Postface
p. 179-190
Texte intégral
1Hans Rodewald, Antoine Bieisse, Fernand Tailhades : trois témoins de la guerre dite “de 14”, surnommée, à juste titre, la “Grande Guerre”, non seulement parce qu’elle n’avait rien en commun, de par son envergure et sa durée, avec toutes les guerres que les peuples d’Europe avaient connues précédemment, mais aussi parce qu’elle préfigurait déjà, en introduisant de nouvelles technologies militaires, la guerre suivante, appelée, à titre non moins juste, la “seconde” Guerre mondiale.
2Nos trois témoins, simples soldats, ont vécu la Grande Guerre au quotidien et nous font part de leurs observations et réflexions, de leurs émotions et impressions, du moment de la préparation du départ pour les théâtres de la guerre jusqu’à l’arrivée, et au-delà, dans les camps de prisonniers. Tous les trois se sont retrouvés au milieu de combats acharnés ; tous les trois ont été grièvement blessés ; tous les trois en sont enfin sortis la vie sauve, et ceci grâce aux bons soins de ceux que la propagande nationaliste leur avait présentés, de part et d’autre, comme l’“ennemi”.
3Hans Rodewald, Antoine Bieisse et Fernand Tailhades n’étaient ni écrivains, ni historiens, et n’avaient certainement aucune ambition de faire publier un jour leurs souvenirs de la guerre qui, semble-t-il, n’étaient destinés à être lus que par leurs proches parents et amis. Ainsi s’explique l’absence de toute autocensure intentionnelle1 l’absence aussi de la volonté d’impressionner le lecteur par un style précieux ou des analyses prolixes de la situation politique et géostratégique au début de la guerre. Ils relatent sans façon ce qui leur est arrivé, en suivant la forme la plus simple du récit : la suite chronologique des événements.
4Les trois textes se proposent donc à une lecture au premier degré, ce qui ne veut toutefois pas dire qu’il n’y en a pas d’autres. C’est justement le fait que nos auteurs ont rédigé leurs souvenirs en toute naïveté et franchise, qui nous permet de procéder à une lecture au second degré, en analysant les structures d’écriture dont les auteurs eux-mêmes étaient certes complètement inconscients.
5L’analyse d’ensemble de ces trois textes, que je propose par la suite, est facilitée par le fait que ceux-ci sont rédigés de la même façon linéaire, sans aucune rétrospective ni prospective. Chaque récit peut alors être divisé en quatre parties, dont chacune correspond à une phase différente du vécu de nos auteurs. Ces phases, qui par la suite nous serviront de points de repère généraux de l’analyse des trois textes, sont les suivantes :
TABLEAU 1. Phases des récits. I Temps passé jusqu’à l’arrivée au front
RODEWALD | 01/08/1914 - 13/08/1914 | = | 13 jours |
BIEISSE | 13/07/1914 - 19/08/1914 | = | 37 jours |
TAILHADES | 14/08/1914 -18/08/1914 | = | 4 jours |
II Temps passé sur le champ de bataille
RODEWALD | 13/08/1914 - 08/09/1914 | = | 26 jours |
BIEISSE | 19/08/1914 - 20/08/1914 | = | 2 jours |
TAILHADES | 18/08/1914 - 17/07/1915 | = | 333 jours |
III Temps passé de la capture jusqu’à la sortie de l’hôpital militaire
RODEWALD | 08/09/1914 - 15/12/1914 | = | 98 jours |
BIEISSE | 20/08/1914 - 22/10/1914 | = | 63 jours |
TAILHADES | 17/07/1915 - 03/10/1915 | = | 78 jours |
IV Temps passé dans le camp de prisonniers (décrit dans le journal)
RODEWALD | 15/12/1914- 14/05/1915 | = | 150 jours |
BIEISSE | 22/10/1914-11/04/1915 | = | 171 jours |
TAILHADES | 03/10/1915- ~fin 1915 | = | ~90 jours |
6Il est évident que la durée réelle de chaque phase est fort différente : tandis que Fernand Tailhades a passé onze mois sur le champ de bataille, et que Hans Rodewald s’est trouvé sous le feu pendant un laps de temps de près de quatre semaines, Antoine Bieisse n’a connu qu’un seul combat, celui au cours duquel il fut blessé. Quant au temps passé du moment de la capture jusqu’à la sortie de l’hôpital militaire, il s’explique pour une grande partie en fonction de la gravité des blessures reçues, et on remarque à ce propos que la convalescence de Hans Rodewald, mutilé à la main, à la jambe et au séant, a duré plus longtemps que celle de ses compagnons d’infortune français : c’était donc lui qui était le plus grièvement blessé, bien qu’à la lecture de son récit, on n’ait pas forcément cette impression2 La durée individuelle inégale de la quatrième phase par contre ne correspond point au temps réel que nos auteurs ont finalement passé au camp de prisonniers, mais plutôt à leur volonté de s’exprimer de manière plus ou moins détaillée sur ce qui leur y est arrivé : ici, il ne s’agit évidemment que des temps couverts par les récits. Cette observation est également valable en ce qui concerne la première phase du récit de Fernand Tailhades, qui ne consacre que quelques phrases à la description des jours de la mobilisation et du départ pour la guerre.
7La durée de chaque phase n’est pas le seul paramètre de l’analyse, car on peut se demander dans quelles proportions les phases sont représentées dans les trois textes, autrement dit, quelle importance les auteurs attribuent à chacune des quatre phases de leur propre vécu. Grâce à l’ordinateur, j’ai pu assez facilement accomplir une telle analyse : d’abord, il a fallu compter le total des mots de chacun des trois textes3 puis découper chaque texte en quatre parties correspondant aux phases, ensuite comptabiliser chaque fois les mots par phase, et enfin calculer les proportions par rapport aux totaux. Le résultat de ce procédé est le suivant :
TABLEAU 2. Nombre de mots (total et proportionnel par phase)
RODEWALD | 33.305 | mots | = | 100 % |
BIEISSE | 5.951 | mots | = | 100 % |
TAILHADES | 10.108 | mots | = | 100 % |
I Temps passé jusqu’à l’arrivée au front
RODEWALD | 1.098 | mots | = | 3,30 % |
BIEISSE | 1.794 | mots | = | 30,15 % |
TAILHADES | 563 | mots | = | 5,57 % |
II Temps passé sur le champ de bataille
RODEWALD | 16.139 | mots | = | 48,46 % |
BIEISSE | 2.353 | mots | = | 39,54 % |
TAILHADES | 7.392 | mots | = | 73,13 % |
III Temps passé de la capture jusqu’à la sortie de l’hôpital militaire
RODEWALD | 6.182 | mots | = | 18,56 % |
BIEISSE | 1.062 | mots | = | 17,85 % |
TAILHADES | 1.765 | mots | = | 17,46 % |
IV Temps passé dans le camp de prisonniers (décrit dans le journal)
RODEWALD | 9.886 | mots | = | 29,68 % |
BIEISSE | 742 | mots | = | 12,47 % |
TAILHADES | 388 | mots | = | 3,84 % |
8De ce comptage des mots résulte déjà une première observation très intéressante : nonobstant le fait que la phase de combat était, d’un auteur à l’autre, d’une durée individuelle fort inégale, tous les trois emploient le plus de mots en décrivant cette deuxième phase. Ce fait apparaît de manière encore plus évidente quand on traduit les valeurs du tableau 2 en graphique :
GRAPHIQUE 1. Mots par phase (nombre total)

9Pourtant, en l’occurrence, ce n’est pas seulement le nombre total des mots par phase qu’il faut prendre en considération, mais aussi leur répartition proportionnelle par rapport aux totaux des mots employés. À partir de ce calcul, on obtient le graphique suivant :
GRAPHIQUE 2. Mots par phase (proportion !)

10Vu sous cet angle, nos trois auteurs font preuve d’une vision fort divergente de leur vécu de la guerre. Pour Antoine Bieisse, ce qui mérite le plus d’attention, c’est l’unique combat qu’il a connu, ainsi que le départ pour la guerre, phase que les deux autres ne traitent que de façon relativement sommaire ; Hans Rodewald attribue l’importance plutôt au combat et à sa vie dans le camp de prisonniers, tandis que Fernand Tailhades parle de préférence du combat, puis de son transfert et séjour à l’hôpital. On remarque par ailleurs que cette dernière phase, la troisième, occupe une place presque équivalente dans les trois récits, bien que sa durée, comme nous l’avons déjà vu, n’ait pas été la même d’un auteur à l’autre.
11Ce fut donc le temps de combat qui fut vécu par nos trois auteurs avec la plus grande intensité et qui, par conséquent, s’est gravé le plus durablement dans leur mémoire. Les agissements sur le champ de bataille, ils les décrivent en tout détail matériel, en faisant également part au lecteur, de manière parfois très éloquente, de leurs sentiments face au danger de mort, ainsi que de leurs émotions au moment où ils se rendent compte qu’ils sont grièvement blessés : ce sont ces expériences-limites vécues dans de telles situations existentielles qui se trouvent au coeur des récits.
12Dans ce contexte, on constate – peut-être avec étonnement – que le nom de Dieu n’apparaît que très peu dans les trois récits. Fernand Tailhades, apparemment sans credo religieux4 et Antoine Bieisse, catholique5 n’y invoquent Dieu pas une seule fois6 et quant à Hans Rodewald, qui se présente pourtant comme luthérien pratiquant7 c’est justement durant la phase de combat que le nom de Dieu est le moins évoqué8 :
GRAPHIQUE 3. Invocation de Dieu par Hans Rodewald

13Déjà à la première lecture des trois récits, on a l’impression que l’identité de nos auteurs a été transformée par l’expérience de la guerre, autrement dit, que la séparation d’avec leurs parents et proches, le départ vers l’inconnu, le “baptême du feu”, la rencontre avec la mort, la blessure, la captivité, ont changé leurs personnalités9 Afin d’élucider ce processus d’ébranlement, puis de reconstitution de leurs identités personnelles, on peut mettre en relief l’évolution de la corrélation entre la manifestation de l’individualité de nos auteurs et celle de la collectivité dont ils faisaient temporairement partie. À cette fin, j’ai compté les occurrences par phase des mots je et nous.
14Certes, du point de vue méthodologique, ce procédé est discutable. D’un côté, les structures grammaticales des langues allemande et française ne sont pas les mêmes, ce qui risque de falsifier les résultats d’une telle opération10 ; de l’autre côté entrent ici en ligne de compte les particularités de style de chaque auteur. Une comparaison globale dans ce domaine doit alors reconnaître ses limites. Je trouve pourtant les résultats d’une telle analyse trop intéressants pour ne pas les exposer ici.
GRAPHIQUE 4. JE / NOUS (récit de Hans Rodewald)

15L’analyse du récit de Hans Rodewald11 est particulièrement instructive : lors de la mobilisation, de l’arrivée sur le champ de bataille, du combat, c’est toujours son intégration dans la collectivité qui l’emporte sur la manifestation de sa propre individualité. Par contre, dès le moment où il est abandonné par ses camarades – expérience traumatisante – et tombe, blessé, dans la main des Français, et de là jusqu’à la fin de son récit relatif à sa vie dans le camp de prisonniers, c’est son moi qui se raffermit. On constate alors une évolution très nette : le temps passé sous le commandement allemand est par lui vécu en commun, tandis qu’il regagne son identité personnelle dès qu’il passe sous le régime français, dès qu’il perd son statut de combattant.
16L’examen du texte d’Antoine Bieisse12 nous présente un cas de figure presque totalement opposé. Nous avons déjà vu que son récit est, quant à la répartition des mots par phase, le plus équilibré des trois. Or, il paraît que c’était aussi lui qui avait la personnalité la plus ferme et inébranlable.
GRAPHIQUE 5. JE / NOUS (récit de Antoine Bieisse)

17Le départ pour la guerre et le combat – pour ne pas parler pour l’instant de la convalescence : on reviendra sur ce point – semblent avoir été pour Antoine Bieisse une histoire vécue au singulier. Tout le long de ces phases, il parle de ses propres faits et gestes plutôt que de ceux accomplis en commun avec ses camarades. Pourtant, à la différence de Hans Rodewald, il ne se replie pas sur lui-même dès qu’il tombe en captivité, mais par contre s’intègre davantage dans la collectivité : c’est pendant la quatrième phase qu’il devient, dirait-on, pour la première fois depuis le début de la guerre, un être social.
18Pour Fernand Tailhades13 c’est aussi la collectivité qui, pendant la captivité, l’emporte sur son individualité. Pour lui, il ne s’agit toutefois pas, comme pour Antoine Bieisse, d’une première intégration mais plutôt d’une réintégration sociale, vu qu’à l’exception du temps passé lors de son transfert et séjour à l’hôpital, il se définit généralement par son appartenance aux groupes dont il fait partie : ainsi, durant la quatrième phase, il ne découvre pas la vie en commun, mais la retrouve.
GRAPHIQUE 6. JE / NOUS (récit de Fernand Tailhades)

19Nos trois auteurs ont donc parcouru, on s’en doutait, une évolution fort divergente de leur personnalité. Mais l’analyse du rapport entre leur individualité et la collectivité révèle encore un autre point, beaucoup moins banal : bien que le temps passé sur le champ de bataille occupe, comme nous l’avons déjà vu, une place privilégiée dans leurs récits, c’est apparemment la troisième et non cette deuxième phase qui était pour eux la plus décisive des quatre. Non seulement consacrent-ils une portion presque équivalente de leurs textes à sa description, ce qui est déjà un fait révélateur, mais aussi s’agit-il ici – on s’en aperçoit maintenant à partir des trois derniers graphiques – d’un point d’intersection de première importance en ce qui concerne leurs rapports avec leur environnement social. Tous les trois font preuve, pendant le temps de leur convalescence, d’un égocentrisme prononcé14 ce qui leur procure en fin de compte la force nécessaire pour reconstituer leur identité personnelle. Vu sous cet angle, ce ne fut pas l’expérience du combat qui les avait changés le plus, mais celle de leur rétablissement psychosomatique : en sortant de l’hôpital militaire, ayant définitivement échappé à la mort, ils voyaient la vie d’un autre œil.
20Cette conclusion est corroborée par un autre résultat d’analyse fort intéressant, qui concerne l’image de l’autre, de 1’“ennemi”, incarné pour Hans Rodewald15 par les Français, pour Antoine Bieisse16 et Fernand Tailhades17 par les Allemands18 Dans ce contexte, on remarque que la notion “ennemi” disparaît progressivement de leurs discours pour faire place à celle de “Français” ou “Allemand”.
GRAPHIQUE 7. FRANÇAIS / ENNEMI (Hans Rodewald)

GRAPHIQUE 8. ALLEMAND / ENNEMI (Antoine Bieisse)

21Jusqu’à leur première rencontre physique avec l’adversaire, Hans Rodewald et Antoine Bieisse le qualifient exclusivement de 1’“ennemi”. Ils témoignent ainsi de leur disposition irréfléchie d’intérioriser la propagande nationaliste, allemande comme française, au début de la guerre, qui s’avère donc avoir été fort efficace. Fernand Tailhades par contre s’abstient en l’occurrence de toute précision à cet égard, en ne parlant ni des Allemands, ni de l’ennemi.
GRAPHIQUE 9. ALLEMAND / ENNEMI (Fernand Tailhades)

22Nos deux soldats français sont par contre unanimes en ce qui concerne la qualité de l’adversaire durant la phase de combat : pour eux, c’est bel et bien l’“ennemi” qu’ils rencontrent sur le champ de bataille, et non les “Allemands”, à la différence de Hans Rodewald, pour qui la notion “ennemi” est déjà en train d’être remplacée, durant cette même phase, par celle de “Français”. Doit-on interpréter ce dernier constat par le fait que Hans Rodewald se retrouve déjà à l’intérieur de la France, d’un pays dont il admire et le paysage19 et la civilisation20 tandis qu’Antoine Bieisse et Fernand Tailhades défendent ce même pays, qui est le leur, contre un envahisseur toujours fort mal connu ?
23Quoi qu’il en soit, une fois blessé et tombé dans la main de l’adversaire, celui-ci perd manifestement, pour nos trois auteurs, la qualité de l’“ennemi”. Ils se retrouvent parmi les Français, parmi les Allemands, dont ils font de plus en plus connaissance, pour le meilleur et pour le pire, il est vrai, mais qui n’ont plus rien de haïssable21.
24Peut-être est-ce ce dernier point qui nous amène aussi à une meilleure compréhension du fait que Hans Rodewald, Antoine Bieisse et Fernand Tailhades ont terminé tous les trois la rédaction de leurs journaux au bout d’un certain temps passé dans le camp de prisonniers : leur souvenir des jours atroces avait enfin trouvé sa formulation écrite et dès lors communicable ; l’“ennemi” d’abord anonyme avait fait place à des gens en chair et en os ; la vie avait repris son cours tranquille ; le retour chez eux n’était plus qu’une question du temps – donc il n’y avait plus rien à relater.
Notes de bas de page
1 Le journal de Hans Rodewald contient néanmoins quelques mots sténographiés ; la lecture s’en étant avérée impossible, on ignore ce qu’il voulait dissimuler même devant les yeux de ses proches.
2 En fait, il reste assez discret à cet égard et ne privilégie pas cette phase par rapport aux autres ; voir aussi graphique 2.
3 Le comptage des mots du récit de Hans Rodewald fut bien évidemment fait à partir de sa version originale allemande et non de la traduction française ; en outre, il va de soi que les annotations infrapaginales des trois textes n’entrèrent pas en ligne de compte lors du comptage, non plus d’ailleurs la lettre annexée au récit d’Antoine Bieisse.
4 Le jour de Noël 1914, il dit seulement avoir bien bu ; quant au jour de Noël 1915, il dit avoir fait un bon repas avec ses camarades, sans mentionner les cultes divins qui furent sans doute célébrés ce jour-là dans son camp de prisonniers ; on sait pourtant qu’il était catholique.
5 Il dit avoir assisté à la messe le jour de Pâques 1915.
6 Ceci est également le cas quant aux noms de la sainte Vierge et des saints.
7 Voir à ce propos son récit de la fête de Noël 1914, qui contient même le texte intégral du prêche de l’aumônier protestant des prisonniers allemands internés au château d’Oléron.
8 Occurrences du mot Gott [Dieu] en nombres réels : I = 1 ; II = 6 ; III = 6 ; IV = 10 ; les proportions sont calculées (en pour-mille) en fonction du nombre de mots par phase ; le texte du prêche de Noël 1914 ne fut pas pris en compte ici.
9 Ainsi, on dit toujours au sein de ma famille, que Hans Rodewald était, à son départ pour la guerre, encore un gamin, mais qu’il était un homme en en rentrant.
10 Ce fait concerne notamment les verbes pronominaux réfléchis : par exemple, dans une tournure comme nous nous sommes couchés, le nous est compté deux fois, tandis que la même phrase en allemand, wir haben uns hingelegt, ne présente qu’un seul nous [wir] ; aussi faut-il prendre en considération, en langue française, le pronom personnel indéfini on, qui peut remplacer le nous et qui n’existe pas en tant que tel dans la langue allemande ; j’ai compté les on parmi les nous après examen de chaque emploi grammatical.
11 Occurrences des mots ich [je] et wir [nous] en nombres réels : I = 13/32 ; II = 213/462 ; III = 157/89 ; IV = 212/86 ; les proportions sont calculées (en pour-mille) en fonction du nombre de mots par phase ; les textes importés (l’ordre d’armée du général von Bülow, le poème “Auf Oléron”, le prêche de Noël 1914) ne furent pas pris en compte ici.
12 Occurrences des mots je (j’) et nous (on) en nombres réels : I = 41/28 ; II = 91/63 ; III = 32/11 ; IV= 9/17 ; les proportions sont calculées (en pour-mille) en fonction du nombre de mots par phase ; la lettre annexée à son récit ne fut pas prise en compte ici.
13 Occurrences des mots je (j’) et nous (on) en nombres réels : I = 2/36 ; II = 93/530 ; III = 69/27 ; IV= 13/26 ; les proportions sont calculées (en pour-mille) en fonction du nombre de mots par phase.
14 Hans Rodewald le dit par ailleurs clairement au début de son récit daté du 10 mai 1915 : “Sans aucun doute possible, ma captivité a commencé au moment où les Français m’ont ramassé comme grand blessé [...] Certes, au début, cela me tracassait un peu, mais le souci de mes blessures ne laissait aucune place pour d’autres réflexions. J’étais préoccupé par mon rétablissement”.
15 Occurrences des racines franz- (nom et adjectif en toutes formes grammaticales comme Franzose, französisch etc.) etfeind- (idem comme Feind, feindlich etc.) : I = 0/1 ; II = 43/39 ; III = 25/3 ; IV = 12/0 ; les proportions sont calculées (en pour-mille) en fonction du nombre de mots par phase ; les textes importés (l’ordre d’armée du général von Bülow, le poème “Auf Oléron”, le prêche de Noël 1914) ne furent pas pris en compte ici.
16 Occurrences des racines allemand- (nom et adjectif en toutes formes grammaticales) et ennemi- (idem) : I = 0/2 ; II = 4/15 ; III = 1/0 ; IV = 2/0 ; les proportions sont calculées (en pour-mille) en fonction du nombre de mots par phase ; la lettre annexée à son récit ne fut pas prise en compte ici..
17 Occurrences des racines allemand- (nom et adjectif en toutes formes grammaticales) et ennemi- (idem) : I = 0/0 ; II = 1/23 ; III = 1/0 ; IV = 0/0 ; les proportions sont calculées (en pour-mille) en fonction du nombre de mots par phase.
18 Notons en passant qu’Antoine Bieisse et Fernand Tailhades n’emploient jamais le mot boche.
19 À ce propos, voir par exemple son récit daté du 4 septembre 1914 : “À 9 heures, nous traversâmes la Marne par un gigantesque pont suspendu, et là se présentait à nos yeux un panorama magnifique : la vallée de la Marne ! Au milieu des prairies verdoyantes sises entre des côtes boisées, le fleuve coulait le long des paisibles villages pittoresques, dont les petites maisons blanches brillaient d’un vif éclat en pleine verdure foncée. Le soleil avait percé les brumes et répandait dès lors gentiment ses doux rayons sur ce merveilleux paysage. Tout brillait d’un éclat frais et doré. À cette vue, mon coeur se dilatait et, pour quelques instants, j’oubliais totalement la raison de ma présence ici” ; on dirait même qu’il était prêt à assimiler ce paysage à celui de sa patrie, l’Allemagne ; voir son récit du 12 août 1914 : “Devant Holzminden, nous franchîmes la Weser qui coulait si magnifiquement et paisiblement à travers les prairies vertes et ensoleillées. Nous contemplâmes tellement cette douce image que nous oubliâmes pour un instant le but de notre voyage”.
20 On se souvient de l’adage “Leben wie Gott in Frankreich” [vivre comme Dieu en France] que Hans Rodewald cite dans son récit daté du 6 septembre 1914 et qui exprime, pour tout Allemand, le bien-être extrême.
21 Notons que l’analyse de l’évolution du rapport à l’ennemi, chez les combattants, d’une propagande intériorisée à un discours moins hostile, est menée dans le livre de T. ASHWORTH, Trench Warfare, 1914-1918. The Live and Let Live System, Londres, Macmillan Press, 1980 [rééd. : Pan Books, 2000].
Auteur
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