La République juive
Question religieuse et prophétisme biblique en France au xixe siècle
p. 133-157
Texte intégral
1Édouard Drumont dénonce en 1886 La France juive : il a presque raison ! Il suffirait, pour que son titre soit juste, qu'il le change en République juive ; ce qui, il est vrai, est tout autre chose. D'autant que les juifs ici en cause n'agissent pas dans l'ombre, mais au grand jour des publications : et que, s'ils entendent démontrer que la République est juive, c'est simplement parce qu'elle leur semble née, en 1789, de la même exigence de justice que celle que proclamèrent jadis, à la face du monde et du Dieu unique, Moïse et les prophètes. Le judaïsme, en tant que religion séparée, allait pouvoir disparaître, au sortir des ghettos pour se fondre dans une universalité reconnaissant enfin ses racines juives. Double intégration, pour des citoyens de la veille : par la reconnaissance de communes généalogies, et par l'organisation de noces généralisées. Les juifs les proclament sous l'autorité de Renan, on le verra, et en bénéficiant, à l'instar des protestants et d'une poignée de réformateurs divers, de la conjoncture religieuse très particulière dans la France du XIXe siècle : le catholicisme apparaît aux élites nouvelles comme de plus en plus sclérosé (on parle d'ultramontanisme, et même, après 1864, de « syllabisme »), alors que le courant religieux, loin de se tarir dans les sables du positivisme ou du scientisme, ne cesse de jaillir. Il le fait d'abord sous les espèces d'un messianisme à peine sécularisé, dans les années 1830-1840, puis, trente ans après, dans la recherche d'une religion laïque, appelée à réunir l'ensemble des hommes, et à dialoguer de plain-pied avec la société républicaine moderne. On trouve de nombreux juifs dans chacune de ces deux générations : mais si leur présence dans la sphère saint-simonienne a été longuement décrite1, et si Pierre Birnbaum a tout dit de leur ancrage politique dans la République2, un maillon reste à établir : celui par lequel des juifs ont élaboré le thème, proprement religieux, d'une parenté profonde entre le monothéisme juif et la République. Deux hommes, deux livres, à une génération de distance, incarnent ce moment de l'histoire des juifs en France : Joseph Salvador (1796-1873) et son Paris, Rome, Jérusalem, ou la Question religieuse au XIXe siècle, paru en 1859-1860, et réédité en 1880, au moment où s'installe vraiment la IIIe République ; James Darmesteter (1849-1894) et son Prophètes d'Israël, paru en 1892 et témoignant pour cet « esprit des années 18903 » où l'inquiétude de la chose religieuse a fait un retour en force.
2L'objet de ce travail n'est donc pas de revenir sur l'histoire politique des juifs sous la IIIe République, pas plus que de réfléchir à une Wissenschaft des Judentums à la française4. Il s'agit de mettre l'accent sur le puissant apport des penseurs juifs à la réflexion sur la « question religieuse », l'un des grands débats intellectuels et politiques du XIXe siècle. La République peut-elle ignorer les religions, et l'homme s'affranchir de tout besoin religieux ? Le ritualisme et l'autorité sont-ils le seul visage des Églises, ou existe-t-il des religions libérales appelées à dialoguer franchement avec une démocratie qui de son côté n'entendrait pas réduire son message à un voltairianisme désuet ? Ces questions ont passionné jusqu'à l'angoisse quelques-uns des grands penseurs français du siècle passé : songeons à Quinet, à Littré, à Guyau, à Renouvier5. L'apport original de leurs contemporains juifs, Salvador, Hippolyte Rodrigues, Darmesteter, le rabbin Aristide Astruc, voire Alexandre Weill, etc., a consisté à proposer une solution dans le retour au prophétisme hébreu, tenu pour la seule religion de l'avenir : la République sera prophétique, puisque aussi bien le prophétisme exprima le premier des valeurs républicaines, le Sinaï et la Montagne de 1793 se répondant à travers les siècles. L'intégration se fait ici par le plus immatériel des domaines, celui de la théologie et des sciences religieuses, dans une France qui apprend enfin, hors des interdits catholiques, à (re)découvrir la Bible : étonnante construction théologico-politique que ce prophétisme républicain, qui ne s'épuise guère qu'à la fin du XIXe siècle.
Paris-Jérusalem : l'œuvre prophétique de Joseph Salvador
3La vie et l'œuvre de Joseph Salvador, aujourd'hui bien oubliées6, méritent d'être rappelées. Ce médecin parisien est né à Montpellier, comme les polytechniciens Auguste Comte et Charles Renouvier, ses deux contemporains : étonnante coïncidence que cette commune origine de trois penseurs ayant consacré leur vie à tenter d'unir la religion et la révolution ! Serait-ce que le Midi, sans autre exemple, en France, que l'Alsace, aurait été, dans son intime mélange confessionnel, – entre catholicisme, protestantisme et judaïsme, mais aussi, dans les mémoires, islam et catharisme – plus qu'une frontière suscitant des champions comme François Guizot ou Emmanuel d'Alzon : une véritable école de curiosité et de comparatisme, invitant en dernier ressort à la tolérance, voire à des formes de syncrétisme ? On peut citer aux côtés du trio montpelliérain l'Uzétien Charles Fauvety, protestant entré en maçonnerie avant de devenir le zélateur d'une « religion laïque » à la fin des années 18707 ; ou ces hommes du Sud-Ouest, Félix Pécaut l'ancien pasteur béarnais devenu le maître mystique de l'école laïque, Elie-Aristide Astruc, le grand rabbin de Belgique né à Bordeaux8, ou Jean Izoulet, sociologue et professeur au Collège de France, né dans le Lot-et-Garonne, qui tous deux se firent les continuateurs de la pensée de Salvador. Seuls, dans ce tableau, James Darmesteter et Alexandre Weill appartiennent au judaïsme de l'Est.
4C'est sans doute entre Quinet, Renouvier et Salvador que les analogies sont les plus frappantes. On le sait, Quinet appartient au protestantisme par sa mère et ses deux mariages ; il a abordé la question religieuse dans des termes très proches de ceux de Salvador. Renouvier vient d'une famille de parlementaires jansénistes, et se convertit durablement au protestantisme pour en faire la religion de la République ; certains érudits ont vu dans son nom (renouvier/relaps) une allusion à une origine juive9. Joseph Salvador est né d'un père d'origine juive espagnole et d'une mère catholique, élevée à Aix-en-Provence par un vieux parent médecin, esprit imbu des idées de 1789. Son frère Benjamin, receveur particulier des finances, épouse une jeune fille de la petite noblesse protestante des Cévennes ; Joseph a demandé à être enterré au Vigan (Gard) : son cercueil sera déposé quelques heures dans le parvis du temple, le consistoire protestant ayant en outre ordonné que la cloche sonne le glas funèbre. Il a exprimé dans une lettre de 1834 sa sympathie envers les « fidèles descendants des Camisards» : les Cévennes lui auraient fait « retrouver [...] une héroïque et religieuse image de l'antique Judée10 ». J'insiste à dessein sur ces identités religieuses complexes du Midi et sur cette sorte de porosité réciproque, réelle ou phantasmée, du protestantisme et du judaïsme, qui se retrouve, on va le voir, dans une contribution parallèle, sinon parfois commune, à l'élaboration d'une religion pour la République.
5Salvador est l'auteur de quatre livres qui ont rencontré un écho important au XIXe siècle, si l'on en juge par la réédition de trois d'entre eux et la qualité des compte-rendus qui leur ont été consacrés par Renan, Silvestre de Sacy, Adolphe Franck, James Darmesteter, Elie Astruc, Jean Réville ou Stanley, doyen de Westminter11, etc. Son Loi de Moïse, ou Système religieux et politique des Hébreux, paru en 1822, repris en 1828 et 1862 sous le titre Histoire des Institutions de Moïse et du peuple hébreu, fait scandale dans l'opinion catholique à la fin de la Restauration pour des pages dans lesquelles le procès du Christ est jugé légal au regard de la loi juive : il semble légitimer ainsi aussi bien le déicide que le régicide12. L'auteur entend surtout démontrer que Moïse fut le premier des législateurs, supérieur à un Solon ou un Lycurgue, et qu'il fit d'Israël non pas une théocratie, comme le voulait la tradition, mais une nomocratie13, un gouvernement de la loi qui représenterait la première expérience de démocratie moderne. Son « parti pris de ne trouver dans l'ancienne loi que des exemples à proposer aux législateurs modernes » l'entraîne à des rapprochements plutôt cocasses, comme le remarque Adolphe Franck : ici il fait du grand Sanhédrin l'aïeul de la Chambre des Communes britannique, là il rappelle que le premier né des garçons recevait dans l'ancien Israël « une portion double des autres, c'est-à-dire la quotité disponible du Code civil actuel14 ». Caractéristique et féconde pente de cet esprit à poursuivre le parallèle entre « Jérusalem » et « Paris ».
6Les Institutions de Moïse ne sont que la première étape d'une œuvre qui compte ensuite un Jésus-Christ et sa doctrine (1838), une Histoire de la domination romaine en Judée et de la ruine de Jérusalem (1847) et surtout l'emblématique Paris, Rome, Jérusalem, ou la Question religieuse au XIXe siècle, conçu vers 184015 et entrepris de rédiger à partir de juillet 1848. Le sous-titre en était repris en 1862 dans l'introduction à la troisième édition de l'Histoire des Institutions... : Idée sur l'avenir de la question religieuse. Introduction aux ouvrages de l'auteur16. Les prémisses de Salvador ne présentent pas une très grande originalité : après Burke et bien d'autres, il oppose la Révolution française à la glorieuse révolution britannique de 1688. À l'instar de Quinet, surtout, il affirme que la religion positive est une politique, et la politique une religion.
« Quelque jugement que l'on porte, en France et en Grande-Bretagne, il y a eu cette similitude que la révolution politique ne s'est opérée qu'après avoir attaqué avec force et comme pris d'assaut la religion dominante, l'ancien principe, l'ancien dogme. »
7Salvador ajoute :
« Mais par son adhésion à la Réforme, l'Angleterre avait mis quelque chose à la place de ce qui était renversé [...]. La Révolution française, le nouveau fait, n'a pas encore obtenu sa propre religion ou la sanctification légitime du nouveau principe. A la suite de quelques essais malheureux de nouveau culte [...] le génie de la France nouvelle, ou plutôt le génie de l'ère nouvelle, est revenu purement et simplement sur ses pas. [...] [Il] n'a encore rien obtenu de formel en matière de rénovation religieuse17. »
8Il écrit encore, avec force : « Le nouveau temporel cherche son nouveau spirituel18 ». On reconnaît là très exactement la pensée d'Edgar Quinet sur une révolution restée inachevée sur le plan religieux et donc condamnée à un échec essentiel19. Comment, aussi, ne pas songer à Péguy, que nous retrouverons dans cette réflexion sur les juifs et l'esprit républicain, Péguy avertissant Émile Combes, en 1904 :
« En morale comme en physique et en chimie, les déplacements ne se font pas au hasard ; ils ne se font pas à l'avantage des vanités ; les plus graves déplacent les moins graves ; les plus efficients déplacent les moins efficients ; un État politique peut opprimer ; mais moralement il ne peut pas déplacer une cité de Dieu ; une cité morale seule peut déplacer une cité religieuse. [...] Une politique ne déplace pas une religion ; une politique ne déplace pas une mystique ; une morale déplace une religion ; une sociale, une économique déplace une mystique20. »
9Salvador estime encore, avec Quinet, que la solution ne saurait être dans le passage de la France à la Réforme : il est trop tard, outre que la Réforme ne conviendrait pas au génie français21. L'histoire de l'humanité obéit, à ses yeux comme à ceux de tant de ses contemporains, à un rythme ternaire. Dans Paris, Rome, Jérusalem, en effet, trilogie toute hégélienne dans sa dialectique, chacune des trois capitales incarne l'une des « trois grandes époques de l'histoire ou de la vie religieuse de l'humanité. Paris, c'est le présent, c'est la société française, la société européenne toute entière, telle qu'elle s'est formée et se forme encore tous les jours sous l'influence de plus en plus générale des principes de 1789. Rome, c'est le passé, c'est la foi du Moyen Âge et des dix-huit siècles écoulés depuis la prédication de l'Évangile. [...] Jérusalem, enfin, la ville de la paix, la cité de Dieu, la patrie des prophètes, nous représente l'avenir ou l'harmonie future de la politique et de la religion, la foi active et toujours jeune qui convient à la société nouvelle, l'union intime des croyances et des lois22 ». Passé, présent, avenir : Rome, Paris, Jérusalem. Sur un plan historique (et ainsi s'explique le livre consacré à la Domination romaine en Judée), Rome signifie la puissance deux fois victorieuse des juifs, au temporel (la destruction du Temple) et au spirituel (le christianisme) : mais cette victoire est incomplète, ou plutôt transitoire, car le christianisme n'est encore qu'un judaïsme paganisé, « une sorte de concordat, un compromis admirable » entre monothéisme juif et polythéisme des païens, qui s'étaient interpénétrés au cours des migrations juives23. À un autre niveau, Rome désigne généralement « l'esprit de réaction », en politique comme en religion, dans l'Église catholique comme au sein du « judaïsme proprement dit, [...] constitué sous l'empire d'une loi écrite distincte du Pentateuque24 », c'est-à-dire du Talmud : pointe ici un argument classique des libéralismes religieux au XIXe siècle, n'hésitant pas à se retourner du dedans contre certaine orthodoxie de leur confession.
10Rien, là, que d'assez banal pour un lecteur de Comte, qui reconnaîtrait volontiers les âges théocratique et métaphysique derrière Rome et Paris. L'intérêt porté par Salvador aux institutions et à l'histoire juives, en revanche, est beaucoup plus neuf dans la première moitié du XIXe siècle : il est le contemporain de Strauss et précède largement Renan, dont la Vie de Jésus (1863) paraît exactement un quart de siècle après Jésus-Christ et sa doctrine (1838). Certes, Salvador n'est pas un historien critique à la manière de Strauss et des universitaires allemands. Renan Ta vite noté : si Strauss « doute beaucoup trop », Salvador « doute beaucoup trop peu », il est « un original, un rénovateur religieux » explicitement renvoyé à son « don de race, cette espèce de coup d'œil politique qui a rendu les Sémites seuls capables de grandes combinaisons religieuses25 ». L'essentiel de l'apport salvadorien tient, de fait, au dialogue entre Paris et Jérusalem et à l'annonce de l'avenir religieux de l'humanité. Salvador ne célèbre pas seulement, comme tant des siens au XIXe siècle, son attachement au pays qui le premier proclama l'entière citoyenneté des juifs26 ; il relie les prophètes juifs aux philosophes du XVIIIe siècle, la société moderne aux intuitions de Moïse et des prophètes. Paris (comprendre l'Encyclopédie et les Droits de l'Homme) sonne le retour de Jérusalem (comprendre l'aspiration prophétique à la justice) : une nouvelle Jérusalem se prépare à être édifiée. Et la Réforme, toute imparfaite qu'elle soit en elle-même, représente le maillon essentiel dans cette chaîne de Livres :
« La généalogie morale des temps modernes, la préparation à notre ère nouvelle est devenue susceptible depuis lors [l'imprimerie] de se résumer comme il suit : Gutemberg ou l'imprimerie appelle Luther, la réforme ; Luther appelle à son aide les anciennes Écritures, le livre juif par excellence, la Bible. La Bible relève le nom de l'Éternel, du principe des principes et le nom de la Loi ; le nom de la Loi relève le nom d'Israël, et celui-ci le nom de Peuple. Ces deux noms, ressuscités et rentrés dans le monde par la porte de la religion, la loi et le peuple, appellent et commencent une révolution politique dont les développements appellent et attendent, à leur tour, l'accomplissement général d'une transformation religieuse correspondante27. »
11James Darmesteter, commentant en 1881 une pensée à laquelle il adhère profondément, écrit que « les principes de raison, au nom desquels les philosophes parlent, sont identiques aux principes au nom desquels le dieu d'Israël parlait à son peuple ; la révélation a parlé le même langage sur la crête du Sinaï et dans les salons du XVIIe [s/c], et [...] Moïse est bien un conventionnel parlant du sommet de la Montagne ». Le philologue ajoute que « le langage de Jérusalem est celui du monde moderne. Ce n'est qu'une différence apparente et artificielle que le langage de Jérusalem est donné comme révélé de Dieu, et celui du monde moderne comme expression indépendante de la raison humaine ; la raison humaine n'est pas plus démontrable que la révélation de Jéhovah ; la déclaration des droits de l'homme est aussi irréductible que le Décalogue ; des deux parts, c'est le cri de l'instinct humain qui veut faire ou refaire le monde au gré de son idéal28 ».
12L'étroit dialogue de la révélation et de la raison, de Jéhovah et de Voltaire, s'est incarné dans une vision rapportée par Salvador : alors qu'il allait régulièrement écouter Don Juan à l'Opéra, il reconnut un jour depuis son cabinet de travail la marche du commandeur. Une statue d'une « blancheur éblouissante [...], le grand Commandeur de l'esprit et de la sagesse des nations, le dominateur du Sinaï, tel qu'on le représente, les tables de la loi sur le bras gauche », entre et tend la main droite, que le penseur baise avant de s'agenouiller.
« Alors, les œuvres de science, de philosophie, les écrits opposés de nature et d'opinion qui étaient répandus dans ma demeure me semblèrent s'animer, s'agiter et m'adresser cette allocution : "Nous sommes le génie naissant des temps nouveaux, nous sommes le XIXe siècle. Tu es seul ici à nous représenter. Ferais-tu défaut à notre avenir ; manquerais-tu à la reconnaissance que tu dois à Rousseau et à Voltaire ?". À peine relevé, je regardai l'image en face et en tirai une expression encourageante ; ma main serra la sienne, qui me parut s'amollir et répondre doucement à la pression : "Alliance, m'écriai-je, de justice universelle, et de bienveillance réciproque, alliance sacrée de la nouveauté avec l’antiquité" / La pression réitérée de la main forte qui retenait encore la mienne y servit de consécration : "Alliance donc, m'écriai-je de nouveau, et ce qui sera serré entre nous sera bien serré29." »
13Et Darmesteter de commenter :
« Bien difficile, en effet, à dénouer ce qui est serré d'un lien commun entre Jérusalem et Paris, entre l'inspiration antique et la conscience moderne, entre la révélation du Horeb et celle de la Montagne révolutionnaire30. »
14La biographie même de Napoléon n'incarne-t-elle pas ce lien ? Lors de son séjour en Palestine en 1800, il aurait reçu « comme un baptême nouveau qui pénètre jusqu'au sein de la Révolution elle-même31 ».
15Admirable et constant usage de la « topographie » révolutionnaire, qui inscrit pleinement la Montagne de 1793 dans la liste des cimes sacrées, Thabor ou Golgotha32. En 1930 encore, Daniel Halévy parlera de la France du XIXe siècle comme du « Sinaï des temps nouveaux », y compris lors des tragiques journées de juin 1848 : « N'était-il pas naturel qu'un Sinaï s'entourât d'orages, de sombres nuées et d'éclairs33 ? ». Plus largement, ce sont les catégories de la culture juive qui servent à exprimer le lien à la modernité : Salvador le prophète entre dans le domaine de l'Apocalypse34 et annonce une nouvelle alliance, la troisième, qui à la fois dépasse et contient les deux alliances précédentes, la mosaïque et la chrétienne. L'attachement à la République n'est plus ici d'ordre historique, juridique ou biographique : mais bien théologique. La République française est juive, par correspondances et fusions : parce que l'ancien Israël était, déjà, pleinement une république, solidement arrimée à la Loi et aux prophètes, et que la République née en 1789 retrouve l'exigence prophétique de justice, de vérité, de liberté, là encore autour de la Loi (de 1789) et de ces nouveaux prophètes que voulurent être un Salvador, un Alexandre Weill, un Darmesteter, et un peu plus tard peut-être, tout simplement les « intellectuels », avec pour figure éponyme, au-delà de Bernard Lazare, et pas seulement parce qu'il fut dreyfusard, à temps et à contretemps, Péguy, l'homme de l'emportement et de la colère, cet autre Isaïe, le « juif » Péguy35.
16On n'est pourtant là qu'à la moitié du gué. Il reste à envisager l'« avenir religieux », selon une autre expression symptomatique, de la société issue de 1789. Ici Salvador est seul : même Darmesteter cesse de le suivre sur le chemin qui le ramène à Sion. Le Montpelliérain estime en effet que si Rome a transporté en esprit Jérusalem de Sion sur l'Aventin, ainsi la Jérusalem nouvelle va-t-elle retransporter la Jérusalem du Moyen Âge (Rome) de l'Aventin au cœur de la Palestine : la ville doit être construite sur le sol même où fut édifiée la Jérusalem ancienne. La lettre XIX de Paris, Rome, Jérusalem... décrit une nouvelle ville aux cent portes, édifiée sur un roc pelé redevenu fertile, et ouverte à toutes les nationalités comme à toutes les croyances, honorant Moïse, Jésus, Mahomet, mais aussi Brahma, Bouddha, Confucius, Socrate, et jusqu'à Voltaire et Rousseau : le monothéisme pur permettrait ainsi le plus universel des syncrétismes, fondateurs de religions et sages n'étant que d'autres figures du prophète hébreu. Sionisme, dès 1860 ? On est plutôt à l'opposé : ce n'est pas un juif des ghettos de l'Est qui rêve d'un refuge en terre de Sion, mais un israélite français, passionnément attentif au déroulement de la question d'Orient (les crises de 1840 et de 1853-1856), et qui veut voir Paris se déplacer en Palestine pour sceller l'ultime alliance. La Jérusalem nouvelle sera la capitale du monde réuni, non celle de quelque État juif, que Salvador est incapable même de concevoir. Anatole Leroy-Beaulieu, un catholique libéral et philosémite, note très justement que « de la cité de David, ce juif français eût fait volontiers le Washington des États-Unis de la planète, la capitale fédérale de l'Orient et de l'Occident, du Septentrion et du Midi réconciliés dans la justice36 ». Darmesteter, trente ans plus tard, estime certes possible, ce qui n'est pas mal vu, qu'un « État nouveau p[uisse] se former sur la côte de Galilée et dans le vieux Canaan, où dominera l'élément juif, sous la pression combinée du souvenir historique, de la persécution moscovite et prussienne, et de la sympathie puritaine de l'Angleterre biblique », mais juge que l'essentiel n'est pas là : le « catholicisme nouveau (qui) a sa capitale dans le cœur et l'intelligence de tout homme qui croit en l'avenir » ne requiert aucun centre matériel, « la vraie Jérusalem nouvelle sera partout où l'âme biblique et révolutionnaire sera » (je souligne ce beau doublet tout salvadorien, et, chez le juif Darmesteter, le calque de la phrase du Christ, « partout où vous serez réunis en mon nom... »). A défaut, s'il était besoin d'un symbole visible de la Jérusalem nouvelle, ce serait Paris, « le point où la Jérusalem de l'avenir a trouvé son Verbe le plus retentissant », la ville de Hugo, « le plus biblique des génies modernes37 ».
La réforme du judaïsme
17Ainsi pouvons-nous définir le salvadorisme comme une « religion politique », pour reprendre l'expression par laquelle Quinet fustigeait le cléricalisme : dans l'un et l'autre cas il s'agit bien d'un même sentiment de correspondance profonde entre un régime et une religion. Au début des années 1880, alors que Darmesteter et Astruc redonnent un second souffle à la synthèse salvadorienne, la France verra surgir à son côté le renouviérisme, mariage du kantisme, du protestantisme et de l'esprit républicain, très justement défini par Marcel Méry comme un « maurrassisme de gauche38 ». Les deux doctrines apportent des réponses originales, encore que voisines, à la question religieuse qui obsède la France. Salvador (avant Darmesteter) se réfère au « prophétisme », ou à l'« hébraïsme », Alexandre Weill au « mosaïsme », Hippolyte Rodrigues à l'« israélitisme39 ». Leur but commun est de bien distinguer cette posture politico-religieuse du strict judaïsme, orthodoxie des seuls juifs et à ce titre aussi réductrice et close, à leurs yeux que toute orthodoxie40. Car, on l'a compris, le but des nouveaux prophètes n'est pas de convertir le monde à l'ancienne religion des juifs : mais de convertir cette dernière au monde né de 1789 (c'est-à-dire de reconnaître leur essentielle parenté), afin de convertir ensuite le monde. Il leur faut donc réformer le judaïsme pour en faire la religion de l'avenir, autre utopie de bien des penseurs au XIXe siècle. Leur tâche serait d'autant plus légitime et aisée que le judaïsme leur apparaît comme la plus réformable des religions, car la plus proche de l'essence même du religieux. À l'heure où la science des religions, en pleine formation, propose une hiérarchisation des formes religieuses, allant du panthéisme primitif au polythéisme et de ce dernier au monothéisme, la forme achevée, la religion juive se situerait d'emblée au plus près de l'indépassable monothéisme. L'histoire l'a certes chargée de codifications et de rites, mais ce ne sont là que des signes provisoires, jadis destinés à maintenir la cohésion des juifs au travers de la dispersion et de la persécution, et que la libération de 1789 permet de dépouiller sans toucher à l'essentiel, contrairement au catholicisme, par exemple (et c'est l'exemple par excellence !), bien plus dramatiquement éloigné du noyau monothéiste. La religion juive est celle de l'avenir parce qu'elle est, non pas la plus « raisonnable » ou la plus « philosophique », comme on l'aurait dit au XVIIIe siècle, mais la plus pure : la religion du Dieu seul et de sa Loi.
18James Darmesteter y insiste avec force, pour une véritable critique en creux du catholicisme, dans son Coup d'œil sur l'histoire du peuple juif (1881) :
« Dans ce grand écroulement de la religion mythique dont le bruit emplit notre âge, le Judaïsme, tel que les siècles l'ont fait, est la religion qui a eu le moins à souffrir et le moins à craindre, parce que ses miracles et ses pratiques ne font pas partie intégrante et essentielle, et que par suite il ne croule pas avec eux. Il n'a pas mis le prodige à la base du dogme, ni installé le surnaturel en permanence dans le cours des choses. [...] Ses pratiques n'ont jamais été "un moyen de croire, un expédient pour abêtir à la foi une pensée rebelle : ce n'est qu'une habitude chère, un signe de famille, de valeur passagère, et destiné à disparaître quand il n'y aura plus qu'une famille dans le monde converti à la vérité une. Supprimez tous ces miracles et toutes ces pratiques derrière toutes ces suppressions et toutes ces ruines, subsistent les deux grands dogmes qui depuis les prophètes font le judaïsme tout entier : Unité divine et Messianisme, c'est-à-dire unité de loi dans le monde et triomphe terrestre de la justice dans l'humanité. Ce sont les deux dogmes qui, à l'heure présente, éclairent l'humanité en marche, dans l'ordre de la science et dans l'ordre social, et qui s’appellent dans la langue moderne, l'un unité des forces, l'autre croyance au progrès » (souligné par l'auteur)41.
19Deux jeunes juifs contemporains de Salvador, Isaïe Levaillant et Hippolyte Rodrigues, ont tenté une réforme du judaïsme au milieu des années 1860. C'est une époque d'active fermentation politique et religieuse dans la jeunesse intellectuelle qui fournira dix à quinze ans plus tard ses cadres à la République et à la laïcité : le parti républicain renaît de ses cendres ; un protestantisme libéral nourri des méthodes critiques allemandes s'organise autour des Scherer, Colani, Pécaut, Buisson, et fonde notamment l'Alliance chrétienne universelle ; un groupe de philosophes se réunit en août 1865 autour d'Alexandre Massol pour élaborer dans la revue du même nom une « morale indépendante » de toute religion. La mode est aux alliances universelles ; les « chrétiens » (comprendre les protestants libéraux) et les juifs ont la leur ; voici, en avril 1865, autour d'Henri Carle, l'Alliance religieuse universelle qui publie une revue du même nom, sous-titrée Organe philosophique des besoins de l'ordre moral dans la société moderne. On compte parmi ses animateurs Charles Fauvety, Ferdinand Buisson, Isaïe Levaillant ; la liste des auteurs qu'ils recommandent de lire comprend, aux côtés de Lamennais, Leroux, Quinet, Michelet, et d'une série de protestants libéraux, les Ludwig Wihl, Joseph Salvador, Isidore Cahen, Jules Cohen, Michel Berr, Olinde Rodrigue, Isaac Lévy. Dès le premier numéro, Isaïe Levaillant lance un « appel aux Israélites » :
« Le but que nous poursuivons est celui qui caractérise le fond des croyances religieuses des Juifs. Qu'est-ce que le Messie sinon cette époque de fraternité universelle, où, pour employer l'expression biblique, où l'ours et la génisse iront paître ensemble, [...] où Dieu sera un et son nom un. C'est là l'idéal des Juifs, cet idéal nous voulons le réaliser ; qu'ils travaillent avec nous, et ils verront arriver le Messie qui depuis deux mille ans doit venir les délivrer42. »
20La revue se préoccupe régulièrement des juifs43, et Henri Carle cite longuement un manifeste d'Hippolyte Rodrigues.
21Ce dernier publie en 1865 un opuscule en apparence « communautaire », De la Fusion des rites portugais et allemand, puis un ouvrage qui connaît sa huitième édition en 1867, Les Trois filles de la Bible44. Il s'agit d'une série de lettres adressées aux Israélites, aux chrétiens (puis spécialement aux protestants et aux catholiques), aux philosophes, aux Mahométans et enfin aux Sabiens45. Rodrigues, lui aussi nourri de saint-simonisme, distingue l'enfance et la majorité religieuses de l'humanité. Les signes distinctifs de la première sont la foi au surnaturel, les manifestations extérieures, les formes du culte, les rites (ainsi, dans le judaïsme, la circoncision, le sabbat, l'interdit sur le porc...), mais aussi le fanatisme et l'athéisme (ce dernier étant compris, avec Quinet et toute une part de la laïcité française, comme une « variété du fanatisme »). La majorité religieuse se caractérise, à rebours, par les progrès de la liberté de conscience, l'aspiration au monothéisme, la recherche de l'idée religieuse et de la science des religions, l'aspiration à des formes rationnelles du culte : tous éléments en cours d'accomplissement au XIXe siècle. Les juifs, les plus proches de la majorité religieuse avec leur religion « merveilleusement propre à cette transformation, mais encore [...] la seule qui puisse l'entreprendre sans abandonner aucune de ses convictions », doivent donner l'exemple en abolissant la circoncision, en déplaçant au dimanche le septième jour, en reconnaissant les conquêtes faites par la science et la philosophie depuis leur renaissance. Ainsi réaliseront-ils leur mission, qui était « de conserver d'abord, puis, à un jour donné, de répandre autour d'(eux) la source de monothéisme qui est en (eux). [...] Le monothéisme seul constitue l'israélitisme. [...] En religion, le monothéisme est donc la religion d'Israël. [...] Le monothéisme étant le véritable judaïsme, tous les hommes seront de véritables juifs, dès qu'ils seront arrivés à la connaissance du vrai Dieu ». « Le moment de l'action israélite est arrivé, l'heure est venue », proclame La fusion des rites : « Le monothéisme appuyé sur le rationalisme est le principe victorieux de la religion définitive que réclame la société moderne. » L'auteur appelle les juifs à une « circoncision de l'âme » afin qu'ils montrent la route à la France, et celle-ci à l'humanité toute entière46. Les Juifs perdront leur spécificité, mais précisément parce qu'ils auront été les guides de l'humanité (« les préparateurs de l'avenir », dit Rodrigues) et lui auront légué ce monothéisme que leurs prophètes ont inventé. Le rabbin Aristide Astruc, dans un important article sur Salvador paru dans la Revue Bleue en 1882, retrouvera, en l'inversant, le parallèle avec l'histoire politique :
« En religion, c'est comme en politique ; là, on a rendu au peuple ce qui est au peuple ; ici il faut rendre à l'Éternel ce qui n'appartient qu’à lui47. »
22Il serait un peu vain de multiplier les exemples : une réelle pulsion messianique et réformatrice traverse alors une partie du judaïsme français, persuadée d'être la religion que va embrasser un monde enfin rallié, au terme de la modernité, au monothéisme. On trouve même les traces d'une étrange et courtoise polémique entre protestants et juifs, également persuadés que leur religion est à la fois la racine et le terme de 1'évolution du monde. Le directeur de la Vérité Israélite, Joseph Cohen, s'adresse en 1861 au pasteur libéral Joseph Martin-Paschoud, qui vient d'inviter les juifs à rejoindre la jeune Alliance Chrétienne Universelle : pour lui, ce sont les protestants qui vont revenir au judaïsme.
« Oui ! nos frères protestants, tout ce que vous renversez dans l'Évangile et dans l'œuvre chrétienne, déblaie le terrain pour le Judaïsme de l'avenir et fait disparaître les obstacles sous lesquels étouffaient ses fortes vérités ! [...] Salut à vous ouvriers de Dieu, instruments de la Providence ! L’Eternel qui a juré que la loi du Sinaï ne périrait pas inspire vos puissants labeurs ! [...]Où arriverez-vous, quand vous aurez définitivement renversé le pontificat catholique et proscrit de tous les pays le culte idolâtre des images ? O nos frères, vous arriverez alors à l'unité absolue de Dieu, à la croyance en un Père unique, créateur et rémunérateur, n’ayant besoin d'aucun intermédiaire entre lui et l'humanité, entre sa justice et le crime, entre sa miséricorde et le repentir. Et cette doctrine, ô nos frères protestants, savez-vous à qui elle appartient toute entière, dans sa simplicité ? Elle appartient au Judaïsme, et elle s'appelle la foi d'Israël. Savez-vous où elle se trouve ? Dans le Pentateuque et dans la Bible48. »
23Certes, et comme si souvent, ces grands rêves de réformation religieuse n'aboutissent qu'à susciter une nouvelle composante au sein du judaïsme : ce sera l'Union libérale israélite, dont le fondateur, le rabbin Louis-Germain Lévy, inaugure en 1907 la synagogue de la rue Copernic, caractérisée, entre autres, par l'institution d'un office dominical49. L.-G. Lévy s'inscrit explicitement dans la filiation de Salvador, de Renan et de Darmesteter ; persuadé de ce que le judaïsme est la religion de l'avenir, « une religion munie de tous les organes essentiels, positive et historique, en même temps qu'une religion rationnelle et laïque », il cite une interview qu'a donnée au Temps, en 1900, Léon Marillier, alors étoile montante de l'école française des sciences religieuses, et proche des milieux protestants libéraux :
« je me demande, déclarait Marillier, si nous ne verrons pas bientôt la création inconsciente et lente d'une sorte de religion laïque, ni catholique ni protestante, dont le noyau consisterait en une cristallisation d'idées juives. [...] Du judaïsme ancien naquirent déjà le christianisme, puis l’islamisme ; nous verrons probablement apparaître un nouveau rameau verdoyant et vigoureux. Tout le judaïsme libéral tend maintenant ou je vous dis. Toutes les autres religions conservent un résidu dogmatique : le judaïsme n'est plus que l'affirmation du divin et de la justice50. »
24Ce témoignage est d'autant plus intéressant qu'il provient d'un non juif, occupant une position de pouvoir dans le champ intellectuel de la République. On ne peut qu'être frappé par la force de séduction de ce judaïsme, pourtant si minoritaire, sur certaines élites du régime.
Le prophétisme biblique, une religion pour la République
25Dès 1865, Hippolyte Rodrigues disait voir se répandre dans l'air « un parfum de monothéisme » : la fusion des religions au sein d’un ultime monothéisme lui semblait en cours. La fusion des rites croyait pouvoir annoncer que dès 1866 certaines confessions protestantes allaient officiellement abandonner la divinité de Jésus-Christ et se libérer ainsi du principal obstacle au rapprochement ; l'année suivante, Adolphe Franck ne manquait pas, en effet, de relier Rodrigues à divers pasteurs libéraux, dont Théophile Bost, auteur d'un livre remarqué sur le Protestantisme libéral51. Il s'élabore alors, de manière asymptotique si Ton peut dire, un rapprochement théologique, et non seulement politique, entre le judaïsme et le protestantisme ultra-libéraux. Seule nous intéresse ici, pour l'heure, l'adéquation entre ce judaïsme réformé et l'idée républicaine. Si les efforts de l'Alliance religieuse universelle sont restés sans lendemain, comme beaucoup d'autres entreprises philosophico-religieuses de la fin de l'Empire, on peut les voir reparaître à la pleine lumière de la République, au moment même où l'un des acteurs de l'aventure, chef de file en 1869 d'une réforme radicale du protestantisme, Ferdinand Buisson, prend possession du poste clef de la direction de l'enseignement primaire au ministère de l'Instruction publique : nous sommes en 1879, Tannée où le grand rabbin de Belgique, Aristide Astruc, démissionne de ses fonctions et regagne Paris, où il va tenter, aux côtés du protestant Maurice Vernes, de faire introduire l'histoire religieuse dans l'enseignement public, du primaire à l'Université52.
26Le tout début des années 1880, dans la fièvre des fondations, voit en effet triompher un salvadorisme laïcisé, entendons dépouillé de ses aspects prophétiques et « sionistes ». Presque coup sur coup, James Darmesteter, Aristide Astruc et Ernest Renan, pour ne rien dire de Gustave d'Eichtal et d'Isaac Pereire53, publient opuscules et articles riches de signification. Renan, qui cède en 1882 le secrétariat de la Société asiatique à Darmesteter, prononce Tannée suivante deux conférences retentissantes, la première au Cercle Saint-Simon sur « Le judaïsme comme race et comme religion », la seconde à la Société des Études juives sur « Identité originelle et séparation graduelle du judaïsme et du christianisme ». Il y rompt avec la théorie des races qui avait marqué d'abord son œuvre — ce qui lui vaut l'approbation malicieuse du grammairien juif Michel Bréal, qui n'a pas oublié les premières dissertations rénaniennes sur sémites et aryens —, et célèbre dans le judaïsme une « apparition unique dans le monde, celle de la religion pure », devenue « quelque chose de moral, d'universel, qui se pénètre de l'idée de justice ». À ce titre « les fondateurs du christianisme sont les derniers représentants de l'esprit prophétique », et Isaïe le « premier fondateur du christianisme54 ».
27La seconde conférence (26 mai 1883), trouée d'applaudissements, de bravos et de rires qui montrent assez l'adhésion du public aux affirmations de l'orateur, commence par saluer la Bible, ce livre juif devenu « l'aliment intellectuel et moral de l'humanité civilisée », et que l'on lirait un peu partout dans le monde, et jusqu'en Laponie ! Au terme d'une longue histoire marquée par l'antijudaïsme, poursuit Renan, la Révolution a trouvé la solution vraie, c'est-à-dire « l'État neutre au milieu des opinions métaphysiques et théologiques ».
« Et qui mieux que le peuple juif, messieurs, pouvait accepter une pareille solution ? C'était le peuple juif lui-même qui l'avait préparée ; il l'avait préparée par tout son passé, par ses prophètes, les grands créateurs religieux d'Israël, qui avaient appelé l'unité future du genre humain dans la foi et dans le droit. [...] Le judaïsme, qui a tant servi dans le passé, servira encore dans l'avenir. Il servira la vraie cause, la cause du libéralisme, de l'esprit moderne. Tout juif est un libéral. (Assentiment général et applaudissements). Il l'est par essence. Les ennemis du judaïsme, au contraire, regardez-y de près, vous verrez que ce sont en général des ennemis de l'esprit moderne (Nouvelles marques d'approbation). [...] En servant l'esprit moderne, le juif ne fait, en réalité, que servir l'œuvre à laquelle il a contribué plus que personne dans le passé, et, ajoutons-le, pour laquelle il a tant souffert (Mouvement). La religion pure, en un mot, que nous entrevoyons comme pouvant relier l'humanité toute entière, sera la réalisation de la religion d'Isaïe, la religion juive idéale, dégagée des scories qui ont vu y être mêlées55. »
28Renan semble se rallier purement et simplement au prophétisme de Salvador, dont le Paris, Rome, Jérusalem... vient d'être réédité : et ce n'est pas un mince témoignage que celui de ce fondateur, à sa manière, de la République. Il était normal, en retour, qu'Aristide Astruc vît Renan s'élever ici « à une sorte d’aperception prophétique » et devenir « pour un instant le continuateur des Voyants bibliques56 » ! Le rabbin aurait pu, quelques années plus tard, écrire la même chose d'Anatole Leroy-Beaulieu, déjà cité, qui saluait en 1893 « ce grand rêve » de Juda et appelait les chrétiens à « ne pas trahir ces hautes espérances de paix dans la justice, et [à] les faire triompher entre les nations et les races, aussi bien qu'entre les classes et les individus57 ».
29Renan achevait, comme il avait commencé, par un vibrant hommage à la Bible. C'était indiquer une dernière direction fructueuse dans le compagnonnage des juifs et de la République, comme le signale à deux reprises James Darmesteter, qui vit sa mère lire jusqu'à la fin la Bible en hébreu. « Le rôle de la Bible n'est pas achevé. [...] Le règne de la Bible, et des Évangiles en tant qu'ils s'inspirent d'elle, ne pourra que s'affermir à mesure que les religions positives qui s’y rattachent perdront de leur empire. [...] L'humanité, telle que la rêvent ceux qui voudraient qu'on les appelât des libres-penseurs, pourra renier des lèvres la Bible et son œuvre ; elle ne pourra la renier de cœur sans s'arracher ce qu'elle a de meilleur en elle, la foi en l'unité et l'espérance en la justice, sans reculer dans la mythologie et le droit de la force de trente siècles en arrière », écrit le philologue en 1881 au terme de son Coup d’Œil sur l'histoire du peuple juif58. Dix ans plus tard, il confie à la Revue des Deux Mondes « Les prophètes d'Israël », un article qui va donner son titre au recueil paru en 1892 et salué de divers côtés, et qui s'ouvre par cette phrase que seuls sans doute un juif ou un protestant, comme le remarque Jean Réville, pouvaient alors signer : « La Bible est en France un livre plus célèbre que connu ». Or, il n'existe pas « de livre meilleur que celui-là pour instruire l'homme, pour lui apprendre ses droits et ses devoirs, pour faire de lui un être de vérité, de justice, de fraternité, [...] (et) pour enseigner aux peuples qu'ils ont un idéal à atteindre et une œuvre universelle à réaliser59 ». Darmesteter, soupçonné par certains de vouloir faire du judaïsme strict la religion universelle, s'en défend en 1882 dans une lettre à Salomon Reinach : « Je suis Juif infiniment peu, je suis Bibliste60 » ; à sa mort il méditait une sorte de manuel ou d'anthologie biblique à l'usage des jeunes générations61.
30Cette valeur éducative de la Bible, pour l'individu comme pour la nation, est l'objet d'un débat récurrent à partir des années 1860 : d'abord au sein du protestantisme libéral, puis, au début des années 1880, dans le nouveau milieu universitaire laïque, entre les Ferdinand Buisson, Gabriel Monod, Maurice Vernes et le rabbin Astruc. Ce n'est pas le lieu ici de résumer ce débat ; on se contentera de rappeler à titre de conclusion provisoire les deux compte rendus que le pasteur et universitaire Jean Réville, directeur de la Revue d'Histoire des religions, a donnés des Prophètes d'Israël. Il leur reproche, dans sa revue, d'avoir manqué de sens historique et critique ; mais dans les deux articles confiés à la revue protestante libérale Le Protestant, sous le titre « La religion de l'avenir », le savant se dépouille de ses exigences et, redevenu le libre croyant, exprime un accord profond avec ce que Darmesteter aurait peut-être permis d'appeler son « biblisme ». Jean Réville reconnaît que les propagateurs de la religion moderne ne sont qu'une infime minorité, mal acceptés dans leurs propres Églises62, mais qu'il a toujours appartenu aux minorités de faire, si l'on peut dire, l'histoire religieuse. Il conclut ainsi :
« Continuons donc, chacun dans sa sphère, l'un dans sa synagogue, l'autre dans son temple, d'autres encore dans leurs écoles à répandre les grandes leçons de justice, d'amour, de destinée supérieure, que le Christ et les prophètes ont répandues sur le monde63. »
31Je souligne la trilogie Jérusalem-Genève-Paris implicitement mise en avant par Réville : ni Salvador ne l'eût reniée, ni les vrais tenants de l'idée laïque clairement distinguée des anathèmes rapides d'un certain anticléricalisme.
32On signalera à ce propos encore deux œuvres : un manuel scolaire dû à Darmesteter, et l'œuvre inclassable du sociologue Jean Izoulet. Sous le pseudonyme de J.D. (pour James Darmesteter) Lefrançais, Darmesteter donne en 1881 un manuel à l'éditeur Delagrave, Lectures patriotiques sur l'histoire de France à l'usage des écoles primaires. C'est un chant d'amour à la France et à ces Gaulois dont la septième ligne explique, sans tarder !, que leur pays comprenait aussi les provinces « qui nous ont été prises par les Allemands en 1871 ». Le texte est en revanche parfaitement muet sur les juifs ; à ceci près que ses dernières lignes (chapitre LX, « Les destinées de la France »), répètent, à la laïque, la confusion salvadorienne du prophétisme hébreu et de la France :
« Oui ! La France est indestructible, et la justice éternelle veille sur elle, parce que de toutes les nations, c'est elle qui a fait le plus pour la justice. [...] C'est en France qu’ont paru les deux plus grandes choses qui aient jamais paru sur terre, Jeanne d'arc (sic) et la Révolution. [...] Il faut que vous fassiez de votre âme comme un temple dont votre pays sera le dieu, et où vous ne laisserez entrer que des pensées de justice, de dévouement, de raison et de fière obéissance à la loi64. »
33Sa veuve, la poétesse anglaise Mary Robinson, souligne que les sentiments profonds de Darmesteter étaient « nourris du suc de la Bible », notamment « son patriotisme, où la France jouait le rôle du Messie et s'en allait (souvent à ses dépens) conquérir pour l'humanité, à coups d'idéal, le bonheur millénaire65 ». On trouve du reste, dans un article désenchanté sur « La guerre et la paix intérieures de 1871 à 1893 », outre une dénonciation de l'anticléricalisme, un chant d'amour à la « France éternelle », « faite de son ciel clair et de sa terre féconde ; faite de richesses accumulées, en travail, en gloire et en idéal, de soixante générations d'ouvriers, de soldats, de penseurs ; faite du reflet de son épée et de l'écho de sa parole », et l'idée que « c'est là un héritage qui ne se détruit pas en six mois de défaite et vingt ans de fièvre, et que l'héritier même n'est point le maître de décliner ou de gaspiller, car c'est l'héritage qui tient l'héritier, quoiqu'il en ait et qu'il en pense, fût-il le peuple souverain66 ». N'est-ce point-là, au plus haut de leur art et de leur patriotisme, du Péguy, du Charles de Gaulle, du Jean Guéhenno (Journal des années noires), et, pourquoi pas, du Maurice Barrés67 ? Le Lorrain Darmesteter vaut bien le Lorrain Barrés à cet endroit. Quant au thème de la France comme Messie, il renvoie directement au Michelet des dernières pages du Peuple (1846), comme à Péguy.
34C'est encore dans le cadre de l'enseignement laïque, et à Paris, qu'un autre esprit visionnaire (il n'en manque pas dans cette histoire !) tentera d'accomplir, en fidèle exécuteur testamentaire, les fulgurances salvadoriennes68. Le philosophe Jean Izoulet, proche à ses débuts de Jules Ferry et Paul Bert, auteur d'un livre rapidement devenu une sorte de classique, La cité moderne (1895), longtemps professeur de sociologie au Collège de France (où lui succédera Marcel Mauss), a édifié dans les années vingt une œuvre déroutante, proprement « illisible », mais qui en dit long sur une certaine tension « judaïsante » de la République, comme en écho, un siècle après, à la démonstration par Salvador de l'essence républicaine du judaïsme. Izoulet publie notamment en 1926 un copieux Paris capitale des religions ou La Mission d'Israël, qui est encore une manière de répondre à la « question religieuse » brutalement réveillée par les velléités laïcisatrices du Cartel des gauches. Le professeur propose de créer, sur le modèle d'institutions comme le Bureau international du travail ou la Société des Nations, un BIR, Bureau international des religions, composé au total de 70 membres, les nouveaux Septante, « réalisateurs de la Bible ou Unificateurs de la planète ». Le siège en serait à Paris, confluent de l'Ancien et du Nouveau Monde, centre des quatre Christianismes, et « foyer de la Révolution française, c'est-à-dire de la Révolution religieuse qui, sans qu'on le sache encore, est l'approfondissement et l'accomplissement de la Réformation ». On choisirait un hôtel historique que l'on rebaptiserait du nom de Moïse-um, « emprunté précisément au plus grand des Prophètes-Hommes d'État, à savoir Moïse ». Auparavant, on aurait réalisé un « coup d'état moral » et édifié un « gouvernement de haute autorité morale69 » dont le but serait de délivrer la France du cléricalisme et de l'athéisme « actuels », pour les remplacer par le « mosaïsme éternel » qui consiste à unir des affirmations en apparence contraires, la croyance dans la vigueur de la loi céleste (et donc des Églises) et dans la valeur de la vie (et donc de l'État).
35La conclusion d'Izoulet, « France et Israël. Situation inversée », hausse jusqu'au vertige le parallèle entre les deux messianismes. Israël a eu quatre fondateurs : Moïse (la Torah) et Jossué (le pays de Canaan), puis Rousseau (père intellectuel de l'émancipation des Juifs) et Napoléon (pour le Grand Sanhédrin). Il a eu encore quatre libérateurs : Moïse et Cyrus jadis, la France ensuite, et par deux fois :
« La France de la Révolution et de l'Empire, qui l'a délivré de l’Ostracisme civil et politique ; et encore la France, la France de la IIIe République, qui, si Dieu le permet, va le délivrer du dernier et suprême Ostracisme, l'Ostracisme moral et religieux. »
36Ainsi Jéhovah a-t-il « tenu sa promesse à Israël et lui a permis en fait la Conquête du monde – pour étendre au Monde entier la Loi du Décalogue, c'est-à-dire pour faire régner Dieu grâce au geste des Francs ! ».
« De tous les peuples de la Terre, Israël est le plus prophétique ; et, de toutes les nations de la Terre, la France est la plus apostolique. /Si le Prophétisme hébreu et l'Apostolicisme Français étaient dûment conjugués, la face du monde serait rapidement changée. / Il n'y faut qu'un double geste/ Pour la Pacification intérieure, c'est autour du Décalogue, autour du Livre de la Loi, peint aux murs des Ecoles, que doivent être groupés 4,5 millions d’enfants des Ecoles de France – sans préjudice de leurs Confessions respectives ! / Et, pour la Pacification extérieure, c'est autour des Trois filles de la Bible70, autour de ce faisceau central des Religions du Globe, autour du Moïse-um de Paris, que doit être organisé le rapprochement de toutes les Religions de la Terre – sans préjudice de leurs intangibles autonomies. / L'heure de l'Israël constructif a sonné. »
37Fumeuses élucubrations, entre Société des Nations et essor de l'œcuménisme, d'un esprit qui en vint à imprimer en gras le tiers de ses phrases : sans doute71. Mais il n'est pas interdit d'y retrouver, une dernière fois sans doute, la ligne juive qui parcourt l'idée républicaine depuis Joseph Salvador. Et ce Décalogue sur les murs des écoles de France, toutes confessions respectées par ailleurs, ne serait-ce pas une définition forte de cette morale laïque dont la formule s'était avérée si malaisée à trouver ?
La république juive
38On pourrait laisser à Théodore Reinach, l'un des plus représentatifs, avec son frère Joseph, de ces « fous de la République » étudiés par Pierre Birnbaum, le soin de conclure l'étude de ceux qui en furent les « Prophètes ». Il le fait au terme de l'article « Juif » de la Grande Encyclopédie dirigée par le libre-penseur Marcellin Berthelot. Réfléchissant à l'avenir du judaïsme, Reinach estime que les progrès de la tolérance, conséquence de l'évolution philosophique et scientifique, peuvent seuls dissoudre le judaïsme, ce grand survivant de toutes les persécutions.
« Même pour les habitués du temple, pour les pratiquants, la religion juive tend à se transformer en une sorte de déisme incolore qui ne diffère pas beaucoup du protestantisme d’extrême-gauche ; le jour n’est pas éloigné peut-être où des tentatives de fusion se produiront. [...] Il ne faut donc pas se le dissimuler : l'avenir du judaïsme est entre les mains de la majorité chrétienne, des gouvernements, de l'opinion, de ceux qui la font. Il disparaîtra dans un avenir plus ou moins éloigné, mais à une époque où probablement les autres religions positives auront disparu à leur tour ou se seront profondément modifiées. D'ici là, il poursuivra la transformation commencée depuis un siècle, le passage laborieux, d'une part, de la nationalité à la confession, d'autre part, de la religion d'observances individuelles à la religion de culte public. Si cette transformation est dirigée avec intelligence, il pourra s'en dégager sans peine une forme religieuse supérieure en pureté, en simplicité, en grandeur morale, à toutes celles qui existent aujourd'hui, affranchie de toutes pratiques superstitieuses, comme de toute conception anthropomorphique, conciliant la notion de divinité, âme du monde et source du bien, avec les données de la science, que la religion dépasse, mais ne saurait contredire, acceptant du christianisme son principe de fraternité universelle déjà proclamé par les prophètes, mais corrigeant son pessimisme, qui ne voit de salut que dans l'autre vie, par celte foi active dans l'amélioration indéfinie de l'espèce humaine qui est la forme moderne de la croyance messianique. Une pareille religion serait encore, si l'on veut, la religion juive, mais serait en même temps la religion de l'humanité ; le jour où le judaïsme l'aurait enfantée, il pourrait considérer sa "mission" comme accomplie, et mourir sans regret, enseveli dans son triomphe72. »
39On me pardonnera d'avoir cité un peu longuement cette page magnifique, écrite à la veille de l'Affaire Dreyfus : ne résume-t-elle pas, avec l'autorité presque officielle que lui donne sa présence dans ce monument de la pensée républicaine qu'est la Grande Encyclopédie (1885-1902), tout l'apport du « salvadorisme », qui cherche à fonder dans l'Ancien Testament la République ? Ne met-elle pas en lumière ce qu'aurait pu être, ce qu'a été en partie la laïcité républicaine, non une séparation et une exclusion, mais une filiation religieuse, qu'on l'appelle de l'un ou l'autre des proposés par les « prophètes » juifs, ou simplement monothéisme ou déisme ? Le rapprochement avec le protestantisme libéral, avancé par tous les auteurs juifs de notre corpus, prend ici toute sa force : les protestants libéraux, eux aussi, avec leurs théologiens devenus les directeurs de la laïcité (Pécaut, Buisson, Réville, Steeg...), avec leur quête d'une « foi laïque » (Buisson), ont voulu fonder religieusement la République. Et sans doute y ont-ils réussi l'espace d'une génération, celle qui disparaît dans les dernières années du XIXe siècle, avec les morts de Ferry (1893), Darmesteter (1894), Steeg et Pécaut (1898), le départ du ministère de Buisson (1896), et l'arrivée d'une nouvelle génération, avec Durkheim, tenant d'une laïcité sociologique et libérée de l'hypothèse Dieu.
40Les penseurs issus de ces groupes minoritaires ont marqué la jeunesse de la République : ils lui ont donné, sous les espèces de la « laïcité » (plus profonde et plus complexe sans aucun doute qu'une simple « séparation »), une véritable mystique. La rêverie proprement juive sur les racines prophétiques du régime apportait en outre à ce dernier un avantage précieux : moins un avenir radieux (c'est ce qui manque le moins à une certaine rhétorique) qu'une antique et prestigieuse mémoire. Avec Salvador et Darmesteter, la République cesse d'être ce trop juvénile régime insoucieux des traditions et du génie français, que Maurras va bientôt condamner : elle s'enracine dans la plus ancienne des traditions culturelles de l'Occident la Bible. C'est encore une politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte : mais une Ecriture de gauche (comme le découvrirent les pourfendeurs de Salvador en 1828), se souvenant surtout des prophètes incommodes au pouvoir, d'Isaïe à Jésus. De cela, seuls des juifs et des protestants, très vieux lecteurs de la Bible, comme le notait Péguy, pouvaient se convaincre. Ainsi Drumont, Maurras ou Renauld73 ont-ils peut-être eu raison : la détestable République est bien juive, et protestante. Mais en un sens tout différent de celui qu'ils donnent à leurs accusations : elle l'est (un temps au moins) religieusement, « mystiquement ». Les deux minorités confessionnelles lui ont donné le meilleur d'elles-mêmes : une réponse religieuse à la question de même type qui se pose à la France depuis 1789. Au début du XXe siècle, toujours selon la distinction péguyste, c'est la réponse « politique » qui l'emporte sous la férule d'Emile Combes et du Bloc des Gauches. Le temps de l'utopie judéo-calvino-républicaine est révolu ; et celui du dreyfusisme authentique, servi par un nouveau « prophète d'Israël74 », Bernard-Lazare, et par Péguy, l'homme-aux-juifs-et-aux-protestants, est révolu aussi, en quelques années. La France se réabandonne aux charmes vénéneux des conflits civils, et manque peut-être là une occasion d'en finir avec la « question religieuse » et d'accorder, selon le rêve insistant de Quinet, de Salvador, de Péguy, le temporel et le spirituel nouveaux.
Notes de bas de page
1 Cf. notamment Michael Graetz, Les juifs en France au xixe siècle. De la Révolution française à l’Alliance Israélite universelle, Paris, Le Seuil, 1989.
2 P. Birnbaum, Les Fous de la République. Histoire politique des juifs d’État, de Gambetta à Vichy, Fayard, 1992.
3 Selon la formule de Jean-Marie Mayeur dans Marc Sangnier et les débuts du Sillon, 1894, actes de la journée d'études du 23 septembre 1994, Paris, Institut Marc Sangnier, 1994.
4 Voir, sur cet aspect de la question, D. Bourel, « La Wissenschaft des Judentums en France », Revue de Synthèse, avril-juin 1988, p. 265-280. P. Simon-Nahum, « Émergence et spécificité d'une "Science du judaïsme" française (1840-1890) », F. Alvarez-Pereyre et J. Baumgarten, dir., Les études juives en France, Paris, CNRS, 1990, p. 23-32. Id., La Cité investie. La « Science du judaïsme » français et la République, Paris, Le Cerf, 1991. M.-R. Hayoun, La Science du judaïsme, PUF, Que-sais-je ?, 1995.
5 Je me permets de renvoyer à mon mémoire d'habilitation, largement consacré à cette question, Protestantisme, République et laïcité en France (1860-1910), Univ. Paris-IV, 1999, ainsi qu'à l'article, « Du religieux au laïque : la conjoncture réformatrice dans le judaïsme et le protestantisme (France et Belgique, 1860-1870) », Alain Dierkens, éd., L'intelligentsia européenne en mutation 1850-1875. Darwin, le Syllabus et leurs conséquences, in Problèmes d'histoire des religions, 9/1998, p. 19-33.
6 Michael Graetz a toutefois longuement étudié l'œuvre de Salvador, Les juifs en France au xixe siècle, op. cit., notamment p. 220-286.
7 A. Combes, « Charles Fauvety et la religion laïque », Libre pensée et religion laïque en France. De la fin du Second Empire à la fin de la IIIe République, Strasbourg, 1980, p. 26-42.
8 Sur cette figure importante, trop méconnue, lire les travaux de Jean-Philippe Schreiber, notamment « Le grand-rabbin de Belgique Élie Aristide Astruc et l'enseignement du judaïsme, 1866-1879 », Andrée Despy-Meyer et Hervé Hasquin, éd., Libre pensée et pensée libre, combats et débats, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1996, p. 139-158, et Politique et religion. Le Consistoire central israélite de Belgique au xixe siècle, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1995.
9 M. Méry, La Critique du christianisme chez Renouvier, tome II, 1890-1903, 2e éd., Gap, Ophrys, 1963, p. 484.
10 Colonel Gabriel Salvador, Joseph Salvador. Sa vie, ses œuvres et ses critiques, Paris, Calmann-Lévy, 1881, passim. À la mort de Mme Gabriel Salvador, en 1900, le pasteur libréal Wagner prononce une allocution célébrant la fraternité des âmes, « du Sinaï au Thabor, du Thabor au Golgotha », Souvenir des adieux faits à Mme G. Salvador..., Paris, 1901, p. 24.
11 Les articles les plus importants sont dûs, dans l'ordre de leur parution, à Renan, Franck, Darmesteter et Astruc (références ci-dessous). Stanley, « Le judaïsme moderne. À propos des œuvres de M. Joseph Salvador », Revue Britannique, mars 1863, p. 41-75 (repris de Edinburgh Review, janvier 1863).
12 Le légiste gallican André Dupin publia une réfutation de Salvador plusieurs fois rééditée de 1828 à 1864 et traduite en espagnol et en anglais, Jésus devant Caïphe et Pilate, ou Procès de Jésus-Christ. L'évêque de Chartres vit dans Salvador « une sorte de spinoziste, un républicain plus outré que les plus violents démagogues de 93 », cité par J. Darmesteter, « Joseph Salvador », Annuaire de la Société des Études juives, Ire année, 1881, p. 27 (repris dans Les Prophètes d'Israël, 1892).
13 Histoire des Institutions de Moïse..., 2, Paris, Ponthieu, 1828, p. 542.
14 A. Franck, « Les travaux bibliques et la nouvelle religion de M. Joseph Salvador », Philosophie et religion, Paris, 1869, 2e éd., p. 216. Salvador, Histoire des Institutions de Moïse..., 2, p. 187.
15 Salvador songeait alors à écrire un livre intitulé De l'État actuel des esprits en matière de religion ou la Question religieuse au xixe siècle, selon J. Darmesteter, « Joseph Salvador », op. cit. L'avertissement de la réédition de 1880 (posthume) est daté du 25 novembre 1872.
16 Paru à part, Paris, 1862, XXXII p. J'utilise le texte de la réédition de l'Histoire des Institutions...
17 Paris, Rome, Jérusalem..., Paris, 2e éd., C. Lévy, 1880,1, p. 73-77, passim. Et encore : « À chaque époque de grande transition, tout travaille également à se transformer ; la révolution générale dans l'ordre politique ou le temporel, appelle forcément une révolution correspondante au sein de l'ordre spirituel », Idée sur l'avenir..., op. cit., p. XV.
18 Paris, Rome, Jérusalem..., op. cit., 1, p. 40.
19 Cf. E. Quinet, La Révolution, éd. de Claude Lefort, Belin, 1986, notamment p. 766-768.
20 Péguy, « Avertissement », M. Mangasarian, Le Monde sans Dieu, a new catechism, Cahiers de la Quinzaine, V, XI, Œuvres en prose complètes, Gallimard, La Pléiade, I,1987, p. 1288-1290.
21 Paris, Rome, Jérusalem..., op. cit., 1, p. 77. Le thème d'une incompatibilité radicale entre la Réforme et l'esprit français n'est rien autre qu'un cliché de l'époque, repris avec force à la fin du siècle par les nationalistes.
22 A. Frank, op. cit., p. 250.
23 Idée sur l’avenir..., op. cit., p. XIII. D'où, aux yeux de Salvador, l'impuissance radicale de la Réforme : « Le mal n'a donc été qu'atténué par la Réforme et non tranché dans sa racine, car si elle avait porté la main sur la racine du mal, ce n'était plus au catholicisme romain qu'elle s'attaquait, mais au christianisme même, et le remède emportait le malade », Paris, Rome, Jérusalem..., 2, p. 50.
24 Idée sur l'avenir...,op. cit., p. XV.
25 Renan, « Les historiens critiques de Jésus », Études d'histoire religieuse, Paris, 1880, p. 191. « L'avenir religieux des sociétés modernes », Revue des Deux Mondes, 15 octobre I860, repris dans Questions contemporaines, Paris, 1868, 2e éd., p. 343. Renan en était alors à l'opposition systématique du génie sémitique et du génie aryen ; il évolua, comme on le verra ci-dessous.
26 Il écrit qu'un double lien l'unit à la patrie, le droit de citoyen français, détenu de naissance, et le « devoir moral en vertu duquel il m'était prescrit de justifier de quelque manière et dans les limites de mes forces, l'adoption si généreuse et si complète des représentants de mon culte, dont la nation française avait été la première à donner l'exemple à l'univers », Paris, Rome, Jérusalem..., op. cit., 1, p. 180. Dans le même passage, Salvador date de 1816 sa vocation aux études juives, lorsqu'il découvrit dans un journal le récit d'un pogrom dans une ville allemande aux cris de « Hep, hep ! », dans lequel il vit (à tort, on le sait, car il s'agit d'une étymologie fantaisiste) le Hierosolyma est perdita. Le récit de la vocation d'Alexandre Weill, une génération plus tard, est identique.
27 Paris, Rome, Jérusalem..., vol. 2, p. 78. Un historien proche de Salvador à certains égards, le pasteur ariégeois Napoléon Peyrat, spécialiste des Albigeois, a vu aussi dans la Réforme une invasion d'esprit judaïque en Occident. James Darmesteter écrit de même : « Une renaissance de l'esprit prophétique élève l'âme de l'Europe à une hauteur qu'elle n'avait point connue jusqu'alors ; l'Ancien Testament supplante le Nouveau chez les plus fermes et les plus purs ; il donne à la France Coligny, d'Aubigné, Duplessis-Mornay, et son admirable phalange de martyrs et de héros ; il donne à l'Angleterre les puritains et la République et y installe la tradition démocratique : Cromwell, reconnaissant, rouvre aux Juifs les portes de l'Angleterre », « Coup d'œil sur l'histoire du peuple juif », Essais Orientaux, Paris, A. Lévy, 1883, p. 272.
28 J. Darmesteter, « Joseph Salvador », op. cit., p. 52-53.
29 Paris, Rome, Jérusalem..., op. cit., vol. 2, p. 158-161.
30 J. Darmesteter, « Joseph Salvador », op. cit., p. 55.
31 Paris, Rome, Jérusalem..., op. cit., 1, p. 81.
32 Darmesteter parle encore du drame « dont le premier acte s'est ouvert sur le Horeb, le second sur le Golgotha, le troisième sur la montagne révolutionnaire », « Joseph Salvador », op. cit., p. 62.
33 D. Halévy, La Lin des notables, rééd. Paris, éditions André Sauret, 1972, vol. 1, p. 25.
34 Selon la formule d'A. Franck, op. cit., p. 255.
35 Jean-Michel Rey, Colère de Péguy, Paris, Hachette, 1987, p. 108-116.
36 A. Leroy-Beaulieu, Israël chez les nations, Paris, Calmann-Lévy, 2e éd., 1893, p. 430.
37 « Joseph Salvador », op. cit., p. 56-60, passim.
38 M. Méry, op. cit., 1, p. 443.
39 Pour Rodrigues, voir infra. Weill (1811-1899), dont les Cahiers de la Quinzaine ont publié une biographie due à Robert Dreyfus (Alexandre Weill ou le prophète du Faubourg Saint-Honoré, Paris, 1906), est l'auteur d'une œuvre abondante mais que peu de ses contemporains prirent la peine de lire (il finit par publier à compte d'auteur). Weill est un Salvador que l'urgence de répondre à Drumont aurait contraint à rédiger à la va-vite, ce qui ne lui interdit pas les beaux raccourcis : « 89 avec son Déisme est un retour vers Moïse et son Jéhovah-Un de liberté, d'égalité et de solidarité. C'est une nouvelle sortie d'Égypte, mais, hélas ! les peuples de l'Europe sont rentrés dans le désert ! » ; « Le déisme est le sang de toute République » (souligné par l'auteur) ; ou encore, à propos du judaïsme de Moïse, ou mosaïsme, à distinguer de celui du Talmud : « Là se trouve la vérité absolue sur Dieu et sur l'homme, l'idéal d'une société entrevue après Moïse par tous les grands génies de toutes les nations, tous déistes ; idéal qui jusqu'à ce jour n'a été atteint, sans pouvoir le maintenir, que deux fois, une fois par Israël et une autre fois par la France en quatre-vingt-neuf ». A. Weill, Vie, Doctrine et Gouvernement authentique de Moïse d'après des textes hébraïques de la Bible..., Paris, Alcan, 1886, p. 403 ; La France catholique et athée (Réponse à « La France juive »), Paris, Dentu, 1886, p. 64 et p. 7.
40 On trouve le même distinguo chez les protestants ultra-libéraux de la seconde moitié du xixe siècle qui tendent à faire du mot « calvinisme » un usage péjoratif (l'orthodoxie et le conservatisme d'un groupe minoritaire), et à lui préférer les termes de protestantisme ou de christianisme (libéral).
41 Essais Orientaux, op. cit., p. 275-276.
42 L'Alliance religieuse universelle..., no 1,15 avril 1865, p. 6.
43 H. Carle combat le préjugé selon lequel leur particularisme aurait empêché les juifs de participer au mouvement général de la civilisation, et cite à son appui Michel Berr et Rabbinowicz (no 3, 15 juin 1865). Maurice Hess s'en prend à Louis Jourdan qui aurait dans un article du Siècle discrédité le judaïsme par l'exposition de quelques récits de la Bible susceptibles de révolter la conscience moderne : on ne peut s'étonner « de ce que les descendants des patriarches soient fiers de leur rôle historique, qu'ils voudraient continuer, aujourd'hui qu'ils voient s'accomplir les aspirations humanitaires de leurs ancêtres » (no 6, 15 septembre 1865, p. 7).
44 Paru d’abord sous forme d’opuscule, Les Trois Filles de la Bible. Première aux Israélites, Paris, M. Lévy, 1864, 14 p. J'utilise la 3e édition (1867, [id.] XXXII-482 p.), qui reprend en appendice De la Fusion...
45 Ou Sabéens, secte judéo-chrétienne de Mésopotamie, qui prétendait se rattacher à saint Jean-Baptiste.
46 H. Carle approuvait ce manifeste, mais en l'assortissant d'une réserve : la transformation religieuse voulue par lui comme par Rodrigues peut s’accomplir sans l'appui des confessions existantes, même si « le mosaïsme ou à défaut [...] le protestantisme libéral [...] peuvent être de très puissants organes de la rénovation religieuse » ; et de citer l'esprit philosophique aussi bien que divers groupes étrangers (comme les réformateurs religieux indépendants de Londres), appartenant tous, du reste, à des pays protestants. « L'esprit de rénovation et le mosaïsme », Alliance religieuse universelle, no 5,15 août 1865, p. 5-6.
47 Et encore, dans l'autre sens : « C'est l'unité de Dieu qui produit l'unité dans l'homme, dans la famille, dans la nation, et qui la produira finalement dans l'humanité ». A. Astruc, « La question religieuse au xixe siècle. Joseph Salvador », Revue Bleue, 1882-1, p. 459-463.
48 J. Cohen, « De l'état des croyances religieuses au xixe siècle. Le protestantisme », La Vérité Israélite, recueil d’instruction religieuse publié toutes les semaines par une société de rabbins et d'hommes de lettres sous la direction de MJ. Cohen, t. 5, mai-septembre 1861, p. 173. Du même, quatre articles dans le même recueil, t. 7, janvier-mai 1862, « De l'état des croyances religieuses au xixe siècle. Le judaïsme ». Un collaborateur de la Vérité Israélite est le rabbin A. Astruc, qui publie en 1869 son Histoire abrégée des juifs et de leurs croyances, dans laquelle il défend les mêmes idées, mais en provoquant une polémique au sein du judaïsme (cf. les échanges avec Isidore Cahen dans les Archives Israélites, 1er mars 1870, p. 139-145,15 avril, p. 235-242, et 15 mai, p. 297-298, etc.).
49 Louis-Germain Lévy, Une religion rationnelle et laïque : la religion du xxe siècle, Paris, Nourry, 3e éd., 1908 ; voir aussi son article, « Le judaïsme, religion de l'avenir », L’Univers Israélite, 13 avril 1900, p. 101-104, etc.
50 Interview rapportée par L.-G. Lévy, Une religion rationnelle et laïque, op. cit., p. 104
51 A. Franck, « Le rationalisme religieux dans la France du xixe siècle », Philosophie et religion, op. cit., p. 341-355 (compte-rendu critique des Trois Filles de la Bible).
52 Voir P. Cabanel, « L'institutionnalisation des "sciences religieuses en France (1879-1908). Une entreprise protestante ? », Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, 1994-1, p. 33-80.
53 G. d'Eichtal, Les Évangiles, Hachette, 1863 ; I. Pereire, La Question religieuse, C. Motterozl878.
54 M. Bréal, « La conférence de M. Renan » [suivi du texte de la conférence, « Le judaïsme comme race et comme religion »], Revue Bleue, 1883-1, p. 142-149.
55 « Identité originelle et séparation graduelle... », Revue Bleue, 1883-1, p. 687-693.
56 A. Astruc, Le Judaïsme et le christianisme d'après M. Renan, extrait de la Revue de Belgique, Bruxelles, p. 28.
57 A. Leroy-Beaulieu, Israël chez les nations, op. cit., p. 432-433.
58 In Essai orientaux..., op. cit., p. 277-278.
59 J. Darmesteter, Les Prophètes d'Israël, Paris, 1931 [1892], p. 37.
60 « Toute la question philosophique n'est qu'une question de formules et je crois que, grâce à l'instinct plus droit des quelques hommes qui ont fait la Bible, ils sont allés dans des directions plus conformes au but inconscient de l'humanité. Il y a plus de chance d'aboutir et de vivre dans la voie où ils sont allés et dans leur Verbe il y a un pré-écho des formules de l'avenir. Il n'y a, en fait, qu'à le dégager de l'élément historique et passager pour y trouver l'expression de l'esprit d'aujourd'hui et de demain. Peut-être travaillerai-je un jour à cela, dans la forme qui seule me convient, si les circonstances s'y prêtent et s'il vient quelqu'un ou quelque chose pour me convertir moi-même », lettre d'août 1882 citée par S. Reinach, « James Darmesteter », Cultes, Mythes et Religions, vol. V, Paris, 1923, p. 430.
61 Ibid., p. 431.
62 On a vu (cf. note 48) que le rabbin Astruc fut au centre d'une polémique dans les colonnes des Archives Israélites après la publication de son Histoire abrégée des Juifs et de leurs croyances. Au même moment, les pasteurs libéraux étaient exclus des chaires des temples parisiens, et leur groupe mis en minorité lors du Synode national de 1872.
63 Le Protestant, 26 mars 1892, p. 103.
64 J. D. Lefrançais, Lectures patriotiques..., p. 281-282.
65 J. Darmesteter, Critique et politique. Préface de Mary Darmesteter, Paris, 1895, p. XVI.
66 Ibid., p. 270-272.
67 Sur Darmesteter, son israélitisme et son patriotisme, lire Aurélie Darbour, James Darmesteter (1849-1894). Un prophète de la République, mémoire de maîtrise, Univ. Toulouse-Le Mirail, 1999.
68 Izoulet se réfère explicitement à Salvador, dont il fait de l'apparition l'un des dix faisceaux de conjonctures nécessaires à la mission d’Israël : « il fallait que l'inextinguible lignée des Prophètes d'Israël produisît, au xixe siècle, un Joseph Salvador, pour hautement reconnaître dans la Voix de la Révolution Française, le Verbe même du Sinaï », Paris capitale des religions ou La mission d'Israël, nlle éd., Paris, Albin Michel, 1926, p. 349 (l'auteur, comme souvent, souligne).
69 Le principal disciple d'Izoulet, Émile Bocquillon, fera de son maître un précurseur du pétainisme, dans un livre paru en 1943 et rendant hommage à Pétain et au ministre Bouthillier. E. Bocquillon, Izoulet et son œuvre. Préface : Izoulet vu par Maurice Barrès, Paris, 1943.
70 Noter l'allusion au livre d'Hippolyte Rodrigues.
71 On ne sait trop l'accueil que reçurent ces écrits. Izoulet cite dans une nouvelle édition de Paris capitale des religions une lettre de Sylvain Lévi, président de l'Alliance Israélite Universelle, qui lui déclare : « Je vais tâcher de mettre, pour ma part, le génie d'Israël au service de la France en Extrême-Orient », mais ne dit mot des thèses d'Izoulet (p. 5). Le pasteur Paul Doumergue ouvrit à Izoulet les colonnes de la revue Foi et Vie et commenta ses thèses avec un intérêt qui n'excluait pas la prise de distance.
72 Th. Reinach, « Juif », La Grande Encyclopédie, vol. 21, s.d. p. 279.
73 Journaliste spécialisé dans l'antiprotestantisme (Le Péril protestant, Paris, Tolra, 1898 ; La Conquête protestante. Nouvel essai d’histoire contemporaine, Paris, V. Retaux, 1900).
74 Péguy évoque du reste Darmesteter au moment où il présente Bernard-Lazare : « Le prophète, en cette grande crise d'Israël et du monde [l'Affaire Dreyfus], fut Bernard Lazare. Saluons ici l'un des plus grands noms des temps modernes, et après Darmesteter l'un des plus grands parmi les prophètes d'Israël », Notre jeunesse, Œuvres en prose complètes, op. cit., t. III, p. 55
Auteur
Université de Toulouse-Le Mirait, Diasporas
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