Jardins et parcs de Gascogne terrains d’essais et d’expériences (1750-1810)
p. 261-267
Texte intégral
1Dans un régime d’autoconsommation qui ne laissait au commerce que les surplus de la production et les produits des redevances, le jardin domestique apparaît comme une pièce maîtresse de l’exploitation agricole.
2Il est toujours sis à proximité de l’habitation, nourri de composts (balayures, boues et immondices des cours, déchets domestiques...). Ceint de haies vives qui le protègent des rapines des animaux domestiques et des vagabonds, il est traditionnellement tracé selon un plan géométrique à carreaux séparés par des allées perpendiculaires, et celles-ci sont à un niveau inférieur, ce qui favorise les travaux de jardinage. Ces jardins à la française ne sont pas seulement jardins de métayers, mais aussi de seigneurs, tel celui du commandeur de La Cavalerie au Nomdieu. Des plantes domestiques, souvent héritées de Rome : ail que vilipendait Horace, fèves et oignons que célébrait Caton, herbes et tubercules pour le pot étaient emmêlés avec les fruitiers en un certain désordre.
3Dans l’arrentement perpétuel, plus tard, l’emphytéose, dans l’afferme et arrentement, plus tard le fermage, le jardin profite exclusivement au preneur. Dans les baux à métayage, les fruits du jardin se partagent. Parfois même, le jardin paraît si précieux au maître qu’il s’en réserve expressément la production, aux dépens du bordier qui le travaille. “Il est expressément défendu audit Bertrand Cazeneuve d’entrer (dans le verger et l’enclos) n’y de permettre que sa femme, enfant ou tout autre de son ménage entrent sous aucun prétexte... sous peine d’être chassés tout de suite” (Livre de raison, du Sr Jean Lagente aîné. La baillette est du 27 novembre 1789).
4Le Gascon qui va faire fortune “aux Isles” organise, à Saint-Domingue ou à l’Isle Bourbon, ses plantations comme dans son domaine lectourois ou condomois. Le “carré en vivres” est l’équivalent du casal1.

Jardins de métayers

Jardin de seigneur (le commandeur)
Terrier de la commanderie du Nomdieu (Arch. comm, de Lectoure)
5Le jardin tire aussi son utilité de ce qui a toujour été un champ d’expériences. “Quelle a été ma surprise, écrit Poyferré de Cère, de le rencontrer (le chou de Sibérie, coqueluche des agronomes d’avant-garde) dans quelques jardins de simples laboureurs ou métayers”2. Le collègue de Poyferré, Ducourneau de Carretz, avait eu, lui aussi, la même surprise”3. Le topinambour (helianthus tuberosus) était depuis longtemps connu dans les jardins landais mais, écrit Poyferré, “Je ne connaissais encore de cet utile végétal que quelques individus épars, négligés et du plus misérable produit”. Lors de la campagne 1806-1807, il ne trouve pas assez de tubercules pour planter un demi-hectare de topinambours4. Victor Yvart veut le mettre à la mode. Sur les conseils de Parmentier, à Maison-Alfort, il l’avait choisi pour nourrir ses brebis : “Cette plante américaine que je me déterminai, écrit-il, de tirer des jardins dans lesquels elle était reléguée depuis son introduction dans nos climats pour la cultiver en grand”. Legrux-Lassale membre du Corps Législatif, fait à son tour des essais de topinambour5.
6Poyferré de Cère cultive dans son potager toutes les variétés de légumes : chou-rave “rabioule” des Landes qui serait d’après lui le turnips anglais, fèves des marais. Il joint à tous ces légumes le rutabaga “que je n’avais encore cultivé qu’en terre de jardin... et qui réussit très bien en plein champ dans les Landes. “Faute de tubercules, il doit se contenter de cultiver le topinambour dans le jardin6. Ces jardins étaient grands, et pas seulement ceux du manoir de Cère. Comme le fait remarquer M. Dives, dans l’Archevêché d’Auch au XVIIIe siècle, fruits et légumes cultivés dans les jardins échappaient à la dîme des menues dîmes, à condition que le jardin soit clos, ce qui incitait les décimables à clore de grandes pièces de terre en forme de jardins7. Depère, dans son Voyage agronomique dans le Sud-ouest, signale partout des essais de culture de pommes de terre, de trèfle, de luzerne, de sainfoin, surtout dans les relais de poste aux chevaux8.
7La guerre contre l’Angleterre prive le continent de denrées exotiques. Depuis plus de cinquante ans, la mode des indiennes avait détrôné, même au cœur des campagnes, le linge de lin9. “Dès la fin de 1806, SM l’Empereur et Roi témoigne du désir de voir établir en France la culture du coton”. Le ministre de l’Intérieur se procure des graines en Espagne, en Italie, en Amérique du Nord10. Une circulaire, adressée aux préfets des départements méridionaux, promet qu’une prime de 1 franc par kg de coton nettoyé, prêt à filer sera versée aux novateurs. D’autre part, la Société d’Agriculture de la Seine offre deux prix aux deux meilleurs mémoires concernant la culture du coton. Trente préfets demandent des graines et font des essais, sous leurs yeux, dans les jardins de leur hôtel. En 1807, quatorze départements sont censés cultiver du coton herbacé11. Mais Paris-Lasplaignes avait précédé tous les novateurs. Le 10 frimaire An VIII, il avait présenté au cours d’une séance de la Société départementale d’agriculture “une plante de cotonnier herbacé” qu’il avait cultivée dans son jardin. Il offrait à quelques uns de ses collègues quelques fruits parvenus à parfaite maturité et souhaitait que cette culture cessât d’être envisagée comme “un art d’agrément et de curiosité”, mais “devint une spéculation vraiment utile à l’agriculture et au commerce, afin de nous soustraire à l’énorme tribut que nous payons à l’étranger pour nous procurer le coton”. Vainement, la Société promit des prix d’encouragement aux agriculteurs qui auraient “cultivé en grand le coton herbacé”12. La culture expérimentale se limita dans le Gers au jardin de l’ancien palais d’été de l’archevêque d’Auch à Mazères et, aussi à Mirande13.
8Vincent Saint-Laurent, propriétaire dans le Gard, confie que “depuis longtemps, aucun jardin d’amateur ou de naturaliste où le conton ne fût cultivé comme objet d’agrément et de curiosité. J’ai vu, dans ma propre maison, une personne de ma famille tricoter des bas avec du coton qu’elle avait recueilli”14. Mais le climat gascon n’est pas celui du Gard ! Il semblerait que, dans le département des Landes, les essais furent plus nombreux. On relève les noms de jardins d’essais à Mont-de-Marsan, à la Bergerie Nationale de Cère, à Saint-Martin, à Ousse, à Poyanne15.
9Ces cultures productrices de primes et de notoriété ne pouvaient qu’avorter. L’introduction du coton en Gascogne au début du XIXe siècle reposait sur la méconnaissance des conditions climatiques de la plante et aussi sur celle des conditions humaines de sa culture. Tessier, tout en diffusant notices, conseils et informations ne s’illusionnait pas : “Si l’on suivait l’histoire de l’acclimatation de beaucoup de végétaux, on verrait qu’on n’y est parvenu que peu à peu, et que pour un grand nombre, il a fallu beaucoup de temps avant de pouvoir les naturaliser. II n’en sera pas de même du coton, nous osons l’espérer”16.
10La naturalisation de l’arachide dans les Landes connut quelques succès. Tissier signale que Nissolle, de la Société Royale de Montpellier, donnait en 1723, une description botanique de la plante Arachis hypogea qui, à simple titre de curiosité, faisait partie du Jardin Royal de Montpellier. Nissolle paraissait ignorer les usages de l’arachide17. Il semblerait que ce soit Dom Ulva, chanoine de Valence, qui ait introduit la légumineuse américaine en Espagne18. Lucien Bonaparte, alors ambassadeur en Espagne, avait envoyé de Valence des graines au préfet des Landes Méchin19. Le sol landais, sablonneux convenait à une plante dont le fruit mûrit sous terre, mais le climat ? Des journaux landais distribués dans le Gers firent état d’expérimentations heureuses. “Les deux pieds d’arachide que je possède dans mon jardin, écrit le préfet Méchin, ont fourni, l’une 84, l’autre 140 graines”20. Alexandre, Durremajou et François Borda sont des novateurs enthousiastes. Ils affirment avec audace que là où pousse le maïs peut croître l’arachide. Ils font état de rendements importants. Ils s’entendent à faire la publicité. L’huile, qui représente le tiers à la moitié du poids des graines “doit être placée immédiatement après l’huile d’olive de première qualité”. Elle permet, en plus des préparations culinaires, par torréfaction, de donner “une crème d’arachide”, qui peut être un succédané du café et entre dans la fabrication du sirop d’orgeat. L’huile d’arachide peut servir à l’élaboration de produits de beauté : savons, pâtes d’amande, pommades... Les tourteaux dits “marcs d’arachide” sont très propre à l’engrais des volailles”.
11Dans le département de la Gironde, à Blanquefort, Cambon avait fait lui aussi des essais de culture d’arachide. Il donne tous les détails des façons culturales à appliquer. Les graines — dépouillées de leur enveloppe —, ont été semées du 2 au 15 mai, à 32 cm de distance, dans des rayons de 8 cm de profondeur, espacés entre eux de 48 cm. Dans les intervalles, des choux ont couvert les jeunes plants de leur ombrage. Le rendement a été de 60 à 80 grains pour un21.
12Le préfet Méchin affirme que dans les Landes, l’arachide peut “s’acclimater facilement et produire des fruits aussi abondants que dans les contrées d’où on l’a extraite”. Comparant les revenus du maïs et de l’arachide, le préfet estime que l’arachide rapporte six fois plus que le maïs à l’agriculteur22.
13Malgré la publication de tels succès, les instructions largement diffusées sur les procédés de culture, les prospectus de propagande n’auront guère d’écho dans le département du Gers. A Auch, le préfet eut beau confier au bureau de la Société d’Agriculture deux myriagrammes d’arachides, il a beau arrêter que la graine en sera gratuitement fournie aux expérimentateurs, la culture de l’arachide n’eut pas plus de succès que celle du coton, elle resta confinée aux jardins d’essais23. Le lin de Riga n’eut pas un meilleur sort, bien que les conditions géographiques n’aient pas présenté d’obstacles insurmontables24. Le jardin restera un secteur agricole expérimental jusqu’à la création, par le sénateur Gomot, des champs d’expériences et des champs de démonstration.
14Les recherches dans un jardin avaient des effets pervers. Nous avons dit, qu’en 1808, Poyferré de Cère, régisseur de la Bergerie Nationale des Landes, avait planté le topinambour dans son jardin. Il compare le rendement de ce tubercule à celui des pommes de terre plantées en plein champ et s’extasie sur le rapport du 32/1 du premier au 12/1 des secondes. Les conditions de développement d’une plante dans un jardin clos, protégé des vents par les haies, arrosé, fertilisé ne sont pas celles des plantes domestiques cultivées en plein champ. Dans un jardin de préfecture ou dans un jardin d’amateur il n’est pas impossible, sous nos climats, de voir fleurir des cotonniers et, même pourquoi pas, mûrir des capsules d’où s’échappe le coton. Mais la culture en grand sera décevante tant que la génétique ne permettra pas les adaptations indispensables25. Aujourd’hui, le maïs se cultive en Beauce et en Picardie, et les grands tournesols parent tous les paysages de France. Le soja, le kiwi font leur apparition.
15Autour des jardins de son manoir, Poyferré de Cère a créé des allées de platanes26. Il semblerait que Platanus orientalis soit une “invention” de l’agronome. En 1805, il fait hommage à la Société d’encouragement pour l’Industrie Nationale d’un joli meuble en bois de platane qu’il a fait exécuter à Mont-de-Marsan. “Il ne paraît pas, écrit Chaptal, que la culture de cet arbre fût pratiquée dans le département des Landes avant que vous en eussiez donné l’exemple”27.
16Au début du XIXe siècle, une des coquetteries des grands propriétaires éclairés était de collectionner dans leur parc le plus grand nombre d’essences exotiques. Cels possédait à Montrouge un des plus beaux jardins botaniques connus. Il y avait réuni, nous dit Silvestre, les richesses végétales des deux hémisphères. Le vieux château de Saint-Pau, acheté par Claude Métivier, premier jurat gentilhomme de Bordeaux, fut doté par son nouveau propriétaire, imitant Cels, d’un parc superbe d’essences rares28. Jan David, ancien élève de Jussieu, avait enrichi d’essences exotiques le parc qu’avaient créé son grand-père et son père à La Houre29.
17En l’an X, le parc Monceau accueille le vernis du Japon (Ailantus glandulosa). Ce bois précieux pour la tonnellerie, est utilisé par Ducheyron, de Libourne, pour cercler ses cuves. Le tonnelier qui ne le connaissait pas le prit pour du bois de micocoulier30. Aujourd’hui M. Gilbert Cours Darne a réuni quatre cents espèces d’essences exotiques dans son arboretum de la Romieu (Gers).
18Le parc Monceau, nous dit Bayot à cette date, est ceint de robiniers issus de Virginie. Ceux-ci ne pénétrèrent en Gascogne que sous le Second Empire. L’abbé Dupuy, secrétaire de la Société d’Agriculture du Gers, conseillera aux ingénieurs de la Compagnie des Chemins de fer du Midi de fixer les balasts par des robiniers.
19Partout, des parcs, s’évadent dans les campagnes plantes et essences exotiques. Il doit être encore possible de trouver sur les bords du Gers, à Lectoure, ces febviers d’Amérique dont les longues épines ont servi aux Lectourois à retirer de leur coquille les escargots comestibles dont ils ont encore la réputation d’être particulièrement friands.
Notes de bas de page
1 Pierre Goubert, Saint-Domingue au XVIIIe siècle, dans Annales Economie Sociétés Civilisations, 7e année, no 3, juillet-septembre 1952.
2 Poyferré de Cère, Mémoire, dans Annales de l’Agriculture française (A.A.F.), t. 29, 1807.
3 Cf. ut supra.
4 Poyferré de Cére, régisseur de la Bergerie nationale des Landes. Exposé de quelques travaux agronomiques dans le département des Landes en 1807, dans A.A.F, t. 33, 1808.
5 Victor Yvart, Aperçu des efforts faits pour l’amélioration de l’agriculture dans le département de la Seine, dans A.A.F, t. 25, 1806.
6 “Je n’ai fait jusqu’ici que des essais partiels de topinambour”, (A.A.F., t. 32, 1807).
7 Cf. supra, note 4.
8 J. Rives, Dîme et Société dans l’archevêché d’Auch au XVIIIe siècle, thèse de 3e cycle, Toulouse, 1972.
9 Sénateur comte Depere., Voyage agronomique fait dans l’été 1809 au Sud-Ouest, dans A.A.F., t. 41, 1810.
10 Le traité que signe Vergennes avec l’Angleterre en 1786 finit “de conduire la nation au goût exclusif du coton”. La prohibition de tout commerce avec l’Angleterre, qui commence sous la Convention et se parachève par le décret de Berlin du 21 novembre 1806, ne permet pas au lin de se substituer au coton. Le besoin de cotonnade est irréversible.
11 Instruction sur la culture du coton en France, 2e édition, et résultats des premières tentatives faites en 1807 publiés par ordre de son excellence le Ministre de l’Intérieur, rédigé par Tessier, dans A.A.F., t. 33, 1808.
12 Mémoire sur la culture du coton herbacé dans le département du Gers, dans Bulletin des séances de la Société d’Agriculture du Gers (B.S.A.G.), no 17, 10 brumaire An X, ParisLasplaignes. L’auteur rappelle la séance du 10 frimaire An VIII.
13 Cf. supra, note 11.
14 Vincent Saint-Laurent, Résultats des essais de culture du coton dans le département du Gard, dans A.A.F., no 39, 1809.
15 Cf. supra, note 11.
16 Cf. supra, note 11.
17 Tessier, Notice sur l’introduction de l’arachide, dans A.A.F., t. 10, An X.
18 B.S.A.G., no 25, 10 germinal An X.
19 Cf. supra, note 17.
20 Cf. supra, note 17.
21 Plantation Cambon à Blanquefort (Gironde), dans A.A.F., no 39, 1809.
22 Cf. supra, note 17.
23 B.S.A.G., no 24, 10 germinal An X.
24 Cf. ut supra.
25 Instruction abrégée sur la culture du coton d'après les expériences réitérées faites par Michel-Antoine Vassale, agent du gouvernement... pour servir aux agriculteurs des départements méridionaux de l’Empire français, dans A.A.F., t. 40, 1809 : Certains amateurs violentent la nature : “Ceux qui, par ignorance, écrit le Maltais Vassale, coupent les gousses non ouvertes et les forcent à s’ouvrir en les desséchant au four, en recueillant une petite quantité faible et mauvaise”.
26 A.A.F., t. 42, 1810.
27 A.A.F., t. 33. 1808.
28 P. Férai., L’Ecole pratique de Saint-Paul (près de Sos), Auch, F. Cocharaux, 1959.
29 P. Ferai, La Ferme de La Hourre, Auch, F. Cocharaux, 1960.
30 Bagot, Notice descriptive de la pépinière d’arbres forestiers du parc Monceau, dans A.A.F., t. 25, 1806.
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