Parcours des communautés
p. 225-228
Texte intégral
«No demostrar jamay fausto,
ni riquesas, ni propalar poder ni forsas;
sino predicar sempre la miseria y la pobresa de les Valls;
com es aixi».
Politar, maxime 49.
« ... e los pagesos de las dites valls sont simples e grosses que no’n saben rahonar ni deffendre... »
(extrait d’une supplique adressée par les hommes d’Andorre au comte de Foix en 14471).
1Les gens de ces Vallées sont des paysans simples et grossiers qui ne savent raisonner ni défendre leurs causes. Rien n’est plus faux que cette affirmation à peine remaniée par nos soins et formulée par les Andorrans, à l’adresse de leur seigneur, en 1447. « Je ne suis qu’un pauvre paysan » ; sans insulter le sort terrible de ces générations d’hommes et de femmes courbés par le travail du sol avant que d’être vieux, ne pas voir la part de duplicité qui s’est souvent logée dans de tels dires relèverait d’une totale méconnaissance de la paysannerie occidentale et des Andorrans tout particulièrement. Aussi, le but de ce deuxième volet de notre enquête pourrait se résumer ainsi : rendre à cette phrase toute son étrangeté puis expliquer comment les hommes des Valiras purent en venir à l’énoncer.
2Lui rendre son étrangeté, c’est balayer le cliché d’une seigneurie qui aurait créé, organisé, gouverné tous les aspects de la vie sociale ; c’est rendre au monde paysan la capacité qu’il possédait d’innover ou de résister, de penser selon ses propres moyens et d’agir selon ses propres fins, de détourner outils, idées et institutions au gré de ses desseins et, au besoin, de mentir2. Qu’on ne s’y méprenne pas. Nous n’avons pas une vision romantique de la seigneurie, loin s’en faut. Mais il nous paraît important de ne pas recourir au postulat de son omnipotence pour combler les vides logiques, de ne pas invoquer son rôle systématiquement, surtout quand il est discutable. Nous avons pu découvrir l’étonnante faiblesse de la seigneurie qui pesa sur les Vallées jusqu’au début du xiiie siècle, ne faut-il pas supposer qu’une structure solide lui fit résistance, et n’était-ce pas des communautés dont il s’agissait ? S’imposer de comprendre pourquoi les hommes d’Andorre se déclaraient simples et grossiers s’inscrit dans la même démarche. Même en étant convaincu que telle était leur apparence – ce que nous ne croyons pas – ne faut-il pas s’étonner de ce discours ? Est-on forcé de croire qu’un paysan, face à un notaire ou un seigneur, ne pensait jamais à présenter les choses sous le jour qui lui convenait ? Bien plus, il faut considérer que cette déclaration relevait d’un discours collectif ; c’est une société entière qui se présentait de la sorte. Ici encore, nous sommes enclin à deviner le poids des communautés.
3Nous ne ferons pas l’inventaire des mécanismes qui sont considérés en général comme les causes de la cristallisation des communautés rurales. Nous les avons ordonnés en trois thèmes traversés par le souci que nous avons exprimé dans notre chapitre introductif, c’est-à-dire par la volonté de cerner le jeu des modes d’appropriation privés et collectifs. La seigneurie, l’église et la commune sont en négatif les trois étapes de ce parcours. Cela dit, nous n’en avons pas respecté les contours à chaque instant. Au demeurant, nous avons construit ces escales de manière à progresser dans le temps, non pas en procédant dans le cadre d’une chronologie rigoureuse mais en déplaçant globalement l’épicentre de ces questions.
4Avant d’aborder de front ces trois registres, qui en Andorre ont suivi des trajectoires plutôt originales, nous voudrions formuler une remarque générale. La superposition de ces trois cercles est assurément un trait marquant de la seconde moitié du Moyen Âge. Mais quel en était le fondement ? Trop de raisons semblent nuire à la raison. L’intérêt du seigneur, l’intérêt de l’église, l’intérêt des membres de la commune, n’est-ce pas trop de convergences ? Ici, la chronologie donne le premier rang à tel facteur, là, c’est un autre qui semble déterminant. Mais partout ou presque, le résultat est sensiblement le même. Le modèle de ces encadrements superposés est fascinant, mais nous ne parvenons pas à accepter comme une cause raisonnable un assemblage de motivations changeantes, fussent-elles congruentes. Le caractère systémique de cet emboîtement est certainement une ligne de force de la société féodale, mais ce type d’analyse manque singulièrement de hiérarchiser les causes, ou à tout le moins de les spécifier. L’étude de cas-limites, de cas où précisément n’apparaît pas une telle confluence semble sous ce regard un impératif méthodologique.
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