De l’Arrêt mémorable de Coras (1561) à l’Histoire tragique (1613) de Ségla
L’invention de la chronique criminelle1
p. 423-452
Texte intégral
1Les praticiens du droit connaissent et utilisent quotidiennement les recueils de jurisprudence, c’est-à-dire les ouvrages qui recensent « les arrêts conformes sur une même question de droit » rendus en général par les juridictions supérieures : un exercice indispensable pour bâtir une argumentation susceptible de convaincre un juge. Cependant, sous l’empire de l’ancien droit, il était délicat parce que les arrêts rendus n’étaient pas motivés pour protéger le secret du délibéré des juges2. Cette curieuse situation au regard de notre conception moderne de la justice résultait d’une série d’ordonnances royales prises dès le XIVe siècle, plusieurs fois réitérées, notamment en 1498, et renforcées par des arrêts de règlement. Ainsi à Toulouse, depuis 1505, l’entrée de quiconque au greffe et aux salles d’audience pendant le délibéré était interdite et les justiciables étaient même écartés du prononcé du jugement en principe public, les procureurs n’étant pas convoqués ; ils recevaient le jugement des mains du greffier3. Le développement de la vénalité a certainement renforcé ce réflexe de corps auquel les magistrats des parlements étaient attachés et qui leur donnait un pouvoir pratiquement sans contrôle sur l’énonciation du droit, c’est-à-dire sur l’interprétation des coutumes, des lois romaines dans les pays de droit écrit et les lois du roi. Pourtant, la divulgation des « arrêts notables » qui pouvaient servir de précédents dans une application rationnelle des sources juridiques aux faits jugés était inévitable. Elle s’est opérée dès le bas Moyen Âge et surtout, grâce à l’imprimerie, au cours du XVIe siècle sur la base d’une littérature connue sous le nom d’arrestographie et dont les auteurs ne pouvaient être que des initiés, avocats et magistrats de cours souveraines4. Les premiers arrêtistes collectionnaient les arrêts à titre privé et leurs recueils furent imprimés après leur mort. C’est ainsi que les parlements de Grenoble, Paris, Bordeaux ont eu leurs premières collections d’arrêts notables dans la première moitié du XVIe siècle. Dans ce mouvement, le parlement de Toulouse accuse un réel retard ; il semble qu’il y ait eu de la part des magistrats toulousains une réticence à dévoiler leur jurisprudence. Aussi, la parution en 1561, chez Antoine Vincent, à Lyon, de l’Arrest mémorable du Parlement de Tholose est d’une certaine manière une première. Sans doute, ne s’agit-il pas d’un recueil proprement dit, mais de la relation et du commentaire d’une seule cause, celle du faux Martin Guerre. L’information des juristes n’est pas l’intention première de l’auteur qui vise un public plus large. Il n’en demeure pas moins que Jean de Coras se présente expressément en sa qualité de « conseiller en la cour et rapporteur du procès » et que son texte dévoile les éléments de la cause qui ont emporté la décision des juges de la Tournelle. On peut noter aussi qu’il a pris l’initiative de publier son récit sans solliciter l’accord de ses collègues, ni même sans se placer sous la protection du premier président ou d’une quelconque autre autorité, comme c’était souvent l’usage pour les recueils d’arrêts. D’une certaine manière, l’ouvrage de Coras est une transgression délibérée d’une sorte d’interdit implicite qui pesait à Toulouse sur ľarrestographie. Il est certain que Coras collectionnait lui aussi les arrêts notables puisqu’il fut le réel auteur d’un recueil édité en 1599, soit près de 30 ans après sa mort, mais qu’il avait eu l’intention de publier lui-même5. Si les guerres de religion n’avaient pas changé le cours de sa vie, Jean de Coras, aurait été probablement le premier arrêtiste du parlement de Toulouse.
2Comme l’a brillamment analysé N.Z. Davis, l’Arrest mémorable est « un livre neuf tant par la pluralité des points de vue que par le mélange des genres »6. La matière du récit est clairement constituée par le rapport que le conseiller a présenté à ses collègues, les juges de la chambre de la Tournelle, et il est nourri des pièces du premier procès de la jugerie de Rieux ainsi que des interrogatoires et des confrontations réalisés au cours de la procédure d’appel devant le parlement. Le récit est entrecoupé d’une centaine d’annotations qui développent les questions les plus diverses à grand renfort de références savantes tirées de la culture humaniste, les points de droit n’occupant qu’une partie assez réduite de l’ensemble. Coras a conçu son ouvrage comme une « tragi-comédie », dans laquelle il s’implique lui-même puisqu’il en fut un acteur essentiel dans son rôle de rapporteur. Ses lecteurs peuvent vivre de l’intérieur un procès criminel hors du commun, même si, comme le montre bien N.Z. Davis, l’art du conteur prend quelques libertés avec la stricte réalité des faits. La nouveauté se situe plus précisément dans la possibilité qui leur est offerte de pénétrer dans la conscience du juge, de partager ses doutes, ses interrogations, ses étonnements, voire son admiration pour les exceptionnels talents d’Arnaud du Thil, l’imposteur de génie.
3Une telle audace est-elle restée singulière à l’image de son auteur qui a payé d’une fin tragique des prises de position religieuses et politiques à contre-courant du milieu parlementaire toulousain ? La question méritait d’être posée pour répondre aux sollicitations lancées autour du présent numéro spécial des Annales du Midi.
4L’Arrest mémorable a eu un demi-siècle plus tard une postérité dans un ouvrage intitulé Histoire tragique et arrêts de la cour de parlement de Tholose, qui fut publié à Paris, chez le libraire La Caille en 16137. L’auteur en est un magistrat du parlement de Toulouse, Guillaume de Ségla, Le livre contient le récit d’une affaire criminelle qui quelques années plus tôt, en 1608-1609, avait suscité dans la capitale du Languedoc et au-delà une émotion exceptionnelle. Dans sa composition, il est manifestement démarqué de celui de Coras. Le récit de l’affaire qui occupe 76 pages est composé sur la base de la connaissance personnelle de l’auteur en qualité d’assesseur puis de rapporteur de la cause ; il est accompagné de 131 annotations qui, à la différence de l’ouvrage de Coras, ne sont pas insérées dans le récit mais regroupées à sa suite sur plus de 300 pages. Ces annotations concernent les questions les plus diverses dans lesquelles les points de droit tiennent une place minoritaire ; elles sont illustrées d’innombrables citations empruntées comme chez Coras au fonds commun de la culture humaniste : la littérature gréco-latine, philosophes, rhéteurs, historiens et poètes mêlés, ainsi que les Écritures et la patristique. L’érudition de Guillaume de Ségla est plus pesante que celle de Jean de Coras mais elle est puisée aux mêmes sources.
5Entre Guillaume de Ségla et son modèle, il y a près de deux générations d’écart. Il est né dans les années 1560 d’une famille de marchands originaire de Noé, petite cité du Comminges8. Établi à Toulouse, son père Arnaud fut capitoul en 1566. Guillaume a fait probablement ses études de droit à Toulouse et il a acheté en 1594 une charge de conseiller à la chambre des Enquêtes où il fera toute sa carrière et qu’il présidera en 1618 jusqu’à sa mort en 16219. Il avait aussi acquis la seigneurie de Cairas (ou Cheilas) et obtenu la noblesse personnelle par son élévation au rang de conseiller d’État en 161910.
6Dans son ouvrage, Ségla met en scène une affaire criminelle certainement hors du commun ; une histoire d’amour et de mort aux personnages et aux situations très romanesques et dont on peut résumer la trame de la manière suivante11.
7Dans les premières années du XVIIe siècle, une famille portugaise s’était installée à Toulouse. Le père, Antoine Vaz Castelo (transposé en Batz du Chasteau) avait deux fils et trois filles12. Pierre exerçait la profession de médecin et s’était fait rapidement une clientèle de qualité, tandis que son frère, Manuel était clerc après des études de théologie13. L’aînée des filles, prénommée Violante, avait été mariée très jeune à un Espagnol qui l’avait laissée veuve assez vite. Belle et vive d’esprit, la jeune veuve menait une vie très libre, plus ou moins en rupture avec sa propre famille. Ses qualités lui avaient attiré une cour d’admirateurs assidus, auxquels elle prodiguait volontiers ses faveurs. Parmi ses familiers, un conseiller au sénéchal dénommé François Gairaud14 et un religieux de l’ordre des Augustins, Pierre Arrias Burdeus, natif de Grenade et docteur régent de théologie à l’université de Toulouse. La belle Violante ne dédaignait pas les jeunes gens moins huppés, comme l’« escolier » Antoine Candolas, élève de Burdeus ou encore François Esbaldit, fermier d’un greffe du sénéchal. Tous ces amants se connaissaient et étaient en bonne intelligence. Le plus âgé Gairaud avait décidé d’établir sa protégée en lui trouvant un nouveau mari. L’élu fut un avocat quinquagénaire installé dans la ville de Gimont, veuf lui aussi : Pierre Romain15. Le contrat de mariage entre l’avocat et Violante fut passé le 1er mai 1608 chez Esbaldit en présence du magistrat et de plusieurs autres témoins et le couple partit s’installer à Gimont, à huit lieues de Toulouse, probablement au grand dam du cercle des admirateurs de la belle Portugaise, car le mari s’avéra fort jaloux16.
8Au début du mois de juillet 1608, Pierre Romain vint à Toulouse pour ses affaires et le conseiller Gairaud lui offrit l’hospitalité. Au soir du 8 juillet, après souper, l’avocat et son hôte sortirent faire une promenade vespérale en compagnie du fils du conseiller, de Candolas et d’autres jeunes gens. C’est au retour, dans une partie déserte de la ville que la petite compagnie fut attaquée par trois spadassins qui se jetèrent sur Romain en le perçant de plusieurs coups de poignard. Gairaud se réfugia dans sa maison et fit prévenir le capitoul du quartier qui vint relever le corps et faire les premières constatations. À l’autre bout de la ville, une patrouille du guet arrêtait Esbaldit « effrayé et hors d’haleine », mais comme il n’avait point d’arme sur lui, il fut élargi le lendemain.
9La justice criminelle des capitouls ouvrit une information « pour excès » à la requête du conseiller Gairaud qui obtint même l’autorisation de faire publier un monitoire, c’est-à-dire un appel public à témoins. Une information fut ouverte également à Gimont à la requête des enfants de la victime, issus d’un premier lit.
10De méchantes rumeurs commençaient à circuler à l’encontre de la belle Violante et du cercle de ses admirateurs ; les capitouls décrétèrent contre elle et contre Esbaldit, Burdeus et Candolas une prise de corps. Mais ces deux derniers ayant appris l’arrestation de Violante avaient quitté Toulouse pour entamer un parcours erratique qui les mena par Tonneins, Cahors et Rodez jusqu’à Nîmes où ils se placèrent sous la protection du consistoire de l’Église réformée. Puis Burdeus non seulement quitta son habit, mais abjura publiquement le catholicisme et se fit huguenot en compagnie de son étudiant Candolas.
11À Toulouse, la justice des capitouls poursuivant son enquête avait enjoint à comparaître le conseiller Gairaud pour l’entendre ; celui-ci ayant décliné la compétence des juges municipaux, le parlement de Toulouse en profita pour évoquer l’affaire. Le magistrat fut assigné à résidence et un décret de prise de corps fut immédiatement lancé contre Burdeus et Candolas, un prévôt royal étant chargé de les ramener à Toulouse, mais il se heurta au pourvoi que les deux nouveaux convertis avaient introduit auprès de la chambre mi-partie de Castres, qui depuis l’édit de 1579 jugeait les causes civiles et criminelles des protestants du Languedoc17. Une bataille de procédure s’ensuivit : la partie catholique était d’avis de renvoyer l’affaire au parlement, les officiers protestants voulaient la retenir. Le premier président Nicolas de Verdun la déféra au Conseil d’État qui le 4 novembre 1608 renvoya Burdeus et Candolas rejoindre les autres prévenus devant le parlement de Toulouse.
12L’Histoire Tragique de Guillaume de Ségla est certainement plus complexe que celle de l’Arrest mémorable, tant par le nombre des personnages en cause que par la diversité des péripéties et des milieux concernés ; urbain d’un côté, villageois de l’autre, mais on y trouve des similitudes : une ouverture vers d’autres mondes : le Portugal, l’Espagne ou le Pays Basque ; le même arrière-plan des conflits religieux qui marquent encore l’époque. Mais le rapprochement que nous tentons ici est destiné à montrer l’originalité commune de ces deux ouvrages. Le livre de Ségla transgresse lui aussi l’interdiction de révéler le délibéré des juges, surtout dans les affaires criminelles. Tout au long du récit et des annotations, l’auteur exprime son opinion et argumente de façon très personnelle, en utilisant le style direct – « j’opinois, je remontrais, je concluois » –, ce que ne faisait pas Jean de Coras. Sans doute, a-t-il pris soin d’obtenir l’accord de l’institution judiciaire grâce à une lettre en latin du premier président Nicolas de Verdun lui-même, dans laquelle celui-ci déclare l’avoir encouragé à transmettre cette histoire à la postérité pour détourner les méchants de commettre de semblables crimes et célébrer la sagesse, l’intégrité et la constance des juges toulousains18. Sous la mise en scène volontairement romanesque du récit et l’amoncellement des citations érudites, il est possible de trouver un témoignage sur la manière dont, au début du XVIIe siècle, un officier de justice abordait une affaire criminelle et tentait de résoudre la redoutable question de la culpabilité.
13Pour mieux saisir l’aspect exceptionnel de ce témoignage, il convient de rappeler que les protagonistes de l’assassinat de Pierre Romain furent jugés selon la « voie extraordinaire » destinée à réprimer les crimes « atroces » ou capitaux, par opposition à la voie ordinaire de type accusatoire qui s’appliquait au « petit criminel ». Cette procédure inquisitoire d’origine romano-canonique donnait aux juges des moyens d’action considérables pour établir le « corps du délit », c’est-à-dire l’existence et la nature du forfait, pour en rechercher le ou les auteurs et obtenir leurs aveux ou à défaut les preuves de leur culpabilité19. L’extraordinaire n’était pas dépourvu de règles établies mais celles-ci avaient été définies moins par des normes légiférées que par « l’opinion commune des docteurs », autrement dit la doctrine pénaliste. Ainsi, pour prononcer une condamnation le juge devait respecter une « théorie des preuves légales » qui reposait sur une comptabilité subtile et une hiérarchie complexe entre l’aveu – probatio plena –, les témoignages et les indices. De même, pour fixer la sanction à infliger au condamné, les cours pratiquaient un « arbitraire réglé », expression qu’il faut entendre comme permettant de choisir la peine avec une certaine latitude, encadrée par des principes doctrinaux reconnus et considérés comme raisonnables. L’objectif, constamment rappelé par les auteurs, était d’empêcher les juges de se laisser guider par leur intime conviction20.
14La caractéristique essentielle de cette voie extraordinaire était le secret de l’instruction et du délibéré. Toute la procédure criminelle se déroulait donc à huis clos, ce qui avait conduit à priver les prévenus de l’assistance d’avocats. Le secret avait été imposé en 1498 par l’ordonnance de Blois sur la réformation de la justice puis l’ordonnance de Villers-Cotterets, préparée par le chancelier Poyet, avait supprimé, en 1539, le ministère de conseil (art. 162) : « En matières criminelles, ne seront les parties aucunement ouïes par conseil ni ministère d’aucune personne, mais répondront par leur bouche des cas dont ils sont accusés »21. Dans le procès à l’extraordinaire, les prévenus n’étaient pas dépourvus de droits et de garanties, mais leur mise en œuvre reposait essentiellement sur les épaules du juge, sur sa prudence, sa loyauté et sa science22.
15La rigueur du secret et l’interdit sur le ministère d’avocat se sont certainement atténués à la fin du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle, malgré des dispositions réitérées dans l’ordonnance criminelle de 1670. La fameuse pratique des factums, empruntée à la procédure civile, a commencé à se répandre. Des avocats se sont mis à exposer publiquement dans des mémoires imprimés les moyens de défense de leurs clients emprisonnés, allant jusqu’à convoquer les juges au « tribunal de la Nation »23. Mais cette situation qui a nourri au XVIIIe siècle la littérature des Causes célèbres, et qui fournit aujourd’hui aux historiens du phénomène criminel une riche matière, est relativement tardive24. Pour le XVIe siècle et le premier XVIIe, on ne trouve pas encore ce type de sources. On l’aura compris, l’ouvrage de Guillaume de Ségla, comme celui de Jean Coras sont des documents tout à fait exceptionnels et, à notre connaissance, sans équivalents pour l’époque parce qu’ils émanent de deux magistrats qui furent directement impliqués dans les affaires criminelles qu’ils ont relatées. C’est donc une sorte de plongée dans la conscience du juge que nous offre leurs ouvrages25. Pour l’affaire de la belle Violante, nous allons la suivre en examinant le sort de chaque prévenu, pris les uns après les autres26.
Burdeus, le moine dévoyé
16Le procès du religieux augustin, Pierre Arrias Burdeus s’ouvrit le 27 novembre 1608, le lendemain de son transfert de Castres à la conciergerie du palais de Toulouse. Un conseiller de la grand’chambre fut commis comme rapporteur et Guillaume de Ségla fut désigné pour l’assister au titre de la chambre des enquêtes, en compagnie d’un conseiller clerc en raison de la qualité du prévenu. Ces magistrats commencèrent par procéder à son premier interrogatoire puis aux confrontations avec les autres suspects déjà arrêtés, l’écolier Candolas, le « praticien » Esbaldit et Violante du Chasteau, la veuve de la victime. Seul le magistrat Gairaud qui était seulement assigné à résidence et « sur lequel on avoit moins de soupçon » ne fut pas confronté au moine. Les magistrats procédèrent ensuite au récolement, c’est-à-dire à la lecture au prévenu des témoignages et des constatations recueillies précédemment par la justice des Capitouls et les greffiers enregistrèrent les « reproches », les réponses et les observations, émises par le prévenu27.
17Moins d’un mois plus tard, quelques jours avant Noël, le procès était en l’état et « mis sur le bureau devant Messieurs de la Grand’Chambre et de la Tournelle, au rapport d’un des Sieurs d’Icelle ». Il faut noter que dans les affaires concernant des privilégiés, nobles ou clercs, le style du parlement de Toulouse imposait que la chambre criminelle de la Tournelle, normalement compétente, soit élargie à des conseillers de la grand’chambre ; au total la formation de jugement devait compter vingt membres28.
18Devant cette cour, l’ensemble du dossier, procès-verbaux d’interrogatoires et de confrontations, enquêtes, reproches à témoins, pièces, lettres et documents saisis furent présentés et commentés par le conseiller rapporteur et en dehors de la présence du prévenu. Puis Burdeus fut introduit pour un dernier interrogatoire « sur la sellette ». Face à ses juges, le religieux persista dans ses dénégations « sans vouloir rien confesser » et après trois vacations successives, « on recogneut qu’il y avoit bien peu de preuve ». Le premier président de Verdun suspendit le procès et prit la décision de faire procéder à des compléments d’information en envoyant des dépêches jusqu’en Espagne, pays d’origine du prévenu. Dans une annotation, Ségla loue la prudence du chef de cour et laisse entendre qu’il prit personnellement en charge les frais de ce supplément d’enquête29. Celle-ci permit de recueillir quelques nouvelles pièces et de leur côté « les demandeurs en excès », le fils et la fille de Pierre Romain fournirent quelques nouveaux témoins.
19Au début du mois de février 1609, le procès de Burdeus était à nouveau « sur le bureau » et le prévenu « sur la sellette » persistait en ses dénégations. Le récit de Guillaume de Ségla fait alors, non seulement l’inventaire des charges recueillies contre le prévenu et les réponses qu’il fournissait, mais il révèle aussi les différentes appréciations portées par les juges eux-mêmes et les difficultés sur lesquelles ils ont confronté leurs opinions. On pénètre avec lui au cœur d’une délibération judiciaire.
20Un problème de compétence fut rapidement réglé. Burdeus demandait son renvoi devant le juge d’Église en raison de son statut. Messieurs les conseillers clercs le lui refusèrent non seulement parce que la nature des crimes poursuivis en faisait des « cas privilégiés » de la compétence exclusive des juridictions royales, mais aussi du fait qu’il avait quitté son habit au cours de son séjour en pays protestant. Dans ses annotations, Ségla ne se prive pas d’une savante dissertation de plus de dix pages sur l’histoire et la réglementation du privilège du for30.
21Les juges concentrèrent ensuite leur attention sur les chefs d’incrimination à retenir : « L’opinion de la condemnation de Burdeus estoit fondée sur plusieurs considérations ». La première portait sur les « malversations », entendons les relations illicites que le moine entretenait depuis quatre ou cinq ans avec Violante de Batz du Chasteau. Plusieurs témoins rapportaient qu’il fréquentait assidûment la jeune femme, tant à la maison de son père à Toulouse que dans les couvents où elle avait été logée. « Pour se voir plus aisément, ils abusoient du nom de parenté, l’appellant il sa nièpce ou sa cousine et elle son oncle ou cousin, de quoy y avoit quatre tesmoins »31. Plus compromettant, il y avait ces témoins singuliers – c’est-à-dire uniques – qui les avaient vus ensemble et jusqu’à la nuit tombée, dans des jardins retirés des faubourgs de la ville, où, comme le note gaillardement Ségla, « ils n’étoient pas venus là pour révérer les aulx et oignons et autres herbes, à la façon des Égyptiens, mais bien plutôt pour célébrer floralie »32. Il y avait aussi cette lettre en espagnol, saisie chez Violante et que Burdeus reconnaissait avoir écrite, « en laquelle, il la nommoit mon âme et mon soleil et rendoit témoignage de son imp.udicité ». Manifestement le docteur régent en théologie « faisoit le contraire de ce qu’il enseignoit ». Plus grave encore : deux témoignages l’accusaient de malversations dans un lieu sacré, en l’espèce un confessionnal de l’église Saint-Jacques, ce qui pouvait le convaincre, non seulement de sacrilège mais aussi d’inceste spirituel, des crimes considérés comme capitaux33.
22Le deuxième faisceau de témoignages et d’indices que la cour avait à examiner concernait la fuite de Burdeus quelques jours après le crime, son voyage à l’itinéraire compliqué, comme pour déjouer des poursuites, jusqu’à Nîmes, où ayant quitté l’habit religieux, il aurait fait profession publique de la « Religion prétendue réformée » au consistoire de cette ville. On trouvait curieux qu’« estant docteur régent en une des plus célèbres universités de l’Europe, qui luy valoit mil livres de revenu tous les ans », il ait quitté une position si enviable. Puis une fois retrouvé par le prévôt royal, commis à sa recherche, il avait demandé à comparaître devant la chambre mi-partie de Castres en déclinant la compétence du Parlement de Toulouse. Cet apostat devait en avoir lourd sur la conscience pour agir ainsi.
23À ces charges développées par le conseiller rapporteur et admises par une partie des juges, le prévenu apportait des réponses précises que Guillaume de Ségla énumère dans son récit et dans les annotations qui l’accompagnent. Le ton qu’il emploie pour en rendre compte se fait plus personnel, comme si le magistrat prenait la défense du moine défroqué. Ainsi, à propos de l’incrimination pour inceste spirituel, voici ce qu’il écrit :
Mais il n’y avoit pas manque de réponses à toutes ces considérations : et je répondis que j’accordois la malversation, mais non pas au confessionnal, par ce que les deux tesmoins ne nommaient point Violante, ains disoient qu’à l’entrée de la chappelle où estoit le confessionnal y avoit une fille de chambre, et une autre chambrière : ce qui ostoit le soupçon et présomption de malversation34,
autrement dit la présence de Violante n’était pas expressément prouvée.
24Quant à son départ, « comment le pouvoit-on appeler fuitte, ayant couché six jours dans Tholose après ledit meurtre ». Burdeus expliquait qu’il avait cherché à se retirer d’un couvent où il était en conflit avec les autres moines qui le menaçaient parce qu’il avait tenté de les réformer et qui lui avaient dérobé une partie de ses livres. En plus, « un danger de contagion » l’avait décidé à partir, en se faisant accompagner de son élève Candolas ; quelques témoins, dont un père jésuite, paraissaient confirmer ses dires. S’il s’était fait de la R.P.R., ce n’était que du bout des lèvres et pour se protéger de ses ennemis, mais sa véritable intention était de « pouvoir estre principal et régent en théologie à Nismes sans changer de religion en lesdits collèges et régence de fondation royale ». Enfin, lorsqu’il avait appris du prévôt qui le recherchait les très graves soupçons qui pesaient sur lui, il avait formé son déclinatoire en la chambre de Castres et « il accordoit s’en estre servi pour gagner du temps et faire couler la séance et juridiction de la Chambre des vaccations, par laquelle on lui conseilloit de ne point se faire juger, redoutant la sévérité d’icelle »35. Mais pour l’assassinat de l’avocat, le prévenu restait inébranlable : il n’avait ni de près ni de loin trempé dans l’affaire, aucun témoin n’attestait de sa présence sur les lieux du crime et rien ne démontrait une quelconque participation à un hypothétique complot. Aucune incrimination capitale ne pouvait être décrétée contre Burdeus, et c’est l’opinion de Guillaume de Ségla qui l’exprime de façon lapidaire : « Bref, je remonstrois qu’en ce qui concernoit le meurtre, il n’y avoit aucune preuve que Burdeus y trempast, ny par tésmoins, ny par actes, ny par indices indubitables, et pour la malversation, il ne méritoit point la mort »36. Dans ses annotations, le magistrat explique que les relations du religieux et de la belle Violante, aussi déplorables qu’elles fussent, relevaient de la discipline et des censures ecclésiastiques ; comme aussi son apostasie et les relations qu’il avait nouées avec les pasteurs de l’Église réformée de Nîmes. Guillaume de Ségla rappelle très clairement que : « par les Esdits de nostre Roy, il n’y escheoit punition pour ce regard et y a liberté de conscience en ce royaume »37. Toutefois, l’auteur ne se prive pas dans une courte annotation de souligner « combien l’introduction d’une nouvelle religion est dangereuse », en invoquant les magistrats romains qui avaient la charge de l’empêcher, « la raison est parce que de là viennent les conspirations et révolte qu’on fait contre les Princes et contre l’État »38. Pointe d’anti-protestantisme dans un parlement connu pour son attachement au catholicisme.
25On est frappé par le soin méticuleux avec lequel le conseiller pèse les éléments à charge et à décharge du dossier. C’est exactement le travail que l’on attend du rapporteur désigné par la cour. Rappelons que dans ce premier procès, Ségla n’était pas rapporteur en titre mais l’assesseur. Sa connaissance de l’affaire n’en était pas moins complète et il a certainement exprimé devant ses collègues les doutes que lui inspirait la culpabilité du moine augustin.
26Un demi-siècle plus tôt, Jean de Coras s’était trouvé dans le même état d’esprit lorsqu’il eut à rapporter dans la cause de Martin Guerre. Son récit, de la même manière que celui de Ségla, passe au crible les très nombreux témoignages réunis sur les faits et gestes de celui qui se disait le mari de Bertrande de Rols de retour au pays après huit ans d’absence. Il pèse les déclarations contradictoires des protagonistes du conflit familial et à plusieurs reprises, il souligne la « perplexité » dans laquelle lui-même et la cour se trouvaient plongés et la grande difficulté de se prononcer sur la culpabilité d’un prévenu qui avait réponse à tout avec un aplomb inébranlable39. La procédure inquisitoire offrait une ultime voie : la mise à la question. Pour sa part, Coras ne l’évoque pas formellement, et les circonstances qui ont brusquement fait basculer le cours des choses l’ont rendu inutile. Dans le procès de Burdeus, c’est cette redoutable procédure qui a été mise en œuvre dans des conditions qui méritent d’être examinées de près.
La torture judiciaire à l’œuvre
27La torture judiciaire ou question avait été réintroduite aux XIIe et XIIIe siècles dans le cadre de l’essor de la procédure inquisitoire et sous l’influence de la renaissance du droit romain qui la pratiquait. On la rencontre dans nombre de coutumes méridionales ; elle fait l’objet des commentaires savants des docteurs et elle se répand dans les cours laïques où elle est utilisée dans les causes criminelles pour obtenir une probatio plena, une preuve pleine, c’est-à-dire l’aveu du prévenu qui ne s’était pas spontanément confessé40. Toutefois, le recours à la question n’est pas systématique et le parlement de Paris s’emploie au XIVe siècle à encadrer son usage dans les cours subalternes comme en son sein, sur la base des réflexions doctrinales des docteurs. La question ne peut être appliquée que pour les « crimes atroces » emportant condamnation à mort et à la condition qu’il existe des présomptions « véhémentes » de culpabilité. La torture judiciaire est donc à la fin du Moyen Âge un rouage important de la voie criminelle dite « à l’extraordinaire » et sa pratique a été consacrée dans le droit royal par une suite d’articles de l’Ordonnance de Blois sur la réformation de la justice de 1498. Les dispositions en sont simples et précises : la question ne peut être ordonnée que par un jugement interlocutoire pris secrètement en la chambre du conseil (art. 112) ; elle est exécutée sans délai en présence d’un juge commissaire et d’un greffier chargé de noter le déroulement de l’épreuve et les éventuels aveux du prévenu (art. 113) qui devront être réitérés librement le lendemain, hors de la salle de torture. Si le prévenu refuse de renouveler ses aveux, il ne peut être remis à la question, sans qu’il y ait de nouveaux indices (art. 114). Telle quelle, cette procédure a été confirmée par l’ordonnance de Villers-Cotterets de 1539 (art. 163-164) et s’appliquait ainsi dans toutes les juridictions criminelles du royaume au début du XVIIe siècle.
28Qualifiée par l’usage des tribunaux de « question préparatoire », cette épreuve était infligée avant le jugement définitif et devait conduire les juges à absoudre le prévenu si celui-ci persistait dans ses dénégations et si les preuves rassemblées contre lui s’avéraient insuffisantes. Cependant, une autre pratique s’est également répandue : les juges ont pris l’habitude d’assortir les condamnations définitives à la peine capitale d’une question dite « préalable », dans le but de révéler d’éventuelles complicités. Le condamné convaincu du crime qui lui était reproché était, avant son exécution, soumis à la torture pour lui faire dénoncer ses complices. La distinction entre question préparatoire et question préalable ne sera clairement établie que dans l’ordonnance criminelle de 167041. Elle n’en était pas moins avant cette date et restera après une source de confusion et de manipulations, comme nous allons le voir.
29De façon générale, quelques éléments de comparaison entre Toulouse et d’autres cours réunis par L. Silverman montrent que la question a été mise en œuvre moins systématiquement qu’on ne le pense et que sa pratique a eu tendance à décroître au fil du temps. Si le parlement de Bordeaux la prononce dans une affaire criminelle sur quatre et celui de Paris dans une sur six au XVIe siècle, le rapport tombe à 1 sur 8 à Rennes au XVIIe siècle et le conseil souverain de Roussillon42 ne l’a appliquée que 69 fois au cours de son existence de 1660 à 1790 ; selon les sondages décennaux réalisés pour Toulouse, le parlement n’a pas été plus répressif que ses voisins43.
30Mieux que les données statistiques, c’est l’opinion des hommes sur l’institution et sur son fonctionnement qui nous intéresse. L’ouvrage de Guillaume de Ségla est à cet égard très révélateur. Plusieurs de ses annotations expriment des critiques voire un malaise :
Pourquoy loüe-on l’invention des géhennes et des questions ? N’est-ce pas plustot une espreuve de cruauté que de certitude, un essay de patience que vérité ? N’est-ce pas une injustice et cruauté de tourmenter et rompre des hommes de la faute desquels on doute encore. Loin de les tuer sans subject, l’on leur faict pâtir chose pire que la mort. S’ils sont trouvez innocens et supportent les tourmens de la géhenne, quelle raison sera-il faicte de44 cette peine injuste ?
31On reconnaît, au moins dans la première phrase, l’écho de la célèbre diatribe contre la torture au chapitre « De la conscience » du second livre des Essais45. Pour une fois, notre magistrat toulousain ne cite pas sa source, mais l’esprit de son texte est très proche de celui de Montaigne. Pour sa part, Ségla ajoute quelques commentaires de son cru : si les Romains connaissaient la torture, elle n’était infligée qu’aux esclaves et exceptionnellement aux hommes libres. Comme à son habitude, il emprunte des illustrations aux auteurs antiques, Tacite, Tite-Live, Cicéron et il cite Ulpien qui a qualifié la torture de res fragilis et periculosa ou encore cette opinion selon laquelle : « les Ægyptiens endurent si patiemment les tourmens qu’ils meurent plutost sur la question rompus et gênez que de confesser ou découvrir la vérité ». Toutefois, un peu plus loin, Ségla rappelle que la question a été introduite par les jurisconsultes pour découvrir la vérité, qu’Aristote l’a mise parmi les preuves et que saint Augustin a dit qu’elle est nécessaire à la société humaine ; le juge qui la prononce ne le fait pas par volonté de nuire mais par l’obligation de remplir son office. On perçoit une répugnance réelle à utiliser un moyen qu’il réprouve, tout en admettant sa nécessité.
32Une telle attitude est remarquable et assez exceptionnelle pour l’époque, car en dehors de Montaigne, on peine à trouver des opinions similaires dans la littérature juridique. Ainsi, Pierre Ayrault qui dans son ouvrage consacré à L’Ordre, formalité et instruction judiciaire, dresse une sévère critique du secret et du pouvoir exorbitant du juge instructeur dans la procédure extraordinaire des ordonnances royales, ne dit presque rien de la torture46. Toutefois, le point de vue de Ségla est partagé au moins par un autre auteur qui fut non seulement son contemporain, mais aussi son collègue au parlement de Toulouse : Bernard de La Roche-Flavin. Dans ses Treze Livres des Parlemens de France, celui-ci tient des propos à peu près identiques aux siens, en reprenant à son compte l’opinion de saint Augustin47, mais en citant aussi « le sieur de Montagne au second livre des Essays ». Cette similitude ne peut être que le fruit d’une communauté d’idées partagées. On notera que l’ouvrage de Ségla est paru en 1613 soit quatre ans avant celui de La Roche-Flavin, mais avec l’aval du premier président de Verdun, alors que les Treze Livres susciteront à leur parution, en 1617, une vive polémique au sein de la cour souveraine48.
Un miracle judiciaire
33En février 1609, la cour qui avait à se prononcer sur Burdeus se trouvait dans une impasse. Lorsque fut mis aux voix le sort du religieux, la moitié, soit dix juges dont le rapporteur, opinèrent pour sa culpabilité et donc pour sa condamnation à mort, tandis que l’autre moitié partageait les doutes de Guillaume de Ségla et considérait qu’il n’était pas possible en l’état de la cause de le condamner49. Le recours à la question préparatoire fut alors proposé, très vraisemblablement par Ségla lui-même, en dépit de ses préventions personnelles mais conformément à la logique même du système50. Mais comme il était impossible de l’appliquer à Burdeus faute de présomptions véhémentes, sans pour autant l’absoudre et le mettre hors de cause, Ségla préconisait de surseoir à statuer sur son compte et d’appliquer la question préparatoire à deux autres prévenus en instance de jugement : l’écolier Candolas et le praticien Esbaldit. Il explique très clairement sa stratégie :
Si notre opinion estait suivie, il adviendroit une des deux choses, ou que les deux prévenus confesseraient quelque chose à la question, ou ne confesserait rien. S’ils confessoient quelque chose, nous aurions cest advantage que peut estre par leur bouche nous aurions preuve contre eux et contre Burdeus. S’ils ne confessoient point, nous serions tousjours sur nos pieds de venir à l’advis du sieur Rapporteur, et le condamner en telle peine qu’on adviseroit,
car ajoute-t-il « nostre intention n’est pas de renvoyer Burdeus sans punition, ny que leur négative lui servist d’absolution ou purgation »51. Dans l’annotation XLV, le conseiller expose ses états d’âme :
Nous étions tous portez d’un même esprit de punir ceux qui avoient commis cest assassinat inhumain, mais quelques uns d’entre nous désirions instruire nostre religion, afin de ne faire mourir l’innocent, et voulant punir un meurtre n’en commettre point un autre. Tellement que nous ne hazardions rien par la question, mais bien par la mort de Burdeus, de tant qu’elle est irréparable52.
34Guillaume de Ségla n’est pas parvenu à convaincre une majorité de juges et, conformément au style du parlement, il fallut transmettre l’affaire à la première chambre des Enquêtes, afin de procéder à un partage53. « J’allay, raconte-t-il, avec le Sieur Rapporteur faire le partage à la première d’Enquestes, où nous vacquasmes trois séances, en l’une desquelles l’on ouît Burdeus sur la selette ». Les pièces du dossier furent examinées à nouveau et au terme des débats, la chambre se prononça pour la condamnation à mort. « Dieu qui préside aux jugemens permit que suivant l’advis du sieur rapporteur, il passa à le condamner à mort le cinquième Février mil six cens neuf, et il fut exécuté le mesme jour ».
35Cherchant à comprendre les raisons qui ont poussé les juges à prendre cette décision, Ségla évoque essentiellement l’attitude de Burdeus : « Messieurs de la première chambre d’Enquestes ; ne le trouvèrent si ferme et assuré sur la sellette, comme nous l’avions veu deux fois en la Grand’Chambre » et aussi le fait « qu’estant interrogé s’il avoit oüy Messe depuis qu’il partit de son couvent, il aurait avoué que non [...] et que l’on trouva d’autant plus étrange qu’il affirmoit avoir esté tousjours Catholique et n’avoir eu l’intention de changer de religion ». Ségla ajoute : « Et creuton que puisqu’il avoit oublié Dieu si avant, il estait capable de tout ce qu’on scavoit imaginer de meschant et flagitieux »54. En d’autres termes, Burdeus a été condamné non sur la base de l’examen rigoureux de sa culpabilité au regard du système des preuves légales comme le souhaitait notre magistrat, mais sur des apparences et des préjugés.
36Cependant, ces mêmes juges décidèrent d’accompagner la condamnation à mort de l’application de la question préalable afin d’obtenir du condamné la dénonciation de complices. La décision était redoutable aux yeux de Ségla, car elle pouvait conduire non seulement à mettre à mort un innocent mais à lui infliger en plus des souffrances inutiles. En quelques phrases, le conseiller évoque le tragique et la solennité de la scène :
Il fut interrogé plus de trois heures par mondit sieur le premier Président, à la chambre de torture, et endura le premier bouton de la question sans vouloir rien confesser55, ce qui travaillait fort les consciences de nous Commissaires qui y estions présents, et faisoit suer à grosses gouttes ledit sieur premier Président, qui désiroit de faire veoir la vérité de ceste action, et la justice de son zèle à la punition des meschants56.
37Un véritable miracle s’est alors produit : « Nous estions en ces termes, aussi Dieu nous fit la grâce qu’au second bouton de la question Burdeus se résolut de dire ce qu’il scavoit, soit ou par la force du tourment, ou par celle de la vérité et confessa qu’il étoit consent à la mort de Romain et qu’il estait justement condamné à mourir et descouvrit l’autheur de cette conjuration. Ce qui donna un grand contentement aux Juges qui l’avoient condamné ». Le religieux reconnaissait ainsi qu’avant le crime, le conseiller Gairaud avait évoqué en termes sibyllins son intention de « se desfaire de Romain et qu’il fut si malheureux d’y consentir ». Ses aveux établissait sa complicité ; il en demandait pardon à Dieu, « levant les yeux en haut qu’on luy vit plein de larmes, et dict qu’à bon droit il en étoit puny ».
38« La dite condamnation bien que hardie, fut toutesfois juste et vient de l’inspiration du ciel ». L’insistance avec laquelle Ségla met au compte de la providence divine le dénouement du procès de Burdeus lui permet de faire un rapprochement : c’est à ce moment du récit qu’il fait la seule allusion de son ouvrage à l’affaire du faux Martin Guerre : « Ce fut un jugement hardy et une descouverte miraculeuse du crime et imposture d’Arnaud du Thil, qui se disoit estre Martin Guerre, descrit par Monsieur Corras ». L’assimilation qui est ainsi faite entre les deux affaires est un peu forcée, car la preuve de l’imposture fut apportée par le retour inopiné de l’homme à la jambe de bois : le véritable Martin Guerre. Dans cette affaire, l’utilisation de la question n’a pas été à l’ordre du jour, ni au procès de Rieux, ni devant le parlement de Toulouse57. Coras n’y était pas foncièrement hostile, semble-t-il, mais il n’en a pas eu besoin pour lever la « perplexité » de la cour. Arnaud du Thil a même échappé à la question préalable, probablement, comme le suggère N.Z. Davis, parce que les juges ne souhaitaient pas l’entendre dénoncer au dernier moment Bertrande de Rols, comme sa complice.
39Le procès de Burdeus n’en a pas moins eu son coup de théâtre qui a jeté un fugitif trait de lumière sur une zone d’ombre de cette affaire. Dans ses aveux, le moine dévoyé a mis en cause, outre Gairaud, un autre prévenu, Esbaldit, et aussi un certain « Bertrand Mealhe praticien ». Ce dernier se serait trouvé sur les lieux du crime sans pour autant être inquiété au cours de l’instruction. Son nom ne figure pas dans les actes de procédure, alors qu’il faisait partie des familiers de la belle Violante et qu’il avait été témoin de son mariage avec Pierre Romain58. Au détour d’une phrase, Guillaume de Ségla révèle que ce personnage n’était autre qu’« un clerc dudit sieur Rapporteur » dont il tait ostensiblement le nom59. Par crainte de révélations gênantes et d’une éventuelle récusation, « la cour trouva bon que ledit sieur Rapporteur, ne se meslat plus de cest affaire » et, ajoute Ségla, « le dit sieur premier Président me commanda de prendre le procès et faire le rapport de ce qui concernoit les autres60 prévenus ».
Gairaud, le magistrat indigne
40Le procès du conseiller Gairaud débuta devant la Tournelle dès le lendemain de l’exécution de Burdeus61. Jusqu’alors le magistrat avait bénéficié d’une assez large mansuétude. Lors de l’information préliminaire conduite par les Capitouls en juillet 1608 il n’avait pas fait l’objet d’un décret de prise de corps comme les autres suspects mais d’un « simple adjournement » personnel afin d’être entendu. Invoquant sa qualité et le privilège de juridiction qui y était attaché, il avait décliné cette audition ce qui avait conduit le parlement à évoquer l’affaire. La cour l’avait constitué prisonnier six semaines après, mais par un arrêt du 22 septembre « il fust eslargy en faisant les submissions accoustumées et tenant prison en sa maison ». Au début de la procédure, les charges contre ce magistrat « ayant atteint soixante-six ans et exercé son office de conseiller trente-cinq ans ou plus sans aucun reproche » étaient des plus légères. Sans doute était-il du cercle des admirateurs de la belle Violante depuis plusieurs années. Il l’avait connue par l’intermédiaire de son frère, Pierre du Château qui était son médecin ordinaire et il la fréquentait assidûment sous prétexte de prendre des leçons d’espagnol. Il en était manifestement épris et on avait trouvé « deux lettres amoureuses et une chanson en espagnol qu’il avoit envoyées escrites de sa main [et qui] montroient sa passion envers elle ». Pour son malheur, le magistrat « estoit au naturel enclin à l’amour », mais « ces chatouillemens néantmoins ne sont supportables à un vieillard tel qu’estoit Gairaud ». Guillaume de Ségla revient avec pas mal de complaisance dans plusieurs annotations érudites sur l’histoire de barbons illustres qui se laissèrent séduire par de jeunes tendrons, à commencer, par « ceste fille Abisag la Sunamite qui couchoit avec David en sa vieillesse, estant aagé de soixante-dix ans, et le réchauffoit », alors que « les vieillards doivent songer à la mort, et c’est un des moyens de se garder de pécher »62.
41Il n’en demeure pas moins que pour ce qui concernait l’assassinat de Pierre Romain, rien n’avait pu être reproché au conseiller Gairaud au cours de l’instruction, et Ségla le reconnaît : « J’accorde franchement qu’au commencement de ce procès et jusqu’à la mort de Burdeus, n’avons cru que ce vieillard eust trempé en aucune façon au crime ». N’était-il pas l’ami de l’avocat ? Il avait assisté à son mariage avec la belle Violante, l’avait reçu chez lui, en lui promettant son soutien dans ses affaires. N’avait-il pas dénoncé lui-même le meurtre aux Capitouls et obtenu d’eux la permission d’en faire publier les chefs de monitoire ? C’est son propre fils qu’il avait envoyé à Gimont prévenir Violante de la mort de son mari.
42La confession de Burdeus sous la question préalable avait ébranlé cette façade, mais d’une façon sibylline. Selon le récit de Ségla, c’est par une citation savante que Gairaud aurait prévenu le religieux du complot qui se tramait contre Romain : Mors Conradi vita Caroli, allusion à la mise à mort ordonnée par Charles d’Anjou du jeune prince Conradin qui lui disputait, au XIIIe siècle, le royaume de Naples63. Cette fine allusion, si elle a été réellement prononcée, ne pouvait être comprise que par des magistrats lettrés. Elle allait être corroborée au cours du procès par des témoignages beaucoup plus prosaïques. Au moins trois témoins qui lui furent confrontés attestaient que, bien avant le crime, Gairaud se répandait en propos injurieux sur le compte de l’avocat de Gimont : « ils soustindoient qu’il leur avoit dit en grande cholère que Romain estoit un gueux, balistre, sot et maraud et que celuy qui avoit fait le mariage estoit un coquin et un pendard [...]. Et qu’il estoit malade de regret de ce que ladite damoiselle estoit si mal mariée ».
43Dans le récit de Guillaume de Ségla se fait jour l’hypothèse d’un complot ourdi par Gairaud assisté des autres prévenus pour éliminer un mari gênant qui s’obstinait à retenir sa jeune épousée loin de ses admirateurs toulousains : « ne peut-on pas conclure de là qu’il avoit tendu un piège à celuy duquel il se plaignoit tant et qu’il appelloit peu de jours auparavant coquin, trompeur et faussaire ». Cependant, placé sur la sellette, le vieux conseiller tint tête à la cour, en refusant catégoriquement de reconnaître la moindre culpabilité. Ségla fit son rapport et lorsque les magistrats se mirent à opiner « il y eut plusieurs avis de condamner Gairaud à mesme peine que Burdeus [...] . Toutefois il n’y fut conclud à cause de son aage et de sa qualité [...]. La plupart de ces Messieurs [se portèrent] à désirer plus ample preuve de sa bouche » et la Tournelle prit la décision, par un arrêt du 9 février, de mettre Gairaud à la question dite préparatoire, c’est-à-dire de suivre la voie que Ségla avait proposée en vain pour Burdeus.
44Le récit de Ségla est ici encore très intéressant parce qu’il révèle des pratiques, sans doute assez courantes dans les cours de justice, sous le couvert du secret. Le jour même, Gairaud fut soumis successivement à « deux boutons de gesne » qu’il subit « sans confesser autre chose que ce qu’il avoit faict auparavant ». Ségla reconnaît que « la Cour se trouva lors en plus grande perplexité que devant, voyant un vieillard avoir enduré si courageusement la question sans crier que fort peu ».
45Pour vaincre la résistance du conseiller, Ségla reconnaît avoir usé d’un stratagème « suivant le commandement que j’en avois receu ». Il fit « apporter bien à souper à Gairaud », puis ayant pris la clef de la chambre, il le laissa près de vingt-quatre heures sans manger. « Le onzième dudit mois après dîner, écrit-il, nous estons assemblez en la chambre de torture pour luy faire donner le troisième bouton et l’eau, le dit sieur premier Président l’interrogea plus de deux heures sans pouvoir rien arracher de sa bouche ». Rien n’y fit, ni « l’exhibition de l’exécuteur de haute justice », ni la menace de l’arrestation de son fils pour lui faire un procès sur la même cause. Ce n’est que « pressé et débilité par la faim » et sur la promesse du premier président de lui faire donner à manger et à boire que Gairaud consentit à parler, « après avoir fait son oraison dans la chambre des huissiers avec un tableau et image de la passion de nostre Seigneur ». Dans les aveux faits au premier président en tête à tête et réitérés devant un greffier, Gairaud reconnaissait l’existence d’un complot contre l’avocat de Gimont, mais niait en être l’auteur et chargeait les co-prévenus et spécialement Burdeus ainsi qu’un certain Julien inconnu jusqu’alors. Mais il soutint qu’il ne s’agissait que de « faire peur » à Romain. La confrontation entre Gairaud et les autres ne fit pas changer les positions respectives, mais la cour en savait assez et son opinion était faite sur la culpabilité du vieux conseiller.
46Il n’en demeure pas moins que la façon de procéder fut manifestement irrégulière. Gairaud n’ayant pas avoué sous la question, l’accusation aurait dû être purgée et lui-même absout purement et simplement, conformément à la lettre de l’ordonnance de 1539 et de la doctrine pénaliste de l’époque. Le stratagème employé – la menace d’arrestation de son fils, la privation de nourriture – confine à ces « interrogatoires captieux » que les juges devaient s’interdire selon la doctrine64, mais il est bien évident qu’en l’espèce l’intime conviction l’a emporté sur les scrupules et le respect des règles de procédure. La religion de l’aveu imposé par le système des preuves légales aboutissait au résultat inverse de ce qui était attendu de la question, c’est-à-dire protéger les prévenus contre la subjectivité des juges65.
47Enfin, convaincus de la culpabilité de Gairaud, les juges de la Tournelle ont dû certainement débattre de la peine à lui infliger : « nous fusmes d’accord que les preuves estoient claires contre Gairaud, mais en grand doubte sur le genre de la punition qu’il méritait, d’autant que nos lois, honestiores personae levius puniuntur quam humiles »66. En se fondant sur le droit romain, certains proposaient soit les galères, substitut de la metalli coercitio, soit le bannissement. Ségla objecte que Gairaud n’aurait pu endurer la peine des galères : « on n’y condamne pas les sexagénaires comme il étoit », et il lui préfère le bannissement. « L’on peut soit estimer que c’estoit la vraye peine en laquelle il fallait le condamner et en des grosses amendes ». Toutefois, il reconnaît que « par les loix Romaines les Decemvirs ayans commis hommicide estoient punis de mort après en avoir donnés advis au Prince », ce qui le conduit à renverser son opinion : « la preuve de l’homicide doit estre ordonnée par proportion géométrique et non par l’arithmétique [...]. Ainsi les jurisconsultes et les juges en la distribution des peines doivent considérer la qualité de celuy qui a failly. D’où s’en suit que le crime d’homicide est plus punissable en la personne d’un juge et magistrat tel qu’estoit Gairaud qui avoit puny et condamné souvente fois tels actes, qu’en autre personne ». D’autres comme Lycurgue, Péricles ou Clisthènes ont senti la rigueur des lois qu’eux-mêmes avaient faites et il est donc juste que Gairaud ait été condamné à avoir, écrit-il, la tête tranchée et même les quatre membres coupés, comme Burdeus qui n’était pas plus coupable que lui. On sent Guillaume de Ségla partagé entre une certaine pitié pour Gairaud, et l’indignation que lui inspire sa conduite indigne au regard de la haute opinion qu’il se fait du « bon magistrat » : « Je m’encourageais à faire justice de ce vieillard duquel je regrettois le désastre... je savais que S. Hiérosme dit que judex qui malos perculit, minister Dei est »67.
48Le conseiller au sénéchal de Toulouse, convaincu d’avoir commandité l’assassinat de l’avocat Pierre Romain fut condamné à mort le 12 février 1609 et immédiatement exécuté. L’arrêt prononce la confiscation des deux tiers de ses biens, « la troisième partie d’iceux réservés à ses femmes et enfants après distraction des frais de justice ». Sur les biens confisqués, la cour allouait cent livres pour faire prier Dieu pour l’âme de la victime et 4000 livres de dommages et intérêts aux parties civiles : Jean et Jacqueline de Saint-Romain, les enfants de la victime.
Candolas et Esbaldit, les coupe-jarrets
49Après la condamnation et l’exécution des deux protagonistes les plus notables, le religieux Burdeus et le magistrat Gairaud, la Tournelle « continuant ces funestes Ephémérides » eut à se pencher sur les personnages subalternes : l’écolier Candolas et le praticien Esbaldit68. Le récit de Ségla se fait plus rapide. L’audience du 13 février 1609 fut consacrée au jeune Candolas, fds d’un avocat en parlement. Au cours de l’instruction, une servante du père de Violante était venue témoigner qu’il fréquentait assidûment la jeune veuve et qu’il comptait au nombre de ses amants. Ségla le décrit comme entièrement subjugué par les charmes de sa maîtresse, ce qui lui donne l’occasion de convoquer dans une suite d’annotations lyriques une pléiade de poètes latins, avec une prédilection pour Tibulle et de citer également Dante au second chant du Paradis, sans oublier évidemment le mythe de Circé ensorcelant les malheureux compagnons d’Ulysse69.
50Aux yeux du conseiller rapporteur, l’écolier Candolas « estait un audacieux et téméraire, coutumier de frapper et battre et en un mot qu’il estoit le coupejarret de Violante »70. Cependant, ses « malversations » aussi notoires qu’elles soient, ne prouvaient pas sa participation à un éventuel complot. Sans doute, l’enquête faisait aussi état de propos haineux tenus à l’encontre du mari, mais, comme le reconnaît Ségla, « la difficulté qu’on pouvoit faire estoit que l’inimitié de Candolas contre Romain n’estoit prouvée que par un témoin », ce qui ne constituait qu’une demi-preuve dans le système des preuves légales. On devait donc compléter avec des indices. Il y avait d’abord le fait que, le soir du crime, l’écolier faisait bien partie du groupe qui avait accompagné Romain en promenade ; il prétendait l’avoir quitté pour aller à un bal, mais la demoiselle qui avait confirmé ses dires, s’était montrée moins affirmative lors d’une confrontation. Le rapporteur soupçonnait l’écolier d’être allé prévenir les assassins du passage de leur victime. Il y avait aussi le périple en pays protestant en compagnie de son maître Burdeus, sous prétexte de faire ses humanités à Nîmes.
51Tous comptes faits, il n’y avait pas plus de charges contre Candolas que contre le religieux augustin ou contre le conseiller au sénéchal, lorsqu’il fut placé à son tour sur la sellette face à la cour, pour le dernier interrogatoire. S’il était resté logique avec sa position antérieure, le conseiller rapporteur aurait dû proposer à ses collègues de surseoir à statuer et de décréter à nouveau la question préparatoire. Il prit plutôt le parti de proposer de plano la condamnation à mort, comme il le dit lui-même : « Candolas escolier fut par arrest à mon rapport et suivant mon opinion condamné à mesme peine que Burdeus et Gairaud », et, ajoute-t-il, « il y eut encore quelques advis de le faire roüer, mais ils ne furent pas suivis ». Candolas ne dût cette très relative clémence qu’à sa jeunesse71. Il n’échappa pas pour autant à la question préalable sur les complicités et le récit de Ségla donne à voir une autre manière d’appliquer cette terrible procédure.
52Conduit à la chambre de la torture, Candolas confessa librement qu’« il avoit été corrompu par Burdeus et Gairaud d’estre dudit complot, et que Gairaud luy avoit dit le lieu où estaient les meurtriers et qu’il advança pour les advertir et trouvant Esbaldit luy dit : Voicy Romain qui vient, et soudain s’en alla au bal ». Pour la troisième fois, l’aveu du condamné confirmait le juge dans sa bonne conscience. On aurait pu penser que le malheureux en serait quitte, mais la monstrueuse logique du système pénal était telle que, comme le précise Ségla, « avant son exécution, la question néantmoins luy fut baillée pour satisfaire audit arrest en laquelle il ne dit rien davantage que ce qu’il avoit dit auparavant ».
53Le lendemain la cour fit le procès de l’autre comparse, Étienne Esbaldit, qui tenait la ferme d’un greffe du sénéchal, à proximité de l’hôtel de ville. L’opinion de Ségla sur son compte est des plus défavorables : « je ne doubte fort que Establit estait le plus gasté et corrompu de tous les complices de cest excez »72.
54Le soir du crime, Esbaldit avait été arrêté, « effrayé et hors d’haleine », par une patrouille du guet à l’autre bout de la ville. Il avait été amené au poste, puis relâché le lendemain matin. Ce n’est qu’un mois après qu’il avait été remis en prévention lorsque l’instruction menée par les capitouls avait révélé les liens qu’il entretenait lui aussi avec Violante et le cercle de ses admirateurs. Esbaldit était, en effet, marié avec une amie de la belle Portugaise ; celle-ci avait été accueillie par le couple après avoir quitté le couvent qui l’hébergeait. Une femme était venue dire qu’« elle l’auroit vue couchée sur le lict d’Esbaldit avec son cottillon et un taffetas sur sa teste, estant Esbaldit dans son lict avec sa femme, Violante appuyant sa teste contre celle d’Esbaldit ». Selon un autre témoin singulier, « il y avoit apparence qu’il tenoit la main à la malversation de Burdeus, qui avoit accordé d’avoir cognue charnellement Violante en la maison dudit Establit »73. C’est aussi à ce même domicile que le notaire Julia avait dressé le pacte de mariage entre Violante et Pierre Romain, en présence du conseiller Gairaud74. Une rumeur de débauche planait donc sur le greffier qui ne manquait pas d’entregent. Ségla qui était allé l’interroger à la prison de l’hôtel de ville raconte qu’il l’a trouvé « souz la garde d’un soldat tant seulement, se proumenant là dedans à son plaisir, allant ordinairement à un greffe duquel il étoit fermier qui estait vis-à-vis ». Au cours du récolement des témoins, les soldats du guet s’étaient rétractés, et le rapporteur pensait qu’ils avaient été subornés. De son côté, Esbaldit expliquait sa présence dans les rues à plus de neuf heures du soir par sa recherche de l’hôtel d’un conseiller aux Requettes auquel il voulait remettre un acte de procédure. Ségla fait observer que cet alibi « n’estoit de mise pour son regard, estant du métier et sçachant que ceste heure n’estoit propre pour parler à Messieurs de la Cour », tout en soulignant la fermeté du prévenu dans ses protestations d’innocence75.
55À la veille de son procès, malgré sa détestable réputation, Esbaldit n’avait contre lui aucune preuve suffisante qui puisse permettre de l’incriminer et Guillaume de Ségla le reconnaît : « Si le mesme jour de la condamnation de Candolas, l’on eust faict de mesme livrée Esbaldit, selon l’opinion de quelques juges, il fust resté grand doubte et scrupule en la conscience de la plus part des juges sur la débilité et la foiblesse de la preuve ». C’est bien la confession de Candolas le désignant comme ayant participé au complot contre Romain qui a décidé les juges à se prononcer sur sa culpabilité et à le condamner à mort, « encore aucuns le trouvoient plus coupables le vouloient punir plus griesvement ».
56Il fut présenté à son tour à la torture et avant même de subir l’épreuve, Esbaldit en présence du premier président de Verdun, reconnut qu’il était au courant du complot commandité par Burdeus et Guiraud, qu’il était sur les lieux et donna le nom d’un des trois sicaires, un certain Pradier, chaussetier, qui avaient été recrutés pour commettre le crime, mais il se serait borné à lui désigner l’avocat Romain et à écarter Gairaud de la scène. Lui aussi soutint qu’il ne s’agissait pas de tuer le mari de Violante mais de lui donner une bonne leçon. Ces aveux et les larmes qu’il répandit en abondance valurent au condamné d’échapper exceptionnellement à la torture : « Encore ce mauvais homme eut-il cest advantage par dessus ses compagnons, que nous l’exemptames de la question à laquelle il avoit été condamné, à quoy les larmes « qu’il veroit luy servirent fort »76. Ségla est parfaitement conscient de l’arbitraire et de la violence qui marquent la voie criminelle dite à l’extraordinaire et l’usage systématique de la question. Ici encore, pour apaiser ses scrupules, il met une nouvelle fois au compte de la divine providence l’enchaînement des révélations successives qui ont abouti à une complète connaissance des faits : « Qui n’admirera et loüera Dieu au jugement de cest affaire et la prudence avec laquelle il luy peut nous conduire comme par degrez à la cognoissance dudit excez, et permit que chacun jour de la bouche des condamnez nous découvrissions le faict et les complices de ceste conjuration et histoire prodigieuse »77.
Violante, une femme libre donc coupable
57Le lundi 16 février 1609, Violante de Bats du Château était enfin devant ses juges. Ségla la met en scène :
Voicy la misérable Violante qui vient à la catastrophe de cette sanglante tragédie, comme en estant l’argument et le subject. Elle se présente non point avec ses ris et mignardises qui servoient d’appas à ses amans. Mais avec son visage hydeux et espouvantable pour les crimes d’impudicité, d’adultère, inceste, sacrilège, trahison, meurtre et assassinat dont elle est accusée, et presque convaincue de tous ensemble78.
La charge est féroce et tout au long du récit, le conseiller va forcer le trait pour surmonter les derniers doutes qui se manifestent derrière l’expression : « presque convaincue ».
58Si Violante est forcément coupable, c’est d’abord par sa nature même de femme. À grand renfort de citations savantes, Guillaume de Ségla accumule les lieux communs sur « l’effronterie et lubricité des femmes » qui leur viennent de leur constitution : « Parménides estoit d’advis que les femmes estoient plus chaudes que les hommes pour estre plus abondantes en sang, tesmoing leurs menstrues, bien que Empédocle tenoit le contraire, mettant le sang parmi les choses froides. Aristote croit qu’elles sont insatiables »79. Les femmes sont implacables et vindicatives, spontanément sujettes à la colère et capables des pires cruautés, telle « Dalila surprenant Samson par ses amorces, luy ayant coupé les cheveux, le trahit et livra entre les mains des Philistins ». Une telle « misogynie viscérale » était dans l’air du temps et s’exprimait dans une littérature que Ségla pratiquait probablement80.
59Non seulement femme, mais aussi étrangère et veuve. Dès sa toute première annotation, le conseiller insiste sur les origines de l’accusée : « nous tromperons-nous point, disant qu’en qualité d’estrangère elle eust quelque pouvoir plus grand de réchauffer la froideur de ce vieillard (Gairaud), la vérité est que les estrangères ont esté cause de beaucoup de malheurs et sinistres accidens, tesmoing l’amour que Salomon porta à des estrangères qui le fit idolâtrer des Dieux estangers »81. Violante était aussi veuve d’un premier mari et le veuvage est un état dangereux, les prédicateurs comme François de Sales ne cessent de le répéter82. Elle aurait dû fuir la compagnie des jeunes gens, « car il n’y a rien de si chatoüilleux que la réputation d’une femme et d’une veuve ». Toutefois ce même veuvage excluait l’incrimination d’adultère, comme celle d’inceste : « je tenois qu’elle n’étoit tombée en pas un de ces deux crimes » reconnaît le rapporteur. Mais, à ses yeux, Violante n’en était pas moins coupable du crime de trahison par le fait même de sa conduite dépravée. Le raisonnement est des plus simples. En citant Tacite (Annales L. IV, 3), pour qui une femme ayant perdu la pudeur est capable de tout, il soutient que la « lubricité de ceste femme estait la première et violente présomption qu’elle avoit fait meurtrir son mari ». Pour étayer cette conviction, le rapporteur énumère quelques « armes infaillibles » qui prouvaient qu’elle avait trempé dans le complot contre Romain.
60Ainsi, deux témoins rapportaient qu’aussitôt après son mariage elle se serait plainte de la laideur et de la pauvreté de son mari et aurait exprimé son dépit « de ce qu’il ne luy vouloit permettre de venir à Tholose ». Deux autres personnes l’auraient entendu dire qu’elle espérait épouser Burdeus, après le décès de Romain « sçachant qu’il se vouloit faire de la religion prétendue réformée »83. Une autre preuve concluante, aux yeux de Ségla : deux femmes, qui avaient été chambrières, racontaient que quelques jours avant l’assassinat, Violante, voyant passer un cortège funèbre, leur aurait demandé comment se devoit conduire une veuve, pendant les funérailles. Enfin, on voyait un indice de culpabilité dans quelques mots prononcés au cours d’une confrontation avec le jeune Candolas avant son exécution, où elle aurait dit qu’elle voulait mourir pour avoir été la cause de la mort de tant de gens d’honneur, bien qu’elle se soit reprise ensuite en proclamant son innocence tout au long de son propre procès.
61La conviction du rapporteur était faite : « Ce sont ces preuves et confessions que je fis entendre et veoir à la Cour le seze dudit mois de février ». Elles parurent si graves que d’« aucuns de messieurs furent d’advis de la condamner à estre pendue et étranglée, et après son corps jeté au feu [...]. Mais en considération de ses parens et principalement de M. frère et médecin sçavant, il fut conclud à mon opinion de luy faire trancher la teste ». À l’aune des exigences de la procédure extraordinaire, les preuves étaient douteuses et les témoins, notamment, les deux chambrières, sans doute reprochables84, mais il est évident que Violante a été condamnée à la peine de mort sur sa réputation de femme libre mais débauchée. Guillaume de Ségla a eu beaucoup moins de scrupules à la faire condamner que les autres accusés : « Si Violante qui avoit causé la mort de son mary, et à quatre des autheurs ou complices d’icelle, eust esté exempte de peine, où eust été la justice ? »85.
62Comme les autres condamnés, avant son exécution, elle fut « exhibée à la question pour savoir les complices », bien que l’arrêt consigné sur le registre du parlement ne mentionne pas cette décision des juges86. Cependant, d’après Ségla, lorsqu’elle fut présentée à l’exécuteur des hautes œuvres, elle persista dans ses dénégations. Ce n’est qu’« après s’estre réconciliée avec Dieu par une bonne confession », qu’elle aurait demandé à être entendue par le premier président dans la chapelle de la Conciergerie. Devant lui et en présence de six autres juges dont Guillaume de Ségla, Violante aurait reconnu qu’« elle avoit presté consentement au meurtre de Romain son mary ». et qu’« elle savoit que Burdeus, Gairaud, Candolas et Esbaldit se vouloient se venger de feu Romain et qu’elle croyoit qu’ils estaient tous consens à sa mort ». Si l’on suit bien ce récit édifiant, Violante n’a pas été l’instigatrice de l’assassinat de son mari, elle était simplement complice pour l’avoir consenti, et son aveu n’a pas été arraché par la torture mais sous l’effet d’un repentir inspiré par la crainte de Dieu.
63Sur le chemin de son supplice, elle aurait renouvelé publiquement ses aveux dans une « harangue que nous avons veue imprimée », écrit Ségla sans en dire davantage. Le texte existe effectivement87 ; il est probablement apocryphe comme le pensait Lafaille. Violante après avoir demandé pardon à Dieu et à sa famille exprime ses regrets pour sa coquetterie et des écarts de conduite qui « pourtant n’ont pas esté aussi grands qu’on s’est plu à le croire ». Elle adjure les dames de Toulouse de tirer les leçons de sa malheureuse destinée. Qu’elles attachent moins de prix aux atours et aux délices du monde, qu’elles embrassent la vertu et fuient l’oisiveté et se méfient « des discours affilés des hommes ». Elle les exhorte d’être plus près de leurs filles et de leur ôter la liberté : « Mères, Mères, je vous conjure de prendre encore ce mien advis, vous ne savez quelles visées peuvent prendre les esprits volages de vos filles ». Tout est dit ; la harangue de Violante remet le monde à l’endroit et les femmes à leur place88.
64Cinquante ans plus tôt, Jean de Coras s’était trouvé, lui aussi, en face d’une femme dont il avait à apprécier l’éventuelle culpabilité. Certes, dans l’affaire du faux Martin Guerre le personnage de Bertrande de Rols est à l’opposé de celui de Violante du Chasteau. Mariée trop jeune à un mari défaillant puis longuement absent, elle fait plutôt figure de victime. Coras la décrit comme « une femme de bien et honneste », très soucieuse de sa réputation et de sa vertu. Toutefois, comme l’a noté N.Z. Davis, elle est farouchement indépendante et capable de tenir tête à sa famille, comme le sera plus tard Violante89. Lorsque le nouveau Martin Guerre est apparu, comblant une trop longue attente, Bertrande l’a accueilli et elle a joué le jeu de la parfaite épouse dans le cadre de ce « mariage inventé »90. Elle a vécu avec ce mari pendant plus de trois ans en le soutenant et même en le protégeant lorsque les querelles de familles ont soulevé la question de l’imposture. En examinant les pièces du procès de Rieux, puis en procédant aux interrogatoires et aux confrontations de l’appel en parlement, Coras, en bon rapporteur, s’est évidemment posé la question de sa duplicité, mais à la différence de Ségla il a préféré fermer les yeux et abandonner devant la Tournelle les accusations de faux et d’adultère à l’encontre de Bertrande. Mais la première raison qu’il donne à cette mansuétude renvoie ici aussi à la nature des femmes : « pour l’excuse de ladite de Rols vient premièrement en considération la foiblesse de son sexe facile à estre déçu par l’astuce, callidité et finesse des hommes »91.
Conclusion : comment purger sa conscience
65Lorsque le 16 février 1609, avec l’exécution de Violante du Chasteau, la justice est passée sur l’ Histoire tragique de l’assassinat de l’avocat Pierre Romain, Messieurs de la Tournelle du parlement de Toulouse ont eu certainement le sentiment d’avoir bien rempli leur office. On connaît l’importance du discours sur la dignité de la fonction de juger pour les magistrats d’Ancien Régime. Il a nourri pendant des siècles les mercuriales que les gens du roi, procureurs généraux ou avocats généraux, prononçaient à la rentrée des audiences après la période des vacations. Ces discours assez convenus et souvent répétitifs n’en exprimaient pas moins le contenu d’une véritable construction idéologique destinée à façonner le comportement professionnel des officiers de justice, sur des bases morales et religieuses, autrement dit à doter les juges d’une conscience du juste et du vrai92. Des études récentes ont montré que la formation de cet habitus judiciaire a connu au XVIe siècle une sorte d’âge d’or sous l’influence de l’humanisme93. Le souci de moraliser les activités humaines à partir de normes tirées des Écritures et des sources de la philosophie antique, spécialement du stoïcisme, s’est répandu tout particulièrement dans le monde de la justice et nombreux sont les jurisconsultes, les magistrats ou les avocats qui ont laissé d’abondantes réflexions sur ce thème. Parmi ceux-ci, on retrouve Jean de Coras qui fut l’auteur d’un Discours des parties et offices d’un bon et entier juge, paru après sa mort, en 1596, avec une réédition de l’Arrest mémorable 94. L’idée essentielle est l’essence divine de la fonction de juger : « Le jugement est chose de Dieu [...] les parties d’un et juste Juge sont de se souvenir premièrement qu’il a en tous ses faicts Dieu pour tesmoing ». La même conception traverse aussi tout le livre de Guillaume de Ségla qui connaît manifestement le Discours de Coras, même s’il ne le cite pas. C’est dans des termes très proches de son modèle qu’il définit « le devoir de l’office du juge » à l’annotation X ou qu’il proclame à l’annotation LXXXVIII que « Dieu illumine les juges »95. Nous avons déjà observé avec quelle insistance il a mis au compte de la providence divine la succession des aveux des prévenus, obtenus sous la torture. Mais peut-on penser qu’il s’en soit véritablement satisfait ? La lecture des dernières pages de son récit pourrait en faire douter.
66Dans son épilogue et dans ses ultimes annotations, Ségla revient sur deux faits. D’abord une énigme non résolue : le rôle exact du « clerc » dénommé Bertrand Mealhe qui fréquentait le cercle des amants de Violante et qui se trouvait en compagnie d’Esbaldit, dans les parages du lieu du crime, le soir du fatal 8 juillet. Il avait été incarcéré au cours du procès lorsque sa présence fut révélée par les aveux de Burdeus. Notre auteur s’exprime ainsi ; « Pour le regard de Mealhe, parce que son affaire ne fut jugée deffinitivement, je me contenteray de dire que par mesme arrest il fut ordonné que contre luy serait plus amplement enquis dans le mois, et que ce pendant il serait eslargy ». Rien n’indique que ce plus ample informé ait abouti à la moindre poursuite ; le fait que ce personnage était au service du conseiller Jean de Mansencal explique certainement la discrétion des magistrats de la Tournelle comme de ceux du parquet.
67Enfin, Ségla est bien conscient que toutes les circonstances de cette Histoire tragique n’avaient pas été éclaircies en 1609 et que le crime restait incomplètement puni. L’équipe des spadassins qui avaient porté les coups à la victime échappait encore à la justice. Au cours de l’instruction des noms avaient circulé : ceux du chaussetier Pradier, d’Arnaud Tatoat, d’un certain Julien. Tous avaient disparu et les enquêtes faites sur leur compte étaient restées vaines. Dans une de ses dernières annotations, Ségla fournit des indications précises sur la fuite en Espagne de l’un d’entre eux, Tatoat, un garçon de boutique. Après le procès, un prêtre l’aurait rencontré à Saragosse et aurait recueilli le récit de sa confession, transmis ensuite au premier président de Verdun96. Le seul assassin qui finit par être identifié se fit prendre par hasard en 1612 : Mathieu Laroque « duquel nous ignorions auparavant le nom » écrit Ségla. Il fut condamné à mort « ayant confessé au supplice qu’il avoit commis le dit meurtre avec Pradier et un nommé Jean ».
68La dernière phrase du récit mérite une attention particulière : « Voilà une mort vengée par la mort de cinq personnes, pas une desquelles n’avoit mis ses mains sur le défunct. Je ne scay quelle punition Dieu réserve aux exécuteurs, puisqu’ils ont évité le mois de purgation, auquel ces grandes exécutions ont été faictes ». Dans l’annotation CXXX, l’auteur explique qu’il fait allusion à la fête des Lupercales qui se déroulait en février et au cours de laquelle les Romains faisaient de nombreux sacrifices aux dieux à titre purgatoire et dans un but de repentance97. Nous avons peut-être là une clef qui permettrait de comprendre les véritables intentions de l’auteur. Présentée comme une œuvre destinée à plaire au public par sa charge romanesque et ses amoncellements d’érudition, l’Histoire tragique ne serait-elle pas d’abord le moyen par lequel Guillaume de Ségla a pu assumer le souvenir de ses lourdes responsabilités dans une affaire criminelle hors du commun et dans une certaine mesure purger sa conscience de juge ?
Notes de bas de page
1 Article paru dans Annales du Midi, 120, n° 264, oct-déc. 2008, p. 503-534.
2 T. Sauvel, « Histoire du jugement motivé », Revue de droit public et de la science politique, 71, 1955, p. 5-53.
3 A. Viala, Le Parlement de Toulouse et l’Administration royale laïque (1440-1525), Albi, 1953, t. 1, p. 451.
4 S. Dauchy et V. Demars-Sion (dir.), Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence XIVe-XVIIIe, Paris, 2005, voir notamment les contributions de J. Hilaire et de J. Poumarède.
5 Memorabilium senatus-consultorum summae, apud Tolosates curiae, Lyon, Vincent, 1599. Sur Coras voir la notice du Dictionnaire des juristes français XIIe-XXe siècles, Paris, 2007, p. 203-204.
6 N.Z. Davis, J.C. Carrière et D. Vigne, Le retour de Martin Guerre, Paris, 1982, 221 et s.
7 Histoire tragique et arrêts de la cour de parlement de Tholose contre Pierre Arrias Burdeus religieux Augustin, maistre François Gairaud Conseiller au Seneschal de Tholose, damoiselle Violante de Bats du Chasteau et autres. Avec cent trente une Annotations sur ce subjet Par Guillaume de Ségla sieur de Cairas, Conseiller du Roy en sa cour de Parlement de Tholose, À Paris, Chez Nicolas La Caille, MDCXIII.
8 A. Navelle, Familles nobles et notables du midi toulousain aux XVe et XVIe siècle, Toulouse, 1992, t. 9, p. 314-315.
9 A.D. Hte-Garonne, 1B 1909, f° 169, provision d’office de conseiller à la cour en faveur de Me Guillaume de Ségla, 3 déc. 1594 ; voir F. Vindry, Les parlementaires français du XVIe s., t. 2, fasc. 2, Paris, 1912, n° 222.
10 A. Bremond, Nobiliaire toulousain, Toulouse, 1863, p. 422 ; La Biographie toulousaine, Paris, 1823, p. 393 donne G. de Ségla comme étant né en 1580 et « d’une noble et ancienne famille qui remonterait au XVe s. ». Il avait épousé en 1593 Marie de Malenfant qui lui donna douze enfants, en deuxième noces (1613), Anne de Benoît, et en troisièmes noces (1614), Marguerite de Cubières dont il eut deux autres enfants.
11 Ce résumé est tiré du récit de Guillaume de Ségla. Une première narration assez succincte de l’affaire avait été donnée dans le premier tome du Mercure françois des frères Richer, Paris, 1611, p. 325-330. C’est probablement cette publication qui a encouragé Ségla à écrire sa propre version et ses commentaires, sous l’instigation du premier président de Verdun, comme le laisse entendre une lettre à Ségla datée d’avril 1611 et publiée en préface de l’ouvrage. L’affaire a fait l’objet de relations postérieures dans : les Annales de la ville de Toulouse, (1687) de Germain de La Faille, année 1609, p. 543-546 et dans les Annales de la ville de Toulouse (1771) de Barnabé Durozoy, p. 545-547. Elles paraissent inspirées par l’ouvrage de Ségla. Le rapprochement entre l’ouvrage de Coras et celui de Ségla a été établi pour la première fois par Pierre Bayle dans son Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, 1702, t. 4, v° Ségla.
12 La famille était originaire de Bragance et avait quitté le Portugal pour s’installer à Condom, en Gascogne, puis à Toulouse où elle obtint en 1606 une permission de résider (A.D. Hte-Garonne, 1B 916, f° 45) ; Elle était catholique, comme en témoignent les testaments qui ont été conservés ; voir les références dans Présence du Portugal à Toulouse, Toulouse, 1956.
13 J.V. Serrao, Les Portugais à l’Université de Toulouse, Paris, 1970, p. 97-98, 155-164. Pierre fut lecteur de médecine à l’université de Toulouse en 1604-1606 et reçu docteur-régent en 1625. Manuela occupé la cure de Saint-Jean de Biscarosse.
14 Le fonds du sénéchal conservé aux A.D. de la Haute-Garonne est extrêmement lacunaire pour le début du XVIIe siècle et en cours de classement ; la liasse 22 (jugements civils 1608- 1609) comporte la signature de Gairaud au pied de certains jugements, par exemple le 10 janvier 1608. En ce qui concerne le religieux Burdeus, il ne nous pas été possible de retrouver sa trace, les archives de la faculté de théologie sont inexistantes pour cette époque.
15 Nous n’avons pas plus de renseignements sur lui que ce qui figure dans le récit de Ségla et dans son contrat de mariage. Un doute existe sur son patronyme. Ségla le dénomme : « Pierre Romain » et c’est ainsi qu’il est désigné dans son acte de mariage (cf. ci-dessous), mais les arrêts de condamnation (A.D. Haute-Garonne, 1B 3563, arrêts criminels, nov. 1608-mars 1609), mentionnent le nom de « Saint-Romain », qui est probablement son véritable patronyme. Nous maintenons la dénomination utilisée par Ségla.
16 A.D. Haute-Garonne, B insinuations 123 bis, f° 246-249 (2 Mi 1053), « Mariage passé entre Me Pierre Romain, docteur et avocat et Demoiselle Débats du Chasteau ». Le contrat a été passé dans la maison de Me François Esbaldit et reçu par le notaire Jullia ; Violante est assistée de « noble Anthoine de Batz son père et de M. Pierre de Batz du Chasteau, docteur en médecine, son frère ». Le mari est assisté par ses frères Laurent et Louis Romain ; sont également présents comme témoins outre F . Esbaldit, François de Gairaud magistrat principal au sénéchal siège présidial, Jean Bailly, et Bertrand Mealhe praticiens. Violante se constitue en dot une somme de 900 livres.
17 E. Birnstiel, « Les chambres mi-parties : les cadres institutionnels d’une juridiction spéciale (1576-1679) », dans J. Poumarède et J. Thomas (éds.), Les Parlements de province, pouvoirs justice et société du XVe au XVIIIe siècle, Toulouse, 1996, p. 123-138.
18 Nicolas de Verdun était président à mortier au parlement de Paris, lorsqu’il fut nommé en 1602 à la première présidence du parlement de Toulouse qu’il a occupée jusqu’en 1611, date à laquelle il remplaça le président du Harlay à la tête du parlement de Paris. Il fut à Toulouse un chef de cour très actif et à la réputation de grande fermeté. Fin lettré, il fut aussi l’ami de Voiture et de Malherbe, voir : J.-B. Dubédat, Histoire du parlement de Toulouse, Paris, 1885, t. 1, p. 649, et 739-740.
19 A. Esmein, Histoire de la procédure criminelle en France et spécialement de la procédure inquisitoire, depuis le XIIe siècle, Paris, 1882 ; pour une synthèse récente sur ces questions, on retiendra : J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, 2000, p. 165-175 ; A. Laingui et A. Lebigre, Histoire du droit pénal, t. II, La procédure criminelle, Paris, éd. Cujas, s.d., p. 87-121.
20 B. Schnapper, Les peines arbitraires du XIIe au XVIIIe siècle (doctrines savantes et usages français, Paris, 1974.
21 Recueil général des anciennes lois françaises, Isambert et alii, éd., Paris, 1821-1823, t. 12, p. 365-369 et 633.
22 A. Astaing, Droits et garanties de l’accusé dans le procès criminel d’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe s.), Audace et pusillanimité de la doctrine pénale française, Aix-en-Provence, 1999.
23 S. Maza, « Le tribunal de la Nation : les mémoires judicaires et l’opinion publique à la fin de l’Ancien Régime », Annales ESC, 1, 1987, p. 73-90.
24 Voir dans le présent numéro des Annales du Midi, la contribution de Jack Thomas ; B. Garnot, Questions de Justice 1667-1789, Paris, 2006, ainsi que les nombreux travaux réalisés ou dirigés par cet auteur. L’affaire Boiveau évoquée par B. Garnot dans Un crime conjugal au XVIIIe siècle (Paris, 1993) a quelques similitudes avec l’Histoire tragique puisqu’il s’agit d’une femme accusée d’avoir comploté l’assassinat de son mari. Les sources exploitées consistent en un dossier anonyme comportant les pièces du procès devant le parlement de Dijon.
25 À la différence de l’ouvrage de Jean de Coras qui fut un véritable succès de librairie, l’ Histoire tragique de Ségla n’a connu aucune réédition et le récit n’a pas été exploité dans les recueils de Causes célèbres du XVIIIe siècle. Il n’a été redécouvert qu’au cours du XIXe siècle par H. de Bastard d’Estang, Les parlements de France, essai historique, Paris, 1858, t. 1, p. 377-383, et a donné lieu à plusieurs articles : A. Dumeril, « L’Iliade judiciaire devant le parlement de Toulouse sous le règne de Louis XIII », dans Mémoires de l’ Académie des sciences, inscriptions et belles lettres de Toulouse, 1882, p. 55-82 ; L. Désazars, « Un crime passionnel à Toulouse, sous Henri IV : l’affaire de la Belle Portugaise »», Revue des Pyrénées, 1912, p. 465-502 ; à un roman : A. Praviel, L’histoire tragique de la belle Violante, Paris, Perrin, 1924, et plus récemment à un chapitre de R. Merle, Les grandes affaires criminelles de Toulouse, Paris, Privat, 1995, p. 65-68.
26 L’ancien droit ne connaissait pas le principe d’indivisibilité et la jonction des procédures lorsque le crime avait été commis par des co-auteurs ou en cas de complicité ; chaque inculpé avait donc un procès séparé de ceux des autres.
27 Histoire tragique et arrêts de la cour de parlement de Tholose (désormais H.T.), récit du procès de Burdeus se trouve aux pages Il à 35 accompagnées des annotations VIII à LII, p. 81 à 218.
28 La Tournelle comportait normalement un président et douze conseillers dont huit issus de la grand’chambre et quatre de la chambre des enquêtes et servant par semestre, voir : B. de La Roche-Flavin, Treze livres des Parlemens de France, Bordeaux, Simon Millanges, 1617, L. I, p. 24-25.
29 29 H.T., p. 92-93, Annot. V, De la peine et récompense de la vigilance du chef : « Et certes entre les obligations que nous et ceste province avons à nostre Hercule et grand Roy Henri III [...] c’est de nous avoir donné ledit sieur Président qui est en perpétuelle action et combat contre les méchants, comme père et vray pasteur du peuple, ainsi qu’Agamenon ».
30 H.T., Annot. IX, p. 102-113.
31 H T., p. 14.
32 H.T., p. 131, Annot. XVI, Que les lieux font soupçonner la malversation.
33 H.T., p. 16, et Annot. XX à XXII, p. 137-143. Ségla explique que le prêtre qui confesse une femme est considéré comme son père spirituel, d’où la commission d’un inceste s’il y des relations chamelles entre le confesseur et sa pénitente. Toutefois, dans la pratique, il semble que ce ne soit pas un interdit majeur pour les officialités qui en ont à connaître. Au bas Moyen Âge, le clerc risquait une amende, au plus une suspension de bénéfice ; sur la question voir : V. Tabbagh, « Croyances et comportements du clergé paroissial en France du nord à la fin du Moyen Âge », dans B. Gamot (dir.), Le clergé délinquant : XIIIe-XVIIIe siècle, Dijon, 1995, p. 53.
34 H.T., p. 24, Ségla ajoute aussi que l’aurait-il confessée deux ou trois fois, Burdeus n’était pas le confesseur ordinaire de Violante, donc ne pouvait être considéré comme son père spirituel.
35 B. de La Roche-Flavin, Treze Livres, L. 1, p. 27, La chambre des vacations comptait un président et 13 juges et se réunissait pendant la durée des vacances judiciaires de la Sainte Croix (14 septembre) à la saint Martin (11 novembre). En raison de la relative brièveté de son exercice, elle avait la réputation d’être plutôt expéditive.
36 H.T., p. 32.
37 H.T., p. 107, Annot. IX ; Ségla fait aussi valoir que même s’il avait réellement apostasié, Burdeus avait encore la faculté « de se purger dans l’an selon les Saints canons », Annot. XLIII, De la preuve de l’hérésie, p. 189-191.
38 H.T., p. 158, Annot. XXIX.
39 J. de Coras, Arrest mémorable, p. 49 et 87 ; N.Z. Davis, J.-C. Carrière, D. Vigne, Le retour de Martin Guerre, op. cit., p. 198.
40 Sur la torture judiciaire la bibliographie est abondante, depuis A. Esmein auquel on peut encore se référer. Pour notre sujet, on retiendra : L. Silverman, Tortured Subject : Pain, Truth and the Body in Early Modern France, Chicago, 2001 ; B. Durand et L. Otis (dir.), La torture judiciaire. Approches historiques et juridiques, Lille, 2002, 2 t., et spécialement les contributions de J.M. Carbasse, « Les origines de la torture judiciaire en France du XIIe au début du XIVe siècle », p. 381 à 420, L. Montazel, « Les parlements de France et la torture judiciaire du XVe au XVIIIe siècle », p. 631-641, A. Astaing, « Durus carcer aut tortura ?, la mise au secret et la recherche de l’aveu dans la procédure pénale française (XVe-XIXe siècles) », p. 891-940.
41 Ordonnance criminelle d’août 1670, titre XIX, art. 1 à 3 ; voir A. Laingui et A. Lebigre, op. cit., p. 117, note 37.
42 L. Silverman, op. cit., p. 182, tableau comparatif ; B. Schnapper, « La répression pénale au XVIe siècle, l’exemple du parlement de Bordeaux », dans Voies nouvelles en histoire du droit, la justice, la famille et la répression pénale (XVIe-XIXe s.), Paris, 1991, p. 72 et s. ; B. Durand, « Arbitraire du juge et droit de la torture, l’exemple du conseil souverain de Perpignan (1660-1790), Recueil de la Société de droit écrit, fasc. 10, Montpellier, 1978, p. 141-179 ; V. Pinson-Ramin, les procès criminels à Rennes au XVIIIe s., Rennes 1, 1984, thèse droit.
43 L. Silverman comptabilise 77 cas de mise à la question concernant 85 accusés entre 1600 1788, avec une nette prédominance de la question préparatoire (63) par rapport à la question préalable (20).
44 H.T., p. 176-180, Annot. XXXVI, Des gehennes et questions. Ségla rappelle que « le mot géhenne vient de l’hébreu gehinnon, qui estait une vallée près de Hierusalem, en laquelle on jettoit les immondices & brusloit les corps morts ».
45 Montaigne, Essais, L. II, ch. 5 : « C’est une dangereuse invention que celle des géhennes, et semble que ce soit plutôt de patience que de vérité ».
46 Comme l’a noté A. Esmein (op. cit., p. 167, note 1) : « Chose curieuse, quant à l’horrible institution de la torture nous ne trouvons dans Ayrault que la parole de regret contenu dans ce passage : ‘Il a esté nécessaire pour la sécurité publique laisser les exemples des hommes libres et se servir de ceux des ennemis jurez, des vagabonds, des esclaves pour lesquels avoient esté inventés les prisons, les questions, les gibets’ ».
47 B. de La Roche-Flavin, Treze Livres des parlemens de France, op. cit., Liv. XIII, ch. 73. 8, p. 866 : De la question ou géhenne. La Roche-Flavin fut conseiller puis président de la chambre des Requêtes de 1584 à 1627 où il n’avait pas l’occasion de se prononcer sur les mises à la question, mais il avait été au début de sa carrière (1582-1584) nommé à la Tournelle du parlement de Paris, cf. Dictionnaire historique des juristes français, Paris, 2002, p. 567 (J. Krynen).
48 J.-B. Dubédat, op. cit., t. 2, p. 41-45.
49 H.T., p. 13 : « Pour le regard de la condamnation de Burdeus, il y eut partage : Monsieur le rapporteur et dix autres furent d’advis de le condamner à perdre la teste la première et les quatre membres les derniers, et surseoir à dire droict pour les autres prévenus. Au contraire nous fusmes dix qui trouvasmes les preuves obscures et incertaines ».
50 L. Silverman (op. cit., p. 75) constate que la question préparatoire est pratiquée plus souvent à Toulouse qu’ailleurs et en déduit qu’il s’agit d’un signe qui confirme la réputation inquisitoriale de son parlement. On peut y voir plutôt une application exacte de la procédure à l’extraordinaire.
51 H.T., p. 30-31. Ségla préconise ici la procédure dite de réserve des preuves qui selon L. Silverman (op. cit., p. 82) était couramment pratiquée à Toulouse avant même que l’ordonnance criminelle de 1670 ne la légalise (t. XIX, art. 2).
52 H.T., p. 196, Annotation XLV : Quelles preuves les juges doivent avoir pour condamner à mort.
53 B. de La Roche-Flavin, Les Treze livres, op. cit., L. IX, chap. 35, p. 582 : « Pour arbitrer ces partages de procès en diversités d’opinion, le rapporteur et un des conseillers de contraire advis doivent être envoyés es autres chambres pour les consulter [...] en matière criminelle, en la 1ère des Enquestes ».
54 H.T., p. 33.
55 À Toulouse, la question était infligée principalement sous une forme d’estrapade qui consistait à attacher les quatre membres du prévenu à des liens qui étaient tendus pour les étirer en tous sens ; l’instrument du supplice était manœuvré par une vis (bouton). L’épreuve de l’eau était aussi pratiquée, mais pour les hommes seulement, L. Silverman, op. cit., p. 96.
56 H.T., p. 211 -212, Annotation L. Effect sde la question après la condamnation, si un criminel avant de mourrir doit descouvrir les complices, et que les criminels reçoivent du contentement en leur supplice.
57 Le Sueur dans son récit de l’affaire prétend que la question a été envisagée par la Tournelle (Histoire admirable, p. 17), mais pour Pierre Guerre, ce qui aurait été conforme à la logique du système, l’oncle de Bertrande étant soupçonné d’avoir comploté de tuer l’accusé, mais aucune décision n’a été prise en ce sens, voir N.Z. Davis et alii, op. cit., p. 201.
58 Voir ci-dessus, note 15.
59 A.D. Haute-Garonne, 1B 3563, arrêts criminels, nov. 1608-mars 1609. La transcription à sa date (5 fév. 1609) de l’arrêt de condamnation porte en marge le nom du rapporteur. Il s’agit de Jean de Mansencal, conseiller en la grand’chambre, membre d’une des plus puissantes familles parlementaires, voir F. Vindry, op. cit., p. 252, n° 359 et J.-B. Dubédat, op. cit., t. 1, p. 404 ; Jean de Mansencal, petit-fils d’un premier président et fils d’un avocat général, apparaît dans les registres en 1587, il a fait toute sa carrière dans un office de conseiller et il est mort en 1629.
60 H.T., p. 33.
61 H.T., p. 35 à 48, Procès de Gairaud Conseiller au sénéchal de Tholose.
62 H.T., p. 225-235, Annot. LIV à LX.
63 H.T., p. 218, Annot. LUI, Du tesmoignage d’un complice et de la vengeance : « le témoignage de Burdeus contre Gairaud n’estoit pas de peu de poids tant pour le privilège de la preuve, que parce qu’il le luy avoit soutenu en face [...] ; et qu’il estoit conforme à ce qui résultoit du procès, et convenoit fort bien au subject et principalement ces mots : Mors Conradi vita Caroli ».
64 A. Laingui et A. Lebigre, op. cit., p. 96. De telles manœuvres n’en étaient pas moins courantes selon Laroche-Flavin (op. cit. L VIII, ch. 39, p. 507) : « Il est permis et loisible aux juges de mentir quelquesfois pour rechercher et descouvrir la vérité ».
65 On peut rapprocher le dénouement du procès Gairaud de celui d’une affaire jugée au parlement de Dijon en 1650, donc sous l’empire de l’ordonnance de 1539 et qui a été étudiée par B. Garnot, Intime conviction et erreur judiciaire. Un magistrat assassin au XVIIe siècle, Dijon, 2004. Il s’agissait aussi d’un officier, avocat du roi au bailliage de Beaune soupçonné d’avoir fait assassiner un de ses collègues. Pour le juge instructeur, les preuves étaient insuffisantes pour entraîner une condamnation et les juges n’ont pas voulu soumettre le prévenu, Guyot, à la question préparatoire en raison de sa qualité. Ce sont les déclarations accablantes d’un témoin douteux, obtenues sous la question qui ont emporté l’intime conviction de juges de la Tournelle de Dijon et entraîné la condamnation à mort de Guyot et des ses fils complices.
66 H.T., p. 262, Annot. LXXIII, Les peines s’ordonnent suivant la qualité des personnes.
67 Trente ans après le procès de Gairaud, devant parlement de Bourgogne le procès du président Giroux convaincu du meurtre de son collègue Baillet suscitera les mêmes réactions, voir B. Gamot (dir.), Juges, notaires et policiers délinquants (XIVe-XXe s.), Dijon, 1997, spécialement la contribution de J.-C Farcy, p. 35-50, et celle de B. Garnot, « Le bon magistrat et le mauvais juge à la fin du XVIIe siècle », p. 17-25.
68 H.T., p. 48-54, Procès de Candolas escolier ; p. 55-65, Procès d’Esbaldit praticien.
69 H.T., p. 270, Annot. LXXVI, De la bonne grace et attraits, p. . 272-275 ; Annot. LXXVII, Des privautez et caresses et qu ’elles engagent à aymer. Vanité et folie des amans ; p. 275- 278, Annot. LXXVIII, Que l’amour transforme les hommes en bestes, leur dérobe l a raison, et les porte à des actions estranges ; p. 284, Des amoureux prompts et entreprenans et de lur malheur.
70 H.T., p. 52 ; à la page 40 de son récit, Ségla souligne que Candolas et Esbaldit « estoient soupçonnéz estre les ruffiens et paillards de Violante ».
71 H.T., p. 48, « Candolas n’estoit qu’au vingtunième an de son aage, cela fut cause qu’on ne le condamna pas à peine plus sévère que les autres deux ».
72 H.T., p. 296, Annot. XC.
73 H.T., p. 57.
74 Voir ci-dessus note 15.
75 H.T. p. 58-59.
76 H.T., p. 320, Annot. C, De la force des prières et de la cérémonie d’embrasser les genoux. Esbaldit avoua qu’il avait avalé une balle de plomb en pensant atténuer la douleur de la torture par un charme magique ; voir L. Silverman, op. cit., p. 95-102.
77 H.T. p. 55.
78 H.T., p. 65 -73, Procès de damoiselle Violante de Bats du Chasteau.
79 H.T., p. 328, Annot. CIIII, De la pudeur et honte et de l’effronterie et lubricité des femmes ; Ségla cite le passage du traité De la génération des animaux (L. 2, ch. 2) où Aristote considère la femme comme l’ébauche de l’homme.
80 P. Darmon, Mythologie de la femme dans l’Ancienne France, Paris, 1983, p. 17-31. L’ouvrage de Guillaume de Ségla (1613) est presque contemporain de l’Alphabet de l’imperfection et malices des femmes (1617).
81 H.T., p. 81-83, Des femmes estrangères et conversation avec les estrangers.
82 S. Beauvalet-Boutouyrie, Être veuve sous l’ Ancien Régime, Paris, 2001, p. 25-29.
83 H.T., Annot. CXI, p. 344.
84 Ségla a vu l’objection et disserte sur la validité du témoignage des domestiques contre leur maître (Annot. CXV, p. 352), en soutenant que si leur témoignage est normalement rejeté comme vox funesta, il est admis en cas d’adultère, « sans oublier qu’il estait question d’un assassinat, auquel si les complices et condamnez font foy, à plus forte raison les tesmoins domestiques, qui ne sont infames comme les condamnez ».
85 H.T., p. 68, et p. 355, Annot. CXVII. Pour souligner la perversité de Violante, Ségla rapporte le propos d’un témoin qui l’aurait entendu dire avant son mariage avec Romain « qu’elle épouserait un Huguenot pour faire périr son frère ».
86 Il y a, en effet, une contradiction entre le récit (H.T. p. 71) qui fait état de cette décision et l’arrêt tel qu’il est rapporté p. 396 et enregistré à sa date (A.D. Haute-Garonne, IB 3563, arrêts criminels, nov. 1608-mars 1609), qui passe sous silence ce point important. Il faut sans doute comprendre que Violante a été simplement présentée (exhibée) et non soumise à la question, ce qui aurait nécessité une décision formelle. De façon générale, les juges répugnaient à infliger la torture aux femmes.
87 Les lamentables regrets faicts par Damoiselle Violante de bas Chasteau à la place Sainct-Georges de Tholose, 16 septembre 1609, Avec de très belles stances sur ce subject, Toulouse, pour Jacques Bérat, MDCIX, 15 p.
88 Dans l’affaire de Magdelaine Boiveau, dame de Volesvre, on retrouve à l’égard de l’accusée les mêmes préjugés misogynes qui ont fondé la condamnation et aussi l’effet rédempteur de la confession in extremis, Voir B. Garnot, op. cit., p. 175 et s.
89 N.Z. Davis, et alii, op. cit., p. 189.
90 Ibid., p. 163-169.
91 J. de Coras, Arrest mémorable, p. 139, annot. CXVIII.
92 B. Garnot, Crime et justice aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, 2000, ch. I, « Le bon magistrat et les mauvais juges à la fin du XVIIe siècle », l’étude est fondée sur les mercuriales prononcées au parlement de Dijon.
93 J.-L. Thireau, « Le bon juge chez les juristes français du XVIe siècle », dans J.-M. Carbasse et L. Depambour-Tarride, La conscience du juge dans la tradition juridique européenne, Paris, 1999.
94 Petit discours des parties et office d’un bon et entier juge, Lyon, B. Vincent, 1596, rééd. 1605, avec Les douze règles de Jean Pic de la Mirandole, ľArrest mémorable et De l’edict des mariages clandestins.
95 H.T., p. 113-117, 291-294 ; voir aussi p. 196, l’annot. XLV : « Les jugemens des Juges souverains, vrays prestres de Justice doivent est justes, droits et conformes aux loix, sans estre plus sévères qu’elles, afin qu’ils servent d’exemples et instruisent le peuple. Autrement ils ne méritent d’entrer au sainct temple de justice, de s’asseoir en leur places, ny porter le nom de juges ».
96 H.T., p. 76.
97 H.T., p. 372, Annotation CXXX, Des purgations que les Romains faisoient au mois de février : des lupercales et de la repentance.
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