L’autorité ethnographique du missionnaire : les médiations de José Cardiel dans les réductions Guaranies
p. 15-36
Remerciements
Je remercie François Godicheau et Evelyne Sanchez pour la traduction de ce texte originalement écrit en espagnol.
Texte intégral
« À la fin du XIXe siècle, rien ne garantissait, a priori, que l’ethnographe fut le meilleur interprète de la vie indigène, en comparaison avec le voyageur et en particulier le missionnaire et l’administrateur, dont certains étaient restés sur le terrain bien plus longtemps, possédaient de meilleurs contacts et de plus grandes capacités linguistiques. »
James Clifford, The Predicament of Culture, 19882.
1Par cette affirmation, James Clifford nous introduit dans un domaine exploré récemment par l’anthropologie. Je me réfère au statut des récits de voyages et au rôle des missionnaires dans la genèse du regard ethnographique, et dans sa construction comme « discipline ». Clifford signale que l’image de l’ethnographe s’est créée pendant la première moitié du XXe siècle comme une forme particulière de l’autorité, validée scientifiquement. Ces nouveaux chercheurs de terrain, écrit-il, ont tenu d’emblée à se distinguer de leurs prédécesseurs – le missionnaire, l’administrateur, le commerçant et le voyageur –, jugeant partisanes et non fondées scientifiquement, leurs connaissances des peuples indigènes. George Marcus et Dick E. Cushman ont exposé des idées comparables quelques années avant que Clifford n’explique que la différence entre le récit de voyage et le texte ethnographique résidait dans le fait que, dans ce dernier, prédominait le narrateur scientifique invisible, l’observateur omniscient et dépassionné3. Françoise Zonabend expose une interprétation similaire en reconnaissant que les Mœurs des Sauvages américains écrites par le voyageur Lafitau en 1724 sur les Iroquois et les Hurons, par exemple, ont été au point de départ de certains travaux d’ethnologie, comme ceux de Morgan. La différence entre les deux auteurs est d’ordre méthodologique : Morgan a collecté « systématiquement » les terminologies de parenté tandis que Lafitau l’avait fait de manière « non systématique », en insistant sur l’exotique de certaine situations4. Chez d’autres auteurs apparaît une appréciation plus péjorative sur le travail réalisé par les voyageurs et les missionnaires. Dans son prologue aux Reflexiones sobre un trabajo de campo en Marruecos, de Paul Rabinow, Maria Cátedra signale que l’anthropologue peut parvenir à écrire des textes sans s’impliquer personnellement, mais qu’il peut aussi se donner à voir à travers un simple recueil d’anecdotes où il narre, à la façon du voyageur, les conditions dans lesquelles il a mené à bien son travail malgré des conditions de vie difficiles. Et elle ajoute, pour augmenter notre confusion sur les limites des expériences, que la figure de l’ethnographe offre quelque ressemblance avec celle du missionnaire puisque tous deux supportent les difficultés en des lieux lointains, et sauvent « des âmes ou des matériaux qui autrement seraient perdus ». N’oublions pas non plus que Lévi-Strauss, dans Tristes Tropiques, a recours aux descriptions laissées par le missionnaire Jésuite Sanchez Labrador et expliquant que les missionnaires avaient recueilli tout ce qui valait la peine d’être conservé, attribuant aux notes des Jésuites et des missionnaires la capacité d’instaurer la conscience ethnographique moderne. Le voyageur et le missionnaire, conclut Lévi-Strauss, ont ouvert la voie à l’observation, un des principes fondamentaux des sciences modernes5.
2La « redécouverte » de la valeur narrative des récits de voyages, tant en géographie qu’en histoire et en anthropologie, a été l’une des caractéristiques du XXe siècle. Cet article aborde justement la question du rôle des missionnaires et des voyageurs dans les prolégomènes de la construction de l’ethnographie comme discipline scientifique. Les êtres humains ont toujours voyagé guidés par la boussole de leurs intérêts multiples, personnels et collectifs. Tout au long de l’histoire, de nouvelles significations ont enveloppé les expériences des voyageurs. Les voyages sont devenus un fait banal dans l’Espagne éclairée et ils ont été entrepris par des représentants de diverses institutions, presque toutes soutenues par la Couronne. Les voyages vers des mondes lointains tout comme l’activité missionnaire ont occupé une place importante dans les politiques impériales, notamment à partir du XVIIIe siècle. Les voyageurs du XVIIIe siècle annotèrent dans leurs journaux, itinéraires et descriptions, les scènes qui se présentaient à leurs yeux, mais furent aussi guidés par la recherche de l’exotisme et du contrôle intellectuel de nouveaux espaces6. Ils se fondèrent pour cela sur l’observation comme méthode de recherche et sur le critère de l’utilité de leurs découvertes, générant ainsi une très riche littérature ethnographique. Une grande partie d’entre elle fut l’œuvre de voyageurs particuliers, les Jésuites, membres d’une puissante et proliférante corporation religieuse qui joua dans les terres australes d’Amérique un rôle essentiel avant la création de la vice-royauté de la Plata en 1776. La double composante d’idéalisme et d’empirisme de l’œuvre d’un des représentants de la Compagnie, le Jésuite José Cardiel, permet d’observer la conquête par l’intellect des nouvelles régions. Cardiel est devenu l’un des pionniers de l’étude du Paraguay et des côtes argentines, depuis Buenos Aires jusqu’au détroit de Magellan. Il figure au rang de ceux plus intéressés par l’étude ethnographique que par la fondation de réductions indigènes. Ses voyages furent un savant mélange entre une ambition d’essai scientifique et politique, une manifestation de l’esprit aventurier et la volonté de porter un regard critique sur le modèle colonial péninsulaire mis en œuvre dans ces régions d’Amérique. Ses propositions furent amplement réformistes dans un contexte politique opposé aux Jésuites.
3J’analyserai d’abord quelques-uns des débats introduits par Cardiel sur le type de relations qui a uni la Couronne, l’Église et les sociétés nouvelles, et je proposerai par la suite de discuter le rôle joué par les Jésuites dans la constitution du corpus littéraire de récits de voyages, ainsi que dans la consolidation de l’ethnographie. L’idée repose sur un constat très simple : les travaux sur les missionnaires Jésuites du Paraguay ont recours assez systématiquement aux manuscrits de José Cardiel, pour reconstruire la vie quotidienne, le régime familial et de parenté ainsi que les usages de production. Ceci est visible dans un texte assez conservateur à propos des doctrines, comme celui de Maxime Haubert, mais aussi dans le récit descriptif de Silvio Palacios et Ena Zoffoli7. Ces études renvoient inlassablement à des paragraphes entiers du récit ethnographique du Jésuite mais sans prendre en compte l’objectif de son œuvre.
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4Cardiel naquit à la Guardia, en Álava. Il était le fils d’un médecin formé précisément à l’art de l’observation de la nature et du corps humain, mais lui et ses deux frères aînés choisirent d’intégrer la Compagnie de Jésus. José le fit alors qu’il avait un peu plus de quinze ans. Il partit au Paraguay une dizaine d’années plus tard : il arriva à Buenos Aires en 1731 et se dirigea directement vers les missions guaranies. L’année suivante, il prit en charge la réduction de Santiago et passa peu après au village de Jésus. Pendant ces courtes années, il apprit la langue des indiens Guichaquis et le guarani, occupa la charge de chapelain de l’armée à San Cosme et Damián, puis celle de professeur dans le collège Jésuite de Corrientes. Un an après commença son périple parmi les réductions des indiens Mocobίes de San Francisco Javier, au Nord-Est de Santa Fe, puis Abipones de Santa Fe, pour terminer par les Charmas situés entre le fleuve Parana et le fleuve Uruguay8. Ce long parcours lui permit de connaître en un laps de temps très court une grande diversité de groupes indigènes, leur forme de vie, le type d’activité extractiviste qu’ils réalisaient. À la fin de sa vie, Cardiel rédigea une sorte d’essai autobiographique :
Je suis un ecclésiastique qui, en 1729, à l’âge de 25 ans, est passé d’Espagne en Amérique. J’ai vécu, pendant quarante longues années au Paraguay, à Buenos Aires, à Tucumán, à Magellan et en Patagonie ; presque toujours en de continuels voyages, assumant plusieurs charges ecclésiastiques et quelques-unes politiques et publiques, et pendant toutes ces années, j’ai parcouru des milliers et des milliers de lieues. J’ai lu avec attention en diverses occasions toutes les histoires citées et les traités. J’ai vécu beaucoup des choses qui y sont dites. J’ai vu presque tout ce dont elles traitent, et beaucoup d’autres choses dont elles ne parlent pas, ce qui m’oblige et m’autorise plus que tout autre à pouvoir dire la vérité sur ce qui s’est passé dans ces parties du monde, en ce siècle particulièrement, à expliquer et à exposer ce que sont ces pays, territoires et provinces9.
5Cardiel est surtout connu pour ses expéditions au sud de Buenos Aires et dans les terres du détroit de Magellan sur ordre du monarque Philippe V. Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, il accompagna les Jésuites José Quiroga et Matías Ströbel, le premier spécialisé en mathématiques et en cartographie et le second cherchant à rencontrer des populations pour fonder des réductions. L’objectif était d’examiner la géographie côtière pour fortifier un port qui servirait d’escale aux bateaux espagnols, pour « s’assurer une entrée facile sur ce continent et empêcher que d’autres nations s’y établissent10 ». Cependant, Cardiel pénétra dans ce territoire à la recherche de populations indigènes afin de décrire leurs coutumes. Il portait en lui les images mythiques que les voyageurs précédents avaient élaborées mais, comme il le raconte lui-même, il trouva « un grand tas de pierres qui couvraient un squelette presque pourri, d’une taille ordinaire, et non de la taille gigantesque que Le Maire, l’auteur du voyage de Santiago, attribuait aux habitants de ce pays », rompant ainsi avec la fable sur la grande stature des indigènes.
6À son retour, Cardiel sollicita auprès des autorités de Buenos Aires un nouveau permis pour atteindre par les terres le détroit de Magellan, en voyageant à son compte vers la cordillère des Andes. Son projet ne fut pas accepté, mais un an après on lui demandait de se rendre à la Sierra del Volcán (qui, en mapuche, signifie porte), à soixante-dix lieues au Sud-Est de Buenos Aires, où se trouvaient les réductions des indiens Pampas. Cardiel accepta ce défi à la condition d’obtenir un permis pour arriver au détroit de Magellan par les terres et « reconnaître le pays vaste et inconnu ». Il profita du désir qu’avaient les autorités et la monarchie elle-même de trouver l’El Dorado du sud, la mythique ville des Césars qu’ils voyaient comme un centre de richesses de l’aire méridionale de l’empire en Patagonie. Il était conscient qu’il s’agissait de fables et d’exagérations et il en fit part au gouverneur Ceballos en 1746, mais c’était la seule carte qu’il pouvait jouer afin d’entreprendre sa propre expédition11.
7Cardiel put connaître les coutumes des indigènes grâce aux études linguistiques menées, depuis le XVIIe siècle, par les missionnaires Jésuites12. Il emporta avec lui El Arte y Vocabulario de la langue Aucae, écrit par le père Valdivia, et réalisa des entrevues avec des personnes clefs de la zone frontalière qu’il définit clairement comme une région de contacts et de communication entre indigènes et Espagnols. Il effectua plusieurs entretiens avec les Toelches et vérifia que, vers le Sud de la sierra, habitaient environ vingt peuples ou « nations ». Il dessina même une carte de leur possible situation géographique, toujours avec l’idée de mettre sur pieds une nouvelle expédition d’envergure de retour à Buenos Aires13.
8Les guides et les cartes ont été largement valorisés dans l’Europe moderne, tout comme les instructions sur les chemins à suivre et les récits d’observations et impressions plus particulières et personnelles. Des instructions et des conseils donnés aux possibles lecteurs émergent du récit de voyage, qui offrait aussi des informations sur les caractéristiques locales, les dangers potentiels, les paysages, les systèmes culturels et sociaux14. L’accent que mit Cardiel sur la cartographie était non seulement dû à la nécessité d’établir des frontières et de réduire la connotation d’espace flou qu’avait cette région dans l’imaginaire de l’époque, mais aussi à l’urgence d’établir le contrôle et garantir la connaissance de zones qui paraissaient encore risquées et dangereuses pour les Européens. Bien plus, il était important pour Cardiel de faire en sorte que l’État intervienne en substitution de la population civile espagnole qui n’avait pas toujours de grands égards pour la population autochtone. En effet, cette zone septentrionale des montagnes bonaerenses n’avait jamais fait l’objet d’un relevé cartographique précis. Cardiel réussit à réunir les informations de la bouche des indigènes et étudia une partie de la région de Tandil, de telle sorte qu’il put illustrer son Diario del Viaje y misión al Río del Sauce avec une carte qui constitue le premier document moderne tentant de s’ajuster à la réalité régionale sans trop se référer aux représentations préexistantes du littoral du Rio de la Plata, avec une attention spéciale portée aux éléments hydrographiques du versant atlantique15.
9Afin d’élaborer la carte, Cardiel utilisa ses observations personnelles et imposa une toponymie extraite du catalogue des saints, toponymie qui fut toute éphémère puisqu’elle ne fut pas conservée dans les relevés cartographiques postérieurs. La carte du Jésuite marque, selon Outes, le début de la nouvelle cartographie dont les caractéristiques seraient définitivement fixées à la fin du siècle. La carte dressée par Cardiel suppose la connaissance préalable des données hydrographiques pour le contrôle fluvial. Ses écrits mettent d’ailleurs l’accent sur la recherche d’eau potable afin d’assurer les futurs voyages vers le sud par voie terrestre et non par voie maritime, c’est-à-dire pour organiser des expéditions au-delà des côtes et pour pénétrer sur la terre ferme de façon permanente au moyen d’établissements coloniaux.
10Les Jésuites ont été l’un des groupes les plus intéressés à donner corps à la cartographie pendant cette époque. Ils étaient obligés d’envoyer leurs relevés cartographiques à leurs supérieurs qui exerçaient un sévère contrôle sur les représentations spatiales que les Pères réalisaient. Ces documents servirent également à dessiner les limites de la vice-royauté du Rio de la Plata. Les sciences empiriques, l’observation astronomique, la météorologie, la philosophie expérimentale, l’histoire naturelle et la géographie descriptive favorisèrent la croissance de la production scientifique Jésuite qui commença à partir de 1740, moment qui connaît une sorte de « boom » de publications spécialisées de la Compagnie. Harry a calculé qu’après cette date, chaque Jésuite publia jusqu’à quatorze textes au lieu de trois pendant les décennies précédentes. Le XVIIIe siècle vit la publication de deux fois plus de textes que le XVIIe et sept fois plus que le XVIe. Les missions guaranies donnèrent à leurs religieux la possibilité d’entrer en contact avec de nouvelles sociétés et contribuèrent à un échange suivi d’informations et de contacts, ainsi qu’à la formation de puissants réseaux sociaux que les voyageurs mirent en pratique. Si le XVIIe siècle fut le siècle d’or de la Compagnie, le XVIIIe fut celui de sa consolidation. Entre 1540 et 1700, les études théologiques représentent 40 % de la production totale des Jésuites face à 32 % pour la période suivante, de 1700 à 1800. La littérature scientifique qui, pendant cette première période représentait 6 % des manuscrits, atteignit 13 % durant la suivante. Les Jésuites ont été les artisans de la diversification scientifique du XVIIIe siècle16, et il est significatif que la contribution de Cardiel a coïncidé avec cette croissance exponentielle provoquée par le véritable changement d’intérêts de la Compagnie.
11Cette mutation – ainsi que l’éloignement physique que choisirent les Jésuites en s’établissant dans les missions – a sans doute effrayé la monarchie. Pendant ses voyages, Cardiel parvint à la conclusion que c’étaient les Espagnols eux-mêmes qui gênaient le travail des Jésuites en avertissant les indigènes que l’intention des Pères était de « les rassembler en villages et les asservir ». Cardiel écrivit dans son Journal que « ce sont ceux-là qui nous causent partout de grands dommages et c’est pourquoi nous tentons d’aller vers les indiens les plus éloignés, étrangers à ces certitudes démoniaques dans lesquelles tombent ceux qui communiquent avec les Espagnols17 ». La monarchie avait commencé à voir d’un mauvais œil le grand intérêt de la Compagnie à atteindre les « infidèles éloignés » et lui avait prêté l’intention d’empêcher la divulgation de ses activités. Cardiel, de son côté, écrivit que le contact entre indiens et Espagnols était l’un des grands maux de la colonisation. En traitant des Abipones il souligna les conflits surgis entre la Compagnie, les fonctionnaires et les troupes militaires espagnoles :
J’appris que [les Abipones] désiraient la paix afin de se libérer des continuelles frayeurs dans lesquelles ils vivent et des malheurs qu’ils connaissent lors des incursions et des échauffourées avec les Espagnols car, bien qu’eux-mêmes tuent aussi beaucoup, ces derniers ne cessent de tuer ou de les capturer, de les plonger dans l’angoisse et les inquiéter par des rumeurs, le plus souvent fausses18.
12Peut-être ce voyage le fit-il réfléchir sur le travail que les Jésuites mettaient en œuvre et l’incita à rédiger une Relación de las Misiones del Paraguay (1747), dans laquelle il réfute une à une les critiques faites contre la Compagnie19. Un an après, il se remit en route afin de reconnaître par voie terrestre l’embouchure du Rio de los Sauces. Ce fut la seule expédition de la première moitié du XVIIIe siècle dans la campagne et le littoral de Buenos Aires, et la carte qu’il dessina fut également la première de ces régions. À cette occasion, il effectua une « mission scientifique » avec un personnel minimum, en compagnie d’un étudiant jésuite, mais cet essai échoua encore une fois, en raison de la fuite des indigènes guaranis qui les accompagnaient. Cardiel dut retourner à Buenos Aires où les autorités, au lieu d’insister sur le projet originel, décidèrent de l’envoyer vers une région inhospitalière où il aida à fonder la réduction de San Jerόnimo.
13Comme nous le savons, la Compagnie de Jésus s’implanta au départ dans l’espace colonial avec l’appui de Madrid et du Conseil Royal des Indes en récompense de l’efficacité de leur travail apostolique et de contrôle social. L’évangélisation des indigènes s’appuya sur la valorisation de qualités très particulières : la docilité, l’absence de convoitise et l’obéissance. Les Jésuites (ordre urbain jusqu’alors) s’implantèrent au début du XVIIe siècle dans le haut Paraná et la région du Guairá en qualité de curés et de compagnons20. Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, il y avait plus de trente réductions le long du Río Paraná, dont les premières furent celles de Loreto et de San Ignacio, d’une superficie de plus de cinquante mille kilomètres carrés.
14Au milieu du XVIIIe siècle, Cardiel prit en charge la réduction de San Ignacio Guazú et celle d’Itapúa, et vécut durement la signature du Tratado de lίmites entre l’Espagne et le Portugal qui entraînait l’échange de sept réductions dans la région située entre Tapes et Porto Alegre (sur la frontière orientale du Río Uruguay, avec des estancias et des pâturages pour le bétail) contre la remise par le Portugal à l’Espagne de colonie de Sacramento21. Le traité mena directement à la rébellion des réductions concernées ; quelques Jésuites qualifièrent ce nouveau pacte frontalier d’injuste envers les indigènes car son exécution impliquait le transfert de populations entières et la perte des pâturages dans la sierra du Tape. Cardiel fut l’un des curés qui s’opposa le plus à la mise en place de la nouvelle frontière, il refusa d’appliquer Tordre royal et rédigea une lettre ouverte dans laquelle il déclara la nullité intrinsèque du traité en raison de son atteinte aux principes de la doctrine chrétienne. Cette réaction, suivie par de nombreux autres Jésuites, acheva de décider la monarchie qui pensait depuis longtemps déjà expulser la Compagnie d’Amérique22. Face à cette situation qui menaçait de se transformer en rébellion, les autorités de l’Ordre imposèrent à Cardiel l’obéissance sous peine de pêché, l’obligèrent à accepter sans condition Tordre de ses supérieurs et lui interdirent d’abandonner la réduction d’Itapúa. Le gouvernement décida d’entamer une procédure contre lui en l’accusant de se moquer des préceptes du roi et de contrevenir à ses ordres23.
15En 1754, le gouvernement de Buenos Aires projeta de mettre en pratique de façon définitive le traité au moyen d’une campagne militaire. En parvenant à la réduction de Yepeyú, qui n’était pas concernée par le Tratado de limites, les troupes exigèrent la remise du bétail, et ce fut alors le début de l’une des plus importantes rebellions de cette période, connue sous le nom de Guerra del Guaraní. Selon le récit authentifié par la Compagnie, les religieux refusèrent que quelque 300 indigènes prissent les armes contre les 1 500 Espagnols qui venaient de mettre à sac le village. Les habitants de Yapeyú furent défaits et José Cardiel fut envoyé par le supérieur des missions comme médiateur24, expliquer aux Yapeyuanos les termes du traité et tranquilliser les esprits. Le choix de Cardiel pour occuper ce rôle de médiateur ne fut pas le fruit du hasard : il se fonda sur la reconnaissance de son maniement de la langue tupí-guaraní et des techniques de l’arbitrage.
16Le système qu’il appliqua pour tenter de reconstituer les faits survenus à Yapeyú fut de type inquisitorial. Cardiel eut un entretien avec chacun des guaranis prisonniers qui étaient parvenus à fuir les prisons espagnoles pour revenir à Yapeyú. Grâce à ces recherches systématiques, il apprit que les interrogatoires auxquels les indigènes avaient été soumis avaient inclus des tortures et que l’examen judiciaire les avait obligé à faire une déclaration à l’encontre des Jésuites et à les accuser d’incitation à la rébellion : « Tous convenaient que les Espagnols leur avaient demandé si les Pères les avaient envoyé et que ceux qui le niaient étaient réprimandés avec fureur25. » La méthode inquisitoriale de recherche de la vérité appliquée à un village entier, ainsi que sa propre cohabitation avec les indigènes, lui servirent pour écrire un livre remarquable qu’il intitula De Moribus Guaraniorum et qui constitue l’un des premiers récits ethnographiques dans le sens que nous donnons actuellement à ce mot, puisque des thèmes comme la parenté, la religion, le symbolisme, la langue, les liens politiques, la production économique apparaissent dans ce manuscrit. Traduit en castillan sous le titre de Costumbres de los guaraníes26, le texte tente de d’expliquer pourquoi Yapeyú avait été la région la plus affectée par les rébellions contre le traité : son hypothèse était que ces dernières étaient l’expression des conflits de pouvoir qui affectaient la région depuis le XVIIe siècle.
17Grâce à De Moribus Guaraniorum, nous savons que Yapeyú était composé de 1 700 familles et était l’un des plus grands établissements en comparaison avec d’autres réductions comme Itapúa, Corpus Christi ou Santa Ana27. Yapeyú s’était caractérisé comme un centre important d’élevage et comme fournisseur de viande bovine aux autres missions. Ses entrevues avec les guaranis lui permirent de constater que Buenos Aires avait toujours privilégié les Espagnols plutôt que les indigènes et qu’à présent les représentants de la monarchie prétendaient imposer un modèle « libéralisateur » afin de profiter du fruit du travail des guaranis sans le contrôle exercé par la Compagnie de Jésus. En peu de décennies, critiquait Cardiel, la baisse démographique était déjà une réalité et elle avait affecté les régions du bas Paraná. L’entrée des Espagnols dans les réductions de San Miguel, San Nicolas et San Lorenzo dispersa les familles qui y vivaient, tandis que les Portugais envahissaient la zone occupée par les sept réductions Jésuites que le traité leur accordait. Pendant ces journées, Cardiel relata qu’il n’avait pu réunir que quatre cents familles sur les mille et plus qui vivaient à San Nicolas. Vers 1764, date à laquelle Cardiel rédigea ses Costumbres de los Guaraníes, la région ne comptait plus que cent mille âmes.
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18Pour lors, les voyageurs éclairés et libéraux se montraient réticents vis-à-vis du modèle de production et de cohabitation proposé par les Jésuites, thème qui allait devenir l’un des objets de réflexion récurrents des récits de voyages postérieurs. Félix de Azara – qui vécut en Amérique méridionale pendant vingt ans, entre 1781 et 1801, occupé à des tâches de démarcation –, se montra plus favorable à un modèle de libre concurrence ou bien dirigé par des encomenderos et refusa, non pas tant la Compagnie de Jésus comme l’affirmait George O’Neill, mais plutôt le fait qu’un gouvernement fût coopté par des religieux. Dans sa Descripción General del Paraguay Azara souligna que le gouvernement communautaire des villages était le pire système imaginable : « Il n’y aura jamais de civilisation, sciences ni arts tant qu’existera le gouvernement en communauté, parce que les dispositions physiques et spirituelles ne servent à rien chez ceux qui y vivent, puisqu’un excellent peintre et un vacher doivent manger et se vêtir de la même façon28. » Il est certain que, lorsqu’il élabora son fameux tableau démographique des partidos et villages de la province de Paraguay en 1785, dans les anciennes missions où vivaient auparavant des centaines de milliers d’indigènes, il n’y avait plus alors que quelques indiens, femmes et hommes, presque tous mitayos29.
19Les désaccords majeurs entre Azara et les Jésuites étaient dus cependant à la mauvaise opinion qu’il avait de leurs pratiques juridictionnelles. À propos des indiens Guaná, il affirma que, chez eux, « il n’y avait aucune loi. Les procès se décidaient entre les parties ». Formé pendant l’époque des Lumières et favorable à un système de droit positif, Azara ne pouvait comprendre le droit indigène et moins encore celui que pratiquaient les Jésuites. Ces derniers se fondaient sur un modèle alternatif basé sur des arbitrages menés par des médiateurs, des juges qui recherchaient la concorde et la composition amicale entre les parties, et diminuaient l’importance du juge législateur. Cardiel fut particulièrement conscient de l’importance de l’intervention des Jésuites comme « médiateurs » et décrivit la façon dont ils résolvaient les cas concrets :
Lorsqu’ont lieu des procès, comme cela arrive parfois, surtout à propos des limites des terres communes, les indiens ne pensent pas à recourir comme les Espagnols à l’Audience de Charcas, qui se trouve à huit cents lieues, mais choisissent les pères comme arbitres ou médiateurs et leur sentence règle la question. Il y en a trois dans le Paraná pour les procès en Uruguay ; et trois en Uruguay pour les procès du Paraná ; ne peut pas juger un procès, celui qui auparavant a été le curé du plaignant. Si le procès a lieu entre un village de l’Uruguay et un autre du Paraná, on nomme un arbitre de l’Uruguay et un autre du Paraná, et le troisième est le supérieur des Missions. Les indiens défendent leur droit par écrit, et le curé soutient par écrit le droit de ses paroissiens. Les écrits sont présentés aux juges et ceux-ci les comparent entre eux et mettent fin au procès sans dépenses de la part de ces misérables30.
20Ceci ne signifie pas que la Compagnie laissait de côté l’espace juridictionnel « officiel » pour se lancer dans un autre qui lui serait propre ; son intérêt pour le contrôle des propriétés ou des ressources la conduisit en de nombreuses occasions à soutenir des procès importants avec l’élite31. Mais ce qui est certain, c’est qu’en distinguant nettement les deux modèles juridiques, les Jésuites et particulièrement Cardiel, ont différencié le rôle juridique de l’arbitre (fondé sur l’équité et la direction) de celui que l’on attribuait au Roi ou aux autorités civiles, et qu’un Azara valorisait en raison de sa positivité et de sa concordance avec la formation de l’État centralisé et absolu. Ce rôle de médiateur joué par les Jésuites semble avoir été une constante dans l’histoire de l’Ordre, tant dans la sphère privée que dans l’espace public. À travers l’analyse d’une quarantaine de lettres envoyées par les Jésuites espagnols à Rome en 1561, Bernard Vincent démontre que l’un des domaines les plus importants de leur intervention fut la « pacification » des parties en conflit au moyen de la limitation des effets de la violence et de la canalisation des pulsions agressives. Il a également étudié la pratique développée par la Compagnie en termes d’intercession et de réconciliation entre parents, ainsi que l’usage de la confession comme dispositif de prévention des conflits sociaux. À propos du domaine public, Vincent décrit comment les Jésuites contrôlèrent les rivalités entre différentes factions urbaines et les bandes de jeunes32. La médiation assurée par les religieux et en particulier par les Jésuites ainsi que par les parents et les notables locaux, signifia la création d’une « infrajustice » recherchant l’entente des parties grâce à l’intervention d’« hommes bons » ou de juges arbitres. Vincent signale qu’un sens particulier de la « civilisation » guidait l’Ordre, cherchant à atteindre la modération des pulsions et de l’affectivité, deux des principes de base de la construction de la civilité à l’époque33.
21L’image de « communisme » qu’un corpus littéraire varié s’est chargé de diffuser par la suite, accusant les Jésuites de construire un empire dans l’empire et d’empêcher le développement individuel, s’est en grande partie fondé sur la doxa de l’époque. Truyol y Serra, pour citer un exemple, a écrit que la Compagnie de Jésus adopta la forme du collectivisme agraire paternaliste sous la tutelle des missionnaires34. Dans El Imperio Jesuítico, Lugones concluait que les principes de base des Jésuites étaient le communisme (tout le monde recevant de chaque chose et la pauvreté étant redistribuée), la renonciation à sa propre personnalité et la reconnaissance de l’autorité absolue de l’Ordre, l’ensemble de ces qualités étant nouvelles pour la civilisation moderne fondée sur la spéculation et l’individualisme. Selon ce lettré argentin, l’indien de la réduction ne pouvait mener qu’à un « type régressif » propre à la théocratie. C’est pourquoi l’expulsion fut considérée par la suite comme favorable à la révolution « individualiste et fédérale » qui mit fin au modèle médiéval. Le livre de Lugones devait être un mémoire commandé par le gouvernement argentin en 1903 ; il est en réalité un récit de voyage dans les missions disparues, contrepoint essentiel à l’œuvre de Cardiel35.
22François-Amédée Frézier, un autre voyageur du début du XVIIIe siècle, critiqua l’isolement dans lequel les réduction s’étaient maintenues. Le système de réduction inaugura un nouveau genre d’organisation de l’espace, une troisième voie entre l’encomienda et la forme de vie menée par les indigènes avant la colonisation36. Woodbine Parish, qui arriva à Buenos Aires en tant que chargé de négoces de Grande Bretagne, écrivit dans son mémoire de 1838 intitulé Buenos Aires y las Provincias del Río de la Plata, que les doctrines Jésuites avaient été un « Imperium in Imperio » qui avaient suscité la jalousie des monarques. Mais tous les auteurs ne convergèrent pas vers cette représentation péjorative de l’expérience jésuite. Le naturaliste Alcide d’Orbigny, envoyé en Argentine par le Muséum français, souligna par exemple dans son Voyage dans l’Amérique du Sud, qu’au-delà des critiques qui pouvaient être adressées à cette expérience, les missions avaient été bénéfiques. Il écrivit que, s’il était certain que les indigènes n’avaient pas joui de la liberté en raison de la tutelle exercée par les religieux, « ce système leur convenait mieux que celui qui le remplaça avec les administrateurs ». D’Orbigny, influencé par ses études ethnographiques et d’histoire naturelle et par les visites qu’il fit dans les missions de Mojo et Chiquitos, parvint à cette conclusion peu après les guerres d’indépendance37.
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23En 1763, Cardiel fut envoyé comme curé dans le village de Concepción où il demeura jusqu’en 1768. C’étaient les dernières années des Jésuites au Paraguay avant leur expulsion des missions. L’arrestation de Cardiel eut lieu alors qu’il était âgé de plus de soixante ans. Ne pouvant résider en Espagne, territoire également interdit aux Jésuites, il partit pour l’Italie où, encouragé par son ancien professeur Pedro Calatayud, il rédigea l’une de ses plus importantes œuvres à caractère ethnographique : la Breve relación de las Misiones del Paraguay38. Ce manuscrit est le meilleur outil dont nous disposons pour connaître la vie dans les missions et pour comprendre les problèmes centraux liés à la parenté, l’habitat, la production agricole, la fête, le symbolisme, les conflits religieux ainsi que la perception de Cardiel en tant que membre de la Compagnie de Jésus. Mais le plus important est de montrer que son fil directeur réside dans le débat sur la valeur de la « juridiction », concept chargé de sens dans le travail des Jésuites. Vivre en « villages » signifiait pour Cardiel, vivre en accord avec les lois et la justice, c’est-à-dire dans un cadre culturel, rationnel, non barbare39, et ces idées justifièrent l’existence des missions. Ses critiques à l’encontre du Tratado de límites permettent de saisir le sentiment d’hégémonie qu’avaient les membres de la Compagnie de Jésus dans les missions. Pourtant Cardiel ne défendit pas un modèle socio-politique alternatif, mais posa des principes ethnographiques essentiels sur les liens instaurés entre les indigènes et la société civile péninsulaire installée en Amérique, et les liens qui devaient les unir aux missionnaires et fonctionnaires espagnols.
24La tâche de Cardiel peut être considérée comme l’anticipation d’une nouvelle démarche, l’anthropologie, qui allait se différencier légèrement à la fin du XVIIIe siècle dans le champs des connaissances. Le Jésuite a pressenti l’intérêt d’une approche, qui se développera au siècle suivant, et qui avait recours à l’expérience pour parvenir à la connaissance du social. Il aborda des thématiques anthropologiques et le fit en faisant appel à ce qui deviendra un concept central dans cette discipline, celui de mores, qui se basait sur le postulat d’un Droit naturel prioritaire face au droit positif. Pour Cardiel, la régénération péninsulaire devait être accompagnée de la survie des Guaranis dans le meilleur système socio-économique mis à leur service, celui des missions. Justice et équité sont des concepts qui apparaissent dans ses œuvres, conjointement à l’idée d’égalité de traitement pour les indigènes, tout en reconnaissant qu’il convient parfois de recourir à un traitement préférentiel des individus afin de compenser leur inégalité originelle40.
25La découverte qu’il fit de la légalité « phénoménique », conçue en opposition à l’idéal d’une justice naturelle, a une place centrale dans son œuvre. Cardiel met en question la légitimité des lois formulées dans des contextes historiques et politiques particuliers et place au premier plan l’invariabilité d’un ordre basé sur l’affirmation des droits indigènes traditionnels et collectifs. S’il est vrai qu’il écrivit sur la justice de la conquête faite dans les terres inhabitées, et si « celles-ci, selon le droit, sont primo ocupantis, au premier qui les occupe », il s’opposa aussi aux idéaux monarchiques en affirmant que le Roi n’avait pas le droit de disposer librement et à son gré des terres qui accueillaient les missions, et cela pour une raison fondamentale : ces terres appartenaient aux guaranis a natura, « et les lois royales ordonnent qu’elles ne soient pas confisquées aux indiens qui se convertissent ». Cet outillage idéologique et juridique qui accompagne Cardiel contraste clairement avec l’hégémonie croissante qu’allait avoir le droit positif à partir de la fin du XVIIIe siècle dans le cadre de la formation des États souverains41.
26L’État absolutiste se caractérisa donc comme une construction centralisée et militarisée qui maintint son pouvoir à travers le principe de sa souveraineté absolue, au-dessus des pouvoirs seigneuriaux. Il s’agit d’une nouvelle structure politique, d’une nouvelle administration, d’une autre manière d’exercer le pouvoir. Ce contexte historique et idéologique fut la condition et la préface du développement du positivisme juridique, pour lequel la totalité du droit se réduit au droit positif dans le cadre réglementé par l’autorité compétente et légitime, qui sera la base de la modernité. Cardiel lutta contre ce modèle en opposant au droit légal/historique un concept de justice plus universel. Le raisonnement naturaliste a contribué à la remise en cause de l’absolutisme42. À l’exemple des autres Jésuites, Cardiel ne discuta pas la légitimité de l’absolutisme et des droits du monarque à légiférer, mais cependant, il souscrivit aux postulats du droit naturel en exigeant un autre droit comme fondement des critères de justice.
27Nous trouvons d’autres éléments d’innovation dans les écrits de Cardiel. En premier lieu, sa critique des mythes qui encouragèrent la couronne à assumer certains projets fondés sur les théories mercantilistes, et qui ne concevaient l’Amérique que comme une source inépuisable de revenus pour l’Espagne. Cardiel profita de ces mythes pour faire accepter ses voyages par les autorités de Buenos Aires, mais il tenta de sortir des dogmes scolastiques et des affirmations erronées43. En second lieu, il présenta les coutumes indigènes, en commençant par leur langue, comme un corpus culturel digne de respect, alors que les adversaires de la Compagnie de Jésus soutenaient que la survivance de la différence linguistique menaçait la souveraineté de l’État. La position des Jésuites offrait un contraste même avec celle de voyageurs réputés, tel Antonio de Ulloa, qui informèrent la Monarchie de l’importance de garantir l’existence d’une langue unique, face aux particularismes linguistiques indigènes. Ulloa écrivit ainsi :
Mon intention n’est pas de convaincre que la langue castillane a en elle-même la vertu d’améliorer la compréhension des indiens, mais simplement, véhicule d’un commerce rationnel avec les Espagnols, elle les rendrait capables de beaucoup de choses, tout en contribuant à les tirer de leur ignorance... Mais s’ils possédaient la langue castillane... ils apprendraient peu à peu et seraient finalement moins grossiers et rustiques que ce qu’ils sont à présent, capables chaque jour d’avancer un nouveau pas et gagner en cela la considération de ceux qui sont pour l’heure bien loin de la leur accorder44.
28En troisième lieu se trouve sa lutte pour mettre un frein à l’exploitation des Guaranis par les troupes et les citoyens « émérites », attitude que beaucoup interprétèrent comme opposée à la couronne. Cardiel dirigea une partie de ses critiques contre la Brevíssima relación de la destrucciôn de las Indias rédigée Bartolomé de Las Casas au milieu du XVIe siècle – et qui avait alors été traduite dans la plupart des langues latines, acquérant une diffusion inédite – ce qui n’empêcha pas ses écrits d’être une véritable revendication du besoin de protéger la population native. La défense des indigènes contribua à diffuser l’idée du « bon sauvage » qui allait devenir centrale au cours des siècles suivants45.
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29Tout en reconnaissant ces limites, il faut signaler qu’avec Cardiel le regard d’abord dirigé vers la nature et l’environnement passe à un autre niveau, de type ethnographique, pour lequel prime l’analyse de la réalité sociale à travers les voyages et l’emploi de la méthode inquisitoriale, en lien avec l’inquisitio comme forme de vérification de la vérité propre à l’époque moderne, méthode de base des « relations historiques et anthropologiques de voyages46 ». Cardiel ne fit pas qu’écrire, il participa activement à un apport culturel collectif, témoins ses voyages, marqués par le dialogue et la consultation permanente avec d’autres scientifiques. L’analyse de ses contributions à l’ensemble des expériences jésuites est liée à l’importance qu’a eu la Compagnie dans l’histoire civile et politique des pays qui succédèrent à l’ancienne juridiction de la vice royauté. Comme nous le savons, Buenos Aires s’est séparée de la métropole entre 1810 et 1816, en promouvant le mouvement révolutionnaire en mai 1810 et en obtenant formellement l’indépendance six ans plus tard. Il est significatif que les antécédents de la restauration de la Compagnie de Jésus dans le Río de la Plata datent également de 1810, c’est-à-dire peu de mois après le processus qu’on a appelé « renversement de la souveraineté » dans les terres américaines. Une des premières demandes des députés américains au Cortes extraordinaires de Cadix, le 16 décembre 1810, fut le rétablissement de la Compagnie de Jésus pour la « culture des sciences et le progrès des missions auprès des infidèles ». En Argentine, Ambrosio Funes fut le premier à faire la même demande depuis le Cabildo de Cordoba à la Junte gouvernementale réunie à Buenos Aires et son argument fut similaire : l’expulsion des Jésuites, survenue sans motif réel, quarante ans auparavant, était perçue alors comme « l’origine ou la cause primordiale de l’entière annihilation de l’Espagne. Depuis cette époque malheureuse, désastres et malheurs se sont enchaînés47 ». Juste après le début du mouvement révolutionnaire, la réinstallation des Jésuites fut valorisée en termes d’« utilité » pour l’éducation de la population civile.
30En 1815, le roi Ferdinand VII donna l’ordre de rétablir les Jésuites en Amérique, mais cette mesure ne fut pas mise à exécution en raison des convulsions des guerres d’indépendance et de la non-reconnaissance de l’autorité du Roi en Amérique. Ce processus, cependant, était déjà en marche dans les projets locaux et fut clairement mis en pratique avec Juan Manuel de Rosas qui décida de les faire venir pendant son premier gouvernement (1829-1832), mais le ministre des Affaires Étrangères, Tomás Guido, reçut une réponse négative des Jésuites qui se trouvaient en France. Les exécutions réalisées en juillet 1834 et la nouvelle loi d’expulsion de la péninsule votée en 1835 obligèrent les Jésuites à quitter l’Espagne et à s’installer de nouveau dans le Río de la Plata, en commençant par Buenos Aires. Ils aidèrent alors Rosas pendant son second gouvernement (1835-1852), à promouvoir ses idéaux face à ceux de l’Association de Mai et la jeune génération de 1837, en particulier contre Echeverría y Alberdi48. Mais malgré cet appui, les Jésuites furent à nouveau expulsés en 1843.
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31Lévi-Strauss écrivit à propos de l’un de ses voyages en Martinique : « Pour tout patrimoine j’emportais une malle avec les documents de mes expéditions : fichiers linguistiques et technologiques, un journal de route, des notes prises sur le terrain, des cartes, des plans et des négatifs photographiques : des milliers de feuilles, fiches et clichés. » Dans le regard de Lévi-Strauss, le voyage réussit à nous mettre en face des plus tristes formes de notre existence historique parce qu’il nous montre la diversité éliminée peu à peu par l’ordre et l’harmonie occidentale. C’est là que nous comprenons « la passion, la folie, la tromperie des récits de voyage », en donnant l’illusion de ce qui a existé et qui a été perdu. « L’humanité s’installe dans la monoculture, se dispose à produire la civilisation en masse, comme la betterave49. » Peut-être en raison de cette nécessité de récupérer l’éphémère et l’illusoire, les récits de voyages constituent au jour d’aujourd’hui l’un des recours documentaires les plus importants pour découvrir l’histoire passée. Cardiel écrivit ses meilleures œuvres en exil et il le fit en sachant que ses descriptions étaient le récit de temps révolus, vestiges d’une culture et de coutumes disparues qu’il avait lui-même contribué à faire périr. Leopoldo Lugones fut peut-être celui qui put interpréter cette supercherie lorsqu’il écrivit que l’effet catastrophique de l’expulsion devait être jugé à partir des visites « touristiques » dans les ruines des anciennes missions de San Carlos, Los Apóstoles et San Ignacio. Comme écrit Lugones :
Enfermé dans (la forêt), le voyageur arrive, en s’ouvrant un passage à la machette, jusqu’à un ancien mur ou un poteau isolé, qui ne lui indiquent rien... Des réductions argentines, si maltraitées par la guerre, c’est à peine s’il reste autre chose que des murs, et comme vestige ornemental le portique de San Ignacio, popularisé par la photographie et par les descriptions de plusieurs voyageurs50.
32À présent, peut-être pouvons-nous penser, comme le fit Lévi-Strauss, qu’un voyage peut se convertir en « une exploration des déserts de la mémoire » plus qu’en la découverte de ce qui nous entoure51. Il est vrai que nombre de notes de voyages sont en train de se convertir en un important champ de recherche pour un grand éventail de disciplines qui examinent le sens de ces vestiges du passé, j’ai nommé la géographie, l’histoire sociale, l’anthropologie et la littérature. Conclure que les voyages constituent des pratiques culturelles et sociales originales peut nous donner une piste pour mettre l’accent sur ce qu’ont de significatives ces expériences dans le champ des relations humaines.
Notes de bas de page
2 Paragraphe cité de Clifford James, « Sobre la autoridad etnográfica », Geertz Clifford, Clifford James y otros, El surgimiento de la Antropologίa Posmoderna, Carlos Reynoso (comp.), Barcelona, Gedisa, 1992, p. 145.
3 Ibid., p. 146 ; George Marcus et Dick Cushman, « Las etnografías como textos », Geertz Clifford, Clifford James y otros, El surgimiento..., op. cit., p. 171-213. Voir aussi Clifford James, Itinerarios transculturales, Barcelona, Gedisa, 1999, p. 86-88. 1re éd. 1997.
4 Françoise Zonabend, « De la famille. Regard ethnologique sur la parenté et la famille », dans André Burguière ; Christiane Klapisch-Zuber ; Martine Segalen ; Françoise Zonabend (dir.) Histoire de la famille, t. 1, « Mondes lointains, Mondes anciens », Paris, Armand Colin, 1986, p. 15-75.
5 Claude Lévi-Strauss (1988), Tristes Trópicos, Barcelona, Paidós Ibérica, 1re éd. en 1955, p. 191, 194, 220, 228, 230, 234.
6 Francisco De Solano, « Viajes, comisiones y expediciones científicas españolas a Ultramar durante el siglo XVIII », Cuadernos Hispanoamericanos, Carlos 111 y América, no 2, p. 147 et 152 ; Daniel Roche, « Viajes », Ferrone Vicenzo y Daniel Roche (eds.) Diccionario Histórico de la Ilustración, Madrid, Alianza, 1997, p. 287-289 ; Alejandro Malaspina, En busca del paso del Pacífico, edición de Andrés Galera Gómez, Madrid, Historia 16, 1990, Crónicas de América no 59. Cette dernière expédition se déroula entre 1789 y 1794.
7 Maxime Haubert, La Vie quotidienne au Paraguay sous les Jésuites, Paris, Hachette, 1967. Silvio Palacios, Ena Zoffoli, Gloria y tragedia de las misiones guaraníes. Historia de las Reducciones Jesuίticas durante los siglos XVII y XVIII en el Rίo de la Plata, Bilbao, Ediciones Mensajero, 1991.
8 Héctor Sáinz Ollero, « Introducción », en José Cardiel (1771) Las misiones del Paraguay, Madrid, Historia 16,1989, Crónicas de América no 49, p. 7-36.
9 « Yo soy un eclesiástico que de edad de 25 años pasó de España a la América el año 1729. He habitado en los paίses del Paraguay, Buenos Aires, Tucumán, Magallanes y Patagones por el largo espacio de 40 años, casi siempre en continuos viajes, con varios cargos eclesiásticos y algunos politicos del público, y en tantos años he caminado muchos millares de leguas. He leído con atenciόn en diversos tiempos todas las citadas historias y tratados. He experimentado mucho de lo que ellas dicen. He visto casi todo aquello de que ellas tratan, y otras muchas cosas de que no hablan, con que tengo más obligación que otro alguno, o mayor ocasión, de poder decir la verdad de lo acaecido en aquellas partes especialmente en este siglo, y de explicar y declarar qué cosa sean aquellos paίses, territorios y provincias », José Cardiel, Compendio de la Historia del Paraguay sacada de todos los escritos que de ella tratan y de la experiencia del autor en 40 años que habitó en aquellas partes, [1780], editado por la Fundación para la educación, la ciencia y la cultura con un Estudio preliminar de José M. Mariluz Urquijo, Buenos Aires, 1984, p. 39.
10 Pedro F.J. Charlevoix, Historia del Paraguay, Correcciones y anotaciones del Padre Domingo Muriel, Traducción de Pablo Hernández, Compañía de Jésứs, Madrid, Librería General de Victoriano Suárez, 1916, t. 6, p. 97. Pablo Hernández, El extrañamiento de los jesuitas del Rίo de la Plata y de las misiones del Paraguay, Decreto de Carlos III, Madrid, Libreria General de Victoriano Suarez, 1908.
11 « Carta al gobierno de Buenos Aires sobre el descubrimiento de tierras patagónicas en lo que toca a la ciudad de los Césares », en Colección de obras y documentas relativos a la historia antigua y moderna de las provincias del Rίo de la Plata, aportaciόn de P. de Angelis, Buenos Aires, 1836, t. 1, no 5.
12 Sur l’usage des recherches linguistiques par les missionnaires jésuites pendant le XIXe siècle, voir Zeballos Estanislao, La Conquista de quince mil leguas. Estudios sobre la traslaciόn de la frontera sur de la República al Rio Negro, dedicado a los gefes y oficiales del Ejército Expedicionario, Buenos Aires, 1878, 2e. Edicion, p. 413.
13 José Cardiel, Las misiones del..., op. cit. Cardiel entendait par « nation » un village d’une même langue, josé Cardiel, Compendio... op. cit., p. 45.
14 Antoni Maczak, Viaje s y viajeros en la Europa Moderna, Barcelone, Omega, 1996, p. 39/41, 1re éd. 1979, Varsovie.
15 C’est, de plus, la première carte de cette zone. En 1801, Andrés de Oyarbide copia cette carte faite par Cardiel et les originaux passèrent dans les archives privées de Pedro de Angelis. Cité in Outes Félix « El Itinerario del Rev. Padre José Cardiel y las cartas que se le refieren », dans Guillermo Furlong Cardiff, « El Reverendo Padre José Cardiel, 1704-1781 », Diario de viaje y misiόn al Rίo de Sauce (1748), Estudio biográfico, literario y cartográfico por Guillermo Furlong Cardiff ; Introducción y análisis crítico del itinerario y cartas por Félix Outes, Buenos Aires, Casa E. Coni, 1930, p. 113-240.
16 Horacio Capel, « Geografía y cartografía », en Manuel Sellés ; José Luis Peset y Antonio Lafuente, Carlos III y la ciencia de la Ilustración, Madrid, Alianza, 1988, p. 99-125. Harry Steven, Jesuit Ideology and Jesuit Science. Scientific Activity in the Society of Jesus, 1550-1773, Madison, Phd, University of Wisconsin, 1988, p. 299.
17 « Estos son los que nos hacen grandίsimo daño en todas partes y esta es la causa porque procuramos ir a los indios más distantes, ajenos de estas endemoniadas persuaciones en que están los que comunican con españoles ».
18 « Conocί que (los abipones) deseaban la paz para librarse de los continuos sustos en que viven y de las desgracias que experimentan en las entradas y refriegas de los españoles, pues aunque ellos matan mucho, no dejan éstos de matar y cautivar a no pocos, y de tenerlos en continuo zozobro y movimiento por las voces, aunque las más veces falsas », Guillermo Furlong Cardiff, « El Reverendo... », op. cit., p. 29 et 57.
19 José Cardiel, Carta y Relación de las Misiones del Paraguay, dirigida al Padre Pedro Calatayud, 20 de diciembre de 1747, Buenos Aires. Ce texte fut trouvé dans l’Archivo del Colegio S.I. de San Estanislao à Málaga, et fut publié par Guillermo Furlong en 1953.
20 L’histoire de cette Compagnie dans la région du Paraguay et de l’Argentine actuels a été rédigée tout d’abord par le Père Pedro Francisco Javier de Charlevoix dont le récit va jusqu’en 1747. Charlevoix écrivit cette œuvre après avoir entrepris des tâches similaires liées à l’histoire de la Compagnie au Canada et au Japon. Pour cela, il puisa dans les Memorias originelles des Pères du Paraguay. Cette œuvre fut lue par le Père Domingo Muriel, qui fut Visiteur de la Province du Paraguay dans les dernières années de la Compagnie et qui vécut l’expulsion. Muriel reprit la tâche de Charlevoix et continua le récit de l’histoire jusqu’en 1766. Les Jésuites Pablo Hernandez y Rafael Pérez furent les artisans de la reconstruction historique postérieure : P. Hernández a analysé quelques thèmes politiques et R. Pérez a reconstruit l’histoire de la Compagnie après sa restauration en Argentine en 1836. Pablo Hernandez, Organization social de las doctrinas guaranies de la Compañίa de Jesús, Barcelona, Gustavo Gili, 1913, t. 1.
21 Les réductions en question étaient San Nicolás (4 453 indigènes), San Luis (3 653), San Lorenzo (1 853), San Miguel (6 954), San Juan (3 650), Santo Angel (5 186), San Borja (3 550). Lucena Giraldo Manuel « Ciencia para la frontera : las expediciones españolas de limites, 1751-1804 », en Cuadernos Hispanoamericanos, Carlos III y América, no 2, p. 157-173.
22 Ce fut peut-être l’expérience dirigée par J. Cardiel qui séduisit Roland Joffé pour filmer Mission, film sur le Paraguay de 1750 dans lequel est évoqué l’empire colonial perdu et l’utopie paraguayenne. Gilles Bernard « The Mission : la déraison des plus forts », in Jean-Paul Duviols et Annie Molinié-Bertrand, La Violence en Espagne et en Amérique (XVe-XIXe siècles) Actes du colloque international Les Raisons des plus forts, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne 1997, p. 367-369.
23 Lettre du supérieur Nusdorffer reproduite dans Guillermo Furlong Cardiff, « El Reverendo... », op. cit., p. 45-46.
24 José M. Mariluz Urquijo (1984), « Estudio preliminar », José Cardiel, Compendio, op. cit., p. 15.
25 « Todos convenίan en que los españoles les habίan preguntado si los habían enviado los Padres y que, a los que negaban, les reprendían con enojo. » « Recurso de los jesuitas de Paraguay al Tribunal de la verdad e inocencia en la causa de la ejecución y resultados del Tratado de limites entre España y Portugal », Muriel Domingo, Historia del Paraguay desde 1747 a 1767, obra latina, traducida al castellano por Pablo Hernandez, Madrid, Librerίa General de Victoriano Suarez, 1918, p. 37 y 328.
26 En adoptant la catégorie moribus, J. Cardiel précéda un autre jésuite, José Manuel Peramás, qui, en 1793, rédigea « De vita et moribus tredecim virorum paraguaycorum », en Truyol Y Serra Antonio, Historia de la Filosofίa del Derecho y del Estado, vol. 2, Del Renacimiento a Kant, Madrid, Alianza, 1975, p. 74.
27 Les trente et une réductions étaient situées dans l’évêché du Paraguay (San Ignacio, Cuzú, Loreto, San Ignacio, Mini, Itapúa, Corpus Christie, Candelaria, Santa Rosa, Santos Cosme, Damián, Nuestra Señora de La F, Santiago el mayor, El Jésus, Santίsima Trinidad, San Joaquín) et dans l’évêché de Buenos Aires (Concepcion, Santa María, Yapeyú, San Nicolás, San Javier, La Cruz, San Carlos, San Miguel, Santo Tomé, Santos Apostoles, San José, Los Mártires, San Luis Gonzaga, San Borja, San Lorenzo, San Juan Bautista y Santo Angel), c’est à dire qu’il existait dans la marge occidentale du Paraní huit réductions, sept sur la frontière orientale de l’Uruguay et quinze entre les deux fleuves. Pablo Hernandez, Organization social de..., op. cit., t. 1.
28 « Jamás habrá civilización, ciencias, ni artes mientras exista el gobierno de comunidad, porque de nada sirven las disposiciones físicas ni espirituales en los que viven en ella respecta a que lo mismo ha de comer y vestir un pintor excelente que el pastor de las vacas. » Félix de Azara, Descripciôn General del Paraguay, Andrés Calera Gômez ed., Madrid, Alianza 1990, p.
29 Ibid., p. 150 ; 118-119 ; 128 ; 174-175. George O’Neill, Golden Years on the Paraguay. A History of the Jesuit missions from 1600 to 1767, Londres, Burns Oates & Washbourne, 1934, p. V.
30 « Cuando ocurren pleitos, como a veces sucede, sobre todo acerca de los límites de los campos comunes, los indios no piensan en recurrir como los españoles a la Audiencia de Charcas, que dista ochocientas leguas, sino que eligen a los padres por arbitras o arbitradores, con cuya sentencia se dirima la cuestión. Hay tres nombrados en el Paraná para los pleitos en el Uruguay ; y tres en el Uruguay para pleitos del Paraná ; ni puede juzgar pleito quien antes haya sido cura del litigante. Si el pleito es entre un pueblo del Uruguay y otro del Paraná, se toma un árbitra del Uruguay y otro del Paraná, y el tercero es el superior de las Misiones. Los indios apoyan su derecho por escrito, y por escrito apoya el derecho de sus feligreces el cura. Preséntanse los escritos a los jueces, y éstos los comparan entre sί, y ponen fin al pleito sin gastos de estos miserables », José Cardiel, « Costumbres de los guaranίes », en Muriel, Domingo, Historia... op. cit., p. 544.
31 María del Rosario Baravalle, Peñalba Nora y Barriera Darío, La compañía de Jésús y los vecinos de Santa Fe. Relaciones Sociales y Frontera (siglo XVII), ronéotypé, 1999.
32 Bernard Vincent (1997), « Hacer las paces. Les Jésuites et la violence dans l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles », Jean-Paul Duviols et Annie Molinié-bertrand, La Violence en Espagne et en Amérique (XVe-XIXe siècles) Actes du colloque international Les Raisons des plus forts, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris, p. 189-196.
33 Norbert Elías, El proceso de la civilización. Investigations sociogenéticas y psicogenéticas, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1989, 1re éd. 1977 ; Bazán Díaz Iñaki, Delincuencia y criminalidad en el País Vasco en la transición de la Edad Media a la Moderna, Bilbao, Departamento del Interior del Gobierno del País Vasco, 1995, p. 74 et 77.
34 Antonio Truyol y Serra, Historia..., op. cit., p. 74.
35 Leopoldo Lugones, El Imperio jesuítico, Hyspamérica, 2e éd. 1988. La première édition parut en 1904, publiée sous le titre El Imperio Jesuítico, Ensayo Histórico, Compañía Sudamericana de Billetes de Banco, et incluait des photographies d’Horacio Quiroga. Le rapport faisait partie d’un projet de l’État auquel participa aussi Bialet i Massé avec Informe sobre el estado de la clase obrera en el interior de la República. Dalla Corte Gabriela, « El saber del Derecho : Joan Bialet i Massé », Gabriela Fernandez Sandra y Dalla Corte (coord.) Sobre viajeros, intelectuales y empresarios catalanes en Argentina, Tarragona, Red Temática Medamérica, Universitat de Barcelona, 1998, p. 37-116.
36 Amadeo Frézier, Relation du voyage de la mer du Sud aux Côtes du Chili et du Pérou, Amsterdam, 1716. Voir hernández Pablo, Organizacíon..., op. cit., t. 2. Sainz Ollero Héctor et. alt., José Sanchez Labrador y los naturalistas jesuitas del Río de la Plata. La aportación de los misioneros jesuitas al siglo XVIII a los estudios medioambientales en el Virreinato del Río de la Plata a través de la obra de José Sanchez Labrador, Madrid, 1989.
37 Pablo Hernández, Organización..., op. cit., p. 504.
38 Calatayud utilisa ce texte pour élaborer son « Tratado sobre la Provincia de la Compañía de Jesús en Paraguay », José Cardiel, Breve relación de las Misiones del Paraguay, 1771. Le manuscrit de J. Cardiel a été édité pour la première fois dans Pablo Hernandez, Organización..., op. cit., p. 514-614. Il a ensuite été publié sous le titre Las misiones...op. cit. C’est cette version qui est utilisée ici.
39 José Cardiel, Compendio... op. cit., p. 49.
40 Jon Elster, Justicia local. De qué modo las instituciones distribuyen bienes escasos y cargos necesarias, Barcelona, Gedisa, 1994, p. 219. 1re éd. en 1992, Russell Sage Foundation.
41 José Cardiel, Compendio..., op. cit., p. 51 ; Las misiones..., op. cit., p. 76. Norberto Bobbio, El positivismo jurídico. Lecciones de filosofía del Derecho, Madrid, Debate, 1993, p. 35-42. Voir aussi H.G. Koenigsberger, « Dominium Regale o Dominium Politicum et regale. Monarquías y parlamentos en la Europa moderna », en Revista de las Cortes Generales, Madrid, no 3, 1984 ; José Antonio Maravall, Estado Moderno y Mentalidad Social, siglos XV a XVII, Madrid, Alianza, 1986, 1re éd. 1972 ; Giovanni Tarello « Ideologías del siglo XVII sobre la codificación y estructura de los códigos », en Cultura jurídica y política del Derecho, México, Fondo de Cultura Económica, s/ d p. 39-56.
42 Nicolas Henshall, The Myth of Absolutism : Change and Continuity in Early Modern European Monarchy, London, Longman Group, 1992. Caroni Pío, Lecciones catalanas sobre la Historia de la Codificaciôn, Madrid, Marcial Pons, 1996, p. 33.
43 À propos de ces mythes, on peut se reporter à Pedro Fernández De Cevallos, La ruta de la canela americana, [1795], Edición a cargo de Marcelo Frias y Andrés Galera, Madrid, Historia 16,1992, Crónicas de America no 59 a.
44 « No es mi ánimo persuadir que la lengua castellana tenga por sí la virtud de mejorar de entendimiento á los indios, sí solo que logrando por su medio el comercio racional con los españoles, este los volvería capaces de muchas cosas, contribuyendo á sacarlos de la ignorancia... Pero si posseyeran la lengua castellana... irían poco á poco aprendiendo y al fin serían menos torpes y rústicos que lo que al presente son, pudiendo cada día adelantar alguna cosa nueva y para en ella la consideración de lo que están ahora muy distantes », Antonio De Ulloa, Viaje a la América meridional, Edición de Andrés Saumell, Madrid, Historia 16,1990, Crónicas de América no 59a, p. 521.
45 Jaime Brufau Prats, Hombre, vida social y Derecho, Madrid, Tecnos, 2e éd, 1987, p. 49. Truyol y Serra Antonio, Historia..., op. cit., p. 54-66 et 74.
46 Michel Foucault, « Curso del 14 de enero de 1976 », Microfísica del Poder, Madrid, La Piqueta, 1992, p. 139-152. Tercera conferencia, en La verdad y las formas jurídicas, Barcelona, Gedisa, 1998, p. 63-88, 1re éd. 1978.
47 « El origen ó la causa primordial de la entera aniquilación de España. Desde aquella época desventurada ha sido siempre para ella una cadena de desastres y desgracias ». Hernández Pablo, Reseña Histórica de la Misiôn de Chile-Paraguay de la Compania de Jesús, desde su origen en 1836 hasta el centenario de la restauración de la Compania en 1914, Barcelona, Ed. Ibérica, 1914. P. Hernández cite le Diario de las Cortes, t. 3, p. 305. Apéndice : « La ciudad de Córdoba a la Excma. Junta de los pueblos reunida en Buenos Aires », Rafael Pérez, La Compañía de Je sus restaurada en la República Argentina y Chile, el Uruguay y el Brasil, Barcelona, Imprenta de Henrich y Cía, 1901, p. 813/815.
48 Pablo Hernández, Reseña... op. cit., t. 3, p. 305.
49 Claude Lévi-Strauss, Tristes..., op. cit., p. 37 et 42.
50 « Internado en (la selva) el viajero llega abriéndose paso a fuerza de machete hasta alguna antigua pared o poste aislado, que nada le indican... de las reducciones argentinas, tan maltratadas por la guerra, apenas queda otra cosa que paredes, y como resto ornamental el portico de San Ignacio, popularizado por la fotografía y por las descripciones de varios viajeros », Lugones Leopoldo, El Imperio..., op. cit., p. 202.
51 Claude Lévi-Strauss, Tristes..., op. cit., p. 431.
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