Les lettres contre les armes ou du De ira au Manual de coléricos de Juan Lorenzo Palmireno
p. 233-242
Texte intégral
Introduction
1Il n’entre pas dans mon propos de revisiter le fameux texte cervantin sur les Armes et les Lettres, dont deux de nos collègues Jean-Pierre Pelorson en 19751 et Michel Moner en 19862 ont analysé les tenants et les aboutissants. Je ne prétends pas davantage apporter d’éléments nouveaux sur le thème du duel, craignant que notre homenajeado ne me dise : Zapatero, a tus zapatos. Je m’en tiendrai à ce conseil et resterai dans un domaine qui m’est plus familier pour signaler comment, dans la stratégie pédagogique qui se mit en place tout au long du XVIe siècle, certains maîtres développèrent un discours moralisateur propre à lutter contre les penchants à la violence de leurs turbulents disciples, en me référant plus spécialement à un guide de l’étudiant3 que publia Juan Lorenzo Palmireno en 15684.
La violence à l’école
2Dans les villes universitaires, les affrontements violents entre étudiants étaient monnaie courante : tantôt c’était à l’occasion des brimades infligées aux nouveaux, ces fameuses novatadas dont Francisco de Quevedo et Cristóbal Suárez de Figueroa se sont fait l’écho5 ; tantôt il s’agissait d’un règlement de compte entre étudiants de nations différentes6, pour une question de point d’honneur7 pour la désignation d’un professeur8, pour les beaux yeux d’une belle ou pour le contrôle d’espaces ludiques, comme le Bazacle à Toulouse9. Tantôt il s’agissait d’un affrontement avec les bourgeois dont les étudiants troublaient volontiers la tranquillité par leurs chahuts nocturnes ou par la cour pressante qu’ils faisaient à leurs filles, tantôt d’échauffourées avec la maréchaussée10 qui essayait de faire régner l’ordre par des méthodes que Ton qualifierait aujourd’hui de musclées, en faisant peu de cas des franchises universitaires. Certaines affaires défrayèrent la chronique. Parmi les plus citées, celle des étudiants de Bologne qui menacèrent d’abandonner la ville, ou celle des Toulousains qui ameutèrent la cité à l’occasion de l’assassinat du Prieur de la Natio hispanica en 156611. On comprend pourquoi à Salamanque, et ailleurs, les étudiants circulaient armés pour ne pas se faire agresser par les habitants de la ville qui n’appréciaient guère leur turbulence12.
3La violence n’épargnait même pas les collèges les plus prestigieux, aussi bien ceux d’Espagne13 que ceux d’Italie, comme celui de San Clemente à Bologne14. Aussi les autorités de tutelle furent-elles amenées à prendre des mesures propres à assurer le calme dans la ville ou dans l’enceinte universitaire. C’est ainsi qu’à Valencia, par la Constitution de 1561, le Recteur, responsable de l’ordre et de la tranquillité dans les murs de l’Université, avait pour obligation de fixer avec précision l’attribution des salles de cours et les horaires d’enseignement, car les bousculades, qui dégénéraient parfois en altercations violentes, avaient souvent pour cause l’imprécision des attributions.
4On retrouve également dans cette même constitution l’interdiction faite non seulement aux tout jeunes étudiants, mais aussi aux bacheliers, licenciés, maîtres et docteurs, de porter des armes défensives ou offensives dans l’enceinte du Studi, ainsi que dans les rues avoisinantes sous peine d’exclusion à vie. Ceux qui, par autorisation spéciale du Recteur, pouvaient disposer d’armes, ne pouvaient y porter la main15 :
XIIII... Item, quia spiritus domini requiescit super humilem et quietum, se statueix que algun doctor, mestre, llicenciat o bachiller, o studiant en qualsevol facultat no porte en dita Universitat e carrers circunstans a’d’ aquella, spasa, o daga, o puñal o qualsevol altra arma offensiva o deffensiva, sots pena de perdre dites armes, si ja no les portàs ab llicèntia de dit Rector per justes causes donada.
5Ce qui laisse supposer que le Recteur, en période critique, pouvait être amené à délivrer des ports d’armes aux membres de l’Université. L’article suivant prévoyait l’exclusion à vie de l’Université pour ceux qui contreviendraient à cette disposition.
XIV – Item, si algunes de dites persones portassen dites armes sense llicència del Rector e ab aquelles envestissen a algú deis que stan subjectes al Rector, o posassen ma a dites armes en la Universitat o carrers cinscuntans a’d’ aquella, encara que no’s seguixca nafra alguna, los tais sien perpetuament bandicats del Studi.
6Ces mêmes dispositions furent reprises dans la Constitution de 1563 qui prévoyait la confiscation des armes et des peines de prison ou de bannissement pour toute personne qui viendrait perturber la paix de l’Université :
De les armes
II. Perqué és be que los que tracten coses de letres sien pacífichs, se statueix que ningun agraduat en qualsevol facultat, ni studiant, puga portar armes offensives ni deffensives dins lo Studi sens licència del rector ; et si les portara sien perdudes. E sifora del Studi, en los carrers circunstans, algú deis sobredits acometra ab armes, alguns des subjectes al rector, encara que no nafre, sia bandejat de la Universitat a beneplàcit del rector. E si acordadament algun vendrà al Studi y mouorá brega, qüestio o avalot per qualsevol causa, sia bandejat e posta en lo sep a beneplàcit del rector16.
7Dans le monde de l’éducation, l’Université n’était pas le seul lieu où se manifestait la violence ; on la retrouvait aussi dans les écoles où les jeunes grimauds subissaient les mauvais traitements de nombreux enseignants qui avaient adopté comme devise : La letra, con sangre entra. Les témoignages que nous ont laissés les Humanistes au sujet de ces maîtres barbares, sont si nombreux qu’au dire de Jean-Claude Margolin ils arrivèrent à constituer un lieu commun, non exempt d’exagération17.
8Évoquant le statut de ces maîtres, que des parents insouciants recrutaient souvent au rabais et à qui ils confiaient imprudemment l’éducation de leurs enfants, Juan Lorenzo Palmireno, nous brosse un tableau assez inquiétant18 :
Aunque infinitas vezes viene el el mal, por ser el Maestro indigno de más honra : crióse en aldea, estudió poco, tiene baxos pensamientos, aunque le quieran honrrar paresce que no caben en él los favores. El ayre del aldea lo destruye y como allá no aprendió, aquí no tiene qué enseñar. Entendiendo el niño que su Maestro sabe poco, tiénele en poco, y assí todo va por tierra. Vemos vn mochacho de ricos padres, giboso, otro pasmado ; si preguntamos la causa, respóndennos que su Maestro le dio de coçes, y le arrojó contra vna arca, y le rompió por la espina, o le sacó fuera al campo, que sus padres no le viesse y le ató a vn moral y le pasmó a açotes...
9Les maîtres qui sévissaient dans les petites villes n’étaient pas moins violents. Toujours selon les dires de Juan Lorenzo Palmireno, leur comportement était aussi barbare que leur latin19 :
Adeo sibi placent, dum pauidam turbam minad uultu, voceque territant, dum ferulis, virgis, lorisque consdndunt miseros, dumque modis omnibus suo arbitratu saeviunt...
10Adulte, il éprouvera encore de la colère en se souvenant de ces coups reçus pour ne pas avoir assimilé des règles de grammaire20 :
Quando me acuerdo de los açotes que me dieron por la significación de limes, pes, fomes, cum, palmite, trames, quería morder al camello de mi maestro...
11La violence du châtiment était telle qu’il déclare, en relatant sa propre expérience : « Parescíame el sábado juyzio final, quando entraua blandiendo (el maestro) su lança o férula »21.
Érasme
12Ces turbulences dans le milieu scolaire s’inscrivaient, est-il besoin de le rappeler ?, dans un contexte particulièrement belliqueux, quand les ambitions des princes et les divergences religieuses enflammaient l’Europe. De grandes voix s’étaient élevées pour tenter de faire barrage à ce déferlement de la violence. Celle tout d’abord d’un Erasme avec sa Querella pacis22, en 1516.
13L’on sait que tout au long de sa vie, Erasme se fit l’apôtre de la paix, exhortant empereurs, princes, évêques et clergé à œuvrer en faveur de la concorde entre les peuples, à tout faire pour mettre fin aux conflits qui ensanglantaient l’Europe23. Dans sa célèbre prosopopée Querella pacis – que l’on a traduit par Plaidoyer pour la Paix24 ou, mieux Complainte de la Paix – la Paix s’adresse elle-même à tous les hommes leur demandant où trouver un lieu pour se réfugier. Elle explique l’origine de tous les conflits dans l’oubli du bien commun, car, dit-elle, les hommes sont tellement aveuglés par leurs passions qu’ils ne voient pas qu’elle seule est en mesure de leur assurer le bien-être. Ils sont, ajoute-t-elle, les seuls éléments de la Création à s’entredéchirer ; qui plus est, à se déchirer entre chrétiens. Aussi lui est-il difficile de trouver asile parmi eux, même chez ceux qui ont fait profession de charité, allusion à peine voilée aux comportements belliqueux de certains Princes de l’Église. Cette prosopopée se termine par une vibrante adresse aux princes de ce monde, leur demandant d’user de tout leur pouvoir pour assurer la paix entre les nations.
Vives
14Tout aussi affecté par les souffrances qu’enduraient les peuples d’Europe, Juan Luis Vives s’adressait tantôt au Pape Adrien V125, tantôt à Jean Longland, confesseur du roi d’Angleterre26, tantôt à Henry VIII lui-même27, tantôt à Charles V28 pour les inciter à tout faire pour mettre un terme aux violences guerrières, et prolongeait le long exposé sur la concorde et la discorde par une lettre à l’Archevêque de Séville, don Alfonso Manrique, sur le thème de la pacification29. Ces différents appels à la non-violence reposaient sur sa conviction qu’une des causes de ces affrontements avaient pour origine l’orgueil, le culte fanatique de l’honneur, ou un sens exacerbé de la propriété.
15À ces grandes voix qui prêchaient la concorde, on pourrait joindre celle des auteurs de traités sur le duel, qui, sans prétendre s’opposer catégoriquement à la violence s’efforcèrent de la codifier, sinon de la freiner. Nous renvoyons ici, bien évidemment, aux travaux de Claude Chauchadis, qui a brillamment illustré, plus particulièrement dans sa thèse30, les différentes modalités de la ley del duelo. Les textes utilisés par notre homenajeado montrent chez ces théoriciens du duel une volonté de donner une dignité à l’art de l’escrime, en se démarquant clairement des comportements des matones et rufianes. On n’y trouve pas pour autant une condamnation de l’usage des armes ni du duel, puisqu’on pouvait y avoir recours en cas de légitime défense ou pour venger un affront.
Palmireno : Remedios contra yra, llamado Matinal de coléricos para oluidar las injurias
16Bien plus évangélique est la position que développe Juan Lorenzo Palmireno lorsqu’il entreprend, dans un ouvrage au titre programmatique31, de préparer les adolescents à leur future intégration à l’Université, puis à la vie civile. Abordant, dans un premier temps, la formation morale des grimauds, il leur propose, après une réflexion sur l’orgueil32, une série de développements qu’il intitule : Remedios contra yra, llamado Marinai de coléricos para oluidar las injurias33.
17On constate ainsi que, dès les premières lignes de sa réflexion sur l’orgueil, Palmireno, se situant dans le sillage de Vives, développe la même argumentation qui s’appuie aussi bien sur la sagesse païenne que chrétienne, les références à saint Paul voisinant avec celles à Sénèque. On pouvait en effet s’attendre à retrouver dans ces Remedios contra la yra l’écho des leçons que le philosophe cordouan prodiguait dans son De ira. On y retrouve la même réflexion sur la distinction entre l’homme et l’animal (Sen. De ira, Liv. I, IV, 4), la même mise en garde contre l’orgueil du docto (p. 54), la même recommandation de se regarder dans un miroir pour voir les effets de la colère (Sen. I, III, 4).
18En fait l’une des sources essentielles utilisée par Juan Lorenzo Palmireno pour la rédaction de ce court traité est la Guía de pecadores34 qu’avait publiée son contemporain fray Luis de Granada. Il s’agit d’une libre adaptation, parfois même à la limite du plagiat, puisqu’on y retrouve, à plusieurs reprises, les termes mêmes qu’avait employés le dominicain. Procédé dont Palmireno était coutumier, comme j’ai eu l’occasion de le signaler à propos d’autres œuvres35. De courts exemples suffiront à caractériser ce type d’emprunts.
Guia de Pecadores, p. 125 b Capítulo IV Remedios contra la soberbia |
Estudioso de la aldea, p. 51 Contra sobervia. |
Considera pues lo que fuiste antes de tu nascimiento, y lo que eres agora después de nascido, y lo que seras después de muerto. Antes que nacieses eras una materia sucia, indigna de ser nombrada ; agora eres un muladar cubierto de nieve, y después seras manjar de gusanos. | Considéra quai fuiste en tu nascimiento, qual eres agora, y qué has de ser a la muerte. Fuiste esperma hediondo, eres saco de estiércol y suziedad, has de ser manjar de gusanos. |
p. 126 a | p. 52-53 |
Esto declaró muy bien un rey, que habiendo de ser coronado, primero que le pusiesen la corona en la cabeza, la tomó en las manos, y la tuvo así por un poco de espacio, diciendo : ¡ Oh corona, corona, más preciosa que dichosa, la cual si alguno bien cononociese, aunque te hallase en el suelo, no te levantaría. | Vn sabio fue elegido por Rey, y al tiempo que le dauan la corona, tuuola gran rato en las manos, diziendo : ¡ O noble más que dichosa corona, si conosciéssemos quánta congoxa y peligro traes, no te querríamamos alçar de tierra, aunque te hallássemos muy adornada. |
p. 126 a | p. 53 |
Considera también, ¡ oh soberbio ! que a nadie contentas con tu soberbia : no a Dios, a quien tienes por contrario, porque él resiste a los soberbios y a los humildes da su gracia ; no a los humildes, porque éstos, claro esta, aborrescen toda altivez y soberbia, ni tampoco a los otros soberbios tus semejantes porque por las mesmas razones que tu te levantas, ellos te aborrescen, porque no quieren ver otro mayor que a sí. | Mira soberbio que a ninguno agradas, ni a Dios tu criador, ni a los humildes, ni a los otros superbos ; porque tu quieres sobrepujar a ellos, y ellos a ti... |
19Ce qui donne sa saveur à la glose palmirenienne dans ces Remedios contra yra, c’est l’insertion de sa propre expérience, comme il le fait en rapportant une anecdote propre à freiner les colériques36 :
Por qué el peccado de la yra penetyra mucho, es muy prompto y pocos le pueden vencer, te quiero aduertir que no tengas en poco lo que se sigue, pues dello te contaré vna buena experiencia. Año 1558, en setiembre, hizo vno de Exea de los Caballeros ahorcar su muger por adúltera en Zaragoza, sin que bastassen ruegos de personas deuotas. Estáuamos comprando vnos libros, quando la passauan por la Cuchillería, vno de la compañía sospiró muy agrámente. Dixímosle si era parienta suya. Dixo : No, pero ha veynte años que maté en Monçón a mi muger y a vn clérigo sin confessión. Tuue harto que hazer en huyr de la justicia, no me ahorcassen. Agora ni el mundo se acuerda de mi hazaña, ni puedo sossegar de lo que hize. Y si yo la despidiera de mi casa, restituyéndola a sus parientes, o la encarcelara, o la tuuiera cerrada en mi casa, conseruara el alma della, dándole tiempo para penitencia y meresciera que Dios me perdonara, pues yo perdouaua ». Conté yo entonces los remedios que para esto daua Castro De lege pœnali, y hablé largo de la Yra.
20Ou encore, lorsqu’il évoque, précisément à propos de ce traité d’Alfonso de Castro Zamorense37, comment il en avait, à la demande d’un ami, commencé la traduction, et comment les quelques passages traduits allaient empêcher un de ses amis de commettre un crime38 :
Rogóme vno le diesse por escrito aquello, porque pensaua que algún tiempo le aprouecharía. Pedíle vna semana de tiempo, y como componemos, el desseo de acabar aquella composición, nos mueue a lleuar la scriptura en las manos. Combidáronme vn día de fiesta de aquella semana en casa de vn discípulo. Passeáuamos al sol en vnos corredores de los combidados, y yo, aguardando la hora, vno dellos tomóme estos quadernos postreros, porque yo no lleuaua toda la obra. Leyó hasta quatro hojas, y dixo gritando : ¡ O dichoso Palmyreno, quánto te deuo ! Yo admirado que a vn pobre grammático llamaua dichoso, preguntéle la causa. Dixome : Con estos breues capítulos hauéys escusado vn gran mal, porque esta noche tenía propósito de hazer matar a cierto personage, y por más dissimular, me venía a este banquete. El angel Custodio os ha traydo para que me mouiéssedes a perdonarle. Enfin, yo me holgué de la buena prueua. Aquí no va más de vn pedaço del librico, léelo atentatamente y Dios te alumbre de tal modo que Nunquam occidat sol super iram tuam.
21Autre caractéristique de ce Manual de coléricos : le recours à des exemples empruntés aussi bien à la sagesse païenne qu’à la tradition chrétienne. Il évoque tout aussi bien les anecdotes empruntées, pour certaines d’entre elles à Diogène Laërce (il cite en effet la réaction de Crates, disciple de Diogène, après la gifle reçue du musicien Nicodromos39, ou à la patience de Socrate, ou encore à la sagesse de Platon face aux calomnies propagées)40.
22Palmireno est si pénétré de cette nécessité d’éviter à ses disciples les comportements violents que, dans ses cours, à propos de l’enseignement de l’art épistolaire, il insiste sur la nécessité pour les étudiants de savoir rédiger, en latin, mais aussi en espagnol, des conciliatoriæ ou des reconcilatoriæ41. Il s’en explique d’ailleurs clairement42 :
De consolatoria epístola.
Fit non raro vt hominis antea ignoti amicitiam expetamus, hoc poterimus hac epistola adipisci...
De reconciliatoria epistola.
Occurrit interdum necessitas, vt ob iras aut rixas inter amicos concitatas, cogamur epistolam conscribere ad leniendum dolorem & conciliandum animum alterius, ita vt veniani vel nobis ipsis, vel alijs comparemus...
23Lorsqu’il est amené à traiter du genus judiciale, l’on sait, grâce aux notes prises par un élève de la classe de rhétorique de 1576, que pendant un certain temps, il proposa des normes pour la criminatoria. On peut en effet y lire43 :
In judiciali principem locum obtinet criminatoria, qua judiéis declaramus scelus aliquod... comissum. In ea oportet initio dolorem nostrum et atrocitatem sceleris ostendere, id facilius per admirationem, dubitationem, aut querelam. Mox narrabimus ita ut verisimilia videantur quaecumque dicimus, addimus quoque amplificaciones, quas epistolee brevitas admittet. Sequetur tandem epilogus in hunc modum.
24Palmireno propose à la suite deux criminatoriæ – la première en castillan et la seconde en latin –, adressées à un certain don Luis de Calatayud, patricien de Valencia, pour lui signaler le danger que représente parmi ses gens un triste individu, un majorquin peu reconnaissant qui a puisé dans les caisses de son hôte et abusé de sa nièce.
25Par contre, comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer dans une récente communication44, il se refusera par la suite à donner des critères et des modèles de ce même genus judiciale pour deux types de lettres : les criminatoriæ et les invectivæ qu’il n’estime plus utile d’exposer parce qu’elles sont contraires à l’esprit chrétien et qu’elles sont parfaitement inutiles45 :
In iudiciali reperiuntur Criniinatoria & Inuectiva, Expostulatoria, Purgatoria, Exprobatoria, Deprecatoria. Duæ priores a nobis prætermittuntur, quoniam nec admodum Christiane nec admodum necessarix sunt.
26Quant aux exprobatoriæ, il se sent obligé d’en traiter en raison des conséquences parfois désastreuses que peut entraîner une rédaction maladroite, autrement dit pour éviter d’inutiles violences46 :
Non apposuissem sequentem epistolam, nisi viderem exempla quotidiana illorum qui sua imprudentia in huismodi epistolis conficiendis, aut morteni, aut sunimam sibi calamitateni pepererunt.
27Ainsi donc, en rédigeant son Estudioso de la aldea, tout comme en traitant de l’art épistolaire, Juan Lorenzo Palmireno prolongeait l’enseignement et les préoccupations d’un Sénèque, d’un Erasme, d’un Vives ou d’un fray Luis de Granada. En l’occurrence, il n’entrait point dans son propos de conseiller, comme il le fit pour l’héritier d’une illustre famille47, d’unir les armes et les lettres « ayuntar los libros al yelmo », mais bien plus pragmatiquement de mettre à la disposition des adolescents des textes susceptibles de les aider à lutter contre la colère, autrement dit de leur donner les moyens d’utiliser les lettres contre les armes.
Notes de bas de page
1 J.P. Pelorson, « Le discours des armes et des lettres et l’épisode de Barataria », Les Langues Néo-Latines, 212, 1975, p. 40-58.
2 M. Moner, Deux thèmes majeurs (l’amour, les armes et les lettres), Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail, France Ibérie Recherche, 1986.
3 J.L. Palmireno, El estudioso de la aldea, Valencia, Pedro Huete, 1568.
4 Pour plus d’informations on pourra consulter mon étude : Juan Lorenzo Palmireno (1524-1579) Un humanista aragonés en el Studi General de Valencia, Zaragoza, Institución « Fernando el Católico », 1982.
5 F. de Quevedo, El buscón, Barcelona, Ediciones BSA, 1988. Voir le récit de la novatada à Alcalá de Henares, chap. V : De la entrada de Alcalá, patente y burlas que me hicieron por nuevo, p. 130- 137. C. Suarez de Figueroa, El Pasagero, éd. de M.I. López Bascuñana, Barcelona, Promociones y Publicaciones Universitarias, SA., 1988. Cf. le passage où le Maestro évoque ses études de Médecine à Alcalá, Alivio III, p. 257-265.
6 J. Veríssimo Serrao, Les Portugais à l’Université de Toulouse. XIIIe-XVIIe siècles, Paris, Fundaçao Calouste Gulbenjkian, 1970, p. 59. 11 y signale qu’à Toulouse les Capitouls avaient interdit la formation de groupements d’étudiants d’une même région, notamment de nations de France, de Gascogne, de Navarre, d’Espagne, de Provence, etc.
7 G. Reynier, La Vie universitaire dans l’Ancienne Espagne, Paris, Picard, 1902. p. 195 : « Une plaisanterie, un méchant propos suffisent à mettre aux prises les écoliers de deux provinces : ils se battent pendant des journées entières ; le lendemain, chaque parti recueille ses blessés, ensevelit ses morts, et souvent, au retour des funérailles, les deux troupes rivales en viennent encore aux mains ».
8 L.E. Rodriguez San Pedro Bezares, « La Universidad salmantina del Barroco », La Universidad de Salamanca, Salamanca, Universidad de Salamanca, 1990, t. III, p. 337.
9 S. Casssagnes Brouquet, La violence des étudiants toulousains de 1460 à 1610, Paris, École des Hautes Études, 1982, p. 82.
10 G. Reynier, op. cit., p. 48-49.
11 M. Fournier, Statuts et privilèges des Universités Françaises, Paris, L. Larose et Forcel, 1890, t. I, p. 526.
12 M. Fernandez Álvarez, « Etapa Renacentista (1475-1598) », La Universidad de Salamanca, Salamanca, 1989, t. I, p. 95. Citant le Cartulario de Beltrán de Heredia, II, 362 : « que, como los dichos legos vecinos de la dicha ciudad, especialmente los del pueblo de ella, tienen odio e mala voluntad a los dichos estudiantes, los injuriarían e matarían, sin tener con qué defenderse por falta de las dichas armas, según ha parecido muchas veces por experiencia ».
13 F. Navarro Santín, « Juegos fuertes en los Colegios. Contiendas, violencias y tropelías en los Colegios Mayores », Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, 11, 1904, p. 459-460.
14 D. de Lario, Sobre los orígenes del burócrata moderno, Bolonia, Real Colegio de España, 1580, p. 80-81 et « Estructura institucional de los Colegios Mayores », Las Universidades Hispánicas de la Monarquía de los Austrias al Centralismo liberal, Salamanca, Universidad de Salamanca, 2000, p. 333.
15 A. Gallego Barnés, « La Constitución de 1561 », Estudis, 1,1973, Valencia. p. 59, XIIII.
16 Bulas, constituciones y estatutos de la Universidad de València, Valencia, Universitat de València, 1999, vol. 1, p. 264 : De les armes.
17 J.-C. Margolin, Erasme, Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis. Étude critique, traduction et commentaire, Genève, Droz, 1966, p. 119-120.
18 J.L. Palmireno, El estudioso de la aldea, Valencia, Juan Mey, 1568, p. 8-9.
19 J.L. Palmireno, Segunda pars rhetoricæ..., Valentiæ, ex officina Ioannis Mey, 1567, p. 105-106.
20 J.L. Palmireno, El estudioso de la aldea, p. 107.
21 Ibid.
22 D. Erasme, Querella pacis, Obras escogidas. Traslación castellena directa... por Lorenzo Riber, Madrid, Aguilar, 1956, p. 965-994.
23 J.-C. Margolin, Guerre et paix dans la pensée d’Érasme (traduction complète ou partielle d’écrits pacifistes), Paris, Aubier, 1973.
24 Érasme, Plaidoyer pour la paix, Paris, Arléa, 2002.
25 J.L Vives, De Europæ statu ac tumultibus, 1522.) e cite à partir de J.L. Vives, Obras completas, Primera traslación castellana íntegra y directa, comentarios, notas y un ensayo biobibliográfico... por Lorenzo Riber, tomo segundo, Madrid, Aguilar, 1948, p. 9-18.
26 J.L. Vives, Obras completas, II, p. 1922, Carta a Juan Longland, Obispo de Lincoln, Confesor del Ilustre Rey de Inglaterra. Sobre los obstáculos para la consecución de la paz, 1524.
27 Ibid., II, p. 27-37. De pace inter Cæsarem et Franciscum Gallorum regem, deque optimo regni statu. 1525.
28 Ibid., II, p. 75-252. De concordia et discordia in humano genere, 1529.
29 J.L. Vives, O.C., II, p. 255-290.
30 C. Chauchadis, La loi du duel. Le code du point d’honneur dans l’Espagne des XVIe-XVIIe siècles, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, Anejos de Criticón, 8,1997.
31 J.L. Palmireno, El estudioso de la aldea... con las quatro cosas que es obligado a aprender vn buen discípulo, que son : Deuoción, Buena criança, Limpia doctrine y lo que llaman Agibilia..., Valencia, Ioan Mey, 1568.
32 Ibid., p. 51-55.
33 Ibid., p. 55-68.
34 Fray Luis de Granada, Guía de pecadores, Remedios contra la ira y contra los odios y enemistades que nacen della, Madrid, BAE, t. 6, p. 134.
35 Voir « Un avatar espagnol du De civilitate d’Erasme. Le Tratado de la buena criança de l’humaniste aragonais J.L. Palmireno », Les traités de savoir-vivre en Espagne et au Portugal du Moyen Âge à nos jours, Actes du Colloque de Clermont-Ferrand sur les Traités de Civilité, 1992, Clermont-Ferrand, Université Biaise Pascal, 1995, p. 106-120, et « La vulgarización de la liturgia en el ambiente del Trento : una fuente privilegiada por Juan Lorenzo Palmireno : El Rationale de Guillermo Durand », Criticón, 102, 2008, p. 21-35.
36 J.L. Palmireno, El estudioso de la aldea, p. 54-55.
37 Fray A. Castro Zamorense, De potestate legis pœnalis libri duo, Salmanticæ, A de Portonariis, 1551. Cette œuvre fut rééditée à Lyon en 1556 et à Anvers en 1568. Il en existe une traduction de Laureano Sánchez Gallego, La fuerza de la ley penal, Murcia, Universidad, 1931. Pour ma part, j’ai consulté l’exemplaire de la Bibliothèque Municipale de Toulouse, c’est-à-dire l’édition de Lyon : Fratris Alfonsi A Castro Zamorensis, ordinis minorum, regularis observantiæ. De potestate legis pœnalis, libri duo, nunc recens editi, cum indice singularium rerum totius operis copiosissimo, Lugduni, apud Sebastianum Bartolomei Honorati, MDLVI.
38 J.L. Palmireno, El estudioso de la aldea, p. 55-56.
39 Diogène Laërce, De vitis, dogmatis & apophtegmatis philosophorum, Venetiis, per Pelegrinum de Pasqualibus, 1484, livre VI, 76.
40 J.L. Palmireno, El estudioso de la aldea, p. 58-59.
41 J.L. Palmireno, Dilucida conscribendi epistolas ratio, quondam Laurentio Palmyreno, mine ab Agesilao filio, sedulitate ingenti & aucta & emendata, Valentíæ, Apud Viduam Petri Huete, Armo 1585, p. 36-42.
42 J.L. Palmireno, Mss, De conscribendis epistolis. Methodus conscribendi epistolas hispano et latino sermone. Ivxta Marti Tv. Placita. Servato consvetudine qua nostro seculo Pavlvs Manutius, Ahonivs Pallearlivs, Lvdovicvs Regios apvd omnes eruditos viros celebrantvr. Ad nobiles adolescentes primæ classis in Academia Valentina, 12 Calend. M. Anno 1576, Fonds Serrano Morales, Biblioteca del Ayuntamiento de Valencia.
43 J.L. Palmireno, Mss. De conscribendis epistolis. Voir fol. 28-31.
44 Voir mon article : « Un aspecto de la transmisión del arte epistolar : el De conscribendis epistolis de Juan Lorenzo Palmireno, o del Ars dictaminis à la Carta de Favor », dans La Transmission de savoirs licites ou illicites dans le monde hispanique péninsulaire (XIIe au XVIIe siècles), Actes du Colloque International du LEMSO, 19-21 mai 2008, Toulouse (à paraître).
45 J.L. Palmireno, Dilucida conscribendi epistolis ratio..., p. 52.
46 Ibid., p. 54.
47 J.L. Palmireno, El estudioso cortesano, Valencia, Pedro Huete, 1573. Voir fol. A 3 (erreur pour A 4) la dédicace à don Guillem de Palafoix, fils du Gouverneur d’Orihuela, don Henrique de Palafox : « Bien tiene v.m. qué imitar, si buelue sus ojos a lo que sus passados han hecho, y a los trabajos que el señor su padre ha padecido, siruiendo al Emperador contra Lutheranos ; pero sé que lo hará con más esfuerço, si ayunta los libros al yelmo ; pues no son contrarias el arte militar (y) las letras. A Iulio César nunca el libro le enflaquezió la lança ».
Auteur
FRAMESPA – UMR 5136 CNRS LEMSO
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