Écoles et clercs dans le diocèse de Montauban au xviiie siècle
p. 279-291
Texte intégral
1Bien que l'entreprise reste épineuse, il est sans doute possible, à la lumière des recherches récentes d'évaluer quel est le rôle du clergé dans l'instruction des enfants, pour un petit diocèse du Midi, celui de Montauban. Créé tardivement, en 1317, par le pape Jean XXII, ce diocèse comprend les pays situés au confluent du Tarn et de la Garonne. Se trouvant à cheval sur trois généralités, celles de Languedoc, de Gascogne et de Haute-Guyenne, cette contrée donna lieu, pendant un demi-siècle, à quelques monographies1 où se retrouve la controverse qui opposa cléricaux et anticléricaux au sujet de l'efficacité de l'enseignement sous l'Ancien Régime. Il n'est sans doute pas besoin de revenir sur ces débats. L’insistance mise depuis une vingtaine d'années sur la demande sociale d'instruction2 comme facteur décisif de son développement au XVIIIe siècle, permet de remettre à sa juste place le rôle du clergé.
2Étudier la manière dont le clergé rural essaie de répondre à cette volonté d'apprendre à lire et à écrire que l'on discerne dans les registres des communautés doit permettre de juger l'efficacité des maîtres d'école ecclésiastiques autrement qu'à travers des apologies ou des diatribes. Dans un diocèse du Haut-Languedoc marqué par la présence restée vivace de communautés protestantes, les clercs sont naturellement appelés, après la révocation de l'Édit de Nantes, à instruire les enfants des nouveaux convertis3. Partout où des écoles se trouvent officiellement créées, sous le contrôle des intendants, l'enseignement profite à tous les enfants. Constatés en Bas-Languedoc4, dans les paroisses où une école est imposée, les progrès de l'alphabétisation, évalués selon les enquêtes menées conformément à la méthode Maggiolo d'après le comptage des signatures dans les registres paroissiaux, seraient nettement plus faibles en Haut-Languedoc. Quoique beaucoup de résultats aient suscité l'étonnement5, ce comptage des signatures ne fut jamais remis en cause et l'on a déduit un peu hâtivement que les habitants des pays de Moyenne-Garonne étaient pour la plupart analphabètes. Tenant compte des investigations opérées dans des sources trop peu exploitées comme les archives notariales, les objectifs de cet exposé sont de déterminer l'action des ecclésiastiques dans leur mission d'enseignement, d'évaluer le niveau d'alphabétisation de leurs ouailles et d'apprécier, dans la mesure du possible, leur contribution à l'instruction des enfants.
3Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, le rôle du clergé se trouve sérieusement encouragé par la volonté de l'Église catholique de contrer la Réforme protestante. Selon l'impulsion donnée, dès la fin du XVIe siècle, par le Concile de Trente, l'on peut constater non seulement la multiplication des collèges et autres institutions enseignantes dans les villes mais aussi le développement de l'instruction à dominante religieuse dans les campagnes6. Lorsqu'une école existe, les desservants des paroisses sont chargés de surveiller les maîtres que choisissent les communautés avec l'approbation de l’évêque. C’est dire le rôle dominant qui est dévolu à l'Église, dans le système éducatif, au « siècle des saints ».
4La révocation de l'édit de Nantes, en 1685, mobilise tout le clergé dans les pays gagnés par l’hérésie protestante, notamment dans la vallée du Tarn. Les clercs semblent omniprésents sur tous les fronts de la reconquête des âmes et en particulier pour l'instruction des enfants des nouveaux convertis. Appliquant à la lettre les volontés royales et celles de l'intendant, ils multiplient les cérémonies d'abjuration, les confessions et contribuent à enseigner la bonne doctrine aux brebis égarées7. Dans les villages et bourgades où existe une communauté protestante, la déclaration royale du 13 décembre 16988, enjoint dans son article 9, « que l'on établisse autant qu'il sera possible, des maîtres et des maîtresses dans toutes les paroisses où il n'y en a point pour instruire tous les enfans... ». Cette obligation d'envoyer les enfants à l'école est prévue, à l'article 10, « jusqu'à l'âge de quatorze ans » et il est précisé : « enjoignons aux curés de veiller avec une attention particulière sur l'instruction desdits enfans dans leurs paroisses... ». C'est rappeler le rôle essentiel que l'Église entend jouer dans l'éducation de la jeunesse depuis la Contre-Réforme. Dans tous les villages du diocèse de Montauban où une forte communauté protestante existe, au XVIIe siècle, des écoles sont imposées sur ordre des intendants. C'est le cas à Reyniès, à Corbarieu, à Saint-Nauphary, au Fau, à Lagarde, à Lacourt-Saint-Pierre, à Lavilledieu-du-Temple et à Meauzac. Il est difficile de connaître avec précision les noms des régents qui se sont succédé dans ces paroisses, car trop de registres des délibérations consulaires manquent. Il est clair cependant que, dans ces communautés comme dans les autres où se trouve une école, la fonction est souvent attribuée à un vicaire ou parfois au curé. L'histoire de deux paroisses confrontées à cette obligation d'une école pour l'instruction des enfants des nouveaux convertis peut être suivie de manière précise : il s'agit de Meauzac et de Reyniès, deux communautés dont les registres de délibérations consulaires restent correctement conservés. Les réactions y sont identiques et, dès 1707, les conseils des deux communautés refusent de prévoir les gages du régent. Ainsi à Meauzac, « l'assemblée a dit qu’il n'estoit pas necessaire d'impozer la dite somme (de 120 livres) pour la régeance attendu que la com(mmunau)té est fort pauvre et misérable... et qu’il n’y a point d'enfants pour aller à l’école et que ceux qui en auront pour y envoyer, que chacun les fasse apprendre à ses dépens et non aux dépens de la communauté9 ». Ce refus est bien sûr lié à la conjoncture économique désastreuse de ces années-là, il témoigne surtout d'un rejet d'une politique qui est douloureusement ressentie comme une sanction injuste. Tous les prétextes apparaissent bons, à Reyniès comme à Meauzac, pour ne pas rémunérer un maître d'école10 et les sanctions prises par les intendants contre les communautés n'y changent pas grand chose. Pourtant, la déclaration de Louis XV, en 1724, a tout fait pour renforcer le dispositif d’obligations d'une école dans les paroisses où des protestants ont vécu. Elle rappelle dans son article 6, l'obligation d'envoyer les enfants « aux écoles et aux catéchismes jusqu'à l'âge de quatorze ans » et enjoint aux juges et procureurs « de punir ceux qui seroient négligeas d'y satisfaire » en chargeant les curés de leur remettre tous les mois un relevé de tous les absents. À Meauzac, en septembre 1729, sept familles de nouveaux convertis sont condamnées à payer une « amende de dix sols chaque fois que leurs enfants ont manqué d'assister aux écoles, messes et instructions »11. Cette sévérité est très mal supportée et ne contribue pas à améliorer l'instruction des enfants. Il ne semble pas que l'école obligatoire selon les critères de la monarchie absolue ait tous les résultats escomptés de sorte que l'administration des intendants se lasse d'une police inopérante en matière d'instruction religieuse.
5Dès les années 1740, et il s'agit-là d'une date charnière en Bas-Languedoc comme en Provence12, les préoccupations des uns et des autres changent. La souplesse administrative s'accompagne d'une réelle volonté des parents d'instruire leurs enfants. Le discours sur l'école devient beaucoup plus utilitaire en insistant beaucoup moins sur l'éducation religieuse pour proposer un enseignement plus utile à tous ceux qui ont besoin de savoir lire, écrire et compter. Les délibérations consulaires traduisent ce souci de plus en plus souvent exprimé par les parents d'envoyer leurs enfants à l'école, car, disent les consuls de Montech, en 1737, « c'est par l'escriture que l'on voit dans ce royaume de brillantes fortunes »13. Cependant comme l'a bien montré Dominique Blanc14 pour le diocèse de Narbonne, ce qu'il appelle le recrutement des « saisonniers de l'écriture » se fait avec une grande improvisation. Il se peut alors que faute d'un autre candidat, l'on fasse appel au curé ou au vicaire pour exercer les fonctions de régent.
6Dans les registres paroissiaux, il arrive que les desservants précisent à côté de leur signature, « curé-régent » ou « vicaire-régent », mais cette mention n'est pas toujours indiquée, même pour des curés dont on sait par ailleurs qu’ils ont exercé la fonction de maître d'école, comme Castan, à Reyniès, entre 1711 et 171915. D'autres vicaires-régents apparaissent rarement comme desservants à l'occasion de baptêmes, de mariages ou de sépultures dont les actes dans les registres paroissiaux ne sont signés que par le curé. C'est parfois après le décès de celui-ci que figurent quelques actes signés par le vicaire-régent. À Villebrumier où il ne reste aucun registre des délibérations consulaires, les seules mentions de tels vicaires sont furtives. Ainsi, à la mort du curé Pendaries, Castel, vicaire et régent signe seulement deux actes, les 14 et 15 novembre 176816, et sa signature n'apparaît plus jamais. À Montaïn, Maubé, vicaire-régent signe l'acte d'un baptême, le 3 juillet 176317, et rédige ensuite tous les actes en tant que curé. Il semble bien que la tâche de vicaire implique dans beaucoup de villages une fonction de maître d’école, ce qui limite ses interventions en tant que desservant. Comment expliquer autrement de bons niveaux d'alphabétisation dans des communautés où n'apparaissent jamais de régents et où aucune somme n'est prévue dans les impositions pour rémunérer un maître d'école ? Des vicaires-régents figurent dans les registres paroissiaux de Montaïn, d'Escazeaux, ou de Canals, où existent des registres des délibérations consulaires. Ces registres ne prévoient jamais aucun gage pour le régent de la communauté. Il est probable que d'autres ressources, souvent en nature, devaient rémunérer les vicaires pour ce travail et s'ajouter aux gages minables qu'ils percevaient habituellement18. L'absence de gages prévus dans les charges des communautés ne semble pas signifier qu'il n'y ait pas de maître d'école. Trop d'indices prouvent le contraire dans tous les cas où il est possible de trouver trace d'un maître d'école ou d'un vicaire qui en faisait les fonctions. Il n'est d'ailleurs pas rare de constater dans les délibérations consulaires, la revendication d'un vicaire, appelé alors un « secondaire », avec l'objectif qu'il exerce la fonction de régent. C'est le cas à Reyniès, le 18 janvier 1747, où le conseil politique de la communauté formule une telle demande au grand prieur de l’ordre de saint Jean de Jérusalem, le décimateur de la paroisse19. Cela reste sans réponse, et les consuls mécontents du curé-régent, Descuret, en raison de ses longues absences dénoncées dans cette délibération, ont par la suite fait constamment appel, sauf pour une année, à des laïcs pour maîtres d'école.
7Cette évolution constatée à Reyniès se retrouve dans d'autres communautés où il est possible d'établir une liste de régents. À Montech, Bourret, Escatalens, Finhan, Lavilledieu-du-Temple, Meauzac et Saint Porquier, 76 régents sont connus, entre 1681 et 1789 ; 16 sont identifiés à Reyniès, soit au total quatre vingt douze noms. Si l’on retient la date charnière de 1740, avant cette date, les prêtres ou les religieux représentent 46 % des maîtres d'école et seulement 28 % après. Même si ces chiffres portent sur un échantillon relativement restreint, ils indiquent clairement une tendance à l'abandon des fonctions de régent à des laïcs. Cette tendance se trouve confirmée dans la difficulté qu'ont certaines communautés à pourvoir les postes de régents latinistes souvent confiées à des prêtres jusque-là. À cet égard, les problèmes des consuls de Villemur, après 1750, peuvent servir d'exemple significatif20. Dans une délibération consulaire du 6 avril 1754, les consuls rappellent « que de temps immémorial la classe de latin de cette ville a été remplie par un des prêtres consorcistes d'ycelle en faveur duquel, il n'a jamais imposé que la somme de cent cinquante livres pour son honoraire et dix livres pour le loyer d'une chambre à faire la classe ce qui étoit suffisant pour un homme de la ville qui avait d’ailleurs sa proportion de consorce et autres ressources... »21 Ce rappel intervient au moment où la communauté se plaint d'un régent latiniste laïque et le remercie. Elle regrette surtout de n'avoir pas de prêtre « propre à remplir cette fonction » et d'être obligée de choisir des acolytes ou des clercs tonsurés qui restent peu de temps à leur poste. Le problème majeur souvent évoqué, lors du remplacement de ces régents, résulte ainsi de l'insuffisance de la rémunération qui leur était allouée. Les clercs ont préféré chercher des fonctions enseignantes plus rémunératrices. Les uns prennent en pension chez eux des enfants qui se destinent à poursuivre des études soit dans un collège soit au séminaire. En voici deux exemples : à Reyniès, par un contrat passé devant notaire, le 7 août 1725, Jean Marsal, fils d'un bourgeois décédé, est mis en pension chez le curé du village, Peyrega, qui se moque par ailleurs éperdument de la régence des écoles du village22 ; à Montaïn, une quittance retrouvée dans des archives familiales, témoigne que le fils d'un laboureur est mis en pension chez le curé du village, Maubé. Ce garçon entre ensuite au séminaire et devient prêtre.
8Les clercs pouvaient aussi exercer la charge de précepteur dans les familles les plus huppées. Plusieurs cas sont cités dans la monographie sur l'école à Montech et dans les paroisses voisines23. En 1772, le vicaire Audibert est précepteur des enfants de madame Chambert ce qui l'empêche d’exercer son rôle de régent latiniste de la communauté ; l'abbé Pagès a servi chez Domingon, noble d'Escatalens, en 1782 et 1783. Cette fonction était nettement plus rémunératrice que celle de régent de communauté, puisqu'Audibert touchait 300 livres de gages chez la dame Chambert soit le double des gages communautaires.
9Compte tenu de cette faiblesse de rémunération des régents de village, les clercs se montrent de moins en moins enclins à les exercer. Cela dénote aussi de leur part un changement d'état d’esprit. Mieux formés dans les séminaires et plus cultivés, ils sont pour la plupart issus de familles de notables24 et ils entretiennent des rapports de plus en plus étroits avec les élites sociales. Leur bibliothèque témoigne de leur intérêt croissant pour d'autres livres que la littérature religieuse. La comparaison peut être faite entre l’inventaire des livres du curé de Belbèze, en 1694, et celui de trois prêtres lors des inventaires des biens des émigrés, en 1793. À la fin du XVIIe, François Vergé a 75 livres ; moins d'une vingtaine sont profanes et parmi ceux-ci, la plupart sont des œuvres d’auteurs latins. Pendant la Révolution, l'inventaire, malheureusement trop sommaire du curé de Saint Sardos, Lasserre, évoque sa bibliothèque de 480 livres et cite « le dictionaire de l'anciclopédie en trante neuf volumes ». L'Encyclopédie fait aussi partie de la bibliothèque des frères Domingon, prêtres habitant à Escatalens. Fréquentant des notables gagnés aux idées nouvelles, les clercs participent aussi aux nouvelles formes de sociabilité comme les loges maçonniques. C’est le cas de plusieurs religieux carmes de Castelsarrasin ou de prêtres de Montauban.
10Plus proche des préoccupations des élites que de celles du peuple, le clergé semble progressivement partager l'avis des notables et de l'administration en matière d'instruction. L'hostilité des intendants des généralités d'Auch et de Languedoc à l'égard des petites écoles est bien connue grâce aux thèses de Georges Frêche25 et de Maurice Bordes26 et ce dernier l'a bien montré en Gascogne, sous l'autorité de l'intendant d'Etigny. Refusant toute augmentation des gages des régents, ils ont contribué à l'étouffement de ces écoles de villages qui avaient de plus en plus de mal, à la veille de la Révolution, à recruter des maîtres compétents. L'évêque de Montauban se garde bien, dans ses mandements, d'encourager son clergé à promouvoir l'instruction dans les paroisses, hormis l'instruction religieuse.
11Dans les communautés, des exemples de refus d'écoles ont été rencontrés, surtout après 1770. Une illustration en est donnée par la délibération consulaire du 17 avril 178527, à Castelmayran. Dans cette bourgade, les notables rejettent avec mépris « la requette que quelques tisserants, tailleurs, maçons... » adressent à l'intendant... « puisque tous ensemble ne font pas le dixième de la capitation de la commté qu'il y en a même qui n'en payent point du tout ». Ainsi un rejet concordant des petites écoles par les élites a contribué, déjà avant la Révolution, à désorganiser un réseau qui s'était pourtant notablement développé des années 1740 à 1770. Cette période de trente ans est alors très favorable à l'essor de l'alphabétisation en raison d’une très forte demande sociale d'instruction.
12Même s'il apparaissent de moins en moins nombreux à dispenser l'instruction, les clercs ont contribué de façon significative aux progrès de l'alphabétisation dans le diocèse de Montauban au XVIIIe siècle. Certes, si l'on tient compte des résultats de l'enquête dirigée par le recteur Maggiolo28, à la fin du siècle dernier, le Tarn-et-Garonne29 apparaît comme un des départements les moins alphabétisés de France sous l’Ancien Régime. Recherchant les signatures dans les registres paroissiaux, les instituteurs n'ont trouvé que 17,7 % des hommes capables de signer le jour de leur mariage, à la veille de la Révolution. Une enquête récente menée sous l'égide de l'INED30, a constaté que ces chiffres étaient encore surévalués dans le Sud-ouest. Disons-le tout net, cette méthode s'appuie sur des sources trop aléatoires pour être utilisées telles quelles à des fins statistiques. Les disparités injustifiées enregistrées d'une communauté à une autre en comptant les signatures dans les registres paroissiaux, nous ont conduit à faire des recherches dans les registres notariés. Par chance, en pays toulousain, la majorité des mariages donne lieu à un contrat passé devant notaire. Or, ce dernier a généralement l'habitude de faire signer les contractants et tous les témoins qui en étaient capables. Bien que toutes les minutes des notaires ne soient pas déposées aux Archives départementales, 13 paroisses rurales ont pu donner lieu à une comparaison entre les signatures des futurs époux chez le notaire et celles des registres paroissiaux, le jour du mariage. 7 communautés ont leur propre notaire, de 1776 à 178531, il s’agit de Villebrumier, Reyniès, Escatalens, Bourret, Saint-Porquier, Sérignac et Castelmayran. Pour 6 autres communautés situées en pays gascon du diocèse de Montauban, Garganvillar, Larrazet, Cordes-Tolosannes, Lafitte, Montaïn et Labourgade32, la majorité des contrats de mariages sont passés chez Marrou, un notaire débordant d'activité si l'on considère l'étendue du territoire qu'il parcourt. D'après l’état du diocèse de Montauban dressé par l'évêque, en 177333, ces 13 communautés, comprennent environ 1800 familles soit à peu près 20 % de la population rurale du diocèse. Entre 1776 et 1785, 830 mariages ont été relevés dans les registres de baptêmes, de mariages et de sépultures et 623 contrats ont été trouvés chez les notaires des villages cités ci-dessus. Les 207 contrats manquants ont été passés chez des notaires de localités voisines et n'ont pas été pris en compte dans cette statistique34. Les résultats obtenus sont éloquents : 6,6 % des mariés ont signé le jour de leur mariage dans les registres paroissiaux, 23,6 % ont signé leur contrat chez le notaire. Un marié sur 15 a signé à l'église, presque un sur 4 dans les registres notariés. À Garganvillar, 2 mariés seulement sur 67 ont signé le registre paroissial alors que chez Marrou, ils ont été 14 à le faire pour leur contrat ! Il va sans dire que toutes les statistiques établies dans le diocèse de Montauban selon la méthode Maggiolo, sont fausses.
13Voici rapidement résumées, à partir d'un article paru dans les Annales du Midi35, quelques explications permettant d'élucider l'absence de signatures dans les registres paroissiaux. La principale raison est due à la tenue déplorables des registres par les desservants de la plupart des paroisses. Rédigeant leurs actes de manière anarchique, ce qui entraîne de nombreux oublis, ils ne se préoccupent pas, autant dans les campagnes que dans les villes, de la signature de leurs paroissiens. La meilleure preuve a pu être trouvée dans les registres paroissiaux eux-mêmes, surtout dans les villes, où des pères ont signé le jour du baptême de leur enfant alors qu'ils n'ont pas signé le jour de leur mariage. Une étude faite dans le pays de Léon en Bretagne36, permet de faire le même constat mais avec des écarts de grande ampleur, puisque tous les pères assistent au baptême de leur enfant, ce qui, malheureusement, est rarement le cas en pays toulousain.
14La deuxième raison est due au déroulement des noces. Les cris et les coups de feu éclatent, sitôt la cérémonie nuptiale achevée et le tohu-bohu est tel qu'il ne permet sûrement pas de s'attarder à l'église ! La troisième raison est liée au poids des traditions dans les comportements collectifs. En pays de droit écrit hérité des Romains, il est coutumier, depuis des temps immémoriaux, de déléguer sa signature à ceux qui exerçaient le magistère de la plume. De la même façon, en vertu de cet héritage antique, il est fréquent de constater une tutelle paternelle telle que les pères signaient seuls les actes passés devant notaire, y compris les contrats de mariage auxquels les futurs époux n'assistent pas ! Cette tradition patriarcale permet d'expliquer l'absence de signatures mais doit aussi justifier que, dans beaucoup de familles de notables ruraux, seuls le père et le fils aîné aient appris à écrire et soient capables de signer. Il n'est pas davantage surprenant que les femmes soient maintenues à l'écart de ces apprentissages dans une société où leur rôle est forcément considéré comme mineur.
15Paradoxalement, c'est dans ces contrées gasconnes où les traditions patriarcales restent les plus vivaces et où la pratique religieuse semble la plus constante que les pourcentages d'alphabétisation les plus élevés ont été constatés. C'est à Castelferrus que le plus grand nombre d’hommes sont capables de signer dans la proportion de un sur deux. Or, il s’agit d’un lieu de pèlerinage très fréquenté à la veille de la Révolution. 3 paroisses dépendant de l'abbaye de Belleperche ont elles aussi des taux plutôt élevés. C'est notamment le cas à Montaïn où 38,5 % des mariés ont signé chez le notaire. Cela doit signifier que le vicaire Maubé a fait dans cette paroisse un bon travail de régent. Dans un article sur « le recrutement des novices franciscains d'Aquitaine au XVIIIe siècle »37, est mentionné l'engagement de huit religieux cordeliers dans quatre communautés de ce secteur. Dans la Lomagne voisine, les pourcentages de signatures atteignent de bons niveaux à Beaumont où ils dépassent 45 %, à Saint Sardos et à Faudoas où le taux est d'environ 30 %. Dans cette dernière localité de 80 familles, l'on trouve un curé et deux vicaires. La monographie de l'abbé Victor Taupiac38 parle avec beaucoup d’exagération d'une « école paroissiale, ouverte aux enfants de toutes conditions où ils accouraient en foule » ! De tels dithyrambes sont évidemment excessifs. Il est cependant probable que l'un des vicaires de cette paroisse se consacrait à l'instruction des enfants et leur permettait d'acquérir une bonne maîtrise de la plume comme le montrent les signatures dans les registres paroissiaux pour une fois correctement tenus. Fort logiquement, ces contrées gasconnes ont des taux d'alphabétisation comparables à ceux du diocèse d'Auch.
16Les communautés situées entre le Tarn et la Garonne ont des pourcentages plus uniformes mais qui dépassent rarement 25 %. Les villages où fut imposée une école pour l'instruction des enfants des nouveaux convertis ont continué à prévoir les gages du régent dans les charges communautaires. Malgré cela, les pourcentages de signatures n'y sont pas plus élevés qu'ailleurs. À Meauzac, en l'absence de registres notariés, il est impossible de vérifier l’alphabétisation des catholiques tant le curé tient mal les registres paroissiaux. En revanche, l’on peut relever les signatures des protestants lors de l'enregistrement de leur mariage après l'édit royal de 1787. 30 % des hommes ont signé, mais les pourcentages sont beaucoup plus faibles pour ceux de Corbarieu. Dans un cas il s'agit de laboureurs et dans l'autre, il s'agit surtout de brassiers. Or, le pourcentage des brassiers qui signent leur contrat est de 14 % chez Marrou et de 7 % chez les autres notaires mais avec de grandes disparités d'une communauté à une autre. La seule explication qui peut être donnée à ces disparités résulte des différences des comportements collectifs et probablement de l'attitude du clergé et des notables à l'égard de l'instruction populaire.
17Globalement les résultats de l'alphabétisation des hommes dans le diocèse de Montauban, en incluant cette ville atteignent 30 %. Cela correspond pratiquement à trois fois plus que les évaluations faites, selon la méthode Maggiolo, dans l'enquête de l’INED dont Jean Houdaille a donné les résultats, en 1977. Les progrès de l'alphabétisation sont bien réels, même là où des statistiques établies à partir de sources défectueuses ont cru apporter la preuve du contraire. La volonté d'apprendre à lire et à écrire s'est concrètement réalisée à la campagne dans des écoles trop souvent défectueuses ou instables mais en dépit de leurs insuffisances, ces écoles permettent bel et bien d'encourager l'instruction au village. Le clergé rural contribue à ces progrès de l'école mais cette contribution évolue. Le clergé de la Contre-Réforme semble accepter le rôle de régent qui va de pair avec l'enseignement religieux. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, cette mobilisation du clergé en faveur de l'instruction s'estompe et les vicaires abandonnent les fonctions de régent à des maîtres laïques. L'idée d’éducation des enfants qui avait prévalu jusque-là laisse place à l'idée d'une instruction publique où les apprentissages scolaires doivent être développés en raison de leur utilité. Même si l'Église a gardé une certaine autorité sur les petites écoles, elle a délaissé, à la veille de la Révolution, son contrôle sur celles-ci et l'instruction des enfants commence dès lors à lui échapper.
Notes de bas de page
1 Deux études générales portent sur l'instruction sous l'Ancien Régime : François Galabert, « Les écoles autrefois dans le pays de Tarn et Garonne » dans le Bulletin de la Société archéologique de Tarn et Garonne, 1905 et 1906 ; A. Bastoul Les écoles à Montech et dans les paroisses voisines avant 1789, Montauban, 1933. Des monographies de villages traitent de l'école : Jacques Bec, Monographie sur Meauzac, Manuscrit no 116 aux Archives départementales de Tarn et Garonne. Victor Malrieu, Documents historiques sur Bourret, Montauban, Masson, 1919. Victor Taupiac, Faudoas, ancien village muré, Montauban, 1931.
2 Sur ce point voir la mise au point essentielle de François Furet et Jacques Ozouf, Lire et écrire : l’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, 1977, deux tomes.
3 Voir Mireille Laget, Petites écoles en Languedoc au xviiie siècle, dans Annales, économie, société, civilisations, 1971, pp. 1397 à 1418.
4 Voir dans Lire et écrire, déjà cité, la contribution de Marie-Madeleine Compere École et alphabétisation en Languedoc aux xviIe et xviiie siècles, (tome 2, pp. 3 à 99).
5 Sur ce point voir Suzanne Croste, Enseignants et enseignés à Grenade-sur-Garonne au xviiie siècle, dans les actes du colloque de 1985 sur Écoles et universités dans la France méridionale à l’époque moderne, Montpellier, 1990, p. 2.
6 Trois mises au point récentes permettent d’avoir un bon aperçu de l'histoire de l'éducation sous l’Ancien Régime : Histoire de l'enseignement et de l'éducation en France, Paris, 1981, 4 tomes : t. : De Gutemberg aux Lumières, 1480-1789, par François Lebrun, Jean Quienart et Marc Venard ; marie-madeleine compere, Du collège au lycée (1500-1850), collection Archives, Paris, 1985. Bernard Grosperrin, Les petites écoles sous l'Ancien Régime, Rennes, 1984.
7 Francis Balestie, Montauban, des dragonnades au réveil, Montauban, 1971.
8 Isambert, Jourdan et Decroly, Recueil des anciennes lois françaises depuis 420 jusqu'à la révolution de 1789, Paris, Belin, 1821-1833.
9 adtg Reg. des délibérations consulaires de Meauzac, 3 E 2832
10 adtg Voir reg. dél. cons. de Meauzac 3 E 2832 et celui de Reyniès 3 E 914.
11 Jacques Bec cite de vieux papiers de famille appartenant à un descendant du consul Béluc dans le manuscrit no 116, cahier 1, p. 2, aux adtg.
12 Voir l'étude de Marie-Madeleine Compere déjà citée et de Michel Vovelle, « Y a-t-il eu une révolution culturelle au xviiie siècle ? À propos de l'éducation populaire en Provence », dans la Revue d'histoire moderne et contemporaine, janv.-mars 1975.
13 Arch. mun. de Montech, rdc, bb 4, le 9 juillet 1737.
14 Dominique Blanc, Les saisonniers de l'écriture. Régents de villages en Languedoc au xviiie siècle, dans Annales esc, juillet-août 1988, no 4, pp. 867-895.
15 adtg, rdc de Reyniès, 3 E 914.
16 adtg, Reg. bms, 6 E 194/1.
17 adtg, Reg. bms, 6 E 118/1.
18 Lors du colloque, un participant à la conférence a confirmé cette hypothèse en rappelant qu'en Lomagne, la tradition d'une obole donnée par les parents au maître d'école s’est perpétuée jusqu'au début du xxe siècle.
19 adtg, rdc de Reyniès, 3 E 914, fol. 29 v°.
20 Cette évocation permet, en outre, de combler une lacune du Répertoire des collèges et régences latines du Midi. Celle de Villemur n'est pas citée par Marie-Madeleine Compere et Dominique Julia dans Les collèges français du xvie au xviiie siècle. Répertoire 1 sur la France du Midi, Paris, 1984.
21 Archives municipales de Villemur, rdc, D 8 (1751-1767).
22 adtg, Reg. du notaire Malfré,
23 Citée ci-dessus.
24 Docteur de Bernard, « Le clergé paroissial dans le district de Grenade-Beaumont (1789-1802) », manuscrit aux adtg, 206 p. Cette étude est succinctement analysée par René Toujas dans le bstag, t. 2, 1956, pp. 98 à 103. Sur soixante curés trente six sont dans une belle aisance, avant 1789.
25 Georges Freche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières vers 1670-1789, Paris, 1974.
26 Maurice Bordes, D'Etigny et l'administration de l'intendance d'Auch (1751-1767), Auch, 1957.
27 adtg, rdc de Castelmayran, 3 E 1809, fol. 97v°, 98 et 98v°
28 M. Fleury et P. Valmary, Les progrès de l'instruction élémentaire de Louis XIV à Napoléon III d'après l'enquête de Louis Maggiolo (1877-79), dans Population, no 1, 1957. Cet article reprend l'état récapitulatif et comparatif indiquant par département, le nombre de conjoints qui ont signé l'acte de leur mariage entre 1686-1690, 1786-1790, 1816-1820 et 1872-1876. Le recteur honoraire L. Maggiolo, chargé de mission par le ministère de l'instruction publique, a repris une technique dèjà utilisée à des fins statistiques, mais en lui donnant une ampleur sans précédent grâce aux documents fournis par 15928 instituteurs.
29 Le diocèse de Montauban ne comprend qu'un tiers de la superficie du Tarn-et-Garonne.
30 Jean Houdaille, Les signatures au mariage de 1740 à 1829, dans Population, no 1, 1977.
31 De 120 à 300 familles vivent dans ces sept communautés. Un seul notaire exerce dans chacune d'elle et leurs registres se trouvent conservés aux Archives départementales de T.-et-G. Il s'agit des registres de Pierre Malfre, à Reyniès (5 E 9508 à 9511) ; de J. François Gerla, à Villebrumier (5 E 9440 à 9445) ; de Géraud Bonnet, à Escatalens (5 E 9158 à 9161) ; de Pierre Merle, à Saint-Porquier (5 E 9330 à 9332) ; de Saint-Laurens, puis de son successeur Pétignot, à Bourret (5 E 9045 à 9053) ; de Balzac, à Castelmayran (5 E 9901 à 9905) ; de Cabirol, à Sérignac (5 E 17434 à 17439). Quant aux registres de Marrou, notaire habitant Lafitte, ils ont les côtes 5 E 10183 à 10190.
32 Labourgade est une annexe de la paroisse de Montaïn.
33 adtg Manuscrit 80, État du diocèse de Montauban par l’évêque Anne François Victor Le Tonnelier de Breteuil, 295 pages et 2 cartes.
34 Des mariés ont signé à l'église mais leur contrat n'a pas été trouvé chez le notaire du lieu. Ainsi à Lafitte, au total, cela fait sept mariés qui sont capables de signer sur trente six.
35 « Alphabétisation en Haut-Languedoc. Les aléas de la méthode Maggiolo dans le diocèse de Montauban au xviiie siècle », dans Annales du Midi, no 198, Avril-juin 1992, pp. 75-194.
36 Fanch Roudaut, L'impossible enquête Maggiolo en Léon, dans Études réunies en l'honneur de Pierre Goubert, Toulouse, 1984.
37 Hugues Dedieu, Le recrutement des novices franciscains d'Aquitaine au xviiie siècle, dans Annales du Midi, no 181, janv.-mars, 1988, pp. 2 à 62.
38 Victor Taupiac, Faudoas, ancien village muré, Montauban, 1931.
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