Les bois de Port-Royal : une « solitude bien proche de Versailles »
p. 71-83
Note de l’auteur
Nous remercions les agents de l’onf pour l’accueil et les renseignements fournis.
Texte intégral
« Que ces vieux royaumes des ombres,
Ces grands bois, ces noires forêts,
Cachent de charmes et d’attraits,
Dessous leurs feuillages si sombres... »
Jean Racine, Le paysage ou les promenades de Port-Royal des Champs, Ode 3, description des bois
1L’abbaye cistercienne de Port-Royal des Champs, située en Ile-de-France, au sud-ouest de Paris, est devenue lieu de mémoire par excellence en raison de l’acharnement de la puissance publique qui en ordonna la destruction. Elle illustre une des pages du Jansénisme avec les figures religieuses et littéraires d’Angélique Arnauld, de Saint-Cyran, de Racine et de Pascal, d’Antoine Arnauld et des Solitaires qui s’éloignèrent des fastes de la Cour pour des raisons politiques ou de renoncement au monde. Au-delà de ce contexte historique, si le site a su conserver de sublimes attraits, malgré les aléas de l’histoire et la proximité immédiate d’une ville nouvelle de plus de 100 000 habitants, surgie de plateaux agricoles dans les années 1970, c’est surtout grâce à son implantation, à son environnement forestier et à la volonté des propriétaires publics ou privés de le préserver (figure no 1). Il convenait de s’arrêter sur l’une des composantes de ce « Paysage » de Port-Royal.
2Après avoir évoqué au préalable les caractéristiques du site, on s’attachera à donner des jalons pour une histoire des bois de cette abbaye (1700-1790), présentant la gestion ordinaire, les aménagements successifs, les avantages procurés par ce capital qui permit de faire face aux dettes, de faire les réparations les plus urgentes des bâtiments et de réaliser des travaux de reboisement après l’obtention de coupes exceptionnelles ; on s’attardera enfin sur les profondes mutations paysagères en raison des exigences royales.
3Présenter les bois de Port-Royal semblait un projet fort anodin mais, au fur et à mesure du dépouillement des liasses, le site finit par s’imposer malgré le laconisme des documents administratifs : il convenait de l’arpenter afin de confronter les sources avec les données du terrain. Permettez-moi de vous y conduire en préambule, en quelques enjambées rapides afin d’évoquer l’abbaye au temps de sa splendeur, à l’aide de dessins ou de gravures réalisées avant sa destruction, et de montrer l’état actuel. Une gouache conservée au Musée national des Granges montre l’implantation de l’abbaye dans un fond de vallon, selon l’usage chez les cisterciens, comme l’indiquent les coteaux la surplombant ; on distingue au premier plan la masse d’un des deux étangs aménagés en amont des bâtiments (figure no 2). Une vue d’oiseau, d’après une gravure d’Horthemels conservée au Musée de Versailles, sous le même angle, permet de se rendre compte des aménagements de l’espace avec notamment le canal, l’emprise de la digue et de l’étang, et la représentation des jardins du monastère et de ceux des pensionnaires. De nos jours, seuls quelques éléments subsistent, comme l’attestent les vues présentées : la « solitude », le cloître redessiné par une plantation de tilleuls, le canal, la chapelle édifiée au xixe s. à l’emplacement du chœur de l’abbatiale, le colombier près duquel se trouve une grange qui abrite un Musée, la porte de Longueville..., autant de documents à rapprocher des gravures du xviie siècle.
4Au-dessus du site du monastère se trouve un ensemble constitué par le bâtiment des « petites écoles » édifié en 1651, dans lequel les Solitaires dispensèrent un enseignement remarqué dont bénéficia en particulier le jeune Racine. Devant la façade, un verger a été soigneusement replanté dans l’esprit de celui que créa le célèbre agronome Robert Arnauld d’Andilly, frère de la mère Angélique et auteur de La Manière de cultiver les arbres fruitiers. Faut-il rappeler à ce propos les liens familiaux qui unissaient aussi Duhamel du Monceau avec Port-Royal ? Derrière cet ensemble, on trouve les « granges de Port-Royal » composées de bâtiments agricoles distribués autour d’une cour. Au centre, on distingue le puits qui permit à Pascal de réaliser ses expériences de physique. Ces bâtiments sont en cours d’aménagement et l’on peut désormais admirer la remarquable charpente de la grange à blé.
5Au terme de cette présentation, il convient de préciser que, contrairement à nos attentes, les liasses consultées ne font aucun état de ventes de bois pour l’édification de ces bâtiments, car les sources forestières les plus anciennes datent essentiellement du début du xviiie siècle, c’est-à-dire dix ans avant la destruction. Il restera à éclaircir sur quels deniers ces constructions furent financées, ceux de la communauté ou ceux des familiers, voire des Solitaires qui s’installèrent à Port-Royal. Pour ce qui est des mutations du paysage, signalons que les étangs n’existent plus, que les parterres sont seulement suggérés et que la tempête de décembre 1999 a particulièrement ravagé cet endroit, les arbres abattus ayant modifié et ouvert le site !
6Il n’est pas question ici de retracer l’histoire des bois de cette abbaye. Nous donnerons seulement les grandes lignes d’une période allant de 1700 à la Révolution, coïncidant avec l’époque où la communauté dut gérer ses bois en tenant compte des dispositions de l’Ordonnance d’août 1669. Nous présenterons successivement cette phase d’adaptation à la réglementation. Ensuite, nous citerons quelques exemples de la gestion des bois. Enfin, nous verrons les conséquences de la proximité de Versailles.
I. Résistance active et temps d’adaptation
7Dix ans après la promulgation de l’Ordonnance, les religieuses adressèrent au grand maître, Monsieur de Saumur, une requête afin de les autoriser à couper un nombre suffisant de baliveaux pour obtenir 200 cordes de bois pour leur chauffage, attendu que 200 personnes dépendaient de cette maison tant au-dedans qu’au-dehors. Il leur fut répondu qu’elles devaient s’adresser au Conseil du roi, et qu’en attendant, il leur serait délivré 60 cordes destinées exclusivement à leur chauffage. Ce document isolé montre qu’il n’était pas encore question de réaliser l’aménagement.
8Dans cette époque qui connaît un changement dans la gestion des bois, l’autorité royale venait de s’exercer impitoyablement sur la communauté de Port-Royal des Champs en ordonnant la dispersion définitive des religieuses en 1709, puis la destruction des bâtiments en 1711. Ces évènements tragiques entraînèrent des bouleversements dans la gestion ordinaire : les religieuses du monastère de Paris assument désormais les très nombreuses charges, dont le versement des pensions des religieuses qui avaient été dispersées. Par conséquent, il convenait d’obtenir les meilleures conditions possibles pour la gestion des bois. Les données des sources forestières contribuent à éclaircir ce point. Le capital représenté par les bois va en effet permettre de relever la maison, si l’on peut oser cette expression dans ce contexte particulier ; c’est ce à quoi s’appliquèrent les religieuses dès 1712.
9On peut penser qu’il y eut une volonté, compte tenu des circonstances, d’accélérer le processus d’aménagement des bois : le danger devait être assez imminent, vu les réactions de la communauté et sa détermination à obtenir de sa majesté des arrêts du conseil qui lui soient favorables. Elles formulèrent une première requête dans laquelle leurs exigences étaient clairement stipulées ; en premier lieu d’être autorisées à faire couper annuellement 15 baliveaux des plus anciens et dépérissant dans les coupes ordinaires de leurs taillis, proposant même de laisser 25 baliveaux au lieu des 16 fixés par l’Ordonnance, afin de rembourser les dettes qu’elles avaient contractées malgré les gros efforts déjà consentis : seules ces coupes de bois pourraient les libérer. L’arrêt du 17 décembre 1712 satisfait leur demande, mais précise que cette délivrance sera faite jusqu’à l’entière exploitation, qu’elle leur sera faite par le grand maître ou par les officiers de la Maîtrise, que les deniers iront au paiement des dettes et des réparations, et que des lettres patentes seront nécessaires pour l’exécution de cet arrêt. Estimant que ces modalités les pénaliseraient, elles firent une nouvelle requête afin d’obtenir une réformation ou une interprétation de cet arrêt, qui fut formulée le 4 février 1713, confirmée par lettres patentes des 22 janvier et 19 février 1713 et enregistrée au Parlement le 9 mars suivant. Elles étaient autorisées à ce que seul un garde marteau de la maîtrise des Eaux et Forêts de Paris leur délivre 15 baliveaux par arpent dans les coupes ordinaires ; une fois l’exploitation entière terminée, seuls 9 baliveaux seront délivrés, lesquels seront utilisés pour leur chauffage, et l’excédent servirait à acquitter leurs dettes et réparer les bâtiments. Il conviendra de laisser 25 baliveaux par arpent.
10On peut affirmer qu’elles bénéficièrent de la faveur royale grâce à l’entremise et à l’appui du contrôleur général des finances, Monsieur Desmarets, comme le confirme la lettre du 18 janvier 1713, envoyée par le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, et dont Port-Royal relevait depuis 1624 : « Il y a huit jours, il me répondit qu’il était bien persuadé de la nécessité de faire quelque chose d’extraordinaire pour cette maison qui est dans un cas particulier et qui a plus besoin qu’une autre de la protection du roi », ainsi que celle de l’abbesse Marie-Louise de Montperroux : « C’est avec bien du regret que Messieurs des Eaux et Forêts nous voient échapper à leurs mains, et vous pouvez voir par les mémoires que j’ai l’honneur de vous envoyer qu’ils mettent toute leur application à nous tyranniser, vous, monsieur, qui nous avez procuré les grâces de sa majesté, ayez encore la charité de nous défendre contre leurs entreprises. » En effet, alors que tout était en règle, lettres patentes et enregistrement au Parlement, le grand maître enquêteur et général réformateur des Eaux et Forêts au département de Paris et d’Ile-de-France, Alexandre Le Fevre de la Faluère, par son mandement du 14 mars 1713 formula trois restrictions. En réponse à la demande des religieuses relative au garde marteau qui devait délivrer leur chauffage, il exige qu’un greffier l’assiste, et ordonne l’apposition du quart et l’estimation des baliveaux accordés. C’était négliger les arrêts qui avaient été ratifiés. Les religieuses supplièrent le roi, « d’ordonner que le sieur de la Faluère délivre son mandement pur et simple afin que les Arrêts, qui les avaient mises à l’abri de ces contraintes et qui leur permettaient de tirer le meilleur profit de leurs bois, puissent être exécutés ». Dans le mémoire envoyé au contrôleur des finances, elles dénoncent les libertés prises par le grand maître qui a délivré sa commission en laissant apparaître qu’il adhérait aux intentions de sa majesté mais qu’il faisait leur contraire : « Il faut du temps, il y a des vacations pour faire une telle estimation, chaque arbre peut devenir une occasion du procès s’il plait au garde marteau indisposé... Il n’est guère possible d’échapper à des frais exorbitants que l’art et l’intérêt prennent soin d’accumuler, on aura pas de peine à persuader que ce ne sont que des incidents recherchés » ; et à propos de la volonté de mettre le quart en réserve : « Il découvre au naturel l’aigreur et l’animosité qui fait agir. » Afin d’obtenir les faveurs du roi, on évoque les établissements dispensés du quart : mesdames de Saint-Cyr, celles de Haute-Brière, ceux des Vaux de Cernay, l’archevêque de Paris et quantité de gens de mainmorte. Il suffit de se référer à la manière dont on délivre les bois à l’abbaye du Paraclet d’Amiens depuis 1691, pièces nécessaires fournies à l’appui. L’abbesse Marie-Louise de Montperroux, ayant été la supérieure de cet établissement avant son arrivée à Port-Royal, connaissait parfaitement le sujet. Après toutes ces péripéties et la remise au pas du grand maître, le garde marteau Pierre Cotton reçut le 24 mars une nouvelle commission de sa part et le 26 et les jours suivants put marquer et délivrer les 15 baliveaux dans le canton des Cotteaux attenant aux terres labourables de la ferme des granges et au bois de Trappes appartenant aux religieuses de Saint-Cyr, en présence du fondé de pouvoir de l’abbaye.
11Ainsi les religieuses parvinrent un temps à différer l’aménagement de leurs bois. Les délivrances s’effectuèrent normalement jusqu’à la fin de l’année 1722, date à laquelle le grand maître ordonne la mise du quart, probablement parce qu’une parcelle de bois avait été abroutie. La sanction est prononcée, les religieuses devront en répondre devant le tribunal, et le 4 mars 1722 les 15 baliveaux délivrés concernent 20 arpents seulement. L’aménagement des bois était inévitable. Ce même Alexandre Le Fevre de la Faluère, par l’ordonnance du 29 septembre 1723, les informe qu’il leur faut procéder à la distraction du quart de réserve et régler le surplus à l’âge de 25 ans. L’abbesse de Montperroux et les religieuses répondent qu’elles ne s’y opposent pas et souhaitent même renoncer au privilège obtenu du roi quant au garde marteau : les gardes bois et des ventes ainsi que les délinquants « peuvent aisément surprendre la religion » de cet officier. Aussi, elles sollicitent de remettre la marque et la délivrance de leurs bois dans la règle ordinaire.
12Cependant elles désireraient abaisser l’âge de la révolution compte tenu de la nature du terrain, faisant observer que « leurs bois étant sur des côtes stériles, les unes pleines de pierres et les autres sur un tuf couvert d’une superficie sableuse qui n’a pas la profondeur nécessaire, ne peuvent subir un si grand retardement, joint que ceux qui sont sur un terrain plat sont noyés par les eaux qui y séjournent, ce qui les empêche de croître quand ils ont 12 ans, après quoi ils périssent au lieu d’augmenter ». Elles demandent que leur soient délivrés 9 baliveaux par arpent selon l’arrêt du 4 février 1713 et que les coupes de leurs taillis soient réglées à l’âge de 15 ans. À la suite de cette requête, Alexandre Le Fevre de la Faluère énonce le 6 septembre 1726 les nouvelles modalités : par le maître de la maîtrise de Paris, en présence du procureur du roi, garde marteau et autres officiers, il sera procédé au choix, distraction, séparation et bornage du quart des bois et ensuite au règlement des trois autres quarts à l’âge de 15 ans, compte-tenu de leur désistement et conformément à l’arrêt, il leur sera délivré 9 baliveaux par arpent destinés au chauffage et aux réparations, à la charge de laisser 25 baliveaux. Les honoraires s’élèveront à 222 livres et non 260 comme elles le proposaient, répartis ainsi : 72 livres au maître particulier à raison de trois journées de vacation à 24 livres, 48 livres au procureur, 48 livres au garde marteau et 54 livres au greffier. Les religieuses payaient auparavant 200 livres au garde marteau.
13Les documents étudiés démontrent que ces « aménagements » ne furent pas obtenus sans difficulté, tant le grand maître voulait imposer la réglementation stricto sensu. Ils témoignent de la détermination de l’abbesse de l’époque, qui avait acquis une expérience en matière de gestion de forêts, et dont on avait dit en 1712 qu’étant « bonne ménagère » elle pourrait relever la maison en moins de deux ans.
II. Demandes de coupes extraordinaires destinées à divers travaux
14Ce premier aménagement de leur bois venait à expiration en 1740. On conseilla alors aux religieuses de se pourvoir devant le Conseil du roi afin d’obtenir la coupe du quart de réserve, ceci ne pouvant plus être différé vu les dépenses, les charges, et le poids d’anciennes dettes. Elles allèguent « que la nature de la réserve ni son terrain ne se sont trouvés propres à produire de la futaie ; les baliveaux étant étalés en pommiers, les terrains arides et pierreux et en pentes rapides en sorte qu’au lieu de profiter, il ne fait que dépérir et leur cause une perte de 100 arpents (la réserve s’étendait sur une surface de 103 arpents 7 perches et était répartie sur 8 pièces). Elles indiquent qu’il y a par ailleurs dans la totalité de leurs coupes ordinaires plus d’un quart en futaie, compte tenu des réserves faites : on dénombre avec le quart 17 000 pieds d’arbres sur environ 445 arpents, soit 38 pieds par arpent (la surface exacte de leur bois à cette époque étant de 447 arpents et 61 perches).
15Elles obtinrent par l’arrêt du 6 juin 1741 d’une part de procéder à la vente des bois de la réserve, à condition que l’adjudicataire laisse 25 baliveaux de l’âge du taillis par arpent, ainsi que les arbres de 40 ans et au-dessous ; et, d’autre part, de prélever 10 à 12 arpents dans les coupes ordinaires de 1729 et 1730 où il y a des trous remplis d’eau suite à l’extraction de pierres : ces taillis devront être recépés, sans réserve de baliveaux. Il conviendra également de couper les anciennes souches ras de terre, de curer les fossés et d’en creuser un autre large de 6 pieds de largeur et profond de 5, de donner du talus aux anciens fossés et sangsues qui seront reliés au nouveau fossé. Le produit des ventes financera les travaux les plus urgents aux bâtiments situés à Paris et à Port-Royal des Champs, notamment à la reconstruction de ceux de la ferme de Champgarnier qui ont été incendiés, sur le devis dressé par l’architecte qui sera désigné après l’adjudication des travaux. Le surplus ira aux besoins de l’abbaye, après prélèvement du dixième de la recette pour soulager les communautés pauvres de femmes. L’arrêt stipule qu’il faudra ensuite choisir dans les coupes ordinaires le meilleur fond qui sera destiné à croître en futaie, les trois quarts restant étant réglés à 25 ans où il sera réservé 25 baliveaux par arpent. Il conviendra de remettre les justificatifs de l’emploi des sommes, trois ans après la vente. Les religieuses seront dispensées de la formalité des lettres patentes puisqu’il s’agit d’un aménagement. Les bois ne furent re-arpentés que deux ans plus tard, comme l’atteste le procès-verbal des officiers (27 mai 1743). L’architecte Herbet procéda à la visite, reconnaissance et devis des réparations à effectuer au monastère de Paris et aux dépendances de Port-Royal en 1742 et Claude Louis Davilier réceptionna les travaux en 1746.
16Derechef, le conseil du roi fut sollicité et un arrêt du 29 juillet 1755 autorisa la coupe du quart de réserve. Cette fois, le produit de la vente devait financer le recépage de 145 arpents et 7 perches de terres vaines, vagues, friches et pâtures à proximité de l’abbaye. Après avis détaillé de l’architecte expert en plantation, Marin Cheron, 138 arpents furent désignés pour être défoncés, labourés et ensemencés. Les travaux furent adjugés le 29 novembre suivant au dénommé Louis Bossu pour une période de cinq ans, au prix de 121 livres 10 sols l’arpent. La vente des bois de la réserve ayant permis de financer la plantation, il restait encore 12 635 livres. Les religieuses obtinrent de les affecter à une nouvelle plantation de 107 arpents de terre inclus dans les 250 arpents situés à Pourras. Elles firent savoir leur désir d’être dispensées de l’adjudication confiant les travaux à l’entrepreneur dont elles avaient été satisfaites.
17Compte tenu des extensions réalisées depuis dix ans, un nouvel aménagement devenait nécessaire. Il leur fut accordé par l’arrêt du 20 mars 1764 : elles obtinrent alors la délivrance de 15 baliveaux par arpent afin de compenser les dépenses considérables dues aux plantations et à l’entretien des bâtiments. En 1779, elles furent autorisées à couper leur réserve (arrêt du 25 mai) pour financer la réparation de leurs différentes fermes et dépendances de Port-Royal, estimées peu après par l’architecte François Buron, en vertu d’une ordonnance du grand maître enquêteur Louis François Duvancel. Les bois couvraient alors 675 arpents 23 perches, dont 166 arpents et 50 perches en réserve. La réserve devait être coupée, mais avec recépage des 66 arpents compris dans les 138 plantés précédemment, enclavés dans le quart et qui ne l’avaient pas encore été. Il fallait faire de même des 107 arpents de la plantation réalisée à Pourras entre 1758 et 1760.
III. Port-Royal et les exigences royales
18En raison de sa proximité avec Versailles, cet établissement supporta les contraintes inhérentes à l’aménagement de cette résidence royale. Une partie du domaine de Port-Royal fut concernée à plusieurs reprises, à l’instar d’autres propriétaires, par les routes conçues pour les chasses. Un arpentage de l’emprise de ces routes anciennement ou nouvellement tracées sur trois parcelles de bois-taillis fut réalisé en 1736 à la demande de l’intendant des religieuses et en présence de leur garde-bois et chasses. Il indique que 6 arpents furent pris pour ces travaux. En 1770, les religieuses non indemnisées adressent une requête à Louis XV afin qu’un ingénieur procède au toisé et à l’estimation des portions retirées aux bois du Manet, près du grand parc de Versailles, pour l’établissement des routes que son bisaïeul a ordonné « pour la commodité de chasser ». Elles joignent donc un plan dressé par Noël Mulot en 1757 qui fait état de 10 arpents, 49 perches, 9 pieds. Elles signalent les dernières acquisitions du roi faites en 1758, pour établir une nouvelle ceinture au grand parc de Versailles, qui concernent cette fois non plus des bois mais des terres de l’abbaye dépendant de la ferme du Manet et de celle de Troux, soit au total 24 arpents 13 perches.
19Parmi les granges de Port-Royal, celle qu’on dénommait autrefois la ferme du petit Port-Royal puis de Pourras, à une quinzaine de kilomètres à l’est de l’abbaye, représentait un ensemble considérable : 346 arpents constitués par donations ou par acquisitions. Au point de départ était une libéralité du comte de Montfort, en 1248, ratifiée par saint Louis, d’une pièce de bois de 240 arpents. Au xviie siècle, Port-Royal dut se plier et s’adapter aux exigences d’abord de Louis XIV en 1669, puis de Louis XV en 1765, et assister non sans regret à son démantèlement. La première cession coïncide avec une période très éprouvante pour la communauté. La plupart des religieuses ayant refusé de signer le formulaire, elles quittèrent Port-Royal et furent dispersées en 1661, et leur temporel fut divisé en 1669 entre les Champs et Paris. Des terres furent réquisitionnées à Pourras, mais aussi ailleurs, pour la décoration de Versailles : au total, 137 arpents, 71 perches de terres labourables, de prés plantés en arbres fruitiers, ainsi qu’une grande maison de ferme, furent noyés pour la création d’un étang royal. Les eaux inondèrent une partie des « 1 500 pieds d’arbres fruitiers qui avaient été plantés tout autour de la pièce de terre, lesquels offraient une décoration si belle et étaient si avantageux pour le cidre ». Il n’est pas improbable qu’Arnauld d’Andilly participât à cette entreprise. Les bâtiments disparurent également, ils étaient « bien renfermés de murs autour de la cour, avec un beau puits dedans, le tout en bonne réparation, principalement la grange, une des plus belles du pays, assortie d’un colombier ». Les religieuses reçurent une indemnité en 1686 de 31 990 livres remise par le trésorier général des bâtiments et jardins de sa majesté, Charles Le Bègue. Un siècle après, Louis XV désireux d’établir un rendez-vous de chasse à proximité des rives de l’étang, fit construire le château de Saint-Hubert. Port-Royal lui céda ainsi qu’à son successeur différents éléments de cette terre pour « faciliter la construction de ce château et des bâtiments annexes, de la route et de la rigole de Saint-Hubert ».
20Ces acquisitions royales transformèrent profondément le paysage qui devait encore évoluer après la Révolution lorsqu’à son tour Napoléon Ier magnifia le site par la construction d’une chaussée à travers l’étang afin d’accéder à un pavillon de chasse dont il avait ordonné la construction. Ces travaux rééquilibrèrent la masse de l’étang autrefois dénommé de Port-Royal et de nos jours de Saint-Hubert (figure no 3).
21Comme nous l’avons vu précédemment, les religieuses, à la suite de ces bouleversements, rentabilisèrent leur ancien domaine de Pourras puisque, sur la rive sud de l’étang, restait une quantité non négligeable de terres qu’elles plantèrent, ce qui augmenta leur capital forestier. Les différents plans anciens montrent un bâtiment désigné sous le terme de Ferme de Pourras utilisé plus tard comme maison forestière, mais disparu depuis. Le bois de Pourras, autrefois propriété de Port-Royal, fait partie désormais de la forêt de Rambouillet. Ses 45 ha font l’objet d’une attention particulière : traité en bois pseudo-naturel, on trouve des hêtres, frênes, érables, ormes et tilleuls.
***
22En 1790 les bois de l’abbaye s’étalaient sur 671 arpents suite aux différents accroissements et recépages. Ils ne passèrent pas dans le domaine de l’État au lendemain de la Révolution, comme ce fut le cas pour ceux de nombreux établissements religieux. Ils furent acquis en effet par différents propriétaires. Il n’est guère possible de retracer ici l’historique des différentes mutations. Nous nous en tiendrons à la période contemporaine : une partie de l’ancienne forêt des religieuses a été achetée progressivement par l’État et plus récemment par l’Établissement public d’aménagement de la ville nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines, par arrêté préfectoral d’utilité publique de 1977, en vue de la constitution d’un poumon vert accessible aux riverains. Ainsi, dorénavant, cette forêt d’origine monastique relève de l’ensemble dénommé « forêt domaniale de Port-Royal », constitué des bois de Trappes, de la Mérantaise et de Chateaufort, le tout couvrant 679 ha. Cette dénomination a été retenue lors du premier aménagement 1998-2017. On peut se féliciter d’un tel choix, bien que cette appellation ne corresponde pas à la réalité historique, compte tenu des empiètements réalisés sur d’autres propriétés. Une parcelle ayant appartenu à l’abbaye a été acquise par la région en 1999 et 2000. Elle mesure 160 ha, au sud-ouest du site : le bois de Champ Garnier. Actuellement, une partie de l’ancien domaine forestier appartient à divers propriétaires.
23Cette politique d’acquisitions reflète une volonté de maîtriser les éléments constitutifs de l’ancien domaine. Ainsi, à défaut de pouvoir offrir au visiteur un ensemble monumental prestigieux, eu égard aux vicissitudes subies, les bois de Port-Royal ont un rôle à jouer et contribueront particulièrement au charme du lieu en fonction des aménagements proposés. Bien que de superficie moyenne, les bois de Port-Royal ont compté dans l’histoire de l’abbaye des Champs et de Paris, lui permettant d’affronter de multiples difficultés. Cet écrin forestier a fait bien entendu du site un espace de solitude privilégié et renommé, et assuré son intégrité jusqu’à nos jours, favorisant ainsi la politique de valorisation en cours. À terme elle permettra une meilleure compréhension du site dont bénéficieront les visiteurs.
24Sources : A.N. G 7 1355, Z 1E 281, S 45 22, S 4919B
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