Les obligations militaires des ruraux dans les coutumes gasconnes à l’époque moderne
p. 103-127
Texte intégral
« La vi venir un escuier gascon, qui s’appelait le Bascot de Maulion et povoit avoir pour lors environ cinquante ans, appert homme d’armes par semblant et hardi. Et descendi en grant arroy en l’ostel ou je estois logiez à Ortais, à la Lune, sur Ernauton du Pin ; et faisoit mener commiers autant comme un grant baron et estoit servis lui et ses gens en vaisselle d’argent. »
Jean Froissart, Chroniques, éd. S. Luce, Raynaud,
Sté. de l’histoire de France, 1869-1931.
1Le Bascot de Mauléon, obscur bâtard souletin, servi dans de la vaisselle d’argent, impressionna fort J. Froissart lors de son séjour à Orthez en 1388. Le destin de ce routier gascon est loin d’être unique et il prend place dans une longue galerie de portraits de « cadets de Gascogne », dominée par la figure emblématique de d’Artagnan, « capitaine d’une légion de Césars » (A. Dumas). L’histoire et le roman se disputent ainsi l’emploi de chantre de la « vertu bellique » des Gascons. Ce stéréotype d’une population héroïque et violente ne tient aucun compte de quelques bémols, tels ceux que fit entendre dans son Mémoire, en 1703, l’intendant Lebret à propos des Béarnais :
« Ils ne cultivent aucun art et ne s’appliquent à aucune science ; leur inclination ne les porte pas non plus à la guerre, et le soin de leurs affaires est la seule occupation qui leur plaise et qu’ils croient mériter tous leurs soins1. »
2Ce n’est pas faire injure à la mémoire de tous les Gascons qui servirent Bellone, de rappeler qu’il ne faut pas confondre une propension certaine à la violence et une prédestination à la guerre ; de même, il nous faut bien admettre que nous connaissons encore fort mal la proportion des Gascons, nobles en particulier, qui servirent dans les armées du roi. Rien ne prouve, pour l’instant, qu’elle ait été très supérieure à celle des autres provinces. Enfin, avant de périr héroïquement sous les murs de Maastricht, les Gascons avaient une autre priorité militaire : leur propre défense et celle d’une frontière méridionale longtemps sensible2. La Coutume leur en faisait, depuis le Moyen Âge, une obligation assortie, en contrepartie, de libertés et de franchises ; le « centralisme monarchique » ne fut pas toujours en contradiction avec cet héritage coutumier : la mise en œuvre des milices, même si elle n’atteignit pas ses objectifs, celle de l’inscription maritime, allait dans le sens d’une mobilisation locale des capacités militaires de chaque province. Il est vrai que ces expériences étaient destinées à des opérations militaires nationales, donc lointaines et étrangères à la finalité originelle du droit coutumier en la matière3
3Dans un tel contexte, celui de la France moderne, de ses armées en principe permanentes et où l’État s’était arrogé le monopole de la force armée et de la violence légale, peut-on encore s’interroger légitimement sur le contenu militaire des Coutumes gasconnes et sur les obligations, mais aussi sur les libertés qu’elles assuraient à la paysannerie ? La question est d’autant plus pertinente que la proportion des ruraux ne cessa de diminuer au sein des armées de l’Ancien Régime, même si le monde rural restait le principal réservoir de conscrits. Les troupes réglées, soldées, sont supposées avoir relégué aux oubliettes de l’histoire les dispositions militaires du droit coutumier.
4Cette interprétation n’est évidemment pas sans fondement, surtout au XVIIIe siècle, lorsqu’à l’abri de la ceinture de fer érigée par Vauban, le royaume jouit d’une paix et d’une sécurité intérieure à peu prés complète. Mais elle représente cependant une simplification abusive d’une réalité variable dans le temps et dans l’espace ; elle a surtout l’inconvénient de dissocier le statut politique des pays gascons de leur statut militaire. Comme bien d’autres hypothèses sur le fonctionnement quotidien de la monarchie d’Ancien Régime, elle surévalue un « centralisme » qui consistait surtout, entre Versailles et les provinces, à pratiquer un art subtil du compromis. Dans le cas des institutions militaires, chaque partie feignit de supposer que les réalités du début du XVIe siècle étaient toujours d’actualité à la veille de la Révolution. Sous diverses formes, l’historiographie ressasse la thèse du « centralisme », relayé en province par le « despotisme bureaucratique » des intendants, qui auraient aboli, plus ou moins tôt et plus ou moins brutalement, des « libertés », qui n’étaient d’ailleurs plus, au sens propre comme au sens figuré, que de purs privilèges. Trop sensibles à l’argumentaire des grandes cours souveraines, le parlement de Navarre en particulier dans le cas qui nous occupe, les historiens ne semblent pas s’étonner de l’apostrophe d’un pamphlétaire au roi en juin 1789 : « Si tes intentions respirent la concorde, qu’est-il besoin d’un appareil militaire pour les faire approuver4 ? » Ils s’inquiètent semble-t-il encore moins du contenu des cahiers de doléances ou du tollé que provoqua le 12 décembre 1789 la proposition de Dubois-Crancé d’instaurer un service militaire obligatoire et universel ; les Français souhaitaient l’égalité, mais ils n’étaient pas disposés à renoncer au principe de la liberté et surtout des « libertés ». C’était exactement l’équation que posait aux Gascons l’institution militaire, telle que la concevaient leurs Coutumes.
5La réalité militaire de l’Ancien Régime était à l’image de la plupart des institutions monarchiques : éloignée de tout esprit de système, même si tel grand ministre, Sully, Richelieu ou Colbert attribuaient, après coup, leur fonctionnement à un volontarisme sans faille au service de vastes « desseins5 ». L’armée, présumée permanente, symbole de la modernité de « l’État de finances » également permanent, relevait d’un constant « bricolage » politique, qui conservait aux institutions coutumière une actualité qui ne fut pas négligeable jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. La plupart des coutumes étaient par ailleurs beaucoup moins obsolètes qu’on ne l’imagine ; elles avaient été réformées au cours du XVIe siècle, certaines furent rédigées seulement au XVIIIe siècle, et un certain nombre de procédures, tels les Règlements des pays d’États, permirent de les actualiser jusque dans les premières décennies du XVIIIe siècle6. Les principes qu’affichaient ces coutumes réformées ne contredisaient nullement ceux qui guidaient l’État moderne ; dans certains domaines, le traitement du paupérisme par exemple, la coutume servit même d’agent précurseur de l’État, avant d’en être, dans le fonctionnement quotidien des sociétés locales, un précieux auxiliaire. On ne saurait, bien entendu, nier que la montée en puissance de l’État-Nation, les perfectionnements d’une institution militaire centralisée rendirent obsolètes, en pratique, la plupart des dispositions militaires coutumières. Mais on sait aussi que toutes les tentatives pour produire un code unifié des lois du royaume échouèrent. Dans certaines provinces gasconnes, la Navarre et le Béarn surtout, le droit coutumier connut dans les dernières années de l’Ancien Régime un regain d’actualité avec les débats autour du « foralisme » ou du « pactisme ». Ce droit formait par ailleurs un tout, doué d’une forte cohérence, et même si certaines de ses dispositions, militaires en particulier, tendirent à tomber en désuétude, elles n’en continuaient pas moins à fonder l’identité juridique, sociale et politique des « pays » gascons.
6Nous examinerons les rubriques et les articles militaires des coutumes et des Fors dans une double perspective. La première sera celle du degré d’autonomie du monde rural et de sa capacité à se poser en interlocuteur de l’État, dans le domaine militaire, comme il l’était devenu dans celui de la fiscalité, au détriment des pouvoirs intermédiaires, celui de la noblesse en particulier. La seconde consistera à mesurer la part des obligations militaires dans le fonctionnement de la société rurale. Le rapport des paysans en général et du paysan gascon en particulier avec la guerre ne doit pas se réduire à des clichés ou bien à une partie, la plus tragique certes, de la réalité guerrière. Le paysan subit en effet les obligations militaires et la guerre en victime d’enjeux qui lui échappent. C’est, « la gloire en linge sale », telle que la décrit, avec mépris, Voltaire dans Candide ; c’est la litanie cruellement réelle des dévastations, pillages et tueries. Sous bien des formes et de bien des manières, le paysan fut la victime passive de la guerre7 ; il est le figurant, pas toujours contraint, des combats que livre le prince. Mais, j’ai montré ailleurs qu’il pouvait aussi mener la guerre pour son propre compte ; en Aquitaine méridionale, sur une frontière longtemps sensible, le paysan s’était institué en défenseur naturel du royaume, sous réserve de contreparties politiques et sociales, telles que les lies et passeries ou même, la contrebande8.
7Telles que les présentent les coutumes, les obligations militaires ne contredisent pas nécessairement l’intention militaire de la monarchie. Des notions comme celles de patrie ou de liberté, ne sont pas nées, subitement, d’un miracle républicain en 1793. Il faut cesser d’opposer la France coutumière, « agrégat de provinces désunies » à l’État-Nation « centralisateur » ; entre le paysan asservi aux caprices guerriers des « tyrans » et le libre défenseur de la « Patrie en danger », il y a plus de points communs qu’on ne l’imagine. La rupture n’est pas niable entre les armées de l’Ancien Régime et celles de la Révolution ; mais des comportements, des sentiments, considérés comme d’absolues nouveautés s’étaient forgés dans le long terme : celui d’un dialogue et d’un compromis entre le pouvoir central, à qui ses ressources financières incertaines imposaient la prise en compte des volontés et des particularismes locaux, qui ne pouvaient eux-mêmes subsister sans la confirmation du prince9. L’idée d’une opposition frontale entre l’État-Nation, ses représentants locaux et la province coutumière est aux antipodes de la réalité. L’antagonisme ponctuel n’était évidemment pas exclu, les révoltes paysannes, la contrebande, la désertion ou les altercations avec les sergents recruteurs en offrent maints exemples ; mais il dévoile surtout la complexité du rapport qu’entretenaient la monarchie et les populations. La révolte souletine du curé Matalas en 1661 fut le résultat d’un dysfonctionnement de la société locale, plutôt que celui des exigences fiscales du roi. Dans un registre très proche, pendant la longue guérilla menée par B. d’Audijos contre l’introduction de la gabelle en Chalosse, les agents de l’État déplorèrent, certes, la complicité, générale et ouverte, des Béarnais et des Bigourdans, mais ils se gardèrent bien de la sanctionner. Il est vrai qu’au milieu du XVIIe siècle, le roi de France comptait encore sur les populations pastorales armées pour garder la frontière et, en cas de guerre ouverte, pour servir de supplétifs aux troupes réglées, en application du droit coutumier.
8L’État moderne fut ainsi partagé entre l’inquiétude que lui inspirait la propension des Gascons à la violence et son souci de la canaliser à son profit. Lorsqu’il visita, en 1642, le Val d’Aran, le père Forcaud décrit en ces termes les indigènes :
« Le génie des esprits de cette vallée est fort rude, violent, prompt, bilieux, soupçonneux, vindicatifs, présomptueux et fort peu traitable ; ils tiennent la bandoline, c’est-à-dire la campagne ; ils y sont armés, guettant leurs ennemis10. »
9Mais, dans le même temps, les officiers du roi tiraient le meilleur parti de ce tempérament ; en 1706, le commissaire Dubarbier rendait compte de la manière dont on conduisait la guerre dans les Pyrénées :
« Nous faisons ici, Mgr., la guerre en véritables Miquelets, nous n’avons ni trésorier, ni munitionnaires, ni équipages. Cependant nous vivons, grâce à la contrebande et à la complicité des populations11 ! »
10Lorsqu’il s’agissait de faire confiance aux vertus guerrières des Gascons, les officiers du roi ne manquaient pas de référence ; Brantôme citait avec délectation le brevet décerné par le duc d’Albe : « Questi Francesi Gasconi parescono veri instrumenti da Dio per far guerra. » Plus prosaïque, L. de Froidour, Maître des Eaux et Forêts au temps du Grand Roi, faisait état de l’ardeur du Bigourdan : « Qui se sent de l’air de la Gascogne, il en a l’esprit et les inclinations et fournit quantité d’aussi bons soldats que la noblesse de bons officiers. » Dans un tel contexte, la prétention des Gascons à se poser en défenseurs naturels des frontières méridionales du royaume avait toute chance d’être favorablement reçue. On pourrait multiplier à l’infini les témoignages de cette revendication, de nature politique, qui reposait d’abord sur les textes coutumiers et en particulier sur les fameuses « légendes forales », source d’un « pactisme » ou d’un « foralisme », sans cesse récurrents. En 1657, lorsque les Souletins s’étaient inquiétés des velléités royales de vendre le domaine, soit les terres communes de Soule, Louis XIII les avait aussitôt rassurés :
« Les dictes coustumes ont reçues leur approbation et confirmation de règnes en règnes de la part de tous les rois qui ont recongneu que le dict pays ne pourroit ny susbsister, ny servir de boulevard contre l’Espagne que par l’entretènement de ces anciennes et sages coutumes12. »
11Lorsque les Labourdins revendiquaient en 1671 le respect de leur coutume, ils le faisaient : « En considération des services que les habitants rendent journellement sur la frontière parce que les habitants s’étoient conquis eux-mêmes par la force des armes sur les Sarrasins ! » Enfin, Louis XIV régnant, le syndicat de la vallée d’Aspe refusa en 1688 l’introduction des droits de lods et ventes et justifia ainsi la position des Aspois :
« Non seulement en récompense de leur fidélité, mais encore à cause de leur situation, puisque c’est elle (la vallée) qui a toujours gardé le passage d’Espagne de ce côté-là avec le plus grand soin, sans aucune dépense pour le souverain13. »
12Même lorsque la Gascogne se trouva à l’abri de tout risque de guerre, jusqu’en 1792, cette argumentation prévalut et fut admise par Versailles.
13C’est dire que le contenu militaire des coutumes dépasse largement le cadre des opérations de guerre proprement dit ; il est au centre des attributions politiques et de la vie politique du monde rural, encore bien mal connues. Il est également évident que l’importance, la survivance de ces attributions dépendaient pour une bonne part de la proximité des pays gascons avec la frontière espagnole. Cette considération dictera dans une large mesure la forme de notre exposé. Il n’est pas sans intérêt de souligner que cette répartition entre le nord et le sud des terres gasconnes coïncide, en partie du moins, avec les systèmes successoraux et le poids de la « maison », ainsi que celui de la besiau14.
14On ne peut enfin manquer de rappeler, en introduction, les continuités et les ruptures entre les périodes médiévales et modernes. Dans le cas particulier du Béarn, on admet généralement que l’institution militaire, fondée sur les fors, atteignit son degré de perfection au temps de Gaston Fébus : capacité de mobiliser rapidement une force d’intervention conséquente, mise en place d’un réseau de forteresses, d’ateliers d’armement, inspection des troupes locales.
15Mais on mesure aussi combien le système reposait sur d’excellentes finances et surtout à quel point sa finalité était défensive. Lorsque Gaston Fébus intervint hors des frontières de sa Principauté, il le fit avec le concours de mercenaires, les Compagnons de Lourdes, manipulés par l’intermédiaire d’un bâtard de la maison de Foix-Béarn, ou bien en soldant ses troupes15. Il mena ainsi la guerre de Comminges entre 1376 et 1379 et la plus grande victoire du vicomte de Béarn ne dut rien à la valeur des milices béarnaises : « L’éclatante victoire de Launac est essentiellement fuxéenne16. » Respectueux des Fors de Béarn, Fébus n’avait pas osé entraîner ses Béarnais dans une contrée cependant bien peu lointaine. Admirablement conçues pour la défense, les obligations militaires coutumières s’avéraient tout à fait inadaptées à l’offensive ; c’est ainsi que les princes de Béarn échouèrent dans leurs deux tentatives de reconquête de la Navarre, en 1512 et en 1521. Chroniqueur avisé, Nicolas de Bordenave attribuait ces désastres répétés à la nature des troupes béarnaises : « Levées à la haste du peuple, nullement aguerri17. » Henri II d’Albret tira les conclusions de ces fâcheuses aventures ultramontaines ; en fait, réformateur de la coutume avec le concours des États de Béarn, il tenta de concilier ses ambitions politiques, les nouvelles réalités de l’art militaire et le sacro-saint respect du principe fondamental de la coutume béarnaise : le pactisme. Henri II conçut donc une double réforme militaire ; en 1521, la place de Navarrenx avait été enlevée sans coup férir par le prince d’Orange : « La place n’estoit point tenable et la fortification qui avoit esté faite à la haste estoit imparfaite. » Le roi de Navarre fit élever une enceinte bastionnée, une des premières du genre en Aquitaine, qui devait servir de base à la reconquête de la Navarre. L’armée béarnaise fut réorganisée entre six « parsans militaires », capables de mobiliser 6 000 hommes « du peuple armé à la nécessité », dans un but strictement défensif. Au bout du compte, le système échafaudé par Henri II confirma, de manière éclatante, le principe forai de l’institution militaire coutumière : la défensive. Navarrenx ne servit, par deux fois, qu’à préserver la souveraineté politique de la Principauté et l’armée béarnaise ne combattit que pour la sauvegarde du « pays18 ».
La coutume et les obligations militaires
16On peut distinguer, en la matière, plusieurs types de coutumes : la proximité de la frontière, mais surtout l’histoire politique et institutionnelle ont déterminé le contenu de leurs obligations militaires. Les plus remarquables par la richesse de leurs développements étaient les Fors de Béarn et de Navarre ; ces coutumes étaient celles qui fondaient, de manière très explicite, les devoirs militaires des « sosmes » sur le « pactisme » et sur des légendes forales qui évoquaient un régime politique antérieur au principat ou à la monarchie. On trouvait ensuite, en Bigorre, Lavedan, Soule, Labourd, des coutumes qui ne faisaient plus qu’implicitement référence à cette notion de contrat, mais plutôt à celle de simples contreparties. Enfin, dans la Gascogne intérieure, le pactisme devient inexistant et l’esprit est celui des chartes de franchises traditionnelles.
La souveraineté du prince, les obligations des sujets
17Mélange de modernité et de tradition, au service d’une centralisation accrue du pouvoir princier et d’une forte hiérarchisation sociale, les coutumes réformées au XVIe siècle conservaient la notion de ban et d’arrière-ban. Mais elles insistaient surtout sur le « sacramento mutuo », le serment, les obligations réciproques du prince et de ses sujets.
18Peut-être en raison de sa réformation précoce, le For de Navarre ne consacre que le 1er article de sa 1re Rubrique, Du serment des sujets à l’avènement du roi à la couronne, à la question militaire. Implicitement, le serment que prononçaient les États du royaume engageaient les Navarrais à remplir des obligations militaires, dans la perspective très traditionnelle de l’aide et du conseil des vassaux (qualifiés ici de « fivatiers », y compris les roturiers), envers le suzerain :
« Les gens des trois États et tous les autres du Royaume, à chaque changement de Roi, feront hommage et prêteront dans le Royaume serment de fidélité qu’ils seront bons et fidèles vassaux et sujets de S.M., défendront de tous leur pouvoir sa personne, son honneur et ses biens envers et contre tous, le serviront et l’aideront, ne se trouveront en aucun lieu et place où se fera quelque conspiration contre S.M. s’ils en prennent connaissance, ils l’en avertiront par eux-mêmes ou par messager le plus promptement possible19. »
19Très traditionnel, ce texte contenait deux sous-entendus, l’un politique, l’autre plutôt social ; le For précisait clairement que le contrat entre le peuple et le souverain devait être renouvelé à chaque mutation de règne, allusion très claire à une monarchie en principe élective. Il rappelait ensuite l’égalité des « gens des trois états », renvoi sans équivoque à la prétention des Navarrais à une « hidalguia » universelle ; mais en même temps, il faisait allusion à « tous les autres du royaume », sans autres précisions : utile mention du principe fondateur des sociétés pyrénéennes, l’inégalité. Pour la seule vallée de Baïgorry, mais l’exemple vaut pour la Navarre en général, on distinguait les habitants des sept « palacios », ceux des « fijos dalgos », les « infançons » de Lespars, qualifiés aussi de « labradores », les « boteys » de Sorhoeta, les « collaços » de Berroetaguibel, sans compter naturellement les « agotaks » (cagots), bohémiens et autres marginaux. En réalité, l’universalité des obligations militaires cachait mal les « libertés » des uns et les « servitudes » des autres ; une situation que l’on retrouvera, plus explicite, dans la coutume de Béarn.
20En contrepartie de l’aide de ses sujets, le roi ne pouvait mettre en péril leur sécurité, ce qui, en pratique, limitait sa souveraineté et son jus belli ; il ne pouvait par ailleurs pas aliéner la Couronne. Les juristes navarrais qui entreprirent la réformation du For suivirent ici la tendance des grands États-Nations en proclamant le principe de l’inaliénabilité du royaume. Ils avaient sciemment employé une formule tout à fait étrangère aux fors médiévaux : « Il serait bon de changer les mots de (Domaine), savoir qu’aultre chose est le patrimoine du Roy, autre chose est le domaine d’une couronne20. » D’où la rédaction définitive de l’article 6 du For réformé : « Le roi ne vendra, ni n’aliènera rien de son domaine ; et il remettra et réunira à son dit domaine les choses aliénées par lui et ses prédécesseurs21. »
21Le For de Béarn, réformé entre 1548 et 1551, à la demande des États, avec le concours de juristes navarrais, procédait du même esprit que celui de Navarre. Il accordait toutefois des développements bien plus considérables aux questions militaires, sur la base du « pactisme ». Son préambule constitutionnel, rappelait que la loi était antérieure à l’élection du prince ; à condition de maintenir ses sujets « en liberté », celui-ci était assuré de leur service, dans des termes à peu près identiques à ceux de la coutume de Navarre (art. 8) :
« Les barons, les nobles et les autres habitants du Béarn sont tenus, à chaque mutation de prince, de rendre chacun leur hommage en particulier. Ils défendront sa personne, son honneur et ses biens de tout leur pouvoir et ils l’aideront envers et contre tout ; et qu’ils ne se trouveront en lieu ou place où il se fuirait quelque conspiration contre le dit seigneur. Et quand il viendra à leur connaissance quelques conspirations ou machination, ils l’en avertiront eux-mêmes ou par messager spécial, le plus rapidement qu’ils pourront, et ils le conseilleront lorsqu’ils en seront requis du mieux qu’ils leur sera possible, sans révéler les secrets dudit Seigneur et il éviteront tout ainsi que de loyaux vassaux et de bons sujets sont tenus de faire à leur Seigneur. »
22Sanctionné par le « Sacramento mutuo », que chaque prince prêtait le premier, ce préambule était assorti d’une longue série d’articles où chaque obligation des sujets déterminait une restriction du pouvoir princier : la coutume de Béarn instaurait, dans les faits, une « souveraineté partagée ».
23L’article 9 était à cet égard très proche de la conception française de la guerre moderne : le service n’était dû au prince que si toutes les ressources de la diplomatie avaient été préalablement épuisées et : « À moins que ses ennemis veuillent se soumettre au jugement dudit Seigneur et de sa Cour22 » Sauf à disposer de ressources financières capables de le rendre indépendant du contrôle des assemblées (États), le prince de Béarn, bientôt roi de France en 1589, ne pouvait pas exercer sans réserve le droit d’entrer en guerre :
« Si le prince veut assister quelqu’un en guerre, il convoque les États ou fait connaître autrement sa volonté, et il fera une déclaration telle que personne dudit pays ne doive aide au parti adverse23. »
24Aux termes du For, au milieu du XVIe siècle, le prince souverain de Béarn était dans une situation strictement analogue à celle de son cousin, le roi de France. Sa souveraineté en matière militaire dépendait de son « État de finances » ; l’accession d’Henri III de Navarre au trône de France, l’édit d’union de 1620 modifièrent les formes de la coopération, l’exercice du « pacte », elles n’abolirent pas le principe du consentement des États et des « habitants du Béarn » au service armé. Les Règlements édictés par les États actualisèrent et confirmèrent leur contrôle en la matière. L’article 11 de la Rubrique 8, validé par le roi en 1639, stipulait qu’aucune levée de gens de guerre, de cavalerie ou d’infanterie, ni non plus le ban ou l’arrière-ban de la noblesse, ne pouvaient être levés sans : « Seguien l’ourdy deu For et las procédures per lou Judge d’Orthez et Sauveterre per tal regard son declarades per non avengudes24. » À cette date, les « juges » d’Orthez et de Sauveterre étaient en réalité des sénéchaux, officiers royaux, dont le souverain admettait l’incompétence !
La conscription et les charges militaires
25Les Fors de Navarre et de Béarn proclamaient le principe d’une conscription universelle qui n’impliquait aucune égalité de condition entre les personnes, bien au contraire. Le For de Navarre était discret sur cette question, exceptée l’allusion que nous avons relevée. Le For de Béarn était en revanche très prolixe sur les conditions, pratiques, du recrutement des eslegits (les élus), pour le service ; comme toujours sous l’Ancien Régime, le terme d’élu avait une signification rigoureusement contraire au sens démocratique que nous lui attribuons aujourd’hui.
26Le For réglait la question sur la base d’un partage des pouvoirs entre le Prince et les représentants des « bonnes maisons », ce qui représente un bon exemple de tous les compromis politiques et sociaux que beaucoup veulent à tout prix confondre avec le « centralisme monarchique ». Comme les charges fiscales, les obligations militaires accrurent le pouvoir d’une minorité villageoise. Aux termes de l’article 10 du préambule, lorsque le Prince souverain demandait des hommes pour la guerre, il ne pouvait le faire que par l’intermédiaire des États : « Des commissaires députés pour les levées doivent les choisir avec l’avis des jurats et prud’hommes des villes et villages, ainsi que doivent le contenir les commissions expédiées. » Le rôle des jurats, en fait celui de l’oligarchie du village ou de la vallée, resta prépondérant jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
27L’édit d’union de 1620, l’organisation, à partir de 1630, du Régiment des Bandes béarnaises, réduisirent en principe les attributions militaires des jurats. Ainsi, un règlement des milices de 1734 limitait leur capacité de choisir les « élus », mais dans un sens qui en réalité comblait les vœux des « bonnes maisons » : en effet, les miliciens devaient être des cadets entre 18 et 40 ans et le règlement recommandait expressément de recruter en priorité les bâtards25 ! Dans son Testament politique, l’abbé Jean Bonnecaze, fils aîné de très humbles paysans de Pardies-Piétat, se plaignait amèrement des conditions de son « élection » :
« Vers ce temps, les miliciens durent partir pour Bayonne ; les jurats me prirent, quoique l’aîné de la famille, à cause de la minorité et has âge de mon frère. Les jurats faisoient cacher les cadets en vue de me faire partir et priver mon pauvre père d’un secours nécessaire. Mon oncle d’Houritte, jurat, et Gacedat et d’autres, pour épargner leurs cadets et aînés, n’en vouloient qu’a moi, à Carrère et Capdebielle ; ils se prévalaient de la faiblesse et de la timidité de mon père26. »
28Les comptes des gardes des communautés confirment les plaintes de J. Bonnecaze ; celui de Montaut, toujours d’une grande précision, ne donne aucun détail sur les origines des huit « élus » pour la guerre de Succession d’Espagne. Lors des levées révolutionnaires, la tradition se maintint : en 1791, Montaut leva quatre « volontaires » trois étaient des domestiques et le seul « citoyen actif » qui s’était enrôlé passait pour un « mauvais sujet », contre lequel la communauté avait prononcé une ordonnance d’expulsion27 !
29Loin d’avilir le pouvoir de la « sana partida » de la communauté villageoise, le For réformé, puis le système des milices le confirmèrent ; par la suite, le « centralisme monarchique » suivit cet exemple qui répondait parfaitement à ses intentions politiques et sociales.
30Les Règlements ou Statuts de la vallée d’Aspe en Béarn, rédigés en 1656, éclairent le fonctionnement de ce compromis. Le village d’Accous, le plus puissant et le siège du « tilhaber », assemblée générale de la vallée, était confirmé dans son rôle de capitale militaire : on y tenait les revues et les jurats y choisissaient les capitaines. Ces règlements ne faisaient aucune différence entre l’ancienne organisation militaire, celle des « parsans » médiévaux, et la nouvelle, celle des « quartiers de milice ». « Davantage et pro servir de memorie, sera dit en lou present artigle comme es l’inqueste sy davant declarade touquant lou capdoulhat d’Acous ey e demore proubat comme de toute anciennetat lous capitaines qui son estats en la presente vallée facen la monstre generalle deux soldatz dequere en lou bocq d’Accous et affin d’eviter de nous surprener à l’advenir en noustes priviledges et coustumes touquant a ço que lous capitaines que son a present ou temps advenir », ne pourraient rien exiger au-delà de ce que prévoyaient les ordonnances des gouverneurs et que, même dans ces conditions, « le Tilhabé ou assemblade sera feyt mandar pro y estar abisat ainsy que appartiendra28 ». Au même titre que le « roi de guerre », la vallée d’Aspe avait sa petite idée sur le rapport entre les obligations militaires et « l’État de finances »... Tout était par ailleurs prévu pour que les jurats d’Accous, maîtres des « ostaus casalères », se trouvent en position dominante en cas d’arbitrage.
31Nous ne traiterons pas ici de la question des étapes, qui ne s’est posée que tardivement et que les États de Béarn et de Navarre traitèrent globalement avec les représentants du roi, sur la base du remboursement des avances. La coutume contenait cependant des dispositions qui anticipaient sur le système de l’étape et qui s’y intégrèrent sans difficulté. Le For de Béarn ne consacrait aucune rubrique particulière au logement et subsistance des gens de guerre ; en revanche, les Règlements, dont beaucoup furent pris sous le régime de l’étape, s’attachèrent à préciser et limiter les obligations des Béarnais. L’article 14 de la Rubrique 18, traitait du Logement des gens de guerre, cavaliers et fantassins ; les contribuables fournissaient la subsistance : « En espécis ou effectifs solament seguien las ordonnances. » Tous les deux jours, les jurats faisaient des revues et établissaient un rôle avec les noms, surnoms et lieu de naissance des soldats et de la maison qui les hébergeait, afin que la troupe n’exigea rien de plus que ce qu’autorisaient les ordonnances (1641, p. 227). Un an auparavant, à la suite de la présentation de leur cahier de doléances, les États avaient obtenu que toutes les maisons nobles fussent libres et exemptes du logement. En contrepartie, même les feux affranchis devaient contribuer à l’achat des armes distribuées dans la principauté par les États et : « Provedir lou pays et donnation qui se fé à sa majestat per l’entretien de las gens de guerre et frais de garnison29. »
32Deux articles des Règlements traitaient des revues ou « montres », source de fréquents litiges entre les communautés et les officiers des milices. Les capitaines et les enseignes ne pouvaient rien exiger des communautés, « per contribuir a pourtar la despence per las gens de guerre » (1588) et les montres générales n’étaient autorisées que sur ordre du roi ou de son lieutenant général, lorsque : « Sera conegut estar besoin per lo bien de l’Estat et conservation d’aquet ! » Lors de ces revues, le capitaine à cheval, deux fantassins, y compris le tambour, « seran tant solament deffrageats de la despence sens que lou sie permetut responerer directement, ny indirectement », même lorsqu’il s’agissait de dons volontaires ! Les montres devaient se tenir, « aux locs ou es accoustumat » et la dépense était également répartie, en principe, sur les jurats des villages présents à la revue : « Lo fort portant lou feble seguien bous fouecs. » Toutes les infractions à ces règlements étaient sanctionnées par une amende et la restitution des sommes indûment exigées (1589, p. 225). Enfin, dans la mesure où les armes de chaque communauté étaient entreposées dans son « parquet judicial », il fallait prévoir une maintenance régulière ; les sergents et les caporaux affectés à ces visites ne pouvaient demander que 5 sols tournois pour chaque inspection et aucune nourriture, « a penne aux jurats qui lo fourniran de la pagar en lour propre nom » (1588, 1601, p. 225).
33Navarrenx exceptée, toutes les places fortes de Béarn furent progressivement démilitarisées ; les Règlements prévoyaient cependant un certain nombre de dispositions destinées à leur entretien. S’agissant des forteresses royales, les charrois ne pouvaient s’étendre au-delà de deux lieues du site des travaux ; établis en 1594, ce règlement fut confirmé en 1645 par le Contrôle Général. En 1660 un nouveau texte interdit aux communautés de : « Se redimir deus dits carreys ni composir sur aquets en argent ny autrement30. » Le château de Pau, qui n’avait plus depuis déjà très longtemps une destination militaire, alimenta une polémique. Son gouverneur exigeait que le bois de chauffage lui fut gracieusement fourni par les communautés proches de la capitale du Béarn ; à la suite du cahier de doléances de 1626, un arrêt royal : « Décharge intègrement sons subjects de la dite goarde, de candele, de leigne (bois) tant per lo present que à l’advenir. » Cet arrêt ne fut qu’imparfaitement appliqué et en 1789, la communauté d’Idron fut rappelée à l’ordre par le gouverneur qui exigeait son dû. Les jurats de la communauté lui adressèrent la réponse suivante :
« Monsieur, nous avons reçu votre lettre par laquelle vous nous demandez le bois d’usage pour Monsieur le duc de Gramont. Nous vous annonçons que nous n’avons ni bois, ni argent ; d’ailleurs vous n’avez qu’à lire les décrets de l’Assemblée Nationale, sanctionnés par le Roi, alors vous serez instruit et vous cesserez de nous demander. Nous sommes vos très humbles et très obéissants serviteurs31 ! »
34Tardivement, mais fermement, les Idronais rappelaient à l’État, ici son gouverneur, que puisqu’il avait le monopole de la force armée, il devait en assumer les charges, au nom de l’État de finances.
35Les Fors réformés de Navarre et de Béarn avaient considérablement accru, dans une perspective en effet centralisatrice, politique et sociale, le pouvoir des jurats. Mais l’État moderne veillait jalousement sur sa souveraineté et tenait en lisière le despotisme de clocher. Aussi, les Règlements veillèrent-ils à modérer les compétences de ces petits notables. La Rubrique 8, Des jurats, ne contient pas moins de quatre articles à ce propos ; l’article 9 revenait sur la fourniture du bois aux forteresses et aux troupes : « Los jurats deu present pays no contreigneran auguns habitans ni circonvesins a far la guarde ny fournir leigne per las dites villes et locs qui no son de lour juridiction, ou que per priviledge anciens a daquero fossen obligeats32. » Un règlement accordé par la régente Catherine et confirmé par son frère en 1582 (art. 12), interdisait aux jurats de saisir :
« Auguns chibaus appartenents aux nobles ny deus anans et venans estrangers de lour Jurade, et si auguns chibaus, prées per mandament deu Rey, mouriben ou eren soulats, seran pagats per sa Majestat. »
36Les jurats se voyaient également interdire de : « Lodgear ni far lodgear per Etiquette ou autrement las gens de gouerre en las maysous nobles deu present pays » (1582).
37Le prince souverain et les États prenaient ainsi grand soin d’éviter les conflits entre les corps et les ordres ; l’idéal médiéval de la concordia ordinum était en réalité éliminé, au bénéfice de l’État, sur la base d’un compromis et d’équilibres subtils, sociaux, politiques et, ici, militaires. À force de gloser sur le « centralisme monarchique », fatalement liberticide, on a perdu de vue qu’il s’était appuyé sur l’appareil coutumier local et qu’il avait même contribué à l’enrichir. À travers le cas de la vallée d’Aspe et de son Tilhaber, on peut certes objecter qu’il l’instrumentalisa, en faisant une courroie de transmission indispensable à ses besoins propres. Mais il ne lui en confia pas moins des fonctions, même contraignantes, qui alimentaient une politique locale et qui maintenaient en vie des institutions qui, souvent, se seraient désagrégées du seul fait de leurs mutations internes, sans l’intervention de l’État.
Le service armé
38Le service dans les places fortes, le seul en fait auquel les régiments de milices, Bandes béarnaises et Bandes gramontoises, furent astreints épisodiquement aux XVIIe et XVIIIe siècles, occupait une place très limitée dans les textes coutumiers modernes. Seuls les Règlements de Béarn, dans leur Rubrique 1, article 2, Priviledges generaux et communs, s’en préoccupèrent ; cette discrétion est trompeuse, car cet article avait un caractère « constitutionnel » et soulignait bien le caractère défensif des obligations militaires dans la Principauté.
« Touts et chacuns les habitans deus tocs, vals et villadges deu present pays son exempts de anar far goarde en las Villes, castets de que quinh ni quoal que sien, et d’y pourtar augune sorte de leigne, exceptat tant solament aquets, qui par priviledges anciens ou possessions immémoriales y fussen obligeats, et quoand seré necessary de continuar la goarde en lou Castet de Pau, la leigne de la donnation feyte au Rey y sera emplegade, sens qu’aquets qui en son tributayres, pousquen estar constraincts de la cargat, autrement que lours predecessous haben accoustumat, h peine de perdition de lour dret33. »
39Tel quel, ce règlement était parfaitement obsolète ; aux dates où il fut promulgué, la seule forteresse opérationnelle était Navarrenx, dont il n’est nulle part ici question. Il est probable que le Prince se souciait peu d’y cantonner des troupes sur lesquelles son autorité était faible. Au bout du compte, les Béarnais étaient dispensés du service de garnison, sauf à entretenir le bûcher du gouverneur du château de Pau, avec les conséquences que l’on sait.
40En pratique, le rôle défensif dévolu à l’armée béarnaise était très comparable à celui des troupes espagnoles de la péninsule ibérique, qui laissaient le soin au « tercio » d’opérer sur des théâtres d’opérations extérieurs. Nobles ou roturiers, aux termes du For, les Béarnais devaient le service militaire à leur prince contre ses ennemis : « Proches de sa terre ! » Le périmètre n’excédait pas celui, étroit, des domaines patrimoniaux gascons de la maison de Foix-Béarn : les « élus » « seront tenus d’aller trois fois l’an dans le Pays de Bigorre, Armagnac, Marsan, Soule, Sault-de-Navailles (si tant est que le Seigneur en fasse commandement). Et chacune des trois fois, ils serviront neuf jours et devront porter du pain pour leur subsistance et nourriture ; ce pain sera payé par contribution levée sur tout le pays de Béarn ». Le principe de ces périodes et leur durée survécut à l’édit d’union de 1620 ; en revanche, à partir de 1639, le ban et l’arrière-ban furent supprimés. Les États obtinrent un Règlement contre ces levées : les « vassaux » ne servaient plus que dans les milices, aux frais des communautés et seulement pour la défense des terres patrimoniales.
41Dès 1551, le For avait établi le principe suivant lequel le prince, s’il voulait conduire des opérations offensives, hors de ses domaines, devait solder ses troupes. Le For réformé contenait par ailleurs des dispositions particulières à l’égard de la seule frontière vraiment sensible du Béarn : celle avec l’Espagne. Les soldats béarnais : « Ne sont pas obligés d’aller en Espagne à leur dépens par ordre du Prince » mais « ils peuvent y aller de leur propre volonté ! » Rien ne dit mieux que cet article le poids de l’histoire et surtout le souci des populations, pasteurs et marchands, saisonniers, de préserver leur autonomie face aux entreprises hasardeuses du prince. Élaboré au sein des États, le For de 1551, se faisait l’écho des souvenirs, pas si lointains, d’une fructueuse participation à la Reconquista, de l’absolue nécessité économique de maintenir de bonnes relations avec la péninsule ; les Béarnais avaient enfin présentes à l’esprit les deux désastreuses expéditions destinées à la reconquête de la Navarre.
42Une fois de plus, on mesure à quel point la coutume moderne était un mélange de modernité et de tradition. Conforme à l’esprit des lies et passeries, générales ou particulières34, cet article établissait aussi que toute guerre offensive reposait : soit sur le volontariat, soit sur l’emploi de troupes soldées. Aussi l’article 13 précisait :
« Et au cas où ils s’éloignent loin du pays même pour un seul jour, le Prince doit faire porter leur équipement, armes et nourritures et mettre un de ses barons à leur tête pour les conduire à l’aller comme au retour, s’il y en a de capables. »
43Cet article est un exemple achevé du « pactisme » forai ; le prince n’imposait rien à ses sujets, mais il tenait toutefois à encadrer leurs ardeurs guerrières lorsqu’elles se manifestaient35.
44Pour apprécier à sa juste mesure le poids des obligations militaires dans des « pays », Béarn, Navarre, où la coutume les encadrait strictement, il faut examiner la politique des États concernant les étapes aux XVIIe et XVIIIe siècles36, et s’enfoncer dans les comptabilités des communautés. On retiendra, il n’a rien d’exemplaire, le cas du village de Montaut dont les gardes ont laissé de belles séries comptables à partir de la fin du XVIIe siècle37. La guerre de Succession d’Espagne a ainsi laissé des traces très concrètes pendant l’année 1704 ; le 6 avril, le jurat Séré reçut l’ordre de présenter au « parsan » de Nay, devant les commissaires des haras, les juments de sa communauté. Le même jour, un sergent apporta à Montaut une convocation pour la revue ; son dîner coûta 1 franc 2 sols, soit plus que le salaire d’un journalier. Le 17 avril, le garde déboursa trois francs trois sols pour faire « accommoder » sept paires de souliers ; un jurat, Miqueu, perçut trois sols pour des « cinturons » et des pierres à fusil. On retrouve dans d’autres communautés des jurats remplissant ce rôle, lucratif, de « munitionnaire38 ». Le 18, la communauté offrit aux « eslegits » une collation avant leur départ pour Nay : un franc trois sols ; le major et le capitaine qui les accompagnaient furent gratifiés de cinq francs et deux sols et le sergent et le valet du major d’une « collation » ; en contrepartie, la solde des huit soldats de Montaut s’élevait à quatre sols par homme et par jour. La communauté dut encore débourser « lou salari » du jurat et du garde qui suivirent la vaillante troupe à la revue et un autre « salari » pour un jurat qui était allé à Pau porter au Syndic des États le rôle de : « La vérification de las armaries ! »
« Naturalité », « libertés » et service armé
45Entre l’hébétude du malheureux Simplicissimus et la figure sacrificielle des poilus de la Grande Guerre, l’histoire et la littérature n’offrent guère de représentations positives du paysan en guerre. La Troisième République enseigna, certes, la résistance héroïque du Grand Ferré, celle de Jeanne la Lorraine ; mais A. Corvisier, J. Chagniot, J.-P. Bois ont heureusement démontré que le paysan n’était pas exclusivement cantonné dans le rôle de chair à canon. Dans un monde d’Ancien Régime où, du plus grand au plus petit, tous les sujets du roi jouissaient de privilèges, de « libertés » où les valeurs nobiliaires étaient largement partagées par l’ensemble de la population, l’honneur en particulier, la guerre était certes toujours une calamité, mais elle n’était pas que cela.
Naturalité et « libertés » en général
46La Coutume de Soule ne consacrait que deux articles, le premier et le troisième de sa première rubrique, au service militaire : des Droits et statuts des personnes mais, dans leur concision, ils énonçaient l’essentiel : les Souletins étaient un peuple d’hommes libres et donc un peuple en armes : « Per la Coustume de toute anciennetat observade et goardade, touts lous natius et habitans en la terre son francs et de franque condition, sens tache de servitut. Et degun no a ne ne pot prener aucune suite de gens demoran en la dite terre », une nation armée de volontaires avant la lettre39. Dans son Conmentaire de la Coutume, le juriste souletin J. de Béla donnait une interprétation de cet article qui soulignait la parenté coutumière de la Soule basque avec le Béarn gascon : « C’est qu’aucun ne peut contraindre les manants de Soule à se faire suivre hors les limites du présent pays, pour cas de guerre, ni autrement. » La « naturalité » souletine était donc indissociable du droit de se défendre et représentait une « liberté » fondamentale de la province :
« Lous habitans de Sole per so que son assis en l’extremitat deu reaume, circundats et clos entre los Reaumes de Navarre, de Aragon et pays de Bearn, poden portar lors armes per lor defffences et deudit pays en tout temps. »
47On retrouve là, non pas l’hypothétique évocation d’une « indépendance » souletine, mais l’expression, certes atténuée comparée à celle du Béarn ou de la Navarre, du pactisme pyrénéen : défenseurs naturels du royaume, les Souletins assuraient également leur propre défense.
48Certaines fonctions militaires étaient en conséquence réservées exclusivement aux « natius » et, en Béarn et en Navarre, naturalité rimait avec souveraineté. À la rubrique des Gouverneurs des châteaux, article 1, le for de Béarn précisait : « Les capitaines des châteaux de Béarn doivent être natifs du pays » ; la rubrique des Châtelains, article 1, du For de Navarre requiert la naturalité pour le gouvernement des châteaux royaux : « Le châtelain de Saint-Jean, le mérin du Pays d’Arberoue et les châtelains des châteaux de Saint-Palais et de Garris doivent être natifs du présent royaume » (f° 105).
49En Navarre, non seulement le service armé était synonyme de naturalité, mais il était même susceptible d’émanciper un mineur. Un certain nombre de privilégiés étaient également dans ce cas : fils de famille de gens du Conseil de la Chancellerie, procureurs et avocats : « Encore qu’ils soient au pouvoir du père pourront tester des biens qu’ils auront acquis » s’ils servent le roi. Dans le contexte de la maison pyrénéenne, cette capacité n’était pas un mince avantage ; or, elle s’étendait : « Aux gens d’armes, soldats, et autres gens de guerre » (fo 245).
50Le For de Béarn, le plus révélateur de l’équilibre entre modernité et tradition dans ces coutumes réformées, contenait un préambule qui établissait une délégation implicite du droit de guerre et du monopole de la violence légale au prince :
« Et pour se maintenir en liberté et dans le respect de celles-ci, ils élirent successivement plusieurs chevaliers comme seigneur. Et ils les gardera et maintiendra dans leurs Fors, Coutumes libertés, tant en commun qu’en particulier40. »
51En conséquence, le prince était seul autorisé à organiser la défense de la Principauté : « Nul ne doit édifier un château fermé ou clos sans le bon vouloir du prince41. »
52Mais, ici encore, le pactisme imposait ses limites à l’absolutisme du prince ; la rubrique Deus Estats, article 3, des Règlements de Béarn, rappelait que : « Quand lo Rey volera crompar armes et las distribuir per lo pays, apperera auguns deus Estats per en far lo prets et distribution » (septembre 1582)42. Comme le roi de Navarre, le prince souverain de Béarn ne pouvait aliéner sa terre :
« Le prince de Béarn ne doit vendre, ni aliéner les territoires de sa Principauté au-delà de sa vie, ni en aucune manière les détourner de son domaine, et s’il le fait, c’est sans valeur. Et il peut et il doit révoquer les choses aliénées par lui-même ou par ses prédécesseurs43. »
53En la matière, le For béarnais était un peu moins explicite que celui de Navarre ; cependant, le terme « domaine » était bien employé simultanément avec celui de « territoire de la Principauté » et s’entendait donc au-delà du patrimoine personnel du souverain.
54En dépit de ce qui a été trop souvent écrit et répété, l’édit d’union de 1620 ne modifia pas sensiblement les termes du pactisme navarro-béarnais. Dès les premières lignes, ce texte signé au château de Pau par Louis XIII, se justifiait par le souci du roi d’assurer la sécurité et la paix :
« Dans les terres que nous possédons de notre royaume de Navarre, que de nostre Pais et Souveraineté de Béarn, et considérant qu’elles sont posées aux extrémités de la France et par conséquent exposées aux immixtions et indignations des étrangers. »
55Louis XIII évoquait ensuite une des lois fondamentales du royaume qui intéressait au premier chef sa sécurité ; la loi salique ne s’appliquait pas en Béarn et en Navarre et il fallait en conséquence prévoir :
« Les malheurs et inconvénients qui arriveraient si par deffaut d’héritier mâle de notre maison royale, les dits pais eschenoient par succession à des princes étrangers, qui serait ouvrir une porte pour entrer dans notre royaume et y nourrir des guerres qui appporteroient indubitablement la ruine et la désolation totale de nos sujets. »
56Enfin, l’Édit était conforme aux dispositions des édits de Nantes et de Fontainebleau en faisant du roi le seul garant de la pax civilis et res publica. L’Édit d’union contenait donc bien des dispositions attribuées au trop fameux « centralisme monarchique ».
57Mais il ne remettait nullement en cause les « libertés » : « Sans néanmoins déroger aux fors, franchises et libertés, privilèges et droits appartenant à nos sujets. Signé Louis et au repli, par le Roy Seigneur souverain de Béarn. » Louis XIII ne fit aucune difficulté pour prêter le « sacramento mutuo » ; mais, en contrepartie, après son entrée à Navarrenx, le 17 octobre, il remplaça Mr. de Sales, le gouverneur octogénaire, protestant et béarnais, par Mr. de Poyanne, un « étranger », non « natius », gentilhomme gascon de Chalosse ! La conclusion de la chevauchée de 1620 était claire : Béarnais et Navarrais conservaient leurs « libertés », y compris militaires. Mais le roi profita de l’occasion pour faire connaître le sens nouveau de sa souveraineté :
« La gloire des Roys c’est de commander absolument. Dieu veut qu’aux bons et mauvais roys cest obéissance est deùe, car Dieu ne les a pas estably sans cause. Le Roy règne en Dieu afin que Dieu règne en Roy. Quelle punition peuvent attendre ceux qui s’es lèvent et se rebellent contre les Roys qui sont les oings du Seigneur44 ! »
58Ces nobles et sévères formules ne doivent pas cacher la réalité ; les Règlements promulgués en Béarn et en Navarre après 1620 démontrent qu’il s’agissait avant tout de déclarations de principe. Au chapitre 38, Du commerce du bétail et autres denrées en Espagne, article 1, les Règlements de Navarre en usage à la veille de 1789 déclaraient encore sans ambages :
« Nonobstant les guerres, le commerce a quasi été libre à cause de la nécessité entre le royaume et celui d’Espagne et s’il a été interdit quelque fois dans les premiers moments, il a été ensuite permis par les Règlements de 1531 et 1538 et en 1639 par l’ordonnance ou appointements que le Roy accorda aux députés des États. Ainsi il sera libre avec les espagnols sauf en cas de défense45. »
59Dans le domaine de la conscription, l’Édit de 1620 respecta également les libertés ; le For de Béarn de 1551 avait déjà œuvré dans le sens d’un « centralisme » en renforçant les pouvoirs des jurats, auxiliaires du prince. Les Règlements postérieurs à 1620 confirmèrent ce pouvoir qui faisait de ces notables de village les seuls véritables interlocuteurs locaux des représentants du roi. Les officiers chargés des levées en Béarn ne pouvaient : « Eslegir soldats que per l’advis deus jurats deus locs seguien lou For. » Un règlement de 1642, confirmé encore en 1674, établit définitivement les règles en la matière :
« Portant inhibition et deffenses de prener aucune sorte de gens que aquets qui voubontairement et de lour bon grat et franque vobontat s’offriran d’anar à la guerre, et s’enrobleran de lour medich à l’asssistency de tres testimonis aperat à la faction deudit Rollon à la présence d’un deus dits jurats, sauf à l’égard deus vagabonds et non domicilians, per l’ourdy deusdits jurats46. »
***
60À la veille de la Révolution, la relation entre le paysan gascon, la coutume et les obligations militaires qu’elle impliquait était devenue com plexe et passablement contradictoire47 Elle avait varié en intensité en fonction de quelques paramètres stables dont certains étaient contemporains du droit coutumier originel : la présence et la vigueur d’assemblées représentatives, les pays d’États en particulier, mais aussi les Universités des vallées ou encore, plus simplement, les statuts des communautés. La proximité de la frontière avec le monde ibérique, lourde d’ambiguïté, joua un rôle essentiel, même lorsqu’elle se démilitarisa à peu prés complètement au dernier siècle de l’Ancien Régime. Enfin, l’importance des terres communes, le co-usage et l’indivision de vastes territoires associés à l’économie pastorale conservèrent longtemps leur actualité aux obligations militaires coutumières.
61Mais, à plus court terme, l’érosion du droit coutumier s’est accélérée au cours du XVIIIe siècle ; l’œuvre d’un grand juriste béarnais, J. Fr. de Mourot, associé plus tard à la rédaction du Code Civil, souligne la volonté d’une partie des élites locales de parvenir à un droit national unifié, au détriment de la coutume. D’une manière générale, celle-ci satisfaisait de moins en moins les aspirations d’une majorité de la population gasconne qui se détachait des libertés et aspirait à l’égalité de droit. Il est vrai que dans le même temps, la coutume trouvait encore des défenseurs de talent parmi les « néoforalistes » issus de la noblesse, parlementaire surtout. Mais l’évolution générale de l’institution militaire et de la guerre moderne, une paix durable que rien ne semblait menacer, détachèrent peu à peu les Gascons de leurs obligations militaires coutumières. Il faut enfin compter avec l’évolution interne de la société gasconne : la montée en puissance de l’individualisme agraire et le déclin irrémédiable des grands pasteurs transhumants dont on connaît le potentiel belligène.
Notes de bas de page
1 Lebret, « Mémoires des intendants Pinon, Lebret et Bezons sur le Béarn, la Basse-Navarre et la Soule », publiés par L. Soulice, Bull. SSLA de Pau, no 33, 1905, p. 33.
2 Voir la thèse de P. Poujade, Une vallée frontière dans le Grand Siècle. Le Val d’Aran entre deux monarchies, Aspet, 1998.
3 Jusqu’en 1733, les grands régiments de milice gascons, Bandes béarnaises et Bandes gramontoises ne furent engagées que dans des opérations locales qui ne dérogeaient pas à la Coutume. Après 1733, ces régiments n’intervinrent qu’une fois hors des frontières du royaume ; un petit détachement des Bandes béarnaises séjourna quelques temps à Drusenheim, en Bavière. En réalité les régiments de milice ne dépassèrent jamais Bayonne et Navarrenx ; peu de soldats parvenaient d’ailleurs jusqu’à ces garnisons et s’y conduisaient plutôt mal. Voir J.S. Barria, « Le Régiment des Bandes béarnaises au XVIIIe siècle », Revue de Pau et du Béarn, no 18,1991, p. 110-135. Sur les milices en général, J. Gebelin, Histoire des milices provinciales, Paris, 1882 ; mise au point de J. Chagniot, dans l’Histoire militaire de la France, A. Corvisier (dir.), t. 2, p. 18 à 20, Paris, 1992. L’histoire des milices dans les Pyrénées est encore mal connue ; en dehors des recherches de S. Barria, nous ne disposons que d’une seule étude, de qualité, mais trop attentive aux questions techniques, celle de H. Labouche, « Les milices béarnaises avant le XIXe siècle », Bull. SSLA de Pau, 1890-91, p. 3-262. Le document publié par E. Ducere, Projet de mobilisation d’une armée béarnaise au temps d’Henri II (ADPA E. 333), Bull. SSLA de Pau, 1892-93, p. 27-40 est surtout révélateur du centralisme et des progrès de la « bureaucratie » béarnaise vers 1550.
4 Cité par J. Chagniot, op. cit., p. 127. Le travail que nous présentons ici doit par ailleurs beaucoup à l’ensemble des travaux du Professeur André Corvisier et aux conseils qu’il a eu la bonté de nous prodiguer au sein du CTHS. Qu’il trouve ici l’expression de notre vive gratitude.
5 Le meilleur exemple, en la matière, est le Testament politique de Richelieu : « ... Il est vray que les sujets seront toujours religieux à obéir lorsque les princes seront fermes à commander. En un mot ainsi vouloir fortement et faire de qu’on veut est une même chose en un prince authorisé », dans Testament politique, extraits, Paris, 1947, p. 17.
6 Voir C. Desplat, « Règlements et principes de la vie politique dans les pays d’États des Pyrénées occidentales », dans Hommages au Pr. M. Bordes, Annales littéraire de la faculté des lettres de Nice, 1984, p. 24-39. Certaines coutumes furent rédigées très tardivement comme celles de Barèges et de Lavedan, en 1768 seulement. Voir J. Poumarede, « Une rédaction coutumière à la veille de la Révolution : les coutumes de Barèges et de Lavedan », dans Coutumes et libertés, Montpellier, 1988, p. 87-100. Quelques coutumes modernes ont fait l’objet d’éditions critiques récentes (Béarn, Basse-Navarre, Soule). Pour les autres, nous avons eu recours au Nouveau Coutumier général ou corps des coutumes générales et particulières de France, de Ch. A. Bourdot de Richebourg, Paris, 1724, t. IV. Les Coutumes de Gabardan, Tursan, Marsan, Dax, Saint-Sever (p. 905-938), ne contiennent aucun article « militaire ». Les éditions commentées des coutumes de Barèges par M.G. Nogues, La Coutume de Barège conférée avec les usages et cotumes non écrites du pays de Lavedan, Toulouse, s.d (1760), et Explication de la Coutume de Barèges, des six vallées du Lavedan, de la ville de Lourdes, Toulouse, 1789, se référaient à des textes rédigés vers 1670. Elles ne contiennent aucune référence militaire ; en revanche l’auteur insiste sur les mobiles de ses compilations : « Une des obligations que nous impose le droit des gens, c’est de chérir et respecter notre Patrie comme nos parents même... L’amour de la Patrie et le désir de lui être utile sont les motifs de cet ouvrage dans l’Auteur », p. 5-6. Le recueil des Statuts, Coutumes et privilèges du pays des Quatre Vallées, Daure, Magnoac, Nestes et Barousse par le comte B. de Labarthe, édité par les États, Auch, 1772, ne fait lui non plus aucune allusion aux obligations militaires. Inédite, la Coutume de Bidache, ADPA 1 J. 60/1, compilée en 1575, est également muette sur ce point.
7 La guerre de Trente Ans donna matière aux navrantes aventures de Simplicissimus ou aux malheurs de la guerre de J. Callot, contrepoints de la littérature triomphaliste qui entoure les grands capitaines et les princes de ce monde (relire le récit du passage du Rhin par les Français par Racine). Voir L. Marin, Le Portrait du roi, Paris, 1981.
8 Voir C. Desplat, La Guerre oubliée. Les guerres paysannes dans les Pyrénées, XIIe-XIXe siècles, Biarritz, 1993. S. Brunet, « Les lies et passeries des Pyrénées sous Louis XIV ou l’art d’éviter les malheurs de la guerre », dans Les malheurs de la guerre, sous la dir. d’A. Corvisier et J. Jacquart, CTHS, Paris, 1996, p. 271-289.
9 En dépit d’une tradition historiographie tenace, inspirée de la lecture des travaux nationalistes de Cavaillhes, tous les traités de lies et passeries connus à ce jour, avaient reçu l’approbation d’un prince territorial. Voir Cavailhes, La Transhumance pyrénéenne et la circulation des troupeaux dans les plaines de Gascogne, Paris, 1931, où cet auteur affirmait l’existence d’un « État et un droit pyrénéen ». L’existence d’un droit, au sens coutumier, ne fait aucun doute, celle d’un État est une thèse insoutenable ; aucun traité de lies et passeries ne contient de dispositions militaires, ni d’autres dispositions qui puissent être interprétées comme des indices d’une souveraineté politique des vallées. Les Pyrénéens recherchaient avant tout la paix dans les « cartas de patz », garanties par le prince. Voir P. Ourliac, Les Pays de Garonne vers l’an mil. La société et le droit, Toulouse, 1993 et en particulier, « L’Ancien droit des Pyrénées », p. 175-193 et « La justice et la paix dans les Fors de Béarn », p. 195-206.
10 Cité par P. Poujade, op. cit., p. 115.
11 Arch. Départ. Hte. Gar. vol. 1985, fo 309.
12 Arch. Nat. E. 1706, fo 453-456.
13 Arch. Départ. Pyr. Atl. E. 2175.
14 Nous n’entrerons pas ici dans le débat, au demeurant passionnant et utile, des limites de la Gascogne. Grand historien du droit coutumier, P. Ourliac a pu écrire : « La France du sud-ouest n’a pas d’unité géographique et n’a jamais eu d’unité politique... L’Aquitaine a désigné tous les pays au sud de la Loire, voire l’Armorique. Le terme de Gascogne a une valeur ethnique plus que géographique ! », dans Les Pays de Garonne, op. cit., p. 13. Limitant mon propos à la période moderne, j’adopterai volontiers la définition d’A. Zink : « La Gascogne désigne la partie du royaume située au sud de la Garonne », soit l’équivalent des départements des Landes, du Gers, des Pyrénées Atlantiques, dans l’Héritier de la maison. Géographie coutumière de la France sous l’Ancien Régime, Paris, 1986, p. 12 ; hypothèse confirmée dans Pays et circonscriptions. Les collectivités territoriales dans la France du sud-ouest sous l’Ancien Régime, Paris, 2000. À la question du cadre géographique s’ajoute ici elle de la définition donnée au terme coutume ; nous avons bien entendu eu recours en priorité aux textes coutumiers au sens juridique, tel que le conçoivent les historiens du droit. Mais nous nous sommes également adressés aux Règlements des pays d’États qui en formaient le complément naturel et actualisé. Nous avons eu également recours aux Statuts, en particulier à ceux des vallées pyrénéennes, qui furent à l’époque moderne les héritiers directs des fors médiévaux, fondus dans des textes unifiés lors des réformations des XVIe et XVIIe siècles.
15 Voir C. Desplat, « Figures de routiers pyrénéens de la première moitié de la guerre de Cent Ans », Bull. SSLA. de Pau 1968, p. 27-49.
16 P. Tucoo-Chala, Caston Fébus et la vicomté de Béarn (1343-1391), Bordeaux, 1960, p. 86 et p. 307.
17 Nicolas de Bordenave, Histoire de Béarn et de Navarre, publiée par P. Raymond, Paris, 1873, p. 44.
18 Voir C. Desplat, « Un enjeu de souveraineté : la citadelle de Navarrenx aux XVIe-XVIIe siècles », dans Château et territoire. Limites et mouvances, 1re Rencontre d’archéologie et d’histoire en Périgord, Annales littéraires de l’Université de Besançon, no 595, 1995, p. 141-161.
19 For et coutume de Basse-Navarre, édition critique et traduction de J. Goyheneche, Bayonne, 1985, p. 71.
20 Bib. Nat. Fonds français, no 15 519, f° 355.
21 For de Navarre, ap. cit., p. 73.
22 Le For d’Henri Il d’Albret (1551). Édition critique, traduction et présentation, par C. Desplat, Pau, 1986, p. 64. Louis XIV lui-même prit toujours soin de rappeler que la guerre était l’ultima ratio regum, lorsque toutes les possibilités de négociations avaient échoué ; voir J. Cornette, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, 1993. La « révolution militaire », chère aux historiens anglo-saxons, G. Parker, The Military Revolution, Cambridge, 1984, dessina ainsi très tôt les contours de ses principales contraintes : compte tenu des mutations technologiques de l’art de la guerre, le Prince devait faire appel à des combattants soldés qui remplaçaient l’ost ; le « roi de guerre » dépendait dès lors de « l’État de finances ».
23 For de Béarn, op. cit., p. 85, art. 14. Certes, les États de Béarn ne perdirent jamais, en pratique, ce droit de regard sur les entreprises militaires du prince. On notera toutefois qu’Henri III de Navarre fit très rarement appel aux États de sa « Sobiranetat » de Béarn pour financer la conquête du royaume de France. Par ailleurs, le cas du Béarn n’était pas aussi exceptionnel qu’il y paraît ; en 1632, l’édit de Béziers, avait privé les États de Languedoc de discuter l’impôt, (taille, taillon, garnison, entretien des places frontières). Mais cet édit fut abrogé dès 1649 et les États retrouvèrent leur capacité ; voir A. Jouanna, « Les États de Languedoc et le consentement de l’impôt après la révolte de 1636 », dans Les Assemblées d’États dans la France méridionale à l’époque moderne, Colloque de 1994, Université P. Valéry, Montpellier III, 1995, p. 149-171. Cette évolution n’empêcha d’ailleurs pas une coopération plutôt satisfaisante entre les États et le roi. Dans le cas du Béarn, les États surveillaient par ailleurs de très près les combinaisons matrimoniales de leur Prince et ils s’opposèrent au mariage de Jeanne d’Albret avec un vassal des Habsbourg.
24 Compilation d’auguns priviledges et redglamens deu Pays de Bearn, feyts et octroyats à l’intercession deus Estats..., Pau, 1716, p. 227.
25 Arch. Départ. Pyr. Atl. C. 1441.
26 J. Bonnecaze et J.P. Racq, Voyage de deux pèlerins à Compostelle au XVIIIe siècle, présenté et annoté par C. Desplat et A. Blazquez, Pau, 1998, p. 19.
27 Voir L. Peyregne, Les Items d’Abraham de Camy, garde de Montaut. Une communauté béarnaise au XVIIIe siècle, Pau, 1976, p. 38-42.
28 Arch. Départ. Pyr. Atl. E. 2173, fo 10.
29 Règlements, op. cit., p. 226, Règlements de 1555 et 1586. Les frais d’étapes étaient avancés par les États et remboursés par le roi ; en 1719, les États payèrent la capitation avec les « billets » de Law qui avaient servi au roi à rembourser les étapes ! Arch. Départ. Pyr. Atl. C. 761, fo 255. Les États firent à cette occasion des remontrances ; voir C. Desplat, Pau et le Béarn au XVIIIe siècle, Biarritz, 1992, t. 2 ; p. 1269-1272. La situation de la Navarre et du Béarn n’est pas comparable à celle du Languedoc ; voir D. Biloghi, Logistique et Ancien Régime. De l’étape royale à l’étape languedocienne, P.U. Montpellier III, 1998.
30 Règlements de Béarn, op. cit., Rubrique 28, Chemins, ponts et péages, art. 18.
31 Arch. Départ. Pyr. Atl. C. 511.
32 Règlements, op. cit., p. 159. Règlements de 1579, renouvelé en 1581.
33 Règlements, op. cit., 1594-1623, p. 127-128.
34 La dernière grande passerie entre le royaume d’Aragon et la Principauté de Béarn avait été signée en 1514 et renouvelée en 1519, Arch. Départ. Pyr. Atl. E. 331.
35 Ce pactisme venait de loin et survécut à la coutume ; en 1366, Gaston Fébus mit en garde sa noblesse qui voulait aller combattre en Espagne et lui prédit qu’elle reviendrait « en se croquant les poux de dessus la tête ! ». Ce fut en effet le désastre de Najera. Voir P. Tucoo-Chala, op. cit., p. 101. Au milieu du XIXe siècle, pendant la guerre des Limites, le sous-préfet de Mauléon, Mr. de Maytie, plutôt que de laisser les Baïgorriens envahir de leur propre chef la vallée navarraise d’Erro, se décida finalement à prendre leur tête. Voir C. Desplat, « La guerre des Limites, 1827-1856. L’appropriation de l’espace pastoral dans les Pyrénées », dans Actes 118e Congrès CTHS, Pau, 1993, CTHS, Paris, 1996.
36 Voir C. Desplat, Pau et le Béarn, op. cit., p. 1263.
37 Voir L. Peyregne, op. cit., l’intégralité du document cité.
38 C’est le cas à Pontacq au XVIIIe siècle pour le père du futur général Barbanègre. Voir C. Desplat, « La vie quotidienne à Pontacq aux derniers siècles de l’Ancien Régime », Revue de Pau et du Béarn, no 3, 1975, p. 91 et A.C. Pontacq, BB. 11.
39 Coutume de Soule, traduction, notes et commentaire de M. Grosclaude, Pau, 1993. La coutume de Labourd, art. 1 de la Rubrique, Des franchises et libertés du païs et habitans de Labourt, semble tout à fait comparable à celle de Soule : « Les habitants de Labourt parce qu’ils sont assis en l’extrémité du Royaume et confronté à celui Pais avec Royaume et pais étrangers, peuvent porter pour leur défense et dudit Pais harnois en tout temps et ce en avoient exprès privilège du Roy, comme ils disent et asserment et en apparoissoit par Lettres Patentes qui se sont édictées à cause des guerres », dans Les Coutumes générales géardées et observées au Pais et bailliage de Labourt et ressort d’Iceluy, Bordeaux, 1760, p. 48. Mais cet article ne se fait l’écho d’aucune forme de pactisme ; il constitue une simple reconnaissance d’un état de fait, d’une nécessité, conséquence de la position frontalière du Labourd. On est très loin du foralisme souletin et surtout navarrais et béarnais. Le fait d’être armé, n’impliquait pas pour les Labourdins une présomption de souveraineté, ni même un contrat social avec le souverain.
40 Le prince souverain de Béarn avait par ailleurs le monopole de la justice criminelle (art. 5 du For).
41 Rubrique des bâtiments, art. 1, p. 139.
42 Ce règlement s’inspirait directement d’une disposition d’Henri II d’Albret en 1552 ; le roi de Navarre avait fait acheter huit cents arquebuses par les États qui en avaient directement négocié le prix, à dix francs la pièce. Ces armes avaient été ensuite distribuées aux communautés sous la responsabilité du Trésorier des États.
43 For de Béarn, op. cit., Rubrique des contrats, art. 1 et 2, p. 118. Parmi les coutumes de la Gascogne septentrionale, seule celle de Saint-Sever évoquait cette question de Tin aliénabilité ; mais dans un tout autre contexte, art. 5 : « Police de la Ville. Par la coutume de la dite ville de Saint-Sever, icelle ville ne peut être aliénée hors la Couronne de France », p. 56, dans les Coutumes générales de la ville de Bordeaus, sénéchaussée de Guyenne et pais bordelais, Saint-Jean-d’Angeli, d’Acs, Saint-Sever, Bayonne, Labourt, Sole, Bordeaux, 1601.
44 Jean de Limoges, Harangue au Roy sur le retour de ses voyages de Béarn et de Calais, Paris, 1621.
45 Règlements de Navarre, ms. Collection particulière, Chapitre 38, fo 65. Plusieurs versions des Règlements figurent aux A.D. Pyr Atl. C. 1529 à 1532. On consultera, avec beaucoup de précautions le travail commandé par les États à l’avocat Polverel, Tableau de la constitution du Royaume de Navarre et de ses rapports avec la France, Imprimé par ordre des États, Paris, 1789.
46 Règlements de Béarn, op. cit., Rubrique 18, art. 15, p. 228.
47 Elle souligne qu’au-delà d’une réalité incontestable, l’existence d’une aire coutumière gasconne, définie par le mode de transmission et la nature du patrimoine, il existe aussi des sous-ensembles qui présentent de fortes cohérences, qui ne sont en rapport ni avec l’ethnicité ou la langue ; ainsi le Labourd, quoique basque, ne participe pas du noyau forai basco-béarnais, Navarre-Soule-Béarn.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Transhumance et estivage en Occident
Des origines aux enjeux actuels
Pierre-Yves Laffont (dir.)
2006
Les élites rurales
Dans l’Europe médiévale et moderne
François Menant et Jean-Pierre Jessenne (dir.)
2007
Les luttes anti-seigneuriales
Dans l’Europe médiévale et moderne
Ghislain Brunel et Serge Brunet (dir.)
2009
L’hérétique au village
Les minorités religieuses dans l’Europe médiévale et moderne
Philippe Chareyre (dir.)
2011
Les industries rurales dans l’Europe médiévale et moderne
Jean-Michel Minovez, Catherine Verna et Liliane Hilaire-Pérez (dir.)
2013
Cultures temporaires et féodalité
Les rotations culturales et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne
Roland Viader et Christine Rendu (dir.)
2014
Cultures villageoises au Moyen Âge et à l’époque moderne
Frédéric Boutoulle et Stéphane Gomis (dir.)
2017