, les ayants droit sont les vicinos de chacune de ces villas. Pour comprendre ce dont il s’agit, il faut essayer de pénétrer plus avant dans l’organisation de ces villas.
27D’après les indications du texte, les maisons de Valluerca forment un petit agrégat appelé villa, dans une acception du mot qui deviendra courante aux siècles suivants : on remarque, notamment, que des parcelles et des sernas sont localisées sur la villa et devant la villa38. Il en est de même à Villamanca, où un champ céréalier est situé sous la villa. En outre, trois ferragines sont localisées in villa, ce qui désigne manifestement l’intérieur de la petite agglomération et non l’ensemble du territoire, puisque deux autres sont situées au-dessus de la fontaine et sous une voie. C’est dire, en quelque sorte, que l’on entrevoit déjà le plan alvéolaire, caractéristique du peuplement rural de l’Alava à la Galice, où l’espace habité fait figure d’agrégat d’enclos dans lequel s’enchevêtrent les maisons et les espaces agricoles d’exploitation intensive39. D’autres éléments, comme les jardins et le moulin de Valluerca, dessinent un paysage stabilisé et complexe ; impression qui est, au demeurant, confortée par l’ensemble du dossier documentaire. Enfin, les deux villas comptent chacune une chapelle. Avito obtient Saint Pierre et Saint Paul de Villamanca, tout entière apparemment, mais la moitié seulement de l’église de Valluerca. Si l’on peut raisonnablement soupçonner que les vicinos ont conservé l’autre moitié, le texte n’en dit rien. En somme, à Valluerca comme à Villamanca nous retrouvons un habitat groupé, une communauté qui gère les vacants dans un territoire délimité, un paysage agricole développé et une église dont le ressort matériel se trouve dans le territoire organisé autour de chaque habitat. C’est bel et bien de villages qu’il s’agit.
28Toutes les composantes du tableau que nous venons de brosser sont attestées, une à une, dans les sources d’âge wisigothique, mais, il faut y insister, on n’y retrouve absolument pas la manière dont elles s’articulent ici40. À Valluerca le conventus publicus vicinorum paraît désormais intimement lié au consortium sur certains bois, l’un et l’autre apparaissant d’ailleurs profondément modifiés et filtrés par une logique communautaire. Le conventus, qui n’est doté que de piètres attributions par le Liber Iudicum, s’est pourvu ici d’une compétence majeure sur cet enjeu décisif de l’économie rurale qu’est le contrôle des vacants41. Vicinus prend ainsi un sens « fort », qui à certains égards évoque le « villageois », mais bien plus que cela sans doute. Le consortium sur des bois, par ailleurs, n’est vraisemblablement plus conçu comme la juxtaposition de propriétés individuelles susceptible d’être disloquée au gré de chacun des consortes42. Le document d’Avito peut même apporter un élément supplémentaire sur cette transformation substantielle dans le mode d’appropriation des hermes : il semble indiquer, en effet, que la prise en main de l’église et la construction de maisons confère à celui qui les réalise une condition assimilable à celle des vicini, et ouvre un droit de participation à la jouissance des bois. Dans cette hypothèse, très clairement, il devient quasiment impossible d’imaginer l’opération comme un lotissement qui aurait réservé à l’abbé la jouissance exclusive d’une parcelle fermement délimitée et retranchée de l’espace des hermes appartenant aux voisins. La situation, bien au contraire, serait plutôt proche de ce que révèle plus tard le système de solares et divisas : un système dans lequel l’appropriation du sol doit respecter les contours d’un assemblage organique et rigide entre l’espace habité (ou habitable) et le territoire soumis à des contraintes communautaires de différents niveaux43.
29Pour éclairer un peu ce que pouvait être cette mainmise commune sur le territoire de la villa et les possibilités offertes à l’implantation des presores, un point mérite une attention toute spéciale pour ce qu’il dévoile des façons dont pouvait se penser et se transformer l’emprise sur les vacants. Plus exactement, il s’agit ici de se pencher sur le rôle crucial des communautés dans la gestion de l’articulation entre les cultures et le saltus, et de s’intéresser en particulier aux espaces qui se situent précisément à la charnière entre l’un et l’autre44. Dans sa configuration locale, la question peut s’identifier au sujet de la serna. Les recherches de J.A. García de Cortázar, J. Ortega Valcárcel, E. Botella et E. Peña ont mis en lumière que serna – mot d’origine celtique, paraît-il – désigne à cette époque un espace assez vaste, situé dans un terroir marginal par rapport aux champs cultivés et soumis à une exploitation communautaire extensive, assortie de longs repos. Il s’agit donc d’un terrain d’essartages communautaires voué à un avenir fort intéressant : s’incorporant au terroir de cultures permanentes, il pourra faire l’objet de lotissements, mais il sera plus souvent saisi par des seigneurs, tant et si bien que sema finira par désigner une corvée45. Qu’en est-il dans nos textes du IXe siècle ? Les deux sernas prises par Vitulo à Taranco longent une chaussée et se trouvent sur des berges de cours d’eau, un emplacement que l’on retrouve dans d’autres passages du même Vitulo, d’Avito de Tobillas, et plus tard, vers 872, de l’abbé Paul de Saint Martin de Herrán46. Pareille localisation, évidemment, ne va pas sans évoquer les dispositions du Liber Iudicum relatives aux cultures temporaires sur les bords des rivières47. D’autres sernas se trouvent dans la montagne, à proximité des prés ou des maisons, mais aussi à côté des églises48. Il est donc très probable que ces sernas aient relevé de formes de mainmise collective sur les vacants. Mais il est très remarquable, en outre, qu’elles apparaissent si souvent attachées aux églises – media ecclesia Sanctorum Cosmas et Damiani, id est : sinera super uilla et...49 Cela laisse entrevoir l’enchâssement de ces dernières dans la charpente communautaire, et permet d’envisager, par exemple, que le fruit d’un surplus de travail collectif mené sur des terres également collectives a pu être destiné à subvenir au culte (voire même destiné à être consommé ou stocké dans l’église, ou tout près50). Encore une fois, on peut donc avoir le sentiment de percevoir, derrière les presuras, les enjeux d’une reprise en main ecclésiastique. Mais l’important, dans le cas présent, est assurément l’emprise de la communauté locale sur son territoire comme sur son église.
30Voyons maintenant un troisième cas de figure. Entre le désert, aussi relatif fût-il, occupé par les presuras fondatrices de Jean et Avito, et les territoires de Valluerca ou Villamanca, quasiment verrouillés par un système communautaire fort, le cas de Taranco enrichit l’éventail de situations envisageables et permet une réflexion sur les rythmes de développement des formes villageoises. Outre les dispositions de Vitulo et Ervige, datées de 800, les traditiones ultérieures de deux prêtres et de leurs patrimoines fonciers (aux environs de 828 et 856, respectivement) mettent au jour un paysage dense et complexe51. L’habitat est desservi par des chaussées, des chemins et des ponts ; les cultures sont diverses (des champs céréaliers, des vignobles, des jardins, des ferragines, des arbres fruitiers...) et témoignent d’une gradation dans l’intensité de l’exploitation de la terre (des cortinas et des ferragines d’un côté, des lanières de labours et des agri de l’autre) ; des terroirs spécialisés existent ; les espaces pastoraux sont variés (des prés, des dehesas) ; l’équipement meunier ne fait pas défaut ; l’habitat est relativement groupé... Et pourtant, Vitulo et Ervige ont pu faire la presura d’un espace compact dans ce territoire pour y bâtir leur église et leurs maisons, et y entreprendre des cultures. Deux types d’explications pourraient être avancées, qui ne s’excluent pas nécessairement. La première lecture pourrait être chronologique : Vitulo et Ervige seraient arrivés à Taranco lorsque la colonisation agricole était en train de démarrer, le terroir étant encore soumis à une pression faible et discontinue. La seconde interprétation insisterait davantage sur le modus operandi de ces hommes auréolés de sainteté dont il a été question plus haut : fils d’un couple de bâtisseurs d’églises de la contrée, héritiers de ce fait d’un certain prestige religieux, Vitulo et Ervige ont pu se faire accorder l’autorisation – quoi que cela signifie exactement – de faire leur presura dans des espaces collectifs par une éventuelle communauté de Taranco. À l’appui de cette conjecture, un indice témoignerait de la présence de pratiques collectives dans cette même aire du finage : malgré une rédaction quelque peu confuse, il semble bien, en effet, qu’au moins une des sernas citée dans le document de 800 ait été pratiquement limitrophe de la presura mentionnée. Pour soutenir cette idée, on peut en outre faire mention de circonstances semblables, attestées vers 872 dans la vallée voisine d’Ayala. Là, l’abbé de Saint Martin de Herrán et ses hommes exercent leur presura sur Sainte Agathe de Manata : concrètement, cela signifie qu’ils s’emparent d’un vaste espace compact qu’ils s’appliquent à borner. Mais le plus remarquable est que, dans le même secteur, ils obtiennent en outre trois sernas, dont une, soulignons-le, attenante à l’église52. En somme, tout se passe comme si la presura opérait ici tout à la fois comme dans les espaces quasiment vides que s’appropriait pleinement Avito, et comme il advenait dans les zones fermement tenues par une communauté, lorsqu’il s’agissait de détourner l’usage de terres soumises depuis longtemps à de fortes pratiques collectives.
II
31À l’autre bout de l’ancienne Tarraconaise, la tentative de conquête de Saragosse menée par les troupes de Charlemagne en 778 provoqua bien des remous ; entre autres conséquences, elle entraîna l’afflux de quelques contingents d’immigrants, en Narbonnaise et dans la future Catalogne. L’installation de ces Hispani eut lieu à une époque où les Francs, devenus moins ambitieux dans leur politique péninsulaire, étendaient leur souveraineté sur les Pyrénées orientales et sur la côte catalane, jusqu’à atteindre Barcelone, prise en 801 ; au moment, également, où ils réorganisaient aussi bien les cadres du gouvernement local que ceux d’une Église contaminée par l’Adoptianisme. La colonisation des Hispani fut un phénomène de courte durée : elle était achevée pour l’essentiel dans les premières décennies du IXe siècle, même si ses conséquences demeurent visibles dans les sources des IXe et Xe siècles. Sa portée dans la mise en place du peuplement catalan fut limitée, de même sans doute que la part des Hispani dans le phénomène global des aprisions. Celles-ci ne furent pas l’œuvre exclusive des immigrants, loin s’en faut probablement ; il faut bien avouer, cependant, que la part respective des autochtones et des réfugiés dans le mouvement aprisionnaire demeure pour l’instant impossible à deviner53.
32Malgré cela, le dossier des Hispani joue un rôle considérable, voire même fondamental, dans quelques questions majeures relatives aux sociétés carolingiennes, post-carolingiennes ou pré-féodales – les appellations variant en fonction des points de vue, bien évidemment. Concernant l’aprision, en liaison plus ou moins directe avec le sujet des Hispani dans l’historiographie catalane, il a pu être dit, par exemple, qu’elle apparaît comme « la figure juridique centrale de toute l’explication traditionnelle de l’évolution économique et sociale de la Catalogne du Haut Moyen Age »54. Dans le cadre plus large de la Péninsule, les Hispani sont tout aussi présents dès qu’il est question du repeuplement, notamment en raison de l’analogie unanimement admise entre la presura et l’aprision, toutes deux interprétées comme une seule et même figure juridique d’origine wisigothique55. Dans une perspective pourtant radicalement différente, A. Barbero et M. Vigil ont également incorporé les Hispani dans leur thèse sur les communautés primitives du Nord56. Mais la question, notons-le, a largement débordé le cadre péninsulaire. C’est ainsi que dans la problématique de la liberté pendant le Haut Moyen Age et dans le débat plutôt délaissé de nos jours sur la Königsfreiheit, les Hispani aprisionnaires ont été considérés, avec les arimanni italiens, comme le modèle et la pièce la plus probante de la théorie des « libres du roi »57. Si l’on ajoute que les Hispani se retrouvent jusque dans la doctrine classique de l’union du bénéfice et de la vassalité58, la richesse et la complexité du sujet ne feront guère plus de doute. Ce sera, au demeurant, l’occasion de répéter qu’il n’est nullement dans notre intention de traiter le thème dans toute son étendue, mais que nous entendons seulement, comme pour les presuras, limiter notre approche aux formes de l’appropriation du sol que laisse deviner l’aprision des Hispani.
L’aprision des Hispani
33Les débuts de la législation carolingienne concernant les Hispani, c’est bien connu, sont datés de deux moments différents, selon que l’on admet ou non la restitution des deux hypothétiques capitulaires de Charlemagne proposée par R. d’Abadal à partir des diplômes conservés. Dans l’affirmative, la première disposition royale serait quelque peu postérieure à l’expédition de Saragosse de 778, et la seconde correspondrait aux mesures prises après la conquête de Barcelone en 80159. Si, au contraire, on doute de cette restitution, le point de départ serait l’arrivée à Aix-la-Chapelle en 812 de quarante-deux Hispani venus porter plainte contre leurs comtes et les pagenses voisins. Outre la protection accordée à ces hommes, Charlemagne prévoyait, en 812, la promulgation d’une ordinatio destinée à régler la situation des Hispani, ce qui fut effectivement accompli en 815. Or, comme dans une réaction en chaîne, l’application de ce texte entraîna de nouvelles doléances, à l’encontre, cette fois, des quarante-deux de 812, et la rédaction d’un nouveau précepte en 816. Quelle que soit leur place dans la chronologie des dispositions carolingiennes, les capitulaires d’entre 812 et 816 répondent à des circonstances et à des conflits bien réels, survenus à une époque où le phénomène est déjà bien enraciné dans le pays. C’est pourquoi nous les prendrons comme point de départ60.
34Même si cela peut sembler très convenu, le premier point à souligner dans l’organisation de l’aprision est le rôle fondamental du désert ; sans cette référence à l’âpreté et la solitude des lieux déserts et incultes, tout le discours s’effondre. C’est là seulement, en effet, que les Hispani peuvent prendre des terres pour les occuper, les habiter, les travailler, les défricher (chaque expression ayant sans aucun doute son importance particulière). De prime abord, donc, la ressemblance avec ce que l’on a vu dans la haute vallée de l’Èbre saute aux yeux, aussi bien sur le fond que dans la rhétorique des textes. Pour pousser plus loin la comparaison, on pourrait d’ailleurs évoquer à titre d’exemple un privilège qui sort à peine du cadre chronologique que nous avons choisi comme point de départ :
... quidam vir religiosus nomine Bonitus quemdam locum eremum quod dicitur Baniolas, quod est situm in pago Bisuldunensi ubi antiquitus ecclesia fundata fuerat, per licentiam Odilonis quondam comitis accepisset et ibidem proprio sudore laborasset, ubi ecclesiam in honore sancti Stephani prothomartiris construxit et habitationes monachorum et receptacula pauperum aedificavit...61
35Effectivement, ce récit de la fondation de Saint Étienne de Banyoles daté de 822, tout comme la mise en place ultérieure d’un réseau de cellules de colonisation dépendant de l’abbaye-mère, évoque puissamment les entreprises d’un Jean de Valpuesta. Mais cela ne doit pas masquer une différence considérable : Jean ne faisait qu’une bien maigre allusion au roi Alphonse d’Oviedo (feci ibi fita sub regimine Domino Adefonso principe Obetau) ; les abbés catalans, au contraire, devaient obtenir une licence comtale préalable, et s’appliquaient à obtenir des préceptes impériaux pour confirmer leurs droits. Ce contraste est fondamental, parce qu’il situe les aprisionnaires de Catalogne dans une organisation politique déjà beaucoup plus structurée, et parce qu’il pose, en conséquence, la question de savoir comment se manifestait ce pouvoir politique sur les terres soumises à l’aprision, et comment il les incorporait à sa logique. Qu’était-ce exactement qu’un lieu désert ? Il nous faudra revenir sur cette interrogation plus problématique qu’il ne semble. Admettons pour le moment qu’il s’agissait simplement d’un endroit vide d’hommes, et essayons de répondre à des questions plus simples : qui faisait des aprisions ? Comment se réalisait concrètement une aprision ? Ces questions, nous ne voulons pas l’ignorer, ont déjà donné lieu à bien des solutions acceptables. Mais nous voudrions, encore une fois, nous attacher à les aborder en considérant plus précisément les conditions pratiques de l’appropriation du sol.
36Dans cette perspective, un deuxième aspect de l’aprision est passé largement inaperçu ; il est pourtant essentiel, et indispensable à l’heure de penser l’articulation des différentes facettes du phénomène. L’aprision apparaît, en effet, comme l’appropriation et la délimitation d’un terrain vacant dont la mise en culture est une opération évidemment postérieure et très souvent partielle62. Autrement dit, elle inclut des hermes qui ne sont pas tous défrichés et qui n’ont pas tous vocation à être défrichés. Il est vrai que cela apparaît mal dans les diplômes impériaux des années 812-816. On peut relever, cependant, que le texte de 812 définit les possessions des Hispani comme les erema loca que ceux-ci ont aprisionnés pour les travailler (ad laboricandum propriserant), ce qui ne signifie pas qu’ils soient d’ores et déjà totalement cultivés. On peut ajouter, au demeurant, que ces biens sont également définis comme des villae. En somme, rien ne s’oppose, bien au contraire, à ce que le territoire saisi par aprision ait largement dépassé le cadre de ce qui était effectivement labouré. Des preuves ultérieures le confirment sans laisser place au doute. On peut, par exemple, alléguer à ce propos les témoignages présentés en 834 par Théodofred, fils du fameux Jean, l’un des « quarante-deux d’Aix-la-Chapelle »63. Les témoins, en effet, racontent de quelle manière Jean a acquis le villar de Fonts cum omnes suos terminos et adjacentias ; ils narrent la construction de maisons, le défrichement de terres, et le bornage du villar par le comte : la description des limites met en pleine lumière qu’elles incluent également des hermes. Quinze ans plus tard, de surcroît, des bois sont encore mentionnés dans le territoire de Fonts64. On pourrait multiplier les cas de ce genre, bien attestés65. Mais on préfèrera, à ce stade, évoquer le capitulaire de 844, établi à Toulouse par Charles le Chauve, parce qu’il différencie très nettement l’espace ayant fait l’objet de l’aprision et la terre qui serait défoncée à l’intérieur de cette zone (quicquid... infra eorum aprisiones excolere potuerint)66. Nous reviendrons sur l’interprétation de ce passage fort délicat. Pour le moment, il nous suffira de noter que l’aprision déborde très clairement le cadre des seules terres défrichées. Vient à l’esprit, évidemment, la distinction que faisait Avito de Tobillas entre ce qu’il avait mis en culture et ce qu’il avait tout simplement « pris » (quod ego scalidaui uel a me aplicaui).
37La troisième caractéristique de l’aprision telle qu’elle est présentée dans les capitulaires est bien connue, et a donné lieu à de nombreux commentaires : les textes reconnaissent une hiérarchie, différencient plusieurs catégories d’Hispani, et les débats ont été considérablement obscurcis par le télescopage des formes d’opposition mises en œuvre. Le seul point qu’il nous faut retenir ici est le suivant : les Hispani peuvent attirer des hommes pour leur faire cultiver la part des terres qu’ils ont obtenue par aprision (815, cap. 3). Ceux-ci leur devront les services convenus, et seront soumis à la justice du concédant pour les affaires ne relevant pas de la justice comtale ; ils pourront, aux mêmes conditions, transmettre à leurs enfants la terre travaillée (816), mais celle-ci reviendrait à leur maître si les nouveaux venus abandonnaient leurs parcelles (815, cap. 4). Il convient d’envisager ce fait sous ses deux faces. (a) Les aprisionnaires ne pouvaient guère attirer ces hôtes ou ces colons qu’à condition de disposer d’une réserve de terres, d’un surplus de sol qu’ils ne cultivaient pas eux-mêmes. Bref, une telle disposition n’a de sens que si les aprisionnaires s’emparaient d’une partie des hermes autrement que par essartage, (b) Mais pour que le système fonctionnât, il fallait aussi que les nouveaux venus n’aient pas la possibilité de réaliser l’aprision à leur propre compte. C’est assez exactement ce que semble organiser le diplôme de 816 qui ne paraît pas envisager d’autre possibilité pour les nouveaux venus que de se commender aux comtes, aux vassaux comtaux ou aux Hispani aprisionnaires, afin de recevoir de leurs mains la terre désirée. Encore une fois, l’exemple de Fonts permet de mieux comprendre les choses. Les témoins rapportent, en effet, qu’ils ont vu Jean « occuper » le villar, « construire » maisons, curtes et jardins, et « labourer » les terres. Ils déclarent ensuite qu’il y « envoya ses hommes », des hommes qui lui étaient commendés et qui l’avaient pour « patron ». Ils concluent, enfin, que tout ce que ces hommes ont construit de maisons, curtes et jardins, tout ce qu’ils ont labouré de terre, ils l’on fait per beneficium de Jean, et non per illorum aprisione.
38Marquons une pause. Si l’on s’en tient aux éléments que nous venons d’évoquer, il est clair qu’au début du IXe siècle l’aprision a servi à reproduire une forme de possession aristocratique fondée sur l’appropriation et le bornage d’hermes, dans la mesure où ceux-ci permettaient de favoriser et de contrôler l’extension de l’espace cultivé. Le modèle reproduit peut avoir été importé, puisqu’il s’agissait en principe d’immigrants (seigneurs et dépendants), mais tout aussi bien local, puisque l’on sait que le villar n’était pas dans la région une forme nouvelle de la propriété des puissants. Ainsi, par exemple, les auteurs de la dotation de l’église Saint André (à l’origine du monastère d’Eixalada) revendiquaient-ils la possession du villare Paulino cum fines suos, en invoquant leur bisaïeul Mascaranus qui en aurait été propriétaire au temps de la domination musulmane de Narbonne67. Au fond, l’aprision n’aurait fait guère plus que créer par occupation des domaines, de grandes propriétés conçues essentiellement comme des espaces délimités (associant les cultures et les incultes) sur lesquels s’exerçait la puissance d’un maître. L’acquisition de l’ensemble, n’impliquait pas le défrichement du tout. Et, cela aussi pourrait fort bien s’expliquer comme un prolongement du droit antique : les juristes n’avaient-ils pas pris l’habitude de distinguer dans la possession deux composantes : la détention de la chose (corpus) et l’intention (animus) de se comporter comme son possesseur ? À partir de là, le défrichement d’une partie ne pouvait-il pas se lire comme le signe d’une volonté de posséder l’ensemble ? Sans s’aventurer aussi loin, on peut retenir l’idée que la mise en culture de certaines terres permettait d’affirmer un droit de possession sur un espace plus vaste et délimité. Quand ce droit était réservé à un seul, l’ensemble ressemblait fort à un domaine ou à une proto-seigneurie. C’était le cas dans le villar de Fonts, où les témoins présentés par Théodofred en 834 s’empressent d’affirmer que Jean possédait le tout per suam adprisionem absque ullo socio uel herede. Mais précisément, leur déclaration révèle que d’autres aprisionnaires devaient compter avec des associés. C’est alors un tout autre visage du phénomène qui apparaît, et qu’il nous faut découvrir à présent.
39Le quatrième faciès de l’aprision que nous voudrions relever est beaucoup plus déroutant. De prime abord, il peut sembler en totale contradiction avec les points précédents, et pourtant, il faut bien qu’il leur soit compatible en quelque façon : nous voulons parler ici du caractère collectif de certaines entreprises68 et de la dimension de partage qui en résultait dans l’organisation des possessions. Disons tout de suite que la documentation ultérieure ne laisse que peu de doute quant à l’existence de telles communautés d’aprisionnaires. On peut citer, à titre d’exemple, le groupe d’Hispani d’Aspiran et Albagnan qui se firent accorder par Charles le Chauve la protection de leurs apprisiones sive hereditates, quelques semaines avant la promulgation du capitulaire de juin 84469 ; ou bien encore la colonisation de la vallée de Sant Joan de les Abadesses70. Les capitulaires carolingiens, cependant, n’envisagent jamais les choses sous cet angle, sans doute parce qu’ils considèrent essentiellement les droits et les devoirs de chaque individu. Ils n’en laissent pas moins apparaître quelques indices très significatifs. L’ordinatio de 815, par exemple, stipule que chaque Hispanus a le droit d’héberger des hôtes in portione sua, quant adprisionem vocant, et in partent quant ille ad habitandum sibi occupaverat. Cette précision est riche de conséquences. L’équivalence qu’elle établit entre aprisio, portio et pars, montre assez clairement que la possession dévolue à chaque Hispanus est fondamentalement pensée comme la fraction d’un ensemble. Mais faut-il comprendre que chaque portio est délimitée au sol ou qu’elle est une participation comptable à la jouissance d’un territoire commun ? Une combinaison de ces deux solutions nous paraît de loin l’hypothèse la plus vraisemblable. Les hôtes71 sont installés sur la terre que l’aprisionnaire tient en propre, suffisamment fermement pour que se nouent d’incontestables liens de patronage72 ; en outre, dans le cas où ceux-là choisiraient de s’établir ailleurs, les terres reçues devraient revenir à leur patron aprisionnaire (dans son dominium) et non à la communauté. À l’inverse, on peut raisonnablement penser que les hermes, soumis à des usages collectifs (cf. infra) ont été globalement délimités mais non répartis entre les aprisionnaires. Sur cette partie de leur territoire, les Hispani se seraient donc trouvés dans la situation des consortes du droit romano-wisigothique. Cela justifierait assez bien l’habitude de définir la possession de chacun comme une portio ou d’appeler socius le partenaire d’une aprision. Si l’on préfère ne pas se risquer aussi loin, on peut au moins retenir que ces entreprises collectives avaient pour conséquence de réserver les incultes aux aprisionnaires, c’est-à-dire à ceux qui disposaient sur place d’une parcelle occupée privativement. En somme, la logique n’est pas différente de celle qui permettait au puissant d’accaparer l’espace entourant le lieu de son installation. Simplement, plus les partenaires étaient nombreux, plus le résultat s’éloignait d’un modèle domanial pour évoquer davantage une communauté villageoise.
40Le cinquième point remarquable qui apparaît à travers les documents fondateurs du statut des Hispani, concerne l’organisation judiciaire. Nous en avons aperçu un aspect à propos des hôtes ; il convient, néanmoins, d’aller plus loin, en prenant en compte la complexité sociale que nous venons de souligner. L’ordre judiciaire mis en place par les capitulaires dessine, en effet, une hiérarchie simple, à deux paliers, dans une logique où se rejoignent la tradition juridique hispanique et l’ordre social carolingien73. Rappelons les éléments principaux du dossier. Les Hispani ont le droit de trancher entre eux les menues affaires et doivent comparaître devant le mall comtal lorsqu’il s’agit de causes majeures, ou quand un autre vicinus a porté plainte contre eux, criminaliter aut civiliter. Les hôtes, en revanche, et bien qu’ils puissent être Hispani également, sont soumis à leurs patrons pour les affaires mineures ; pour la justice criminelle, ils relèvent du comte. Dans notre perspective, l’intérêt de cette organisation judiciaire réside dans sa projection territoriale : ceux qui se partagent la possession du territoire, les maîtres des portiones, participent à l’exercice horizontal d’une justice communautaire, mais sont les mêmes qui, par ailleurs, contrôlent les mécanismes verticaux (et domestiques) de domination intracommunautaire sur les hôtes. Cette articulation en deux axes rappelle inévitablement les formes de domination dérivant de la possession de cortes ou solares que l’on connaît bien en d’autres régions de l’Espagne chrétienne. Mais, il faut souligner que, dans le cas des Hispani, on remonte bien plus haut dans le temps. Réfléchissons-y un instant. Le sort particulier qui est réservé à la plainte du vicinus, semble bien indiquer que les Hispani se répartissaient en deux grandes catégories : les hôtes (qui dépendaient de leur patron pour les causes mineures) et les vicini (qui réglaient entre eux les menues querelles, à moins que l’un d’entre eux ne choisisse de recourir à la justice publique). Dans cette hypothèse, l’architecture territoriale et sociale de l’aprision aurait donc eu pour clé de voûte la notion de vicinus. En somme, comme à Valluerca, il y aurait là une sorte de superposition du conventus vicinorum, doté ici de menues compétences juridiciaires, et du consortium contrôlant l’accès des hermes indivis, dans une articulation qui n’est pas loin de préfigurer certaines formes de communautés rurales.
41Partant de là, il est peut-être permis de dégager un sixième trait de l’aprision, aussi remarquable dans le fond que discret dans la forme. Alors que l’on met en valeur depuis plus d’un siècle le rôle du défrichement comme condition essentielle de l’aprision, il n’a guère été remarqué que les capitulaires insistent tout autant sur la volonté d’habiter les lieux. Les aprisions sont obtenues ad habitandum, et les hôtes sont accueillis pour habitare avec leur patron (815 cap. 3). Le diplôme de 816 indique pareillement que les Hispani ont occupé des lieux déserts ad habitandum, et que ceux d’entre eux qui se sont commendés à des comtes l’ont fait également pour obtenir des lieux déserts à cultiver et habiter. Plus encore, l’ordinatio de 815 évoque les « édifices qu’auraient bâtis » les Hispani autant que les terres qu’ils auraient défrichées ; elle distingue, en outre, ceux qui « résident » déjà dans les lieux qu’ils ont occupés, et ceux qui viendraient habiter de nouveaux déserts. Cette condition d’habitation nous semble donc cruciale pour comprendre l’organisation de l’accès aux hermes dont nous avons dit l’importance et la complexité. On pourrait suggérer, en effet, que ce n’est pas tant le défrichement qui donnait accès aux incultes que la possession d’une parcelle d’habitation. L’hypothèse permettrait de dépasser les ambiguïtés d’une possession fondée sur le défrichement et qui pourtant le déborde nécessairement. Elle viendrait, en outre, proposer un moyen terme dans l’évolution qui va du système romain distribuant l’usage des hermes indivis au pro rata des propriétés, et la logique médiévale de la communauté villageoise plus attentive au statut de l’habitant74. Elle permettrait, enfin, d’établir une profonde homologie entre le fonctionnement de l’aprision et le système des cortes et divisas qui se rencontre plus tard en de nombreuses régions ibériques – nous l’avons déjà souligné. Existait-il déjà, dans la future Catalogne, ces espèces d’enclos à bâtir qui commandaient l’accès au territoire de la villa ? Matériellement, c’est l’impression qui peut ressortir du témoignage que nous avons moultes fois cité concernant l’aprision du vilar de Fonts : à deux reprises, en effet, le texte s’applique à opposer ce que Jean a bâti (domos et curtes et ortos) et ce qu’il a labouré (terras), ce que ses hommes ont construit et ce qu’ils ont cultivé75. On ne saurait, pour l’heure, aller beaucoup plus loin. Mais avant de délaisser cet aspect du sujet, nous voudrions souligner que cette structure centrée sur l’enclos d’habitation nous aiderait, au demeurant, à comprendre comment un puissant pouvait habiter une terre (c’est-à-dire la faire habiter) sans y résider, et contrôler l’espace à défricher sans avoir jamais défriché ; en somme, cela permettrait d’inscrire dans un même système conceptuel ce qui relève de logiques sociales profondément différentes.
42En somme, dès que l’on s’interroge sur les conditions pratiques de l’appropriation du sol, la lecture des diplômes carolingiens se révèle aussi complexe que surprenante. Les « lieux déserts » et leur attache au pouvoir carolingien restent énigmatiques ; l’aprision apparaît comme une mainmise sur les hermes avant que d’être le résultat d’un défrichement ; elle fut l’instrument d’un pouvoir domanial, mais permettait tout aussi bien l’émergence de libres communautés villageoises ; elle s’inscrivait dans des conceptions anciennes de la propriété, mais révélait également des logiques toutes nouvelles (et plus ou moins communautaires) dans l’organisation sociale de l’appropriation du territoire. Le schéma classique, issu d’une analyse que l’on prétend juridique, ne résiste pas à tant de contradictions. À maints égards, cependant, l’aprision continue de dévoiler une mécanique sociale qui n’est pas sans rapport avec ce que montrent les presuras ou avec ce qui peut se découvrir un peu plus tard en d’autres régions de la Péninsule. En Catalogne, pourtant, le résultat semble souvent bien différent. S’il ne saurait être question d’envisager toutes les raisons de ce parcours divergent, il paraît indispensable au moins de s’interroger sur le contexte dans lequel se révèle l’aprision des Hispani ; dans cette intention, l’influence carolingienne doit nécessairement être interrogée, certes, mais il ne faudrait pas oublier qu’elle fut accompagnée d’une présence aristocratique bien plus forte qu’à l’autre extrémité de la Tarraconaise.
Des limites, des ambiguïtés et des échecs
43Si l’on peut dégager des textes un certain nombre de cadres solides, on ne saurait néanmoins cacher l’impression de flottement qu’ils laissent à d’autres égards. La mécanique que nous avons essayé de restituer est à peu près claire si l’on admet qu’elle opère dans un grand vide, dans un désert, dans un non-lieu, ou pour ainsi dire, nulle part. Où donc, en effet, se trouvaient ces terres qui n’avaient jamais vu un comte ou un autochtone soucieux de s’en emparer ? Et pourquoi fallait-il protéger les droits des nouveaux venus s’il n’y avait nul comte et nul autochtone pour les contester ? Cette mécanique, de surcroît, manipule à volonté une sorte de trou temporel : les Hispani se sont installés ou s’installeront, et plus rien ne sera comme avant (puisque les nouveaux venus n’auront d’autre possibilité que de quémander une terre aux comtes, à leurs vassaux ou aux premiers arrivants). Mais à partir de quand la terre vierge n’est-elle plus disponible ? Combien d’Hispani faut-il, et depuis combien de temps, pour que les hermes cessent d’être accessible par aprision alors qu’il est toujours possible de s’installer et de défricher par bénéfice ou autre convention ? Considérée sous cet angle, l’aprision semble n’être d’aucun temps et d’aucun espace fermement délimités. En bref, cette mécanique qui œuvre dans une bulle spacio-temporelle révèle aussi qu’elle n’est ni plus ni moins qu’une sorte d’artifice juridique.
44En somme, il faut en revenir à cette évidence : les diplômes impériaux de 812, 815 et 816 n’ont jamais eu pour fonction d’organiser l’arrivée des Hispani, non plus que la colonisation de vastes déserts frontaliers. Ils furent promulgués pour régler des conflits déclarés depuis longtemps. C’est dans cette optique qu’ils doivent être analysés : non pas comme le récit objectif d’un improbable scénario, mais comme un arbitrage entre plusieurs argumentations. C’est en essayant de comprendre de quelle manière ces textes s’interposaient entre les différents protagonistes que l’on a une chance de mieux saisir l’économie du modèle qui nous est proposé, et peut-être même les tiraillements d’une réalité qu’ils préfèrent laisser dans l’ombre. Or, nous sommes loin d’être totalement démunis sur la nature de ces querelles. Nous en connaissons les enjeux principaux : l’appropriation de certaines terres et l’organisation de relations de dépendance. Et nous savons également les groupes qui s’affrontaient : les comtes et leurs vassaux, les pagenses, les Hispani maiores et minores, les aprisionnaires et les hôtes. On n’oubliera pas, en outre, que nous connaissons l’arbitre de ces contentieux, un juge nullement désintéressé. On le voit, la partie n’a pas été simple, et nous devrons, ici encore, nous satisfaire de quelques observations seulement, importantes dans la perspective qui nous occupe.
45Le recours à la prescription trentenaire témoigne bien de la dimension conflictuelle de l’aprision et introduit efficacement le problème de son étrange temporalité. Que l’argument surgisse au cours des nombreux procès qui ont jalonné l’histoire des Hispani n’est pas fait pour surprendre : c’était un vieux moyen de défense, et le seul disponible bien souvent. Doit-on pour autant concevoir ce délai de trente ans comme une étape indispensable dans le processus d’aprision ? Bien que certains travaux classiques des historiens du Droit se soient inscrits en faux contre cette idée76, c’est ce que l’on affirme d’ordinaire77. Or on peut faire remarquer que la prescription est une disposition générale qui est totalement indépendante de l’aprision ; elle n’a nullement besoin de l’aprision pour être valable : au bout de trente ans, toute action contre le possesseur est éteinte, quel que soit le titre dont il dispose ou ne dispose pas. Le précepte de 812 est finalement assez clair sur ce point : Charlemagne indique qu’il conviendra de prendre des décisions sur la façon dont vivent les Hispani, mais les possessions vieilles de trente ans sont d’ores et déjà tenues pour définitivement acquises. Et l’on peut relever, précisément, que les capitulaires de 815, 816 et 844 qui réglementent le statut des Hispani et précisent le fonctionnement de l’aprision n’évoquent absolument pas cette question, et ne font mention d’aucune sorte de délai. D’une certaine façon, par conséquent, s’il y a un statut de l’aprision, il concerne essentiellement le temps qui précède la prescription.
46Que se passait-il, effectivement, à partir du moment où un homme défrichait un lieu désert et avant que l’écoulement de trente années lui en assurât la possession définitive ? C’est au fond la principale difficulté du dossier, très généralement éludée par ceux qui en ont traité78. On ne peut guère imaginer que le défricheur était déjà indélogeable ou, au contraire, qu’il pouvait être expulsé par qui voulait. De toute évidence, aucune de ces deux solutions n’est satisfaisante, et aucune des deux ne permettrait d’expliquer ni les procès, ni les arbitrages rendus par la législation carolingienne. Pour aborder les choses autrement, on pourrait donc prendre comme point de départ la loi romano-wisigothique qui interdisait d’évincer le possesseur d’un bien avant que l’affaire ne soit venue en justice79. En revenant sur le terrain du procès, on retrouve, en effet, un cadre tout à la fois plus ferme et plus ouvert à la dialectique.
47Dans cette optique, le possesseur est protégé dès son installation, mais son droit, évidemment, n’est pas opposable aux propriétaires, qu’il s’agisse de particuliers ou du fisc. Si ceux-ci ne se manifestent pas, il n’y a au fond aucun problème ; on imagine, cependant, combien la mise en valeur de ces terres devait réveiller les appétits, et pousser certains à revendiquer les biens aprisionnés. C’est manifestement ce que firent certains pagenses, en témoignant les uns pour les autres de leur proprietas. En 812, les Hispani estiment qu’ils ont été ainsi injustement expulsés ; mais on ne saurait dire si c’est parce qu’ils mettent en doute la véracité des témoignages, parce que trente ans se sont écoulés, parce que les terres appartenaient au fisc ou pour une autre raison. Quoi qu’il en soit, il faut souligner que les pagenses ont de toute évidence gagné des procès, et que la possession des aprisionnaires n’y a pas résisté. Il n’est donc pas interdit de penser que dans des conditions plus normales, leur argumentation aurait été parfaitement légale. Les comtes et leurs juniores avaient sans aucun doute la même propension à revendiquer les terres conquises par les Hispani ; ils étaient, en outre, plus ou moins juge et partie, et l’on voit mal ce qui pouvait les empêcher de considérer brutalement, au bout de dix, quinze ou vingt ans, que la terre déserte relevait naguère de leur fisc.
48Quels arguments pouvaient donc employer les Hispani pour se prémunir contre de telles dépossessions ? Deux éléments reviennent constamment qui semblent structurer leur discours : les lieux étaient déserts, et les aprisionnaires avaient licence comtale ou royale de s’en emparer pour les habiter et les mettre en culture. Notons bien ce point pour commencer : les textes ne disent pas que les terres se trouvaient dans le domaine fiscal, mais dans des lieux déserts, comme si cette qualification pouvait traverser toutes sortes de propriétés. En somme, ils semblent considérer que l’abandon ou la non exploitation de terres effaçait la propriété, et rendait le sol disponible à celui qui avait licence de s’en saisir. Sans préjuger, par conséquent, de ce qu’étaient ces terres, on peut essayer d’envisager ce que recouvrait la permission ou le pouvoir conféré par le roi ou le comte.
49Aucun élément, à notre connaissance, ne permet d’assurer que les Hispani disposaient en général, ou par principe, de cette licence. Il n’est pas interdit de le croire. Les textes, cependant, et c’est sans doute un effet des sources, ne montrent guère que des autorisations accordées individuellement (en considérant, évidemment, qu’un monastère est comme un individu). C’est tout le problème des relations entre Hispani maiores et minores. Les grands sont à même de se rendre en présence de Charlemagne et d’obtenir des préceptes individuels, un succès qui semble souvent le point de départ de leur stratégie d’insertion parmi les élites régionales. Une fois hissés au rang de fidèles royaux, nombre d’entre eux, au demeurant, se font octroyer la propriété pleine de leurs aprisiones80. Parallèlement, les abbés aprisionnaires ont souvent disposé d’une autorisation comtale dès le début de leurs entreprises, et il n’est pas rare, même, de les voir voyager au coude à coude avec les comtes, pour rejoindre la cour et s’y procurer les si précieux préceptes royaux81. La plupart des minores, on s’en doute, ne parvinrent jamais à s’armer d’instruments de défense aussi efficaces. Outre la pression des comtes et des pagenses, il étaient donc également soumis aux prétentions des maiores qui arguaient de leurs préceptes pour les déposséder. Le capitulaire de 816 mit leurs possessions sur un pied de quasi égalité avec celles des grands. Il n’en reste pas moins, et cela est à souligner avec vigueur, que ce mécanisme d’autorisation favorisait les aprisions de type domanial et desservait les entreprises collectives des plus humbles. Ce pourrait être, si l’on tente la comparaison avec les villages de Castille ou d’Alava, une des raisons de la moindre structuration des terroirs autour des enclos appartenant aux membres de la communauté.
50Cela dit, comment les moins favorisés pouvaient-ils obtenir la licence comtale ? On peut imaginer assez aisément – c’est vrai de toutes les époques – qu’il n’était pas malvenu, pour recevoir une telle grâce, d’offrir au comte quelques présents, plus ou moins régulièrement renouvelés. Le capitulaire de 815 nous permet de deviner où pouvait être le danger d’une telle pratique. Louis le Pieux, en effet, précise dans ce texte que les comtes doivent s’interdire de considérer comme cens, tribut ou coutume, ce que les Hispani donneraient pour obtenir leur bienveillance ; et il rappelle, en conséquence, quelles sont les seules obligations auxquelles était légalement tenu un Hispanus aprisionnaire (cap. 5). Il ne paraît donc guère aventureux de soupçonner que les comtes avaient tendance à réclamer quelques prestations supplémentaires des candidats à l’aprision et, par la suite, à tenir celles-ci pour la contrepartie d’une concession. Dans cette perspective, l’article qui suit, et sur lequel il a été tant glosé, prend un relief très particulier. Il y est indiqué, en effet, que si un Hispanus se commendait au comte more solito et en recevait ainsi un bénéfice, il devrait à celui-ci le service (obsequium) que les hommes de l’empereur ont coutume de faire à leurs seigneurs (cap. 6). En somme, il semble que, pour protéger sa possession, l’aprisionnaire avait intérêt à honorer le comte de quelques menus services, mais que celui-ci avait une forte propension à tenir cela pour la condition d’une concession en bénéfice. Il n’est pas exclu, au demeurant, que chaque partie ait joué du quiproquo. Ne serait-ce pas pour cela qu’il fallut préciser le statut de la terre tenue par aprision, et celui de la terre reçue en bénéfice par l’Hispanus qui s’était commendé more solito ? On pourrait le penser.
51Admettons que nous ayons deviné comment pouvait se constituer, se défendre et se consolider la possession d’un aprisionnaire. Il ne s’agissait toujours que d’une possession, reconnue à celui qui effectivement détenait la terre. Mais, dès lors, comment distinguer la possession du patron et celle de son client ? Ou, si l’on préfère, comment ne pas confondre la possession de l’aprisionnaire et celle de l’homme qui s’est commendé à lui pour obtenir une terre ? Comme par hasard (mais est-ce vraiment un hasard ?), c’est aussi un des points que règlent les capitulaires carolingiens. Ce dont s’empare l’Hispanus et « ses hommes », appartient à l’aprisionnaire, et à lui seul, de même que ce qui serait conquis par les hommes qu’il accueillerait sur sa portion ; en revanche, ceux qui sont venus au même endroit que lui, en même temps que lui mais sans être ses hommes, ceux-là auront leurs propres possessions. En somme, les capitulaires construisent une hiérarchie dans la possession. Nous inclinerions à penser que, ce faisant, ils rapprochaient le droit de réalités sociales fermement établies. Mais cela dévoile aussi une certaine ambiguïté des droits acquis par la possession, du point de vue des plus puissants, en l’occurrence.
52Voyons un dernier point concernant ces limites. La possession était en principe strictement personnelle, mais pouvait depuis longtemps se transmettre dans bien des conditions82. On admettra donc simplement qu’il pouvait y avoir discussion. Or, là encore, les décisions carolingiennes nous apportent d’importantes précisions. Elles nous apprennent, notamment, que les aprisions des Hispani minores sont transmissibles à leur descendance, de même que les possessions des hôtes, pour autant qu’ils restent sous le patronage du même aprisionnaire (816). Mais cet arbitrage ne rend pas forcément compte des conceptions que chacun se faisait de l’aprision, et l’on peut imaginer, notamment, que les Hispani espéraient beaucoup mieux que cette concession qui les mettait sur le même plan que de simples hôtes. Une fois de plus, c’est ce que semble leur accorder un acte carolingien, en l’occurrence le dernier édit général relatif à la question des Hispani et des aprisions qui fut promulgué par Charles le Chauve en 844, dans le contexte de la guerre contre Pépin II d’Aquitaine83. Ce document fait partie d’une série de privilèges, confirmations et restitutions de droits décernés pendant le siège de Toulouse et ne va pas sans susciter de nombreuses interrogations84. On se contentera, ici, de noter ce qu’il pouvait apporter de solutions nouvelles dans un contexte profondément conflictuel. C’est le cas, notamment, de l’affirmation du droit des Hispani à transmettre leurs possessions selon la législation wisigothique, décision qui élargissait le cercle des successeurs possibles au-delà des fils et petits-fils. Ne s’agissait-il pas de tenir tête à une stratégie des agents comtaux visant à saisir les héritages des Hispani morts sans descendance directe ? On peut le croire. Quelque soixante ans après l’arrivée des premiers Hispani, et trente ans après les premiers règlements carolingiens, les conflits de ce type s’étaient sans doute multipliés. On sait, de surcroît, qu’un groupe d’Hispani du Biterrois obtint en mai 844 un précepte particulier incluant ce même privilège successoral85. Il ne semble pas insensé, par conséquent, de suggérer qu’à l’instar des capitulaires d’entre 812 et 816, le diplôme de 844 fût précédé et orienté par des plaintes et des revendications concrètes. Il en va de même, sans doute, d’une affirmation encore plus remarquable : celle qui accordait aux Hispani le droit de vendre, échanger ou donner leurs possessions ou aprisions à un de leurs semblables (inter se vendere, concambiare seu donare).
53Sans être exempte de possibles contestations, la situation de l’aprisionnaire semble donc, en définitive, assez solidement garantie dès son installation. S’il parvient à contourner les revendications d’anciens propriétaires, s’il évite la confusion entre son aprision et un bénéfice, s’il peut se défendre contre un des maiores ayant obtenu un précepte particulier, et s’il maintient son autorité sur ses hôtes, il peut disposer de sa terre à peu près comme bon lui semble. Il est protégé par l’autorisation du comte, qu’il serait abusif d’imaginer en perpétuelle contradiction avec lui-même, et par le fait d’opérer en un lieu désert. Cela dit, comme il est pressenti depuis longtemps, voilà de bien curieux déserts où semblent se bousculer comtes, vassaux, pagenses, aprisionnaires grands et petits, et une foule de dépendants. Plus que de vastes solitudes, entièrement vides d’hommes et hors de tout contrôle, ces terres semblent donc tout simplement des endroits abandonnés ou des incultes non exploités que le comte, représentant de la puissance publique, offrait à l’appropriation de ceux qui s’engageaient à les habiter et les exploiter86. Sous cet angle, les loca deserta pourraient bien apparaître comme de lointains descendants des agri deserti de la législation tardo-antique, et l’autorisation comtale aurait en quelque sorte permis de confirmer que les propriétaires étaient défaillants ou que le fisc n’exploitait pas ces espaces. Il y aurait sans doute quelques profits à explorer plus avant une telle comparaison ; mais ce serait un tout autre travail. Nous voudrions seulement examiner ici ce que pouvait signifier cette attribution des lieux déserts dans un contexte nouveau où, nous l’avons dit, l’appropriation des hermes semble avoir relevé de logiques contradictoires.
54Rappelons les points essentiels. La partie habitée et la partie cultivée appartiennent en propre à chaque aprisionnaire, qu’il s’agisse d’un grand sur son domaine ou de vicini sur leurs portiones. Au delà de ces cultures, cependant, il existe un cercle d’incultes qui est interdit à l’aprision de ceux qui, arrivés ensuite, ne disposent pas de maisons et de champs propres. Le statut de ce second espace est très ambigu : non labouré, il n’entre pas dans les possessions individuelles (c’est vraisemblablement ce que veut souligner le capitulaire de Charles le Chauve en disant que les Hispani possèderont ce qu’ils cultiveront « dans leurs aprisions ») ; il n’en est pas moins réservé aux aprisionnaires, et ne constitue plus un lieu désert. Faut-il dès lors le considérer comme une possession indivise des voisins consortes ou comme une terre fiscale dont l’aprision est réservée à certains mais n’a pas encore été réalisée ? Plutôt que de trancher inutilement et péremptoirement, mieux vaut admettre que les deux raisonnements pouvaient s’opposer.
55De ces frictions, on peut trouver l’illustration dans le capitulaire de Charles le Chauve. Un de ses articles prétend assurer le respect de l’« ancienne coutume » selon laquelle les habitants des apprisiones vel villae des Hispani pouvaient faire paître leurs troupeaux, couper du bois et prendre de l’eau partout : il faut vraisemblablement comprendre dans des terres fiscales, au-delà de leurs propres fines et adjacentiae. Selon R. d’Abadal, cette garantie remonterait au temps de Charlemagne. En revanche, l’interdiction de prélever les paschualia sur les villae et les finages des Hispani ne fait pas de doute quant à sa nouveauté, et semble bien reconnaître l’existence d’un espace d’hermes communautaires n’appartenant pas au fisc. En somme, à l’intérieur comme à l’extérieur des villae des Hispani, l’exploitation des vacants, et plus précisément, la superposition des droits communautaires et des droits fiscaux était manifestement un objet privilégié des litiges. Il n’y a là rien de bien surprenant si l’on considère la propension du pouvoir carolingien à utiliser les prélèvements opérés sur les bois et les herbes comme des instruments privilégiés de pénétration du milieu rural, au moins dans les régions méridionales. Un exemple italien peut nous aider à saisir les enjeux et les logiques opposées. Il s’agit du célèbre plaid de Risano (804), où une représentation du territoire d’Istrie fait une longue liste de doléances, en opposant les devoirs traditionnels sous la domination byzantine et les nouvelles impositions carolingiennes87. Le premier chapitre des extorsions (forcia) dont la délégation fait grief au duc Jean se rapporte précisément à la confiscation de bois et de pacages (tullit nostras silvas... abstulit nostros confines...) et aux ponctions démesurées sur le cheptel. L’argument défensif du duc est simple : il avait agi dans la conviction que ces bois-là relevaient du publicum.
56Pour comprendre la complexité de ces rapports croisés et superposés entre la terre publique et la terre privée, la terre agricole et les incultes, la terre déserte et la terre aprisionnée (etc.), il faut ajouter que les villae ou villares issus des aprisiones s’inséraient dans le cadre de base de l’administration territoriale carolingienne. Or, au-dessous du pagus, la fiscalité était régulièrement organisée en circonscriptions mineures, à racines souvent tardo-antiques, que l’on appelait aussi villae. Même si elles ne recouvraient sans doute pas l’ensemble du territoire, il était fort commun que des villae fiscales englobent quelques villae et villares – c’est-à-dire des habitats entourés de terroirs. En un mot, les lieux déserts pouvaient aussi se trouver à l’intérieur d’une de ces villae fiscales. L’enjeu se situe alors entre ces deux plans d’organisation territoriale, désignés du même nom, mais relevant d’instances sociales et politiques très inégales. Dans certains cas, les aprisionnaires parviennent à sauvegarder leurs villae du risque d’être considérées comme faisant partie des villas fiscales. Le fruit des aprisions se situe alors sur le même plan que ces dernières, et tout se passe comme si une nouvelle tesselle était ajoutée à la mosaïque ancienne. C’est le cas, par exemple, du villar de Fonts : le rite de fixation de bornes traduit la reconnaissance des droits du possesseur sur l’ensemble du finage et hisse son villar au même rang que les villae des alentours. Quelques années plus tard, la permanence de l’espace villageois est définitivement assurée par la concession de la propriété pleine au fils de l’aprisionnaire88. Très vraisemblablement, pareils succès n’ont pas été réservés au groupe des Hispani maiores. Et, bien que les étapes initiales demeurent plus obscures que dans le cas de Fonts privilégié par les sources, il est certain que la possession communautaire a abouti parfois à des résultats analogues. En témoignent les reconnaissances de leur condition d’alleutiers qu’obtinrent certaines communautés au cours du Xe siècle, lorsque la nature de leurs droits sur leurs villas ou villares était mise en cause89. Certes, il ne s’agit pas d’un phénomène généralisé, mais il n’en est pas moins vrai que cette voie a pu être empruntée par des communautés d’aprisionnaires.
57On soulignera, pour finir, un point crucial. Les villas fiscales cédés par le roi à des puissants, laïcs ou ecclésiastiques, englobent souvent des habitats et des terroirs d’aprisionnaires. Elles peuvent alors être assorties de clauses de sauvegarde du type excepto aprisione Spanorum90 ou (ce qui est plus inquiétant pour les Hispani) exceptis his [que] Hispanis vel servis... de heremo traxerunt91. On imagine alors combien peu devaient peser les droits de ces aprisionnaires sur les anciens lieux déserts. L’histoire ultérieure de ces communautés dépasse les limites de cet article. On se contentera donc de renvoyer à l’étude exemplaire de R. Marti sur le devenir de la villa de Bàscara92, pour noter que l’une des conséquences de la pression opiniâtre du maître de la villa sur les hommes et la terre fut d’interdire la construction de l’un de ces finages organiques que les aprisionnaires semblaient en mesure d’édifier.
III
La prégnance de la presura/aprision et l’importance de son étude
58Lorsqu’on se penche sur les productions historiographiques relatives à la presura et à l’aprision, on découvre une sorte de paradoxe. La recherche castillane s’est depuis longtemps désintéressée, voire débarrassée des raisonnements d’ordre juridique. Les historiens catalans, bien qu’ils soient restés plus attentifs au domaine législatif et judiciaire, ont également développé des voies d’analyse nouvelles, essentiellement socio-économiques. Pourtant, lorsqu’en Castille comme en Catalogne la parenté des deux phénomènes est évoquée – de manière quasiment rituelle –, c’est la définition juridique la plus classique de la presura/aprision qui ressurgit. Autrement dit, alors que l’allusion au Liber Iudicum a été délogée depuis longtemps des problématiques réelles, le schéma classique qui s’en réclame continue d’être invoqué comme le seul lien entre les deux discours historiographiques93. Certes, la construction de grilles d’analyse et de charpentes conceptuelles fort différentes dans l’un et l’autre cadre régional résulte d’une pratique légitime et fructueuse. On peut regretter, cependant, que l’évocation formelle d’une parenté entre aprision et presura repose sur un modèle contesté de toute part, et stérilise toute tentative de comparaison véritable. On peut le déplorer d’autant plus que le phénomène est d’une portée remarquable.
59En effet, les deux sondages que nous avons présentés suffisent à mettre en lumière la prégnance, la plasticité et, pour ainsi dire, la profondeur sociale de la presura/ aprision. Fonder des abbayes, encadrer le monachisme « sauvage », reproduire des propriétés aristocratiques, accueillir des réfugiés, cristalliser des communautés rurales, nouer des formes de domination intracommunautaire, s’approprier des hermes, construire des villages : voici une partie de l’éventail d’actions permises et légitimées par la pratique de la presura. Elle fonctionne dans des contextes sociopolitiques aussi différents que la Castille primitive et la pré-Catalogne carolingienne ; c’est dire à quel point elle s’adapte à des enjeux sociaux et à des mécanismes de légitimation fort divers, aux marges éloignées des centres de pouvoir comme à l’entourage des puissants. Sa pratique traverse le tissu social tout entier. La presura est souple, simple et légale. Un tel potentiel, une telle vigueur, une telle présence sociale ne sont guère concevables que si cette pratique était déjà bien enracinée, déjà vieille de plusieurs générations. À nos yeux, c’est là, dans la pratique sociale, qu’il convient de chercher un véritable champ commun pour l’aprision catalane et la presura castillane. Si l’on se tourne vers la loi, en effet, le décalage paraît grand : dans le Liber Iudicum, il n’est question nulle part de presura ou d’aprision stricto sensu – on n’y trouve rien de plus que la prescription de trente ans sur les terres fiscales, afin d’éviter les litiges interminables94. Le contraste est frappant avec la vitalité d’une telle pratique deux générations après l’invasion arabe.
60Qu’il s’agisse d’analyser les entreprises de groupes d’aprisionnaires ou d’observer la pénétration de certains presores dans des communautés rurales, la presura/aprision permet de constater – et surtout, de mieux comprendre – quelques phénomènes décisifs concernant l’appropriation du territoire. En premier lieu, on relève la délimitation sociale et territoriale des hermes ; c’est-à-dire la tendance des communautés rurales ou monastiques, mais aussi des puissants, à borner et s’attribuer la gestion et la jouissance des espaces vacants ; cette attribution, il faut le souligner, était conçue en termes d’hereditas ou de possessio. Le deuxième trait remarquable est l’association organique de ces espaces vacants avec les espaces habités et les cultures, et ce dans un paysage qui présente des signes de spécialisation des terroirs et de compacité de l’habitat – un habitat qui est déjà appelé villa dans l’acception qui deviendra courante par la suite. On peut noter, troisièmement, le caractère apparemment général de cette forme d’appropriation du territoire qui se retrouve aussi bien dans les domaines des grands propriétaires que sur le territoire des communautés rurales. À cela, quatrièmement, il faut ajouter le dynamisme de ces dernières : en témoigne la vague d’érections d’églises qui, en marge de toute autorité ecclésiastique, précède l’action des presores, mais aussi les villares créés par des communautés de réfugiés fuyant la Tarraconaise devenue Marche Supérieure. Enfin, on soulignera, le sens fort et même très fort de la notion de vicinus, clé de voûte de la possession et de la gestion collective des finages et des mécanismes d’exploitation intracommunautaires. En somme, il a là des formes d’organisation sociale et territoriale qui, en ce début de IXe siècle, sont déjà villageoises. On ne peut que souhaiter en mieux connaître les combinaisons multiples, de même qu’il serait important de mieux cerner la chronologie des transformations concrètes et conceptuelles qui ont affecté les formes d’appropriation du territoire95. On le voit, il reste fort à faire.
61Pour finir, toutefois, nous voudrions considérer les choses sous un autre angle. Le degré de développement que montre la structuration du paysage dans certaines zones et la maturité dont font preuve la plupart des phénomènes énumérés dans le paragraphe précédent semblent inviter à repousser les débuts du démarrage agricole jusqu’au dernier siècle wisigothique. Ce serait, en somme, de nouveaux indices plaidant en faveur d’une chronologie précoce des premières manifestations de la croissance du haut Moyen Âge, un point que certains suspectent depuis quelques années déjà96. Pour l’heure, néanmoins, il paraît plus sage de parler simplement de quelques mécanismes de croissance et d’étapes dans la mise en place du peuplement médiéval. Car les indices sont aussi très éloquents qui montrent les discontinuités dans l’occupation de l’espace et les régressions dans des processus de construction villageoise.
Annexe : les mentions de presuras à l’ouest de la Tarraconaise (Castille et Álava) au IXesiècle

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Notes de bas de page
1 Larrea, « Cadres » et « Aldeas » ; Viader, « Maisons »,
2 Lecanda, « Mijangos » ; Martín Viso, « Organización episcopal ».
3 Sur l’articulation de cette région avec le royaume, GARCIA DE Cortázar, « Sociedad alavesa » et tout récemment CASTELLANOS et Martín Viso, « Local Articulation ».
4 On se rapportera souvent aux trois documents relatant les presuras de ces personnages. Afin d’éviter d’ennuyeuses répétitions, les références de leurs éditions ne seront désormais plus indiquées, sauf au cas où cela pourrait prêter à confusion. Le document de Vitule et Ervige de Taranco, daté de 800 : SMC 2 ; le récit de Jean de Valpuesta, daté de 804 : CValp 1, et sa critique diplomatique, Floriano, Diplomática, pp. 107-111 ; le testament d’Avito de Tobillas, daté de 822 : CDOña 1, et pour les questions de critique textuelle, Pastor, Castilla, p. 127.
5 CValp 1 (804).
6 Un exemple de cet emploi des textes relatifs aux presuras peut être trouvé dans l’ouvrage classique de Moxó, Repoblación, p. 64. La lecture est littérale, même pour les aspects les plus évidemment rhétoriques des discours de presores – comme la formule manibus meis edificaui (CDOña 1, 822), par exemple.
7 García de Cortázar, San Millán, pp. 97 sq.
8 PEÑA, « Presura ». Du même auteur, Atribución social est un ouvrage indispensable pour quiconque s’intéresse à l’histoire rurale de cette région.
9 La presura d’Oviedo, SVO 1 (781) ; les problèmes d’authenticité que pose cet acte n’affectent guère les passages concernant la presura. Vid. aussi Rodríguez Balbín, Oviedo, p. 66.
10 Pour un exposé général de ces vues, GARCIA DE CORTÁZAR, « Del Cantábrico », pp. 50 sq.
11 Peña, « Presura », p. 254.
12 Botella, Serna, p. 41 avait déjà suggéré ce lien dans certains cas de « prise » de sernas.
13 Linage, Origínes, p. 345.
14 Sánchez Albornoz, Enigma, i, p. 322.
15 SMC 2, 3 et 4.
16 Azkarate, Arqueología cristiana ; Monreal, Eremitorios ; Castellanos, Hagiografía, pp. 80-82.
17 Linage, Orígenes, 346-347. À partir de cette constatation de Linage, Mínguez (« Ruptura », pp. 21-22) a proposé le fonctionnement interne des communautés monastiques comme voie d’approche des communautés de paysans pionniers. Son raisonnement dépend de sa thèse principale, selon laquelle, dans un moment de désagrégation des structures tribales et d’éclosion de la famille conjugale, les entreprises de colonisation demanderaient de nouveaux mécanismes d’organisation collective. Une synthèse de nature contractuelle, tout à fait semblable aux pactes monastiques, aurait servi à bâtir des solidarités qui ne pouvaient plus se fonder sur des structures de parenté claniques relevant d’un stade d’évolution dépassé. C’est dans cette optique que les pactes monastiques peuvent apparaître comme un miroir des communautés rurales. Dans notre perspective, la proposition de Mínguez pose au moins une difficulté sérieuse : les pactes articulent des communautés qui possèdent des biens, mais qui, contrairement aux communautés rurales, ne s’approprient pas un territoire ; sauf, bien entendu, dans le cas des abbayes d’Avito ou de Jean. Mais celles-ci ne sauraient être confondues avec le mouvement monastique spontané lié aux communautés rurales.
18 Ripoll et Velázquez, « Parrochiae », p. 152.
19 Ibid., pp. 126-149 et 152.
20 Solent enim nonnulli ob metum gehennae in suis sibi domibus monasteria componere et cum uxoribus filiis et seruis atque uicinis cum sacramenti conditione in unum se copulare et in suis sibi ut diximus uillis et nomine martyrum ecclesias consecrare et eas tale nomine monasteria nuncupare. Nos tamen haec non dicimus monasteria sed animarum perditionem et ecclesia subuersionem (...) Soient nonnulli presbiteri simulare sanctitatem et non pro uita aeterna hoc facere, sed more mercenariorum ecclesiae deseruire et sub praetextu sanctitatis diuitiarum emolumenta sectare ; et non Christi amore prouocati, sed a populo uulgo incitati dum formidant suas pro decimas aut cetera lucra relinquere conantur quasi monasteria aedificare (Reg. Com. 1 et 2)
21 López Quiroga, Gallaecia, pp. 266-272. Sur la prégnance de cette forme de monachisme comme catalyseur des communautés rurales, à partir de l’analyse de la Regula Communis, Díaz, Monacato, pp. 141-142.
22 Vu la caractérisation des groupes soudés par des serments autour des monastères « de frontière » et l’hostilité et le souci de les encadrer qu’ils suscitent chez les autorités ecclésiastiques, on pourrait bien voir en ce mouvement un avatar du combat plus général mené en Occident contre les formes horizontales d’organisation sociale : Oexle, « Coniuratio ».
23 VF 3.
24 Azkarate, « Aportaciones ».
25 Selon le propos de Valerio du Bierzo au sujet de la construction de l’église de son compagnon Saturnin (Valerio, Replicatio 9).
26 Vitulo et Ervige ne mentionnent des livres que de manière générique, avec les vêtements, les chasubles, les calices, les patènes, les crucifix et les vases d’argent. Avito lègue vingt-quatre livres. Dans cette même région, en 867, l’abbé Guisando d’Orbañanos et ses moines disposent d’une bibliothèque liturgique complète : au moins un antiphonaire, un missel, un livre d’hymnes, un psautier, un martyrologe, un Liber Commicus, un Liber Ordinum et des libres de chants et de prières (SMC 8).
27 Vid. GARCIA Gallo, Coyanza, pp. 435-436.
28 García Gallo, Coyanza, p. 430 ; Ripoll et Velázquez, « Parrochiae », p. 151.
29 Garcia Gallo, Coyanza, p. 437.
30 Et cum ipsis uicinis cum quibus prius se cum iuramentis ligauerant pro hoc tepefacti cum grande iugio et discrimine se ab inuicem separant. Et res quas ante per imaginariam karitatem expetendas communiter miscuerant, non iam simpliciter sed cum exprobratione unus alteri raptat. Quod si alicui ex illis inbecillitas apparuerit propinquos quos in saeculo reliquerunt cum gladiis et fustibus ac minis sibi adiutores adducunt (Reg. Com. 1).
31 Peña, « Presura », p. 257.
32 SMC 5.
33 VF 6 et passim ; Valerio, Replicatio, 9 et 15.
34 SMC 5.
35 Reg. Com. 1.
36 Pour les estimations de surface, Peña, Atribución social, p. 35.
37 Valluerca est un tout petit village (vingt maisons au milieu du XIXe siècle) de la vallée de Valdegobía, situé tout près de Tobillas. Villamanca a été identifié avec le village actuel de Villamanca dans la vallée de Cuartango (PEÑA, « Presuras »), mais aussi avec le despoblado de Villamanca qui fait partie du finage de Tobillas (Ruiz DE Loizaga, Monasterios, p. 157).
38 Et feci casas in ualle de Horca ; et prisi terras et media ecclesia Sanctorum Cosmas et Damiani, id est : sinera super uilla et alias terras ante uilla, et sinera in ualle et suo orto et suo molino et cum uicinos hereditate in fontes et in montes... (CDOña 1).
39 Larrea, « Cadres », p. 144.
40 Larrea, « Aldeas », pp. 161-163.
41 Viader, « Maisons ».
42 C’est sur ce point que pose problème la description du paysage rural wisigothique proposée par García Moreno (« Paisaje », pp. 410, 413, 416). Quand il parle des herbages appartenant aux membres des communautés rurales, celles des villae seigneuriales ou des villages libres, il renvoie en fait à des lois du Liber Iudicum (VIII, v, 2 et 5) réglant l’exploitation des bois et des pacages tenus en consortium, qui explicitent le droit des consortes d’enclore leurs parts.
43 Larrea, « Cadres », pp. 147-150 et « Aldeas ».
44 Viader, « Maisons ». Où l’on trouvera quelques éléments pour une réflexion comparatiste sur ce sujet.
45 Botella, Serna ; García DE Cort ázar, « Serna » ; Peña, Atribución social, pp. 32-38.
46 SMC 2,11 et 12 ; CDOna 1.
47 LI viii, iv, 28.
48 CDOña 1 et SMC 12.
49 CDOña 1.
50 On notera qu’en France, pour le moins, la question des novales apparaît souvent très liée aux cultures temporaires, et à l’espace communautaire par conséquent. Or, elles ont pour particularité de rester bien souvent dans les mains de la communauté paroissiale ou du desservant local : VIADER, « La dîme en question » (à paraître).
51 SMC 2,4 et 5.
52 SMC 12.
53 Les ouvrages de synthèse sont nombreux. On citera par exemple Salrach, Feudalització, pp. 128 sq. et les chapitres concernant la Catalogne dans Ha de España. Menéndez Pidal, t. VII/2, en particulier les articles de Feliu, « Vida económica » et « Población ». Une chronologie du phénomène des aprisions dans Salrach, « Conquesta » et « Défrichement ».
54 Feliu, « Vida económica », p. 658.
55 Moxó, Repoblación, pp. 87-92 et 109-116.
56 Barbero et Vigil, Formación del feudalismo, pp. 354-359.
57 Müller-Mertens, Karl der Grosse (citation p. 65 et bibliographie sur ce sujet p. 61) ; Bosl, « Freiheit », p. 187 ; Tabacco, Liberi del Re, p. 117.
58 Chénon, Droit français, t. 1, p. 483 ; Ganshof, Féodalité ?, p. 71-75.
59 Abadal, Diplomes 2, p. 412 et 415. La justification de cette restitution Ibid. pp. 399-411.
60 Abadal, Diplomes 2, p. 312 (précepte de Charlemagne du 2 avril 812) ; p. 417 (capitulaire de Louis le Pieux du 1er janvier 815) ; p. 420 (précepte de Louis le Pieux du 10 février 816).
61 Abadal, Diplomes 1, p. 45 (La numération des textes édités par Abadal dans cet ouvrage fondamental pouvant parfois prêter à confusion, nous donnerons toujours la page de chaque diplôme). Sur la fondation du monastère de Banyoles, Salrach, « Feudalització », pp. 194- 195 ; Feliu, « Población », p. 369.
62 Feliu, « Vida económica », p. 659. Il se réfère exclusivement à l’aprision « domaniale ».
63 Abadal, Diplomes 2, p. 442. D’autres exemples dans Catafau et Passarius, « Laroque-des-Albères », p. 11.
64 Abadal, Diplômes 2, p. 343.
65 Ainsi les villas de Céret (Vallespir) et Villanova de la Raho (Roussillon) : Catafau, Hispani et aprisionnaires ; Id., « Hispani » ; Id. et Duhamel-Amado, « Fidèles », pp. 446-449. Céret, aprisionnée en vertu d’une autorisation de Charlemagne, est décrite en 814 cum ipsa ecclesia (...) silvis videlicet vel campis, vineis seu pratis, aquis aquarumve ductibus vel decursibus (Abadal, Diplomes 2, p. 318).
66 Abadal, Diplomas 2, p. 422.
67 Abadal, « Com neix », annexe 1 (840-841).
68 L’arôme d’entreprise collective qui émane de quelques passages du dossier a conduit depuis longtemps à faire des considérations éparses à ce sujet. Mais plutôt que d’envisager une appropriation communautaire du territoire articulant des espaces soumis à des contraintes et des droits divers et souvent superposés, il a été question d’un dilemme entre travail collectif et labeur individuel. On trouve déjà chez cette idée chez Imbart DE la Tour (« Colonies », p. 153). Pour d’autres auteurs, les entreprises collectives des aprisionnaires furent des manifestations de solidarité passagère, imposée par les très ardus travaux de débroussaillage et de défonçage (Salrach, « Défrichement », p. 139). L’exception est ici l’ouvrage de Barbero et Vigil (Formación del feudalismo, p. 354 sq.), mais il s’agit là d’une variation de leur thèse sur la désagrégation de la communauté primitive d’origine pré-romaine.
69 Abadal, Diplomes 2, p. 335 (précepte du 19 mai 844).
70 Feliu, « Abadesses ».
71 L’emploi de ce terme ne répond qu’à un souci de concision dans notre rédaction. Il n’est pas question d’« hôtes » dans les textes, mais de périphrases tu type homines [quos] in portione sua [quidam] habitare fecerit (capitulaire de janvier 815, c. 3). À cet égard, Larrea, « Aldeas », p. 163.
72 Bien entendu, c’est aussi un patrimoine qui peut aussi être aliéné par chaque famille, soit de manière forcée – en témoignent les plaintes des minores qui donnent lieu au précepte de 816 –, soit de façon formellement volontaire. A. Catafau (Hispani et aprisionnaires, pp. 68 sq. ; « Hispani », p. 13) a repéré un acte de vente d’une famille d’Hispani minores à un abbé aprisionnaire, daté de 801, qui met au jour tant la cohabitation des patrimoines fonciers de l’un et des autres dans un même terroir, que leur égalité sur le plan juridique.
73 Tant l’ordonnance de 815 que le capitulaire de 844 se font l’écho de la tradition wisigothique du patronat, telle qu’on la rencontre dans d’autres régions de l’Espagne chrétienne (LI V, iii, 1 et 4 ; Larrea, « Infanzonía », pp. 370 et 380-381). D’autre part, dans l’architecture sociale carolingienne, le droit d’installer des hôtes rapproche la terre aprisionnée de l’alleu (e.g. Tabacco, « Regno », pp. 243-244). Cela, au demeurant, semble cohérent avec la volonté exprimée par les rois francs de garantir aux Hispani qui ont abandonné leurs propriétés la pleine liberté dont ils jouissaient dans leurs régions d’origine (Müller-Mertens, Karl der Grosse, p. 63).
74 Bognetti, Studi, p. 143-149. Concernant le thème de la communauté d’habitants, nous ne pouvons que souligner l’importance du programme lancé sur le sujet par J. Morsel et le LAMOP (Morsel, « Introduction »).
75 On ajoutera que l’une des acceptions de curtis dans le Liber Iudicum, comme dans d’autres codes germaniques, semble bien être celle d’enclos entourant la maison : Larrea, « Aldeas », p. 162. Des témoignages archéologiques de cet aspect morphologique des habitats paysans wisigothiques, Vigil-Escalera, « Arquitectura », p. 288 et, surtout, Enrich et al., Vilaclara.
76 Concha, « Presura », p. 445.
77 Salrach, Feudalització, p. 191 ; Feliû, « Población », p. 369 et « Vida económica », p. 658.
78 Bien conscient du problème, J.M. Salrach parle d’un « temps potentiellement dangereux » ! Salrach, « Défrichement », p. 137.
79 LI viii, i, 5.
80 À titre d’exemple, Abadal, Diplômes 2, pp. 332, 340, 343 ; Roura, « Diploma desconegut ».
81 Salrach, Feudalització, pp. 138-143.
82 Gaudemet, Droit privé, p. 91.
83 Abadal, Diplomes 2, p. 422.
84 Ce capitulaire est troublant pour plusieurs raisons, mais surtout du fait de son manque de cohérence interne, qui donne volontiers une impression de juxtaposition grossière. On y trouve, notamment, un préambule assez circonstancié qui accorde la protection royale aux habitants de Barcelone et de Terrassa en raison de la collaboration de leurs parents au temps de la conquête franque, et par ailleurs, une espèce de code général de l’aprision et du statut des Hispani sans connexion évidente avec les récipiendaires du précepte. D’après Abadal, les Barcelonais se seraient rendus à Toulouse après l’exécution de Bernard de Septimanie, afin de récupérer les privilèges octroyés par Charlemagne et Louis le Pieux qui auraient été bafoués par le comte décapité. La volonté de protéger tant les gens originaires du pays que les fils des immigrés expliquerait la composition quelque peu improvisée du texte, un texte qui, en outre, aurait repris des passages de capitulaires plus anciens – dont deux sont purement hypothétiques : Abadal, Diplomes 2, pp. 399-411.
85 Abadal, Diplomes 2, p. 335.
86 À titre d’exemple, Jean reçoit de Louis le Pieux in pago Narbonense villare eremum ad laborandum que dicunt Fontes (Abadal, Diplomes 2, p 307, an 795).
87 Manaresi, Placiti, 17.
88 Abadal, Diplomes 2, p. 442 et 343.
89 Marti, « Alou », pp. 42-43 ; Font Rius, « Comunitat », pp. 505-506 ; Vilaginés, Vallés, p. 31.
90 Abadal, Diplomes 2, p. 365.
91 Abadal, Diplomes 2, p. 355.
92 Martí, « Integració ».
93 Feliu, « Vida económica », p. 658, par exemple.
94 LI X, ii, 4, Ut exceptis fiscalibus servis tricennale tempus valeat in omnibus causis, est une loi de Recceswinthe qui réaffirme et développe, avec une attention spéciale aux biens du fisc, la loi antiqua précédente : X, ii, 3, Ut omnes cause tricennium concludantur.
95 Pour préciser notamment comment l’on peut passer d’un monde qui « était divisé selon les cadres en principe fragmentés de la propriété » à un monde où « désormais c’est l’habitat et pas la propriété qui structure l’habitat » (WICKHAM, « Permanences », pp. 566-567).
96 Bonnassie, « Croissance », pp. 31-34 ; García DE Cortázar, « Duero », p. 16.
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