Chapitre IV. Propagation de l’écrit et diffusion des savoirs
p. 295-329
Texte intégral
1L’analyse des progrès de l’alphabétisation, selon les catégories socio-professionnelles, permet de faire ressortir, à la fin du xviiie siècle, la place de cette couche sociale largement alphabétisée que nous avons appelée les notables locaux, et dont le rôle intermédiaire, entre le menu peuple et les élites a facilité les contacts entre les deux cultures des Méridionaux. Instruits, mieux francisés et profitant d’une diffusion plus large des livres et des textes écrits, ces notables locaux accélèrent les progrès de la francisation dans une société où la langue occitane reste le moyen de communication orale le plus répandu. Au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime, beaucoup d’Occitans deviennent bilingues, surtout dans les villes ; tout semble indiquer que la connaissance de la langue française facilite l’acquisition d’une culture écrite à un nombre toujours plus élevé de notables locaux et cette acculturation constitue le principal facteur des mutations culturelles et politiques qui se produisent, dans la deuxième moitié du xviiie siècle.
2Grâce aux inventaires de livres, lorsqu’ils existent, il est possible d’analyser l’évolution des lectures, de constater que le nombre des lecteurs est manifestement accru, comme en témoignent les progrès de l’imprimerie, aux xviie et xviiie siècles. Ces lectures nouvelles ont contribué à l’évolution des idées et aux changements des mentalités qui s’affirment, déjà avant la Révolution. En effet, même si cette province demeure attachée aux traditions religieuses et patriarcales, les élites passent d’une culture dévote aux idées des Lumières. Si l’on compare avec d’autres provinces françaises, la pénétration des courants de pensées, des modes littéraires et la multiplication des sociétés de Lettres se font, sans grand retard, dans les principales villes, comme dans des bourgades plus petites du Quercy comme du Rouergue. Ce sont les conquêtes de l’écrit qui semblent favoriser la diffusion des idées nouvelles, encourager une transformation des mentalités et conduire à de nouveaux rapports sociaux où l’écriture joue un rôle primordial.
I. Les conquêtes de l’écrit
3Les progrès de la lecture et de l’écriture sont définitivement liés aux progrès de l’imprimerie et à la diffusion croissante des livres, dès le xve siècle. Cette diffusion reste limitée à une minorité de lettrés, le plus souvent des ecclésiastiques et des hommes de justice, puis, grâce à la progression de l’alphabétisation, de nouvelles couches sociales ont accédé à la lecture, dans les villes et chez les notables ruraux. Le rôle de l’Église protestante, puis celui de l’Église catholique ont déjà été soulignés dans les processus d’acculturation populaire ; il apparaît plus fondamental, encore, dans la production des livres. C’est seulement au xviiie siècle que la littérature religieuse régresse, alors que se diffusent les belles-lettres et les idées nouvelles.
A. L’engouement pour la lecture progresse au xviiie siècle
4Grâce à l’activité des imprimeurs, la diffusion des livres, des brochures et des gazettes progresse beaucoup, au xviiie siècle, dans les villes et bourgades de Haute-Guyenne. Leur rôle est essentiel parce que, cela a été dit, les imprimeurs exercent en même temps la fonction de libraires. Des exemples de commandes de livres ont été trouvés dans les Archives, il s’agit évidemment de notables ou d’ecclésiastiques qui souscrivent à telle édition de livre ou qui acquièrent un ouvrage et reçoivent en échange une quittance. Le pasteur Philippe Gaches s’abonne chez Cazaméa, libraire à Montauban, à L’Histoire universelle, en payant 4 livres par volume, pour une collection qui en a 791. À la fin du xviiie siècle, les gazettes sont remplies d’« annonces » proposant aux lecteurs de nouvelles collections déposées chez tel ou tel libraire, comme celle que l’imprimeur Védeilhié communique à Feuille hebdo et qui en profite pour vanter les qualités de ses ouvrages.
5La diffusion de l’écrit s’accroît, grâce aux marchands-libraires ambulants ou aux colporteurs qui parcourent les campagnes, au long du xviiie siècle. À l’enseigne des libraires ambulants se trouve le père de Jacques-Joseph Champollion qui, après plusieurs années de voyage en provenance du Dauphiné, décide de se fixer, à Figeac, vers 17502. Ces marchands n’ont cependant rien à voir avec les colporteurs qui apparaissent parfois dans les sources, à l’occasion de leur contrat de mariage, ou bien, lors de leur décès3. Un de ces colporteurs, nommé Antoine Duparc, meurt, en 1710, dans une auberge de Rodez ; son ballot contient dentelles, tissus et trois exemplaires d’un ouvrage, imprimé à Rodez, contant l’histoire du sanctuaire de Ceignac4. Se déplaçant de foires en foires, ces colporteurs vendent des livres et des gazettes en même temps que des articles de bimbeloterie, de mercerie, ou des ustensiles de cuisine. Dans nos sources, leur présence se trouve principalement attestée – et dénoncée ! – à Villefranche-de-Rouergue, dans les interdictions qui leurs sont faites par les consuls, ou bien dans la lettre que l’imprimeur Védeilhié adresse à l’inspecteur de la librairie, en 1665. L’arrêt consulaire du 9 novembre 1742 stipule :
« [qu’] inhibition et défense à toutes sortes de personnes et aux marchands merciers, jouailliers et autres, de vendre aucuns livres imprimés à l’exception néanmoins des abc, Almanachs et petits livres d’heures et prières qui n’excéderont pas deux feuilles et aux porteurs de balles ou colporteurs d’en avoir vendre ni débiter d’aucune sorte… »
6Plus tard, en 1765, la lettre de Védeilhié proteste contre la vente incontrôlée de publications et entend :
« […] arrêter les colporteurs qui toujours répandent les plus mauvais livres, les brochures les plus séditieuses, les plus scandaleuses. Ils vendent clandestinement dans les villes où il y a des imprimeurs et publiquement dans celles où il n’y a point d’établissements.5 »
7Cette lettre est l’un des rares témoignages qui atteste de la présence de ces colporteurs auxquels les libraires reprochent de leur faire une concurrence déloyale. Védeilhié n’est pas le seul à la dénoncer et dans des missives identiques, de nombreux libraires adressent des plaintes éplorées à M. d’Hémery6.
8Tous accusent expressément les colporteurs de vendre une littérature séditieuse. Étudiant le monde des libraires clandestins, un historien, Robert Darnton, insiste sur le foisonnement d’une littérature de « contre-bande », de plus en plus critique à l’égard de la société de leur temps et à l’égard de la monarchie. Il mentionne l’essor du commerce de ces brochures dans le Languedoc voisin, à Montpellier où les colporteurs viennent faire leurs ventes, en hiver, alors qu’ils travaillent leurs terres, dans les montagnes du Massif Central, en été. Il est impossible de mesurer la diffusion de ces livres prohibés7 en Haute-Guyenne, mais Ton ne peut douter un instant que les contrées traversées par les routes les plus passagères n’aient été sillonnées par les colporteurs provenant des Pyrénées, du Massif Central ou de la lointaine Savoie8. Et d’ailleurs, Védeilhié s’en serait-il plaint, si le Rouergue n’était pas lui aussi concerné par la vente de cette littérature de « gueux » ou d’« écrivailleurs affamés »9 que Robert Darnton appelle « la bohème littéraire » ?
9Grâce à l’activité des imprimeurs, l’édition des livres s’est poursuivie, même si elle se trouve de plus en plus surveillée, dans les villes de Montauban, Cahors, Villefranche et Rodez. Dans le Quercy comme dans le Rouergue, ce qui a le plus progressé, à côté de la diffusion des livres, c’est la diffusion des brochures et des gazettes. Il en découle nécessairement que toutes ces publications favorisent la diffusion des idées des Lumières.
B. Le succès des idées nouvelles
10Si le livre triomphe, c’est qu’il a trouvé de nouveaux lecteurs et de nouveaux publics. Les inventaires après décès ou les inventaires des biens des émigrés, dressés pendant la Révolution, permettent de se faire une idée de l’évolution des lectures, au xviiie siècle. Ces lectures favorisent la diffusion des idées nouvelles et, bien plus, elles stimulent la curiosité scientifique de la plupart de ceux qui appartiennent à la République des Lettres.
11Les inventaires de notables fortunés de Montauban trouvés chez le notaire Jean-Abel Derey, entre 1772 et l’an V10, apportent des renseignements très intéressants sur les bibliothèques de quatre familles enrichies dans le négoce : Daniel Mariette aîné, Pierre Godoffre fils aîné, Marc Coffinhal et Pierre Bosquet aîné. La bibliothèque du premier nommé comprend 551 livres, celle du second 248 et pour le troisième 227. Quant à la bibliothèque de Pierre Bosquet, elle comporte 465 livres pour les ouvrages, 50 livres pour les brochures, auxquelles sont associés 5 paquets de la « Feuille villageoise »11.
12Étant les plus complètes, les bibliothèques de Pierre Bosquet et de Daniel Mariette permettent d’avoir un aperçu exhaustif des lectures d’un notable citadin, à la fin du xviiie siècle. On y trouve bien sûr des œuvres religieuses et celles d’auteurs latins, mais leur nombre reste limité, et il n’y en a pratiquement aucune dans les bibliothèques de Godoffre et de Coffinhal. Les œuvres des auteurs classiques du xviie siècle comme Corneille, Molière, Racine, Bossuet, Fénelon, La Bruyère ou bien les Pensées de Pascal, et les Fables de La Fontaine sont souvent citées. Parmi les autres ouvrages, figurent de nombreux livres d’histoire ou des Mémoires, tels : L’Histoire des croisades, les Mémoires du cardinal de Richelieu, ou bien l’histoire de la Rome antique.
13Ce sont évidemment les œuvres des philosophes du xviiie siècle qui occupent une place de choix, dans ces bibliothèques. Tous ces notables montalbanais possèdent des œuvres de Montesquieu ou de Voltaire dont 33 volumes se trouvent dans la bibliothèque de Coffinhal et 25 dans celle de Mariette. Les ouvrages de Rousseau, notamment l’Émile, l’Histoire naturelle de Buffon, en 18 ou en 32 volumes, y sont aussi présentes. On y découvre encore quelques ouvrages à caractère scientifique, non seulement, l’œuvre de Buffon, mais aussi, L’expérience physique ou des livres d’arithmétique. Enfin, toute une littérature de romans, de pièces de théâtre, de récits de voyages, comme celui de Bougainville et d’Arthur Young, apparaissent dans ces longues listes de livres. Toutes ces œuvres, sans exception, se trouvent mentionnées chez Daniel Mariette, qui, déjà en 1774, apparaît comme un lecteur parfaitement au courant des dernières modes littéraires.
14Le graphique ci-dessous permet de comparer le contenu de ces quatre bibliothèques. L’on peut observer que les livres des Lumières s’y trouvent en grand nombre, mais aussi les livres d’histoire, les récits de voyage ou les manuels de vie pratique que nous avons classé dans les œuvres diverses. En revanche, on n’y trouve guère d’ouvrages religieux.
Graphique no 9. Bibliothèques de riches montalbanais fin du xviiiè siècle

15La vogue de la littérature nouvelle est soulignée par Guillaume d’Ayral, dans ses Mémoires, où il signale l’intérêt qu’apporte son père à la littérature romanesque. De la même façon, lorsque Jean-François Marmiesse fait référence à ses lectures12, il mentionne parmi les livres qu’il retrouve chez son frère avocat, l’Émile, le Contrat social et les Lettres de la montagne de Rousseau ou encore quelques œuvres de Voltaire. Comme la plupart des clercs, il s’intéresse, de plus en plus, aux débats qui traversent la société de son temps. Les bibliothèques de prêtres témoignent, d’ailleurs, qu’ils ne rejettent pas à priori la nouvelle littérature. Le curé de Saint-Sardos a une bibliothèque de 480 volumes et, comme les frères Domingon, prêtres dont la demeure familiale se trouve à Escatalens, il possède l’Encyclopédie13. Le catalogue des livres de l’abbé de Lavaissière, un érudit, curé de Concots, offre un répertoire d’une grande richesse. Sa bibliothèque comprend 333 volumes dont seulement 28 ont un caractère religieux. On y trouve l’Encyclopédie, des œuvres de Rousseau, dont l’Émile, des ouvrages de Voltaire, en particulier, Les contes philosophiques et de nombreux livres d’histoire14. La comparaison de son inventaire avec celui de Vergé, à la fin du xviie siècle, démontre le grand changement qui s’est produit dans les esprits, comme le montrent les graphiques ci-dessous.
16L’Encyclopédie de Diderot, fréquemment citée dans les inventaires, a connu un immense succès qui mérite d’être souligné, lui aussi, d’autant qu’un prêtre d’origine castelsarrasinoise, Jean-Martin de Prades, a collaboré à la rédaction d’articles du premier volume de cette entreprise15. Robert Darnton a analysé l’ensemble des souscriptions à cette œuvre par l’intermédiaire des libraires, dans l’édition in-quarto de Genève et de Neuchâtel, jusqu’en 1780. Dans la généralité de Haute-Guyenne, le nombre total des souscriptions à l’Encyclopédie qu’il mentionne, s’élève à 150, et si aucune n’apparaît à Cahors ou à Rodez, du moins dans cette édition, 105 sont enregistrées à Montauban, dont 78 chez Crosilhes, 37 chez Védeilhié à Villefranche-de-Rouergue et 8 à Millau16. En 1778, la gazette de Montauban, Annonces, propose de souscrire à une nouvelle édition de l’Encyclopédie comprenant 64 volumes, in-8°, et imprimée à La Haye, en 1 500 exemplaires17. L’étonnante diffusion de cette œuvre monumentale illustre le large succès des idées des Lumières18, auprès des élites urbaines qui ont alors un instrument mettant à leur portée, non seulement, les idées des philosophes, mais aussi, toutes les découvertes des sciences auxquelles ils sont de plus en plus nombreux à s’intéresser.
Graphiques no 10 et 11.

17En effet, l’engouement pour les sciences est caractéristique de la deuxième moitié du xviiie siècle. Lorsque Guillaume d’Ayral évoque la bibliothèque de son père, il la juge « considérable », et il y trouve des livres scientifiques auxquels, écrit-il, il ne comprenait rien tant qu’il était enfant. Plus tard, il se passionne pour les sciences. Il écrit alors :
« Me voilà plongé dans la physique. Je ne rêvais plus que gaz, air inflamable. Et puis passant aux mathématiques, formes rondes sphériques, lignes droites, courbes, fuzeaux, ballons, etc. »19
18Cet enthousiasme pour les sciences se traduit par l’extension de leur enseignement, dans les collèges ou dans les nouvelles maisons d’éducation.
19Les mathématiques et l’astronomie sont enseignées au collège des Jésuites de Cahors, dès 1660, mais il faut attendre 1785 pour qu’une chaire de mathématiques soit pourvue à Montauban au collège royal, sur la requête de l’évêque, et il ne semble pas qu’il y ait une telle chaire, au collège de Rodez, avant ou après l’expulsion des Jésuites. L’enseignement de la physique a connu plus de succès, dès la fin du xviie siècle. Un professeur de physique est nommé au collège de Cahors, à partir de 1687 et en 1700, dans les collèges de Montauban et de Rodez20. Ce n’est pas par hasard qu’un professeur du collège de cette dernière ville réussit à réaliser l’un des premiers lancements, en France, d’un aéronef.
20L’ascension réussie de la Montgolfière, appelée la Ville de Rodez, le 6 août 1784, est saluée avec enthousiasme par la population ruthénoise qui acclame les artisans de ce succès. L’abbé Carnus, parti de Rodez à 8 heures 17 minutes et parcourant 600 toises (environ 1 200 mètres), en 46 minutes, raconte son retour triomphal :
« Nous marchâmes longtemps entre deux haies de spectateurs formés par ce qu’il y a de mieux dans Rodez : leurs applaudissemens successifs nous accompagnèrent toujours. Le soir, il y eut des décharges de mousqueterie, un feu de joie, une sérénade… »21
21L’intérêt de l’expérience est présenté, non pas comme un simple exploit technique, mais comme une réelle avancée de la science. Ainsi, l’abbé Carnus écrit-il, en décembre 1783, au moment de lancer la souscription :
« Qu’on ne croie pas que les machines aérostatiques soient une affaire de pure curiosité ; elles pourront nous procurer plusieurs avantages très réels, comme de nous instruire sur la cause de tous les phénomènes météorologiques, de mieux connoître à diverses hauteurs et dans différentes saisons de l’année, la construction de l’athmosphère de chaque pays, le degré d’électricité qui y règne, la pureté et la salubrité de l’air, son élasticité, sa température, son humidité, sa sécheresse, les loix de la diminution de sa densité… »22
22L’expérience s’inscrit, alors, dans un processus de recherches qui témoignent d’une réelle préoccupation scientifique. Celle-ci est, d’ailleurs, entretenue par les Sociétés de sciences. De nombreux membres ou correspondants de l’Académie des sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse sont originaires de la haute société quercinoise ou rouergate. Ainsi, en est-il de Matthieu-François de Buisson marquis d’Aussonne, en 1730, et de Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, en 1746 ; de correspondants comme Dissez, docteur en médecine de Villefranche-de-Rouergue, en 1732, ou François-Régis de Vignes, marquis de Puylaroque, en 178823.
23Les idées des philosophes ont progressivement gagné les élites de Haute-Guyenne, surtout dans les principales villes, et particulièrement à Montauban. Les Mémoires, les correspondances retrouvées, comme celle du secrétaire Baudinot avec l’intendant de Gourgues, permettent de retrouver la sensibilité des élites au siècle des Lumières. Hommes à talent, bourgeois, hommes d’affaires, ainsi que la plupart des nobles, fréquentent les mêmes salons et ont les mêmes lectures. Le succès de l’Encyclopédie de Diderot, que l’on retrouve dans de nombreux inventaires, en apporte la preuve. Les lettrés ont coutume de se rencontrer dans des salles de lectures. À Montauban, de 1784 à 1786, une « Société de littérature qui se réunissait chez Soulan aîné » est constituée de 79 membres, négociants, notaires, officiers, hommes de justice ou imprimeurs, parmi lesquels on trouve Pierre Bosquet, un riche montalbanais dont il a déjà été question ci-dessus. À la suite d’une dispute entre les membres, il est proposé de « partager tous les livres soit dictionnaires, journaux, gazettes et autres ouvrages périodiques, globe, tablette, etc. »24. Autres lieux de rencontres et de discussions propices à l’encouragement des lectures, les salons constituent pour les élites citadines, un des lieux privilégiés pour la diffusion des idées nouvelles. Dès le milieu du xviiie siècle, la bonne société montalbanaise fréquente ces lieux de rencontre. Ainsi, un homme de Lettres et Académicien, Louis de Cahuzac, écrit-il poésies ou pièces de théâtre et tient-il salon pour discuter d’art et de littérature25. Rue de l’évêché, se tient un salon littéraire où se réunissent nobles, magistrats et hommes d’affaires montalbanais afin de lire et de discuter dans une maison très conviviale où se trouvent un café et une salle de jeux26.
24Tous les cercles de la bonne société étaient loin d’être acquis aux idées des philosophes Dans quelques bibliothèques apparaissent des livres polémiques qui les combattent. Ainsi, M. de Besombes de Saint-Geniès, ancien Conseiller à la Cour des Aides de Montauban, exprime son opposition aux idées à la mode dans Sentiments d’une âme pénitente revenue des erreurs de la philosophie moderne, une œuvre parue en 178627. Un autre ouvrage, paru en 1772, le Dictionnaire philosophique de la religion par l’auteur des erreurs de Voltaire apparaît dans la bibliothèque du vicaire de Verlhac28. Par la teneur de ses travaux et le contenu des discours qui y sont prononcés et publiés, l’Académie de Montauban, fondée en 1744, est, de son côté, réputée pour son hostilité aux idées nouvelles29. Le plus illustre de ses membres, Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, se veut le défenseur « du trône et de l’autel » comme il l’affirme solennellement, en 1760, lors de son discours de réception à l’Académie française30. Lors de la publication d’un pamphlet visant à tourner en ridicule les œuvres de Rousseau, Baudinot, un administrateur imbu des idées des Lumières, écrit dans une lettre datée de 1766 :
« Le tour m’a paru si mauvais au moins pour ce que j’en ai lu, que je me détermine volontiers à le croire sorti de la plume d’un Académicien de Montauban. Je suis presque tenté de penser qu’en entrant dans ce corps, on fait serment de renoncer au bon sens. »31
25Le conservatisme de l’Académie montalbanaise, au xviiie siècle32, est ainsi décrié par un esprit éclairé qui témoigne des divergences de points de vue qui existent dans les milieux cultivés de cette ville.
26La littérature religieuse continue d’avoir du succès, en particulier en Rouergue, comme en témoigne l’inventaire du fonds de commerce d’un marchand de Mur-de-Barrez incluant, en 1768, un grand nombre de livres de piété dont 5 exemplaires de L’imitation de Jésus-Christ, 11 des Journées d’un chrétien, et une douzaine de Petites heures33. Le 20 octobre 1777, a lieu à Villeneuve-de-Rouergue, la vente « aux plus offrants et derniers enchérisseurs » des biens d’Antoine Rigal, un bourgeois. Suivant l’inventaire des biens qui a eu lieu un mois avant, cette bibliothèque se compose essentiellement de livres religieux. Antoine Lombregot, un prêtre achète 11 ouvrages religieux pour un montant de 6 livres et 11 sols. Le curé de Toulonjergues propose 15 sols pour une Bible en latin. D’autres œuvres de piété sont vendues à un chirurgien ou à un marchand et mademoiselle Marguerite Chalret acquiert Le Concile de Trente, pour 10 sols, afin de le donner à son frère doctrinaire34. Certaines œuvres continuent à connaître de forts tirages et, en définitive, la religiosité traditionnelle subissant « un assaut modéré des Lumières »35 demeure profondément ancrée, notamment dans les campagnes rouergates et quercinoises.
27Pour autant que restent solidement établies ces convictions traditionnelles, elles semblent submergées, dans la bouche des élites cultivées, par les nouveaux discours qui reflètent une vision plus optimiste de l’homme36. Lorsque le vicaire-général de l’évêché de Rodez, Villaret, prononce sa première harangue devant l’Assemblée de Haute-Guyenne, le 16 septembre 1779, il emprunte des expressions aux philosophes en parlant de « patriotisme », de « bonheur commun », de « fraternité », d’« égalité », de « philanthropie »37. Lorsque Jeanbon Saint-André s’installe à Montauban, en 1788, il prêche à une bourgeoisie protestante imprégnée des idées des Lumières et fait usage des expressions chères aux esprits éclairés qui sont certainement familières à son public lettré. Utilisant les même termes que les philosophes, il évoque le « bien général », ou la « vertu » et il n’hésite pas à citer Rousseau dans quelques-uns de ses sermons38.
28Ces idées nouvelles ont leurs apologistes, elles se propagent dans les campagnes au moment où les nouvelles lectures se répandent chez les notables ruraux les plus cultivés.
C. Lectures du peuple
« L’art de l’imprimerie a donc donné à l’écriture la même publicité qu’avait la parole dans le premier âge, au milieu des assemblées de la Nation. Mais il a fallu plusieurs siècles pour que la découverte de cet Art fît tout son effet sur les hommes. Il a fallu que la nation entière ait pris le goût et l’habitude de s’instruire par la lecture, et qu’il se soit formé assez de gens habiles dans l’art d’écrire pour prêter leur ministère à tout le public. »
29C’est en ces termes qu’en 1775, Malesherbes s’adresse, au roi Louis XVI dans ses Remontrances39. Ce haut magistrat dresse alors un constat des progrès réels de l’alphabétisation et des progrès de la lecture dans le royaume, au siècle des Lumières. S’il est difficile d’apprécier la culture du menu peuple, il est possible de se faire une idée de la culture de cette minorité de notables locaux, de ménagers, de laboureurs ou d’artisans qui vivent dans les campagnes en contact avec les humbles. La plupart sont instruits et savent lire et écrire, quelques-uns ont même laissé des livres de raison ou des livres de comptes.
30L’enquête de Grégoire40 permet de se faire une idée de la diffusion des livres dans les campagnes du Midi. Selon François Chabot, ce capucin rouergat devenu ardent révolutionnaire :
« Les gens de la campagne ne connaissent que le chemin du ciel ou le pensez-y bien, petit livre ascétique in-24, qui traite des quatre fins dernières de l’homme. »41
31Il s’agit de deux livres de la Réforme catholique, souvent cités. Ils en lisent probablement d’autres qui sont mentionnés par les correspondants de l’Agenais ou de l’Armagnac, tels que la Bible ou des ouvrages liturgiques. Quant aux colporteurs, ils ont pour leur part contribué à la diffusion des livres de la bibliothèque bleue de Troyes, des almanachs et de toute une littérature populaire de feuillets de piété, de brochures et de livres de contes. Malheureusement les inventaires des biens ne mentionnent jamais aucun de ces livrets jugés sans valeur, et le notaire de Caussade, Poujade, précise, à leur sujet, que point n’est « besoin d’inventorier » brochures et gazettes, lors de l’inventaire des meubles et effets d’un seigneur42.
32La distribution de cette littérature demeure mal connue43 et rares sont les mentions qui permettent d’en connaître le contenu. Lorsque Védeilhié accuse les colporteurs de vendre « les brochures les plus séditieuses, les plus scandaleuses », il atteste d’une circulation croissante de brochures et de libelles qui s’en prennent à l’ordre établi et à la famille royale, quand ce n’est pas à l’autorité monarchique elle-même. Cette circulation de mauvais livres toucherait forcément le peuple des campagnes de même que d’autres livres tels ceux de la Bibliothèque bleue de Troyes ou des almanachs.
33Les inventaires de biens après décès de laboureurs que nous avons trouvés contiennent rarement la mention de livres. Quelques séries d’inventaires ont pu être relevées, mais elles restent rares dans les fonds d’Archives dans la mesure où ces inventaires ne se retrouvent pas dans les minutiers des notaires, mais dans les liasses beaucoup plus mal conservées. À Lauzerte, sur 14 de ces actes notariés, 2 seulement contiennent des titres d’ouvrages et ils concernent 2 notables lauzertins. À Réalville, sur 10 inventaires, rédigés entre 1779 et 1784, seuls ceux de 2 bourgeois font référence à des livres, alors qu’un troisième dont l’abondance de biens apparaît manifeste, n’en comprend aucun44. Une autre série dans une liasse du notaire de Nègrepelisse, Mallet, comprend 10 inventaires dressés entre 1765 et 1774, mais aucun livre n’a été relevé. Mentionnons toutefois que celui du marchand protestant Pierre Abraham Fournié correspond seulement à l’inventaire de sa boutique où a été retrouvé le livre journal sur lequel il relevait ses achats et ses ventes45. Dans ces séries d’inventaires, malheureusement trop peu nombreux, les sondages témoignent de l’absence de livres dans les biens légués par les gens du peuple, qu’il s’agisse des paysans ou des artisans.
34D’autres inventaires trouvés isolément, au hasard de nos recherches, dans les minutiers des notaires où ils sont quelquefois rédigés, nous ont cependant permis de découvrir des listes d’ouvrages parmi les biens de gens d’origine modeste. Lorsque ces inventaires mentionnent quelques livres, il s’agit, encore à la fin du xviiie siècle, d’ouvrages religieux ou des manuels de piété qui reflètent le poids des traditions religieuses. Dans l’inventaire de Pierre Boyer, un sabotier de Nègrepelisse, sont consignés : L’Évangile selon St-Jean, Consollation contre la mort, Les Psaumes, De la dévotion46. Chez Pierre Buzenac, un laboureur de Saint-Nazaire, près de Réalville, on découvre un catéchisme, le Nouveau Testament, les Psaumes de David, l’Histoire de la Bible. Exactement les mêmes livres se trouvent mentionnés, à Nègrepelisse, chez le laboureur Antoine Delmas qui possède, en outre, l’Imitation de Jésus-Christ ou des vies de saints47. À Laramière, aux marges du Quercy et du Rouergue, Jean Gibergues, un forgeron, détient le Maréchal expert, le Pédagogue chrétien ou d’autres ouvrages, ainsi que son journal rédigé sur un cahier couvert de parchemin, excellent témoignage de sa capacité à écrire48. Enfin l’inventaire d’un travailleur de Mondenard comporte un livre intitulé : Histoire de la sainte Bible49.
35Observons que les livres nouveaux paraissent plus nombreux chez les notables ruraux les plus instruits, tels que les bourgeois, les hommes à talent et quelques laboureurs chez lesquels l’on peut constater la diffusion croissante de la littérature des Lumières. Rédigé en 1770, le catalogue des livres de Jeanne Bouscat, la veuve d’un notable de Montcuq, comprend 89 volumes dont 40 sont des ouvrages religieux et 49 des livres profanes parmi lesquels se trouvent des œuvres de Racine, Le voyage de Télémaque, des œuvres de Crébillon et de Grécourt, La Nouvelle Héloïse et d’autres50.
36Au total, les livres sont relativement rares dans le patrimoine des gens du peuple. Cela signifie-t-il pour autant qu’ils n’ont pas du tout subi l’influence, même de manière confuse, des idées nouvelles ? Pour la majeure partie de la population, surtout dans les villes, la nouvelle sociabilité culturelle incline aux discussions, aux rencontres et aux réunions. Tous ceux qui savent lire s’intéressent de plus en plus aux gazettes qui apportent des nouvelles parfois lointaines et aux pamphlets qui circulent souvent sous le manteau51. Les échanges de livres et les débats d’idées incitent les notables urbains à se retrouver dans des sociétés de pensée qui prolifèrent y compris dans de petites villes, ainsi s’établissent des liens de plus en plus étroits qui unissent tous ceux qui participent à la République des Lettres dont les occasions de rencontres se multiplient. Celles-ci sont propices à un formidable remuement des idées qui pousse au changement.
37L’instruction et la francisation deviennent, au cours du xviiie siècle, des facteurs décisifs de la réussite sociale. Que l’instruction ait alors éclaté en une multitude de réseaux dont le préceptorat a constitué, pour les plus fortunés, le moyen de préserver la distinction sociale n’a rien d’étonnant. Pourtant existe-t-il une coupure nette entre les notables francisés qui considèrent, à la fin du xviiie siècle avec de plus en plus de mépris ceux qui parlent mal le français et les gens du peuple qui parlent seulement l’occitan ? Les rapports entre l’oral et l’écrit, les lettrés et les illettrés ont été étudiés dans les Pyrénées par Daniel Fabre52. Selon ses propres constatations, la relation entre l’oral et l’écrit ne se traduit pas par une coupure aussi tranchée qu’on l’a si souvent écrit. De notre point de vue, cette coupure entre ceux qui ont pu tirer profit d’une acculturation progressive et ceux qui en sont restés à l’écart, ne nous est pas apparue manifeste, si l’on observe les différents stades de l’ascension sociale des notables locaux. En réalité, s’il y a une coupure, c’est celle qui oppose les élites urbaines les plus fortunées53, et le reste de la population. Les notables ruraux demeurent encore proches du peuple54 qu’ils côtoient tous les jours. Ils entretiennent avec lui des relations et s’en font les médiateurs dans les actes de la vie sociale où la connaissance du français est de plus en plus couramment exigée. Capables de lire et d’écrire, ils jouent certainement les intermédiaires entre la culture du peuple et celle des élites et contribuent, peu ou prou, à répandre les nouveaux courants d’idées dont ils peuvent se faire, au sens premier du terme, les porte-parole.
38En vertu des liens étroits qui existent entre les villes et les campagnes environnantes, comme entre les notables locaux et les gens du peuple, les esprits ont manifestement évolué, au cours de la deuxième moitié du xviiie siècle. En tout état de cause, « l’opinion publique », tant dans les villes que dans les campagnes, ce « droit de savoir et de juger » dont parle Arlette Farge55, semble peu ou prou marqué par les idées des Lumières et par la naissance d’un état d’esprit favorable à de profonds changements.
II. L’effervescence des esprits à la fin de l’ancien régime et au cours de la révolution
39Dans le bouillonnement d’idées qui précède la période révolutionnaire, les élites ont démontré leur capacité à diffuser ces idées et à marquer de leur empreinte, les débats qui se sont déroulés au sein des assemblées citadines ou villageoises. Leur influence joue un rôle déterminant, au débuts de la Révolution, au moment où bascule l’absolutisme monarchique56. Analyser ces changements politiques n’entre pas dans les objectifs poursuivis, mais il convient plutôt d’examiner le rôle joué par les notables ruraux, lors de cette période tumultueuse, en essayant, notamment, de percevoir leur fonction d’intermédiaires entre le peuple et les élites.
40Minimisant l’influence des idées auxquelles l’historiographie traditionnelle accordait une grande place, depuis la publication du livre de Daniel Mornet sur Les origines intellectuelles de la Révolution française57, des historiens insistent, dans des ouvrages récents58, sur les changement profonds qui se sont opérés dans les esprits au « siècle des Lumières ». Sans nier le poids des idées nouvelles qui ont contribué à de grands changements, il est plus pertinent, selon eux, de rechercher les racines profondes de ces mutations en se fondant sur les progrès de l’alphabétisation et la multiplication du nombre de lecteurs, sur la désacralisation de la monarchie et l’apparition d’une nouvelle sensibilité que Michel Vovelle a qualifié de « prérévolutionnaire »59. C’est ce nouvel état d’esprit qui aurait façonnée une « nouvelle culture politique », à travers laquelle un grand nombre de notables citadins, mais aussi ruraux s’est intéressé aux affaires publiques. Du seul fait d’une circulation accrue des idées et d’une plus grande mobilité des hommes, les comportements changent, et la société traditionnelle se trouve profondément remise en cause.
A. Contestations et préoccupations nouvelles
41Nouvelle sensibilité ou nouvel état d’esprit sont illustrées par une nouvelle façon de vivre. Les mœurs se civilisent60, certes de manière très inégale selon les couches sociales ou selon les contrées, mais leur évolution éveille de nouveaux comportements collectifs prêts à rejeter les dérives de toutes les formes de pouvoirs. Au sein de la vie communautaire, cela se traduit par une expression différente des conflits entre le peuple et les autorités, qu’il s’agisse du curé ou du seigneur dont les décisions suscitent une contestation croissante. À la fin de l’Ancien Régime, le meilleur reflet de la volonté de changement apparaît dans les cahiers de doléances, qui expriment une remise en cause radicale du système social.
1. Nouvelle civilité et nouveaux comportements sociaux
42L’engouement pour les idées nouvelles se traduit par la publication de livres sur le savoir-vivre et sur la pédagogie ou l’éducation des enfants qui démontrent une nouvelle conception de la « civilité ». Vers 1745, paraît un manuel attribué à l’évêque de Verthamon intitulé : Conduite pour la bienséance civile et chrétienne recueillies de plusieurs auteurs ; un autre traité paraît à Montauban avec le titre : La civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens, pour l’éducation de la jeunesse : une méthode facile pour apprendre à bien lire, prononcer les mots et les écrire et l’arithmétique en sa perfection. La gazette Annonces de Montauban propose divers manuels de civilité, tel ce Catéchisme de morale ou leçons indispensables de l’homme, tant envers lui-même qu’envers ses semblables61. Tous ces ouvrages soulignent une conception de la vie en société mieux réglée et moins violente ; ils insistent sur la nécessité de bien parler et de bien écrire le français, ils donnent profusion de conseils pour le savoir-vivre et ils offrent, enfin, une nouvelle perception de la vie.
43Michel Vovelle considère que de nouvelles attitudes collectives provoquent, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, ce qu’il appelle « la déstructuration de la vision du monde de l’âge classique ». Selon lui, les changements d’attitudes devant la mort ou la religion et l’apparition des restrictions volontaires des naissances sont des « éléments d’un nouveau modèle de comportement collectif »62. De tels changements sont évidemment perceptibles en Haute-Guyenne. Si l’on considère l’évolution des testaments, comme Michel Vovelle les a étudiés en Provence63, il apparaît, à les lire dans les registres des notaires, que la place occupée par les clauses religieuses se réduit progressivement tout au long du xviiie siècle, même si nous avons considéré que cela est surtout vrai dans les villes et dans les vallées les plus ouvertes à la circulation des hommes. Quant à la baisse de la fécondité par la restriction volontaire des naissances, elle est aussi une réalité dans les provinces méridionales comme l’ont bien montré Jean-Claude Sangoï ou Pierre Valmary dans leurs études sur la démographie paysanne64 dans le Bas-Quercy.
44L’un des faits majeurs souligné par les historiens, au cours du xviiie siècle, est la réduction progressive de la violence65. Des études récentes réalisées par des historiens anglophones, en Périgord, insistent toutes, elles aussi, sur « la nette régression dans la criminalité de la violence »66. Cette régression transparaît, indirectement, dans le récit particulièrement poignant qu’a laissé Antoine Court de Gébelin, après l’exécution du pasteur Rochette et de 3 frères huguenots, arrêtés à Caussade, en 1761. Refusant de se convertir y compris au pied du gibet, le châtiment est accompli, à Toulouse, devant une foule immense, comme c’est toujours le cas sous l’Ancien Régime.
« Tandis que les commissaires du Parlement et les députés des autres cours baissaient les yeux et que plusieurs ne pouvoient retenir leurs larmes… Tous les assistans revinrent chés eux en silence, consternés, pouvant à peine se persuader qu’il y eut dans le monde tant de cruauté. »67
45Comme pour l’affaire Calas, quelques armées après, l’affaire Rochette soulève l’indignation des philosophes et Voltaire vitupère déjà cette scandaleuse intolérance. De toutes les façons, le spectacle de l’exécution de 4 innocents n’a pas redoré le blason des catholiques intransigeants et ces martyrs de la religion protestante ont alors contribué à accélérer le processus de la tolérance religieuse.
46Les travaux des chercheurs ont montré comment on passe d’une violence brutale à des mœurs moins sauvages, et les historiens sont d’accord pour reconnaître que le xviiie siècle se caractérise par la fin des révoltes populaires et l’apparition de nouvelles formes de contestations. Ces réactions se produisent, non plus, à l’égard de la politique fiscale de la monarchie, mais à l’égard du seigneur, du décimateur ou du collecteur d’impôts sans que cela conduise aux débordements brutaux qui se manifestèrent, au xviie siècle, tout particulièrement dans le Quercy ou dans le Bas-Rouergue68, lors des révoltes des croquants.
2. Mieux instruits, les paysans n’hésitent plus à contester
47La volonté de porter les litiges devant la justice, constitue, probablement, la meilleure preuve d’un changement radical d’état d’esprit, en considérant que l’on ne proteste plus contre des injustices par la colère ou la brutalité, mais par une démarche avisée qui se règle devant un juge69. Ce changement d’attitude se constate, en Quercy et en Rouergue, comme dans d’autres provinces, et si les violences physiques n’ont pas, loin de là, toutes disparues, celles qui se traduisent par les massacres d’agents de l’administration royale comme les croquants les ont multipliées au cours des xvie et xviie siècles n’ont plus cours, y compris au temps de la Révolution. La « fin des révoltes » reflète, de toute évidence, la naissance d’un nouvel état d’esprit où les notables locaux, auxquels s’agrégent les laboureurs les plus aisés, contribuent à donner à la contestation des formes plus raisonnées, plus « civilisées »70.
48Les liens qui existent entre les progrès de l’alphabétisation et les compétences acquises par les notables locaux, afin de mieux s’informer sur leurs droits, sont indéniables. Ils traduisent, de fait, les progrès qui ont été réalisés par les populations rurales, et surtout par les laboureurs pour s’instruire, acquérir la maîtrise de la langue française et être ensuite, mieux à même de connaître le fonctionnement de la justice et de défendre leurs intérêts71. Alors que, par le passé, la connaissance du droit était déléguée à des juristes spécialisés auxquels était accordée une entière confiance, les conquêtes de l’écrit ont consisté, dans les campagnes, à encourager les laboureurs, non seulement à savoir lire et écrire, mais aussi, à prendre en main leur destinée. Forts de leurs nouveaux apprentissages, ils créent des « syndicats », pour défendre collectivement leurs droits. Insurgés contre le seigneur du lieu ou bien contre le décimateur, les paysans se rassemblent en présence du notaire, ils désignent des syndics, chargés de les représenter en justice, afin de défendre leurs intérêts. Dans la plupart des communautés, c’est par dizaines que les paysans assistent à la création des syndicats et se montrent décidés à obtenir réparation de ce qu’ils considèrent comme des préjudices inadmissibles.
49Les contestations des exigences seigneuriales, qu’il s’agisse de révisions des terriers, de revalorisations des redevances ou de l’accaparement des communaux, se trouvent mentionnées dans les études qui portent, par exemple, sur les émotions paysannes en Bourgogne72. On les rencontre, en Périgord, et dans d’autres provinces où, la réaction « antiféodale », se traduit par la constitution de coalitions des « bien-tenants » qui se regroupent pour défendre leurs intérêts. Les exemples abondent, en Quercy et en Rouergue. Le 23 mars 1760, 80 « biens tenants » de la communauté d’Albias se rassemblent à l’issue de la messe paroissiale et désignent des syndics afin de poursuivre leur seigneur en justice et de protester contre une rente dont il veut fixer lui-même la répartition, contrairement aux usages73. En 1779, à Promilhanes, le seigneur du lieu réplique à un « syndicat des biens tenants » qui refuse de payer des droits sous prétexte de « défaut des titres »74. À Saint-Avit, en 1780, les habitants réunis en assemblée délibérent pour protester contre la décision prise par le seigneur de Haut-Castel de refaire le cadastre aux frais de la communauté et décident de désigner un syndic pour saisir la justice75. À Promilhanes, le 2 février 1782, ils sont 104 pour remettre en cause le droit de fouage exigé par le cardinal de Zélada, leur seigneur76.
50Ailleurs les paysans contestent les dîmes jugées excessives et protestent, notamment, contre le rétablissement d’une charge tombée en désuétude comme celle qui consiste à prélever des « prémices »77. La mobilisation des laboureurs et des travailleurs de terre est massivement attestée dans une petite communauté de quelques centaines d’habitants, à La Salle Bournac. Assemblés à Caylus, le 11 avril 1780, 98 personnes prennent part à la délibération devant le notaire Bouchié78. Ils contestent la dîme du millet – le maïs étant appelé ainsi au xviiie siècle – exigée par le syndic de la Chartreuse de Cahors. Par la délibération consulaire du 23 août 1778, les habitants de Montricoux protestent contre la dîme du chanvre exigée par le fermier du Commandeur de Vaour, décimateur de la paroisse, en créant un syndicat79. Autour de Vailhourles, différents exemples de contestations ont été rencontrés dans les registres du notaire Noailles, entre 1777 et 1782. Le 11 mai 1777, les habitants de Castanet protestent contre l’assignation de deux « biens tenants » par le prieur de Castanet qui exige de percevoir « la prémisse », une dîme jugée « insolite ». L’assemblée des habitants désigne comme syndics, deux laboureurs, « auxquels ils donnent plein pouvoir d’intervenir s’ils trouvent à propos dans l’instance formée contre les d. Carrière et Boyer assignés, de prendre leur fait et cause tant devant le d. Sénéchal, que devant toutes autres cours ». Le même jour une assemblée a lieu à Cambayrac, pour protester contre l’assignation de 3 paroissiens qui refusent d’acquitter la dîme du millet. Là encore, le notaire enregistre la désignation de deux syndics. Le 29 mai 1777, les habitants de Vailhourles entendent imposer au prieur des limites dans les prélèvements de la dîme sur les grains, les foins, les agneaux et les cochons80.
51La création de « syndicats », telle qu’on la rencontre de nombreuses fois dans les minutiers des notaires81 résulte, manifestement de la meilleure connaissance de leurs droits par les populations rurales. Que ces syndicats se trouvent dûment enregistrés chez les notaires leur octroient une reconnaissance officielle validée par l’écriture. Le grand nombre de signatures apposées par ceux qui assistent à ces enregistrements, permet d’affirmer que, aux yeux des signataires, le paraphe symbolise leur volonté de proclamer leur entrée dans la civilisation de l’écrit dont ils entendent devenir les acteurs résolus. Voici pour preuve, la plainte du curé de St-Julien-de-Valgineste qui accuse un de ces paroissiens de procéder à des interrogatoires « la plume à la main » et « il couchoit ensuite les réponses par écrit ». Ce négociant accusé d’être l’instigateur de l’émeute organisée contre le presbytère82 est surtout dénoncé pour oser s’arroger les attributs les plus formels de la justice et du pouvoir.
52Sans aucun doute, les paysans sont de moins en moins terrorisés par la toute-puissance de l’écrit. Les progrès de leur alphabétisation les conduisent à signer, en grand nombre, les actes de création de leurs syndicats. Lors de la délibération consulaire de Montricoux évoquée ci-dessus, sur les 80 habitants qui protestent contre la dîme du chanvre exigée par le fermier du Commandeur de Vaour, 39, soit la moitié, signent le registre du notaire Panat. À Vailhourles, le 29 mai 1777, lorsque les habitants protestent contre les exigences du prieur en matière de dîme, sur 66 présents, 29 signent l’acte du tabellion. À Saillac, sur 43 « bien-tenants », ils sont 14, dont une femme, à signer, lors de la création du syndicat, le 26 octobre 1777. Globalement, pour 789 présents lors de la création de syndicats, 259 signent soit une moyenne de 31,8 %83. De mieux en mieux alphabétisés comme en témoignent le nombre croissant de leurs signatures qui suivent les actes chez le notaire, ils affirment leur capacité à contrôler les actes écrits et entendent démontrer qu’ils sont capables d’écrire eux-mêmes. Les mentions manuscrites après leurs signatures dans les minutiers ou bien dans les registres de délibérations des assemblées communautaires sont là pour témoigner de cette volonté de confirmer qu’ils ont bien compris le texte dont ils venaient d’entendre la lecture. La même impression prévaut, à l’occasion de la rédaction des cahiers de doléances.
3. Les cahiers de doléances et les préoccupations nouvelles en matière d’instruction
53Les cahiers de doléances rédigés en 1789, donnent un aperçu des mutations qui se sont produites dans les esprits, au siècle des Lumières. Il ne s’agit pas ici de reprendre les études qui ont pu être faites, sur l’ensemble des revendications exprimées par les habitants des communautés, à la veille de la Révolution. Nous retiendrons, ici, les aspects qui intéressent l’éducation et la culture et l’état d’esprit qui a prévalu, lors de la rédaction des doléances des trois ordres.
54Les revendications contenues dans les cahiers de paroisse demeurent pour la plupart très conventionnelles. La majeure partie des doléances portent sur les injustices de la fiscalité d’Ancien Régime et remettent en cause le système féodal. Des modèles ont circulé, comme cela a été analysé pour les 79 cahiers de la sénéchaussée de Lauzerte. Ils reprennent les revendications à caractère juridique qui préoccupent probablement davantage les notables lauzertins que le peuple des paroisses qui entourent leur ville84.
55Sur 71 cahiers des Pays et jugerie de Rivière-Verdun à laquelle appartiennent la plupart des paroisses gasconnes du diocèse de Montauban, tous revendiquent plus de justice fiscale, 26 demandent l’égalité et l’un d’entre eux revendique la parité pour l’entrée dans « les collèges royaux, couvents et autres maisons d’éducation »85. Dans les cahiers de doléances de la sénéchaussée de Martel86, l’on retrouve la même insistance sur les idées d’égalité et de justice. Sur 58 cahiers, 14 évoquent l’éducation et l’enseignement.
56Au premier rang des préoccupations éducatives, se trouve l’une des doléances la plus couramment rencontrée dans de nombreuses communautés du Quercy : celle du rétablissement de l’Université de Cahors. Cette doléance qui figure à l’article 2 du cahier de Lauzerte apparaît rédigée et placée de façon identique dans celui de Montbarla, de Montagudet et de Saint-Amans-de-Pellagal et elle se retrouve pareillement exprimée à Sainte-Juliette et à Touffailles87. De nombreux cahiers de paroisses quercinois inscrivent cette revendication comme à Montcuq ou à Gourdon et la noblesse fait preuve de la même préoccupation, dans son cahier, en demandant, pour le bien du Quercy, « que l’Université de Cahors lui soit rendue » et que soit créée une école militaire.
57Les préoccupations de l’école s’expriment aussi dans les cahiers du clergé, autant ceux du Quercy que du Rouergue. Le haut clergé quercinois, dans son article 9, s’inquiète de la chute des revenus des congrégations, les Mirepoises ou les Ursulines, qui se chargent de l’éducation des jeunes filles. Ainsi :
« Les Demoiselles des Écoles chrétiennes établies dans le vaste diocèse de Cahors, où elles ont 14 maisons, dans lesquelles elles se consacrent, avec autant de succès que de zèle, à l’éducation des jeunes demoiselles et à l’instruction gratuite des filles du peuple, forment un établissement intéressant pour le bien public ; mais ces respectables institutrices se trouvant réduites à un véritable état de détresse, par l’insuffisance de leur dotation et par des pertes considérables que le malheur des temps a occasionné… »88
58Autre revendication formulée par le clergé à Rodez et à Villefranche-de-Rouergue, celle de mettre en place un plan d’éducation nationale qui est-il précisé, « en remédiant aux divers abus du système actuel d’éducation, prépare le bonheur des familles et l’esprit de la patrie »89 Deux cahiers méritent l’attention en raison de leur originalité : l’un, dans la sénéchaussée de Cahors, celui de Frayssinet-le-Gélat et l’autre, dans celle de Lauzerte, celui de Pechpeyroux. Il s’agit dans les deux cas de deux petites communautés où le cahier de doléances a été rédigé par deux notables lettrés, profondément influencés par les idées des Lumières, et qui proposent des réformes, tout en faisant preuve d’esprit critique. Correch, le rédacteur du cahier de Pechpeyroux, écrit dans l’article 11 :
« Depuis longtemps les bons esprits s’élèvent unanimement et à l’envi contre les vices de l’éducation publique ; ils gémissent et s’étonnent des difficultés qu’éprouve une réforme si nécessaire. Les états généraux doivent la considérer comme le moyen le plus efficace de régénérer et d’affermir la constitution […] Les députés de la sénéchaussée du Quercy doivent prendre cet objet en considération et demander que les philosophes les plus distingués par la pureté de leurs principes et par l’étendue de leurs connaissances soient chargés de la rédaction d’un plan d’éducation patriotique dans lequel la religion et la morale qui sont maintenant la partie la plus négligée obtiennent la préférence sur l’étude des langues […] Ils doivent réclamer le rétablissement de l’Université de Cahors, en même temps qu’une méthode nouvelle d’enseignement dans toutes les universités du royaume. »
59Les conceptions de l’éducation, précisées par Correch, sont très moralisatrices, mais on y retrouve le souci de former les jeunes esprits à une nouvelle citoyenneté.
60Dans l’article 8, il réclame la liberté de la presse parce que, selon lui, si la religion doit en être exclue, « les matières politiques doivent aussi bien que celles de la littérature être livrées à la discussion de tous les écrivains »90. Dans le cahier de doléances de Frayssinet-le-Gélat, l’avocat Delord91 souhaite :
« mettre de l’ordre dans l’éducation qui est très négligée, quoyque si décisive pour la société, parce qu’étant confiée à des gens de basse extraction ordinairement de l’ordre ecclésiastique […] pensant plutôt à se procurer quelque bénéfice à la faveur de leur employ qu’à faire des hommes… ».
61Delord est partisan de confier l’instruction des enfants à des laïques, en particulier, « à de bons pères de familles qu’on pourroit tirer de l’ordre des avocats en bonne partie… »92.
62Le clergé exprime, dans les cahiers de doléances, des idées très conservatrices, en matière d’éducation des enfants ou dans le domaine de la police des mœurs. Il réclame, en particulier, un contrôle de plus en plus sévère sur les publications et, dans l’article 3 de leurs doléances, les clercs sollicitent une loi qui réprimerait la liberté de la presse et arrêterait « la circulation des livres qui attaquent la foi, les mœurs, l’autorité royale, par la poursuite sévère des auteurs, imprimeurs et colporteurs »93. En revanche, le bas clergé, lorsqu’il a rédigé lui-même son propre cahier, a exprimé des idées très contestataires, à l’égard de l’organisation de l’Église, mais il demeure très divisé sur le plan doctrinal. Le jansénisme continue de marquer les esprits en Haute-Guyenne, surtout parmi les clercs du Rouergue94, en dépit de tous les efforts faits par les évêques pour procéder à son éradication. Cette survivance serait associée à un courant d’idées, le richérisme, dont on a pu écrire qu’il correspond à « une vision démocratisante du gouvernement ecclésiastique » et cette volonté de réformer le fonctionnement de l’Église aurait fortement influencé l’attitude du clergé, lors de la rédaction des cahiers de doléances et pendant la Révolution95.
63L’analyse de ces cahiers permet, en effet, de montrer leur esprit de plus en plus contestataire à l’égard de la hiérarchie de l’Église. L’esprit richériste qui est probablement la marque la plus durable et la plus profondément ancrée de la doctrine janséniste, telle qu’elle s’est perpétuée au xviiie siècle, tend à se traduire par des propositions de réformes radicales. Ainsi, la volonté que soient établies des assemblées diocésaines délibérantes se trouve clairement affirmée par les deux cahiers rédigés par le clergé dans les deux sénéchaussées du Rouergue. Ces deux cahiers adoptent, en outre, des positions proches des préoccupations du Tiers État, en matière de justice fiscale et même à l’égard de la dîme96.
64Toutes les idées de réformes, et, en particulier, en matière d’éducation ou d’organisation de l’Église, ne sont pas nées, au moment de la rédaction des cahiers de doléances. Il faut donc admettre qu’elles ont lentement mûri dans les esprits les plus cultivés, comme chez les notables les plus instruits des communautés rurales où les laboureurs, comme les modestes vicaires, ont sans aucun doute contribué à faire admettre la nécessité des changements politiques, en 1789.
B. La Révolution et l’échec de la nouvelle éducation du peuple
65Les structures d’enseignement de l’Ancien Régime se sont maintenues, au début de la Révolution, tant que le clergé continue à exercer les charges de maîtres d’écoles, au même titre que les régents laïques. La scission du clergé entre constitutionnels et réfractaires donne un coup d’arrêt à cette instruction traditionnelle et conduit les nouvelles municipalités à se préoccuper de désigner ceux qu’on appelle, désormais, des instituteurs. La législation imposée au temps de la Convention, suscite, à la fois, enthousiasme et oppositions. Quelle est la conception nouvelle de l’éducation des enfants ? Quelle a été l’évolution de cette école ? Comment a-t-elle fonctionné ?
1. « Nous voulons que nos enfans soient instruits »
66Ce désir d’instruction est contenu dans la réponse faite par un habitant de Sauveterre-de-Rouergue, à l’enquête de 1790-1791 sur les établissements d’instruction publique, le 5 janvier 1792 :
« Depuis trop longtemps, les malheureux habitants de nos campagnes incultes végètent dans l’ignorance fille de la servitude. La nature qui nous avait donné quelques talents y a toujours été écrasée par tout le poids de la féodalité qui nous fermait les avenues des temples de l’instruction dont nous étions susceptibles mais qui allait contre ses principes destructeurs. Il n’y a pas un seul maître d’école dans tout le district de Sauveterre et voilà, sans doute, une réponse bien précise à toutes les demandes qui nous sont faites de la part des ministres ; pas une seule maison d’éducation et par conséquent point de revenus qui y soient destinés […] Nous désirons de nous instruire, nous voulons que nos enfans soient instruits et nous savons que sans cela, ils peuvent pleinement servir leur patrie qui compte sur eux… »97
67Un autre exemple de discours favorable au développement de l’instruction nous est donné, lorsque le maire de Marcilhac-sur-Célé, Lagasquie, déclare devant le conseil général de la commune, le 18 janvier 1791 :
« Je me suis convaincu que rien n’était plus propre à remplir les vues de régénération de la France que l’établissement d’une école pour l’instruction et l’éducation de la jeunesse. En effet, Messieurs, comment nos jeunes citoyens pourraient-ils profiter du bienfait de la loi qui leur ouvre les portes des charges et des dignités sans le secours de l’écriture et de la lecture ? Privés de cette ressource, comment pourraient-ils connaître et apprécier cette immortelle Déclaration des droits de l’homme qu’on peut regarder comme l’évangile de la nature. »98
68La création d’une école est alors décidée dans ce village et le salaire du maître est fixé à 200 livres. Pendant la période révolutionnaire, se développe l’école « publique » puisque prévaut, à ce moment-là, la création d’écoles où le maître est rémunéré par la commune.
69Comme à Marcilhac, c’est dans l’enthousiasme des débuts de la Révolution que de nombreuses écoles sont établies à la suite des premiers décrets du 12 décembre 1792 et celui du 30 mai 1793 qui décident l’institution d’écoles primaires dans les communes de plus de 400 habitants. Un long débat est lancé, sous la Législative, pour étudier la mise en route d’un plan d’éducation confié, en 1792, au Comité d’instruction publique auquel participe activement Condorcet99. Au cours des débats qui ont alors opposé des points de vue divergents sut l’étendue du contrôle de l’État, une voix montalbanaise, celle de Jeanbon Saint-André, plaide pour l’installation d’un collège à Montauban de façon à permettre l’instruction des enfants protestants100. Sous la pression des Sociétés populaires qui réclament une organisation de l’instruction publique, sous le contrôle de la République, l’espoir de voir imposer une réforme se trouve décuplé sous la Convention. Répondant à cette attente, le décret Bouquier, plus communément désigné comme la loi du 29 frimaire an II (19 décembre 1793), prévoit d’imposer l’obligation scolaire au moins pendant trois années consécutives, la gratuité de l’enseignement et la rémunération des enseignants par l’État. En réalité, l’école est alors considérée comme le meilleur instrument de propagation des idées républicaines. C’est ainsi que la considère le représentant en mission Bô lorsqu’il vient dans le Lot :
« Il serait utile aux progrès de la Révolution de répandre rapidement l’instruction, sinon la malveillance travaillera sans cesse ce peuple bon et crédule. »101
70Il est certain que la loi du 29 frimaire donne une impulsion décisive à la création d’écoles publiques et c’est au cours de cette période que les nominations d’instituteurs sont les plus nombreuses. Ainsi, à Reyniès, le 14 germinal an II :
« Un registre d’inscription pour les instituteurs et les institutrices du premier degré d’instruction publique a été ouvert depuis quelques jours et personne ne s’est présenté pour se faire inscrire […] Le maire propose de procéder à la nomination d’un instituteur conformément à la loi du 29 frimaire et le conseil général a unanimement nommé le citoyen Jean-Pierre Fauré, cultivateur domicilié dans cette municipalité […] dont la conduite n’a pas vaxillé depuis la Révolution. »102
71À Puylaroque, le 15 pluviose an III, Jean-Pierre Delord, un marchand qui a été « élu régent », le 26 décembre 1792, se trouve confirmé à son poste par le jury d’instruction publique avec un autre instituteur, Guillaume Paquié. Ils doivent apprendre aux élèves, à lire, à écrire ainsi que les rudiments de l’arithmétique, en se conformant aux exigences de la loi du 29 frimaire103. À Duravel et Montcabrier, les instituteurs désignés doivent apprendre, outre les apprentissages scolaires, « les actions héroïques et civiques des Républicains »104. L’école est alors conçue comme le moyen le plus sûr pour faire évoluer les esprits, mais dès que cette école est soupçonnée d’un engagement politique trop marqué, elle se heurte, et c’est le cas à Montcabrier, à l’hostilité des populations. Située comme la croyance religieuse dans la sphère privée, l’école, selon une conception maintes fois rappelée, est considérée comme un domaine qui doit rester à l’écart des enjeux politiques.
2. Les maisons d’éducation se multiplient à la place des collèges
72À Martel, dès 1792, un conseiller municipal se plaint du manque d’écoles dans cette ville et souhaite leur développement :
« Nous avons vu que le collège qui y était établi affluait d’étudiants et que quatre instituteurs pour le latin et le français pouvaient à peine suffire pour l’enseignement des enfants confiés à leurs soins, la loi du mois de novembre 1790 relative au serment des prêtres nous força à congédier les régents qui esclaves des préjugés despotiques refusèrent d’y obéir et depuis cette époque nos enfants n’ont eu pour ainsi dire aucune instruction morale et politique… »105
73Comme à Martel, dès 1791, la majorité des régences latines ainsi que tous les collèges tenus par des clercs ont été fermés, partout où ces clercs ont refusé de prêter serment. Effectivement, la plupart des institutions religieuses, qu’il s’agisse des collèges ou des écoles de filles ou de garçons tenues par des congrégation, ont perdu leurs enseignants. Alors que la majorité des professeurs du collège de Rodez refusent de prêter serment, ceux de Cahors sont plus nombreux à le faire. Dans cette ville, le collège continue à assurer un enseignement, mais il végète, tandis que prolifèrent les maisons d’éducation, comme on peut le constater aussi à Montauban. Ainsi, un état général des écoles secondaires dans l’arrondissement de Montauban, permet-il de compter plus tard, 35 élèves dans une pension de Montalzat, 123 et 100 dans 2 pensions de Moissac, 30 dans une école de Montauban106. En réalité, ces écoles ont été très fluctuantes du seul fait qu’elles dépendent le plus souvent d’un seul maître, mais étant donné que l’ouverture de l’École Centrale à Cahors, en 1796, ne suffit pas à assurer un enseignement secondaire qui permette de satisfaire les besoins, c’est le développement d’une école privée qui remédie à l’insuffisance des collèges107.
74Le cas de Jean-Philippe Calmels est exemplaire de l’évolution de l’enseignement sous la Révolution. Ce jeune clerc, d’origine ruthénoise a connu un parcours chaotique. Après ses études, au collège de Rodez, Calmels devient clerc tonsuré, mais ses parents ne peuvent lui payer le titre clérical nécessaire pour accéder à la prêtrise, il vient alors, en 1788, exercer les fonctions de maître d’internat au collège royal de Montauban où il occupe, ensuite, celle de professeur de quatrième. Il adhère, dès sa création, au Club des Patriotes, en septembre 1790, où il est présenté comme « un patriote au grand cœur, à l’imagination féconde, au style facile, aux discours justes et véhéments ». Membre très actif du Club, il s’engage à donner une instruction patriotique aux illettrés et à leur expliquer, en français, et, en occitan, les décisions de l’Assemblée constituante. Sans hésiter, il prête serment à la Constitution, en avril 1791, il se fait ordonner prêtre par l’évêque constitutionnel de Cahors et se retrouve curé de la paroisse de Bressols, à quelques kilomètres de Montauban, où il est très mal accueilli par les paroissiens. En mars 1794, il fonde une école pour l’instruction des jeunes montalbanais au faubourg Lacapelle et selon le registre des inscriptions, une centaine d’élèves de 6 à 13 ans viennent y suivre la classe. En 1796, cette école ferme et Calmels part à Moissac, où il se marie, en février 1795. On le retrouve alors comme instituteur à l’école nationale de cette ville où il se distingue en l’an VII, en soumettant au jury d’instruction publique des exercices littéraires dont il a obtenu la publication, chez Crosilhes, imprimeur à Montauban108. Pour une raison sans doute politique, Calmels est renvoyé, peu après le coup d’Etat du 18 Brumaire. Il écrit, le 28 nivôse an VIII, une longue lettre à l’Administration centrale, à Cahors, pour demander que soit rapporté l’arrêté de destitution en dénonçant une sanction « arbitraire », « liberticide » et « attentatoire au Droit des gens »109.
3. L’échec du changement : difficultés et résistances
75L’échec de la « régénération » de la jeunesse est probablement lié à divers facteurs. Associer le développement de l’instruction des enfants à l’éducation civique aurait certainement pu se concevoir si cela n’avait pas été assorti d’une volonté de déchristianisation inacceptable par les populations les plus attachées à leurs traditions, en Quercy comme en Rouergue. L’effort pour développer l’instruction s’est, en réalité, poursuivi en marge de l’école publique, dès la Révolution. Un autre réseau d’écoles qui existe déjà, sous l’Ancien Régime, continue d’exister, parfois de manière clandestine, en dépit des interdictions qui sont faites d’ouvrir des pensions chargées d’instruire les enfants, sans l’autorisation du comité d’instruction publique.
76Un arrêté décidé par l’administration centrale du département du Lot prévoit en 1796, la création de 150 écoles. Un an après, il en existe à peine 30. Un commissaire du gouvernement s’inquiète de cette situation en ces termes :
« L’instruction publique qui seule peut réellement bonifier l’esprit public est encore très négligée. Peu d’écoles primaires sont organisées au gré de la loi ; il est difficile de trouver des sujets capables de remplir ces places ; ceux qui le seraient les dédaignent et les administrations municipales ne se donnent en général aucun mouvement pour s’en procurer et la plupart des pères de famille, notamment dans les campagnes, aiment mieux envoyer leurs enfants au cathéchisme qu’aux écoles… »110
77Ce constat d’impuissance traduit l’impossibilité où se trouvent les partisans d’un changement trop radical lorsqu’il s’agit de faire appliquer leurs décisions. Les résistances dans le Quercy et le Rouergue sont trop fortes pour imposer la « régénération » et ce qui provoque des sentiments de dépit exprimés par les autorités administratives du département du Lot :
« La grande majorité des instituteurs des deux sexes professent des principes antirépublicains et au lieu d’inspirer à leurs élèves l’amour de la République, ils les imprègnent d’opinions erronées et de tous les préjugés de l’Ancien Régime. »
78Cet échec conduit très tôt les notables à protester contre l’absence d’écoles et à regretter de plus en plus le bon vieux temps où des écoles existaient. À Lauzerte, les autorités municipales protestent contre l’absence d’établissement secondaire et font une description nostalgique de l’école sous l’Ancien Régime. La lettre du maire de Lauzerte adressée au sous-préfet de Montauban, le 4 frimaire de l’an X, illustre les évaluations extravagantes que pouvaient établir alors des autorités lorsqu’il s’agissait des effectifs dans les écoles de l’Ancien Régime111. À croire le maire, il y aurait eu environ 200 élèves, au collège de Lauzerte, et 100 filles, chez les Mirepoises112. Cette lettre témoigne d’une vision très critique de la part de bon nombre de notables à l’égard de l’œuvre révolutionnaire. L’enquête réalisée à Caylus apparaît plus nuancée, mais elle tend certainement elle aussi à embellir le bilan de l’instruction des enfants, avant la Révolution113.
79En définitive, la diversité et l’incohérence du réseau d’écoles114 qui existait sous l’Ancien Régime semblent aggravées, à la fin de la Révolution, du fait de la multiplication des écoles, pensions ou maisons d’éducation, alors que les écoles publiques se trouvent, à l’aube du xixe siècle, en nombre très insuffisant. Sans moyens, le grand projet d’éducation nationale qui est né dans l’esprit des théoriciens, au siècle des Lumières, et que Condorcet appelle de ses vœux en 1792, demeure lettre morte et renvoie à une période plus tardive, l’essor de l’instruction du peuple.
Notes de bas de page
1 bhpf, Ms 941, Livre de raison de Philippe Gaches de 1766 à 1779.
2 Lucien Cavalié, Figeac, op. cit., pp. 198 et sq.
3 Laurence Fontaine, Histoire du colportage en Europe, xve-xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1993.
4 Cité par Pierre Lançon dans Imprimeurs, libraires et lecteurs en Rouergue aux xviie et xviiie siècles, op. cit., p. 42.
5 BN, Ms, Fr. 22 128, Extrait des registres de l’hôtel-de-ville de Villefranche-de-Rouergue.
6 Robert Darnton, Bohème littéraire et Révolution. Le monde des livres au xviiie siècle, Hautes études, Gallimard-Le Seuil, Paris, 1983, pp. 111-153. Il cite un libraire d’Aix qui se montre excédé par « le colportage de plus de deux cents montagnards du Dauphiné, qui après avoir remué la terre pendant 6 mois de l’année descendent à l’entrée de l’hiver dans le Comtat y font des levées considérables de livres et les versent dans la Provence, le Languedoc et autres provinces adjacentes ». Citation p. 139, tirée des « Requêtes » adressées à M. d’Hémery, Inspecteur de la librairie, par David d’Aix, bn, Ms, Français 22075, fol. 234.
7 Robert Darnton, Le Grand massacre des chats. Attitudes et croyances dans l’ancienne France, Paris, Payot, 1985.
8 Arch. dép. du Lot-et-Garonne, Arch. mun. d’Agen, FF 58 et 103, registre de 1757 avec la liste des aubergistes d’Agen comportant tous les étrangers logés, tels les Auvergnats fabriquants de boutons, les colporteurs savoyards et ceux du Comminges. Document cité par Pierre Deffontaines, Les Hommes et leurs travaux dans les pays de la Moyenne Garonne, op. cit.
9 Selon les expressions de Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris, t. X, pp. 26-27.
10 adtg, notaire Jean-Abel Derey, 5 E 1314, registre d’inventaires après-décès (1772-an V, soit en 1796)
11 adtg, Ms. 200, Un bourgeois montalbanais : Pierre Bosquet, par Daniel Ligou et Annie Cazenave.
12 Jean-François Marmiesse, Histoire abrégée de ma vie, op. cit., p. 14.
13 adtg, Q 136 et Q 216, inventaires des biens des prêtres émigrés. Hélas, ces inventaires sont souvent décevants parce qu’ils portent des indications sommaires sur le contenu des bibliothèques.
14 Henri Guilhamon, « L’abbé Solacroup de Lavaissière, prieur d’Escamps », dans bsel ., 1933 et 1934. Contient un inventaire complet de sa riche bibliothèque, pp. 301-304. Voir Annexe no 10.
15 Présentation est faite de la vie et des œuvres de Jean-Martin de Prades (1724-1782) dans la contribution de Jean-François Combes à Dix siècles de vie littéraire en Tarn-et-Garonne, pp. 109-120. Né à Castelsarrasin dans une famille de la noblesse de robe, il entreprend des études de théologie, à Paris, et fait la connaissance de d’Alembert et de Diderot. Sa thèse de théologie d’abord approuvée par la Sorbonne est ensuite condamnée. Il est alors obligé de s’enfuir, d’abord aux Pays-Bas puis en Prusse.
16 Robert Darnton, L’aventure de l’Encyclopédie. un best seller au siècle des Lumières, Paris, Librairie Académique Perrin, 1982, dans l’Annexe B, pp. 412-418.
17 adtg, Annonces, Fonds Forestié no 1494, no 12.
18 Tous les clients de cette souscription ne semblent pas satisfaits puisqu’en 1781, un procès oppose l’avocat quercinois, Delord, à Crosilhes, le libraire, parce que ce client veut se départir de ses engagements. Affaire décrite dans un mémoire de la BM de Montauban, rf 2.2.
19 Mémoires de la jeunesse de Guillaume-Marie Ayral, pp. 36 et 137.
20 François de Dainville, L’éducation des Jésuites xvie-xviiie siècles, op. cit., voir différents chapitres sur l’enseignement des sciences.
21 Lettre de l’abbé Carnus, professeur de philosophie à Rodez contenant la relation du voyage aérien fait le 6 août 1784, sur la Montgolfière La Ville de Rodez…, Rodez, chez Martin Devic, 1784, p. 10. Ouvrage à la BM de Rodez côte no 1896. Voir Illustration no 10.
22 Ibidem, p. 27.
23 Michel Taillefer, Une Académie interprète des Lumières, L’Académie des sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, au xviiie siècle, Paris, cnrs, 1984, pp. 255-276. Liste citée dans cet ouvrage.
24 adtg, Ms. 200, Un bourgeois montalbanais : Pierre Bosquet, par Daniel Ligou et Annie Cazenave ou bien Daniel Ligou, La Révolution à Montauban, op. cit., p. 160.
25 Marcel Gausseran, Louis de Cahuzac (1706-1759), Homme de Lettres montalbanais, RAM, t. 67,1971-1972.
26 Daniel Ligou, La Révolution à Montauban, op. cit., p. 160.
27 Deux volumes traduits du latin par l’abbé Cassagnes de Peyronenc, édités à Montauban chez Cazaméa.
28 La bibliothèque de Jean Méja qui a exercé ses fonctions de vicaire puis de curé de Verlhac, sans interruption, de 1783 jusqu’en 1843, a été transmise à son neveu et prêtre, Augustin Bergé, qui l’a léguée en intégralité à ses descendants de Montaïn chez qui nous avons pu la consulter. Elle comprend 15 volumes des Conférences ecclésiastiques du diocèse d’Angers, 17 de la Sainte Bible en latin et en français, publiée à Toulouse en 1779 et l’Œuvre de Bossuet en 22 tomes.
29 Emmerand Forestié Neveu, L’ancienne Académie de Montauban, Montauban, 1886,. Elle est issue d’une Société de Lettres créée, en 1730, et ayant obtenu du roi, en 1742, la permission de tenir des assemblées publiques. C’est en juillet 1744 que Louis XV, par lettres patentes, érige la Société littéraire de Montauban en Académie des Belles-Lettres. Les amitiés de Lefranc de Pompignan – dont la Lettre est citée p. 60 – avec le duc de Nivernais ont certainement permis d’obtenir cette faveur royale et ont servi à placer l’Académie sous la haute protection du comte de Saint-Florentin, secrétaire d’État. Comme d’autres Académies de province, celle de Montauban se compose de 30 membres. Elle compte diverses personnalités de la ville qui exercent de hautes fonctions qu’elles soient religieuses administratives ou judiciaires. La liste des membres comprend l’intendant, l’évêque, le trésorier de France, des chanoines, plusieurs hauts magistrats de la Cour des Aides dont l’avocat-général, Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, et quelques grands nobles.
30 Ibidem ; ce discours lui vaut par la suite les sarcasmes des philosophes et particulièrement de Voltaire.
31 bn, an Fr 4053, lettre du 16 mars 1766, fol 204 v°.
32 Sur le recrutement de l’Académie de Montauban : Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, thèse, Paris-La Haye, Mouton, 1978, p. 219.
33 ada, notaire Barthélémy Levasseur, 3 E 21 798, Inventaire des biens, le 21 décembre 1768. Document très intéressant, aimablement communiqué par M. Krum.
34 ada, notaire Chalret, 3 E 14 946, l’inventaire des biens date du 10 septembre 1777 et la vente de livres du 20 octobre. Sur les 32 ouvrages, les seuls qui n’ont pas un caractère religieux sont des livres de philosophie.
35 Dans Histoire de Rodez, op. cit., contribution de Nicole Lemaître, p. 134.
36 Sur ce point voir Robert Mauzi, L’idée du bonheur au xviiie siècle, Paris A. Colin, 1965, 727 p., il insiste en particulier sur la sociabilité comme un facteur essentiel du bonheur.
37 Émile Duffour, Étude sur l’Assemblée de Haute-Guyenne, Cahors, 1881, p. 42.
38 J.D. Woodbridge, L’influence des philosophes français sur les pasteurs réformés du Languedoc pendant la deuxième moitié du xviiie siècle, Toulouse, thèse de doctorat de troisième cycle, 1969, p. 314.
39 Les « Remontrances » de Malesherbes 1771-1775, éd. par E. Badinter, Paris, uge, 10/18, 1978, p. 273.
40 Roger Chartier, « Lectures paysannes. La bibliothèque de l’enquête Grégoire », dans xviiie siècle, no 18,1986.
41 Dans Gazier, op. cit., p. 61.
42 adtg, 5 E 7293, le 5 mars 1784, inventaire des biens délaissés par messire Henri de Lolmie, seigneur de Lapenche.
43 Les études qui portent sur ce commerce au xviiie siècle, en Haute-Guyenne, sont inexistantes. L’ouvrage de référence demeure celui de Robert Mandrou, De la culture populaire aux xviie et xviiie siècles, la Bibliothèque bleue de Troyes, Paris, Stock, 1964 et 1975, Imago, 1985. La vente de brochures et livres est beaucoup mieux connue au xixe siècle grâce à l’ouvrage de Jean-Jacques Darmon, Le colportage de librairie en France sous le Second Empire, grands colporteurs et culture populaire, Paris, 1972, où il souligne que les itinéraires des colporteurs les conduisent vers les contrées les plus alphabétisées.
44 adtg, notaire Larrieu, 5 E 15 273, (liasse).
45 adtg, notaire Mallet, 5 E 14 906, (liasse).
46 adtg, notaire Bergalasse, 5 E 15039, le 8 mai 1779.
47 Ibidem, 5 E 15041, le 26 décembre 1784.
48 Évoquée par Henri Brémond dans l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France, 49 adl, notaire Pradines de Limognes, 3 E170/13, le 15 janvier 1784.
49 adtg, notaire Lamanhenie, 5 E 6152, le 22 mai 1781.
50 adl, J 505, livre de raison de la famille Roumiguières de Montcuq.
51 Robert Darnton, Bohême littéraire et Révolution, op. cit., pp. 155-175.
52 Daniel Fabre, « Alphabétisation et cultures populaires dans les Pyrénées. Propositions pour une recherche », dans les Actes du colloque Pyrénées-Carpathes, publié à Cracovie 1981. Selon lui « la coupure entre l’oralité et la lecture-écriture… n’est peut-être pas aussi brutale qu’on l’a crue » p. 129.
53 Michel de Certeau, Dominique Julia et François Furet, Une politique de la langue. La Révolution française et les patois, op. cit., évoquent cette coupure lorsqu’ils écrivent que « dans l’imaginaire des notables qui répondent à Grégoire, une utopie essaie de prendre corps : celle d’une humanité restée à la lisière de l’histoire et dont la vie serait encore régie par la nature » (p. 144). C’est bien ce qu’exprime le correspondant du Lot-et-Garonne quand il décrit ainsi les paysans : « Nos gens de la campagne, bornés à labourer à semer et à ce qui a rapport à l’agriculture, ont nécessairement leur idiome circonscrit de leurs idées et de leurs besoins… » (p. 145).
54 Georges Fournier, « Les communautés rurales en Bas-Languedoc au xviiie siècle », dans Communautés du Sud, sous la dir. de D. Fabre et J. Lacroix, Paris, 1975, t. 2, évoque « l’aliénation linguistique et culturelle » des notables qui « s’éloignent non seulement de leur langue mais aussi de leur culture et de la communauté villageoise », p. 358. Cette impression qui se vérifie dans les villes où les élites cultivées semblent se détourner du peuple ne paraît pas correspondre à la réalité dans les campagnes de Haute-Guyenne. Précisons, en outre, que Georges Fournier ne semble pas avoir retenu ce point de vue dans sa thèse.
55 Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au xviiie siècle, Paris, 1992, p. 63.
56 Il n’est évidemment pas dans notre propos de faire une étude sur la Révolution en Haute-Guyenne, ni d’analyser le rôle des élites pendant les événements révolutionnaires ou de faire une étude exhaustive sur l’instruction des enfants, au cours de cette période. Notre objectif se limite à ouvrir quelques perspectives de recherches.
57 Daniel Mornet, Les origines intellectuelles de la Révolution française, Paris, 1933, « Ce sont les idées qui ont déterminé la Révolution », p. 3.
58 Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Le Seuil, 1991.
59 Michel Vovelle, « La sensibilté pré-révolutionnaire », dans Idéologies et mentalités, déjà mentionné dans l’Intoduction.
60 Robert Muchembled, L’Invention de l’homme moderne. Sensibilités, mœurs et comportements collectifs sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988.
61 Annonces de Montauban, en date du mercredi 21 octobre 1778, adtg, Fonds Forestié, 1484, no 42.
62 Ibidem, p. 534 et 537.
63 Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation. Attitudes provençales devant la mort au siècle des Lumières d’après les clauses des testaments, Paris, 1973.
64 Jean-Claude Sangoi, La démographie paysanne en Bas-Quercy, op. cit. et Pierre Valmary, Familles paysannes au xviiie siècle en Bas-Quercy, Paris, ined, Travaux et documents, cahier no 45, puf, 1965.
65 Yves Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc au xviiie siècle, Paris, 1974. Nicole Castan, Les criminels de Languedoc, Toulouse, 1980.
66 Ralph Gibson, « Les travaux anglophones récents sur l’histoire moderne et contemporaine du Périgord », dans le Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, t. 119, 1992, où sont cités les travaux de Ian Cameron, Crime and repression in the Auvergne and the Guyenne, 1720-1790, Cambridge University Press, 1981, et Steven Renhardt, justice in the Sarladais, 1770-1790, Baton Rouge and London (Louisiana State University Press) 1991.
67 Antoine Court de Gébelin, Les Toulousaines, ou Lettres historiques et apologétiques, publiées à Edimburg en 1763. Consulté dans le « Fonds Montauban » à la bu de l’Arsenal à Toulouse. Il s’agit d’une affaire développé dans la Lettre XXII. Le récit de l’affaire Rochette est raconté dans La ville de Caussade par Galabert-Boscus, op. cit.
68 Yves-Marie Berce, Histoire des Croquants, Paris-Genève, éd. Droz, 1974.
69 Sur ce point, Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, op. cit., une partie s’intitule : « Des révoltes antifiscales aux procédures antiseigneuriales ».
70 « La fin des révoltes » est le titre d’un chapitre de l’ouvrage de Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993 pp. 287-317. Voir aussi Yves Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, 1974.
71 Comme le constate Yves-Marie Bercé dans Histoire des Croquants, op. cit.
72 Pierre de Saint-Jacob, Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, Bernigaud et Privat, 1960.
73 adtg, registre des délibérations consulaires, 3 E 3339, conseil politique du 23 mars 1760 rassemblant 80 personnes.
74 adl, notaire Romec de Limogne, 3 E 171/5, le 26 septembre 1779.
75 adtg, notaire Bouniol de Lauzerte, le 28 mars 1780.
76 Arch. dép. Lot, 3 E 172-4, notaire Vernet.
77 C’est-à-dire les premiers fruits recueillis après une récolte, alors qu’il s’agit traditionnellement d’un don volontaire aux curés, notamment à ceux qui ne perçoivent pas de dîmes.
78 Arch. dép. Tarn-et-Gne, 5 E 18110.
79 adtg, 5 E 7189, fol. 141-143 v°.
80 ada, notaire Noailles de Saint-Grat (près de Vailhourles), 3 E 8953, nombreuses délibérations sont rapportées dans les cahiers 3, 4 et 7.
81 D’autres types de requêtes donnent lieu à des actes passés chez les notaires pour créer des syndicats : le 20 novembre 1785, les paroissiens de Servanac, se syndiquent pour protester contre « l’ouverture du chemin à l’endroit où l’ingénieur l’a fait marquer », Arch. dép. Tarn-et-Gne, 5 E 15920, minutier de Ricard notaire de Saint-Antonin, fol. 411.
82 Mentionné dans le chapitre précédent.
83 Ces chiffres doivent être considérés comme des minima, car il n’est pas du tout évident que tous ceux qui étaient capables de signer aient pu le faire.
84 Rino Bandoch, « Les rapports ville/campagne pendant les opérations électorales du printemps 89 dans la sénéchaussée secondaire de Lauzerte », dans bsatg , t. 111-1986, pp. 43-52.
85 Daniel Ligou, Cahiers de doléances du Tiers-état du pays et jugerie de Rivière-Verdun, Gap, 1961.
86 Lucien Lachieze-Rey, « Les cahiers de doléances du Quercy » dans le Bulletin littéraire ecclésiastique, 90/3, juillet-août 1989, pp. 13-21.
87 adtg, Ms 79, Cahiers de doléances de la sénéchaussée de Lauzerte, fol. 100, 142, 145, 194, 210 et 252.
88 Louis Combarieu, L’Assemblée des trois ordres pour la préparation des États Généraux à Cahors, mars 1789, Cahors, 1877, p. 56.
89 Michel Péronnet, « Les cahiers de doléances du clergé de Rouergue », dans Libertés locales et vie municipale en Rouergue Languedoc et Roussillon, paru dans les Actes du 69e Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, tenu à Millau, les 19 et 20 juin 1987, p. 197 et 200. Autre contribution dans ces Actes : « Les cahiers de doléances du Tiers-État, en Rouergue » par Jean-Pierre Donnadieu, pp. 213-222.
90 adtg, Ms 79, cité ci-dessus du fol. 166 à 182. Voir Annexe no 12.
91 Cet avocat a déjà été évoqué au chapitre précédent, à l’occasion d’un procès qui l’oppose au libraire Crosilhes.
92 an, D IV-38-1033, article 15, pp. 17-18.
93 Louis Combarieu, L’Assemblée des trois ordres, op. cit., p. 60.
94 En 1771, éclate, à Rodez, une affaire provoquée par le curé vindicatif de la cathédrale qui refuse publiquement de donner la communion à un prêtre du diocèse sous prétexte qu’il a refusé de signer le formulaire d’Alexandre VII. Un autre exemple démontre que le jansénisme se perpétue : le seigneur de La Goudalie, Jean-Jacques de Goudal conserve des livres jansénistes et refuse l’extrême-onction par le curé de Muret. Ces faits se trouvent relatés par R. Combes de Patris, dans « Le jansénisme en Rouergue à la fin du xviiie siècle », dans la Revue des Études historiques, juillet-août 1914.
95 L’article de Catherine Maire, « L’Église et la Nation : du dépôt de la vérité au dépôt des lois. La trajectoire janséniste au xviiie siècle », paru dans Annales esc , no 5, septembre-octobre 1991, pp. 1177-1205, fait le point sur cette question. L’ouvrage le plus précis, sur ce thème, est le livre ancien d’Edmond Préclin, Les Jansénistes du xviiie siècle et la Constitution civile du clergé. Le développement du richérisme. Sa propagation dans le bas-clergé, 1713-1790, Paris, 1929.
96 Sur ce point voir Timothy Tackett, La Révolution, l’Église, la France, Paris éd. du Cerf, 1986. Analysant les mouvements de contestation des curés au xviiie siècle, Timothy Tackett constate, en 1775, un mouvement dans le diocèse de Cahors, en faveur de l’augmentation de la portion congrue versée aux curés les plus mal lotis. Mais cette étude révèle un fait plus étonnant encore, les diocèses de Rodez et de Cahors se trouvent à l’avant-garde dans leurs cahiers de doléances ! En effet, Timothy Tackett a comparé les revendications contenues dans les 126 cahiers du clergé avec les 15 mesures religieuses les plus importantes de la Constitution civile du clergé adoptée par l’Assemblée révolutionnaire. 13 de ces mesures sont déjà contenues dans le cahier du diocèse de Rodez ! Il s’agit du chiffre le plus élevé de tous les diocèses français.
97 an, F17-1311, dossier 12, Enquête 1790-1791. Un maître d’école se trouve en place, à Sauveterre, pendant presque toute la durée du xviiie siècle, mais il est probablement le seul dans toute la contrée.
98 Cité par L. Saint-Marty, Histoire du Quercy, op. cit., p. 330.
99 Sur les débats portant sur l’instruction des enfants, au cours de la Révolution, les publications sont très nombreuses. Voir Dominique Julia, « Enfance et citoyenneté. Bilan historiographique et perspectives de recherches sur l’éducation et l’enseignement pendant la période révolutionnaire » dans Histoire de l’éducation, no 45, janvier 1990, pp. 3-42, où se trouvent mentionnées les recherches les plus récentes comme celles d H. Chisick ou M. Albertone ; du même auteur, Les Trois couleurs du tableau noir, Paris, Belin, 1981 ; Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, sous la dir. de François Lebrun, Jean Queniart, Marc Venard, De Gutemberg aux Lumières, 1480-1789, t. 3 « De la Révolution à l’école républicaine » de Françoise Mayeur, Paris, Nouvelle librairie de France, 1981, pp. 25-90 ; enfin l’article « Régénération » dans le Dictionnaire critique de la Révolution française, sous la dir. de François Furet et Mona Ozouf, Paris, Flammarion, 1988, pp. 825-831.
100 Sur les conceptions de l’instruction de Jeanbon Saint-André, voir Jean-Paul Damaggio, La Révolution dans le Montalbanais. Portraits et événements, Balma, édit. Midia, 1989, pp. 32-33.
101 Ibidem, p. 331.
102 adtg, dans les registres des délibérations communales, 3 E 918, le 14 germinal an II.
103 Arch. mun. de Puylaroque, dans les registres des délibérations communales, fol. 121, et 127.
104 Cité par L. Saint-Marty, Histoire du Quercy, op. cit., p. 331.
105 Arch. mun. de Martel, Registre de la municipalité, délibération du 21 novembre 1792.
106 adtg, 82 T 1.
107 À Toulouse, fin 1797, Olivier Devaux compte 81 écoles privées et seulement 12 écoles publiques de garçons, dans La Pique et la plume. L’enseignement à Toulouse pendant la Révolution, Toulouse, Eché.
108 adl, Bibl. no 2883. Exercice littéraire dédié au Jury d’instruction publique de la commune de Moissac, produit lors de la fête de la jeunesse, le 10 germinal an VII, brochure de 42 p. L’instruction est présentée comme « le premier ressort d’un État libre et la pierre fondamentale du gouvernement républicain ». Voir Annexe no 14.
109 adtg, 175 J
110 Cité par L Saint-Marty, Histoire du Quercy, op. cit., p. 332.
111 Dominique Julia et Paul Pressly, « La population scolaire en 1789. Les extravagances statistiques du Ministre Villemain », dans Annales esc , novembre-décembre 1975 pp. 1516-1561.
112 adtg, 82-T-l.
113 Séverin Canal, « Documents pour l’histoire de l’enseignement secondaire en Tarn-et-Garonne, à la fin de l’Ancien Régime », bsatg , 1934, pp. 125-132. Annexe no 13.
114 En maintenant sa volonté d’imposer une école républicaine, le Directoire n’a fait que cristalliser une opposition où se mêlent les tenants de la liberté religieuse et ceux qui défendent les libertés individuelles, en particulier celles des parents qui exigent d’éduquer leurs enfants comme ils l’entendent. En matière d’enseignement, un débat essentiel, qui marque aussi bien le xixe que le xxe siècle, surgit alors dans la vie politique française et ce débat oppose les tenants d’une laïcité radicale et ceux qui défendent une liberté jugée fondamentale : celle des parents.
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