Timimoun
p. 57-70
Texte intégral
Tout voyage, y compris dans les terres inconnues,
n’est que le souvenir d’une encre anciennne.
Gilles Lapouge : L’encre du voyageur
1Chaleur. Brouhaha. Agitation... Angoisses. Bousculades. Cris... Une foule considérable se pressait ce jour-là, à la sortie de l’aéroport d’Alger. Une grève des aiguilleurs du ciel : la première – et probablement la seule – dans l’histoire de la navigation aérienne, qui ait jamais eu lieu en Algérie.
2– Tiens, il y avait donc des aiguilleurs du ciel en Algérie ?
3La police ne s’était pas montrée moins tatillonne pour autant. Ni les douaniers moins zélés. Résultat :
4– Le bazar !
5– Le souk !
6Nous étions là, au milieu de ce capharnaüm. On riait, nous aussi. On s’embrassait. On se tapait dans le dos, on se pinçait.
7– C’est un miracle que nous soyons tous là !
8– Tu peux le dire !
9Hé oui, c’était une sorte de miracle que de se retrouver à l’aéroport « Houari Boumediene », alors que nous étions partis sur des vols différents, avec des compagnies différentes, depuis des aéroports différents... Tout notre petit monde était passé entre les mailles, et nous étions là, au jour et à l’heure prévus, alors que certains voyageurs avaient des heures, et parfois des jours de retard. On avait vu, en France, des familles camper dans les halls des aéroports de départ, dans l’attente d’un avion disponible, après un vol annulé. Et on pouvait voir, à présent, ceux qui les attendaient, de l’autre côté de la Méditerranée, et qui campaient, eux aussi, à l’aéroport d’Alger, pour certains depuis plusieurs jours, accrochés à l’espoir d’une visite qui paraissait de plus en plus improbable. On se sentait coupables. On s’estimait chanceux. On avait tort.
10Il pouvait être seize heures. La chaleur était forte, pour un mois d’avril, mais pas désagréable, malgré la moiteur de l’air. Nos bagages rassemblés : rien ne manquait – hormis une trousse de toilette, oubliée dans l’avion par Jacky, la tête de linotte du groupe. Pas de quoi s’affoler :
11– Dans le désert, on peut se laver entièrement avec un mouchoir trempé dans un verre d’eau.
12Grande, blonde, avec des reflets roux dans une abondante chevelure, et des yeux clairs, elle attirait les regards des autochtones qu’elle feignait d’ignorer, ou aguichait gentiment, avec simplicité et naturel.
13Nous avions environ deux heures à attendre, avant le vol qui devait nous conduire, en fin d’après midi, à notre véritable destination : Ghardaïa, capitale du Mzab, « La perle du désert ». C’est de là, en effet, que nous devions partir, le lendemain matin, pour un périple en autobus d’une douzaine de jours, qui devait nous amener dans le sud saharien, après un bref détour par les hauts plateaux et Béchar. À vrai dire, nous connaissions déjà l’itinéraire, pour l’avoir emprunté, à plusieurs reprises, des années auparavant, alors que, jeunes diplômés, nous servions en Algérie, dans le cadre de la coopération technique. Basés à Oran, il nous était relativement facile de « descendre » jusqu’à Timimoun, puis de « remonter » par Ghardaïa et de boucler la boucle, en traversant les hauts plateaux. Sauf que, cette fois-ci, nous allions faire le périple dans l’autre sens. Et de plus, malgré notre désir, il ne nous serait pas possible de pousser jusqu’à la côte : nous ne reverrions pas Oran. L’unique agence de tourisme, la Sonamach – rebaptisée par Claude Sonamachin – avait refusé tout net. Pour quelle raison ? Mystère !
14– Les voies de la bureaucratie sont impénétrables...
15Bref, le voyage n’était pas une découverte : plutôt un pèlerinage.
16Sauf pour nos enfants, dont un certain nombre étaient nés pendant notre séjour en Algérie et qui, à quelques rares exceptions près, n’y étaient jamais retournés depuis que nous étions rentrés en France. Ils étaient beaucoup trop jeunes, à ce moment-là, pour en conserver des souvenirs, autres que ceux qu’ils avaient fini par se construire, à travers les interminables séries de diapositives, décortiquées en famille, ou les séances de projections – plus ou moins calamiteuses – de films en « super 8 », ressassés lors de nos « rendez-vous » rituels, une fois l’an, à la fin du mois d’août, juste avant la rentrée des classes. On se réunissait entre amis, comme pour perpétuer le culte d’un temps révolu ou, plus simplement, resserrer les liens d’une amitié ancienne, que l’on pressentait aussi rare qu’indéfectible. Cela faisait vingt ans que ça durait, et c’était d’ailleurs la raison pour laquelle nous avions décidé, cette année-là, de faire ce voyage, qui était à la fois une façon de célébrer le vingtième anniversaire de notre arrivée à Oran, et de faire découvrir aux enfants cette terre d’Algérie, dont ils nous entendaient tellement parler, et qu’ils ne connaissaient qu’à travers les images et les anecdotes dont on les abreuvait. Il avait fallu, pour cela, changer la date et la durée du « rendez-vous », que nous avions résolu de déplacer d’août à avril et d’étirer quasiment sur deux semaines, au lieu du traditionnel week-end, plus ou moins prolongé.
17– Ne vous éloignez pas trop, les filles : restez avec les garçons !
18C’était Nanou, qui intervenait, forte de son expérience algérienne – elle était fille de pieds-noirs –, mais aussi, sous l’impulsion de vieux réflexes de cheftaine, qu’elle conciliait – Dieu sait comment ! – avec un tempérament de mère poule, soigneusement dissimulé, et qu’elle s’appliquait à contrarier, sous des dehors faussement revêches. Elle avait en mémoire les voyages en autobus, dans le centre d’Alger, et les traînées gluantes sur sa jupe du dimanche, auréolée du résultat des plaisirs furtifs provoqués par la proximité de jeunes filles en robe légère, dans les transports en commun.
19– Comme tu dis...
20Le temps passait. Les nouvelles étaient rares. Et nous assistions éberlués à des scènes qui n’auraient certainement pas déparé dans Hellzapoppin : un autobus remorquant un avion de ligne sur la piste et dont on nous disait que c’était celui qui devait nous amener à Ghardaïa, sans qu’aucun de nous ne parvienne à savoir si c’était l’autobus, ou bien l’avion, qui devait nous y conduire.
21– De toutes façons, on n’y sera jamais à temps pour dîner.
22De temps en temps, un léger mouvement de foule se produisait : on se précipitait vers les verrières. C’était l’autobus qui repassait – tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre –, avec son avion en remorque. Hallucinant. Le jour déclinait. Dans la salle d’attente voisine, un groupe de pèlerins en partance pour La Mecque faisait ses dévotions du soir. Vêtus de djellabas d’un blanc immaculé, leurs mouvements synchrones, sous les néons, ressemblaient à un ballet silencieux. Superbe et inquiétant.
23– Ce sont des Frères Musulmans. On en voit de plus en plus en Algérie...
24– Tu crois ?
25– Puisque je te le dis.
26Il faisait nuit noire à présent : la lune n’était attendue que dans quelques jours. Nous approchions du ramadan.
27– En parlant de ramadan, je commence à avoir la dalle.
28Mike était le râleur de la bande, un vrai casse-pieds, que chacun supportait de son mieux, en mettant son fichu caractère sur le compte de son infirmité : il était manchot. Son bras gauche était inerte. Autre signe particulier : il avait toujours faim et des tas d’histoires à raconter. Il n’arrêtait pas de parler. Catégorie : pénible !
29– Ne pleure pas : on va bien te trouver quelque chose !
30Au bout d’une grosse demi-heure, pendant laquelle on eut droit à un nouveau va-et-vient de notre avion, toujours accroché à son autobus, un pique-nique s’organisa autour du banc où Angela, Josée et Nicky s’affairaient, sous la houlette de Nanou. On partagea les pains à la tomate, les sardines au sel, les pâtisseries locales et les melons, que Claude, Thomas et Jean avaient réussi à dénicher, je ne sais où. L’impatience était palpable. On parlait de tout et de rien, pour oublier la pendule qui commençait à saper insidieusement notre pèlerinage algérien, à petits coups d’aiguilles, sur le mur de la salle d’embarquement. On avait tant attendu ce moment ! Et voilà que la malchance à laquelle nous pensions avoir échappé, nous rattrapait. La grève des aiguilleurs du ciel ne concernait pas que les vols internationaux : elle touchait tout autant, et même davantage, les vols intérieurs. Nous étions bel et bien cloués au sol.
31La grosse voix de Thomas – dit Mômo – commençait à enfler : « Putain de bordel ! ». Maxime maugréait et s’en prenait à Gabrielle à laquelle il avait coutume d’adresser de vertes injonctions, qu’elle laissait glisser, le plus souvent, avec de grands sourires tendres : « M’enfin, Gabrielle, réfléchis ! »... Mike lançait des bordées de jurons, en occitan, en espérant ne pas être compris des autochtones qui le regardaient de travers. Il était facile de deviner qu’ils prenaient un malin plaisir à voir ces roumis englués dans ce qui faisait partie, somme toute, des embarras de leur vie quotidienne – aiguilleurs du ciel mis à part. De mon côté, je rongeais mon frein, tout en écoutant d’une oreille distraite ce que me racontait Jacky sur les coutumes des Mozabites – rebaptisés par Claude : Mozachoses –, si différentes de celles des Arabes.
32– Ce sont de grands commerçants. Ils passent l’essentiel de leur vie à l’étranger...
33Dans ma torpeur, il me sembla l’entendre dire qu’ils étaient très riches, qu’ils se mariaient entre eux, et que, indépendamment de leur petite taille – limite pygmée – ils présentaient, entre autres signes de dégénérescence liés à la consanguinité, une myopie sévère, qui affectait surtout les individus de sexe masculin. Autant de choses que je savais déjà, à quelques exagérations près. Mais Jacky continuait : à la différence des Arabes, qui confiaient, en leur absence, le gouvernement du foyer à leur mère, les Mozabites laissaient ce soin à leurs épouses. Là-dessus, je crus comprendre que certaines de ces femmes, livrées à elles-mêmes, se trouvaient des compensations, en attirant chez elles des hommes imprudents, que – d’après Jacky, et selon certaines rumeurs – l’on ne revoyait plus jamais. Je souris, en songeant que les légendes ont la vie dure, et celle-ci avait manifestement un parfum d’Antinéa. Je le dis à Jacky. Mais elle ne m’entendit probablement pas, car au même moment une voix au débit saccadé lançait dans un haut-parleur l’information que Ton n’attendait plus : l’avion pour Ghardaïa allait pouvoir décoller. On se précipita.
34Quelques minutes plus tard, nous étions installés sur des sièges fatigués. Soupirs ! Décollage immédiat ! En fait, on attendit encore une bonne heure, ce qui nous laissa tout le loisir de contempler une dernière fois, à travers les hublots de l’appareil, l’autobus qui effectuait un énième passage, avec son avion en remorque, que Ton avait affublé d’un fanal rouge, accroché à l’empennage. J’entendis Claude expliquer à Nanou que cet incroyable ballet n’était probablement rien d’autre qu’une mise en scène, destinée à impressionner les touristes. Mike étouffa un rire. Enfin le décollage ! L’appareil bondit vers les étoiles, d’une surprenante brillance, au-dessus des lumières de la ville. Je regardai ma montre et me laissai doucement glisser dans le sommeil. Il était près d’une heure du matin.
35L’atterrissage à Ghardaïa fut plutôt rock’n’ roll : une belle embardée, à la limite de la sortie de piste. Jurons de Mike, qui avait abandonné l’occitan pour un français on ne peut plus clair. Cris et exclamations. Mines renfrognées des deux hôtesses. Et pour faire bonne mesure, une rafale de pluie, à la sortie, sur la passerelle. Une pluie glacée !
36– Vous êtes sûrs qu’on est au Sahara ?
37On s’engouffrait dans le bus, frissonnants, trépignant, bougons, mais au fond ravis d’être arrivés et heureux de cet accueil singulier.
38– Personne ne va nous croire !
39– Ce qui est incroyable, c’est qu’un autobus soit là, à cette heure-ci, pour nous conduire à l’hôtel.
40– C’est le même que celui d’Alger ! Si ça se trouve, il est arrivé avant nous.
41– Raciste !
42Tout le monde était très excité :
43– Une bonne douche !
44– Un bon lit !
45– Un bon thé, bien chaud !
46On ne tarda pas à déchanter : le bus de la Sonamachin-chose nous amenait bien à l’hôtel, mais l’accompagnateur chargé de nous accueillir nous fit rapidement comprendre, d’une voix doucereuse et compatissante, qu’à cette heure-là, il ne serait certainement pas possible d’accéder à nos chambres. Mike et Maxime s’exclamèrent d’une seule voix :
47– Et pour quelle raison, s’il vous plaît ?
48L’homme expliqua, tant bien que mal, qu’on nous avait attendus jusqu’à près de dix heures du soir, et qu’ensuite on avait pensé que nous ne viendrions pas. On avait donc loué les chambres à d’autres clients :
49– Faut nous comprendre...
50– Mais putain de bordel on les a payées, ces chambres !
51Le chauffeur du bus se marrait, en reluquant Jacky.
52Finalement, après quelques bonnes engueulades, on se retrouva tous à l’hôtel des « Rostémides », où on nous conseilla de transformer le Grand Salon en dortoir. Il était recouvert d’épais tapis de laine : il ne manquait que les narguilés. Après un temps d’agitation, du côté des toilettes, tout le monde finit par s’installer et s’accommoder de son coin de tapis. Quelques matous s’approchèrent, intrigués par ce remue-ménage, la queue dressée en point d’interrogation. D’autres, lovés sur des poufs, près des tentures, ne levèrent même pas la tête. Et on comprit pourquoi les tapis sentaient le pipi de chat :
53– Putain de bordel !
54Le soleil était déjà haut lorsque, après une séance houleuse à la réception de l’hôtel, nous avions fini par accéder à nos chambres. Mais pour quelques heures seulement : le temps de prendre une douche et de se glisser éventuellement dans les draps, pour un petit somme, supposé réparateur. Pas question de s’attarder : nous devions quitter Ghardaïa au début de l’après-midi, direction Laghouat, notre première étape, sur la route des hauts plateaux.
55– Nous sommes désolés...
56Nicky avait réussi à calmer les grincheux, les visages se détendaient. On se quitta bons amis. Seul Mômo avait encore les sourcils froncés et le nez plissé : il ne supportait pas l’odeur du pipi de chat !
57– Tu parles...
58Après un couscous accéléré et quelques photos souvenir en compagnie de Rachid – l’agent de la Sonamachin, qui allait nous servir de guide – nous étions prêts à partir. Le chauffeur, qui avait chargé les bagages, nous attendait déjà, devant l’hôtel, auprès de l’autobus.
59– Tu ne trouves pas que le bus ressemble à celui de l’aéroport d’Alger ?
60– Si ça se trouve, ils n’en ont qu’un et ils le mettent à toutes les sauces.
61– Vous n’avez pas honte de dire des choses pareilles ! Racistes !
62Un regain d’énergie nous tenait encore debout, malgré les fatigues du voyage et la nuit blanche, et – signe de bonne humeur retrouvée – on s’installait plutôt bruyamment dans le bus : les jeunes, au fond, les adultes devant : chacun avec sa chacune. Sauf Jacky, récemment divorcée, qui allait voyager, au premier rang, derrière le chauffeur, à côté de Rachid, et moi qui occupais le premier siège – ou plutôt les deux premiers sièges, côté droit : j’étais seul. J’observais le chauffeur qui fumait une cigarette et ne semblait pas se préoccuper de la cendre qui s’accumulait à son extrémité. Il y en avait pour deux bons centimètres et le bout commençait à s’incliner. Le détail n’avait pas échappé à Jacky :
63– Sûr que ça va lui tomber sur le pantalon. D’ici qu’il se crame la braguette...
64– Il n’y a pas de braguette au sarouel. Tu devrais savoir ça.
65– Ah bon ? Et pourquoi que je devrais savoir ça ?
66– Devine ?
67– Cochon, va !
68Je souris et regardai plus attentivement le visage de l’homme : il me semblait l’avoir déjà vu quelque part. Je commençais à réfléchir, et bingo ! Pas étonnant : il ressemblait à Omar Sharif ! Marrant...
69Rachid se mit à compter les passagers. Il devait y avoir, en plus de notre groupe, un couple d’Italiens et une famille – improbable – de Tunisiens. Mais ils n’étaient pas là.
70– Victimes collatérales des aiguilleurs du ciel...
71Bref, nous étions les seuls occupants de l’autobus. Du sur mesure : on n’allait pas s’en plaindre ! Le chauffeur qui venait d’allumer une autre cigarette actionna le démarreur. La portière se referma – soupir ! Rachid nous bidouilla un vague laïus dans un grésillement de micro insupportable. Quelques minutes plus tard, nous étions sortis de la ville. La route des hauts plateaux déroulait son ruban gris dans le pare-brise, au milieu d’un paysage d’une beauté austère. Le vent se levait.
72– À n’avoir que toi d’horizon...
73Un vers d’Aragon avait réveillé ma mémoire. Le paysage m’avait absorbé. De vieilles blessures s’étaient rouvertes : Marie !
74Il y avait peu de circulation sur cette route, hormis quelques grands camions verts qui transportaient des dromadaires vers le nord et que notre autobus dépassait, en mordant dangereusement sur le bas-côté et en soulevant d’énormes nuages de poussière, que le vent entraînait au loin, en petites tornades. Les dromadaires, sagement agenouillés – et probablement entravés – à l’arrière des camions étaient installés à contresens : la tête bien droite, tournée vers le sud qu’ils ne reverraient sans doute jamais. Leurs profils alignés, hiératiques, faisaient songer à quelque bas relief égyptien. Et leur passage fugace dans les vitres de l’autobus produisait d’étranges effets d’optique. Comme dans les gares. Lorsque l’on ne sait pas si c’est notre train qui s’ébranle, ou celui de la voie d’à côté.
75D’autres camions revenaient à vide, vers le sud, et lorsqu’on les croisait, on devinait encore, à l’arrière, les fantômes alignés de ces dromadaires qu’ils venaient de transporter, sans doute vers quelque rustique abattoir. Le vent de sable avait forci. Omar Sharif avait allumé les phares – ce qui ne servait pratiquement à rien –, mais il n’avait pas diminué la vitesse pour autant. Les camions qui venaient en face surgissaient des rafales de sable, face à nous, au dernier moment, comme d’énormes mantes religieuses aux phares menaçants. Notre chauffeur, imperturbable, grillait cigarette sur cigarette. Il semblait deviner la présence des monstres à leur approche, et serrait à droite, in extremis, d’un petit coup de volant bien ajusté, qui lui permettait aussi, apparemment, de se délester au passage de la cendre de sa cigarette, qu’il gardait vissée au coin des lèvres, sans jamais en répandre sur ses vêtements. Du grand art ! De mon côté, habitué à conduire, le réflexe du conducteur jouait à plein : je me cambrais et me hérissais sur mon siège, en voyant avec quelle désinvolture notre chauffeur frôlait à toute allure ces monstres de ferraille verte, qui semblaient nous foncer dessus. Je freinais, je braquais. Je me recroquevillais, dans l’attente du choc. Et puis, je finis par m’endormir, comme tout le monde. En haussant les épaules :
76– Inch Allah !
77Je somnolais, plus que je ne dormais, quand un affreux pressentiment me cueillit au plexus, aussi violent qu’un uppercut. J’ouvris les yeux et poussai un cri : dans la lueur des phares, la cabine verdâtre d’une gigantesque mante religieuse s’écrasait avec un énorme fracas dans le pare-brise !
78La suite se déroula dans une sorte de nuage de sable bourdonnant, où je vis tout d’abord le visage réprobateur d’Omar Sharif, qui avait pivoté d’un quart de tour sur son siège pour regarder dans ma direction et en avait profité pour lâcher au passage, près du levier de vitesse, une rafale de cendre. Il me sembla aussi entendre, dans le brouhaha, Rachid et Jacky qui s’inquiétaient et me demandaient si tout allait bien. Mais par dessus tout, j’entendais encore le cri que j’avais poussé, au moment de la collision : un cri rauque ! Brutal ! Un cri de commandement : comme on en adresse aux chevaux pour stopper leur élan. Un cri d’alarme aussi, qui perdurait inexplicablement dans ma tête, alors même que je cherchais mes mots pour rassurer Rachid et Jacky, qui s’étaient dégagés de leur siège et dont les visages effrayés étaient à présent penchés sur moi. Des voix fusaient dans le bus :
79– Qu’est-ce qui s’est passé ?
80– C’est quoi ?
81– Putain de bordel !
82Et tout à coup la honte : Omar Sharif, plus concentré que jamais, allumait une autre cigarette, qui prit la place de la précédente au coin de sa bouche. L’autobus continuait de filer à toute allure. Le vent de sable s’était calmé. Tout en bredouillant de vagues excuses à Jacky, je réalisai que je venais de rêver la scène de la collision, tant redoutée, et que j’avais crié suffisamment fort pour réveiller tout l’autobus. L’explication ne tarda pas à circuler jusqu’aux dernières places, où elle fut accueillie par un énorme éclat de rire. J’en percevais les saccades, bizarrement déformées par les stridences du rêve, qui se prolongeaient interminablement entre mes tempes. Une douleur aiguë me vrillait l’estomac. Je crus que j’allais perdre connaissance. Je m’accrochai à l’accoudoir :
83– Tu es sûr que ça va ?
84Une nouvelle mante religieuse traversa le pare-brise en vrombissant et en cliquetant de toutes ses ridelles, mais dans le bon sens cette fois : l’autobus poursuivit sa route. La mante religieuse aussi.
85Je ne pus m’empêcher de regarder la cigarette d’Omar Sharif. Sans surprise : elle avait, encore une fois, deux bons gros centimètres de cendre à son extrémité. Je crois que je me sentis rougir. Et d’autant plus que pareille mésaventure ne m’était jamais arrivée : j’avais le sommeil plutôt discret, et on ne m’avait jamais reproché d’avoir parlé en dormant ou émis le moindre ronflement. Ce dont j’étais plutôt fier. Et maintenant : patatras ! J’allais devenir la risée de tout le monde.
86Les mantes religieuses, inexplicablement plus nombreuses à présent, continuaient à défiler dans le pare-brise. Omar Sharif me lança un regard noir de fakir. Je souris gauchement. Puis je perdis l’image. Et puis le son. Je me sentis glisser dans une torpeur moite, avec, sur mes lèvres et comme dédoublés, ces mots étrangers, que nul ne pouvait plus entendre :
87– Ce nom qui ressemble à la braise.
88C’est un autobus complètement léthargique – à l’exception de l’incandescent Omar Sharif – qui arriva à Laghouat au coucher du soleil, après les deux pauses pipi réglementaires pendant lesquelles je n’avais pas bougé de mon siège.
89Le soir, les commentaires et les plaisanteries, au sujet de mon cauchemar, allaient bon train dans la salle de restaurant du « Transat » et je finis par me prêter gentiment au jeu. Hé oui ! C’était comme ça ! Quand j’étais tout petit, j’avais été réveillé par un insecte qui s’était glissé dans ma chambre. Une sorte de criquet, ou une mante religieuse. Enfin, un truc vert. Et j’en avais fait des cauchemars pendant longtemps. Du moins, c’est ce qu’on m’a dit. Car à la vérité, je ne m’en souviens pas. À un bout de la table des adultes, Mike brodait sur l’événement, en imaginant que la collision avait peut-être vraiment eu lieu et que nous avions tous péri dans l’accident. Comme quoi nous ne serions peut-être que des morts en sursis :
90– Le fait que nous ayons l’impression qu’il ne s’est rien passé et que nous croyons être toujours en vie est un phénomène que Ton a déjà observé, chez certains trépassés, et tout particulièrement dans les cas de morts collectives : la mort n’intervient vraiment, « pour couper le courant », qu’après un laps de temps plus ou moins long. Après tout, nous ne faisons peut-être que revivre, en ce moment, nos propres souvenirs ou ceux que nous nous sommes fabriqués...
91– Et d’après toi, comment on peut savoir ça ? Personne n’est jamais revenu pour le raconter.
92– Mais si...
93L’image d’une corde qui se déroule dans un temps démesuré et qui finit par se tendre brutalement, me traversa la mémoire – réminiscence d’Ambrose Bierce. Instinctivement, je portai la main à mon cou. Sans doute, Mike ne faisait-il qu’habiller d’arguments pseudo-scientifiques une idée de scénario déjà bien galvaudée. Quelqu’un lança :
94– Tu vas trop au cinéma !
95– Mais le cinéma, c’est la vie ! Qu’est-ce que tu crois ?
96Mike persistait à instiller le doute, au point de créer chez certains une impression de malaise : penser que Ton est peut être déjà mort n’est pas très réjouissant. Mômo et Claude, qui commençaient à le trouver lourd, menacèrent de le faire taire de force – façon Assurancetourix. Et Mike finit effectivement par quitter la table pour aller prendre son café au bar, tout heureux du petit effet qu’il avait provoqué.
97– Vous verrez... Vous verrez... On n’est pas sortis de l’auberge...
98De mon côté, je n’étais pas mécontent non plus de cette version des événements, qui me permettait, à défaut de sauver la face, d’avoir l’air un tout petit peu moins idiot.
99Le voyage se poursuivit, mais sans Omar Sharif, qui avait cédé sa place, à Laghouat, à un autre chauffeur de la Sonamachin, au teint grisâtre et au regard inexpressif, qui, lui, ne fumait pas, tenait bien sa droite dans les virages et respectait la vitesse indiquée. Je me pris à regretter les rafales de cendre, le train d’enfer et le regard pointu d’Omar Sharif...
100Au fil des jours, les plaisanteries s’étaient espacées, mais les sourires moqueurs n’avaient pas disparu. Et sur la dune rose de Taghit, l’un des hauts lieux de notre périple, où nous venions d’arriver, après les étapes d’Ain Sefra et de Béchar, j’eus l’occasion de jeter un coup d’œil par dessus l’épaule de la fille aînée de Jacky, Armelle – alias « La grande sauterelle »–, qui tenait une sorte de carnet de croquis de notre voyage. Ses personnages étaient semblables à ceux des peintures du Tassili – réduits à quelques traits – et il y avait des bulles, comme dans une BD, pour les paroles qu’ils étaient censés prononcer. Je me reconnus, au premier plan, un mouchoir noué sur la tête et la barbe en bataille, aux côtés de Josée, face à la dune, en train de dire à ma voisine : « Je t’assure, Josée, que j’ai vu un autobus sur la dune ! » (bulle n° 1). Josée, de son côté, coiffée d’un casque colonial, me tendait un objet, en disant : « Tiens, tu veux mes lunettes ? » (bulle n° 2). Je ne pus m’empêcher de rire.
101Après Beni Abbès et la vallée de la Saoura, la route poussait une pointe en direction d’Adrar. L’autobus s’arrêta à l’embranchement, à la demande de Rachid : c’était le point le plus au sud de notre voyage. Un panneau indicateur, en forme de flèche, en bois, portait cette inscription à la peinture noire, sur fond blanc : « Le Cap 6 000 km ». Après la photo de groupe rituelle, avec déclencheur automatique et courses successives des différents opérateurs – au moins un par famille –, on courut après des sortes de billes minérales, que le vent entraînait sur le bord de la route et que Ton appelait « pierres de lune ». La collecte terminée, ces « myriades de temps accumulé »– Mike – se retrouvèrent au fond des sacs à dos, en attendant de rejoindre, tout comme les photos que nous venions de prendre, d’autres billes et d’autres photos, dans les placards et les greniers, où elles avaient été rangées, bien des années auparavant.
102L’étape avait été fatigante – c’était la plus longue du périple – et le soleil était déjà tombé, à notre arrivée à Timimoun. Timimoun la rouge ! Avec ses architectures de boue séchée. Mais aussi, Timimoun la noire : la « Porte de l’Afrique » ! Sauf que, cette porte, nous l’avions prise à rebours : en remontant du sud. Une surprise nous y attendait : c’était le début du ramadan. Le premier soir.
103La nuit était magique et les étoiles semblaient tout à coup si proches, au-dessus des palmiers, qu’on aurait cru qu’on pouvait les toucher. La lune n’était pas encore apparue dans le ciel algérien. Mais quelqu’un l’avait vue, en Egypte ou ailleurs. Et on se pressait dans la petite mosquée de l’oasis d’où irradiait une lumière de crèche et un murmure de prières. Malgré mon aversion – quasiment viscérale – pour les cultes et les religions, je regrettai de ne pas porter une djellaba pour pouvoir me glisser dans cette assemblée de pauvres gens : communier avec eux, peut-être, dans cette ferveur quasi palpable. Il y avait peu de babouches à la porte. Beaucoup marchaient pieds nus.
104Le lendemain, après la visite de la palmeraie – Attention ! Peigne à eau ! Puits à balancier ! Photo ! Cheese ! –, notre petite troupe se dispersa dans l’agglomération – séquence shopping. Je m’arrangeai pour rester seul, en quittant l’allée centrale, où les touristes s’agglutinaient par petits paquets, devant de pauvres échoppes, afin de tenter ma chance dans les rues adjacentes, quasiment désertes. Mike me regarda partir, goguenard, avec mon appareil photo qui pendait à la hauteur de mon estomac -toujours aussi inexplicablement douloureux, depuis la sieste au cauchemar. Bref, j’avais bien l’air de ce que j’étais : un imbécile de touriste. Plus voyeur que curieux. En quête de pittoresque. Mais voilà, Timimoun n’était pas un labyrinthe comme les autres.
105Le quartier où je m’étais engagé était constitué par une série d’impasses parallèles, qui venaient se heurter contre une sorte de long mur, apparemment sans ouverture, et que l’on devait sans doute franchir en passant par les terrasses des maisons. Quoi qu’il en soit, chaque rue – ou presque – fonctionnait comme une nasse. Arrivé au bout, on découvrait qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’en sortir que de revenir en arrière, jusqu’à la grande allée centrale. Ce qui était démoralisant pour quiconque partait à la découverte, en quête de nouveauté, et se retrouvait ainsi invariablement condamné à faire deux fois le même parcours : tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Avec la désagréable impression de déjà vu, que renforçaient encore les alignements monotones des maisons de pisé.
106Cela faisait plusieurs fois que je me faisais piéger, lorsque, à l’entrée de la nouvelle rue qui s’ouvrait devant moi, je tombai sur un groupe de fillettes, qui jouaient, pieds nus, dans la poussière. Soucieux d’éviter un nouveau cul-de-sac, je m’adresse à elles en demandant de la voix et du geste si l’on pouvait tourner à gauche, au bout de la rue. Une gamine un peu plus âgée que les autres – elle avait, tout au plus, une douzaine d’années – se détacha du groupe, sans un mot : sa petite main tendue dans ma direction, paume tournée vers le ciel, s’ouvrait et se refermait, comme les ailes d’un papillon, dans un mouvement significatif. Manifestement, elle m’invitait à la suivre. Au bout de quelques dizaines de mètres, elle s’arrêta et me montra le bout de la rue, en me faisant signe de continuer, puis de tourner à gauche. Et elle rejoignit le groupe, avant même que j’aie pu songer à lui offrir l’un des stylos à bille que j’avais emportés, pour les donner, précisément, à des enfants. J’en conclus qu’il y avait une possibilité de continuer mon chemin, en prenant une voie latérale, que j’espérais – sans trop y croire – pleine de surprises. Et effectivement, parvenu à la hauteur du mur qui barrait le fond de la rue, je vis une sorte de portique qui s’ouvrait, à ma gauche, sur ce qui me sembla être une placette ensoleillée que prolongeait une venelle. Je m’y engageai.
107Il m’est difficile de raconter ce qui se passa ensuite – et pourtant, à ce qu’il me semble, j’ai bien dû raconter la scène des dizaines et des dizaines de fois ! Bref, à peine le seuil franchi, je découvre, à ma droite, un escalier. Et debout, sur les marches, une très belle jeune femme, grande, élancée : drapée dans une longue robe verte. Difficile à croire – je sais –, mais c’est ainsi ! Elle avait dans sa main un objet que je distinguai mal : je n’ai jamais su si c’était un domino ou une carte à jouer miniature. Mais cela ajoutait à la magie de l’apparition. Et l’étonnante absence de voile – dans les oasis, les femmes portent le haïk – ne la rendait que plus troublante et plus énigmatique. Avec mon appareil photo sur l’estomac, je me sentais parfaitement idiot :
108– On peut passer par là ?
109J’accompagnai ma demande d’un geste hésitant de la main. Elle me répondit dans un français sans accent :
110– Oui. C’est ma maison.
111Cloué sur place, j’hésitai un instant avant de bredouiller des excuses et j’eus un mouvement de recul. Elle descendit alors les quelques marches qui nous séparaient et me fit signe d’entrer en souriant. Ce que j’avais pris pour une placette était en fait une sorte de patio. Les escaliers montaient à la terrasse, et une salle basse, quasiment ouverte sur la rue, se prolongeait, dans un renfoncement, en coin cuisine. Un canoun rougeoyait dans la pénombre, où une vieille au regard étrange était assise en tailleur, sur un tapis délavé, apparemment occupée à boire du thé. Je la saluai en m’inclinant, mais elle sembla m’ignorer. La jeune femme me dit qu’elle était aveugle, et un dialogue un peu surréaliste s’engagea entre nous.
112Je m’étonnai d’abord de la qualité de son français et elle m’expliqua qu’elle l’avait appris à l’école, à Timimoun. Le reste de notre échange fut à l’avenant et ne dépassa guère, pour autant qu’il m’en souvienne, le degré zéro des banalités. J’avais du mal à soutenir son regard et l’éclat de ses yeux – étonnamment clairs sous ces latitudes –, où je croyais lire un mélange déconcertant de candeur et d’espièglerie. À l’évidence, mon intrusion et ma gaucherie l’amusaient, mais elle faisait des efforts pour dissiper mon embarras. J’observai que, pendant notre conversation, debout, dans le patio, elle n’avait cessé de jouer avec cet objet que j’avais entrevu dans sa main, lors de son apparition dans l’escalier, et que je ne parvenais toujours pas à identifier. Malgré moi, je ne pus contenir ma curiosité : je lui demandai ce que c’était. Je le regrettai aussitôt. La couleur de ses yeux changea. Elle parut hésiter et me regarda avec une sorte de mélancolie et de gravité juvénile. Puis elle me sourit :
113– Tenez ! Je vous l’offre. Souvenir.
114Et elle me tendit l’objet. Je refusai, gêné. Elle s’approcha alors et le glissa délicatement dans la poche de ma saharienne, que j’avais repliée sur mon bras. Je devinai, plus que je ne sentis, le frôlement de ses doigts sur le tissu. Un bref instant, nos regards s’épousèrent. Il fallait partir. Je posai la main sur mon cœur et la saluai en inclinant le buste, à l’orientale. Elle me rendit mon salut, d’un geste gracieux et je la quittai sans un mot. Plutôt ému.
115Lorsque je sortis de la maison, rempli d’un inexplicable désarroi – mais habité, aussi, par une sourde excitation –, les enfants n’étaient plus là. Peu de temps après, je retrouvai la grande allée centrale et décidai de regagner l’hôtel.
116Je n’avais pas fait vingt mètres quand je m’entendis appeler par mon nom : c’était Nicky, qui me faisait de grands gestes. Toutes les femmes du groupe étaient là, autour de l’échoppe d’un potier. Les hommes avaient dû aller chercher un endroit pour se rafraîchir et les jeunes, comme à leur habitude, devaient être rentrés à l’hôtel pour profiter de la piscine. C’est donc à un auditoire de femmes que je racontai, encore sous le coup de l’émotion, la scène que je venais de vivre, à quelques pas de là.
117– Tu vas voir qu’il va finir par remplacer Mike, avec ses histoires.
118Leurs yeux brillaient de curiosité. Et très vite, une pointe d’amusement s’alluma dans leurs regards : le piquant de la situation ne leur avait pas échappé, et elles savouraient pleinement tous les détails de mon récit qui ne laissait que trop transparaître mes fragilités masculines. Elles en étaient manifestement ravies et trouvèrent mon histoire charmante, qui les confortait dans leur statut de femme souveraine. Celles dont on dit qu’elles obtiennent tout ce qu’elle désirent, d’un simple battement de cil :
119– On dirait un conte des Mille et une nuits !
120– Tu es sûr que t’en as pas rajouté ?
121En réalité, j’en avais plutôt retranché, conscient du caractère invraisemblable de cette rencontre qui demeurait encore, pour moi, énigmatique : avait-elle seulement eu lieu ? Avait-elle seulement un sens ? Je ne tardai pas à avoir une réponse.
122De retour de la buvette, le groupe des hommes venait de nous rejoindre et on s’acheminait ensemble vers l’hôtel : les femmes devant, et les hommes derrière, à quelques pas. Bien entendu, il m’avait fallu reprendre mon histoire, pour ce nouvel auditoire, exclusivement masculin, cette fois, mais non moins curieux et intrigué que le précédent. Et il se passa cette chose étrange : au fur et à mesure que je racontais ma rencontre, celle-ci devenait tout à coup différente. Semblait changer de sens. Peut-être avais-je choisi d’autres mots ? D’autres expressions, plus propres à un auditoire masculin ? Ou peut-être avais-je lu dans le regard ou les réactions de mes amis les signes avant coureurs d’une interprétation ? Le fait est que, très vite, j’eus la conviction que ma rencontre romantique avec une jeune Arabe aux yeux clairs avait toutes chances de cacher autre chose de beaucoup moins innocent. Timimoun n’était pas seulement une oasis, au clair de lune du ramadan. C’était aussi une ville de garnison. Il fallait donc qu’il y eût quelques filles à soldat. Et la belle inconnue devait en faire partie. Et la fillette. Et la vieille femme aussi : trio classique !
123– Putain de bordel ! Qu’est-ce que tu croyais ?
124Le soir, une fois encore, autour de la table – et même chez les jeunes, à la table à côté –, je fis les frais de la conversation. Tout le monde se rallia, à peu près, à la version masculine et triviale de l’histoire. Sauf Rachid – qui refusa de se prononcer – et Gaga qui zozota :
125– Moi z-y crois pas. Elle est trop belle ton histoire. Garde-la comme ça.
126(À suivre)
127« Le Moulin », octobre/novembre 2008
Auteur
Université de Toulouse
FRAMESPA – UMR 5136 CNRS
LEMSO
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mine claire
Des paysages, des techniques et des hommes. Les techniques de préparations des minerais de fer en Franche-Comté, 1500-1850
Hélène Morin-Hamon
2013
Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution
Michel Taillefer
2014
« Rapprocher l’école et la vie » ?
Une histoire des réformes de l’enseignement en Russie soviétique (1918-1964)
Laurent Coumel
2014
Les imprimeurs-libraires toulousains et leur production au XVIIIe siècle (1739-1788)
Claudine Adam
2015
Sedes Sapientiae
Vierges noires, culte marial et pèlerinages en France méridionale
Sophie Brouquet (dir.)
2016
Dissidences en Occident des débuts du christianisme au XXe siècle
Le religieux et le politique
Jean-Pierre Albert, Anne Brenon et Pilar Jiménez (dir.)
2015
Huit ans de République en Espagne
Entre réforme, guerre et révolution (1931-1939)
Jean-Pierre Almaric, Geneviève Dreyfus-Armand et Bruno Vargas (dir.)
2017