La croissance agricole du haut Moyen Age dans la Gaule du midi et le nord-est de la Péninsule ibérique
Chronologie, modalités, limites
p. 13-35
Texte intégral
1Pour ces journées, qui marquent le dixième anniversaire des colloques de Flaran, Charles Higounet voulait ce qu’il appelait un “grand thème”. Et ce n’est pas sans mûre réflexion qu’il avait choisi et proposé au Comité d’organisation celui auquel nous allons consacrer nos travaux : “La croissance agricole du Haut Moyen Age : causes, premières manifestations, chronologie, géographie”.
2Après avoir, en effet, consacré la majeure partie de sa recherche aux nouvelles formes d’habitat qui apparaissent aux XIe-XIIIe siècles, ainsi qu’aux entreprises de colonisation agraire qui leur sont liées, Charles Higounet en était arrivé à la conviction profonde que le grand mouvement de transformation des campagnes qui marque le Moyen Age Central, s’il constitue assurément un point de départ, n’en représente pas moins, à sa manière, un point d’arrivée : celui d’une croissance antérieure encore bien mal connue et dont il lui apparaissait nécessaire de préciser les origines et les modalités. Dans cette perspective, il convenait d’inscrire les fameux “grands défrichements” des XIe-XIIIe siècles dans la longue durée et peut-être même dans la très longue durée : pour cela, il nous invitait à franchir sans hésiter le seuil de l’An Mil pour explorer le Haut Moyen Age. Poser ainsi le problème des antécédents les plus lointains de l’expansion agricole de l’Europe n’était rien d’autre que poser celui du démarrage premier de l’économie européenne. Grand thème donc.
3Mais thème ardu, périlleux, susceptible de recevoir des éclairages totalement contradictoires (et il serait bien surprenant de ne pas relever des contradictions, peut-être flagrantes, dans les exposés qui vont suivre) en raison des difficultés d’interprétation d’une documentation souvent avare, presque toujours biaisée et donc propice à la formulation des hypothèses les plus diverses. Pour donner un avant-goût de la complexité des problèmes qui nous attendent, je voudrais, avant d’en venir au rapport qui m’a été demandé, présenter deux remarques et, ce faisant, poser deux questions.
41. L’idée même d’une croissance agricole antérieure à l’An Mil est, tout au moins en apparence, démentie par un nombre important de données indiscutables que nous livrent les Chroniques et les Annales de l’époque. Il s’agit des mentions très nombreuses de famines que l’on rencontre entre la fin du VIIIe et le début du XIe siècle. Famines fréquentes : une tous les sept ou huit ans en moyenne, au IXe siècle, dans la France du Nord. Famines souvent atroces et qui parfois ont pu conduire les hommes à des comportements de désespoir, jusques et y compris au cannibalisme1. La question est de savoir si elles constituent véritablement une négation de la croissance ou si on ne doit pas plutôt les considérer comme des accidents de celle-ci, comme le prix très lourd qu’a dû payer la paysannerie pour que l’expansion s’engage. Quelle que soit la réponse, si nous parlons de progrès, nous ne devrons jamais oublier l’arrière-plan de détresse et de faim sur lequel il s’opère.
52. Je tire ma deuxième remarque d’un livre apparemment sans rapport aucun avec notre sujet, Le Cheval d’Orgueil de Pierre-Jakez Hélias. Dans son premier chapitre, l’auteur décrit le très dur travail des valets de ferme (des “grands valets”) du pays bigouden à l’aube du XXe siècle. Or, dit-il, la journée terminée sur les champs du maître, ces hommes se rassemblaient sur la lande et là, de nuit, au clair de lune, ils défrichaient des lopins de terre destinés à devenir, l’un après l’autre, la propriété de chacun d’entre eux2. On peut assurément se demander si de tels comportements ne sont pas transposables à l’époque que nous étudions. S’il en est ainsi, si les défrichements du Haut Moyen Age ont été, dans beaucoup de cas, spontanés (c’est-à-dire réalisés sans organisation d’ensemble), parfois clandestins (effectués à l’insu du seigneur) et s’ils ont été, qui plus est, nocturnes, quelle chance avons-nous jamais de les découvrir – sauf heureuses exceptions – dans la documentation ?
6C’est en fonction de ces difficultés que j’ai tenté d’organiser mon rapport. En allant du mieux connu vers le plus obscur : en partant de l’Espagne du nord-est, et plus précisément de la Catalogne des IXe-Xe siècles qui, par une chance rare, nous a laissé des archives abondantes et fiables ; en examinant ensuite la situation, à la même époque, dans la Gaule du Midi (ici le champ des hypothèses est déjà beaucoup plus large) ; en franchissant pour finir, non peut-être sans quelque inconscience, le seuil de l’an 800 pour tenter de savoir s’il est possible de déceler, aux VIIe-VIIIe siècles, de premiers indices de développement agricole.
La croissance agricole dans la Catalogne des IXe-Xe siècles
1) Les sources
7Je ne m’attarderai pas ici à décrire la richesse, à peu près unique en son genre, des archives catalanes pour les IXe-Xe siècles : c’est par milliers que se comptent les chartes antérieures à l’An Mil3. Cette mine documentaire est aujourd’hui bien connue et elle est susceptible d’être de mieux en mieux exploitée grâce à l’effort d’édition tout à fait remarquable qu’ont réalisé ces dernières années et que continuent d’accomplir les érudits catalans4. Cet effort porte déjà ses fruits : les travaux sur la colonisation agraire – tant monographies locales5 qu’essais de synthèse6 – se multiplient.
8Mais si la documentation catalane est exceptionnelle par la quantité des actes qu’elle comporte, elle l’est aussi – et ce point mérite d’être spécialement souligné – par la nature de ces actes. Il s’agit en effet d’une documentation brute, non sélectionnée, composée pour l’essentiel de parchemins originaux, eux-mêmes rédigés pour la plupart à l’occasion de contrats (ventes, constitutions de gages…) conclus entre laïcs. Voilà qui nous préserve des dangers considérables que présente le plus souvent la lecture des cartulaires, dont la composition résulte d’une sélection orientée de la documentation preéxistante et qui, privilégiant les actes de caractère solennel au détriment des chartes de la pratique courante, nous donnent une vue déformée, voire parfois carrément fausse, de la réalité.
9Je donnerai un seul exemple – mais, je crois, capital – des risques que comporte l’utilisation de ces documents “solennels” (capitulaires, bulles pontificales, donations royales, comtales, épiscopales…). Il concerne l’aprision.
10L’aprision, institution fondamentale en Catalogne – et sans doute ailleurs – peut être considérée comme la modalité la plus courante de l’expansion agricole. Si l’on s’en tient au texte des capitulaires carolingiens7, on la définira comme une forme de bénéfice concédé à de hauts personnages, grands entrepreneurs de défrichements, en contrepartie d’un service de nature essentiellement militaire. Or ce sens ne se rencontre jamais dans les documents d’archives, où l’aprision n’apparaît comme rien d’autre que le droit du premier occupant : celui de posséder une terre en toute propriété, lorsqu’on l’a défrichée et exploitée de manière ininterrompue pendant trente ans. Par ailleurs, les aprisionnaires cités dans les documents sont dans leur quasi-totalité des paysans alleutiers.
11C’est donc sur les seuls actes de la pratique qu’il convient de se fonder. Qu’ils se réfèrent à des donations ou, dans la très grande majorité des cas, à des ventes entre alleutiers, ils indiquent toujours avec précision l’origine (aprision, héritage, achat…) du bien aliéné. Cette masse documentaire semble suffisante pour établir une typologie des défrichements des IXe-Xe siècles, pour définir leur chronologie et découvrir leurs motivations, pour tenter enfin de discerner les marques qu’ils ont laissées sur les structures agraires et l’habitat.
2) Typologie
12Comment, par qui et pourquoi les conquêtes de terres des IXe-Xe siècles ont-elles été opérées ?
13Comment ? C’est la question la plus difficile, le vocabulaire du défrichement étant limité et répétitif. Un mot revient pourtant avec fréquence : ruptura. On rompt la terre. On se livre sur elle à un travail de défonçage (arrancatio). Avec quels outils ? Sur ce point les textes sont muets, tout au moins jusqu’à l’apparition des premiers testaments de paysans, aux alentours de l’An Mil8. On constate alors qu’il s’agit tout simplement de haches (dextrales), de houes (exadas) et de bêches (cavagos) : leur nombre semble relativement important, ce qui laisse présager du rôle majeur qu’a joué le développement de la métallurgie rurale comme condition de l’expansion agraire.
14Le mot ruptura s’accompagne souvent d’un autre terme, edificatio, dont le sens est plus divers. L’edificatio peut être la construction proprement dite (celle de casas, de casales sur les terrains essartés), mais aussi la plantation (edificare vineam), et enfin – ce sens coïncidant souvent avec le précédent – l’aménagement de terrasses au flanc des versants.
15Ce travail de défonçage et d’édification s’effectue sur la terre vierge, inoccupée, d’où l’expression habituelle trahere de eremo ou (en Aragon et Ribagorça) trahere de scalido. Sur la terre vierge : donc, selon une tradition constante en Catalogne, sur la terre publique : sur la terra regis, précise même un acte du Pallars en 8519. Et c’est par l’aprision que le bien défriché change de statut, devient propriété privée. Il suffit pour cela de l’assentiment tacite de l’autorité comtale : celui-ci ne semble jamais avoir été refusé.
16Qui sont les défricheurs ? Personne ne croit plus aujourd’hui à une planification d’ensemble de la colonisation soi-disant mise en œuvre par Guifred le Poilu après qu’il eût été investi par Louis le Bègue, en 878, des comtés de Barcelone et Gérone. Le rôle de Guifred, comme celui des autres comtes catalans, a surtout consisté à doter les zones repeuplées d’un encadrement militaire, administratif et ecclésiastique, à encourager aussi les fondations urbaines dans ces mêmes régions (Vic, Manresa, Cardona). L’action de l’aristocratie laïque (familles vicomtales et vicariales) semble aussi, en dehors de quelques initiatives ponctuelles10, avoir été assez limitée. Et la même impression s’impose lorsqu’on examine le processus de formation du temporel des grands établissements ecclésiastiques (chapitres cathédraux ou grands monastères de fondation comtale). Les grandes fortunes monastiques, en particulier, se sont constituées, y compris dans les zones pionnières, sur la base de trois modes d’acquisition tout à fait classiques : l’aumône (les grandes abbayes reçoivent, pièce à pièce, de très nombreux lopins provenant des patrimoines paysans) ; l’achat (entre 905 et 930, par exemple, l’abbesse de Sant Joan de les Abadesses n’achète pas moins de soixante-dix alleux dans la vallée voisine de la Vallfogona, récemment peuplée et défrichée)11 ; les confiscations judiciaires enfin (les monastères et les chapitres faisant valoir en justice à l’encontre des aprisionnaires des titres de propriété plus anciens – vrais ou faux privilèges de Charlemagne ou de Louis le Pieux – et obtenant dans bien des cas la dépossession des défricheurs ou de leurs descendants)12. En fait, réserve faite de certains cas particuliers, le défrichement s’est opéré spontanément, en dehors de toute directive d’ordre supérieur, et il est à mettre à l’actif soit de petites communautés, soit d’individus isolés ou, le plus souvent, de couples.
17Au rang des petites communautés pionnières, on peut placer d’abord certaines abbayes, généralement très pauvres (à la différence des monastères de fondation comtale), installées dans le “désert” et dont les moines, fidèles à une tradition de type érémitique, menant une vie très dure, défrichent eux-mêmes des solitudes incultes : ainsi Sant Salvador de la Vedella, fondée en 833 dans le Haut-Berguedà, ou, un peu plus tard, Sant Julià del Mont ou Santa Cecilia d’Elins… Parmi ces petites abbayes aventurées dans des lieux répulsifs, certaines ont réussi en dépit des difficultés, mais bien d’autres ont échoué, tels ces cinq monastères du diocèse d’Urgell abandonnés par leurs occupants en 914, en raison de conditions de vie insoutenables13.
18Mais les communautés de défricheurs ne sont rien d’autre en général que des groupes de paysans. Elles apparaissent avec une particulière clarté dans une catégorie de chartes très bien représentée dans la documentation : les actes de consécration d’églises. Sur les vingt-trois plus anciens actes de ce type conservés pour le diocèse d’Urgell14, et relatifs à la période 833-913, quatorze se réfèrent à des églises bâties par les paysans eux-mêmes sur des terroirs nouvellement défrichés. Ils nous donnent les noms de ces hommes (tout au moins ceux des chefs de famille) : entre 4 et 33 par communauté, qui constituent le populus habitancium ou la plebs habitancium d’une paroisse nouvellement créée. Ce sont eux qui, la construction terminée, appellent l’évêque pour la cérémonie de consécration, reçoivent de lui le patronage de l’église (y compris parfois le droit de choisir le prêtre) et en assurent la dotation. Or, parmi les donations effectuées dans ce but, si l’on rencontre assurément une majorité de dons individuels, on relève aussi des mentions de cessions collectives, prouvant l’existence de biens communautaires, à savoir de parcelles vraisemblablement défrichées en commun15.
19Le rôle de ces petites collectivités rurales se retrouve aussi dans l’aménagement des ressources hydrauliques. Il apparaît en effet que, jusque vers l’An Mil tout au moins, beaucoup de moulins sont possédés par des associations de paysans alleutiers : chaque membre du groupe dispose d’une part qui peut être définie soit par une fraction des revenus du moulin, soit, plus souvent, par une durée d’utilisation (un jour et une nuit par semaine, par exemple). Ce sont aussi, semble-t-il, ces petites communautés qui sont à l’origine des premiers systèmes d’irrigation : en 1019, par exemple, les huits chefs de famille du hameau de Corró de Munt, en Vallès, achètent à la comtesse Ermessend les eaux de diverses sources pour alimenter un canal qu’ils se préparent à creuser et qui est destiné à arroser leurs champs, jardins, vignes, lignères et chènevières ; le même acte nous apprend d’ailleurs qu’à cette date les habitants du hameau voisin de Samalùs possèdent déjà leur propre réseau d’irrigation16.
20Il n’en reste pas moins que si les paysans se sont groupés pour édifier églises et moulins ou pour creuser des chenaux, l’essentiel de la mise en valeur du sol, l’énorme travail de la ruptura a été accompli par des individus isolés ou, le plus souvent, par des couples, aidés ou non par leurs enfants. C’est ce dont témoigne statistiquement la masse de parchemins originaux – et tout particulièrement celle des actes de vente de parcelles entre alleutiers – que conserve la Catalogne pour le Xe siècle : 88 % de ces contrats sont conclus par des individus (hommes ou femmes, accompagnés ou non de leurs fils ou filles) ou par des couples (la part de ces derniers s’élevant à elle seule à 49 %)17. A l’origine du défrichement, on trouve manifestement la famille paysanne de type conjugal18.
21Quelles sont enfin les motivations des défricheurs ? Il est clair que la réponse à cette question ne se laisse pas clairement déceler dans la documentation. Je voudrais citer, malgré tout, deux actes qui semblent assez parlants.
22Le premier n’est pas catalan, mais aragonais, et date des alentours de l’An Mil. Il concerne les paysans du lieu de Beral, qui exploitent un terroir particulièrement aride des Pré-Pyrénées. Ces hommes, tous ensemble (omnes de Berali), vont trouver les moines de San Martin de Cillas qui possèdent des terres vierges non loin de là :
“et ils leur demandèrent et ils les supplièrent de leur donner un territoire où ils puissent labourer, car leurs propres terres étaient vieilles et lessivées”19.
23La raison du défrichement, qui s’accompagne du déplacement d’une communauté rurale, n’est autre que la surexploitation des terres d’une haute vallée, elle-même provoquée très vraisemblablement par un phénomène de surpeuplement. Des hommes trop nombreux sur des terroirs trop peu productifs : la disette s’installe et il n’est d’autre remède que l’émigration. La première cause des essartages est assurément la lutte contre la faim.
24Le deuxième document est beaucoup plus connu : c’est la charte de franchise de Cardona, concédée dans les années 880-886 par le comte Guifred le Poilu20. Parmi les immigrants auxquels celui-ci ouvre le nouveau territoire, leur garantissant liberté et sécurité en cette région de danger permanent, figurent toutes sortes d’individus marginaux ou hors-la-loi (couples adultères, voleurs…), mais sont aussi expressément mentionnés les esclaves fugitifs. D’où une deuxième motivation possible de la ruptura, de la mise en valeur des terres vierges : la recherche de la liberté de la part d’esclaves (souvent, sans doute, de couples d’esclaves) évadés des derniers troupeaux serviles encore employés sur les grands domaines.
25Au total, si l’on veut schématiser les caractères de l’expansion agraire dans l’Espagne du nord-est aux IXe-Xe siècles, on dira qu’elle a été essentiellement l’œuvre de jeunes couples de paysans (tout au plus de familles de type conjugal), fuyant la faim ou la servitude, s’installant sur des terres vacantes (terres publiques, “terres du roi”), défrichant celles-ci à la houe et à la bêche, se les appropriant par le système de l’aprision, se regroupant enfin en communautés de trois à trente familles pour opérer les travaux les plus difficiles et procéder aux aménagements de caractère collectif.
3) Chronologie
26Elle est aujourd’hui bien établie, la documentation permettant d’en mesurer les étapes région par région.
27C’est en Pallars et Ribagorça21 que les défrichements semblent avoir été les plus précoces. La première phase de conquêtes de terres – dont il est malheureusement difficile de discerner l’ampleur – se place ici dans les années 820-850 : elle concerne surtout des zones situées sur les rives mêmes de la Noguera Ribagorçana et dans le val de Señín. La période de maximum d’intensité se situe néanmoins un peu plus tard : entre 850 et 920 dans la vallée de l’Isábena, entre 850 et 930 dans celle de la Noguera Ribagorçana (avec dans ce dernier cas, une reprise des essartages dans la décennie 950-960).
28Dans le reste de la Catalogne sub-pyrénéenne, (Berguedà, Ripollès, plaine de Vic)22, la première phase, qui d’ailleurs ne concerne ici, semble-t-il, que le Haut-Berguedà, se déroule entre 830 et 870. L’époque d’apogée se place entre 870 et 920 environ en Berguedà et Ripollès, entre 870-880 et 930-940 dans la plaine de Vic.
29Plus au sud, dans le comté de Barcelone (où la documentation est beaucoup moins abondante à cette époque), on constate des signes d’une intense activité de mise en culture et de construction d’églises au cours des années 910-940, aussi bien en Vallès qu’en Penedès oriental23.
30Si on fait un bilan, on ne peut qu’être frappé par la rapidité et la simultanéité des phénomènes d’expansion. Le grand mouvement de conquête agraire est l’œuvre de deux – ou, au plus, trois – générations : celle du dernier tiers du IXe siècle et celle(s) du premier tiers (ou de la première moitié) du Xe siècle. En tout cas, vers 940-950, la ruptura, le grand labeur de défonçage des sols est pour l’essentiel terminé. L’espace agricole est conquis, comme il l’est d’ailleurs vers la même date dans l’Espagne du nord-ouest (vallée du Duero, Castille comtale)24.
31Ceci ne signifie pas bien sûr que la croissance agricole est terminée, mais elle prend par la suite d’autres formes : celle, avant tout, d’une intensification et d’une valorisation de la production, par le biais en particulier d’une systématisation des aménagements hydrauliques et par le développement de l’arboriculture, de la viticulture et de l’horticulture irriguées. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’une nouvelle révolution agricole s’amorce vers l’An Mil. Par ailleurs, de nouvelles vagues de conquêtes agraires se produiront, mais beaucoup plus tard et en d’autres lieux : dans la deuxième moitié du XIIe siècle, sur les territoires reconquis de Lleida et de Tortosa ; au XIIIe siècle en pays valencien. Les modalités n’en seront alors plus les mêmes puisqu’elles s’effectueront dans le cadre très contraignant de la seigneurie et à l’initiative ainsi qu’au profit des puissants.
32Ce qu’on peut néanmoins assurer, c’est que ces développements seconds de l’expansion ont été permis et préparés par le travail des paysans du Haut Moyen Age.
4) Les marques de la croissance sur les structures agraires et l’habitat
33Avant de quitter la Catalogne pour nous aventurer dans la pénombre documentaire de la Gaule du Midi, il convient sans doute de repérer les empreintes les plus caractéristiques qu’y a laissées l’expansion agricole du Haut Moyen Age. Ces “marqueurs de la croissance” permettront peut-être de reconnaître celle-ci dans les régions où les sources écrites sont beaucoup plus chiches d’informations.
34Les conquêtes de terres des IXe-Xe siècles ont engendré deux types de structures agraires largement prédominants : l’alleu paysan et la tenure à parts de fruits.
35La propriété paysanne est omniprésente dans les documents catalans antérieurs à l’An Mil. Elle est généralement composée de multiples parcelles, défrichées au hasard des accidents de terrain (et aussi en fonction de l’exposition et des possibilités d’arrosage), et réparties dans les différents secteurs de chaque micro-terroir. Ces parcelles font fréquemment l’objet d’actes d’aliénation (achats et ventes, mises en gage, échanges) : ceux-ci représentent, pendant toute la durée du Xe siècle, entre 70 et 80 % des parchemins originaux conservés pour la Catalogne entière, ce qui traduit à cette époque une prépondérance écrasante de l’alleu comme forme de détention du sol. Après l’An Mil, cette proportion baisse inexorablement : environ 50 % vers 1050, 20 % vers 1100, moins de 10 % vers 115025. Cette chute est à mettre en relation à la fois avec un processus de concentration foncière – qui a toujours existé, mais que compensaient jusqu’à l’An Mil les aprisions paysannes sur les vacants – et avec les limitations au droit de propriété qu’apporte l’instauration de la seigneurie banale. La leçon qu’il convient sans doute de tirer de ces constatations est qu’il faut se garder, dans les régions où la documentation ne débute vraiment qu’au XIIe siècle, de projeter dans le passé une image des structures foncières qui n’est valable que pour cette époque : observer que l’alleu paysan est rare vers 1100 ne doit jamais conduire à conclure à une prépondérance séculaire du grand domaine.
36La vogue de la tenure partiaire s’explique facilement en raison de sa parfaite adaptation au phénomène de colonisation, la redevance croissant au fur et à mesure que la production progresse. Ce type de tenure, souvent concédée par des paysans à d’autres paysans, est aussi caractéristique de l’exploitation des grands domaines dans les zones pionnières. Elle domine largement dans tout le bas-pays catalan, où les tenures à cens fixes sont rares et où le manse est pratiquement ignoré jusqu’au XIIe siècle (alors qu’on le rencontre, bien avant l’An Mil, dans les zones de peuplement ancien du haut pays). Tant que dure la ruptura, les champarts sont faibles, le plus usuel – et de très loin – étant la tasque du onzième de la récolte. Puis, même si la tasque se maintient sur bon nombre d’exploitations, les taux de prélèvement ont tendance à s’accroître pour se fixer aux XIe-XIIe siècles au cinquième, au tiers et surtout au quart : vers 1075, le quartum est en passe de s’imposer, en beaucoup de régions, comme redevance coutumière26. Quoi qu’il en soit, la tenure partiaire présente comme l’alleu paysan une structure parcellaire : elle n’est généralement qu’une collection de champs et de vignes accensés isolément.
37Ce caractère très lâche de la structure des exploitations se retrouve au niveau de l’habitat. Dans la Catalogne pionnière des IXe-Xe siècles, celui-ci est marqué, tout comme dans le Latium pré-castral27, par une grande dissémination. On se trouve en présence d’une nébuleuse de petites unités de peuplement – hameaux beaucoup plus que villages – qui portent des appellations diverses : villa, villare, villula, villarunculus, sans qu’on puisse établir une nette hiérarchie entre ces termes, notamment entre villa et villare28. Exemple bien connu : en 913, les 280 foyers paysans qui forment la population du val de Sant Joan de les Abadesses se répartissent en 21 habitats (5 villae, 16 villares) regroupant entre 3 et 26 familles29.
Les souscripteurs de l’acte d’abandon de propriété du val de Sant Joan de les Abadesses (913)
Habitants | Couples | Hommes seuls | Femmes seules | Total des foyers |
Villa que vocant Insula | ||||
Langovardi | 15 | 0 | 2 | 17 |
Villare Miralias | ? | ? | ? | ? |
Villa Tenebrosa | 8 | 3 | 9 | 20 |
Villare Calvello | 3 | 1 | 0 | 4 |
Villare Perella | 12 | 6 | 0 | 18 |
Villa Franchones | 6 | 4 | 2 | 12 |
Villare Enculatos | 19 | 2 | 5 | 26 |
Villare Mogio | 5 | 1 | 0 | 6 |
Villare Olceia | 12 | 2 | 4 | 18 |
Villa de Scluane | 3 | 2 | 0 | 5 |
Villare Rodebaldencos | 6 | 4 | 5 | 15 |
Villare Fornos | 4 | 2 | 2 | 8 |
Villare Puio Redundo | 18 | 0 | 2 | 20 |
Villare Vinea | 19 | 1 | 1 | 21 |
Villare Centullo | 7 | 2 | 2 | 11 |
Villare Boscharones | 11 | 3 | 0 | 14 |
Villare Sintigesa | 7 | 4 | 3 | 14 |
Villare Clarano | 10 | 0 | 1 | 11 |
Roverbello | 3 | 0 | 0 | 3 |
Villare Vedellare | 11 | 3 | 3 | 17 |
Villa Planas | 10 | 5 | 5 | 20 |
189 | 45 | 46 | 280 |
38Cette structure d’habitat apparaît également très bien dans les actes de consécration d’églises. Les territoires paroissiaux sont définis cum villis et villarunculis suis, cum villis et villulis et villaribus30. Dans les paroisses nouvellement créées dans les zones pionnières du diocèse d’Urgell, le nombre des lieux habités varie, par exemple, de quatre à treize31. L’église paroissiale est le plus souvent établie dans une villa, mais parfois aussi dans un vilar, parfois même à l’écart de tout habitat. Mais il est surtout notable qu’elle est fréquemment flanquée d’églises annexes, construites dans les villulae ou les villarunculi : en 913, par exemple, trois des douze villulae dépendant de l’église paroissiale de la Torre de Campmajor possèdent leurs propres lieux de culte32. Ces ecclesiae ou ecclesiolae, paroissiales ou non, nous sont relativement bien connues tant par les actes de consécration que par les vestiges qui en subsistent assez souvent. L’étude très documentée que leur a consacrée X. Barrai i Altet33 nous indique qu’il s’agit, dans presque tous les cas, de tout petits édifices à nef unique et chevet plat. Les dimensions de la nef varient, en général, entre 3,50 m et 5,50 m de largeur, entre 6 et 10 m de longueur. Minuscules églises donc, mais construites en grand nombre et adaptées à des groupes humains de taille réduite : elles sont les témoins de l’essaimage de l’habitat qu’a provoqué le premier mouvement de colonisation.
La croissance agricole dans la Gaule du Midi aux IXe-Xe siècles
39Qu’un certain nombre des observations relatives à la Catalogne puissent s’appliquer à la Gaule du Midi semble aller de soi : aux IXe-Xe siècles, rien n’oppose véritablement les sociétés qui vivent au sud et au nord des Corbières. Mais il faut se garder de toute transposition systématique. Pour deux raisons principales.
40D’une part, le contexte “géopolitique” est différent. Il n’y a jamais eu ici (sauf en Provence orientale) de frontière ni, par conséquent, de véritable front de colonisation : la conjoncture n’a jamais entraîné les hommes à occuper – ou réoccuper –, de manière massive et rapide, en l’espace de deux ou trois générations, des contrées antérieurement désertées. On peut donc préjuger, sous bénéfice d’inventaire, d’un processus d’expansion moins spectaculaire, plus étalé dans le temps, plus progressif.
41D’autre part, le territoire concerné est infiniment plus vaste. Les rythmes de l’expansion y ont été sûrement plus divers selon les régions. Il faudrait donc absolument pouvoir établir une géographie de la croissance, tenant compte d’avances et de retards : avance peut-être de l’Auvergne qui, si l’on suit Gabriel Fournier34 et Christian Lauranson-Rosaz35, semble faire preuve d’un beau dynamisme ; retard peut-être de la Provence qui, selon Gabrielle Demians d’Archimbaud36, donne des signes inquiétants de récession jusqu’à un Xe siècle avancé. Au sein d’une même contrée, on devrait – ce qu’a pu faire Monique Bourin pour le Biterrois37 – distinguer entre les contextes locaux (conditions de relief, nature des sols, mais aussi structures de pouvoir, proximité ou éloignement des axes de circulation). Mais alors que les questions se multiplient, la documentation se fait le plus souvent extrêmement ténue.
1) Sources et problèmes
42Il est bien inutile d’insister ici sur l’indigence des archives méridionales. Chacun sait que les actes antérieurs à l’An Mil ne se rencontrent le plus souvent qu’à l’état d’épaves. Déficiente en quantité, la documentation l’est aussi en qualité : peu ou pas de parchemins originaux, donc très peu d’actes de la pratique courante, seuls aptes à évoquer les éventuelles prises de terres (= aprisions) réalisées par défrichement sur les vacants. Monique Bourin écrit à juste titre : « L’accroissement de l’espace cultivé aux Xe-XIe siècles est un fait indéniable, probablement plus vif qu’il ne paraît : c’est une activité surtout paysanne, elle apparaît donc assez peu dans les cartulaires »38.
43Seul correctif à ce constat désolant : l’existence de textes narratifs, en l’occurrence surtout d’écrits hagiographiques, beaucoup plus abondants et riches ici qu’en Catalogne, et qui comportent parfois des allusions aux conquêtes de terres. C’est d’ailleurs d’ouvrages de ce type que je voudrais tirer deux premiers exemples de défrichements précoces. Le premier nous est proposé par la Vita s. Geraldi et se réfère donc à des faits datant de la fin du IXe ou des premières années du Xe siècle : Géraud d’Aurillac, au cours d’un de ses nombreux voyages, rencontre un groupe de ses colons qui ont abandonné leurs tenures et qui, transportant leurs outils, sont en chemin pour s’installer ailleurs39. Où vont ces fugitifs ? Vraisemblablement vers quelque lieu désert, quelque forêt ou quelque lande où ils pourront, à l’instar des valets de ferme évoqués par P.-J. Hélias ou des servi évadés qui gagnent le territoire franc de Cardona, créer leurs propres exploitations agricoles… Le deuxième exemple est fourni par le Livre I du Liber Miraculorum s. Fidis, rédigé en 1012/1013 : l’auteur ayant à décrire un cadavre calciné par la foudre utilise spontanément la métaphore de l’écobuage : « Le misérable foudroyé ne laisse qu’un cadavre entièrement noirci comme un charbon : tel le tronc d’un grand chêne que le laboureur opiniâtre voit avec peine occuper une place dans une terre soigneusement défrichée… »40. Dans les deux cas, il s’agit bien de défrichements paysans : le second de caractère individuel, le premier se référant à l’action d’un petit groupe de pionniers.
44Autres types d’essartages collectifs : ceux qui accompagnent la fondation de petites communautés monastiques, installées sur des terroirs marginaux. De l’abbaye de Peyrissas en Comminges, un acte de 1026 assure qu’elle fut construite plus de trente ans plus tôt in silva eremitical41. Quant au chétif monastère de Fons, en Quercy, né entre 972 et 983, il porte à l’origine le nom significatif de Sancta Maria de Exartellis42.
45De manière ponctuelle, il est donc possible de relever des références directes à des conquêtes de terres antérieures à l’An Mil. Mais il ne s’agit que d’indices qui demandent confirmation. Est-il possible de généraliser au vu des travaux de synthèse réalisés jusqu’ici sur l’histoire rurale de la France du Midi au Haut Moyen Age ?
46Pour le Languedoc – ou plus exactement la Septimanie –, Elisabeth Magnou-Nortier et Monique Bourin aboutissent, sur le problème des défrichements, à des conclusions relativement semblables. On aurait procédé ici à de vigoureuses conquêtes agraires au IXe siècle, à l’époque de l’installation des Hispani réfugiés. Puis les essartages se seraient poursuivis aux Xe et XIe siècles, mais à une échelle plus restreinte et sur un rythme plus lent. Mais le laconisme de la documentation est tel que l’une et l’autre de ces historiennes font état d’impressions plus que de certitudes43. Pour la période 910-1010, les trois cartulaires de Nîmes, Agde et Béziers contiennent au total onze mentions sûres – ou à peu près sûres – de défrichements44. Onze : ce sera au gré de chacun ou bien peu ou beaucoup. Et le vocabulaire lui-même prête à discussion : les casales disruptos que citent en deux occasions les cartulaires de Nîmes et de Gellone sont-ils des exploitations nouvelles nées de la ruptura ou de simples masures détruites45 ?
47Pour l’Auvergne, Gabriel Fournier est beaucoup plus formel. S’appuyant à la fois, dans une démarche véritablement pionnière, sur les sources écrites, l’étude de terrain, et l’analyse toponymique, il conclut de la sorte son chapitre premier : « Aux IXe-Xe siècles, les essarts et les lieux habités, reconnaissables à leurs noms de formation récente, se multiplièrent partout, d’abord à proximité des régions les plus anciennement peuplées, puis dans des secteurs de plus en plus reculés. S’il est impossible de préciser le point de départ de cette vague de défrichements, il est néanmoins certain que le mouvement était déjà très avancé au début du Xe siècle et par endroits au IXe siècle. Aux environs de l’an 1000, l’homme était présent à peu près partout où la vie agricole était possible »46.
48De ces travaux il est possible de tirer au moins une assurance : l’expansion agricole a débuté indiscutablement avant l’An Mil dans la Gaule du Midi. Mais à quelle date ? selon quelles modalités ? avec quelle ampleur ? selon quels rythmes ? Sauf sans doute en ce qui concerne l’Auvergne, les réponses à ces questions restent bien aléatoires. Pour tenter d’éclairer un peu le problème peut-être est-il bon de se demander si l’on décèle ici ces indicateurs de l’expansion que la documentation catalane permet de définir assez bien, à savoir, dans le régime foncier, la présence de l’alleu paysan et de la tenure à parts de fruits ; dans le mode de peuplement, le phénomène de dissémination de l’habitat.
2) Alleux paysans et tenures à champart
49L’alleu est assurément omniprésent dans la Gaule du Midi aux alentours de l’An Mil. Il suffit d’ouvrir le Cartulaire de Lézat pour en trouver des dizaines de mentions (138 dans les 251 actes antérieurs à 1030)47 et si malheureusement les documents ne nous en indiquent pas l’origine, du moins le définissent-ils sans ambiguïté comme une exploitation agricole tenue en toute propriété. Dans les pays charentais, André Debord constate “un fourmillement presque incroyable de tout petits alleux”48. En Biterrois, Monique Bourin souligne son rôle prépondérant dans la basse plaine (mais non dans l’arrière-pays) : « dans la zone littorale, écrit-elle, il semble qu’une bonne partie du territoire cultivé échappe à la grande propriété et se répartisse en alleux aux mains de moyens propriétaires »49 et, pour la première moitié du XIe siècle, elle conclut à « l’existence dans le Biterrois littoral d’une paysannerie alleutière nombreuse »50. En Auvergne, si l’alleu échappe à la documentation consultée par Gabriel Fournier (essentiellement composée de cartulaires), on le retrouve dans les parchemins originaux des Archives du Puy-de-Dôme récemment étudiés par Christian Lauranson-Rosaz51 : ces documents, qui datent du deuxième quart du XIe siècle, se présentent sous la forme de contrats de vente de parcelles opérés par divers petits alleutiers au profit d’un couple d’alleutiers plus aisés, Emmenon et Gaudence. En tous points semblables, dans leur facture comme dans leur contenu, aux innombrables parchemins de vente que conserve la Catalogne, ils constituent assurément les vestiges d’une documentation du même type, aujourd’hui disparue, en même temps que le témoignage de structures agraires vraisemblablement peu différentes des structures catalanes.
50On pourrait trouver bien d’autres exemples : l’alleu paysan occupe une place fort importante dans beaucoup de régions de la France du Midi au moins jusqu’à l’An Mil ; ce n’est qu’ensuite, avec la mise en place de la seigneurie banale, qu’il s’efface pour disparaître à peu près complètement au XIIe siècle52.
51Quant à l’autre structure de colonisation, la tenure à parts de fruits, elle domine très largement dans le Languedoc du XIIe siècle, sans qu’il soit possible de déterminer avec exactitude à quelle époque elle remonte. Monique Bourin voit dans sa généralisation le résultat d’une fixation récente de la “coutume des terres”53 ; il est fort possible en effet que, dans de nombreux cas, l’imposition d’un champart résulte, comme cela se produit fréquemment en Catalogne à la même époque, du changement de statut de nombreux alleux paysans incorporés dans les grands domaines et transformés en tenures. Mais cette explication ne saurait être que partielle car le régime de la redevance partiaire est attesté bien plus tôt : des tasques sont levées sur les domaines des châtelains de Lignan dès avant 103054 ; le quartum, en tant que prélèvement du quart pesant sur l’ensemble des récoltes, est mentionné dans les cartulaires d’Aniane et de Gellone dès la première moitié du XIe siècle55 ; mais, en tant que redevance spécifique du quart de la vendange, il apparaît bien plus tôt encore : en 954 près de Béziers, en 994 près de Nîmes ; dès 925, on relève même, toujours près de Nîmes, une redevance de la moitié du vin56. L’usage de concéder les parcelles de vignes à parts de fruits se répand donc au Xe siècle : il est à mettre bien entendu en relation avec le phénomène d’expansion de la viticulture que Monique Bourin a minutieusement décrit pour le Biterrois. Mais il ne se limite pas au Bas-Languedoc : partout des vignes nouvellement plantées (ou données à planter) sont concédées sous le régime de la redevance partiaire. Le seul document qui nous soit parvenu pour le Quercy du Xe siècle cite lui aussi de jeunes vignobles tenus par leurs exploitants contre le versement du quartum : et illas vineas quartales teneant illas qui eas plantaverunt a quartam (972/983)57. A cette date les expressions de vineas quartales, plantare a quarta semblent déjà compréhensibles de tous sans autre explication : il ne s’agit pas d’une nouveauté. Des vignes nouvelles (imposées du quart ou de la moitié), des champs nouveaux (imposés de la tasque ou du quart), les uns et les autres gagnés sur l’inculte : voilà ce que nous donne à voir le progrès des complants et des champarts au Xe siècle.
52Mais tout n’est pas que progrès. L’examen des structures agraires permet aussi de constater des pesanteurs, plus fortes, semble-t-il, qu’en Catalogne à la même époque. La manse en particulier – mais qu’est-ce qu’un manse dans le Midi ? – continue à dominer dans certaines régions (Rouergue, arrière-pays languedocien par exemple). Mais on note surtout, sur les grands domaines, la rémanence de types d’exploitation de tradition esclavagiste, ce qui a pu constituer un frein aux innovations. Au IXe siècle encore, de grosses familiae serviles subsistent en Septimanie, principalement sur les terres du fisc et des grands monastères58. En Bas-Limousin, le cartulaire de Beaulieu mentionne aussi des groupes compacts de mancipia, tant au IXe qu’au Xe siècle59. En Auvergne, Géraud d’Aurillac possède, nous dit sa Vita, d’innombrables esclaves et s’il n’en affranchit que cent dans son testament, c’est que la loi lui interdit d’en libérer davantage60. Toujours en Auvergne, Gabriel Fournier61, puis Christian Lauranson-Rosaz62 ont insisté sur la longue persistance des séquelles de l’esclavagisme en pleine époque carolingienne.
53Il est difficile toutefois d’évaluer le poids de ces archaïsmes. S’ils se maintiennent, les troupeaux d’esclaves ne cessent pourtant de s’amenuiser par le biais du casement sur des tenures. Le polyptyque de Saint-Pierre-le-Vif63 montre que, dès le début du IXe siècle, une grande partie de la main-d’œuvre servile que l’abbaye possédait dans la région de Mauriac a déjà été installée sur des colonges (colonicae) : les trois-quarts des 248 colonges possédées par l’abbaye sont occupées par des servi ; or leur création semble résulter, pour Gabriel Fournier qui les a étudiées, d’un allotissement précoce des réserves domaniales64. Mais, si elle s’opère par le casement, la résorption de l’esclavage s’effectue aussi par une autre voie, bien plus directe : la fuite. Des évasions d’esclaves sont mentionnées sur les domaines d’Aniane dès 81665 et, à plusieurs reprises, sur ceux de Beaulieu entre 865 et 88566. Servi in fuga lapsi, disent les textes : esclaves fugitifs, donc selon toute vraisemblance défricheurs, quelque part dans les garrigues du Languedoc ou dans les forêts du Limousin…
54En tout cas, le déclin du régime esclavagiste, qu’il débouche sur le colonat (par le casement) ou sur la liberté (par la fuite ou l’affranchissement) aboutit toujours à une dissémination des exploitations agricoles : les 248 colonges de Mauriac, par exemple, se répartissent en 123 lieux différents67.
3) Autre indicateur de l’expansion : l’essaimage de l’habitat
55La floraison d’une multitude d’habitats épars qui constitue, comme par exemple en Latium, l’un des signes les plus révélateurs de la croissance précastrale, est un peu partout repérable dans la France du Midi.
56Déjà, Gabriel Fournier, dans sa thèse, en 1962, avait fortement insisté sur ce phénomène et l’avait mis en relation avec un mouvement général de colonisation. Je complète ici ma citation antérieure de son livre : « … Aux environs de l’an 1000, l’homme était présent à peu près partout où la vie agricole était possible. Cette colonisation des varennes et des montagnes, qui est confirmée par la répartition des églises au XIe siècle, se fit sous la forme d’un habitat dispersé »68.
57Depuis lors, l’histoire de l’habitat du Haut Moyen Age a fait de considérables progrès, principalement au cours des dix dernières années. En 1978, c’était, en quelque sorte, l’article fondateur, celui de Charles Higounet, “Gimont avant la bastide”69, modèle de la plupart des monographies ultérieures. Sur le territoire de la bastide de Gimont, l’auteur repérait une nébuleuse de trente-quatre habitats antérieurs (désertés ou quasi-désertés) : huit d’âge antique, huit présentant des toponymes germaniques ou germano-romans et dix-huit représentant les progrès du peuplement entre le VIIe et le XIe siècle (douze de ces derniers, signalés par des hagiotoponymes, possédant des édifices cultuels). Depuis 1978, les recherches se sont multipliées en Gascogne, recensant les habitats antérieurs ici aux bastides, là aux castelnaux ou aux villages castraux, ailleurs encore aux sauvetés. En 1979, l’abbé G. Loubès repérait sur le territoire de l’actuelle commune de Montréal plus de vingt anciennes paroisses disparues après la fondation de la bastide70. En 1981, Pierre Dupouey identifiait une dizaine de sanctuaires disparus dans l’actuelle commune d’Ordan-Larroque71. En 1983, l’abbé Loubès encore retrouvait mention d’une douzaine d’églises sur le territoire de la commune de Fourcès72, d’une douzaine également dans celle de Durban73. Et l’on ne saurait omettre les analyses et les conclusions tout à fait similaires de Benoît Cursente dans sa thèse sur les castelnaux de la Gascogne gersoise74.
58Hors de Gascogne, dans les pays toulousain et audois, de nombreuses recherches, universitaires ou non, récentes ou en cours, mettent en évidence le même phénomène. En 1983, Henri Ménard, dans son livre trop méconnu sur les Eglises perdues de l’ancien diocèse de Rieux75 retrouvait 236 sanctuaires dans les limites de 103 paroisses actuelles (11 églises dans celle de Gaillac-Toulza, 13 dans celle de Rieux, 9 dans celle de Marquefave). Constatations identiques de Martine Têtard en 1985 dans son travail sur l’habitat antérieur aux sauvetés de Comminges76 ou de Joséphine Pinéda en 1986 sur les églises et cimetières disparus du pays toulousain77. Dans les pays d’Aude, des enquêtes systématiques, fondées sur l’ensemble des moyens d’information existants (archives, cadastres, photos aériennes, prospection archéologique…) sont actuellement menées sur l’habitat pré-castral, principalement par Dominique Baudreu78 et Daniel Cazes79 : les résultats déjà connus vont tous dans le même sens (10 églises sur la commune de Montréal, 13 sur celle de Lézignan, 17 sur celle de Laure-Minervois…).
59Ces lieux de culte, de même que les minuscules cimetières qui leur sont liés, sont, dans leur immense majorité datables du Haut Moyen Age soit par leurs dédicaces (qu’on retrouve sur les cadastres comme noms de micro-finages), soit par leur emplacement à des carrefours de chemins fossilisés (abandonnés lors de la mise en place des nouveaux réseaux de communications de l’âge castrai), soit encore par leurs vestiges lorsqu’il est permis de les déceler. On s’aperçoit alors qu’il s’agit de toutes petites églises : 4,50 x 2,90 m pour l’église de Gléon dans l’Aude, 5 x 4 m pour celle de Ponts-de-Benque, 7,20 x 3,60 pour celle d’Arzac, en Comminges…)80. Elles ressemblent en tous points à celles que construisaient les paysans-défricheurs dans les zones pionnières de la Catalogne sub-pyrénéenne ; comme ces dernières, elles sont les témoins de très nombreux habitats épars, sans doute eux-mêmes fruits d’un mouvement de colonisation aussi diffus qu’opiniâtre.
60Certains pourtant de ces sanctuaires sont antérieurs au IXe siècle : pour ne citer qu’un exemple bien connu, l’église de Séviac, du VIIe siècle, fouillée par Jacques Lapart81. D’où un dernier problème, extrêmement difficile, celui du point de départ de la croissance.
Aux VIIe-VIIIe siècles : des indices de démarrage ?
61On rencontre indiscutablement, dès cette époque, des mentions explicites de défrichements, principalement dans les sources hagiographiques et tout spécialement dans les vies d’ermites : elles ont été relevées par divers auteurs, ainsi Michel Rouche82 et, plus récemment, Walter Guelphe83. On note aussi, dans le même type d’écrits, des références à la construction de moulins qui constituent les premiers signes d’un aménagement des ressources hydrauliques84. Mais ces données sont trop peu nombreuses et relèvent surtout d’un contexte trop particulier pour qu’on puisse en tirer des conclusions sûres.
62Conformément à ma démarche, je préfère me demander ici si l’on retrouve aux VIIe-VIIIe siècles – tant dans les structures agraires que dans la répartition de l’habitat – ces marques de l’expansion qu’il est possible de déceler aux siècles suivants.
Dans les structures agraires ?
63Bien que les textes manquent cruellement, on peut être assuré de l’existence d’une petite propriété paysanne : Gabriel Fournier en a trouvé des mentions certaines pour l’Auvergne85 et Michel Rouche discerne, avec des arguments probants, sa présence en Aquitaine86. Mais cette micropropriété est-elle d’origine pionnière ? Michel Rouche encore relève, dans l’Aquitaine mérovingienne, des références assez directes au régime de l’aprision : d’abord l’emploi du mot pressura (synonyme d’aprision) par Grégoire de Tours ; surtout la revendication de la prescription trentenaire par les évêques aquitains dans leur Petitio à Clotaire II en 61487. Mais on peut aller au-delà et affirmer que ce régime de l’aprision est indiscutablement d’origine wisigothique : apparu à vrai dire on ne sait quand, il est en tout cas décrit et officialisé par une loi du roi Chindaswinth au milieu du VIIe siècle88. Un cadre légal existait donc pour reconnaître la validité des “prises de terres” par défrichement sur les vacants.
64La tenure à parts de fruits est pareillement attestée au VIIe siècle : les Formulae Wisigothicae proposent même deux types de contrats89 à qui veut accenser une terre sous ce régime : dans les deux cas, la redevance prévue est du dixième de la récolte. C’est ce même versement du dixième que l’on retrouve, toujours au VIIe siècle, dans la Vita de saint Didier de Cahors90 et, plus tard, au début du IXe, dans le polyptyque de Saint-Pierre-le-Vif qui mentionne, pour deux des colonicae citées, un cens de la moitié des fruits tous les cinq ans91. Et c’est encore ce même type de dîme foncière que l’on peut déceler au VIIe siècle dans les documents comptables de Saint-Martin de Tours92, si l’on suit du moins les hypothèses très plausibles de Sho-ichi Sato93 selon lesquelles les cens cités dans ce polyptique seraient calculés sur la base d’un agrier du 1/10e. S’agit-il de tenures de défrichement ? S. Sato est porté à le croire, au moins pour beaucoup d’entre elles, situées dans les zones encore largement boisées qui s’étendaient entre Vienne et Cher. Leur dispersion géographique, en tout cas, semble bien porter la marque d’un effort de colonisation : les 1386 d’entre elles que les lambeaux du polyptyque permettent d’identifier se répartissent en cent vingt-huit lieux différents.
Dans la répartition de l’habitat ?
65Cette précocité dans la dissémination de l’habitat n’est pas propre aux domaines de Saint-Martin de Tours. Si nous revenons en Gascogne, nous la retrouvons à partir d’autres indices. C’est bien en effet de l’époque mérovingienne qu’il faut dater la construction première de bon nombre de ces petites églises, de ces sanctuaires isolés qui parsemaient les campagnes gersoises à l’âge pré-castral. Jacques Lapart, qui en a fait un inventaire exhaustif94, a souligné l’ancienneté de leurs vocables (Saint-Luperc, Sainte-Quitterie, Saint-Orens, Sainte-Gemme…) comme celle des rares vestiges archéologiques qu’ils ont pu laisser. Or, comme il l’a justement remarqué, ce premier mouvement de dispersion accompagne ou suit de peu le phénomène d’abandon des grandes et belles villae de l’Antiquité tardive. Il se place à l’époque où celles-ci sont transformées en nécropoles, où l’on défonce les mosaïques pour creuser des tombes : à des dates diverses du VIe ou du VIIe siècle à la Turraque, à Gelleneuve, à Puységur, à Ordan-Larroque, à la fin du VIIe siècle à Séviac95. On a bien l’impression ici (je me garderais de généraliser) d’une mutation dans l’histoire de l’habitat : on passe (insensiblement ou brutalement ?) d’un habitat de pierre et de marbre, organisé en vastes unités architecturales à un habitat de terre et de bois, inorganique, diffus, mais, semble-t-il, en expansion constante.
66Cette mutation est-elle observable ailleurs ? Les archéologues en discutent. En Septimanie, les auteurs d’une très récente – et très belle – étude sur l’habitat en Vaunage du IIIe au XIIe siècle96 seraient plutôt enclins à valoriser les phénomènes de continuité, encore qu’ils notent, vers le VIIe siècle, un renversement de tendance : aux Ve-VIe siècles, les désertions sont plus nombreuses que les créations, alors qu’aux VIIe-IXe siècles, les sites nouveaux l’emportent sur les sites abandonnés. En Provence, l’obscurité reste presque entière : Gabrielle Démians d’Archimbaud opterait pourtant assez volontiers pour l’idée d’une rupture, « rupture systématique, non accidentelle…, mal expliquée dans sa brutalité »97.
67En l’état actuel de la recherche, la marge d’incertitude reste considérable. Il est certain qu’elle se réduira beaucoup dans les prochaines années en raison du développement croissant des enquêtes archéologiques, en fonction aussi des données – moins négligeables qu’il n’y paraît – que peut apporter une relecture des textes : charte de Nizezius98, carta vetus de Viviers99, par exemple… Le renversement de conjoncture, qu’on ne fait pour l’instant que deviner, pourrait être mieux daté et mieux compris. Il pourra aussi se trouver éclairé par les travaux réalisés (ou à réaliser) dans la péninsule ibérique100 ou en Italie101. Quant à ses causes profondes, il conviendra de les rechercher dans le contexte global de l’histoire démographique et sociale des VIe-VIIIe siècles. Là seulement se trouvent les éléments d’explication, et non point dans ce Deus ex machina que constituent les invasions germaniques. En ce sens, il serait précieux d’avoir au moins un aperçu du phénomène de désertions qu’a pu occasionner la pandémie de peste bubonique dont les différentes poussées s’échelonnent de 543 au milieu du VIIe siècle102. Il serait plus important encore de mesurer les effets qu’a pu avoir la reprise d’après-peste, dont on est en droit de supposer qu’elle se trouve souvent à l’origine de l’essaimage de nouveaux foyers de peuplement. Il paraît par ailleurs indispensable d’établir une corrélation entre les mutations de l’habitat et la crise – le premier grand craquement – du système esclavagiste que connaît l’Europe du Midi au VIIe siècle et dont témoignent en abondance les lois wisigothiques et lombardes103. Cette crise, perceptible dès avant 650, atteint son paroxysme en Espagne dans les années qui précèdent immédiatement la conquête musulmane : en 702, par exemple, le roi Egica promulgue, dans la panique provoquée par les évasions massives d’esclaves, une loi véritablement inouïe, tendant à mobiliser toute la société espagnole dans une gigantesque chasse aux fugitifs104. Il serait bien invraisemblable que la Gaule du Midi n’ait pas connu une situation assez semblable. Certes, toute la main-d’œuvre servile ne s’est pas enfuie : aussi les archéologues peuvent-ils, à juste titre (en Vaunage, par exemple)105 déceler de réels phénomènes de continuité dans l’occupation du sol (et donc dans l’exploitation des villae) depuis le Bas-Empire jusqu’à l’époque carolingienne. Mais la survie d’un certain nombre de grands domaines esclavagistes ne saurait occulter l’apparition de nouvelles formes de mise en valeur du sol, nées peut-être, au moins partiellement, du combat opiniâtre mené par les travailleurs de la terre pour échapper au malheur et à la servitude.
Conclusions
68– L’expansion agricole, dont on peut percevoir, du VIIe au Xe siècle, un certain nombre de signes dans la Gaule du Midi, semble aller de pair avec le déclin du régime esclavagiste, lequel, fortement ébranlé par la grave crise qu’il subit au VIIe siècle, s’éteint définitivement aux alentours de l’An Mil. En est-elle la conséquence ou la cause ? Sans doute les deux à la fois. En tout cas, elle se développe sur les ruines d’un système qui, fondé sur le travail forcé, ne pouvait être que fort peu productif (en Espagne, au témoignage du XVIe Concile de Tolède, on considérait qu’il fallait au moins dix mancipia pour pourvoir aux besoins d’une église rurale)106.
69– Cette croissance s’est effectuée principalement sur la base d’initiatives individuelles : celles, par exemple, d’esclaves ou de colons fugitifs, celles surtout de jeunes couples de paysans allant rechercher dans la forêt ou la lande tout à la fois la liberté et une terre pour se nourrir.
70– Elle aboutit très souvent à la création d’une micro-propriété paysanne vigoureuse, née des appropriations (“aprisions” en Catalogne) réalisées sur les vacants et tacitement officialisées au terme d’une occupation trentenaire. Ses débuts sont aussi ceux de la grande époque de l’alleu paysan, qui durera jusqu’aux XIe-XIIe siècles.
71– Sur les grands domaines, elle fait naître – pas toujours, mais souvent – de nouveaux modes de faire-valoir laissant une plus large part de responsabilité à l’exploitant. Elle consacre le régime de la petite exploitation et plus spécialement de la tenure à parts de fruits. Celle-ci est assortie à l’origine d’une redevance du 1/10e, de laquelle dériveront vraisemblablement par la suite (lorsque sera instituée la dîme ecclésiastique et pour ne pas se confondre avec elle) l’agrier du 1/9e et la tasque du 1/11e.
72– Elle s’accompagne généralement d’un essaimage de l’habitat en petites unités de peuplement et donc de la construction d’un grand nombre de minuscules sanctuaires associés à ces habitats. Ce phénomène de dispersion dominera, en beaucoup de régions, jusqu’aux grands regroupements des XIe-XIIIe siècles.
73– Dans la Gaule du Midi, cette expansion a sans doute été lente et progressive, inégale selon les régions, marquée peut-être de phases de stagnation ou de recul : elle s’est étendue sur plusieurs siècles, peut-être un demi-millénaire… En Catalogne au contraire, en raison d’une conjoncture particulière (liée à l’existence de la frontière), elle a été exceptionnellement dynamique et rapide, l’essentiel des conquêtes agraires se concentrant sur deux ou trois générations. Cette vigueur du démarrage économique de la Catalogne n’a d’ailleurs pas été sans conséquences – souvent heureuses, mais pas toujours – sur les destinées du pays.
74Enfin nous ne connaîtrons certainement jamais le prix – en travail, en souffrances – qui a été payé par les auteurs de cette expansion, à savoir les paysans défricheurs. Du moins pouvons-nous discerner deux de leurs principales motivations – autrement dit deux des moteurs premiers de la croissance – : la lutte pour la survie, un espoir de libération.
Notes de bas de page
1 Recueil des textes relatifs à ces famines dans C. Curschmann, Hungersnöte im Mittelalter, Leipzig, 1900. Sur ce sujet, P. Bonnassie, “Consommation d’aliments immondes et cannibalisme de survie dans l’Occident du Haut Moyen Age”, dans Annales E.S.C., 1989, p. 1035-1056
2 P.J. Helias, Le Cheval d’Orgueil, Paris, 1975, p. 26-27.
3 Présentation de ces sources dans P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle : croissance et mutations d’une société, Toulouse, 1975-76, t. I, p. 22 et suiv.
4 Les documents des Archives capitulaires de la Seu d’Urgell ont été publiés dans leur totalité, pour les IXe-XIe siècles, par C. Baraut dans les différentes livraisons d’Urgellia (t. I à VIII, 1978-1987). Ceux de Vic sont à consulter dans E. Junyent, Diplomatari de la Catedral de Vic, segles IX-X, Vic, 1980… Pour Gérone, édition en cours par R. Marti, Col. leccio diplomàtica de la Seu de Girona. Par ailleurs, la grande entreprise de la Catalunya Carolingia, dont les trois premiers tomes avaient été publiés par R. d’Abadal (Barcelone, 1926-1955), se poursuit : de nouveaux volumes doivent paraître prochainement sous les auspices de l’Institut d’Estudis Catalans. Signalons enfin l’édition intégrale des testaments antérieurs à 1025 par A. Udina Abello, La successió testada a la Catalunya altomedieval, Barcelone, 1984. Mais bien d’autres publications pourraient être citées…
5 Entre autres : X. Bou i Palmes, El monestir de Sant Cugat en el segle X : la formació del domini vallesà, Sant Cugat, 1988 ; J.M. Salrach, “La repoblació i la restauració eclesiástica en el pagus de Berga”, dans Cuadernos de Historia económica de Cataluña, t. XVII, 1977 ; J. Vilagines, La transició al feudalisme : un cas original, el Vallès Oriental (ca. 930 - ca. 1090), Granollers, 1987. Il convient de signaler particulièrement deux thèses importantes encore inédites : R. Marti Castello, Els inicis de l’organització feudal de la producció al bisbat de Girona, 4 vol. dactyl., Universitat Autònoma de Barcelona, 1987 Lluis To Figueras, L’evolució de les estructures familiars en els comtats de Girona, Besalù, Empóries-Peralada i Rosselló (segles X-XIII), 3 vol. dactyl., Universitat de Barcelona, 1989.
6 Voir en particulier les chapitres consacrés au sujet par J.M. Salrach dans le t. II (El procès de feudalització, segles III-XII) de l’Història de Catalunya publiée sous la direction de Pierre Vilar, Barcelone, 1987.
7 Capitulaires (de Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve) destinés aux Hispani, dont la meilleure édition se trouve dans le t. II de la Catalunya carolingia de R. d’Abadal.
8 Références et commentaires dans P. Bonnassie, La Catalogne…, ouvr. cit., t. I, p. 475-478.
9 Catalunya carolingia, t. III, no 44.
10 Telle celle du viguier Gali de Sant Marti Sarroca dans la région du Bas Penedès (Cartulario de Sant Cugat del Vallès, éd. J. Rius Serra, Barcelone, 1946, t. II, no 452).
11 Actes publiés par F. Udina Martorell, El Archivo condal de Barcelona en los siglos X-XI, Barcelona, 1951, no 18 à 119 (tableau des acquisitions dans P. Bonnassie, La Catalogne…, I, 237).
12 Ibid., I, 238-239 (où on trouvera une douzaine d’exemples de telles confiscations qui aboutissent souvent à l’expropriation de tous les alleutiers d’un terroir). Autres exemples, concernant la région géronaise, dans R. Marti Castello, ouvr. cit., t. I, p. 128-129. Du même auteur, “La integració a l’“alou feudal” de la Seu de Girona de les terres beneficiales pel “règim dels Hispans” : els casos de Bàscara i Ullà (segles IX-XI)” dans La formació i expansió del feudatisme català, Actes del Col.loqui de Girona, gener 1985, Gérone, 1986, p. 49-62.
13 J. Villanueva, Viage literario a las iglesias de España, t. X, no 15. Sur cet abandon, R. d’Abadal, Els primers comtes catalans, Barcelone, 1958, p. 118, et P. Bonnassie, ouvr. cit., I, p. 104.
14 Edités par C. Baraut, Les actes de consegracions d’esglésies de l’ántic bisbat d’Urgell (segles IX-XII), La Seu d’Urgell, 1986. Ces actes ont été étudiés par J.-P. Illy, Les églises et paroisses rurales de l’évêché d’Urgell, du début du IXe siècle aux alentours de 1040, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, 1988.
15 C. Baraut, Les actes de consegracions…, no 7 (890), 10 (900), 11 (900), 21 (907).
16 P. Bonnassie, ouvr. cit., I, p. 467-468.
17 Ibid., I, p. 266-267.
18 Luis To Figueres, ouvr. cit., I, p. 155-259 (en part., p. 206-207 et p. 245-248).
19 Et tempus hec erat abbas Incalzatus in Zella et venerunt ad eum omnes de Beralli villa ad ilium abbate et ad illos monacos de monasterio rogaverunt eos et suplicaverunt ut dedissent illis terminum ubi laborassent, quia iam illorum terras veteres erant et lavatas (Cartulario de San Juan de la Peña, éd. A. Ubieto Arteta, Valence, 1962, t. I, no 32). Ce texte est cité et commenté par A. Barbero et M. Vigil, La formación del feudalismo en la Península ibérica, Barcelone, 1978, p. 372-373. Il fait l’objet d’une longue analyse – aboutissant à des conclusions très différentes de celles des précédents auteurs – dans J.-J. Larrea, “Moines et paysans : à l’origine de la croissance agraire en Haut Aragon (IXe-Xe siècles)”, à paraître dans Cahiers de civilisation médiévale (1990).
20 La charte du comte Guifred ne nous est pas parvenue, mais de larges extraits en figurent dans la confirmation qu’en donne le comte Borrell en 986 (J.-M. Font Rius, Cartas de población y franquicia de Cataluña, t. I, 1969, nos 4 et 9 (p. 8-9 et 14-18).
21 R. d’Abadal, Catalunya carolingia, t. III, Els comtats de Pallars i Ribagorça, ouvr. cit. (une trentaine de références). La chronologie est affinée par F. Galtier Marti, Ribagorza, condado independiente, desde los ongenes hasta 1025, Saragosse, 1981, p. 108-110.
22 J.-M. Salrach, “La repoblació…”, art. cit. (supra, n. 5) et El procès de feudalització, ouvr. cit. (supra, n. 6), p. 196-202.
23 J.-M. Salrach, El procès…, ouvr. cit., p. 201-202. Voir aussi J. Vilagines, ouvr. cit. (supra, n. 5) et X. Bou i Palmes, ouvr. cit. (ibid.).
24 S. de Moxo, Repoblación y sociedad en la España cristiana medieval, Madrid, 1979, p. 46-78, qui donne la synthèse des nombreux travaux réalisés sur la question (par Cl. Sanchez Albornoz et ses élèves) et y ajoute le fruit de ses recherches personnelles.
25 P. Bonnassie, ouvr. cit., I. II, p. 888-894 (en part. graphique VI).
26 Ibid., t. II, tableau de la p. 819.
27 P. Toubert, Les structures du Latium médiéval, Rome, 1973, t. I, p. 328-331.
28 Certains villares sont plus peuplés que certaines villae (cf. dans tableau ci-joint les villares Enculatos, Puio Redundo, Vinea). R. Marti Castello (ouvr. cit., t. I, p. 145-147) pense que contrairement à la villa (qui représente une amorce de groupement), le villare n’est qu’un agrégat d’habitations dispersées : l’hypothèse reste à démontrer.
29 F. Udina Martorell, El Archivo condal…, ouvr. cit., no 38. Les concepts de “foyers” ou de “familles” seraient ici à nuancer : un certain nombre d’hommes et de femmes, chefs d’exploitation, apparaissent sans conjoints, mais on peut considérer une bonne part d’entre eux comme des veufs ou des veuves (sans doute pourvus d’enfants).
30 C. Baraut, Les actes de consagracions…, no 40 (893), 51 (1040) ; Id., “Els documents…” (Urgellia, III), no 232 (993), 315 (1010). Voir J.-P. Illy, Les églises et paroisses… (cit. supra, n. 14), p. 50-52.
31 J.-P. Illy, ibid., p. 52.
32 C. Baraut, Les actes de consagracions…, no 25. A noter que ces églises annexes possèdent aussi leurs cimetières.
33 X. Barral i Altet, L’art pre-romànic a Catalunya, Barcelone, 1981.
34 G. Fournier, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le Haut Moyen Age, Paris, 1962.
35 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges (Velay, Gévaudan) du VIIIe au XIe siècle : la fin du monde antique ?, Le Puy-en-Velay, 1987.
36 G. Demians d’Archimbaud, “Le village et l’habitat rural”, dans Le paysage monumental de la France autour de l’An Mil (sous la dir. de X. Barral i Altet), Paris, 1987, p. 85-101 (en part. p. 87-88).
37 M. Bourin-Derruau, Villages médiévaux en Bas-Languedoc : genèse d’une sociabilité (Xe-XIVe siècles), 2 vol., Paris, 1987.
38 Ibid., t. I, p. 95.
39 Vita sancti Geraldi, II, 24 (dans P.L., 133).
40 Liber miraculorum sancte Fidis, I, 12 : Ita miser ultimum diem maliciae suae claudens, arsit igni divino, ambustumque cadaver in carbonem unum reliquit, assimilis ipse ingentis roboris trunco, quem improbus agricola bene exercitatam novalem diu occupasse dolet. Ille summis viribus enisus, certat eum volvere, forasque extrudere. Sed ingenti mote victus, plurimo igni undique succenso, postremo mediis nigrantem deserit arvis (éd. A. Bouillet, Paris, 1987, p. 44-45).
41 Cartulaire de l’abbaye de Lézat, éd. P. Ourliac et A.-M. Magnou, t. I, Paris, 1984, no 409.
42 B.N. Paris, Fonds Doat, t. 126, fo 32.
43 E. Magnou-Nortier, La société laïque et l’Eglise dans la province ecclésiastique de Narbonne (zone cis-pyrénéenne) de la fin du VIIIe à la fin du XIe siècle, Toulouse, 1974, p. 111-113 et 200 suiv. ; M. Bourin-Derruau, ouvr. cit., t. I, p. 94-96.
44 Références dans E. Magnou-Nortier, ouvr. cit., p. 201, n. 7, et M. Bourin-Derruau, ouvr. cit., t. I, p. 95, n. 10 et 11.
45 Exploitations nouvelles pour E. Magnou-Nortier, ouvr. cit., p. 201 et M. Bourin-Derruau, ouvr. cit., p. 95. Masures détruites pour les auteurs d’une récente étude sur la Vaunage : A. Parodi, Cl. Raynaud, J.M. Roger, “La Vaunage du IIIe siècle au milieu du XIIe siècle : habitat et occupation des sols”, dans Archéologie du Midi Médiéval, t. 5, 1987, p. 3-59 (p. 25).
46 G. Fournier, ouvr. cit., p. 123.
47 M.-L. Jalabert, La terre et tes hommes entre Ariège et Garonne, d’après le Cartulaire de Lézat (859-1031), mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, 1988, p. 61.
48 A. Debord, La société laïque dans les pays de Charente, Xe-XIIe siècles, Paris, 1984, p. 295.
49 M. Bourin-Derruau, ouvr. cit., I, p. 111.
50 Ibid., p. 113.
51 C. Lauranson-Rosaz, ouvr. cit., p. 397-399.
52 Sur cette disparition, M. Bourin-Derruau, ouvr. cit., I, p. 228-230.
53 M. Bourin-Derruau, ouvr. cit., I, p. 207-208.
54 B.N. Paris, Fonds Doat, t. 61, fo 62 (E. Magnou-Nortier, ouvr. cit., p. 251, n. 209).
55 Ex. Cart. Gellone, no 91 (E. Magnou-Nortier, ouvr. cit., p. 211, n. 42).
56 Cart. Nîmes, no 26 (v. 925), no 90 (994) ; Cart. Béziers, no 24 (954).
57 B.N. Paris, Fonds Doat, t. 126, fo 52.
58 E. Magnou-Nortier, ouvr. cit., p. 221-223.
59 Cartulaire de l’abbaye de Beaulieu en Limousin, éd. M. Deloche, Paris, 1859, no 33 (859), 24 (859), 19 (860), 112 (863), 65 (887), 162 (887), 155 (893), 64 (904), 60 (916), 147 (916), 65 (918), 72 (923),…
60 Vita s. Geraldi, III, 4.
61 G. Fournier, “L’esclavage en Basse-Auvergne aux époques mérovingienne et carolingienne”, dans Cahiers d’Histoire, t. 6, 1961, p. 361-375.
62 C. Lauranson-Rosaz, ouvr. cit., 389-396 (avec liste des mentions d’esclaves dans la documentation auvergnate des IXe-Xe siècles).
63 Ce polyptyque, de la fin du VIIIe ou du début du IXe siècle est inséré dans une charte fausse du XIe ou du XIIe siècle, dite “charte de Clovis”. Une édition critique très récente vient d’en être établie d’après le manuscrit de loin le plus complet, celui de la Bibliothèque Municipale de Clermont-Ferrand : B. Phalip, “Charte dite de Clovis”, dans Revue de la Haute Auvergne, 1988, p. 567-607, et 1989, p. 671-696.
64 G. Fournier, Le peuplement rural…, ouvr. cit., p. 241-242, et, plus récemment B. Phalip, art. cit., p. 596-598.
65 Hist. générale de Languedoc, II, 42 (et E. Magnou-Nortier, ouvr. cit., p. 220).
66 Cart. Beaulieu, nos 186 et 55.
67 B. Phalip, art. cit., p. 597.
68 G. Fournier, ouvr. cit., p. 123. (cf. ci-dessus, p. 21-22).
69 Ch. Higounet, “Sur les transformations de l’habitat et des structures agraires en Gascogne… : Gimont avant la bastide”, dans Etudes géographiques offertes à Louis Papy, Bordeaux, 1978, p. 369-375.
70 Ch. Samaran et G. Loubes, Comptes consulaires de Montréal en Condomois, Paris, 1979, Intr., p. 17.
71 P. Dupouey, “Domaines antiques, paroisses, communes : une évolution perçue à travers les documents, l’étude toponymique et l’inventaire archéologique d’un territoire (Ordan-Larroque, Gers), dans Actes de la IIIe Journée de archéologues gersois (1981), Auch, 1982, p. 5-29.
72 P. Aragon-Launet et G. Loubes, La bastide de Fourcès, Nogaro, 1983.
73 G. Loubes, Communication présentée à la Ve Journée des archéologues gersois, Marciac, 1983.
74 B. Cursente, Les castelnaux de la Gascogne médiévale, Bordeaux, 1980, p. 26-27 et passim.
75 H. Menard, Eglises perdues de l’ancien diocèse de Rieux, Saint-Girons, 1983 (voir également le compte rendu de cet ouvrage par P. Ourliac dans Annales du Midi, t. 95, 1983, p. 337-338).
76 M. Tetard, Sauvetés et peuplement : projet d’étude archéologique et topographique des sauvetés de Comminges, mémoire de D.E.A., Université de Toulouse-Le Mirail, 1985.
77 J. Pineda, Eglises et cimetières disparus du pays toulousain, mémoire de D.E.A., Université de Toulouse-Le Mirail, 1986.
78 D. Baudreu, L’habitat médiéval en Bas-Razès (IXe-XVe s.), mémoire de maîtrise, Univ. de Toulouse-Le Mirail, 1985 ; Id., Recherches sur le peuplement médiéval dans le bassin moyen de l’Aude (Bas-Razès, Carcassès), VIIIe-XIIe s., mémoire de D.E.A., Université de Provence, Aix, 1988 ; Id., L’habitat médiéval en Limouxin, Carcassonne, 1988 ; Id., “L’habitat rural en Bas-Razès”, dans Le paysage monumental…, ouvr. cit. (supra, n. 36), p. 448-450.
79 D. Cazes, Recherches sur l’occupation du sol en Lauragais audois au Moyen Age, mémoire de D.E.A., Université de Toulouse-Le Mirail, 1988 ; Id, “L’habitat rural en Lauragais”, dans Le paysage monumental…, ouvr. cit., p. 447-448.
80 Exemples tirés des études citées de D. Baudreu (pour Gléon), H. Menard (pour Arzac et Ponts-de-Benque).
81 J. Lapart, Les cités d’Auch et d’Eauze de la conquête romaine à l’indépendance vasconne (56 av. J.-C. - VIIe s. ap. J.-C.), enquête archéologique et toponymique, thèse de 3e cycle, Université de Toulouse-Le Mirail, 2 vol. dactyl., 1985 (en part., t. I, p. 371-373 et t. II, p. 90-92).
82 M. Rouche, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781) : naissance d’une région, Paris, 1979, p. 235-236.
83 W. Guelphe, “L’érémitisme dans le Sud-Ouest de la Gaule à l’époque mérovingienne”, dans Annales du Midi, t. 98, 1986, p. 293-315.
84 Voir en particulier la Vie de saint Ours (originaire de Cahors et grand constructeur d’abbayes – et de moulins – en Berry et Touraine), dans Grégoire de Tours, Vitae Patrum, XVIII (M.G.H., SSRM I, p. 733-735).
85 G. Fournier, ouvr. cit., p. 211-213.
86 M. Rouche, ouvr. cit., p. 220-224.
87 M. Rouche, ouvr. cit., p. 230-231 et n. 312.
88 M.H.H., Leges I, Lex wisigothorum, X, 2, 4. Voir aussi X, 2, 3 et X, 2, 6.
89 Formulae Visigothicae, dans Legum Sectio V, Formulae. Formule no 36 : Dum de die in diem egestatem paterer et huc illuc percurrerem, ubi mihi pro compendio laborarem et minime invenirem, tunc ad dominationis vestrae pietatem cucurri, sugerens ut mihi iure precario, in locum vestrum quod vocatur ille, ad excolendum terras dare iuveres ; quod et vestra anuens dominatio petitioni meae effectum tribuit et terras ad prefatum locum, ut mea fuit postulatio, ad modios tot, ut dixi, iure precario dare dignerit… Decimas vero praestatione vel exenia, ut colonis est consuetudo, annua inlatione me promitto persolvere… La formule no 37 stipule également que le preneur versera decimas de fruges aridas vel liquidas, atque universa animalia vel pomaria seu in omni re.
90 Vita s. Desiderii, XXIV (M.G.H., SSRM, IV, 1902, p. 581-582). Didier fait remise à un colon de Rostassac de cent amphores de vin qu’il devait au titre de cette redevance du dixième. L’hypothèse de Jean Durliat (“Les attributions civiles des évêques mérovingiens : l’exemple de Didier, évêque de Cahors, 630-655”, dans Annales du Midi, t. 91, 1979, p. 237-254 ; en part. p. 248-249), faisant de ce type de prélèvement un impôt public paraît assez gratuite.
91 Dans la villa de Darazac (Corrèze) : solvunt medium fructum in quintum annum (§ 37 du polyptyque). Voir B. Phalip, art. cit., p. 577 et 593, ainsi que J.-P. Poly, “Régime domanial et rapports de production “féodalistes” dans le Midi de la Fance (VIIIe-Xe s.)”, dans Structures féodales et féodalisme dans l’Occident méditerranéen (Actes du colloque intern. de Rome, 1978), Rome, 1980, p. 57-84 (en part., p. 62-63). J.-P. Poly considère que le montant de l’ensemble des autres redevances mentionnées par le polyptyque résulte en fait d’une “fixation de la rente au 1/10e”.
92 P. Gasnault, Documents comptables de Saint-Martin de Tours à l’époque mérovingienne, Paris, 1975.
93 S. Sato, Recherches sur les documents comptables de Saint-Martin de Tours à la fin de l’époque mérovingienne, mémoire de D.E.A., Université de Paris-X-Nanterre, 1985, p. 9-11 et 35-36. A noter que le terme utilisé dans ce prépolyptyque pour désigner les redevances en céréales est celui d’agrarium qui sera par la suite universellement utilisé dans le Midi dans le sens de redevance proportionnelle à la récolte.
94 J. Lapart, ouvr. cit., t. I, p. 384-386 et t. II, passim.
95 J. Lapart, ouvr. cit., t. I, p. 347-350, et E. James, The Merovingian Archaeology of South-West Gaul, Oxford, 1977, t. I, p. 181-182 et fig. 41.
96 A. Parodi, Cl. Raynaud, J.-M. Roger, “La Vaunage…”, art. cit. (supra, n. 45).
97 G. Demians d’Archimbaud, art. cit. (supra, n. 36), p. 87-88.
98 Hist. Gén. de Languedoc, t. II, col. 42-45 (679/680) : dans un paysage où la forêt et le marécage restent prépondérants, on discerne cependant des signes d’un essaimage d’exploitations nouvelles (villae satellites, villares, portant parfois des noms peut-être significatifs : Vovalio, Novaliense…).
99 Ibid, t. II, col. 414-421. Il s’agit d’un résumé, effectué au IXe siècle, des actes de donation qui se trouvaient alors dans les archives de la cathédrale et dont la plupart datent de l’époque mérovingienne. On y trouve mention de plusieurs centaines de colonicae et de nombreuses églises, généralement construites par les donateurs.
100 A signaler, par exemple, les fouilles en cours du village d’El Bovalar, dans la région de Lleida (Catalogne), incendié et abandonné au début du VIIIe siècle, très riche d’informations en matière d’économie agricole, mais dont les résultats n’ont encore été publiés que de manière très fragmentaire (P. de Palol, « Las excavaciones del conjunto de “El Bovalar” », dans Los Visigodos, historia y civilización, Actos de la Semana Internacional de Estudios Visigodos, Univers. de Murcia, 1986, p. 513-525).
101 Sur l’Italie rurale à la fin du VIe et au début du VIIe siècle, intéressante mise au point de Michel Rouche, “Grégoire le Grand face à la situation économique de son temps”, dans Grégoire le Grand (Coll. intern. de Chantilly), Paris, C.N.R.S., 1986. Notons parmi les conclusions de l’auteur : « Grégoire a nettement contribué à faire se terminer le cycle de la crise séculaire… Il est le dernier pape d’une conjoncture de crise aiguë. Comme en Aquitaine, le VIIe siècle va être le temps du retour à un autre équilibre ».
102 J.-N. Biraben et J. Le Goff, “La peste du Haut Moyen Age”, dans Annales E.S.C., 1969, p. 1484-1490.
103 P. Bonnassie, “Survie et extinction du régime esclavagiste dans l’Occident du Haut Moyen Age”, IVe-XIe s.”, dans Cahiers de Civilisation Médiévale, t. 28, 1985, p. 307-343.
104 Lex Wisigothorum, IX, 1, 12. Voir P. Bonnassie, art. cit., p. 337.
105 A. Parodi, Cl. Raynaud, J.-M. Roger, art. cit. (supra, n. 45).
106 Tol. XVI, c. 5 (Mansi, Sacr. Concil., XII, 62).
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