Jardins et vergers dans la littérature médiévale
p. 41-69
Texte intégral
1Le sujet retenu est immense. C’est un vrai sujet de thèse. Il faudrait regarder l’ensemble des textes, rassembler des notations éparses, confronter les détails donnés par les œuvres littéraires avec les illustrations des manuscrits1, examiner des ouvrages techniques comme les herbiers ou le Tacuinum sanitatis2, jeter un coup d’œil sur les traités d’arboriculture3, ne pas négliger non plus les informations apportées par la littérature latine du temps. Même en laissant de côté certaines évocations littéraires comme celle de l'Architrenius de Jean de Hanville (éd. Th. Wright, in The Anglo-Latin Satirical Pœts..., Londres, 1872, p. 292-295 plusieurs œuvres du XIIIe siècle nous renseignent sur les jardins : un chapitre du De naturis rerum d’Alexandre Neckham, un développement de Jean de Garlande dans son Dictionarius (il énumère les plantes de son hortus, de son hortolanus “son potager”, de son virgultus “son fruitier”, enfin de son lucus “son bois”), un chapitre d’Albert le Grand sur les jardins d’agrément dans son De Vegetabilibus4 nous donnent divers détails à examiner avec acribie. Il faudrait aussi étudier le traité latin de Pierre de Crescens (Pietro dei Crescenzi, mort en 1321). Son Liber ruralium commodorum en 12 livres consacre des pages aux prés, aux bois et aux jardins. Une traduction française encore inédite, le Rustican, a été faite pour Charles V. Divers manuscrits nous en ont été conservés et plusieurs possèdent des illustrations intéressantes qui représentent des jardins5. Il faudrait encore passer en revue les encyclopédies médiévales qui nous donnent généralement un répertoire alphabétique des arbres, des herbes, des fruits et des semences. Ainsi fait, par exemple, le livre XVII du De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais6.
2D’autre part, il existe toute une littérature sur les jardins du Moyen Age. Sans même chercher à les insérer dans la continuité de l’histoire, sans partir des jardins romains7, sans remonter jusqu’aux agronomes latins, il faut rappeler d’entrée de jeu que des travaux nombreux ont fait progresser notre connaissance des jardins médiévaux. Même en laissant de côté les évocations peut-être un peu rapides de Thomas Wright ou d’Alwin Schultz8, on doit mentionner les études amples d’Alexander Kaufmann, Der Gartenbau im Mittelalter (Berlin, 1892), qui reste toujours utile, l’œuvre très richement illustrée de Frank Crisp, Mediaeval Gardens (Londres 1924, reprinted à New York en 1966) avec 225 figures dans le t. I et 314 dans le t. II. On doit aussi citer le remarquable catalogue dû à deux américaines, Marilyn Stokstad et Jerry Stannard, Gardens of the Middle Ages (Spencer Museum of Art, The University of Kansas, Lawrence, 1983) et le livre utile de John Harvey, Mediaeval Gardens (Londres, 1981), ainsi que celui de Margaret Brownlow, Herbs and the Fragrant Garden (2e éd., Londres, 1963).
3Pour traiter le sujet, j’ai utilisé des notes personnelles concernant la littérature épique et surtout les romans courtois des XIIe et XIIIe siècles. J’ai fait une exploration, d’ailleurs vaine, des traités de Hosebonderie anglonormands9. Malheureusement ces ouvrages d’agriculture ne disent rien sur l’arboriculture. Quelques sondages ont été opérés dans la littérature allégorique : ainsi le Jardin amoureux de l’âme dans les Œuvres complètes de Jean Gerson10. Le Roman de Renart a été dépouillé systématiquement11 ainsi que les fabliaux. Mais ces derniers textes ne peuvent apporter beaucoup d’informations. Les scènes piquantes qu’ils narrent se passent toujours à l’intérieur des maisons. Dans quelques dits on trouverait à puiser certains détails. La lecture complète des œuvres d’Eustache Deschamps donne çà et là d’utiles indications sur les légumes utilisés au XIVe siècle, car les textes courtois ne se soucient nullement des potagers. Le Ménagier de Paris, enfin, consacre plusieurs pages aux plantations dans le jardin ainsi que le Rustican12. Pour ce dernier texte j’ai consulté le livre VIII du ms. fr. 12330 de la B.N. (f. 207-214), qui est consacré aux vergers, c’est-à-dire aux jardins d’agrément.
I. — Les dénominations : problèmes de vocabulaire
4Une large enquête devrait, d’abord, être conduite. Nous disposons aujourd’hui de l’intéressante dissertation d’Arno Zipfel, Die Bezeichnungen des Gartens im Galloromanischen (Leipzig, 1943), qui a examiné une quarantaine de textes français du Moyen Age et des brèves indications des dictionnaires (le Tobler-Lommatzsch et le FEW de von Wartburg). Il faudrait assurément poursuivre les investigations. En utilisant mes dépouillements du Roman de Renart et de quelques autres textes ainsi que les renseignements glanés ici et là, je présenterai quelques observations.
5Certains termes semblent peu employés, qu’il s’agisse de mots d’origine latine comme ort ou son dérivé ortel (issu de horticulum), comme closier, closiere ou d’origine germanique comme jart, gart, issu du francique gardo13. Y aurait-il une répartition régionale pour ces termes au Moyen Age ? Présentement on ne peut le dire. Pour ce qui est du sens, on a l’impression que ces termes désignent à la fois le jardin utilitaire, ce que nous appelons aujourd’hui le potager, et le jardin d’agrément. On laissera de côté le mot maise et surtout oche, ouche, dont le dictionnaire de Godefroy cite beaucoup d’attestations empruntées à des chartes (V, 647-648) ainsi que Zipfel (op. cit., p. 62-80), mais qui n’apparaît quasiment pas dans la littérature14. De même, on ne doit pas s’attarder sur le mot parc, qui apparaît une fois dans le Roman de Renart (v. 24128) pour désigner le lieu protégé par une palissade (un plaisseïz, v. 24127) où se trouvent le coq, les poules et les chapons d’une abbaye de moines blancs. Cette basse-cour ici ne semble pas plantée d’arbres et de légumes. La nuance de “jardin” pour parc est exceptionnelle. Le terme s’applique normalement à un endroit clos où l’on enferme les moutons, où l’on va chasser du gibier15.
6En revanche, deux mots importants désignent le jardin dans les textes littéraires : courtil et pourpris. Comme l’a bien vu Zipfel (p. 39), le courtil, c’est le jardin domestique attenant souvent à une maison de paysan, c’est un jardin clos. Le mot vient de cohortile16 “la cour” (c’est encore le sens de l’italien cortile), puis le “jardin” car la cour de la maison paysanne a vite été plantée de légumes et d’arbres fruitiers. En ancien français le cortil désigne constamment le jardin potager. Le Tobler-Lommatzsch a eu raison de traduire le mot par Gemüsegarten (I, 918). Beaucoup d’exemples le confirment. A l’occasion il peut arriver qu’on sème du chanvre dans son cortil, comme le montre un exemple relevé par Tobler-Lommatzsch. Le dérivé courtillage a le sens de “jardin potager” et aussi de “légumes du jardin”.
7Le mot porpris, pourpris doit souvent être traduit par “jardin”. Le dictionnaire de Tobler-Lommatzsch a eu tort de donner seulement le sens de “enclos, enceinte” (VII, 1152). Le verbe pourprendre signifie certes, entre autres, entourer, environner. Mais c’est un jardin qui se trouve enclos. Le Godefroy l’avait bien vu dans son Supplément (X, 393). Pour s’en tenir à quelques exemples, dans le Roman de la Rose le mot pourpris désigne le verger d’amour où se passe l’action (éd. Lecoy, v. 3332). Sous le terme de porpris le roman de Claris et Laris évoque un jardin où poussent des arbrisseaux et des fruits (v. 18126). Il est précisé que le jardin est entouré d’une palissade (un paliz, v. 18116).
8Une tendance à distinguer le jardin utilitaire et le jardin d’agrément apparaît dans la littérature. En français moderne le verger ne désigne plus qu’un terrain planté d’arbres fruitiers. En ancien français l’emploi le plus répandu de vergier concerne un jardin d’agrément où poussent des essences agréables et où se passent des scènes d’amour. Depuis l’Erec de Chrétien de Troyes (éd. Roques, v. 5681) on pourrait en citer beaucoup d’exemples. Le détail des plantes du vergier nous est rarement donné. Nous verrons plus loin comment se présente le vergier du Roman de la Rose. Zipfel a eu raison d’indiquer que le “verger” médiéval est planté d’arbres fruitiers (Obstbäumen), mais aussi d’arbres d’ornements (Zierbäumen) et qu’on y trouve un gazon fleuri (Blumenwiese) et même des parterres d’herbes médicinales (Kräuterbeeten) (op. cit., p. 17).
9Pour le mot jardin il n’y a pas, semble-t-il, de spécialisation d’emploi en ancien français. Il faudrait voir s’il en va toujours ainsi. D’après les témoignages recueillis le jardin peut désigner un potager. Ainsi dans le Roman de Renaî t le jardin paysan est appelé tour à tour par le même auteur jardin (v. 8974), cortil (v. 9063) et porpris (v. 9359). Il y a aussi des exemples assurés où le mot jardin s’applique à un jardin d’agrément. C’est le cas dans la chanson de geste de La Mort Aymeri (v. 384), où un personnage entre dans un jardin et se couche sous un pin, arbre symbolique. Ce lieu n’est évidemment pas un potager. Le lieu enchanteur appelé vergier dans le Roman de la Rose est parfois désigné par le terme de jardin (éd. Lecoy, v. 498). Guillaume de Lorris n’a éprouvé aucune gêne à user d’un autre terme que vergier. Le roman de Richart le Beau utilise le mot jardin pour évoquer un endroit qui n’a rien à voir avec la culture des légumes. On y cultive des amours délicates. La scène se passe au mois de mai :
“Que damoisiel, que damoisiellez Se pourcachent d’amours nouviellez
Et font par ces gardins capiaus
De rosez et de flours nouviaus...” (v. 913-916)
10On pourrait citer d’autres exemples où le mot jardin s’applique à autre chose qu’un potager17.
11Il faudrait prêter attention à un autre mot que les lexicographes (Godefroy, Tobler-Lommatzsch, von Wartburg) n’ont pas bien compris et bien traduit, c’est le mot prael, issu du latin pratellum. Certes, le terme désigne de manière générale un pré, un petit pré. Mais parfois il faut traduire par “jardin”, souvent “pelouse”. Si l’on regarde les exemples cités par le ToblerLommatzsch (VII, 1688-89), on remarque que plusieurs fois prael est coordonné à vergier. Ainsi dans un passage de la Première Continuation du Perceval il est question d’un lieu fortifié où l’on trouve
“...et praiaus et vergiers
Plantez de divers arbres chiers.” (éd. W. Roach, t. I, v. 8293-8294)
12Ces termes ne seraient pas réunis s’ils n’étaient pas très proches de sens. Dans le Roman de la Rose le personnage du Jaloux fait reproche à sa femme d’aller chanter et danser dans les jardins d’agrément. Il s’écrie :
“Ainz alez chantant et balant
Par ces jardins, par ces preaus...”
(éd. Lecoy, v. 9082-83)
13Ici encore il est évident que les preaus sont des lieux d’agrément et ne ressemblent nullement à des prés où les animaux vont pâturer. Dans la littérature courtoise le prael désigne une pelouse, généralement au centre du vergier. Zipfel a relevé pour préau le sens de “jardin dans la cour d’un cloître” (Garten im Klosterhof) chez Vilart de Honnecourt (op. cit., p. 48) et aussi celui de “jardin dans un jardin” dans un passage des Cent Nouvelles nouvelles. Ce dernier exemple est le suivant : Vous scavez que au coing de ce jardin, dist elle, y a ung tres beau preau, bien encloz de belles hayes et espesses, et au milieu ung grant poirier, qui rendent le lieu umbrageux et couvert (éd. Jacob, 46e nouvelle, p. 286). On doit prendre garde au fait que la scène d’amour qui va suivre et se passer dans le préau a lieu à l’intérieur d’un monastère. Zipfel ne l’avait pas signalé. Nous ne sommes plus toutefois exactement à l’intérieur du cloître. Le jardin est ici une sorte de parc. Mais on devine que du sens précis propre aux établissements monastiques “cour herbeuse d’un cloître”18, bien relevé par le seul FEW (IX, 335), ou du sens de “pelouse, gazon dans un jardin d’agrément”, malheureusement absent des dictionnaires d’ancien français, le mot prael, préau a pu évoluer assez vite vers l’acception de jardin d’agrément et même le cas échéant de jardin fruitier, voire potager. Ne trouve-t-on pas dans le FEW (IX, 335), le substantif préolier au XVIIe siècle au sens de “jardiniermaraîcher des environs de Paris” ?
14Dans ses Mediaeval Gardens (Londres, 1981, p. 4) John Harvey signale que le latin médiéval distingue normalement le jardin utilitaire pomarium, pomerium (où poussent les arbres fruitiers) et le jardin d’agrément, viridarium, viridiarium, parfois appelé aussi virgultum, virectum. Il indique aussi qu’on oppose parfois gardinum le jardin potager et herbarium le jardin spécialisé dans les herbes médicinales. Quant au mot hortus, ce serait le terme le plus général. Pour l’ancien français on ne peut pas être aussi précis, semble-t-il. On voit seulement quelques tendances : la prédominance de vergier, au sens étymologique l’espace vert, le lieu où s’épand la verdure, comme endroit d’agrément. On notera au passage l’attrait du Moyen Age pour le vert. En ce qui concerne le mot jardin, il paraît disponible pour tous les emplois. On serait tenté de dire la même chose pour pourpris, à la seule réserve que le mot suggère un lieu clos. Pour désigner le potager, le mot le plus attendu serait courtil. Mais pour confirmer ces premières impressions, il faudrait des recherches plus amples.
II — Le témoignage du “Roman de Renart” : les clôtures
15Avant d’entrer dans le jardin, il n’est pas inutile de regarder les clôtures. Le Roman de Renart peut nous y aider. A vrai dire, il ne peut guère nous servir qu’à cela car le texte est muet sur le contenu des potagers. Nous ne savons presque rien sur les fruits et légumes du jardin de Constant des Noues dans la branche la plus ancienne du roman, sinon qu’il possède un cerisier et des arbres fruitiers (v. 1227). En revanche, le regard du conteur s’arrête sur la clôture :
“Son jardin estoit mout bien clos
De piex de chiesnes aguz et gros ;
Hordez estoit d’aubes espines.” (v. 1230-1232)
16Voilà qui est clair : des pieux enfoncés dans le sol et entourés d’épineux. Pour désigner la clôture, le mot de plaiseïz (v. 1218) ou plaisiez (v. 1226, v. 1228) est fréquent. Du sens premier de “clôture” on passe tout naturellement au sens dérivé de “terrain enclos, lieu protégé par une palissade”19. Le mot de paliz (v. 1257) est également utilisé pour la palissade. Dans la branche en question du Roman de Renart (c’est la branche II de l’édition Martin), un pieu de la palissade manque. A cet endroit on a planté des choux (v. 1260). Nous saurons plus loin qu’il s’agit de choux rouges (v. 1535). Aucune distinction n’est faite entre le jardin et la basse-cour. Tout se confond. C’est dans son jardin (v. 1232) que le vilain a mis ses poules. A certains endroits le sol est sec. Il est question de poudriere (v. 1298), entendons “endroit poussiéreux”. Il y a là aussi un fumier (v. 1482). Ailleurs on parle d’un paillier (v. 9011), d’un tas de paille. Pour désigner cet enclos qui est à la fois le potager, le fruitier et la basse-cour, l’auteur use du mot plaissié et de jardin déjà cités ainsi que de porpris (v. 1296) et cortil (v. 1556).
17D’autres branches montrent que la clôture s’appelle une haie (v.2228), une soif (v.17712). Mais on ne se contente pas de laisser pousser des haies d’épineux. Le paysan médiéval renforce la protection en enfonçant dans le sol de solides pieux, si bien que les mots de haie et de soif devraient parfois être traduits par “palissade” : par exemple quand on voit un paysan qui clôt une soif (Eustache le Moine, v. 1333) ou quand le paysan Liétard redresse une viez soif (Roman de Renart, v. 17552). Les mots soif (v. 17552) et haie (v. 17553) paraissent interchangeables. Le Roman de Renart ne s’attarde jamais à décrire l’intérieur du jardin, même pas du vergier où poussent des plantes médicinales (des herbes, comme dit le texte au v. 20181). Il se borne à dire qu’il y a une source (une fontaine, v. 20199) dans le jardin. Ailleurs pour toute notation il est indiqué que dans le jardin se trouvent un ruisseau et des arbres fruitiers (v. 8976-8980). Manifestement les auteurs du Roman de Renart sont trop préoccupés par l’action pour prendre le temps de nous décrire un jardin.
18Pour compenser la brièveté des notations, on peut demander des compléments aux miniatures rassemblées par F. Crisp. Elles nous montrent qu’il y a eu au Moyen Age diverses sortes de palissades. D’abord, les branches entrelacées, ce que les Anglais appellent wattle fence. C’est le plaisseïs ou plaissié médiéval. Il y en a de nombreux exemples dans le travail de Crisp (pl. 1, pl. 9, etc.). Il peut arriver que l’entrelacement soit double, qu’il se déploie devant et derrière un pieu central (pl. 56). Assez souvent on voit aussi une palissade avec des pieux au sommet taillé en arête et formant une pointe triangulaire (pl. 18). Le simple treillis est rare pour clore un jardin (pl. 45). Il peut se faire également que des pieux séparés soient reliés par une double traverse (pl. 18). Exceptionnellement la palissade est faite de longues planches, des sortes de madriers disposés dans le sens de la longueur le long du sol (pl. 49). Mais de toute façon ces diverses clôtures ne sont jamais très hautes. Elles n’arrêtent pas le regard comme de solides murailles.

Planche I. – Palissade entrelacée
(Ms. du Roman de la Rose : Oxford, Bodleian Lib., Ms. e Musaeo 65, fol. 22).

Planche II. – Palissade entrelacée en double épaisseur
(Ms. du Roman de la Rose : Oxford, Bodleian Lib., Ms. Douce 195, fol. 31).

Planche III. – Palissade en planches
(Ms. du Livre de ta Chasse de Gaston Phébus : Paris, B.N., fr. 616, fol. 94 v°).
III. — Évocations de jardins potagers
19Jusqu’ici nous sommes restés en dehors du jardin. Essayons maintenant de pénétrer à l’intérieur.
20Divers textes nous donnent des indications sur le jardin de l’ermite. Cet homme de Dieu vénérable, dont les mœurs ascétiques et la vie solitaire frappent les esprits, cultive toujours un petit jardin. Dans son savant ouvrage Ermites et reclus, Etudes sur d’anciennes formes de vie religieuses (SaintMartin de Ligugé, 1928, p. 15) Dom Louis Gougaud évoque une miniature de l'Hortus Deliciarum, de la fin du XIIe siècle, représentant l’échelle des vertus. “On y voyait, dit-il, divers personnages, l’ermite, le reclus, le moine, le clerc, le laïc, etc. s’efforçant de gravir les échelons pour atteindre la couronne offerte au sommet par la dextre de Dieu. Mais il arrive que chaque personnage, à un moment donné de sa laborieuse ascension, fasciné par les biens de la terre, dessine un geste malheureux pour saisir ce qui fait l’objet de sa convoitise propre, et trébuche. Le plus élevé sur l’échelle de perfection, c’est l’ermite. Mais, comme il va atteindre la couronne de gloire, l’infortuné se retourne pour jeter les yeux sur son jardin, figuré dans la miniature par quelques plantes, et il chancelle et tombe.”
21Quelles sont les plantes qui peuvent ainsi conduire l’ermite à sa perte ? Elles sont très simples. D’un mot le Tournoiement d’enfer nous dit :
“Herbes avoit en un jardin
Porriaus, serfeul, porpié et chos.”
(Romania, t. 44, 1915-17, p. 544, v. 1419)
22On notera l’alternance des légumes et des herbes aromatiques. Le cerfeuil est pour nous aujourd’hui un condiment. Le pourpier, qui servit jadis de salade, passait aussi pour vermifuge et diurétique et n’est plus guère utilisé comme aliment. Le roman de Joufroi nous montre le héros, déguisé en ermite, qui bêche la terre. On le voit fossoiant (v. 1644). Il cultive herbes et racines (v. 1665). D’autres textes donnent des renseignements complémentaires sur la nourriture des ermites : glands, faînes c’est-à-dire glands de hêtre, nèfles, pommes et poires20. L’œuvre la plus détaillée est assurément la chanson de geste du Moniage Guillaume. La version la plus développée (la rédaction II), nous montre le héros se faisant un cortil (v. 866), plantant arbres et chives et colés (v. 867). L’énumération est hétéroclite : les cives ou ciboules surprennent à côté des arbres. Les petits choux sont à leur place dans le jardin. L’habitation de l’ermite l'habitacle comme on dit) est entourée de boine soif espinee (v. 2132), d’un fossé (v. 2133), d’un palis (v. 2760). Le détail des plantations ne nous est pas donné. L’auteur se borne à dire Arbres planta et herbes a fuison (v. 874). Par herbes entendons les légumes dont on mange la partie visible, comme il sera indiqué plus loin. On a une idée des plantes de l’ermitage lorsque le héros les détruit toutes. Le conteur énumère alors :
“Ainc n’i remest ne rose ne rosiers
Ne Hors de lis ne saille n’eglentiers,
Ainc n’i remest ne periers ne pumiers
Ne flor de glai, persins ne oliviers.” (v. 5010-13)
23La liste semble un peu incohérente, avec des fleurs traditionnelles comme la rose et le lis, puis la saille, c’est-à-dire la sauge (FEW, XI, 132). La sauge est courante dans les jardins. On se souvenait sans doute du vieil adage de l’Ecole de Salerne : “Comment un homme peut-il mourir quand la sauge pousse dans son jardin ?” (Cur morietur homo cui salvia crescit in horto ?). Elle aurait été mieux à sa place à côté du persil. Quant à l’églantier et au glaïeul, ils surprennent dans un jardin d’ermite. On se demande si l’auteur ou le copiste n’énumère pas au petit bonheur des plantes pour remplir ses vers. Guillaume arrache rageusement tout cela et plante ensuite des mauvaises herbes. Nous avons droit à une petite énumération :
“Si replanta ronces et boutoniers
Et canesson, orties, ce saciés ;
Dokes, cardons a replanté arrier
Et grans barleskes, qui poi font a proisier.” (v. 5027-30)
24Sans entamer d’investigation botanique sur ces mauvaises herbes, dont plusieurs sont connues21, observons qu’il y a peut-être dans cet amalgame un brin d’hyperbole. Il n’est pas dit que toutes ces herbes poussaient aux mêmes endroits. Nous devinons simplement que la première tâche du jardinier est d’extirper les mauvaises herbes, toujours vivaces. Eustache Deschamps les appelle la fauce herbe (t. IV, p. 284, v. 19). Il en parle plusieurs fois dans ses poésies. Ainsi dans la pièce qui commence en ces termes :
“Je voy l’ortie et le chardon,
Le jonc marin et la sicue,
La caupe treppe et le tendon
Et toute herbe qui point et tue
Ou qui a tout mal s’esvertue...” (t. I, p. 107, v. 1-4)
25Ces mentions de mauvaises herbes nous donnent l’impression du vécu. Le labeur incessant de l’homme n’est-il pas de désherber et de sarcler ? Le proverbe Mauvaise herbe croist voulentiers est bien connu en moyen français (J.W. Hassel Jr., Middle French Proverbs, Toronto, 1982, n° H 24).
26Il faut toujours se méfier du chiendent et des herbes nuisibles aux cultures. Ainsi le jardin de l’ermite nous semble à la fois vrai et faux. Vrai pour certaines notations, imaginaire pour quelques plantes peu à leur place.
27La même impression bizarre est ressentie lorsqu’on lit des descriptions de jardins faites par des savants. Ainsi celle d’Alexandre Neckham, mort en 1217, dont le chapitre CLXVI de son De Naturis rerum est consacré De herbis et arboribus et floribus horto crescentibus (éd. cit. p. 274). On trouve de tout dans l’énumération désordonnée qui nous est présentée, des plantes irréelles comme la mandragore, des plantes méditerranéennes comme les amandiers et les melons, des plantes exotiques, comme les dattes, le gingembre, le clou de girofle, et puis cannelle, réglisse, zédoaire, encens, myrrhe, aloés, tout à fait étrangères à nos climats. Sa liste ressemble à une énumération encyclopédique qui ne saurait être prise au pied de la lettre et ne saurait constituer un document sur les jardins réels du temps.
28Les plantes citées par le professeur parisien que fut Jean de Garlande paraissent moins invraisemblables. Mais là encore il faudrait passer au crible ses dires pour discerner le vrai du faux. Il les répartit en quatre jardins différents. Dans l'hortus se trouvent des plantes aromatiques, médicinales et quelques fleurs : sauge, persil, dictame, hysope, chélidoine, fenouil, pyrèthre, colombine c’est-à-dire sans doute ancolie22, rose, lis, violette. A gauche, note-t-il, poussent ortie, chardon et valériane, apparemment trois plantes réputées désagréables, à usage médical et qui devaient se trouver dans un coin spécial du jardin. Parmi les plantes médicinales figurent la mercuriale, la mauve, l’aigremoine ainsi qu’une herbe appelée solatrum en latin, nightshade en anglais. Le nom français m’est présentement inconnu.
29Dans son jardin potager, son hortolanus, Jean de Garlande mentionne d’abord des légumes : les choux, la bourrache, la bette ou blette, le poireau, l’ail, la moutarde, la cive appelée porreta23, la ciboule, les échalotes et puis diverses plantes médicinales dans un coin particulier (pimprenelle, piloselle, sanicle, buglosse et une plante appelée lancea). On peut s’arrêter là, sans examiner les arbres fruitiers ou les arbres forestiers. Le jardin potager nous semble révélateur : s’il est vrai que l’ordre témoigne en partie de l’importance respective des légumes, on notera que la première place est faite au chou et que le poireau se trouve à un bon rang.
30Au XIVe siècle le Ménagier de Paris consacre six pages entières aux plantations du jardin en fonction des différents moments de l’année. Il n’est pas possible ici de faire un sort à toutes les plantes mentionnées dans ce texte. Ce qui prédomine, si je ne m’abuse, c’est encore le chou avec ses diverses variétés : choz blans (p. 121,2 et 202, 36), choux cabuz (122, 2) c’est-à dire choux à grosse tête, à tête ronde (cabus vient de l’italien capuccio qui veut dire “capuchon”, peut-être “tête ronde”), pommes de chou (202, 36), choulx romains (203, 5), choux pasquerés (203, 12), c’est-à-dire qui poussent au temps de Pâques. On n’essaiera pas ici de distinguer ces différentes sortes. Laissons cette tâche à un botaniste. Observons que le texte fait sans cesse mention de porees (120, 36) en hiver ou en été (121,25). Comprenons “légumes verts”. On voit clairement que les blettes et les épinards font partie de la poree. Plusieurs sortes de laitues sont citées : laitues de France et romaines (120, 17-19). Mais comme au XVIe siècle Estienne qualifie la romaine de crespelee et pomee24, il se pourrait que la romaine médiévale soit différente de la nôtre aux feuilles allongées et fermes.
31Les herbes aromatiques du Ménagier sont assez nombreuses : marjolaine, oseille, sarriette, romarin, hysope, giroflée, persil, fenouil, basilic appelé bazeillecoq. On remarquera aussi la présence des fèves et des pois. On peut s’en étonner si l’on se souvient que ces légumes poussaient normalement en plein champ, et non dans les jardins. Ils faisaient partie des minuta blada25. Des plantes comme les navets, les raves, l’arroche, la bourrache ne semblent pas tenir la première place dans le jardin d’un bourgeois de Paris au XIVe siècle.
IV. — Les fruits et légumes aux XIIIe et XIVe siècles
32Ces informations sur les jardins médiévaux doivent être comparées avec les brefs renseignements que nous donnent çà et là de petits textes sur l’alimentation du temps. Ces indications éparses nous permettent d’imaginer les principales plantes cultivées dans les jardins potagers. Les notations portent surtout sur les légumes. Les textes sont beaucoup moins éloquents sur les fruits consommés.
33En quelques vers le Dit de l'Oustillement du vilain, écrit dans la première moitié du XIIIe siècle, nous donne un aperçu intéressant sur les légumes consommés par les petites gens et donc sur les jardins paysans du temps.
“Se li couvient les feves
Et les chois et les reves
Et aus et porions
Et civos et oignons.”26
34Les poésies d’Eustache Deschamps, dans le dernier tiers du XIVe siècle, mentionnent toujours les mêmes légumes, mais les légumes appelés poree apparaissent très souvent sous sa plume. Ainsi il est question de Feves et poys, cholz, porees et bettes (t. VI, p. 272, v. 15). Les deux premiers éléments étant mis à part puisqu’il s’agit de légumineuses souvent cultivées en plein champ, on remarque que les choux sont cités en tête de ce qui appartient au monde du jardin. Ils devaient occuper une place particulière dans l’alimentation médiévale. On doit noter aussi qu’ici les blettes ne font pas partie de la poree. Dans la ballade qui commence par le vers// vous fault pour vostre mesnage le poète énumère Poree, lart, oingnons, poreaulx (t. VI11, p. 137, v. 12). Ce vers est également intéressant puisqu’il distingue, au mépris de l’étymologie, les poireaux et la poree. Cela veut dire que les poireaux n’entraient pas obligatoirement dans la poree. Le Miroir de Mariage d’Eustache Deschamps donne un renseignement précis sur la culture des trois légumes (les choux, les blettes et la poree). On doit les enterrer avec un poinçon, nous dit le poète27. Ailleurs il indique ce qu’il faut manger en juillet et en août pour rester en bonne santé. II mentionne laitue... pourpié... poree au vert (t. V, p. 131, v. 20, 21, 24). Le pourpier est certainement ici mangé en salade puisqu’il est rapproché de la laitue et que l’auteur signale ensuite qu’il est assaisonné de vinaigre.
35Quelques dits du XIIIe siècle apportent des renseignements complémentaires. Le dit des Marchands énumère certains métiers spécialisés :
“Il i a marcheanz de fruit,
Naviaus et poriaus et letues.”28
36Ces trois légumes ne nous surprennent pas. Mais il faut sans doute comprendre qu’un marchand ne vendait que des navets, un autre seulement des poireaux et un troisième des laitues. Le commerce des légumes frais était ici particulièrement fragmenté !
37Le texte le plus riche est certainement le dit des Crieries de Paris de Guillaume de la Villeneuve, composé au XIIIe siècle, où plusieurs légumes forment groupe. Le passage essentiel est le suivant :
“Et puis après “pois chaus pilez”
Et “feves chaudes” par delez.
“Aus et oingnons, a longue alaine”.
Puis après “cresson de fontaine”,
Cerfueil, porpié, tout de venue”,
Puis après “porete menue”,
“Letues fresches demanois”,
“Vez ci bon cresson orlenois !”29
38Un peu plus loin quelques légumes sont encore mentionnés. Le cri “J’ai porees et s’ai naviaus” (p. 161) indique que les navets n’entrent pas ici dans la poree. On mentionne les pois en cosse toz noviaus (p. 161) et les échalottes d’Etampes. Selon les habitudes médiévales les pois et les fèves se trouvent rapprochés. De même l’ail et l’oignon, comme il est naturel. Cresson et pourpier, encadrés par l’herbe aromatique du cerfeuil qui se met précisément dans les salades, forment un autre petit ensemble, celui des légumes mangés en salade. En ce qui concerne la porete, déjà rencontrée sous la forme poreta dans le jardin de Jean de Garlande, il faut éviter de la confondre avec la poree. Il s’agit d’un petit oignon qui ne grossit pas30. Le qualificatif de menue est tout à fait à sa place pour la porete.
39Le même texte mentionne un certain nombre de fruits. Il n’est pas facile d’identifier aujourd’hui les diverses variétés évoquées. Le poète cite les pêches, les poires de Chaillou (p. 156). Il doit s’agir d’un nom de lieu31. Il ajoute les pommes de Rouveau et d’autres pommes nommées le blancdureau d’Auvergne. Ici encore on a sans doute affaire à des indications de provenance32. Sont également signalés d’autres fruits (cerises, nois), puis des poires de hastive33, des jorroises “fruit aigre” dit l’éditeur34. Un peu plus loin d’autres fruits sont mentionnés. Laissons de côté les fruits exotiques commes les châtaignes de Lombardie, les figues de Melite (“de Malte”), les raisins d’outre-mer et même l’anis (“hanni d’aoust flerant com bausme”), p. 161), pour relever les fruits de nos contrées : les poires de Saint-Riule35, les poires d’Angoisse36 et puis des fruits très vulgaires, les prunelles de haie (proneles de haie, p. 162) et les nefles meures (p. 162). Si l’on y ajoute les fruits de l’alisier et ceux du cornouillier, on remarquera que les baies et les fruits de goût acidulé n’étaient pas mal vus à cette époque.
V. — Le problème philologique de la “poree” et de la “joute”
40Jusqu’ici il a été question à plusieurs reprises de la poree. Il serait utile d’essayer de préciser les légumes qui entrent dans cette catégorie. Les dictionnaires hésitent à ce sujet. Godefroy traduit “porreau, légume en général” puis “potage aux porreaux, potage en général, plat de légumes hachés” (t. VI, p. 289). Tout cela n’est ni tout à fait juste ni tout à fait faux. On ne saurait traduire poree par “poireau”, car ce légume se dit en ancien français porel, plus rarement porret, et en Picardie porion ou poirion. La poree a rapport avec les poireaux, mais elle ne se confond pas complètement avec eux. On devine que la poree a dû désigner très souvent un plat où les poireaux jouaient un rôle essentiel. Peut-on aller plus loin ? Le ToblerLommatzsch (VII, 1499) est plus prudent que Godefroy, mais insuffisamment précis. Il traduit “plat de légumes (poireaux, etc.)”, Gericht aus Küchenkräutern (Lauch u.a.). Le FEW (IX, 194) reste énigmatique en disant que la poree est “un potage aux poireaux, aux légumes en général, plat de légumes”. En fait, les exemples cités dans les dictionnaires montrent exactement quels légumes entraient dans la poree ou plutôt qu’il y avait diverses sortes de porees. Les Lamentations de Jean Lefèvre au XIVe siècle parlent de poree/De raves ou de cicoree (1,717), comme le relève le ToblerLommatzsch (VII, 1499). C’est sans doute là un cas rare. Un texte d’archives du début du XVe siècle, cité par Godefroy (VI, 289), énumère les légumes suivants qui se trouvent dans le jardin a porrees : choux d’hiver, blettes, persil et petits oignons appelés porette. Un autre texte du XVe siècle mentionne les choux cabus (Ibid.). Un intéressant passage du Livre des Mestiers indique quels sont les marchands qui doivent payer quatre deniers chaque année pour la poree le roi : ceux qui vendent à Paris de l’ail, des oignons, des poireaux, des ciboules (des civos dit le texte), des navets et des échalottes (Tobler-Lommatzsch, VII, 1500). On peut se demander si tout cet ensemble n’entrait pas en même temps dans le plat appelé poree. C’est vraisemblable. Mais on pouvait aussi utiliser d’autres légumes. Le Régime du corps de Maître Aldebrandin de Sienne nous apprend qu’on considérait comme très utiles à la santé porees de bouraces (une variante dit joutes de bouraches), d’espinaces, d’erraces, depersin, de fenoul (éd. Landouzy et Pépin, 51, 21). A mon avis tous ces légumes n’étaient pas rassemblés : on faisait une poree soit de bourrache, soit d’épinards, soit d’arroche (l’arroche bonnedame est consommé à la façon des épinards). Le persil et le fenouil mentionnés ici figurent-ils comme des aromates ou comme partie essentielle d’une poree particulière ? On peut se poser la question. Au vu de ce que dit Eustache Deschamps, on serait tenté de croire à la seconde interprétation. Le poète nous signale en ces termes les légumes bénéfiques pour la santé :
“Use souvent pour ta nature
De persil, bettes et bourraches,
Violiers ; et vueil que tu saiches
Que le cresson pour les porees Est le meilleur ; use porees
Qui soient faictes au persil.” (VIII, p. 344, v. 144-150)
On sait par d’autres témoignages que le cresson servait à la poree37.
41On voit donc qu’une assez grande variété de légumes pouvait être accomodée en poree. Il ne fait aucun doute que la poree désignait un plat de légumes. A voir les recettes de porees données dans le Ménagier de Paris on a l’impression que ces légumes étaient cuits. Il est question dans ce texte de poree blanche faite avec le blanc des poireaux, de la viande de porc et accompagnée d’oignons (200, 50), de poree blanche de blettes (201), de poree blanche de cresson au lait d’amandes, de poree d’épinards, qui n’est pas aussi courante que la poree commune (201), de poree verte (202). On ne nous donne pas la recette de cette dernière, mais on peut supposer, par exemple, qu’elle était faite avec le vert des poireaux ou avec un autre légume vert. On voit qu’il y a habituellement du lard dans la poree. Le terme de poree commune (201,23) opposé à la poree faite avec des épinards suggère que peut-être la poree la plus habituelle était faite avec des poireaux et que toutes les autres porees précédemment mentionnées ne représentent que des innovations plus rares.
42On aimerait aussi savoir si les légumes de la poree étaient entiers ou bien hachés ou encore réduits en purée ? Le Ménagier ne donne pas d’éclaircissement à ce sujet. On devine toutefois que les légumes devaient être hachés, puis broyés au mortier d’après un passage du Ménagier où il est indiqué que la poree verte doit être bien espoisse, sans cler (202, 15) et d’après une recette de Taillevent qui parle des opérations de hacher et de passer au pilon les légumes38. Même si le mot purée ne procède pas de poree puisque le terme vient du verbe purer “purifier, cribler, passer”, au plan pratique la poree d’après ces témoignages se présentait comme une purée, un mets fait de légumes cuits et écrasés. En était-il toujours ainsi. Je n’ai pas les moyens de répondre. Les légumes cuits simplement dans le pot et appelés potage n’étaient peut-être pas soumis au même traitement. Le potage, malgré les dictionnaires qui ne connaissent que le sens de “soupe de légumes” (Tobler Lommatzsch, VII, 1651), désigne aussi les aliments et notamment les légumes cuits dans le pot.
43A côté du sens de “plat de légumes” le mot poree possède aussi celui de “légumes verts”. Le Ménagier le montre clairement. Le texte nous dit que les durs mois d’hiver font mourir les porees, c’est à savoir ce qui est hors terre (118, 32). Ailleurs l’auteur du Ménagier note qu’il faut couper les blettes près de la racine, car elles continuent de pousser et croissent et demeurent porees (120, 36). D’une manière générale il note que la poree qui est en terre regecte nouvelle poree cinq ou six fois comme percil (122, 5). En note les éditrices expliquent que l’on appelle poree toutes les pousses vertes des légumes qui peuvent être mangés comme verdure de printemps ou comme légumes verts de toutes sortes (p. 300). Compte tenu des indications données par les textes, compte tenu du fait qu’on ne voit jamais, semble-t-il, de légumes de poree mangés en salade, il faut, je crois, rectifier légèrement l’interprétation donnée par les éditrices. Les légumes de la poree sont bien des légumes verts (les légumes secs en sont exclus), mais ils paraissent devoir être cuits, généralement avec un morceau de viande ou de lard. Ils apparaissent finalement réduits en purée.
44Un autre terme doit nous retenir encore un instant, c’est le mot joute. Il existe encore en français moderne pour désigner surtout la blette39. Des sens actuels le dictionnaire étymologique de Gamillscheg a fait un relevé utile ainsi que de l’origine. Pour lui le mot viendrait d’un étymon gaulois jut signifiant “la purée”40. En ancien français il n’est pas très facile de cerner les nuances exactes du terme.
45A regarder le Tobler-Lommatzsch (IV, 1812-13) et l'Anglo-Norman Dictionary (III, 374), on voit que les lexicographes le comprennent comme “soupe de légumes verts” ou “légumes courants de la cuisine”, ce qui reste vague. Eu égard aux emplois régionaux du mot à l’époque moderne, on peut se demander si l’acceptation de “blette” n’existait pas déjà au Moyen Age. Les dictionnaires n’en soufflent mot. Dans le Moniage Guillaume I (v. 204), où le héros déclare préférer la joute aux fèves, on pourrait le supposer. C’est ainsi qu’ont compris l’éditeur du texte et le rédacteur du TLF (X, 739). Le terme a eu aussi un autre sens, celui de légumes mis dans le pot et cuits à l’étuvée. Le Régime du corps parle de joutes de laitues et de bouraches (77, 24) ou encore de joutes de bouraches, d’esraces et de bietes (50, 32). L’éditeur du texte traduit ce passage par “purée de légumes verts”. A-t-il le droit d’être aussi précis ? J’hésiterais à le faire. Rien ne nous dit que la joute soit une purée. Un exemple relevé par l'Anglo-Norman Dictionary (III, 374), l’expression manger porree pur la joute, traduite “faire un mauvais choix”, suggère qu’il y aurait opposition et non confusion entre les deux termes. On serait tenté de penser que dans la joute les légumes restent entiers, alors qu’ils sont écrasés dans la poree. C’est pourquoi un gourmet pourrait préférer la joute à la poree. On n’avance cette explication qu’avec prudence. De même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, un exemple ne suffit pas pour élucider le sens d’un mot. On se contentera ici de poser le problème et d’attirer l’attention sur ce point.
VI. — Le jardin d’agrément
46Sur le jardin d’agrément il y aurait un gros livre à écrire. Toute la littérature courtoise est emplie de vergiers enchanteurs qui invitent à l’amour et révèlent la sensibilité médiévale. A l’aide de quelques exemples on se contentera ici de montrer à la fois la variété des évocations et les constantes de l’imagination et des goûts.
47Très souvent les peintures de vergiers nous paraissent très brèves. La sobriété des conteurs nous déçoit un peu. On aimerait davantage de touches. Mais les auteurs ne s’attardent guère sur ce qui est pour eux seulement un décor. Les grandes lignes du jardin sont toutefois visibles. Le lai de l'Oiselet note la profusion de la végétation :
“Il i avoit fueilles et flors
Qui getoient mout granz odors
Et espices...”41

Planche IV. – Jardin du Roman de la Rose avec les fleurs près du mur et des plates-bandes de gazon (Oxford, Bodleian Lib., Ms., Douce 195, fol. 6).

Planche V. – Jardin du Roman de la Rose où le gazon occupe la plupart du terrain (Oxford, Bodleian Lib., Ms. Douce 195, fol. 13).

Planche VI. – Jardin du Roman de la Rose pourvu de quelques pieds de fleurs (Oxford, Bodleian Lib., Ms., Douce 195, fol. 26).

Planche VII. – “Fontaine” du Roman de la Rose (Oxford, Bodleian Lib., Ms. e Musaeo 65, fol. 13 v°).

Planche VIII. – “Fontaine” du Roman de lu Rose (Oxford, Bodleian Lib., Ms., Douce 195, fol. 11 v°).
48Le vergier occupe ici une surface ronde, image de la perfection. Au milieu un point d’eau, une source appelée traditionnellement fontaine (v. 43), mais qui n’implique nullement un décor architectural au-dessus de l’eau. Ce point d’eau constitue toujours le cœur du vergier. 11 est indispensable à la vie des plantes du jardin. Surtout, c’est le lieu près duquel on aime se retrouver. Selon les goûts du temps la source est ombragée par un arbre, un pin majestueux. Ces simples traits montrent que l’auteur ne décrit pas un jardin réel. Comme l’a bien vu Alice Planche, le pin n’est pas un arbre de la France d’oïl42. Le conteur rêve d’un lieu agréable, il imagine un locus amœnus conforme à une tradition méditerranéenne et antique43. La recherche de l’ombre se comprend sous des climats où la chaleur du soleil est vive. La place centrale faite à l’eau courante remonte peut-être au même fonds ancien.
49Parfois les jardins d’agrément prennent un aspect merveilleux. Il en va ainsi dans le roman de Floire et Blanchefleur, clos de murs peints a or et a azur (éd. Leclanche, v. 1984), orné de plantes perpétuellement en fleurs (2021), empli d’épices (l’auteur les détaille Poivre, canele, garingal, / Encens, girofle et citoual v. 2029-2030), offrant un constant concert d’oiseaux, rafraîchi par un ruisseau qui le traverse et enfin pourvu d’un arbre magique (2048). Ce petit paradis, aux essences rares et aux arbres exotiques, est tout naturellement situé en Orient. Il faut toujours placer dans un autre monde les lieux enchanteurs qui font rêver.
50Le Verger d’amour du Roman de la Rose est beaucoup plus longuement décrit (v. 461-1678) et nous donne l’image du jardin d’agrément tel que des générations d’hommes l’ont imaginée et souhaitée. Cette peinture ne nous transporte pas dans un univers très différent des évocations du XIIe siècle. Elle les précise, les complète, les amplifie, mais ne les déforme pas et ne les renouvelle pas véritablement. On retrouve chez Guillaume de Lorris les solides murailles qui protègent le jardin, le tapis de verdure, les arbres nombreux au feuillage abondant, les plantes odoriférantes, les chants d’oiseaux, la source d’eau vive. On notera la pelouse d’herbe verte (le poète parle d’erbe fresche v. 744, d’erbe tendre, v. 1372, d'erbe freschete et drue v. 1391) sur laquelle on danse, on s’étend et on couche son amie. Le tapis d’herbe est indispensable au jardin d’agrément médiéval. Ce gazon est parsemé de fleurs. Le romancier en signale quelques-unes : la fleur de genêt (v. 888), la violette (v. 1401). Dans un coin, en un destor d’une haie, “dans un endroit écarté d’une haie” (v. 1615), se trouvent des bosquets de roses. Ce rosier est protégé par le mur et par une haie. Il s’agit de roses vermeilles, d’un rouge éclatant (v. 1658), couleur la plus prisée à cette époque pour les roses44. La rose passait alors pour la plus belle de toutes les fleurs. On en a beaucoup d’exemples. Le fait d’avoir choisi la rose comme emblème de la femme aimée en est la plus forte des preuves.
51La végétation du jardin du Roman de la Rose doit retenir l’attention quelques instants. Elle est curieuse et révélatrice. Elle représente un mélange, un assemblage révé, une composition idéale où se juxtaposent des arbres de nos régions et des plantes étrangères à nos climats. Ce jardin ne saurait donc passer pour une peinture réelle des jardins du temps. Guillaume de Lorris mentionne d’abord des arbres fruitiers (arbres domesches “domestiques” comme il dit au v. 1345), qui produisent des coings, des pêches, des châtaignes, des noix, des pommes, des poires, des nèfles, des prunes blanches et noires (v. 1343), des cerises, des cormes (le cormier ou sorbier n’est plus guère utilisé aujourd’hui), des alises (autre fruit acidulé et peu goûté maintenant), enfin des noisettes. Cet assortiment de fruits a un aspect réaliste et correspond assez bien aux habitudes alimentaires du temps, même si tous ces arbres ne pouvaient pas pousser ensemble dans le même jardin pour des raisons de sol et de climat.
52Une autre série d’arbres, cette fois d’arbres exotiques, vise à produire une impression de dépaysement. Il est question de grenades (v. 1329), de noix muscades (v. 1333), d’amandes (v. 1335), de figues et de dattes (v. 1337). Les plantes aromatiques ne sont pas oubliées : clou de girofle, réglisse, graine de paradis, zédoaire, anis, cannelle (v. 1340-43). Tout cela est appelé espice (v. 1340) par l’auteur. Divers arbres méditerranéens apparaissent aussi (lauriers, pins, oliviers et cyprès aux v. 1351-53). Mais tout un ensemble d’arbres de la France d’oïl orne également le jardin : ormes, charmes, hêtres, noisetiers, trembles, frênes, érables, sapins et chênes (v. 1355-58). Il y en a pour tous les goûts. Guillaume de Lorris mélange allègrement les arbres de plaine et les arbres de montagne, les arbres de bosquets et les arbres de futaie. On pourrait estimer que son énumération est désordonnée. En fait, le poète veut donner l’image d’une nature généreuse, abondante et profuse. Il ne s’agit pas d’imaginer ici une forêt impénétrable. Le poète précise que les arbres sont séparés les uns des autres de cinq toises (v. 1365-66). Leur présence, leur nombre crée simplement une perpétuelle voûte de feuillage au-dessus des têtes. C’est là un des thèmes importants du Moyen Age. La recherche de l’ombre revient comme un leitmotiv. Nul hasard si Guillaume de Lorris signale que le soleil ne peut pas atteindre l’herbe verte. Le vergier d’amour est fait pour que les personnages ne soient jamais incommodés par le soleil et se tiennent toujours au frais. On sait qu’au Moyen Age les personnes du beau monde ne s’exposaient pas au soleil. Seuls les travailleurs manuels avaient le teint hâlé. Hommes et femmes des milieux aristocratiques exhibaient, au contraire, un corps d’une parfaite blancheur. Le thème de l’ombre est sans doute à interpréter en ce sens. En outre il a des racines anciennes. Les jardins romains étudiés par Pierre Grimai ne sont jamais des lieux où l’on cherche à bronzer. L’ombre y est recherchée45. Quelques animaux s’ébattent dans le vergier d’amour : daims, chevreuils, écureuils, lapins (1373-80). Ces bêtes, qui n’ont rien de redoutable et de farouche, suggèrent une nature apaisée, un monde réconcilié où l’homme et l’animal vivent en paix. Une multitude d’oiseaux chanteurs est notée à plusieurs reprises par le poète (v. 478-96, 606-08, 641-80, 699-706, 896-903). Le concert des oiseaux est un thème important des évocations de jardin d’agrément. Les oreilles médiévales y trouvaient une agréable symphonie, une image de bonheur, une invitation à l’amour.
53L’atmosphère ici est celle d’un climat de fête. En témoignent le motif de la promenade, celui de la danse courtoise, de l’accompagnement musical, la beauté des costumes, l’élégance des partenaires. Tout est raffinement, luxe, volupté et beauté. Nous sommes dans un monde d’érotisme discret, dans un paradis épicurien, où les sens sont comblés (la vue, l’odorat, l’ouïe, etc.). On comprend que ce lieu enchanteur ait durablement impressionné les sensibilités. Il répondait parfaitement aux rêves d’élégance, de contact raffiné avec la nature et de bonheur que les hommes du Moyen Age portaient en eux.
54Parmi bien d’autres évocations de jardin, il serait intéressant de s’arrêter quelques instants sur deux descriptions faites par des écrivains italiens, celle de Boccace, un florentin, au milieu du XIVe siècle, et celle de Pierre de Crescens, un bourgeois de Bologne, à la fin du XIIIe siècle. On retrouve chez eux les grandes constantes de l’art des jardins médiévaux avec quelques innovations, qui tiennent peut-être au pays dont ils sont tous deux originaires.
55Le giardino dont parle Boccace au début de la Troisième Journée du Décaméron46 est contigu à une riche demeure patricienne. Le conteur l’appelle toujours un giardino. Conformément à ce que nous avons déjà vu, il y a au milieu une pelouse (un prato di minutissima erba e verde). C’est ce que parfois les auteurs français dénomment le prael. Le romancier de Richart le Beau au XIIIe siècle signale au centre du vergier un praelet (v. 201). Ce gazon est embelli de mille fleurs. D’autres éléments bien connus sont cités : les parfums du jardin, le ramage des oiseaux, la présence d’animaux inoffensifs (lièvres, lapins, écureuils, faons). Les occupations des humains ne sont pas non plus pour nous surprendre : dans le jardin on tresse des guirlandes, on danse, on chante, on fait un déjeuner sur l’herbe, on y conte enfin des histoires. Certaines notations, plus originales, méritent d’être relevées. Boccace mentionne de larges allées qui entourent et aussi qui traversent le jardin. Elles sont toutes droites (tutte diritte), nous dit-il. Les auteurs français n’en soufflaient mot. Est-ce un fait propre à l’Italie ? Les conteurs français péchaient-ils par omission ? Il faudrait de longues recherches pour pouvoir répondre à cette question. Les miniatures du XVe siècle, soit du Roman de la Rose, soit du Rustican, nous montrent clairement des allées47. Boccace ajoute que ces allées sont couvertes de tonnelles de vigne (coperti di pergolati di viti). Voilà un détail remarquable. Le conteur ajoute encore que les bords des allées disparaissent sous les buissons de roses blanches et vermeilles et sous du jasmin. Ainsi les promeneurs ne sont-ils jamais atteints par le soleil. On retrouve ici la hantise traditionnelle de l’ombre. En ce qui concerne les pergolas de vigne, on peut estimer que c’est une réalité italienne. Un autre détail est notable : au centre, une fontaine de marbre blanc avec une colonnade, des sculptures, une statue et enfin un jet d’eau. Tout cela est nouveau. La présence de l’architecture et de la sculpture en un lieu central rappelle certaines compositions de jardins romains48 et annonce aussi l’art des jardins de la Renaissance italienne. Un esprit nouveau commence ici à se manifester dans ce jardin par ailleurs très médiéval.
56Dans les pages qu’il consacre au jardin de plaisance (le vergier), le Rustican donne aussi une impression de paysage italien et en même temps apporte un certain nombre d’informations complémentaires. La principale nouveauté pour nous, c’est peut-être d’assister à la création d’un verger, aux diverses opérations que l’on a l’habitude de conduire. Il faut d’abord extirper les mauvaises herbes avec de l’eau bouillante pour les empêcher de repousser, ensuite transporter des mottes de terre avec de l’herbe, aplatir le tout avec des maillets. Finalement l’herbe pousse sur un sol aplani et le recouvre, comme dit le texte, d’un drap vert (B.N., ms. fr. 12330, f. 207 v° b). On plante alors des herbes aromatiques (rue, basilic, hysope, marjolaine, sarriette, menthe), des fleurs (roses, violettes, soucis, lis). Tout cela nous est connu et ne représente pas une innovation. On pourrait dire la même chose des arbres plantés (figuiers, poiriers, pommiers, grenadiers, lauriers, cyprès, etc.), à la seule différence qu’ici ils poussent sur leur terroir naturel et n’ont plus rien de fictif. Autre détail classique : la pelouse centrale sans arbre. Le Rustican l’appelle la plainne (f. 208), c’est-à-dire l’espace libre. Un point d’eau, dénommé fontaine (f. 208 b), vient l’embellir selon les usages que nous connaissons bien. Pour certains éléments on serait tenté de penser qu’ils répondent à des habitudes italiennes. C’est le cas pour les vignes en arceaux ou encore pour l’endroit ménagé pour s’asseoir dans le gazon. Le Rustican ne nous donne pas beaucoup de précisions à ce sujet. On peut deviner que le sol a été creusé pour former une sorte de siège recouvert d’herbe. Quelques indications sont apportées sur l’étendue des jardins : trois ou quatre arpents pour ceux de la classe moyenne, vingt journaux pour les riches (f. 208 v° a et f. 209 a). Comme Guillaume de Lorris, Pierre de Crescens note que les arbres ne doivent pas être plantés trop près les uns des autres. Il faut 15 à 20 pieds de distance (f. 208 v° a). Dans le vergier des pavillons permettront aux humains de se retrouver au sein de la nature (f. 209 v° a). S’agit-il de pavillons légers entourés de treilles et surmontés de pergolas, tels qu’on en voit dans l’art antique des jardins49 ? Il est malaisé de répondre. Si l’on s’en tient là, sans prendre en compte ce que l’auteur nous dit sur l’exposition des jardins (qui doivent regarder vers l’est et vers galerne, c’est-à-dire vers l’ouest-nord-ouest en raison des vents qui soufflent dans les autres directions), si l’on se limite à l’essentiel, on est en droit de dire que Pierre de Crescens ne nous leurre pas, ne rêve pas et semble nous donner des informations réalistes sur l’art des jardins de plaisance dans l’Italie du Nord à la fin du XIIIe siècle. Ce qu’il nous dit ne jure pas avec ce que nous savons sur la végétation et le climat de la Lombardie. Il ne peut pas nous instruire sur les jardins français de manière directe. Mais l’essentiel de son développement ne nous dépayse pas. On pourrait citer bien des textes français50 ou bien des miniatures51 qui montrent que dans ses grandes lignes le jardin littéraire est le même en France et en Italie au Moyen Age.
57On pourrait même aller plus loin. Les détails qui nous semblent les plus originaux chez Pierre de Crescens ne sont nullement des innovations. Si l’on regarde, en effet, le De Vegetabilibus d’Albert le Grand, on les retrouve tels quels. Ainsi la lutte contre les mauvaises herbes avec l’eau bouillante, le gazon d’herbe préalablement foulé aux pieds pour faire disparaître les aspérités du sol, les vignes plantées en hauteur et s’enlaçant aux arbres pour former des pergolas qui donnent de l’ombre, au centre du jardin sur le gazon l’endroit où le terrain doit être relevé pour former un siège verdoyant, tout cela est déjà mentionné chez le savant encyclopédiste52. Pour les herbes aromatiques, les fleurs, les arbres Albert le Grand donne même des indications tout à fait semblables à celles de Pierre de Crescens53. On pourrait s’en étonner, car certains des arbres qu’il cite (grenadiers, lauriers, cyprès) ne conviennent pas au climat de l’Europe du Nord. Observons simplement la concordance des notations sans en tirer de conclusions prématurées. La permanence des habitudes et des rêves de jardins est frappante.
58Que conclure de ces diverses observations ? Sur les jardins potagers comme sur les jardins d’agrément nous aimerions que les textes nous offrent davantage de détails. Mais souvent les contes, épris d’action, n’ont pas le temps de s’arrêter longuement à ce qui relève du décor. On devine plus qu’on ne voit. Il faut au critique moderne beaucoup de ruses pour imaginer les légumes qui prédominent. A s’en tenir aux textes littéraires, bien des informations nous manquent sur la composition des jardins de plaisance. Cultivait-on souvent des plantes en pots ? Comment organisait-on des platesbandes. Y avait-il, en dehors de la pelouse centrale et de sa fontaine, des lieux privilégiés, des kiosques ouverts de tous côtés, des gloriettes comme on disait autrefois54, ou bien des loggias ou des terrasses (les Italiens disent des belvédères) d’où la vue s’étend au loin ? Les fleurs étaient-elles groupées en massifs ? Y avait-il des labyrinthes ? A voir certaines miniatures de la fin du Moyen Age on pourrait croire qu’un ordre rigoureux présidait à l’organisation des jardins. Mais les textes littéraires tout comme ce que nous savons des mentalités du temps nous invitent plutôt à croire que la fantaisie l’emporte sur la symétrie. L’art médiéval des jardins n’imagine pas des jardins tirés au cordeau, semble-t-il, ni des petits parcs de Versailles. Autre interrogation à laquelle on ne saurait répondre : une recherche des symboles apparaissait-elle çà et là dans les jardins ? Le goût vivace du temps pour l’allégorie et les significations secondes pourrait s’exprimer de temps en temps dans des compositions d’arbres ou de fleurs. Sur un problème de fond, à savoir l’unité ou la diversité des types de jardins, on est également embarrassé. Les textes littéraires vont tous dans le même sens.

Planche IX. – Verger planté d’arbres
(Pierre de Crescens, Rustican, Pierpont Morgan Library, Ms. 232, fol. 205 v°).
59En revanche, les miniatures nous montrent chaque fois des jardins différents. Comment concilier ces témoignages contradictoires ? Qui nous leurre ? La littérature passe pour embellir le réel. Mais les enlumineurs expriment aussi leurs rêves dans les manuscrits. Par rapport à la tradition antique, le jardin médiéval offre, semble-t-il, plus de ruptures que de continuité. Certes, le goût de l’ombre, de l’herbe et des eaux courantes survit très profondément. Mais est-ce le fruit d’une connaissance réelle des jardins romains ? N’est-ce point plutôt un rêve identique ? Le problème se pose. Les écrivains latins qui ont décrit le locus amœnus ont-ils vraiment influencé la sensibilité médiévale ? Je serais tenté de croire que les goûts précèdent le savoir livresque. Un net changement apparaît en tout cas sur des points majeurs de l’art des jardins. On ne voit plus de nymphées, de rocailles, de statues, de portiques, de compositions architecturales, sans parler de terrasses. Les jardins du Moyen Age me semblent plus simples, moins complexes. Le contact avec la nature y est peut-être aussi plus direct. On aime beaucoup le gazon et la source qui se trouvent au centre. Pour aller plus loin, pour essayer de pénétrer les sensibilités dans leur approche du paysage et des plantes, pour tenter de discerner des évolutions dans l’art du jardin, pour voir de la diversité là où la littérature, à première vue, montre surtout de l’unité, il faudrait entreprendre des recherches longues et minutieuses. Malgré les difficultés, je crois que l’entreprise vaudrait la peine. Il est toujours passionnant d’essayer de comprendre les aspirations confuses et les sensibilités des hommes du passé.

Planche X. – Verger avec gazon, arbres et allées droites (Pierre de Crescens, Rustican, Pierpont Morgan Library, Ms. 232, fol. 112 v°).

Planche XI. – Jardin avec massifs
(Pierre de Crescens, Rustican, Pierpont Morgan Library, Ms. 232, fol. 157).
Notes de bas de page
1 Par exemple, les mss. enluminés du Roman de ta Rose sont légion. Tous représentent le fameux Jardin d’Amour : voir A. Kuhn, Die Illustration des Rosenromans, Freiburg, i. B., 1911.
2 Pour le Tacuinum sanitatis voir par ex. les reproductions en couleurs dans Sally Fox, Frauenfleiss, Ein immerwährendes Tagebuch, München-Hamburg, 1985, passim et surtout Il Libro di casa Cerutti, Milano, 1982, éd. Mondadori (reproduction en couleurs du ms. 2644 de Vienne). Pour les herbiers voir Arnold Klebs, Early Herbals, Lugano, 1925 ; W. Blunt and S. Paphael, The illustrated Herbal, London, 1979 ; Platearius, Le Livre des simples médecines d’après le ms. fr. 12322 de la B.N. de Paris, éd. Ozalid et Textes cardinaux, Paris, 1986, (avec de précieux commentaires botaniques de P. Lieutaghi et G. Malandin). Le travail de W. Schreiber, Die Kraulerbücher der XV und XVI. Jahrhunderts, München, 1924, reste toujours utile. On peut consulter aussi J. Stannard, Albertus Magnus and Medieval Herbalism dans J. Weisheipl, éd. Albertus Magnus and the Sciences, Commemorative Essays, Toronto, 1980, p. 335-377.
3 Ce domaine semble encore mal exploré. Dans De la plume d’oie à l’ordinateur, Etudes offertes à H. Nais, Nancy, 1986, p. 132, Jean Lanher cite un traité d’arboriculture conservé dans le ms. Epinal 187. Il serait intéressant de connaître l’ensemble des mss. de ce domaine.
4 Pour A. Neckham voir l’éd. de Th. Wright, Londres, 1863, p. 274-75 ; pour Jean de Garlande l’éd. A. Scheler dans le Jahrbuch für romanische und englische Literatur, t. 6, 1865, p. 160, § 75-78 ; pour Albert le Grand l’éd. A. Meyer et C. Jessen, Berlin, 1867, livre VII, 636-638.
5 Voir H. Naïs, Introduction au “Rustican”, thèse compl. dact. Sorbonne, 1961 et surtout H. Naïs, Le Rustican, Notes sur la traduction française du Traité d’agriculture de Pierre de Crescens dans Bibliothèque d'Humanisme et de Renaissance, t. 19, 1957, p. 103-132.
6 Voir une brève analyse dans Ch. V. Langlois, La connaissance de la nature et du monde au Moyen Age, Paris, 1911, p. 167-171 et Histoire littéraire de la France, t. 30, p. 347 et sqq.
7 Sur les jardins romains voir la thèse de P. Grimal, les jardins romains, n. éd., Paris, 1969.
8 Voir les pages intéressantes du grand connaisseur que fut Thomas Wright dans son livre History of Domestic Manners and Sentiments in England during the Middle Ages, London, 1862, p. 283-303 et les remarques brèves d’Alwin Schultz, Das höfische Leben zur Zeit der Minnesinger, 2e éd., Leipzig, 1889, t. I, p. 49-51. Je n’ai pas pu utiliser le travail de D. Hennebo et A. Hoffman, Geschichte der deutschen Gartenkunst, t. 1, Garten des Millelalters, Hambourg, 1962.
9 Voir D. Oschinsky, Walter of Henley and other Treatises on Estate Management and Accounting, Oxford, 1971.
10 Ed. Mgr Glorieux, t. 7, Paris, 1966, p. 144-154.
11 Les références seront faites à l’édition récente de Fukumoto, Harano et Suzuki, (Tokyo, 2 vol. 1983-85).
12 Pour le Ménagier, j’utilise la bonne édition de G. Brereton et J. Ferrier (Oxford, 1981). Je ne cite pas ici le Dict des jardiniers, farce morale du XVIe siècle, publié par Fr. Mugnier (Paris, 1896), qui sort des limites chronologiques de cette étude.
13 Voir Tobler-Lommatzsch, IV, 1591 (pour jart), VI, 1311 (pour ort) et 1314 (pour ortel) ainsi que Zipfel, op. cit., p. 14 (pour ort) et p. 31 (pour jart). Pour closier, closiere “enclos, jardin” voir Godefroy, II, 161. La dissertation de Walter O. Streng, Haus und Hof im Französischen, Helsingfors, 1907, ne concerne guère le jardin.
14 Le FEW (VII, 339) enregistre le mot sous l’étymon olca (gall.) qu’il traduit pflügbares land “terrain labourable”. Dans les nombreux dialectes qui usent du mot ouche le sens de “jardin clos” est fréquent. Il s’agit soit d’un potager, soit d’un enclos planté d’arbres fruitiers. En toponymie le mot ouche est assez répandu. Pour maise, voir Godefroy, V, 93.
15 Au plan étymologique le mot parc est mis en rapport avec le bas latin parricus “clôture”. L’étymon serait un terme prélatin. Sur l’emploi de parc en ancien français voir Tobler-Lommatzsch, VII, 200. Zipfel n’a relevé que deux exemples dans les dialectes, où parc a le sens de “verger” (op. cit., p. 51).
16 Voir FEW II 853.855.
17 Dans la plus ancienne farce française, Trubert et Antrongnart, écrite par Eustache Deschamps, le poète appelle tout à tour le jardin où on lui a volé une amande jardin (t. VII, p. 156, v. 21) et vergier (t. VII, p. 155, v.4)
18 La nuance dégagée par le FEW “espace découvert d’un bâtiment, surtout du cloître des maisons religieuses” serait sans doute à rectifier légèrement. Dans les jardins d’agrément le prael désigne la pelouse, le gazon démuni d’arbres où l’on peut se promener librement sur l’herbe verte. Nous verrons plus loin que l’auteur du roman de Richart le Beau appelle praetel (v. 201) la pelouse sise au milieu du vergier. Boccace use du mot prato dans le même sens. Autrement dit, l’évolution sémantique de prael se comprend à partir de l’idée d’espace vert bien dégagé, de pelouse. Cette acception n’est pas liée exclusivement au cloître des monastères.
19 Voir Tobler-Lommatzsch, VII, 1057-1058 et FEW, IX, 54. Du sens premier de clôture faite de branches entrelacées on passe souvent au sens de terrain enclos, protégé par la clôture. Dans certains cas on peut hésiter à trancher. Mais lorsqu’il est dit que Renart s'en entre en un plaissié (v. 20735), le sens d’enclos est clair. Les éditeurs japonais ont tort de traduire seulement plaissié par “palissade”.
20 Par exemple dans le Moniage Guillaume II il est question de pumes et poires (2792), glans et faînes (2793). On mentionne aussi les melles bletes (2197-98), “les nèfles blettes”. Elles ne sont comestibles que dans cet état. La chanson tardive de Hugues Capet cite comme nourriture d’ermite pomme puree, glands et rachines de la forêt (p. 213). A propos des racines il faut éviter de croire que le mot désigne une alimentation sauvage. Même si les dictionnaires d’ancien français ne font pas la distinction entre les herbes et les racines (cf. Tobler-Lommatzsch, III, 747, et VIII, 135), l’usage médiéval distingue clairement les plantes en deux catégories : les herbes sont les plantes dont la partie comestible pousse à la surface du sol, tandis que les racines concernent les plantes dont la partie comestible pousse à l’intérieur du sol : voir par ex. R. Grand et R. Delatouche, dans la trad, italienne Storia agraria del Mediœvo, Milano, Il Saggiatore, 1986, p. 324.
21 Les boutoniers sont des buissons piquants, le canesson désigne le séneçon (voir Tobler-Lommatzsch, IX, 435 et E. Rolland, Flore populaire, n. éd. Paris, t. 7, 1967, p. 20), les dokes s’appliquent sans doute à la bardane (Tobler-Lommatzsch, II, 2027). Un peu plus loin les cauketrepes (v. 5108) sont cités. Il s’agit d’une sorte de chardon encore appelé aujourd’hui “chausse-trape” (voir E. Rolland, op. cit., t. 7, p. 154) et les cheües (v. 5135), la ciguë, dont il existe deux variétés (E. Rolland op. cit., t. 6, p. 199 et 203).
22 E. Rolland dans sa Flore populaire, t. I, p. 114, relève columbina en latin médiéval et indique que les diverses parties de la fleur représentent grossièrement une colombe ou bien un aigle. D’où les noms de columbina ou aquilegia. Sur l’ancolie dans la littérature médiévale voir l’étude d’A. Planche, Le temps des ancolies, Romania, t. 95, 1974, p. 235-255. L’ancolie est fréquente au XVe siècle.
23 Une glose interlinéaire du texte traduit à tort porreta par poree (éd. Scheler, op. cit., p. 372). Le Revised Medieval Latin Word-List de R.E. Latham (n. éd., Londres, 1980, p. 360) traduit de manière inexacte porreta par leek pottage. Il s’agit d’une sorte d’oignon. Dans le texte de Jean de Garlande porreta est uni à civolli “ciboules”. La porreta correspond exactement à l’ancien français porete “petit oignon”. Voir la note 30.
24 Voir le Ménagier, éd. cit., p. 301, note à 120, 17-19.
25 Voir Grand et Delatouche, éd. cit., p. 313. Le Rustican le confirme. Il parle des fèves et des pois en même temps que des céréales.
26 Ed. Montaiglon Raynaud, Recueil général des fabliaux, II, p. 149. On notera la distinction faite entre civos “ciboules” et oignons. Le mot porion ou poirion (la forme poirion est caractéristique de Picardie : voir Godefroy, VI, 294 et FEW, IX, 196) désigne le “poireau”.
27 Œuvres complètes, t. IX, p. 117, v. 3542-43.
28 Ed. Montaiglon-Raynaud, Recueil général des fabliaux, t. 11, p. 127.
29 Voir l’éd. d’Alfred Franklin, Les rues et les cris de Paris au XIIIe siècle, Paris, n. éd., 1964, p. 155.
30 Voir Godefroy, VI, 289 et Tobler Lommatzsch, VII, 1503.
31 S’agit-il de Caillaux en Bourgogne, comme le comprend l’éditeur ? Dans le Roman de la Rose F. Lecoy imprime poire de kailloël (v. 11716) et comprend des poires “à la chair granuleuse” comme des cailloux. Cela me paraît une interprétation discutable car, premièrement c’est une poire fondante, deuxièmement la préposition de semble incongrue devant un adjectif. Pour moi kaillœl ne saurait être un adjectif et doit être un nom de lieu.
32 Le Tobler-Lommatzsch, VIII, 1518, enregistre rovel et comprend rötlich, “rougeâtre” (rubellus). Mais la construction et la présence de la préposition de empêchent, semble-t-il, une telle traduction. Ici encore pourquoi ne s’agirait-il pas d’un nom de lieu ? Pour le blandurel aucune traduction n’est proposée par Tobler-Lommatzsch, I, 989. Aurait-on affaire à un mot formé de deux adjectifs juxtaposés ?
33 L’éditeur comprend des poires “précoces”. Mais je vois mal la signification du de en pareil cas. Je croirais ici encore à un nom d’origine.
34 Le Godefroy explique “fruit rouge, long et aigre qui vient dans les haies, prunes de Jouarre” (IV, 657).
35 Ces poires sont mentionnées aussi dans le Roman de la Poire (v. 406). La récente éd. Marchello-Nizia ne cherche pas à en préciser l’origine (Paris, 1984, p. 134). Saint Rieul (sanctus Regulus) est le premier évêque de Senlis. Alexandre Neckham mentionne la pira sancti Reguli (éd. cit., p. 274). Il en est question dans VArchitrenius de Jean de Hanville (op. cit., p. 294). Une commune de Saint-Rieul existe dans les Côtes-du-Nord. Une recherche serait à conduire pour essayer de localiser l’origine de ce fruit.
36 Il s’agit d’une variété de poires savoureuses qui doivent venir du village d’Angoisse en Limousin : voir E. Faral dans les Mélanges A. Thomas, Paris, 1927, p. 149. L'Architrenius les cite (op. cit., p. 294)
37 Une note de G. Lozinski dans son éd. de la Bataille de Caresme et de Charnage (Paris, 1933, p. 166, n. 128) confirme que le cresson était employé dans la poree.
38 Cf. G. Lozinski, op. cil., p. 166, § 128.
39 Les dictionnaires connaissent toujours ce nom régional de la blette. Voir le Dictionnaire Larousse du XXe siècle, IV, 193. L e TLF ignore fâcheusement le terme.
40 Etymologisches Wörterbuch der französischen Sprache, Heidelberg, 1928, p. 541. Le FEW, V, 90-91 (5. v. jutta “brühe”) relève dans l’Est le sens de “chou”, dans maintes régions le sens de “bette, blette”, plus rarement la valeur de “betterave” ou celle de “navet”.
41 Ed. R. Weeks, dans Medieval Studies in Memory of G. Schœpperle Loomis, Paris-New York, 1927, p. 343, v. 30-32.
42 A. Planche, “Comme le pin est plus beau que le charme”, dans Le Moyen Age, t. 80, 1974, p. 51-70.
43 Voir l’utile travail de Dagmar Thoss, Studien zum locus amœnus im Miltelalter, Wien, 1972 (Wiener romanistische Arbeiten X), p. 2 et sqq ; surtout E. R. Curtius, La liltérature européenne et te Moyen Age latin, Paris, 1956, p. 266-247. L’étude ancienne de Wilhelm Ganzenmüller, Das Naturgefühl im Mittelalter(Leipzig, 1914, repr. Hildesheim, 1974) consacre un chapitre à l’Antiquité (Das Erbe des Altertutns, p. 8-12) et un autre aux Pères de l’Eglise (Das Naturgefühl zur Zeit des Kirchenvater, p. 12-37). L’ouvrage de Derek Pearsall and Elizabeth Salter, Landscapes and Seasons of the Medieval World (London, 1973) s’occupe aussi des classical Traditions (p. 3-24). En ce qui concerne les fontaines, on observera qu’elles restent simples dans les miniatures jusqu’à la fin du XIVe siècle (par exemple, dans le ms. du Roman de la Rose, Londres, B.L. Egerton 1069, f. 1) et qu'elles se compliquent d’un décor architectural dans les enluminures raffinées du XVe siècle (par exemple le ms. du Roman de la Rose, Londres, Harley 4425, f. 12 v°). Sur la représentation des fontaines on peut consulter Anna RAPP, Der Jungbrunnen in Literatur und bddender Kunst des Mittelalters, Zurich, 1976.
44 Voir Charles Joret, La rose dans l’antiquité et au Moyen Age, Paris, 1892, et J. Stannard dans Gardens in the Middle Ages, Lawrence (Kansas), 1983, p. 118 (la rose rouge, rosa gallica, est de loin la plus appréciée).
45 P. Grimal, op. cit., p. 418.
46 Ed. C. Salinari, Bari, 1966, p. 194-195.
47 Par exemple, pour le Roman de la Rose le beau ms. Douce 195 de la Bodleian Library d’Oxford et pour le Rustican le ms. Add. 19720 de la British Library de Londres.
48 Voir P. Grimal, op. cit., p. 203-271.
49 P. Grimal, op. cit., p. 434.
50 Par exemple certaines évocations d’Eustache Deschamps : Je voy rosiers rouges et blans, / L'aubespine que nous querons, / L’esglentier que nous odorons, / Les bettes fontaines courons, / Les douces roses odorans, / L’erbe vert que nous desirons... (Œuvres complètes, t. 2, p. 194, v. 28-33). Dans le lai de Franchise le même poète mentionne les occupations des gens au printemps dans la nature (chants, cueillette des fleurs, musique, habitude de se vêtir de vert (t. 2, p. 206-207).
51 Par exemple l’intéressante miniature du ms. Londres, British Library, Royal 19 C IV, fol. 1 v°, reproduite par M. Schnerb-Lievre, Le Songe du Vergier t. I, Paris, 1892, p. V.
52 De Vegetabilibus, VII, tract. I, cap. 14, cité in Hortus belgicus, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque Albert 1er, par Jean Balis, Bruxelles, 1962, p. 14.
53 Albert le Grand mentionne comme herbes aromatiques la rue, la sauge, le basilic, comme fleurs la violette, l’ancolie, le lis, la rose et l’iris, comme arbres les poiriers, les pommiers, les grenadiers, les lauriers, les cyprès. Il est bien évident que ces trois derniers arbres n’ont pas été vus par Albert à Paris ou à Cologne.
54 Le sens moderne de “pavillon de verdure dans un jardin”, paraît inconnu du Moyen Age. Il n’est attesté qu’au XVIe siècle d’après le FEW, IV, 165. Le Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle de Huguet en relève quelques exemples dans les textes d’archives (IV, 323).
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