Introduction
p. 7-8
Texte intégral
1La sculpture gothique méridionale aux xiiie et xive siècles est un de ces thèmes d’étude qui ont eu à souffrir de l’intérêt porté par les chercheurs à d’autres sujets plus brillants. En l’espèce, c’est l’immense succès connu, depuis les années trente de ce siècle, par les études sur l’art roman du Midi de la France et du Nord de l’Espagne qui peut être tenu pour responsable du désintérêt des chercheurs à l’égard de la sculpture gothique toulousaine et languedocienne, en raison sans doute de l’impression de décadence donnée par la sculpture du xiiie siècle. Dans son Art gothique du Midi de la France, paru en 1934, Raymond Rey ne consacrait qu’un chapitre à la sculpture et faisait la part belle à l’architecture, tandis qu’en 1962 la thèse de Marcel Durliat sur L’art dans le royaume de Majorque ne traitait des problèmes de la sculpture gothique languedocienne que dans le cadre de comparaisons avec le Roussillon. Peu après, Barbara Mundt abordait plus directement la question par la publication de deux articles sur la statuaire aux xiiie et xive siècles dans le Languedoc1, mais qui, limités aux grands cycles prestigieux de la sculpture gothique languedocienne avaient le défaut de négliger le reste d’une immense production, parfois médiocre certes, mais fort précieuse pour la connaissance de l’histoire de la sculpture languedocienne et l’insertion dans leur contexte artistique des grands cycles sculptés de Carcassonne, Narbonne ou Toulouse. Les recherches présentées ici ne prétendent pas à l’exhaustivité, mais souhaitent évoquer une vision beaucoup plus complète de la sculpture en Languedoc aux xiiie et xive siècles en y intégrant la sculpture monumentale ou « sculpture d’accompagnement ».
2A l’origine, le champ de recherche prévu devait porter sur la période 1270-1348. Cependant il est vite apparu que cette fourchette chronologique, si elle collait aux événements historiques, ne se justifiait pas dans le domaine de la création artistique languedocienne en général et de sa sculpture en particulier. Il a donc fallu remonter à une date plus haute, le début du xiiie siècle, et descendre à une date plus basse dans le xive siècle, aux alentours de 1370. La première s’explique par l’existence d’une sculpture prégothique qui se met en place dans la première moitié du xiiie siècle par le biais des constructions cisterciennes. Les contacts entre le Languedoc et la France gothique ont largement précédé le rattachement des terres des Comtes de Toulouse à la Couronne, et justifient le choix des années 1200 comme point de départ de notre enquête. La grande époque de la sculpture gothique languedocienne se situe cependant au xive siècle et se prolonge jusqu’en 1370 environ, sans que la césure de la Peste Noire soit particulièrement sensible, le changement de génération et l’apparition de nouveaux ateliers de sculpteurs n’apparaissant que dans le dernier quart du siècle, en particulier à Toulouse. On le voit, il a été indispensable de s’affranchir des limites chronologiques proposées par l’histoire et les deux dates retenues n’ont aucun rapport avec les grands événements historiques du Languedoc aux xiiie et xive siècles.
3Le choix des limites chronologiques ne fut qu’une des difficultés rencontrées au cours de la recherche. Un deuxième problème, beaucoup plus ardu, fut celui des limites géographiques du Languedoc. En effet, nulle région n’a connu plus de bouleversements géo-politiques que le Languedoc des xiiie et xive siècles, à tel point qu’il est difficile aujourd’hui de le définir précisément ou de lui donner des frontières sûres au cours de ces deux siècles de son histoire. Seul, à l’est, le Rhône constitue une limite incontestée puisqu’au-delà commence l’Empire. Mais au nord, au sud, à l’ouest, les fluctuations ont été constantes au cours du bas Moyen Âge.
4Qu’entendre, dès lors, par Languedoc au xiiie siècle ? Le concevoir comme l’aire dans laquelle s’est diffusée le parler d’oc serait abusif. Le réduire aux seules possessions des comtes de Toulouse serait restrictif, d’autant qu’elles ont énormément varié au cours de cette période. Quelle ressemblance en effet peut-on trouver entre les possessions de Raimond VI au début du xiiie siècle, celles de son fils à partir de 1229 et les deux, puis les trois sénéchaussées constituées après le rattachement à la Couronne ? On ne s’étonnera donc pas que des limites géo-politiques aussi fluctuantes n’aient pas été toujours respectées. Cela reste d’ailleurs une constante des études sur le Languedoc et la plupart des ouvrages ou des articles étudiant celui-ci commencent par des précautions analogues. Cependant quelques-uns des éléments de cet ensemble géo-politique ont toujours constitué un noyau stable qui a figuré en permanence dans le Languedoc, ceci malgré les changements politiques qu’il a pu subir à la suite de la croisade. Il s’agit du Carcassès, du Toulousain, de l’Albigeois et du Bitterois. Mais, parfois, il a semblé nécessaire, d’élargir les études ou les comparaisons au Rouergue, au Comminges, à la Bigorre, à la Catalogne, au Quercy, voire au Velay lorsque cela était indispensable à la bonne compréhension du sujet. Enfin, pour conclure sur les problèmes de délimitations administratives il faut remarquer qu’aux modifications géo-politiques se sont ajoutées à partir des années 1317-1318 des transformations non négligeables de la carte ecclésiastique de la région. L’établissement de la papauté à Avignon, la décision prise par Jean XXII de créer de nouveaux évêchés, la plupart en Languedoc, et une nouvelle métropole ecclésiastique à Toulouse n’ont pas été sans conséquences sur la production artistique du Languedoc.
5L’étude de la sculpture monumentale du xiiie siècle, indispensable, rend les deux premiers chapitres d’une lecture difficile. On peut reprocher à ce travail d’avoir eu tendance à enfermer la sculpture languedocienne, pour le xve siècle, dans les limites de quelques grands foyers urbains qui imposent leur style aux foyers secondaires, la primauté des sculpteurs de Carcassonne, Toulouse et Narbonne, paraissant évidente. Quelques sculpteurs aux qualités moins éclatantes, œuvrant au xive siècle dans des édifices plus médiocres que les cathédrales ou les couvents des Mendiants auraient sans doute mérité un développement particulier, tels les sculpteurs de Saint-Martin de Limoux ou ceux du cloître de la cathédrale de Béziers, mais il est apparu que la multiplication des monographies aurait considérablement alourdi le texte et la réflexion. Il a paru plus important de démontrer que la sculpture monumentale, après la prolifération et la richesse inventive du xiiie siècle, connaît un relatif appauvrissement à partir de 1300. Depuis 1280, de grands ateliers qui concentrent les commandes et inventent des formules neuves pour la statuaire et la sculpture funéraire, déclenchent un processus d’admiration et d’imitation parfois servile, bien visible dans la sculpture monumentale et les Vierges à l’Enfant, mais également dans la statuaire et la sculpture funéraire. Il convenait donc de mettre en lumière l’existence de ces nouveaux foyers.
Notes de bas de page
1 B. Mundt, « Der Statuenzyklus von Carcassonne », Wallraf-Richartz Jahrbuch, XXVIII, 1965, p. 31-54. - B. Mundt, « Der Statuenzyklus der Chapelle de Rieux, und seine Kunstlerische Nachfolge », Jahrbuch Berliner Museum, t.9, 1967, p. 26-80.
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