Chapitre IX. Histoires de maisons
Bribes béarnaises
p. 481-548
Texte intégral
1Le succès des bordes, comme le cuisant échec de certains peuplements en enceintes marquent le terme d'une époque fortement caractérisée en Gascogne par la volonté démiurgique des seigneurs d’imposer leur sceau à l'organisation de l’habitat. Assurément soumise à la domination seigneuriale, et certes subordonnée aux disciplines communautaires, la cellule familiale paysanne a souvent acquis (ou reconquis) à la fin du Moyen Âge une autonomie qui lui permet de remodeler l'organisation sociale de l’espace en fonction de ses intérêts particuliers. Or, simultanément, les paysans de Gascogne entrent progressivement dans la face éclairée de l’histoire, en recourant à la médiation du notaire pour gérer leurs affaires domestiques. Je me suis demandé s’il n’était pas dès lors possible de placer mon observation dans le tout premier cercle de l’histoire, celui que dessine, depuis leur propre maison, le regard des paysans.
2À bien des égards, pareille ambition pouvait sembler dérisoire. En effet, il n’y a aucune commune mesure entre les maigres indices qu'on peut laborieusement rassembler au fil des actes notariés et le prodigieux dévoilement, par la grâce d'un habile inquisiteur, du fonctionnement intime des maisons et des âmes de tel « village cathare » des Pyrénées ariégeoises du début du XIVe siècle1 ; aucune mesure, non plus, entre l'avare documentation médiévale et l'abondance des données de l'époque moderne qu'on a pu mettre en œuvre pour les Baronnies2.
3Pourtant, il importait pour finir de vérifier si les lignes de force générales entrevues à l'échelle de la Gascogne conservaient un caractère opératoire en se plaçant à une échelle d'observation des faits radicalement réduite. Et c'est ainsi qu’après avoir ouvert ce livre par une étude panoramique du casal pyrénéo-gascon, puis effectué une sorte de « travelling » à travers quantité de bourgs et de terroirs, je propose de terminer ce parcours par un gros plan sur une poignée de maisons d'un obscur recoin du Béarn3.
I. Écriture des notaires ; paroles et silences des maisons
4Je m’en suis déjà justifié : de par la précocité et la relative abondance de ses ressources notariées, le Béarn est le seul canton de la Gascogne qui se prête à une observation à cette échelle. Mais à travers la documentation de cette « souveraineté », c'est au fonctionnement médiéval des sociétés pyrénéennes, champ d'observation privilégié des sociologues, qu’il est possible d’accéder plus précocement qu'ailleurs. Le fait n'a pas échappé aux historiens qui ont été nombreux à me précéder, particulièrement des juristes4. Leur apport est fondamental, et il m'est longtemps apparu comme une construction achevée. Telle qu'on peut la restituer à travers son mécanisme de perpétuation, cette société à maisons constitue un système social doté d'une puissante cohérence qui fonctionne avec une admirable efficacité. La préservation de l'intégrité des maisons y constitue un impératif majeur, totalement intériorisé, auquel on sacrifie systématiquement les cadets, exclus de l’héritage du patrimoine5. De génération en génération, la totalité de la maison (avec l'exploitation rurale qui lui sert de support), passe d’héritier unique à héritier unique, soit dans la quasi-totalité des cas d'aîné à aîné. Devenu « seigneur de l'ostau », l’héritier n’est que le responsable viager d’une entité dont il a mission d’assurer la pérennité. La coutume tient généralement lieu d’histoire, cette société ne devenant « chaude » qu’à l’occasion des dérèglements accidentels, que parents, amis et voisins s'attachent à résoudre dans l’intérêt supérieur de la maison.
5Or, la fréquentation prolongée des registres notariaux m'a convaincu que le fonctionnement de cette société ne relevait pas véritablement d’un système holiste6, et qu’il ne se réduisait pas à mise la en œuvre des principes coutumiers de transmission des biens. Une autre vision des faits s’est peu à peu dessinée à mon regard, dont je me borne ici à poser les premiers jalons, en concentrant mon regard sur la série des notaires de Navarrenx7. Dans un premier temps j’ai pris en considération les éléments de discours sur la maison livrés par la plume du notaire en tentant de les confronter avec la réalité des pratiques sociales ; sur ce fond d’histoire sociale ainsi quelque peu « rafraîchi », a été bâtie dans un second temps la monographie des maisons de trois communautés paysannes. Mais il fallait bien, au préalable, tenter d’évaluer la façon dont la médiation notariale conditionne toute la vision des faits.
A. La médiation du notaire
6Du notariat béarnais médiéval, on connaît à peu près les origines8, et assez bien le statut au temps de Gaston Fébus9. Cependant, on n’a à ce jour réalisé aucune étude prosopographique des différents notaires qui ont instrumenté aux XIVe et XVe siècles10. Le notaire est à la fois un notable local et un agent assermenté du prince qui veille au respect des règles garantissant sa compétence et sa loyauté11. On peut ainsi décrire les principes de fonctionnement de cette institution, qui semble avoir été en vigueur jusqu'à la fin du Moyen Âge. La charge de notaire, viagère, est affermée moyennant un entrage et une redevance annuelle12 ; l'impétrant doit donner des garanties de compétence et prêter serment de loyauté ; le notaire instrumente dans le ressort d'une baillie, où il se trouve en situation de monopole (la question du partage des clientèles ne se pose donc pas vraiment). Il importe enfin de noter que la langue dans laquelle il rédige les actes est, sauf exceptions, la scripta béarnaise du parler gascon13.
7Pour le Moyen Âge, on n'est guère renseigné sur la formation professionnelle des notaires et sur l’organisation de l’officine. Ce sont bien souvent les coadjuteurs, rétribués par le notaire, qui ont effectivement instrumenté. L'écriture, qui ne devient franchement cursive qu'à l'extrême fin de la période, est souvent assez soignée ; cela laisse supposer l'existence de brouillards, qui ont été tous perdus. La pratique notariale béarnaise ne semble pas s'être fondée sur la distinction de registres de brèves et d'étendues. Les actes sont consignés sur des registres de format uniforme14, où alternent une majorité d'actes en forme abrégée, et les actes de valeur plus solennelle qui sont copiés in extenso15. Il est vraisemblable qu'à l'origine existaient chez un même notaire plusieurs registres, dont une partie seulement auraient été conservés ou transmis. Certains de ces registres sont en effet consacrés de façon préférentielle à telle ou telle localité16, tandis que, cas de figure inverse, on peut trouver des actes relatifs à une même affaire dans deux registres distincts17. En bref, même dans les meilleurs des cas, ne nous est parvenu qu’un fragment de la documentation notariale18, qui en tout état de cause ne peut donner qu'une vision très partielle et passablement déformée de la vie sociale.
8Le champ d'intervention du notaire est vaste et divers. Agent direct du contrôle social exercé par le vicomte, il a d'abord pour mission de consigner les ordonnances publiques relatives au bailliage ; il est donc tenu d'assister le baile lorsque celui-ci réunit la cour des jurats (notamment lors des procédures de saisie et mise à l'encan des biens d'un débiteur, et de mise sous tutelle d'orphelins). Cependant il intervient aussi à la demande d'une « besiau » pour consigner telle ou telle délibération jugée particulièrement importante. Enfin, il instrumente le plus souvent pour les besoins privés de la population du bailliage. Les clients se rendent au domicile du notaire (avec leurs témoins) ou bien au contraire, moyennant un tarif convenu, ils le font venir sur le lieu de leur choix, qui est souvent leur maison, mais parfois aussi lisière d'un champ. Les affaires en jeu sont d'une grande diversité. Se succèdent pêle-mêle, souvent séparés par un trait horizontal, mais jamais précédés d'un titre : constats d’infractions, sentences arbitrales ; actes de vente, de crédit ; contrats de cheptel, d’affermage, métayage, apprentissage, louage, façon ; procurations ; contrats de mariages et quittances de dot ; testaments, etc.
9Du premier tiers du XIVe siècle à la fin du XVe siècle, la pratique notariale a sensiblement évolué, si l'on en croit tant l'apparence des cahiers et des registres que le contenu même des actes19. Les plus anciens documents, antérieurs à 1360, présentent une structure caractéristique20 : de minces cahiers dont les feuillets sont recouverts d'une multitude d'actes très brefs (3 à 6 lignes) fortement serrés, séparés par un trait horizontal, et portant très majoritairement sur des reconnaissances de dettes de faible valeur21. On n'y trouve que fort peu de contrats de mariages ou de testaments. À partir des années 1360-1370, les minutes notariales changent d'aspect et de contenu. Les cahiers cèdent la place à des registres ; la longueur des actes s'accroît sensiblement, tandis que leur teneur se diversifie, avec une notable raréfaction des toutes petites affaires de crédit, et une banalisation du recours au notaire pour les actes majeurs de la vie privée, mariages et testaments22.
10Des investigations complémentaires seront nécessaires pour tenter de comprendre tout le sens de ces modifications. En tout état de cause, la médiation qu'exerce le notaire ne constitue pas une donnée immuable ni rigide23. Du reste, son champ ne s'étend que sur quelques pans de la vie sociale et ce champ est à géométrie variable. Les testaments permettent de percevoir les limites du recours à l'écriture dans la vie sociale. Il est fréquent d'y trouver une énumération des créances dans laquelle le testateur signale celles qui ont fait l'objet d'un acte écrit (« per carte »). Or, celles-ci sont toujours une minorité. Relevant de la convention orale, le crédit, multiforme et omniprésent dans cette société, échappe largement aux mailles du notariat. Et outre, certains actes écrits importants ne parviennent au notaire qu'en seconde main. À commencer par les testaments, qui sont habituellement couchés par écrit par un premier scripteur – un prêtre –, puis dans un second temps seulement apportés par l’exécuteur testamentaire au notaire afin qu'il les mette en forme publique. En résumé, dans ces villages où vivent plusieurs clercs24, où certains paysans tiennent des livres de comptes25, où un inventaire de cordonnier comporte deux livres26, le notaire n’a aucunement le monopole de l'écriture, mais seulement celui de la garantie publique par l'écriture27.
11Dans une vie sociale le plus souvent régulée par des accords oraux, l'intervention du notaire se fait de façon modulée. Pour les actes les plus courants, un contrat de gasaille par exemple, le notaire se borne à enchâsser le dispositif dans le canevas des formulaires stéréotypés. Dans les testaments, son intervention est surtout visible dans les eschatocoles, dûment pourvus des clauses de garantie. Enfin, dans les affaires sortant de l'ordinaire – on en verra quelques exemples – le lexique comme le style donnent à penser que, démuni de formulaire, il transcrit peu ou prou la parole vivante, ce qui l'amène, cas limite, à reproduire le style direct du locuteur28. Parallèlement aux pointages statistiques, il convient de faire la part belle à ces fenêtres directement ouvertes sur la vie sociale. Car on peut ainsi recueillir les bribes discontinues, mais remarquablement cohérentes, d'un véritable discours idéologique sur la maison.
12Au total, je me suis efforcé de ne pas perdre de vue que la matière des notaires ne constituait pas un tout homogène, et de prendre garde au fait que la nature de la médiation exercée par le notaire n'était pas la même pour l'historien actuel que pour le paysan du XVe siècle. Au premier, il apparaît comme celui qui apporte la révélation d’une société par l'écriture ; au second, comme celui qui détient la force que l'autorité publique confère à l'écriture. Et au bout du compte, se fait jour le paradoxe qui a donné sens à cette enquête. Le notaire est à la fois le greffier des pratiques coutumières dominantes, et grâce à l’autorité de l'écriture, le seul garant possible d'un certain nombre d'espaces de liberté individuels. De ce fait, il contribue à assurer la reproduction des maisons tout en servant de caution, dans une étroite mesure certes, à des comportements non conventionnels.
B. Le bon et le mauvais gouvernement des maisons
1. L’utilisation domestique de concepts politiques
13Les registres notariés véhiculent une authentique idéologie de la maison qui s'exprime dans un lexique caractéristique. Reviennent fréquemment, dans les actes impliquant le devenir de la maison paysanne, les verbes « regir », « administrar », « gobernar », et les substantifs correspondants, qui s'appliquent à un maître de maison toujours nommé « seigneur »29. Or, ce vocabulaire politique est effectivement le même que celui qui est utilisé pour décrire l'action des différents rouages de l'État princier béarnais : aussi bien celle du notaire public30, que du lieutenant général qui reçoit une lettre de mission de « regiment », ou que le seigneur souverain du Béarn en personne31. Le cheminement de ces concepts nous échappe. Il est manifeste que le Béarn a été touché par la diffusion des idées aristotéliciennes de gouvernement domestique qui eurent un large écho à partir du dernier quart du XIIIe siècle32. J'incline à penser que le succès de leur réception dans ce canton reculé est peu ou prou lié à la préexistence d'un substrat social et culturel déjà accoutumé à penser en termes d'homologie le public et le domestique, et en termes de continuité les maisons aristocratiques et paysannes. Sans doute le sujet mériterait-il d'être replacé dans une large perspective comparatiste embrassant l'histoire des sociétés médiévales33, voire plus généralement l'histoire des sociétés rurales34. Je me bornerai ici à évaluer la place que cette idéologie occupe dans le champ de la vie sociale béarnaise.
14Contrairement à bien des historiens modernes, les Béarnais de la fin du Moyen Âge ont clairement conscience que les règles de dévolution coutumières, fussent-elles dûment respectées, ne suffisent pas à garantir la pérennité des maisons. Elles en sont la condition nécessaire, mais non point suffisante. Pour perdurer la maison a besoin d'être bien gouvernée. Or, le gouvernement de la maison est présenté comme un art difficile, qui exige une double capacité intellectuelle et physique : « saber » et « poder ». Par-dessus tout, le bon gouvernement est une affaire de raison. Ce concept central du droit romain est omniprésent dans le discours notarial béarnais35. Tout l'art, en effet, consiste à faire les choses de façon raisonnable, de façon à ne jamais mettre la maison en péril de déchéance, et ce, au-delà même du terme de sa propre vie. En effet, il est courant que des testateurs refusent de fixer le montant de la dot versée aux cadets le jour de leur émancipation : ils font valoir que la somme devra être proportionnée aux ressources du moment de la maison – « part rasonable, autant que poyra sostenir » – pour éviter de la mettre en difficulté. De fait, les testaments béarnais ressemblent souvent à de véritables bilans d'une vie de gestion domestique.
15On a observé déjà depuis longtemps que la primogéniture absolue faisait de l'institution d'héritier un simulacre et, par là même, ôtait son sens premier au testament. Dans un tel contexte, la finalité de 1 acte testamentaire doit être recherchée ailleurs36. Plusieurs considérations ont pu conduire un maître de maison à dicter son testament. Le fait de dresser un état complet des créances à recouvrer ne peut que faciliter la tâche de son héritier. En sens inverse, il s'agit parfois de confesser des affaires gênantes pour s'en justifier, y apporter remède et éviter qu'elles mettent en péril son âme37. Il s'agit de même d'acquitter les dettes. Or, en fait, dans une écrasante majorité de cas, le bilan est largement positif, et présenté comme tel avec complaisance : une juxtaposition de quelques dettes minimes ou improbables, et une impressionnante liste de créances38. Le testament fixe pour la postérité le souvenir d’un homme (ou d'une femme) qui a su, par l'usage de la raison, exploiter la mince marge de manœuvre que la providence et le prince laissent au chef de famille pour assurer la prospérité de son « ostau ».
16Observons comment se présente à cet égard l'économie générale d’un testament béarnais39. Après l'élection de sa sépulture (sur laquelle on reviendra), le testateur ordonne pour lui-même des obsèques « raisonnables », honorables et conformes à la coutume, est-il parfois précisé aussi40. Ensuite il commande des messes pour le repos de son âme, procède à une série de legs pieux, généralement modiques, et prend des dispositions en faveur des puînés et de diverses autres personnes. C'est ici qu'interviennent les acquêts et les créances, fruits visibles du bon gouvernement41. Ils permettent de récompenser les « boos e agradables servicis » de l'épouse, d'améliorer le sort d'un fils cadet bien aimé, de gratifier un enfant bâtard, voire quelque servante dévouée... Durant sa vie, le maître de maison – qui n'est en réalité que son serviteur – n'a de véritable indépendance que dans la faculté de disposer ses acquêts42, et à l'heure de la mort, ces biens acquis selon la formule consacrée « per industrii, sudor e tribalh » lui offrent un ultime espace de liberté. Ils lui permettent aussi d'engranger des assurances dépassant la perspective de la vie terrestre. Il est en effet habituel que le testateur assigne ses créances, ou une partie de ses acquêts au financement des legs pieux : il existe donc un lien organique entre la gestion de la maison et l'économie du salut43.
17Aux antipodes de la satisfaction du devoir accompli, qui transpire de tant de testaments, et qui permet de disposer honorablement de ses biens, se trouve au contraire la honte, la « bergonha ». Les registres sont émaillés d'aveux du sentiment de honte de celui qui a laissé la maison tomber en ruine, et de l'opprobre qui s'étend à ses parents et à ses amis44. La honte est le fruit amer du « malgovern ». Le plus souvent l'accusation émane des parents par alliance, et emprunte un formulaire stéréotypé : « malgovern, joes, barates, deutes, fidanseries, obligations e autres males administrations »45.
18Parmi les sources du mauvais gouvernement figure donc en bonne place le jeu, une pratique certainement très populaire, mais qui constitue à la fois un péché et un délit46. Jouer à un jeu de hasard c’est, de façon sacrilège et socialement nuisible, disputer à Dieu le droit de décider sans raison de la ruine ou de la survie d’une maison47. Les fors de Béarn ont inséré des dispositions répressives relatives au jeu48, et l'écho de certaines affaires est parvenu jusque dans les registres des notaires. Un des récits les plus détaillés provient de Lucq. En 1497, Goalhart de Laborde confesse avoir été entraîné par de faux amis à fréquenter les tavernes « jogan a jocxs deshonest e destructioos »49. Or, ému de voir sa femmes et ses enfants continuer à travailler courageusement, alors que lui-même était accablé de sentences d’excommunication et que son inconduite avait mis la maison Laborde en « quasi destruction », il décida solennellement de s'amender50.
2. Une idéologie de la maison tantôt ignorée et tantôt intériorisée
19Le désir de chair semble également incompatible avec l'esprit de raison qui doit gouverner la maison, mais on a la surprise de découvrir que, contrairement à la passion du jeu, il ne s'assouvit pas toujours de façon honteuse. Au siècle dernier, Paul Raymond avait publié sous le titre « Mœurs béarnaises », un florilège d'affaires « croustillantes » extraites des minutes notariales, auquel je me suis déjà référé51. J'ai longtemps partagé la prévention des historiens qui estimaient abusif le fait d'avoir monté en épingle des anecdotes mettant en jeu un cortège de joueurs, de concubines, de cocus et de bâtards, qui n'étaient pas représentatives de la morale sociale commune. Tel n'est plus mon sentiment. A l’instar des « faits divers » contemporains, ceux du Moyen Âge constituent une voie d'accès possible aux réalités sociales les plus profondes52. Voici par exemple le cas de Bernard de Forgesantz, de Louvie-Juzon, abandonné par son épouse et manifestement sans descendance. Dans l'hypothèse d'une absolue prégnance de l'idéologie de la maison, on pouvait l'imaginer surtout préoccupé de l'avenir de son « ostau ». Rien de tel : il explique que, se retrouvant « sentz companhie de femne, (il désire en avoir une) aixi que a cascun home e fempne despuixs es d’adge sufficient es licit e pemetut far segon dret e bone rason ». Par devant notaire, notre homme affirme la prééminence d'une « bonne raison » qui n'est autre que la loi de nature. Mais le fait majeur est que son discours n’ait pas été reçu comme une insanité. C'est avec le consentement formel de ses frères et des amis de la maison qu’une certaine Amadine d'Abadie accepta, pour la somme de 50 florins, de devenir l'épouse de substitution de ce Bernard, avec tout ce que cela impliquait, et ce jusqu'à la mort de la première épouse53. On ne sait quel fut l'accueil fait à ce contrat lorsqu'il fut soumis par des procureurs à la cour de l'official et à celle du sénéchal. Mais le fait est qu'au lieu d'adopter discrètement pour concubine quelque brave servante, notre homme a voulu – et pu – prendre ces dispositions au regard de la « société civile », les présenter à la face de l’Église et du prince, en les plaçant sous les auspices du droit romain.
20Ainsi donc l'individu a, parfois, des raisons qui ne connaissent pas celles de la maison, et que le notaire, pourtant, consigne dans son registre. En voici encore un exemple, près de Navarrenx : la piteuse confession de Jean de Capdevielle, fils d'une maison de Geup de toute petite noblesse, à la date du 22 juillet 141254. Il reconnaît avoir, quinze ou seize ans auparavant, avec l'aide de deux comparses comme témoins, monté un simulacre de mariage pour obtenir les faveurs d'une certaine Condessine d'Araux, d'Audaux, et avoir enfin avec elle commerce de chair (« amassion carnau »). Or, à présent qu'il est gravement malade, il tient à réparer publiquement cette tromperie qui compromet le salut de son âme, en s'engageant par devant notaire à reconnaître Condessine comme sa seule et légitime épouse si Dieu lui prêtait vie. Il ne fait guère de doute, si l'on en croît le nombre élevé de bâtards, que la société des maisons s'est accommodée, par ailleurs, d'une sexualité assez libre ; on peut même considérer que cet exutoire renforce la solidité du système. Mais que penser de ce simulacre, qui se tint dans la propre maison de Condessine, alors même que le mariage constituait avant tout le résultat d'une négociation d'intérêts, et le moment fort de la stratégie de reproduction des maisons ?
21La naïveté, pour ne pas dire la niaiserie de cette fille de la maison Araux d’Audaux, constitue probablement un cas limite. Elle pose en tous cas la question du degré de diffusion et d'intériorisation de l'idéologie de la maison. Ce processus d'intériorisation est particulièrement détectable dans un cas de figure où la stricte application de la coutume mettait en péril l'intégrité de la maison. Il s'agit de la procédure de partage égalitaire (« partille »), qui est prévue dans le cas où la descendance d'un chef de maison ne se compose que de filles. De nombreux seigneurs domestiques ont alors rétabli un droit d'aînesse de fait, en obtenant, moyennant dédommagements, la renonciation des autres filles. On voit ainsi en 1405 une fille de la maison Labadie de Castetnau, Graciette, justifier la renonciation à sa part « parce qu'elle a entendu dire qu'une maison telle que la sienne, lorsqu'elle échoit à des sœurs, est répartie et divisée, et qu'elle désire que celle-ci ne soit point répartie ni divisée, et qu'elle ne puisse jamais l'être »55. Aux antipodes du comportement ouvertement hédoniste et individualiste observé plus haut, cette fière déclaration contient tout entière l’idéologie holiste de la maison.
22On peut également penser que Graciette récite une leçon dûment apprise ; mais le processus d’intériorisation commence souvent par là. Le système de la maison s'est imposé lorsque ceux qu'elle excluait du partage sont devenus, à l'instar de Graciette, ses plus ardents défenseurs. Et dans ce processus, le rôle pédagogique du chef de maison a probablement été déterminant. Soit par exemple cet instructif contrat de mariage passé en 140656 Un « seigneur » de maison, Arnaud de Casaubon, marie une de ses filles avec le statut d'héritière unique. Or, cet Arnaud, est-il précisé, n'exclut pas l'éventualité d'avoir ultérieurement en enfant mâle, qui aurait rang d'héritier coutumier. Le seigneur de Casaubon s'engage donc envers son futur gendre, Tamonet, à obtenir la renonciation de tout ayant droit, sous la garantie d'un substantiel dédommagement en cas d'échec. Et ce chef « d'ostau », qui se place à plusieurs reprises sous les auspices de la raison, paraît sûr de faire prévaloir dans sa maisonnée son propre choix sur le droit coutumier. On trouvera un peu plus bas des contre-preuves du rôle déterminant du conditionnement familial dans l'affirmation d'un esprit de maison qui n'était pas encore également enraciné.
23En fait, le système se nourrit aussi de sa propre dynamique : dès lors que les cadets ont accepté comme « naturelle » leur exclusion de l'héritage des propres, ils ont contribué à assurer la pérennité de cette société inégalitaire. C'est ce qu’il m'a été donné de découvrir dans l'enquête que j'ai précédemment menée dans le cadre du village de Moumour, proche de la cité d’Oloron, dans les dernières décennies du XVe siècle57. Grâce à leur propre fortune mobilière, qu’ils ont acquise dans le giron de l’Église ou du prince, ou bien en se livrant à la marchandise, les cadets, qu'on voit intervenir comme oncles ou frères, apparaissent à plusieurs reprises comme sauveurs de leur « ostau » d'origine en grande difficulté financière.
24De cet ensemble de données contradictoires, se dégage un premier constat : au-delà du fonctionnement régulier et généralisé des pratiques successorales vouées à préserver l'intégrité de « l'ostau », une idéologie de la maison existe, fondée sur les concepts de « raison » et de « bon gouvernement ». Cette intrusion du politique dans la sphère des familles paysannes renvoie à une vision homologique d’un corps social en forme de poupées-gigognes : une maison paysanne est un microcosme de la maison aristocratique dans lequel elle se trouve englobée, elle-même incluse dans celle du seigneur du Béarn58. Et de même que les bonnes maisons paysannes fournissent les jurats de la cour vicinale, l'élite des vassaux forment les corps des jurats de la cour Majour du Béarn59. Sur l'origine de cette construction, j'incline à tenir pour vraisemblable une irradiation de la société paysanne par les maisons « casalères », qui, on l’a vérifié dans le Montanérés, étaient parties-prenantes dans l'administration de l'État féodal60. Cependant, à la fin du Moyen Age, cette idéologie ne semble pas avoir irrigué la totalité du corps social, ni avoir fait disparaître les comportements individualistes. Face à cet ordre idéal d'un assemblage pyramidal de maisons sagement gouvernées par leur « seigneur » sous la férule du prince, se manifestent à l'état diffus au sein de la paysannerie d'irrépressibles attitudes de désordre.
C. La maison entre ordre et désordres
1. Ordre désiré et ordre impossible
25Une société de maisons parfaitement stable : tel est bien l'ordre des choses que l'État princier béarnais, à tous les échelons, s'efforce de promouvoir. C'est que « l'ostau » est devenu le rouage de base de l'administration fiscale, comme en témoignent les multiples listes de contribuables conservées dans les archives. L’idéal de l'État princier est d'asseoir ses ressources et son contrôle social sur des cellules fixes. L’administration vicomtale ne craint rien tant que l'instabilité des hommes, des biens, et des statuts, qui vient brouiller son regard, diminuer son revenu, et qui oblige à mettre en chantier de coûteuses et longues procédures d'enquête (et, sur les terres de directe, de cadastration)61. Pour stabiliser les unités de prélèvement, le prince a donc eu besoin du relais des communautés. Menacés de saisie de biens ou de corps en cas de non paiement de l'impôt62, et désireux d'éviter que la diminution des unités tributaires ne vienne alourdir leur quote-part, baile, gardes et jurats mettaient un zèle compréhensible à maintenir bien vivant le réseau des maisons63.
26Les transaction portant sur les terres et les maisons sont soumises à l'accord des jurats, et, au XVe siècle, ceux-ci prennent directement en main les maisons abandonnées pour les concéder rapidement à nouveau fief (initiative réservée auparavant, semble-t-il, au sénéchal ou au lieutenant). Pour des raisons morales autant que par intérêt, l'évêque, le prince et la « besiau » agissent de conserve, par l'organisation des tutelles, pour aider les maisons à franchir les passes difficiles que sont les périodes de minorité. Cependant, lorsqu'il est patent que l'état de la maison est trop dégradé pour passer ce cap, le baile et les tuteurs peuvent décider de la vendre : la pérennité de la maison au bénéfice de la communauté importe davantage que la conservation d’un patrimoine au bénéfice des orphelins64.
27Cette sollicitude des pouvoirs constitués n'a cependant qu'un effet marginal sur la stabilisation du réseau des maisons, alors que par ailleurs c'est l'État princier lui-même qui est le principal responsable de sa fragilité. Voici par exemple un témoignage particulièrement explicite de la tension, allant jusqu'au bord de la rupture, que le prélèvement fiscal exerce sur les maisons. En 1487, par devant le notaire d’Ossau, Jeannette de Domec, de Geteu (près de Laruns), justifie ainsi l'aliénation de sa maison : « ... per indigenci e paubretat no podosse vonement viure ab lodit hostau de Domec, e asso a cause de la pauca force e virtut que a Dius ave plagut de meter en sa persone, e mayoramen per rason deu fiu, cargs, talhes, e subsidis que lod. hostau debent ha de suportar tant per donations au senhor mayor, cum aixi ben per las coenthes comunes e generals de la val d'Ossau e autes, en un cascun loc vesiaument occorentes... ». Il n’est pas question ici de mauvais gouvernement, mais de la Providence, qui a voulu la placer à la tête de la maison, avec ses limites et ses faiblesses. En fait plus que la roue de fortune, c'est le pressoir fiscal qui est mis en cause, et cette plainte – aux accents très actuels – d'une classe moyenne écrasée par la fiscalité locale et centrale, touche le fond même de la question de la maison à la fin du Moyen Âge.
2. Le silence éloquent des maisons vides
28Avec le discours de Jeannette de Domec, on atteint les limites de la source notariale. Car le degré suivant par lequel s’exprime le mécontentement face à la charge fiscale n'est autre que le déguerpissement, que nul acte public ne pouvait cautionner. À côté des bribes de discours sur la maison qu'il capte au fil des actes, l'historien doit donc aussi prendre en compte tous les silences qui ont valeur de cris de refus. Le questionnement, dès lors, s'infléchit. On en vient à douter que l'existence d'un système à maisons ait empêché les mouvements de désertion face à l'impôt, et on en vient à se demander si, en sens inverse, ce ne serait pas la création du fouage par Gaston Fébus, en 136565, qui aurait parachevé le processus d'institutionnalisation de la maison. De fait, dans la baillie même de Navarrenx les indices de déguerpissement abondent. Il peut s'agir de véritables crises telles que les sources en fournissent l’écho vers la fin du règne de Gaston Fébus, dans les années 1385-139066, ou bien à nouveau vers 145467. De façon plus permanente, on se trouve en présence d'un phénomène larvé, qui oblige le sénéchal, le seigneur local68, ou bien les communautés, selon les cas69, à procéder sans cesse à des réaffièvements. Les divers comptages et recoupements qu'il est possible de faire conduisent à penser que, structurellement, les villages de notre région devaient compter 10 à 20 % de « locs laus »70. Une incessante hémorragie, obstinément compensée par des opérations de perfusion, voilà par quelle métaphore je suis tenté de rendre compte de la démographie des maisons béarnaises de la fin du Moyen Age.
29La fuite devant la pression fiscale devenue insupportable constitue d'ailleurs une explication réductrice : sauf à « quitter le pays » – ce qu'une partie des paysans font –, il était devenu difficile d'échapper longtemps au prélèvement de l'État princier. En fait, c'est aussi la seigneurie foncière qui est en question. En Béarn comme ailleurs, quoique dans une moindre mesure, la crise démographique a créé un rapport de forces favorable aux tenanciers, qui ne se font pas faute de négocier leur maintien, en menaçant de quitter leur maison pour une autre71. On observe ce phénomène à travers les « abaissements de fief » consentis par le seigneur. La crainte de l'abandon est telle qu'ils s'y résignent parfois à titre préventif72. En effet, le déguerpissement implique une assez longue solution de continuité, et donc un manque à gagner important73. Les seigneurs ont donc eu à faire front à une menace perlée, qui prend parfois explicitement une allure de chantage. C'est le cas de Johanot de Capdevielle, tout petit « domenger » de Geup, face aux « seigneurs » de maison de Bemia, ses censitaires du village voisin de Méritein. Ceux-ci, sont partis pour « un autre pays » pendant trente ans en laissant à l'abandon leur maison. En 1497, ils acceptent d’y tenir à nouveau feu allumé moyennant l'abaissement de 10 à 3 sous du cens annuel, et le paiement de sept florins. Ainsi donc, en ayant acquitté une sorte d'entrage qui équivaut à environ six anciennes annuités, ces tenanciers se retrouveront à la tête d'une maison chargée d'un cens dérisoire. Leur jeu se situe donc bien dans la perspective d'un enracinement durable dans la maison, mais ils refusent d'en être les « seigneurs » à n’importe quel prix74. L’idéologie de la maison n’a pas oblitéré leur capacité à raisonner, face au seigneur, en termes d’intérêt tout à fait banals. Et dans ce rapport de forces, la meilleure arme des censitaires restait leur effective mobilité.
30Il est un important aspect de cette aptitude des chefs de maison béarnais des XIVe et XVe siècles à la mobilité dont il a été traité par ailleurs, et qu’il suffit ici d’évoquer brièvement. Je veux parler de l’irrépressible mouvement de désertion des enceintes de beaucoup de castra, et de certaines bastides. Il s'agit simplement, souvent, d'un simple transfert de l'habitation vers le terroir, au centre d'une exploitation-bloc (Castétis, Castet de Pardies, Castetbon). Mais, on l'a vu, on se trouve parfois aussi en présence d'un véritable abandon, qui nécessite une procédure de repeuplement à nouveau fief, ainsi à Labastide-Montréjeau75.
31De façon plus générale, enfin, l'attachement affectif à la maison n’a pas toujours été suffisant pour contrebalancer l’impérieux désir de changer d'horizon ou de vie qui a pu saisir certains chefs de maison. En voici trois exemples que nous rapportent les notaires de Navarrenx. Le premier est celui de Monaut de Moret, de Bugnein, orphelin de père en 1384, qui, parvenu à sa majorité, confie la gestion de la maison à son ancien tuteur, son oncle Espagnolet de Casamajor, et quitte le pays. Vingt ans après, il n'a pas donné signe de vie, nul ne sait où il est passé, et la mission du limier qu'on a mis sur ses traces a été un fiasco76. Des deux autres affaires, on reparlera un peu plus bas : le départ d’un jeune héritier de sa maison pour apprendre le métier de marchand77, et la décision d'un orphelin, à peine ses treize ans atteints, de quitter sa maison dont il est l'héritier pour apprendre un métier78. Ces trois exemples ont un point en commun : ils mettent en scène des enfants-héritiers, qui, tôt privés de la présence de leurs parents, ont plus facilement cédé aux sirènes d'une autre vie et au rêve d’autres cieux. L'intériorisation de l’esprit de maison, on en avait déjà recueilli quelques indices, passe par la présence agissante du chef de famille. Prises isolément, ces tranches de vie peuvent être rangées au rayon de l'anecdote ; mises en perspective avec la multitude de déguerpissements et de délocalisations attestés par ailleurs, elles achèvent de nous convaincre que la mobilité ne caractérise pas seulement les cadets, mais la société rurale dans son ensemble. Allons plus loin encore : c'est dans cette perspective qu'il convient de replacer les déguerpissements de serfs. Ceux-ci sont les seuls que le seigneur puisse pourchasser, mais ce ne sont pas les seuls paysans à songer à partir, même s’ils sont effectivement les plus nombreux.
3. « L'immortalité » des maisons et la demeure d'éternité
32Si les familles passent, la maison demeure. Rares sont les « ostaus » démembrés ; le seigneur et la communauté veillent à ce que la maison abandonnée constitue une entité potentielle, aisément reprenable. Après un laps de vacance plus ou moins long, elle retrouve un occupant qui adopte généralement son nom pour patronyme. Le Béarn de la fin du Moyen Âge est un pays de maisons quasi immortelles dans une société encore animée par une adolescente fièvre de mobilité. Or, cette pérennité matérielle ne suffit pas à définir un système à maison, qui implique un phénomène d'identification profonde, sur plusieurs générations, d'un groupe familial avec son lieu de résidence. Il est vrai que le système de dévolution, qui vise à empêcher le morcellement de la tenure, fonctionne impeccablement. Mais que vaut l'intégrité d’une unité d'exploitation si son propriétaire est prêt à l'abandonner sans demander son reste ? Parce que situé pour partie en discordance avec la réalité sociale, ce système « parfait » fonctionne bien souvent à vide. En bref, il ne me paraît nullement assuré qu'antérieurement au XVIe siècle le piémont béarnais ait réellement et massivement constitué un véritable pays de maisons79.
33J'ai tenté de croiser les éléments qui précèdent avec un ultime critère : la force du lien qui unit la maison à la sépulture. C'est ce qu'a fait Anne Zink pour une époque plus récente, et avec une documentation autrement plus riche80. L'hypothèse de départ est qu'il doit y avoir cohérence entre la prégnance relative de la maison et la force du lien qui l’unit à la tombe familiale. L'épicentre de ce phénomène est situé dans le pays Basque, où originellement, antérieurement à la christianisation, la maison aurait eu une fonction de temple et de nécropole domestique81. J’ai donc examiné comment est exprimée l'élection de sépulture dans les testaments béarnais, et plus particulièrement dans les notaires de Navarrenx. Le résultat des pointages est simple à formuler : la grande majorité des testateurs souhaitent être ensevelis dans le cimetière de l'église paroissiale de leur village, sans davantage de précision. En quelques occasions, ils expriment en outre le désir d’être inhumés à l'endroit où reposent leur conjoint, ou leurs parents82 ; deux testaments seulement font état d'un lien organique entre la maison et sa tombe, et tous deux concernent une « bonne maison »83.
34J'ai également interrogé les actes de vente de maisons : dans le « modèle basque » évoqué plus haut, la vente de la maison implique celle de la tombe. On peut ainsi espérer mettre au jour une réalité qui serait largement demeurée implicite dans les testaments84. Or, ce cas de figure n'est attesté qu’à de rares reprises, et révèle en même temps une tendance à la dissociation entre la tombe familiale et la maison originelle dont elle était une annexe85. Malgré le caractère fragmentaire des informations disponibles et des recoupements possibles, paraît se dessiner une concordance originelle entre les bonnes maisons, adeptes du bon gouvernement, et celles qui disposent dans l'église de leur propre siège, et au cimetière de leur propre fosse86. En tout état de cause, dès la fin du XIVe siècle le jeu des mutations a déjà largement brouillé les cartes, et en même temps contribué à diffuser dans la société paysanne un modèle vraisemblablement aristocratique87.
35De multiples parcours à travers les registres notariés ont permis d'entrevoir le faisceau de paradoxes qui fait toute la richesse et la complexité de l’histoire sociale du Béarn – et peut-être, au-delà, des pays du piémont occidental des Pyrénées – à la fin du Moyen Âge : un tissu de maisons fiscalement homogène et socialement hiérarchisé ; un ordre idéal des maisons qui progresse aux dépens d'un désordre sous-jacent ; des histoires de maisons masquant souvent des histoires de familles. Pour tenter d’y voir plus clair, il fallait recourir à une étude monographique plus systématique.
II. Trois communautés de maisons dans un ancien pays de casaux
36Après mûres réflexions, le choix d’un échantillonnage s’est porté sur trois communautés du diocèse d’Oloron situées à proximité de Navarrenx, non loin du Pays-Basque. La raison déterminante d’un tel choix a été la qualité de la couverture documentaire dont bénéficie ce secteur. Bien sûr, les quelque huit-cents documents utilisables, récoltés dans les quinze registres des notaires médiévaux de Navarrenx sont peu de chose rapportés à la durée du Bas Moyen Âge. Mais on y trouve des jalons permettant de faire la soudure avec le bouquet d’actes fondateurs de la fin du XIIIe siècle, et de placer ce chapitre en continuité et en cohérence avec les chapitres centraux du livre. Ce corpus contient également de quoi faire le point à l’aube de l’ère moderne, et surtout une très forte concentration documentaire sur la période 1384-141288 C’est à ces années que se rapportent la grande majorité des actes de ventes de maisons, contrats de mariages, testaments, inventaires après décès, qui permettent de restituer les linéaments du jeu social.
A. Villages et maisons de la « rivière » de Navarrenx
37Institutionnellement reconnu comme viguerie, puis bailliage, et enfin canton, le groupe de villages qui gravite autour de Navarrenx constitue un véritable petit « pays ». Centre administratif et siège du notaire, la bastide de Navarrenx vit au rythme du marché du mercredi, qui attire une foule venue de sa « rivière » (arribera), et au-delà. Cependant, Navarrenx n’a pas attendu la tardive implantation d’une bastide (1316) pour devenir une place centrale. Avant la bastide fut le pont, point stratégique de la sponda navarrensis, et qui au XVe siècle est entretenu aux frais de toute la viguerie dont il sert le commun profit89. Soudé par un commandement et des intérêts communs, ce petit pays a aussi une âme commune. Dans les testaments, de menus legs pieux sont destinés, outre à l'église paroissiale, aux sanctuaires des autres villages de la vallée. C'est dans cet ensemble, que prennent place les communautés d'Audaux, Geup et Bugnein choisies comme échantillon90.
1. Le cadre général
38Ces trois communautés médiévales forment aujourd'hui seulement deux villages, Audaux et Bugnein (fig. 22)91. Les terroirs des deux communautés majeures s'étendent perpendiculairement depuis la rives du gave d'Oloron jusqu'au cœur des coteaux de l'Entre-deux-Gaves, un peu au-delà du Saleys, un ruisseau qui s'écoule parallèlement au Gave. Chaque terroir juxtapose deux paysages, dont la vue aérienne montre le total contraste : un fragment de plaine alluviale, occupé par une marquetterie de parcelles géométriques, et une fraction du coteau, où les parcelles trapues de forme irrégulière prennent place au milieu des landes et des bois. Même augmenté de Geup, le territoire longiligne d'Audaux s'étend seulement sur 773 hectares, et celui de Bugnein, un peu plus vaste, sur 1136. Au Bas Moyen Âge, ces deux villages étaient un peu plus densément peuplés qu'aujourd'hui, surtout celui d'Audaux. En 1385, date à laquelle plusieurs maisons se trouvent abandonnées, il fut dénombré soixante-deux feux vifs à Audaux, plus deux à Geup (contre 203 habitants en 1990), et cinquante-cinq feux vifs à Bugnein (236 habitants en 1990)92. Or, entre 1330 et 1500, ce sont plus de cent vingt maisons appartenant à ces trois communautés qui apparaissent dans la série de registres notariés qui a été dépouillée.
39La mise en place du peuplement de ce secteur n'a évidemment pas attendu l'avènement du notariat. Cependant, les indices que l'on peut recueillir sur les plus anciennes phases de l’occupation du sol sont contradictoires. D'un côté, tout porte à croire que ce secteur est demeuré à angle mort de la dynamique de la civilisation gallo-romaine93, tandis que, par ailleurs, les indices d'une occupation humaine dès le Haut Moyen Âge ne manquent pas. D'abord, la toponymie : les localités portant un nom de formation romane (Castetnau, Castetbon, Camptort, Rivehaute, Viellenave), sont venus compléter un réseau de villages formés sur un radical plus ancien ; aquitanique (Audaux, Geup ( ?)), basque (Ogenne, Ossenx), latin et tardo-latin (Bugnein, Dognen, Méritein, Préchacq)94. Ces données, qui incorporent une part de conjecture, sont globalement confortées par les leçons de l'hagiotoponymie95. Il est enfin une source écrite qui permet de vérifier l'ancienneté du réseau des villages dans ce secteur : le cartulaire de Lucq, qui quoique comportant seulement trente-huit actes couvrant un assez vaste espace, atteste dès le XIe siècle l'existence des localités d'Audaux, Bastanès, Bérérenx, Gurs, Lamidou, Lay, Méritein, Navarrenx, Ogenne, Sus, Susmiou, Viellenave. Ce précieux document nous apprend aussi que cette région, qui constitue un pays doté d'institutions propres, est au XIe siècle déjà fortement seigneurialisée, et dominée par un groupe de proceres riparie. Parmi ces grands figure un certain miles du nom de Garsia Donat qui fit donation de sa terre de Aldeos (Audaux), et du cens de sa villa de Castellone (identifiable avec un des toponymes en « Castet » qu'on trouve sur les hauteurs dominant Audaux)96.
40Les textes permettent donc de tenir pour assurer le fait que, dans leur grande majorité, les noyaux de peuplement de la plaine de Navarrenx sont en place dès le XIe siècle. Une analyse de photo-interprétation conduit à penser que le quadrillage géométrique du parcellaire est concomitant du groupement de l'habitat, qui a laissé subsister quelques « cicatrices » attestant l'emplacement d’anciens noyaux97. Et cette concentration générale a finalement été complétée, dans les décennies 1270-1310, par une série d'initiatives volontaristes et planifiées, généralement bien documentées.
2. Une situation particulière
41On a évoqué dans un précédent chapitre la tentative avortée de créer un bourg à Geup, en 1274, non loin du castelnau d'Audaux, ainsi que de la fondation du castrum comtal de Castetbon dans les mois qui ont suivi ; la création, enfin, du bourg vicomtal de Bugnein dans les premiers jours de l'année 1283. Nous n'y reviendrons pas ici : il s'agit rien moins que d'une sorte d'incastellamento98. Or, cette grappe de bourgs nouveaux, peuplés au for de Morlaas, a vu le jour dans une région fortement marquée par la structure du caselage. Au moment où commence la documentation notariale, vers 1330, le caselage apparaît comme une structure proche. Proche dans l'espace : il domine le bailliage contigu de Sauveterre. Proche dans le temps : les actes d'affranchissement des villages voisins de Navarrenx mettant en jeu des « casalers » et des « botoyers » datent des années 1289-130899 Comment la société à maisons de la fin du Moyen Âge s'articule-t-elle avec la société à casaux des siècles antérieurs ? Voilà la question que j'entends privilégier dans les analyses qui vont suivre.
42Tous ces nouveaux bourgs, réussis ou avortés, se sont greffés sur des noyaux de peuplement préexistants. Ainsi à Bugnein100, où il semble que la nouvelle enceinte n'ait jamais regroupé la totalité des maisons du village101, et où tout porte à croire, en outre, que la partie de l'agglomération qui s’étire vers le coteau en ordre lâche, perpendiculairement au bourg vicomtal, est l'héritière d'un peuplement préexistant, doté d’un lieu de culte particulier (Notre-Dame de Luyer)102. La permanence de l’ancien tissu de peuplement est beaucoup plus clairement attestée à Audaux, où se juxtaposent deux structures : dans la plaine, un bourg castrai parfaitement ordonné, mis en place vers 1270 ; dans le coteau, le hameau de Marsainhs peuplé jusqu'à la fin du XIIIe siècle de « maisoes e sterloes » et de « casalers, maysoes e francs »103. On reconnaît bien là l'organisation socio-juridique inégalitaire des pays pyrénéo-gascons, porteuse d'antagonismes qu'on voit éclater au grand jour dans le Montanérès vers 1350104.
43Or, ici, une vigoureuse action réformatrice vint couper court aux conflits, sinon aux différends : en 1289, le sire d'Audaux accorda aux habitants de Marsainhs le bénéfice du for Morlaas sans obligation de faire rue105. Peu après, la pleine lumière se fait sur le casal éponyme de Marsainhs qui domine ce quartier. Au début du XIVe siècle, celui-ci se trouve divisé en deux unités indépendantes : Marsainhs-Susoo (-d'en haut), et Marsainhs-Jusoo (-d'en bas). Ce dernier domaine est vendu en 1311 par un seigneur des Landes, Arnaud-Loup d'Estibeaux, à Guiraute de La Cortozie d'Audaux, pour la somme de 500 sous morlaas avec ses « devoirs, fiefs, rentes, usages, propriétés et possessions » : il s’agit donc d'une véritable seigneurie106. Cet acte confirme pleinement la prééminence sociale originelle des « casalers », et constitue un chaînon entre le casal aristocratique et la « bonne maison » paysanne. En effet, Arnaud-Loup est un authentique seigneur, mais la maison de la Cortozie apparaît clairement dans les actes notariés ultérieurs comme une maison paysanne, ainsi que celles de Marsainhs-Jusoo et Marsainhs-Susoo. L'acte d'affranchissement de 1289 ayant sonné le glas des privilèges des maîtres des casaux, ceux-ci se sont simplement perpétués sous la forme de « bonnes maisons ».
44Désormais, dans les communautés considérées ici, c'est la totalité des maisons, régies par le for de Morlaas, et non plus les seules maisons « casalères », qui ont également accès aux ressources communes : eaux, pâturages et bois. Mais en renonçant à réquisitionner toute la population disséminée dans les terroirs pour peupler les bourgs, on a fait appel à des « poblans » venus d'ailleurs. Excepté à Geup, où le projet de bourg a échoué, le nombre d'unités de peuplement « citoyennes » a donc fait un véritable bond en avant. D'un seul coup, l'espace agro-pastoral s'est trouvé saturé ; et il l'est resté même après que que les communautés aient obtenu, dans les décennies qui suivirent, la concession à fief des espaces boisés du coteau107. En effet, d'après les chiffres du dénombrement de 1385, il y a à Audaux une maison pour 9 à 12 hectares, et à Bugnein, une pour 19 à 21 hectares108. Rappelons que la densité d'un peuplement per casalem s'avère généralement inférieure à un casal pour 45 hectares109. En charge de chacun de ces terroirs qui ont pris leurs contours définitifs se trouve une « besiau », syndicat de voisins qui s'identifie à un syndicat de maisons, et que l'on voit, à la veille de la grande crise démographique, nantie du rôle classique qui restera le sien. Avec une marge de manœuvre des plus réduites, elle est l'interlocutrice du prince, la gardienne des intérêts du village, la médiatrice des tensions entre l'appropriation privée des terres cultivées et la gestion collective de l'espace pastoral.
45Tel est le contexte dans lequel se situe l'échantillon de maisons observé. Il est placé sous le signe de dualités multiples qui se juxtaposent ou se superposent : deux milieux géographiques (le coteau et la vallée), deux activités économiques (agriculture et élevage), deux vagues de population (l'implantation ancienne et les « poblations » du XIIIe siècle), deux formes d'habitat (le bourg dans la plaine et les écarts sur les coteaux), et sans doute, originellement, deux strates sociales (« maysoes » et « botoyers »). L'impact du tir groupé de création de bourgs de la seconde moitié du XIIIe siècle, assorti de l'octroi du for de Morlaas, a été considérable, mais n’a pas aboli la société rurale en place, qui, on 1 a constaté, formait une pâte fort peu malléable. En revanche, il est venu considérablement modifier le jeu social.
B. Homologie fondamentale et hiérarchisation subtile des maisons
46Dans le discours historique concernant la société rurale béarnaise, et, plus généralement, pyrénéenne, deux images contradictoires se télescopent. La première est celle d'une société démocratique de petits propriétaires, caractérisée par de faibles disparités des fortunes. La seconde est celle d'une société dominée par une élite de notables et de « bonnes maisons ». On retrouvera, enchevêtrées, ces deux images dans l’analyse des différents indicateurs qui peuvent permettre de restituer les lignes de force de la société.
1. L'exercice des charges publiques
47On n'a aucune raison de penser que le Béarn a fait exception à la règle qui veut que les représentants d'une communauté soient majoritairement choisis parmi ses notables110. Rien de plus naturel : ce qui est bon pour ces notables est bon pour la « besiau », et vice-versa. C'est ce que manifeste avec une tranquille bonne conscience, dans son testament de 1391, Guillemot de Sougès, un des habitants les plus en vue de Castetbon, étroitement lié, on y reviendra, avec les meilleures familles d'Audaux et de Geup111. Les registres notariés fournissent à cet égard des données abondantes, mais non complètes, qui concernent surtout les jurats112. Précisons rapidement que la période antérieure à 1380 est mal documentée, que les jurats ne sont pas toujours rassemblés en corps complet, et qu'on a pour Audaux des données moins abondantes que pour Bugnein. Quant aux autres magistrats, on ne sait si la baile a délégué de façon permanente ses fonctions à un lieutenant local, et on ne glane que des informations très lacunaires sur les gardes et les procureurs. Enfin, le seul magistrat subalterne jamais mentionné dans ces villages est un « cride », ou crieur public.
48Pour Bugnein, le tableau des données reproduit ci-après donne une image sans doute assez proche de la réalité des faits. Sur un siècle et demi, environ la moitié des maisons ont été représentées au corps des jurats. Ces trente-deux maisons se décomposent en trois sous ensembles : le premier regroupe celles qui n'ont accédé que de façon fugitive aux responsabilités publiques (Brocar, Cos, Sudanche) ; le second se compose de celles qui ont occupé ces fonctions de façon discontinue ; enfin se distinguent une demi-douzaine de maisons qui ont eu une représentation très fréquente : Anglade, Binhau, Casaubon, Casenave, Monbalor, Puyou. Les données relatives à Audaux, plus lacunaires, sont difficilement comparables : le corps des jurats a été recruté dans vingt-sept maisons113, parmi lesquelles une poignée fournissent un magistrat en quasi continuité (Bernet, Casenave, Camplonc, Portau).
2. La valeur des alliances matrimoniales
49La valeur de la dot est globalement indexée sur la richesse et le prestige de la maison. Le seigneur de bonne maison dérogerait de doter sa fille comme une pauvresse, et à l'inverse, il fait payer un juste prix le privilège fait au gendre ou à la bru venant s'installer dans sa propre maison. Dans le tableau ci-après qui a pour double objet de répertorier les montants des dots et la géographie des alliances, j'ai utilisé les données des contrats de mariages, des affaires de retour de dot, et celles des testaments précisant l'identité du conjoint114. Le corpus disponible est globalement bien trop maigre, trop disparate selon les familles, pour se prêter à un essai d'exploitation ethnologique. La faiblesse des données relatives aux cadets rend tout raisonnement un peu aléatoire, même s'il semble y avoir peu d'écart entre garçons et filles. Notons que l'endogamie villageoise – surtout évaluable pour Bugnein – semble faible, de l’ordre de 10 %. Après conversion de l'ensemble des montants en sous morlaas (unité la plus fréquement utilisée)115, apparaît clairement la fondamentale homogénéité des dots. Au total, peu d’évolution entre les XIVe et XVe siècles, et une fourchette resserrée entre le groupe médian (autour de 300 sous) et la frange supérieure des dots qui se situe entre 450 et 900 sous (soit 75 à 150 florins). Dans celle-ci figurent les Abadie, Balihaut, Camblonc, Capdevielle, Cortozie, Luyer, Lafitte, Tolosa..., que nous retrouverons, ailleurs, à la tête de la société villageoise. Au bas de l’échelle on dénombre une minorité de dots inférieures à 200 sous (dont celle du « crestiaa » ou cagot, cf. ci-dessous, pp. 552-553). Au sommet figure le seul sire d'Audaux, qui, en dotant ses filles de respectivement 2700 sous et 1700 écus (à 18 sous jaques l'écu), marque bien le fossé qui sépare un des barons du Béarn de ses manants les plus fortunés116. Mais le fait principal qui mérite d'être retenu ici est que la circulation des alliances peut se faire sans obstacle entre une grande majorité de maisons.
3. La valeur marchande des maisons
50On peut collationner dans les registres une trentaine d'actes de vente de maisons, mais les données chiffrées ainsi obtenues sont à considérer avec circonspection. En effet c'est tantôt la maison seule qui est vendue avec sa place, voire la place de maison vide117, et tantôt l'ensemble de l'exploitation agricole qu'elle commande. Les actes prennent alors soin de préciser qu’est vendu le « loc, ostau, affar, heretadge » ; cependant, on ne connaît jamais l’étendue exacte des possessions foncières qui vont avec les bâtiments d’habitation et d'exploitation. Il faut aussi prendre garde aux circonstances dans lesquelles les maisons changent de mains. Les ventes à l'encan ont permis à ceux qui disposaient de numéraire d'opérer de fructueuses opérations, parfois immédiatement suivies d'une profitable revente (voir la maison Laplace). En fait la vente est toujours un acte plus ou moins relatif, de sorte que toute collation des données comporte une part d'arbitraire. Ainsi, l’entrage que doit payer le nouveau feudataire en prenant sa maison est une forme de vente qui n'a pas été prise en compte118. À l'inverse, a été inclus l'arrangement familial qui fait passer « l'ostau » Magentie d'un membre à un autre de la maison Puyalou, pour une somme sans doute inférieure à un hypothétique prix de marché.
51J'ai donc jugé indispensable de mentionner dans le tableau ci-joint ces différents paramètres, et je souligne pour finir que la trentaine de transactions qui y sont reportées sont sans doute loin de rendre compte de la mobilité dans la propriété des maisons qui caractérise les villages considérés (et qui, outre les ventes, inclut les échanges – « escambis »-). Certaines de ces opérations sont révélées, de façon elliptique, dans des dispositions testamentaires119 ; d'autres par le fait que les récents acheteurs d'une maison n'ont pas encore adopté son nom pour patronyme, et d'autres enfin, par la voix du vendeur, qui dit tenir lui même la maison qu'il aliène par achat.
52Quelques points de repère sont nécessaires pour apprécier les données chiffrées (en gardant à l'esprit le principe de conversion d'un florin pour 9 sous jaques ou 6 sous morlaas). Un domaine noble (« domenjadure ») de Treslay, près de Navarrenx, a été vendu au début du XVe siècle pour 300 florins120, et l'Abadie d'Araujuzon, à la même époque, mais à l’encan, pour 216 florins121. Hormis quelques rares cas d'apparence aberrante122, on retrouve un spectre de valeurs comparable à celui des dots : de l'ordre de 100 sous morlaas pour les plus pauvres, de 200 à 300 sous pour les plus ordinaires, et au-delà de 500 sous pour les plus huppées. Cette cohérence n’est en rien fortuite, puisque certaines dots sont données sous forme de maisons. Et une telle « indexation » du prix des maisons et de la valeur des dots paraît constituer un des fondements de l'organisation sociale du Béarn de ce temps123.
4. Lueurs sur la propriété foncière, le marché de la terre la richesse en bétail
53Les gens de ce pays et de ce temps avaient une idée très précise de ce qui constituait une unité d’exploitation « standard » : une maison commandant une vingtaine de journaux de terre dans les différentes parties du terroir, et disposant des droits d’usage sur les terres hermes124. Cependant, ces unités calibrées apparaissent essentiellement lors de concessions à fief consenties par les seigneurs, et il importe de les replacer dans une dynamique plus complexe. Au départ, en effet, le preneur peut posséder des biens s'ajoutant à la nouvelle tenure125, et, par la suite, les diverses exploitations ont pu se trouver amoindries, ou au contraire agrandies par la suite d’achats, saisies hypothécaires, successions126. Antérieurement à l’époque moderne, on ne dispose pas de document cadastral donnant un tableau complet de la répartition de la propriété foncière ; mais dans la mesure où les registres de notaires ne laissent transparaître aucun mouvement accéléré de concentration de la propriété, on peut sans risque estimer que la structure agraire de la fin du Moyen Âge ne devait que faiblement différer de celle des premières décennies du XVIe siècle. Le livre terrier le plus complet et le plus précoce concerne le village voisin de Castetbon. En 1538, près des trois-quarts des exploitations ont entre 15 et 45 jornades (soit environ 5 à 15 hectares) ; et aux deux extrémités de l'échelle, on dénombre seulement deux propriétés de plus de 45 journaux, et six de moins de 5127 On se trouve donc en présence d'une société de propriétaires paysans différenciée à l’intérieur d'un régime agraire qui demeure fondamentalement démocratique128.
54Le marché de la terre est largement responsable de la différenciation des fortunes foncières qu'on voit s'opérer à partir de la tenure à cens de référence. Davantage encore que pour les maisons, les données recueillies sont d'une grande hétérogénéité, et doivent être utilisées avec une extrême prudence129. Deux faits majeurs transparaissent clairement : le premier est que, contrastant avec l'homogénéité du prix des maisons, le marché de la terre se joue sur une palette de valeurs d’une grande disparité. Le second est que la terre constitue un bien d’une grande cherté. Sur la base d'une exploitation de 20 jornades valant 400 sous morlaas, la jornade de terre, une fois retranchée la valeur de la maison (au minimum 70 sous), n’aurait dû coûter en moyenne guère plus de 15 sous. Or, c'est là une valeur plancher rarement attestée130. Par contre, on a vendu des journaux à 100 à 150 sous, et jusqu’au double131. Les données relatives au prix de la terre mesurée, quoique peu nombreuses, permettent de mieux situer les autres transactions foncières, dont la valeur moyenne avoisine les 100 sous, et qui peuvent excéder 300 sous : un jardin (« orte ») se vend couramment 100 sous132, une belle « terre à vigne » peut valoir 60 florins133, et un pré de fauche (« feaa ») 40 à 60 florins134.
55En résumé, dans la mesure où il n’est pas rare que le prix d'une belle pièce de terre équivale celui d’une maison avec son exploitation complète, force est d’admettre l’existence d’un décrochage entre l’échelle des valeurs des dots et des maisons, et le marché foncier. Et ce, tout au long de la période considérée. D'autres l'ont souligné avant moi. l'exiguïté des exploitations comme leur précaire équilibre cultural rendaient déraisonnable l’aliénation de parcelles, que les paysans en difficulté préféraient souvent engager135. Ailleurs, la dépression démographique a eu pour effet de « casser » le marché en libérant une multitude de terres. Or en Béarn, cette dépression a été moins brutale, et de plus, la forte cohésion des tenures, condition de la pérennité des maisons dont les jurats étaient les garants, gardait les terres captives, en quelque sorte, et maintenait leur prix à haut niveau. Retenons donc ceci que, si la répartition de la propriété foncière donne à la société béarnaise un puissant fondement démocratique, le marché foncier joue à l’avantage d'une élite sociale.
56Un tel décrochage a pour effet d’écarter les paysans les plus modestes du marché foncier tandis que par contre, pour ceux qui disposaient plus aisément de numéraire, l’achat de parcelles constituait une forme de placement permettant de disposer le moment venu d’une masse de manœuvre considérable, sans entamer l’intégrité de leur « ostau »136. Par ailleurs, on rencontre des voisins, peu scrupuleux, qui ne se sont pas privés, avec la caution des jurats, d’acheter à bon compte des exploitations à l’encan, pour revendre au détail et au prix fort leurs meilleures parcelles137. Enfin, on constate qu'au terme d’une vie, certains personnages, des hommes d’église principalement, ont pu accumuler de coquettes fortunes foncières138. Bref, tout porte à croire que la terre jouait un rôle important dans la stratégie d’investissement des villageois les plus riches, et ce au moins tout autant que le bétail139.
57Tous les auteurs s'accordent pour affirmer que le bétail constitue la véritable richesse des paysans béarnais140. C’est avec cette idée en tête que j'ai pointé les multiples données relatives au cheptel. Or, il s'avère que la majeure partie des paysans d'Audaux, Bugnein et Geup ne possèdent que de médiocres troupeaux. Si le village d'Audaux compte une figure de grand éleveur, c'est aux portes de Toulouse qu'on l'a rencontré141, et si on pointe quelques troupeaux de porcs ou d'ovins de quelque importance dans le pays de Navarrenx, ce sont souvent des animaux donnés en gasaille par des éleveurs des vallées d'Aspe, d’Ossau, ou du Barétous142. Les inventaires après décès confirment parfaitement ce fait : dans nos villages, seules quelques maisons possèdent un cheptel de porcins ou d'ovins de quelque ampleur et la rareté du gros bétail est générale143. À une époque où, ailleurs, on évalue en bovées la capacité d'une exploitation agricole, il est frappant de constater que seule une minorité des maisons inventoriées possède un attelage de bœufs complet, et qu'il semble courant d'emprunter le bœuf du voisin pour faire la paire144. Ce fait doit être restitué dans le contexte d'une médiocrité générale des patrimoines.
5. Le patrimoine mobilier des maisons d'après les inventaires
58Une des raisons qui m'ont conduit à retenir l'échantillonnage documentaire examiné ici est la présence de treize inventaires, qui donnent le moyen d'évaluer, de façon concrète et nuancée, la richesse mobilière des différentes maisons. Il s'agit d'un ensemble remarquablement homogène (uniquement des inventaires après décès, réalisés par le baile à la suite de la mise en tutelle d'enfants en bas âge), concernant essentiellement des foyers paysans, avec six actes dressés entre le 11 et le 27 décembre de l'année 1384145 De ces treize documents, j'ai donné par ailleurs une analyse fouillée, qui me dispensera de détailler les problèmes de méthode et d'identification qu'ils ne manquent pas de poser146. On retiendra surtout que ces inventaires, qui interviennent dans un moment de crise aiguë, lorsqu'un cycle familial amorcé depuis peu d'années est tronqué par le décès prématuré d'un parent, ou des deux à la fois, ne donnent pas un instantané du contenu matériel « moyen » des maisons. La période de maladie qui a précédé a fragilisé la maison et accru l'endettement ; puis entre le coup de faux de la mort et l'intervention du baile, il a fallu faire face à d'importantes dépenses. Il convient donc plutôt de considérer ces inventaires comme un jeu de miroirs grossissants de la hiérarchie des fortunes, et d'impitoyables tests de la solidité relative des maisons.
59En définitive, l’analyse de ce corpus, limité mais très homogène, met au jour une stratification des maisons en trois niveaux. Tout en bas, près d’un tiers des maisons sont en situation de perdition (Borgarber, Lanega, Fontaa, Osserain) : le deuil qui a prématurément frappé a eu raison d'un précaire équilibre. Il a fallu vendre ou laisser en gage jusqu'aux biens de première nécessité, sans pour autant éteindre toutes les dettes ; la maison n'est plus viable, elle va bientôt être elle-même vendue à l'encan par les tuteurs. Seconde strate, celle des maisons meublées de fruste mais convenable manière, qui ont conservé leurs forces vives, et qui ont les moyens de passer le mauvais cap : les Moret, Gassio, Casamajor, Anglade, qui toutes fournissent à la communauté des jurats. Enfin, au sommet, les maisons les mieux équipées, qui ont commencé à acquérir des biens qui les distinguent déjà des maisons les plus communes (Naude, Lacrabère, Capdevielle, Bordenave, voire Sajus). Passé ce moment difficile, et sous réserve de bénéficier d'un « bon gouvernement », elles vont rejoindre l’élite des maisons qui mènent le jeu, et que nous n'allons plus désormais quitter du regard.
III. Jeux des maisons et jeux des familles
A. Les ressorts extra-paysans du jeu social
60Au miroir des notaires, la question majeure de la société rurale béarnaise ne paraît pas être celle de la terre. Avec la tenure attachée à la maison, chaque famille en a, non point de trop, mais juste en suffisance, compte tenu de la faiblesse des moyens de production et de l'existence de terrains de parcours collectifs. Par contre, les milliers d’actes qui nous sont parvenus sont dominés par la pénurie du numéraire qui entraîne un foisonnement de pratiques de crédit. Et c'est là que réside la dynamique du jeu social du Béarn des XIVe et XVe siècles. Qui tient l'accès au numéraire tient un levier d'ascension sociale.
1. Paysans-commerçants et artisans ruraux
61Les villages d'Audaux et de Bugnein étaient traversés par la route joignant Oloron et Navarrenx d’une part, Sauveterre, Orthez, Bayonne de l’autre, tous actifs bourgs marchands ouverts sur de plus vastes horizons. La vie des marchands qui passaient, et parfois s’arrêtaient, a dû fasciner plus d’un jeune paysan. Certains se sont lancés pour leur compte dans des spéculations lointaines, ainsi Jean de Cassou, de Bugnein, qui après avoir vendu des peignes par milliers jusqu’à Bordeaux, est revenu mourir dans sa maison, en 1397147 Certains marchands sont demeurés dans le village même. C'est le cas d’Arnaud-Tuquet de Lacrabère d'Audaux, qui commerça à Morlaas, Lembeye, Mauléon, Garris, et dont nous est connu un inventaire après décés, daté de 1384. On découvre une maison riche en créances, une les mieux équipées du village aussi, dans laquelle on ne trouve point d'instrument aratoire, mais par contre un jeu complet de poids pour la viande (« pezes par la carn »), soigneusement détaillé148.
62La figure de marchand villageois la plus notable, en ce tournant des XIVe et XVe siècles est cependant celle d'Arnaud Guillemet de Camplonc, d’Audaux. Notre homme est lui aussi resté solidement implanté dans le village où il a exercé longtemps des fonctions de magistrature. On le voit conclure divers contrats de gasaille, on apprend qu'il fait commerce jusqu'à Mirande, en Astarac149, et il se manifeste surtout dans le registre comme un prêteur aussi actif qu'intransigeant, qui n'hésite pas à requérir le sénéchal pour faire saisir ses débiteurs150. Homme du seigneur d'Audaux qui l'a fait baile151, il tient dans sa main la communauté à laquelle il avance les 48 florins de fouage152. En 1404, il obtient du sire d'Audaux la ferme de la seigneurie de Mourenx pour une durée de quatre ans et une somme de 300 florins d'or. Enfin, en 1412, il dote de 100 florins sa fille qui épouse Guilhem Arnaud de Laplace de Camblong, un petit « domenger »153. Or, dans ces mêmes années, un acte nous apprend que le jeune héritier d'une bonne maison d'Audaux, Guillem Arnauton de La Cortozie, le propre neveu d'Arnaut.Guillemet de Camplong, laisse l'exploitation familiale pour se placer en apprentissage auprès d’un bourgeois et marchand d'Orthez qui lui apprendra l'art de la marchandise154 : témoignage du puissant pouvoir d'aspiration qu'exercent les métiers du commerce sur la paysannerie.
63Ils sont nombreux, en effet, les habitants que l'on voit se livrer à une foule de menues spéculations dans un rayon de faible ampleur, tout en menant de front leurs travaux agricoles. Les cadets ne sont pas en reste, qui cherchent ainsi à se constituer leur propre patrimoine, et Sansot de Sajus constitue un bon exemple155. Les registres ont conservé une multitude de traces de cette activité d'échanges diffuse, qui ne donnait pourtant que rarement lieu à des actes écrits. L'enjeu, généralement, était médiocre156 ; mais c'est précisément le cumul de ces tout petits profits qui pouvait permettre à certaines maisons d’accéder à une relative aisance. Et c'est à une pareille aisance que semblent avoir accédé nombre d'artisans.
64La densité des artisans s’avère très variable d'un village à l'autre. Ils sont particulièrement nombreux à Audaux. Il s’agit d’un chef-lieu de baronnie dont le bourg, relativement étoffé, est implanté dans un terroir exigu. Sur un total de soixante-deux maisons recensées comme occupées en 1385, et en considérant la seule période 1385-1415, la mieux documentée, on identifie au moins dix-sept maisons d'artisans représentant une dizaine de métiers différents : forgeron (« faur ») (1), savetiers ou cordonniers (« sabaters »)(3), charron (« arroder »)(1), fabricants de sonnailles (« esquirers ») (3), tailleurs (« sartes ») (5), maçon (« peyrer ») (1), charpentier (1), coutelier (« coterer »)(1), barbier (« barber ») (1), maréchal-ferrant (« manescaut) » (l)157. Le contraste est assez grand avec le village jumeau de Bugnein, où parmi les maisons, massivement vouées à la production agricole, on ne dénombre guère que deux forgerons158. L’étroitesse du marché local condamnait probablement une partie de ces artisans à végéter. Pourtant, à condition d'être habile et travailleur, un artisan pouvait espérer partir de rien pour devenir quelqu'un, à l'instar de ce Goalhardet d'Auriot qui, au soir de sa vie, rappelle avec fierté qu'il acheté « de son propi cabau », non seulement sa maison, mais aussi « las autes causes en lo present testament contengudes »159. Plus que les divers contrats d'apprentissage, qu'il est banal de rencontrer dans les sources à pareille époque, il est un acte qui me semble révélateur de ce qui était, à cet égard, l'air du temps. On y apprend que Johanicot de Mirande, de Bugnein, confiant à ses anciens tuteurs la maison dont il est l'héritier, déclare ne pas vouloir se contenter d’un travail « cum son brassers e laboradors », et désirer quitter le pays pour apprendre un métier160.
65De ce groupe d'artisans, dont la présence parmi les jurats constitue le plus sûr indicateur de notabilité, se détache la figure de Monaut de Bordenave, un cordonnier d'Audaux mort en 1405. C'est un cadet, dont seul le surnom – Copau, une maison du hameau de Bugnein – semble trahir l'origine. On ignore aussi ce que fut son apprentissage. En tous cas, en compagnie de sa femme Estenne161, il a travaillé dur, et s'est fait reconnaître comme un artisan dont la réputation déborde les confins de la « rivière » de Navarrenx162. À la sueur de son front il a récolté de quoi acheter la maison Bordenave, puis une seconde maison où il a installé son atelier, avec la fosse à tanner, les cuves, les chaudrons, le moulin à tan, et le stock de cuir163. La reconnaissance sociale est naturellement venue : en 1387, il fait partie du corps des jurats164. Sa femme ne reste pas inactive, et semble s’être adonnée au tissage, mais elle a de quoi s'attacher les services d'une servante. Leur malheur a été de perdre trop tôt leur héritière, et d’arriver au soir de la vie avec un petit-fils en bas âge. Mais ils vont quitter le monde, à quelques semaines d’intervalle, en laissant à ce dernier un maximum de chances : ils louent l'entreprise à un cordonnier qui lui apprendra le métier de « sabaterie ». Monaut et Estenne, en bons parvenus, ont acquis des biens sortant de l'ordinaire ; ils sont notamment les seuls à posséder deux livres, dont les « Romantz de Senecque ». Leur engagement dans l'Église peut faire figure de surcompensation : ils sont chanoine et chanoinesse du couvent de Bastanès (village voisin), et Monaut est responsable de l'œuvre des lampes de l'église d'Audaux. Mais on ne peut écarter l'idée que ce couple de cordonniers ait voulu donner un sens spirituel à une vie de fructueux labeur. Et cela, forcément, dans l'ambiguïté : en effet Monaut a emprunté pour ses besoins personnels 9 florins à l'œuvre du luminaire. Tout imprégné qu'il ait pu être de stoïcisme chrétien, cet exemplaire artisan a cédé à la tentation de profiter un peu de la manne qui tombait sans discontinuer sur l'Église. Mais ce faisant, il ne faisait que suivre un mouvement général.
2. Les legs des morts et la rente des vivants
66L'impérieuse nécessité du salut constituait à cette époque le principal ressort de l'épargne. Au moment du décès, il fallait avoir prévu le financement des suffrages en faveur de son âme. Quelle qu'ait été leur aisance, on l'a vu, les paysans béarnais ne se départissaient pas d'obsèques « raisonnables », calibrées par la coutume. Les legs pieux sont mesurés, et la « comptabilité de l'au-delà » se limite dans le meilleur des cas au calcul élémentaire165. Tout en étant coûteux pour les pauvres, le repos du corps et le soin de l’âme du défunt ne mobilisent jamais des sommes extravagantes166. Lorsqu'ils ont accumulé par leur travail un capital suffisant, ou bien dans l'éventualité de la mort d'un enfant auquel on réservait une dotation, les testateurs les plus aisés peuvent alors décider, en dehors des legs pieux, de fonder un obit ou d'instituer une prébende. Avec une centaine de sous167, il est possible d'inscrire son nom dans l’obituaire de la paroisse et de bénéficier d'une messe anniversaire perpétuelle168. Le capital de ce que nos textes nomment « prébende », et qu’on désigne généralement comme une chapellenie, se situait à un niveau de fortune bien plus élevé, d’un montant minimal de 50 florins semble-t-il169. Elle faisait obligation à un desservant, le prébendier, de dire quotidiennement une messe pour le défunt et sa famille. Ajoutons qu'avec les obits, le bassin des âmes du purgatoire (rarement mentionné)170, l'œuvre du luminaire171, la fabrique172, complètent, dans la paroisse, le dispositif de collecte des legs pieux. Efficaces instruments de l'économie du salut, ces capitaux sont immédiatement et massivement recyclés dans l'économie terrestre et constituent, pratiquement, autant d’organismes de crédit et de moyens de profit.
67Parce qu'elles sont mieux servies par les textes, qu'elles mettent en jeu des sommes plus importantes et des personnages plus en vue, les prébendes se prêtent à une étude plus suivie. Dressons la liste de celles dont les registres attestent l'existence, avant de donner quelques détails sur deux d'entre elles. À Audaux, il est vraisemblable que la prébende fondée par le seigneur Bernard Guillem en 1385 suivait elle même une tradition et a fait fonction de modèle173. À partir de cette date, les prébendes paysannes se multiplient dans les deux paroisses174. Ce réseau local est complété par les prébendes, parfois confiées à un enfant du village, qui sont fondées dans les paroisses voisines, dans l'église Saint-André de Sauveterre, dans l'église cathédrale d'Oloron. À leur tête un prébendier, canoniquement irréprochable à ce que nous en savons. Le patron de la prébende, héritier du fondateur, prend bien soin de ne présenter qu'un candidat compétent qui a reçu l'agrément de l’ordinaire et qui sera capable de dire scrupuleusement les messes175. Il s'agit d’un curé de paroisse, qui cumule prébende et bénéfice, ou bien d’un prêtre sine cura, ou encore, en fin de période, d'un impatient « bachelier en lois » revenu dans son village natal176.
68Dans son propre intérêt et dans celui du fondateur, le prébendier s'emploie à faire fructifier le capital par des placements judicieux. Achats de terres, prêts à mort-gage, affermage des dîmes, constituent l'ordinaire des activités profanes de ces pieuses institutions financières. Dans leur paroisse et dans les paroisses voisines, les diverses prébendes sont en concurrence pour obtenir les marchés, mais quand il y a lieu elles peuvent aussi constituer une sorte de « pool »177. Une des activités majeures de ces institutions de crédit consiste à consentir des avances de trésorerie sur gages aux détenteurs des dîmes, qui sont ici le sire d'Audaux et l’abbé laïque de Bugnein178. Tel est le sens de la multitude d'engagements auprès de prébendes de dîmes, en bloc ou par paquets de maisons, qui sont effectués par ces deux seigneurs179. Outre ces opérations, il arrive aussi que la prébende prenne carrément à ferme la perception des dîmes180.
69Le contrôle de ces organismes financiers constitue un enjeu central des stratégies familiales des maisons dominantes. Les registres donnent quelques aperçus du ballet d'alliances qui évolue autour des prébendes. Voici d’abord Jean de Casamajor, « caperan » de Bugnein et titulaire de la prébende instituée par Pierre Arnaud de Bendejac : dans les années 1380, il multiplie les créances, n'hésitant pas à saisir les débiteurs insolvables181. Il meurt en 1396, non sans avoir fondé sa propre prébende dont le patron est son héritier, Bertranet de Lafitte, qui devient ainsi « seigneur » de Casamajor182. Ce personnage semble déjà habité par l'esprit d’entreprise183, et, nanti de ce pactole, il va s'affirmer comme un des personnages les plus actifs de Bugnein au tournant des XIVe et XVe siècles. On le voit en effet muliplier les spéculations sans trop se préoccuper de ses dettes184. Bien qu'ayant motif à se plaindre de la gestion de Per Arnaud de Capdepont de Geup, son tuteur, Bertranet n'est pas un ingrat185 ; il associe Tamonet de Capdepont à ses spéculations et, ayant présenté à la prébende son neveu Guiraut de Capdepont, curé de Bugnein186, il lui permet de réaliser de fructueuses opérations187.
70Les alliances d'intérêt patron-prébendier sont souvent redoublées par des unions matrimoniales. L'abadie de Bugnein a ainsi servi de pivot à plusieurs agrégats familiaux. D’abord vers la fin du XIVe siècle, au temps de Pierre Arnauton, « abbé » à Bugnein, et baile à Audaux, où il exerce ses fonctions sous le nom de Balhère. Il a pris pour épouse Clermont de Sougès de Castetbon188, et fait nommer un cadet de cette maison, Monaut, comme prébendier189. À la mort de ce dernier, il présente Guiraut de Capdevielle, de Geup. Or celui-ci n'est autre que le neveu de Guillemot de Capdevielle qui avait épousé en 1367 Jeannette, fille de la maison Abadie190. Un inextricable complexe d'intérêts, parfois contradictoires, lie ces deux familles191. Au bout du XVe siècle, on retrouve une structure comparable : devenue veuve, Conderine de Juncar, « dame adventice » d'Abadie, vend une part des dîmes de la maison pour doter son fils Johanet192, tandis qu'Arnaud de Juncar est titulaire d'une prébende fondée à Audaux par Arnaud d'Abadie licencié en droit193.
71Il y a matière, dans nos registres, à détailler de la sorte les groupements d'intérêts qui se forment autour des diverses prébendes. Mais il est vrai que ce serait fastidieux, que toutes les prébendes ne sont pas également documentées, et qu'en tout état de cause, elles ne sont qu'un des éléments d'un système complexe dont il convient de dégager l’économie générale. Deux sources de crédit et de profit constituent, au miroir des notaires, un enjeu majeur : le drainage des legs pieux et le prélèvement de la dîme, qui, il faut bien le rappeler, est dans ces pays un élément constitutif à part entière de la rente féodale laïque. Si les destinataires en sont principalement l'Église et la moyenne aristocratie, une partie du prélèvement est dérivée vers quelques maisons paysannes privilégiées194. Une minorité ont pu se doter de leur propre prébende195, elles se sont greffées par alliance sur un « axe » patron-prébendier, ou bien sont parvenues à obtenir une prébende pour un de leurs enfants196. L'héritage d'un prébendier représentait pour une famille un incomparable manne ; ce qui a été vrai pour Bertranet de Lafitte l'a été dans la plupart des cas similaires197. À défaut de prébendes, le prêtre pouvait administrer avec profit une caisse d’obits198, et on le voit alors couramment effectuer de fructueux placements. En participant aux œuvres pieuses de leur paroisse, les laïcs accédaient aussi à bien des opportunités : la fabrique (« obre »), ou bien l’œuvre du luminaire, dans laquelle nous avons surpris Monaut de Bordenave faire un emprunt personnel.
72Mais il existait bien d'autres façons de se greffer sur un de ces profitables circuits, et les paysans-commerçants, les artisans-paysans, qui avaient amassé quelques liquidités, ont pu ainsi réaliser de substantiels profits en affermant des dîmes. Les Bordes d’Audaux sont l'exemple même d’une famille qui s'est employée à exploiter les diverses possibilités : Arnaud, tailleur, s'est voué à l'affermage des dîmes aux côtés de l'abbé laïc de Bugnein, et Arnaud Raymond (son neveu, ou son frère), « caperan » d'Orriule, investit dans les maisons de son village d'origine199. Quelques maisons privilégiées pouvaient, enfin, asseoir fortune et prestige sur le service du baron ou du prince200. Se détache bien sûr la figure d'Arnaud Guillem de Camplong qui, en affermant la seigneurie de Mourenx, en 1404, en devint pour quatre ans le véritable seigneur avec la faculté de « tenir cort e cortz, e pausar y bayle si vist les […] lauda tote vente si ni faze, ne prener e receber los capsos... »201. Mais plus significatif est le destin de la maison Cazenave que l'on peut suivre sur plus d'un siècle. Dès 1363, Per Arnaut de Cazenave est baile d’Audaux et exerce le patronage de l'église en lieu et place du sire d’Audaux202. En 1405, Arnaud Guillemet de Casenave prend à ferme en 1405 la baillie de Bugnein, dont il demeura fort longtemps titulaire203. À la fin du XVe siècle, un de ses descendants, Pees, apparaît comme un riche et actif recteur et prébendier de Bugnein204.
73Du reste, la participation de ces paysans aux jeux du groupe dominant apparaît comme naturelle dans une société féodalisée jusqu'à ses tréfonds, et dans laquelle il est courant que de bonnes maisons paysannes vendent leurs parcelles de terres en exigeant une rente et une reconnaissance féodales205. Elles sont à peu près les mêmes dont les enfants se retrouvent jurats, bailes, « caperans », prébendiers, voire chanoines. Ce sont elles qui dominent la communauté que l'on voit donc, naturellement, se comporter comme une seigneurie paysanne collective206. Et tous ces paysans qui étaient, très officiellement, désignés comme des « seigneurs » d’une maison, se sentaient peu ou prou effectivement seigneurs, et en tant que tels habilités à ramasser quelques miettes du « gâteau » féodal.
74On peut bien soupçonner que les sommes en jeu sont dérisoires au regard de la masse totale de la rente seigneuriale, encore que la vérification reste à faire. Mais, en tout état de cause, ces profits de gagne-petit suffisent à différencier les bénéficiaires des paysans dont la tenure, pourtant, n'est peut-être guère plus petite que la leur. Dans cette société aux bases foncières démocratiques, un faible différentiel était susceptible de créer le mouvement. Et ce revenu extra-paysan, donc, combiné aux ressources de l'artisanat et du commerce, suffit à hisser une minorité de maisons dans une spirale sociale ascendante, pour peu qu’à leur tête se trouve un « seigneur » apte à exploiter ces opportunités. De tels profits suffisent, enfin, à placer ces bonnes maisons en continuité avec la strate inférieure de l'aristocratie. On a vu par exemple, pris dans un même complexe d'alliances et d'intérêts, les Capdevielle, minuscules « domengers », les abbés lais de Bugnein, et enfin les Sougès et les Junca, simples paysans. Tour à tour – ou simultanément – emprunteurs et créanciers, toujours proches d'une source d’où coule le numéraire, solidement appuyés sur leur bonne maison, ils ne jouent pas exactement le même jeu que les paysans qui ne peuvent compter que sur l'exploitation de leur médiocre tenure pour assurer à leur famille une très précaire autosuffisance.
B. La stabilité des maisons et l'expansion des familles
75Sous-jacente aux actes notariés se trouve une société paysanne dominée par les cycles agraires sans fin recommencés et sans fin clôturés par l'angoisse des soudures. Cela étant, le miroir notarial nous renvoie une autre image de cette société, avec une multitude de minuscules initiatives, mettant en jeu des hommes qui, par leur esprit d'entreprise, ont cherché à peser sur leur propre avenir. On se trouve là en présence d'une dynamique sociale dont il convient de dégager les manifestations et la signification.
1. Les noms et le nombre des maisons
76La question à laquelle je vais ici m'efforcer de répondre est la suivante : dans quelle mesure cette dynamique sociale se répercute-t-elle sur le tissu des maisons, d'une façon quantitative (par une modification du nombre), ou bien qualitative (par une plus grande hiérarchisation, ou par une redistribution des maisons de meilleur renom) ?
77En 1385, Gaston Fébus ordonna un dénombrement nominatif des feux vifs du Béarn. Cette célèbre enquête fournit un point de référence obligé pour l'étude des maisons béarnaises207. Cependant, il s'agit pas d'un point fixe. La liste ne peut être considérée comme complète, et elle traduit une situation onomastique qui est rien moins que normalisée et figée208. Certaines maisons, et non des moindres, parfaitement attestées par ailleurs, font défaut. Pami les plus notables Citons celles de Capdevielle et de Capdepont de Geup, carrément ignorées, et celle de Camplonc d'Audaux, curieusement escamotée209. La longueur même de la liste des maisons manquantes fait ombrage à la crédibilité du dénombrement210. Reste enfin la marge d'incertitude à laquelle se sont trouvés affrontés les enquêteurs : maison habitée ? simple borde ? maison abandonnée ? Cette incertitude, inégalement traitée selon les localités, achève d'ôter aux résultats toute valeur absolue, et appelle de la part de l'historien un effort de réflexion particulier211.
78La désignation des unités fiscales, uniformément identifiées comme « ostau », correspond à une palette complexe de cas de figure. Minoritaire est celui qui donne uniquement le nom de la maison, indépendamment de celui qui l'occupe, à la façon d'une personne morale212. Le plus souvent apparaît le nomen de l'individu à qui la maison sert de cognomen (par exemple : « l'ostau d'Arnaut Guilhem de Casenave »). La maison s'efface parfois devant le nomen213, ou, plus souvent, le métier ou la fonction de la personne, qu'elle abrite (qui a pu ultérieurement se fossiliser en nom de maison)214. Quand est énuméré « l'ostau qui fo de Caxau », cela signifie que la maison en question n'a pas de nom propre. On a là le cas de figure qui précède le degré zéro de l'onomastique des maisons : les maisons dépourvues de nom et que l'on identifie en précisant leur localisation215.
79La complexité de cette onomastique provient de son extrême flexibilité : l'individu peut changer de cognomen en changeant de maison ou avoir simultanément plusieurs cognomina s'il possède plusieurs maisons. Il existe, dans les villages, des ménages sans maison, vivant en location ; lorsque l'occasion se présente, ils achètent une maison dont ils adoptent le nom pour patronyme, mais ceci dans un délai qui peut avoir été très variable216. À l'opposé, on y reviendra, certains habitants possèdent par achat ou bien par héritage plusieurs maisons, et se font appeler, selon le cas, par le nom d'une d'entre elles. Ainsi Bertranet de Lafitte de Bugnein et Bertranet de Casamajor d'Audaux ne sont-ils qu'une seule et même personne, alors que Per Arnaud de Labadie, autrement appelé « l'abbé » à Bugnein, agit à Audaux sous le nom de Pierre Arnaud de Balhère. Cette identité, attestée pour ces deux importants personnages, nous échappe probablement pour plusieurs autres, moins bien documentés217. Les cadets mariés dans une maison dont ils sont « seigneurs adventices » sont également caractérisés par une ambiguïté onomastique fondamentale : ils tendent à adopter le nom de maison de leur épouse, mais ils peuvent aussi continuer à être désignés par le cognomen de leur maison natale218.
80Pour un individu, adopter un nouveau nom de maison, c'est s'approprier le renom qui s'y attache, et certaines modifications paraissent résulter de la mise en œuvre de stratégies mûrement réfléchies.
81Voici, révélé au hasard des actes notariés, un exemple de ce ballet des propriétés et des noms, aussi complexe qu'ordonné, qui anime la société. En 1385 la maison Faurie est vendue par Tucolo du Brocar à Guixarnaut de Laplace219. On s'attend à ce qu'ultérieurement Guixarnaut, conformément à une pratique fréquemment attestée, se fasse appeler Guixarnaut de Faurie. Mais voici que l'affaire se complique, et s'éclaire à la fois : la même année, Guirautine, épouse de Guixarnaut, échange la maison Laplace dont elle est la « dame » avec celle du Costau, dont le « seigneur » a pour nom Goalhardet. On apprend donc à cette occasion que Guixarnaut n'est qu'un « adventice », qui, pratique onomastique dominante, a adopté pour cognomen le nom de la maison de sa femme220. Or, dès l'acte suivant, qui est passé le même jour, Goalhardet est appelé « senhor de Laplassa », la maison qu'il vient tout juste d'acheter, et il reconnaît une dette à Guixarnaut qui, lui, est désigné comme « senhor de Faurie »221, et qui apparaît comme tel dans le dénombrement général de 1385222. On comprend l'empressement de Goalhardet : la « seigneurie » de Laplace est sûrement plus valorisante, puisqu'il a dû verser une soulte de 300 sous représentant la différence de valeur entre les deux maisons. On ignore quel est le fondement matériel de cet écart. On sait cependant qu'à la période précédente, cette maison Laplace a donné à la communauté un procureur et un garde, et que ce capital symbolique honore désormais qui en est le seigneur. Mais il n'est pas sûr que, pour autant, Guixarnaut s'estime être perdant dans l'affaire : n'a-t-il pas échappé à son destin de « prince consort » pour devenir un seigneur de maison à part entière ? La source notariale ne fournit malheureusement que trop peu d'aperçus sur ce jeu de noms et de renoms. Elle en fournit assez pour plonger l'historien dans un abîme de perplexité223.
82Dans cette confusion onomastique qui recouvre un jeu social sur lequel on reviendra, comment peut-on discerner l'évolution du nombre des maisons ? Un premier fait est patent : entre le début du XIVe siècle et la fin du XVe siècle, cette société n'a créé que très peu de maisons présentées comme nouvelles. Les deux qui ont été repérées dans les textes sont tardives, et portent le nom significatif d'« ostau nau »224. Il resterait à vérifier dans les registres du XVIe siècle si cette nouveauté n'inaugure pas une vague de maisons nouvelles portée par la croissance de la population. Pour la période antérieure, la question de l'évolution du nombre de maisons se situe dans une frange d'ambiguïté sciemment entretenue. Il semble possible de résumer les faits ainsi : auprès de la maison mère, ou un peu plus loin, existe une construction sans affectation déterminée, dépourvue de nom propre, identifiée selon les cas comme « ostau » et borde, et qui constitue en fait une maison autonome virtuelle ou transitoire. On a vu combien ces bâtiments pouvaient laisser perplexes les enquêteurs comtaux225, mais leur ambiguïté est attestée indépendamment de considérations fiscales226. L'accession d'une partie de ces maisons à l'autonomie se traduit, dans l'onomastique, par l'adjonction de suffixes. On a donc des maisons situées « Susa (o) » (au dessus) ou « Jusa(o) » (en dessous), soit respectivement à l’est et à l'ouest de la maison mère ; ou bien « Lafora » ou dans la « Carrera » c'est-à-dire à l'extérieur ou à l'intérieur de l'enceinte227. On ne se trouve pas en présence d'une évolution linéaire, mais d’une série de pulsations tributaires de la pression démographique, une maison pouvant redevenir borde pendant quelque temps.
2. Stabilité des maisons et dynamique sociale
83Ce système fonctionne à la fois comme une sorte d'édredon anti-crise, qui évite la disparition rapide de maisons, et un sas de freinage à la multiplication anarchique de maisons nouvelles. Il comporte un volant de « maisons-bordes », temporairement escamotables, qui semble avoir été utilisé afin d'éviter les à coups de la pression fiscale. On l'a déjà dit : le prince et la communauté des maisons avaient mutuellement intérêt au maintien du statu-quo. Une chute du nombre des maisons faisait courir au seigneur le risque d'une déperdition fiscale et aux chefs de maison celui d'un alourdisement des quotes-parts. À l'inverse, le prince savait bien qu'il n’avait aucun intérêt à ce qu'un accroissement du nombre de maisons vînt rendre plus fragile et instable le réseau des unités tributaires, et les chefs de maison redoutaient pareillement une telle perspective qui équivalait à un réajustement à la hausse du tribut et à une diminution de l'espace pastoral. Les « maisons-bordes » permettaient simplement, me semble-t-il, de maintenir un nombre effectif de maisons légèrement supérieur à celui qui servait d'assiette à l'impôt. Mais il s'agit là d'une tricherie à la marge. Car globalement, et contrairement à la période antérieure, la dynamique sociale de la période 1340-1500 fonctionne donc à l'intérieur d’un cadre stable, sinon rigide. Et en dernière analyse, le brouillage onomastique précédemment observé reflète la contradiction qui existe entre une dynamique sociale assez vive et un réseau de maisons d'une plasticité pour le moins limitée.
84Une partie des maisons d’Audaux, Geup et Bugnein sont mises en location par leur propriétaire. Les premiers concernés sont les chefs de maison partis s'installer ailleurs et qui procèdent à la location de leur maison souche228. Par ailleurs, on pointe un certain nombre de personnages qui habitent ces villages sans y tenir maison229. On peut penser qu'ils vivent en location dans une des maisons achetées, sans affectation connue, par des seigneurs d'« ostau » déjà bien pourvus, ou, à fortiori, par des non résidents230. Il arrive qu'au bout d’un certain temps, certains locataires s'enracinent, et profitent d’une opportunité pour acheter une maison et s'intégrer définitivement à la communauté au sein de laquelle s'opère ainsi, goutte à goutte, cette forme de transfusion231.
85Ce cas de figure, il faut bien le dire, semble très minoritaire. Ce sont en effet plutôt les cadets du village qui bénéficient des maisons libérées par la faillite ou le déguerpissement. Dans la transparence qui est celle d'une société rurale, les cadets devaient bien savoir quelles étaient les maisons en perdition, et se préparer à en être les repreneurs. En 1484, après le décès de sa femme, Guillem Arnaud d'Arpit décide de vendre la maison Mirassou, à Bugnein, où il était venu comme adventice. Elle est acquise pour 60 florins par Guillemet, fils cadet (« esterlo ») de la maison La Costa de Lafora, qui, pour ce faire, revend à Pes de Casenave, recteur de Bugnein, sa « borde, terre, place, terre et casau ». La borde, ici, a constitué un palier d'attente dans le processus d'accession d'un « esterlo » à la condition de seigneur de maison232. Dans une majorité de cas, le chasement des cadets (et cadettes) s’opère dans le cadre d'une stratégie de maison. Celle de Puyalou à la fin du XIVe siècle a été menacée par le mauvais gouvernement de Bonetolo. Il est alors fait appel à un cadet de la maison, en l'espèce l'oncle Berdolet, pour redresser la situation, en remplacement de son neveu qui se démet233. Au siècle suivant, la maison est en expansion : un des cadets, Peyrot, prend pour épouse une autre cadette, Marianne de Laroque, de Castetbon qui, en guise de dot doit recevoir une maison, Cambautes, qu’il reste toutefois à acheter à l’encan234. De fait, ces ventes publiques semblent avoir constitué autant d’occasions favorables pour bien doter les cadets : c’est par cette voie qu’Arnaud Guillemet de Faurie, d’Audaux, a acquis la maison de Fore Cabelher au bénéfice de sa fille cadette Condor235. On ne sait, par contre, comment à la mort de son père, Guilhem Arnaut de La Cortozie d’Audaux se trouve être en même temps « seigneur » de la maison de Bioy. En 1406, conseillé par sa mère, et au nom des sains principes du bon gouvernement, il cède cette seconde maison à sa sœur Goalhardine, qui peut ainsi faire un beau mariage236.
86Lorsqu'au lieu des séquences furtives et discontinues de l’histoire des maisons il nous est donné de voir des tableaux un peu plus complets, se révéle l'existence, au-delà d'opérations ponctuelles, de véritables politiques familiales d'essaimage. Apparaissent ainsi deux moments de l’histoire des Tolosa. D'abord, vers la fin du XIVe siècle, Guirautine a acheté les maisons de Portau et de Saint-Pé237. Un siècle plus tard, dans son testament Amanieu reconnaît avoir acheté la maison de Naude d'Audaux pour y installer sa sœur Guirautine, et avoir fait de son frère Guixarnaud le seigneur de la maison de Saint-Martin238. Peu de temps après, Guirautane de Toloze, sa fille, achète la maison Laborde à Bernard de Marsanh-Jusoo239. Le hasard des recoupements permet de capter une semblable phase d'expansionnisme autour de la maison du Cos, à Bugnein. En 1406, Per Arnauto acquiert le « loc » de Begbeder, qu’aussitôt il donne à son frère Espanholet « per gracios e agradables servicis »240 ; et en 1412, faisant jouer son droit de retrait, il met la main sur celui de Capdebielle241. Voici enfin en œuvre, dans la seconde moitié du XVe siècle, les Balihaut, dAudaux. En 1472, Peyroton a acheté la maison Larribau242, tandis que son frère Johanet se trouve à la tête de la maison Copau, sans doute à la suite d’un achat243. Et à la fin du siècle, Guillem-Raimond, un homme de confiance du sire dAudaux, a donné à sa fille, au titre de dot, la maison de Faurie-Suson qu'il vient d'acheter pour 60 florins244...
87Exceptionnelle, et sans doute un peu scandaleuse, est l'attitude de Arnaudine de Bordenave, de Bugnein, qui, après avoir acquis le « loc » de Feugas, décide de le fusionner au sien, et de donner le tout à sa fille Guirautine245. L'histoire de cette maison Feugas, qui venait d'être échangée contre celle de Forquilhot par son précédent propriétaire, va ainsi connaître un temps de sommeil. Mais en règle générale, les maisons continuent de circuler, y compris les plus anciennes. Ainsi celle de Marsainh-Jusoo, acquise on l'a vu par les Cortosie en 1311. Possession un certain temps d'Arnaudet de Cauhape, qui la tenait d'on ne sait qui, elle est vendue à son oncle Bernardoo, qui en 1385 la vend à son tour à Bonetolo, seigneur de Marsanh-Susoo246 : soit, pour cette maison-mère du village, un nombre minimal de quatre mutations dans le siècle.
88Ainsi s'opère un mouvement continu de redistribution de cartes, dont le nombre n'augmenterait que faiblement. Il est vrai que ceux qui possèdent davantage d'atouts parviennent à mettre la main sur un beau paquet de maisons. Dans chaque village, la multiplicité inchangée des chefs de maison, la diversité toujours aussi grande des noms, cachent en réalité un processus d’accaparement par une minorité de groupes parentaux. Les cartes sont bien les maisons, mais le jeu est celui des familles. Ailleurs, cela se serait sans doute traduit par un mouvement de concentration foncière, mais la règle du jeu, ici, prohibe cette logique. Dès lors, pour les plus forts joueurs la partie s'achève en abattant les cartes et en quittant la table. Par cette métaphore je veux dire qu'ils quittent la condition paysanne, en partant parfois s'installer dans une cité. Dans un premier temps, ils donnent à ferme la propriété et deviennent rentiers du sol : c'est ce que fait en 1397 Tamonet de Capdepont, de Geup, sur le conseil de ses oncles prébendiers247 ; c'est aussi à quoi se décide peu après Arnaud Guilhem de Begbeder, prébendier de Sauveterre et héritier de cet « ostau » d'Audaux248. Ce dernier appartient à une famille de jurats. Quant à Tamonet, c’est le lointain descendant de ce Guillaume de Capdepont, jurat de la populatio de Geup en 1274, et qu'on voit réclamer alors la construction d'une église pour son village249. Par ailleurs, dès avant la fin du Moyen Âge, les descendants de deux des personnages qui ont le le plus dynamisé la vie sociale de nos villages au tournant des XIVe et XVe siècles, et dont il a été souvent question précédemment, ont abandonné la maison-mère. En 1473, les descendants d'Arnaud Guillemet de Camplonc se trouvent installés dans une ville non identifiée250. Et à la génération suivante, Arnaud de Lafitte, qui vit dans la cité d'Oloron, met peu glorieusement en gage la maison de Bugnein qu'il avait héritée de Bertranet251.
Conclusion
89Il est aisé de répertorier tout ce que la documentation notariale béarnaise laisse en dehors du champ d'observation : la géographie mouvante des réseaux d'alliances, les clivages et les conflits de la société villageoise252... Il est également facile de constater que, à bien des égards, les lignes de force de l'histoire sociale qui se dégagent de l'observation de nos villages ne sont autres que celles que l'on discerne à travers tout l'Occident, avec une domination exercée par une oligarchie de paysans qui « tiennent les comptes de la fabrique paroissiale, dirigent la confrérie, président les assemblées, dominent le marché local »253. Cette oligarchie villageoise, que l'on trouve en continuité avec les besogneux représentants de la noblesse locale, et en commerce avec eux, existe bien déjà autour de 1300 dans le pays d'Aillon254. Et, largement au-delà, on n'a guère besoin de forcer les faits pour établir un parallèle entre la structure sociale des villages considérés et la stratification de la société rurale d'Outre-Manche255.
90Laissons pourtant là cet exercice de lointain comparatisme : les sources diffèrent totalement, l'organisation de la seigneurie et des divers pouvoirs ne sont pas de même nature. À l'inverse, la réflexion mérite d'être davantage poussée en se plaçant dans le cadre même des sociétés à maisons pyrénéennes.
91Les sociétés à maisons « pures » supposent le maintien d'un degré d'indépendance qui leur permet d'avoir la maîtrise de leur écosystème et, dans certains cas, de gérer de façon autonome l'économie du sacré256. Dans le piémont, l'intégration à l'État féodal émergeant a, de plusieurs manières, ruiné cette autonomie. Les cas extrêmes sont, d'une part, la disparition de l'ancien caselage dans un contexte de peuplement massif en bourgs257, et, ailleurs, le statut de questalité imposé aux maîtres des casaux, ainsi qu'on a pu le voir dans la région de Sauveterre, si proche de nos villages.
92Ceux-ci constituent un cas de figure intermédiaire. En peuplant les bourgs de Bugnein et d'Audaux au for de Morlaas, le vicomte et le baron ont d'un coup saturé l'espace, remodelé l'habitat, figé le réseau des maisons, et retiré aux anciennes maisons « casalères » la possibilité d'avoir leurs propres « botoyers ». Celles-ci n'ont cependant pas entièrement disparu, et elles ont utilisé, pour se reproduire comme maisons dominantes, l'étroite marge de manœuvre qui leur restait. De l'inégale société casalière, les bonnes maisons ont hérité la possibilité de se placer en continuité avec la féodalité de façon à capter quelques miettes de la rente. Et c’est très naturellement qu'on les voit aussi user de l'institution ecclésiale pour conforter leurs intérêts terrestres. En revanche, c'est bien dans le cadre de l'égalitaire société de petits propriétaires mise en place à la fin du XIIIe siècle que les maisons ont capté toutes les opportunités d'ascension offertes par l'artisanat ou le commerce.
93Dans un tel contexte, on ne pouvait s'attendre à ce qu'une idéologie de maison déjà intériorisée existât uniformément dès le Bas Moyen Âge. Dans un cadre matériel et spatial déjà rigidifié fonctionne une société rurale encore mobile, qui n'hésite pas à faire un usage instrumental de la maison. S'en évadent, par le bas, tous ceux qui déguerpissent. S'en extraient, vers le haut, ceux qui ont pu échapper à l'ingrat labeur de la « brasserie et du labourage ». Et, quoique fondée sur un droit successoral inégalitaire, cette société reste ouverte. Le but des maisons ne semble pas d'ailleurs d'exclure les cadets, mais d'accumuler suffisamment de bien pour les chaser258. C'est ce brassage même qui a probablement contribué à diffuser l'idéologie du « bon gouvernement » domestique au-delà du cercle des anciennes maisons « casalères ». Mais le système homéostatique qu'on a pu ici restituer fonctionne pour l'essentiel dans un contexte de dépression démographique ; le temps de la croissance revenu, une autre dynamique sociale et spatiale va voir le jour...
94Ce chapitre, qui s'apparente à un exercice de micro-histoire, visait à lever un doute : dans quelle mesure la variation d'échelle d'observation des faits ne risquait-elle pas de provoquer le « basculement d'une histoire dans une autre »259 ? À l’issue de cette étude de cas, j’ai acquis l'intime conviction que le puzzle de systèmes sociaux qui se dévoile en Gascogne à partir de la fin du Moyen Âge ressort d'une combinatoire dont on peut comprendre le sens. Ce puzzle ne constitue pas une donnée première, mais il est le résultat d'une élaboration ancienne dont les clés principales ont été mises au jour dans les précédents chapitres de ce livre.
Notes de bas de page
1 E. Leroy-Ladurie, Montaillou, village occitan, Paris, 1975
2 I. Chiva et J. Goy (éd.), Les Baronnies des Pyrénées, Paris, 1981-1986, 2 vol.
3 Pour comparaison cf. J.-B. Orpustan, « Pages de micro-histoire basque : la maison Irigoizbehere d'Ossès », dans Bull. du Musée Basque, 2e trim. 1986.
4 A. Fougères, Les droits de famille et les successions au Pays-Basque et en Béarn, d'après les anciens textes, Bergerac, 1938 ; P. Luc, Vie rurale et pratique juridique en Béarn..., 1ère partie ; J. Poumarède, Les successions..., 2e partie ; A. Zink, L'héritier de la maison...
5 P. Luc, op. cit., pp. 64-65 : « ... quand on voit aujourd'hui encore, en Béarn, alors que le Code Civil a bientôt un siècle, à quel point la notion d'héritier est ancrée dans les esprits [...], on ne peut douter qu'à cette époque la volonté du chef de famille ne fût, dans la très grande majorité des cas, respectée ».
6 C’est-à-dire un système dans lequel « c’est le tout qui commande les parties », selon L. Dumont, Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications, Paris, 1966, réed. 1979, p. 65.
7 Les 90 registres béarnais de la série E des Archives des Pyrénées-Atlantiques n’ont pu être exploités que d’inégale façon. A été entièrement dépouillée la série des notaires de Navarrenx (E 1593 à E 1607), celle des notaires de Pardies (E 1915 à E 1934), des notaires de Lucq-de-Béarn (E 1399 à E 1413), des notaires d’Oloron (E 1766 à E 1768), des notaires d’Ossau (E 1852 et E 1870).
8 Ils apparaissent dans le second tiers du XIIIe siècle, sous le règne de Gaston VII (qui débute en 1229) cf. P. Rogé, Les anciens fors de Béarn, Paris-Toulouse, 1908, p. 291 ; la charte de Gaston VII instituant des notaires publics locaux, à la date du 22 mars 1256, est incluse dans le For Général (P. Ourliac éd., pp. 210-211), sous la rubrique no 124.
9 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus..., pp. 120-121.
10 Il est significatif que l'excellent ouvrage du juriste P. Luc, op. cit., entièrement fondé sur les registres notariaux laisse de côté l'étude du notariat. Les éléments que j'ai notés situent sans surprise le notaire dans la strate de la société où se retrouvent bourgeois, riches paysans (souvent issus du caselage) et nobles de petite extraction ; à titre d'exemple le notaire de Navarrenx Guiraut d'Abadie, qui instrumente au début du XVe siècle est « seigneur » de l'Abadie Juson de Susmiou (ADPA, E 1599, fol. 129).
11 Règles fixées par une ordonnance de 1333 renouvelée en 1350 par Gaston III ; cf. Tucoo-Chala, ibid.
12 Plusieurs opérations d'affermages, notamment, dans le registre ADPA E 304, fol. 10, 21, 28, 65. À titre d'exemple, fol. 10 : la notairie de Navarrenx et Josbaig est affermée en 1379 à Guiraud d'Abadie de Susmiou, fils du feu notaire de Navarrenx Bernard de Laplace pour un entrage de 600 florins d'Aragon et une pension annuelle de 200 sous morlaas ; le notaire a toute latitude de créer des coadjuteurs et le prince s'engage à ne pas créer d'autre notairie dans le ressort.
13 Cela limite la déperdition de sens qui ne manque pas de se faire entre oralité et écriture, mais sans toutefois l'effacer dans la mesure où la langue juridique diffère de celle qui est effectivement parlée ; cf. M. Grosclaude, « Peut-on évaluer l'écart entre la langue populaire, d'une part, et la langue juridique et administrative d'autre part, en Béarn, du XIIIe siècle à 1789 ? « dans H. Guillorel et J. Sibille (éd.), Langues, dialectes et écriture. Les langues romanes en France, Paris, 1993, pp. 55-63.
14 Le format le plus habituel mesure environ 31 x 22 cm.
15 Les actes solennels relatifs aux familles de la noblesse, plus longs, ont souvent droit dans le registre à des lettrines ornées. La cancellation des actes semble généralement indiquer la réalisation d'une expédition (avec une barre de cancellation parfois doublée d'une lettre f, sans doute initiale de feyt).
16 Notamment le registre du notaire d'Oloron E 1768, qui concerne presque uniquement le village de Moumour.
17 Par exemple, les actes relatifs à la succession de Monaut de Bordenave, d’Audaux (1405-1407), sont répartis entre le registre E1598 (fol. 72, 120) et E 1600 (fol. 19, 107) : le premier contient un acte du 6 janvier 1406 (n. st.), et le second un acte du 4 novembre 1405.
18 À signaler le cas limite du fragment de registre notarial de Gan coté III E 383, où il s'avère que le client le plus assidu d'Arnaud Tussents, coadjuteur du notaire, n'est autre que la famille Tussents.
19 À noter, sous réserve d'un examen plus approfondi de ce phénomène, que dans les trois séries de notaires qui couvrent en continu la période 1330-1500, celles de Pardies, Navarrenx et Lucq, les années 1430-1460 sont caractérisées par une chute sensible de la densité des actes.
20 Par exemple, le plus ancien registre des notaires de Navarrenx (ADPA, E 1593), recueil factice de deux cahiers. Le premier qui couvre les années 1333-1335, comprend 41 feuillets où sont consignés 662 actes (soit 16 actes par feuillet) ; le second cahier est de 1365, ses 9 feuillets contiennent 66 actes, soit 7 par feuillet. Pour la période la plus ancienne, le nombre annuel des actes retenus est supérieur à 200.
21 Voici la teneur d'un de ces actes, extrait du registre précédement pris pour exemple (fol. 2, 1333) : « Notum que Ar. de Peroelhs de Bughenh deu de II arrases e 1 quartaa de froment ad Arnaud de Minbielle de Bughenh a la Sta Maria d’Aost cum valere, o dar IIId. per interes. Fidanses Monguilhot de Petraube de Bughenh e Espanhoo deu Lee, Ar. de Cazenave, de Bastanes ».
22 Voici l'exemple d'un des derniers registres médiévaux de Navarrenx : coté E 1607, il couvre la période s'étendant du 13 novembre 1497 au 16 mars 1499, et comporte 151 feuillets contenant 514 actes, soit à peine plus de 3 actes par feuillet. Sur une année, le nombre d’actes enregistrés est supérieur à 300.
23 Cf. les réflexions générales de J. Hilaire, La vie du droit, Paris, 1994, qui insiste sur le caractère pragmatique de la médiation du notaire.
24 Il existait à Navarrenx un maître d'école communal, dont la maison est signalée dans le dénombrement de 1385 (publ. P. Raymond).
25 ADPA, E 1606, fol. 108 : parlant de ses créances, Amanieu de Tolosa précise que certaines « tien scriutes de sa propi man en son libe » (1493).
26 ADPA, E 1594, fol. 78, E 1599, fol. 16 ; E 1600, fol. 19 (1406).
27 Cf. par exemple dans E 1594 (fol. 26), parmi bien d’autres exemples, la démarche de Bertranet de Lafitte pour faire mettre en forme publique le testament de Bertrand de Naude dicté au « caperan » d'Audaux, et dont il est un des exécuteurs, car dit-il, certaines clauses le concernant « en poyren tornar a dampnage sino en forma publica » (1385) ; habituellement le testateur souhaite que ses volontés soient transmises au notaire par les exécuteurs en cas de nécessité.
28 Par exemple dans E 1600, fol. 131 (affaire Capdebielle, analysée ci-dessous).
29 Je réserve pour une étude ultérieure l'étude systématique du lexique du « gouvernement » appliqué aux maisons dans les actes notariés béarnais.
30 ADPA, E 1411, fol. 10 : « no pot entener au regiment e gobernament de ladite notarie... »
31 Gaston Fébus, livre des oraisons, G. Tillander et P. Tucoo-Chala éd., Pau, 1974, oraison 2 : le prince a imploré le Seigneur « quod terrain meam et meas gentes possem gubernare ad bene placitum tuum... »
32 Ces concepts, développés dans le livre 1 de la Politique d'Aristote, sont par exemple repris par Dante (De monarchia, I, 5), ou déjà par Thomas d'Aquin, De regno, 1 (trad. Martin-Cottier) : « C'est pourquoi celui qui gouverne (regit) une communauté parfaite, c'est-à-dire une cité ou une province, est appelé roi (rex) par antonomase ; celui qui gouverne une maison n'est pas appelé roi mais père de famille. Cependant, il a avec le roi quelque similitude à cause de laquelle on appelle parfois les rois pères des peuples »
33 Cet aspect des choses semble avoir surtout intéressé les historiens allemands ; cf. Rösener, Bauern..., pp. 179-180, note 430, qui cite l'Economia de Konrad von Mengenberg, véritable traité de bon gouvernement domestique écrit entre 1348 et 1352 ; et O. Brünner, « Das ganze "Haus" und die alteuropaische "ökonomik" », dans Neue Wege der Verfassungs und Sozialgeschichte, 1968, pp. 103 et suiv.
34 Cf. l'article pionnier de B. Derouet, « Territoire et parenté... », AESC, 1995, pp. 645-686, qui met en relief l'homologie qui unit l'espace familial et l'espace public.
35 À titre d’exemple, ADPA, E 1598, fol. 126 (1406) : dans le contrat de mariage d'Arnaud de Casaubon de Bugnein, le caractère « raisonnable » des différentes dispositions est rappelé à quatre reprises.
36 Fait justement souligné par P. Luc, op. cit. p. 66, avec lequel je suis cependant en désaccord lorsqu'il estime que « fort peu d'individus omettaient de faire (leur testament) », ce que rien ne peut prouver.
37 Par commodité, on prendra comme référence privilégiée un testament particulièrement riche en informations, le testament d'Arnaud, « seigneur » de Castagnouse de Lucq-de-Béarn, dicté le 23 mai 1478, ADPA, E 1411, fol. 59-60. Arnaud se justifie d’avoir pris le bois de charpente de l'étable de la maison Corthiu pour rebâtir sa propre borde, par le fait qu'il avait été saisi en tant que garant de prêts consentis à cette maison, et qu'il s'agissait donc d'une simple récupération, et non point d'un vol.
38 Ibid. : Arnaud, qui laisse une multitude de créances, dit n'avoir pas de dettes « sino petites somes, qui son hereter sap, lasquaus remeto a la conscienci que los pagui ».
39 Il n’y a pas de place ici pour une étude spécifique des testaments béarnais ; pour les termes de comparaisons cf. simplement J. Chiffoleau, la comptabilité de l'au-delà... ; M.-C. Marandet, Le souci de l'au-delà...
40 Par ex. ADPA, E 1606, fol. 77-78, testament de Goalhardet d'Auriot (1493) : « Item volo que sas honors sien feytes lo cors stan sober la terra ben honorablement, segond la costume deu pays ».
41 Sur la disponibilité des acquêts et les réticences qu'elle a pu inspirer, cf. J. Poumarède, Les successions..., pp. 252-261.
42 Testament Castagnouse : grâce à ses acquêts le testateur « ...a pagat gran quantitat de partz a sons frays e a sons filhs, filles, rer-filhs, rer-filhes... ».
43 Testament Castagnouse : pour faire dire les 35 messes pour le repos de son âme et pour financer ses legs pieux, Arnaud assigne le revenu de la maison Caulonque qu’il a acquise « de sa industrii, sudor e tribalh », et qu’il lègue ensuite à Peyrot, l’enfant qu’il a eu d'un second lit.
44 Par exemple E 1600, fol. 78-79 : Guirautine de Faurie, de Dognen, avoue piteusement que « son hostau de Faurie fos tornat a laussetat (abandon) en son gran dampnage e bergonhe de sons amicz ».
45 Soit littéralement : « mauvais gouvernement, jeux, tromperies, dettes, engagements, obligations et autres mauvaises administrations ».
46 J.-F. Mehl, Les jeux au royaume de France du XIIIe au début du XVIe siècle, Paris, 1990, on peut parfaitement appliquer au Béarn l’interrogation générale de l'auteur. « Comment une activité humaine aussi répandue a-t-elle pu subsister au milieu de tant de condamnations et d'anathèmes ? » (p. 320).
47 Le grief fait au jeu de perturber l'ordre social est monnaie courante, cf. J.-F. Mehl, op. cit., pp. 364-365.
48 Les Fors anciens de Béarn, For Général, no 256 (pp. 286-287) : « Si quelqu'un joue aux dés et qu'on puisse le prouver clairement, il sera mis au pilori et il encourra une peine de six sous morlaas au profit de la ville et de ses murs » ; no 274 (pp. 198-299) : un mari n'a pas le droit de jouer la dot et le linge dotal (« la pelhe de lheyt e la dote ») de son épouse (il s’agit d’un jugé inséré au for, à la suite de la vente par Arnaud Guillamet de Larriu de la couette de sa femme). Ces deux articles sont manifestement contradictoires, le second impliquant une tolérance du jeu, sous réserve de certains excès. L’absence de cohérence de la législation civile relative aux jeux est un fait général bien relevé par J.-F. Mehl, op. cit., pp. 346-349.
49 ADPA, E 1413, fol. 35, publ. par P. Raymond, Mœurs béarnaises. Renseignements singuliers extraits des minutes des notaires du département des Basses-Pyrénées, Pau, 1873, pièce no 26.
50 Le recueil de P. Raymond, cité ci-dessus comprend d'autres affaires de jeu, avec notamment la promesse solennelle faite au seigneur de Claverie de Loubieng par un certain Per Arnaut de Faurie, de ne plus jouer à un jeu d'argent sous peine de se jeter du haut du pont du gave à Orthez. On a précédemment vu ces seigneurs de Claverie combattre, dans les premières décennies du XIVe siècle, la mobilité de leurs questaux (pp. 288-289) : le jeu constitue un autre élément de perturbation de l'ordre souhaité par les seigneurs.
51 P. Raymond, op. cit.
52 Cf. l'oxymore « exceptionnel/ normal » d'Edoardo Grendi reformulé dans « Repenser la micro-histoire ? », Jeux d'échelles... », p. 238 : « le témoignage-document peut être exceptionnel parce qu'il évoque une normalité, une réalité si normale qu'elle demeure habituellement tue ».
53 Il est prévu qu'Amadine, dont le patronyme indique qu'elle sort d'une bonne maison (peut-être même celle des abbés lais de Louvie), « lo servira e fara en totes causes a luy possibles ayxi que molher deu ni est tengude far a son marit » ; et elle renonce « Legi velliane senntus consulta et legi : si qua milier et legi Julie de jure dotium et fundo dotali... » (sur cette clause, cf. P. Ourliac et J. de Malafosse, Histoire du droit privé, t. III, Le droit familial..., pp. 224-227 et 142-145).
54 ADPA, E 1600, fol. 129 ; ce texte reproduit en style direct les formules de consentement d'un mariage « civil », que l'Église, on le sait, considérait comme valide, quoique illégal.
55 ADPA, E 1600, fol. 6 : « per cause car ha entenut que un ostau segont lo son, quant torna a seroos ses perteyxs e se debedeyxs, e per amor que aqueg ne resparque ne debedes, ni james no se pusque espartir ni debedir ».
56 ADPA, E 1598, fol. 126 : contrat passé entre les maisons Casaubon de Lafore, de Bugnein, et Mansaner de la Peyrete de Sauvelade.
57 B. Cursente, « Les cadets de Moumour à la fin du Moyen Âge... »
58 Par ex., ce principe d'homologie est constant dans les documents de la seigneurie d'Audaux : on le trouve exprimé aussi bien dans la charte de 1289 concernant les « maisoers » appartenant à la maison d'Audaux (ADPA, E 2216), qu'un siècle plus tard dans un acte par lequel le sire d'Audaux engage les dîmes « de l'ostau e mayson d'Audaus » (ADPA, E 1595, fol. 56-57). Quant à la maison de Béarn, rappelons simplement que la chonique d'Arnaud de Labat aujourd'hui perdue avait pour titre « L'escut de l'ostau de Foix et de Béarn » ; cf. P. Tucoo-Chala, op. cit., p. 24.
59 Id. ibid., p. 162.
60 Voir ci-dessus, chap. 7.
61 Voir par exemple l'introduction au livre des fiefs de Monein réalisé en 1431 (ADPA, Monein, CC1) : les procureurs justifient cette révision par le fait qu'ils ont constaté que « auguus deudit loc thien terres de locx questaus, arciuters, domengers o gentius sentz mee licenci ; e autes qui thienen certantz locx questaus, domengers arciuters e autes que no y thien foec viu, e autes que thien terres que eren mees e que no paguen fiu... »
62 Dans le bailliage de Navarrenx les mesures de répression ont été particulièrement dures dans les années 1385-1390, P. Tucoo-Chala, op. cit., p. 134.
63 Cf. par exemple E 1594, fol. 23 : en 1384, les gardes sont redevables d'un nombre précis d'unités fiscales exprimées en maisons (53 à Bugnein, 55 à Audaux...), et ce nombre reste identique en 1402. La défection d'une seule maison peut provoquer d’âpres contestations ; ainsi à Narp, où la communauté refuse de payer des arriérés dus au fait que l'Abadie, comptabilisée comme unité fiscale par l'administration, se considère comme exemptée (E 1598, fol. 45). Lorsque des maisons restent abandonnées depuis trop de temps, le seigneur et la communauté procèdent à un délicat redéploiement de la charge fiscale et des droits entre les maisons restantes ; ainsi à Laas, E 1599, fol. 125-126 (1407).
64 Bon exemple dans E 1600, fol. 111-112 (1412).
65 P. Tucoo-Chala, op. cit., pp. 136-137.
66 Id. ibid., p. 134. Les listes de maisons abandonnées qui figurent dans le dénombrement de 1385 sont particulièrement éloquentes : à Audaux, pour 62 maisons tenant feu vif, vingt ne sont pas occupées. Pour la période immédiatement antérieure, voici comment se présentent, dans le censier de Béarn, les notes de l'enquêteur sur le village de Bugnein (ADPA, E 307, fol. 95) : « ...Monten los singulars qui no son en lor estaire : IIIIC XXVL flor. Dizen per lor desencuze que los us son laus, los autes pupils, e los autes que no eren en la terre ». Dans le registre E 1594 qui couvre cette époque, pour expliquer l'abandon des maisons est évoquée à la fois la pauvreté, et la rébellion fiscale : fol. 56 (Montfort), fol. 65-66 (Bastanès).
67 ADPA, Bugnein, DD3.
68 Les notaires de Navarrenx, contiennent plusieurs séries d'actes d'affièvement de « locs laus « consentis par les seigneurs d'Ossenx, de Méritein, de Sus, d'Audaux. Pour nous en tenir à ce dernier, cf. ADPA E 1598, fol. 64, E 1605, fol. 21-22, 74, E 1606, fol. 287-288.
69 Par exemple ADPA, E 1605, fol. 33 (1489).
70 Voici un exemple d'indice, recueilli dans le registre E 1598, au folio 131 : dans l'année 1405, qui n'est pas connue par ailleurs comme démographiquement calamiteuse, le village de Bastanès, dans lequel en 1385 ont été recensés 28 feux vifs, compte cinq maisons abandonnées (Abbadie, Laborde, Juncar, Percade, Cossence).
71 Cette question mériterait, à l'échelle du Béarn, un travail comparable à celui qui a été réalisé par J. Tricard, Les campagnes limousines... ; le dépouillement systématique effectué ici dans le seul cadre de la « rivière de Navarrenx » fournit un stock de données insuffisant pour dégager autre chose qu'une tendance dominante.
72 ADPA, E 1600, fol. 13 (1401) : le sire d'Audaux consent à Doussine, héritière de Carsusa d'Orriule une réduction de fief car « ere no pode thier ni regir lodit hostau ni y trobaia cosselh de marit » ; autrement dit, le seigneur reconnaît qu'aucun homme n'accepterait de venir en gendre dans une maison aussi lourdement chargée, et que la maison serait à terme abandonnée.
73 Cf. dans E 1598, fol. 135-136 cet exemple d'abrègement de fief : le crieur du seigneur d'Audaux fait savoir à l'héritier éventuel de la maison Junca qu'il a 9 jours pour récupérer sa tenure s'il se trouve en Béarn, 20 jours s’il se trouve hors de ses limites, et 40 jours au-delà de la Garonne.
74 ADPA, E 1606, fol. 175 ; voici la partie principale du texte : « Notum sit que en Johanot, senher de l'ostau e domenjadure de Yeup [...] dixo e expausa que los senhors e daunes de l'ostau de Bemia de Meritenh lo eren tengutz de far e pagar com a sons sosmes e per rason deudit ostau cascun an per la teste de nadau detz ss. morlas de fiu, e far dret e ley, clam, man, ban, capsser, perparanse en sa man. E que per cause de gran carcq deud. fiu los senhors e dones deudiit ostau de Bemia avan aqueg lexat e son anatz en aute pays habitar, talementz que lodit ostau es bengut a laucetat, e en ladite laucetat demorat per lo termi e spaci de XXX antz o plus, pendent eus quoals a pergut lo fiu [...]. Per so es asaver que lodit Johanet, volent evitar ad ataldit damnage, e affin lodit hostau se poble e se i tengue foec viu [...] a baxat [...] lodit fiu a Condoo e Florete, sgr e dones deudiitr ostau de Bemia, e a lors hers, item so es a la some de tres ss ; molas qui l'on sien tengutz de far e pagar anualment en lo jorn e teste de Nadau [...]. Lo suusdit baxement de fiu fe e volo avar feyt per la some de sept floris corrents, contan IXss. per flori [...] ». L'interprétation de cet acte soulève un léger doute : Condoo et Florete sont-ils les mêmes tenanciers que ceux qui ont abandonné la maison dans les années 1460 ? Tout porte à croire que oui. On peut supposer que le chiffre de trente ans, sans doute supérieur à la durée effective de l'abandon, a pu être retenu d'un commun accord par les deux parties comme impliquant prescription du précédent statut agraire.
75 Ci-dessus, chapitre 8, passim.
76 ADPA, E 1594, fol. 18 ; E 1600, fol. 117-118 ; E 1601, fol. 72.
77 ADPA, E 1600, fol. 22.
78 ADPA, E 1603, fol. 3.
79 J. Poumarède, « Famille et tenure... », op. cit., p. 348 : l’originalité d'un système de famille-souche réside « dans la force de l'attachement à un patrimoine et dans une volonté de se perpétuer au-delà des générations dans la longue durée ».
80 A. Zink, L'héritier de la maison..., pp. 473-478, qui éprouve quelque difficulté à trouver un principe de cohérence entre les données qu'elle a pu recueillir : dans un certain nombre de localités, l'existence de la tombe de maison demeure implicite, ce qui semble être aussi le cas dans nos sources.
81 J. Poumarède, Les successions..., pp. 332-333.
82 ADPA, E 1601, fol. 54, E 1606, fol. 108.
83 ADPA, E 1600, fol. 124 (1410) : Per Arnaut de Capdepont souhaite être inhumé dans le cimetière d'Audaux « en lo de Capdepont » ; ADPA, E 1606, fol. 77-78 (1493) : Goalhardet d'Auriot, un cadet qui a acheté la maison d'Auriot dont il a adopté le nom, exprime sa volonté d'être inhumé « au fossat de Forcabelher », sa maison d'origine qui se trouve être une des maisons « casalères » les plus anciennnes du village (attestée dès 1289). On trouve d’autres exemples de cadets qui, devenus seigneurs de leur propre ostau, préfèrent être inhumés dans la tombe de la maison, plus renommée, dont ils sont originaires (c'est notamment le cas, à Lucq, de Peyrot de Caulonque, fils de la maison Castagnouse, pour qui son père a acheté celle de Caulonque, et qui dans son testament, en 1492, ordonne d'être enseveli là où sont « sos pays e may e autes sos ancestres », ADPA, E 1411, fol. 59-60, et E 1412, fol. 131-132)
84 On peut le vérifier dès le XIVe siècle à Saint-Palais : ADG, I 3847, cahier 2, 11 septembre 1356 ; cahier 4, fol. 7 : « l'ostau d'Uthurburue... ab son cemiteri e estatge de glisie » (1372) ; cahier 5, fol. 80 : « l'ostau place et heret de Phagadi... ab son cimiteri e estadge de glisie » (1375)... Or, le fait ne transpire pas des dispositions testamentaires contemporaines, qui prévoient simplement, majoritairement, une inhumation dans le cimetière paroissial. Il en va de même dans la haute Bigorre : les inhumations sont habituellement ordonnées dans le cimetière, sans davantage de précision, mais un acte d'un notaire de Luz révèle un vif conflit entre deux familles qui prétendent à la propriété du « fossat » de la maison Berge d'Agos en tant qu’héritières de cet « ostau » (ADHP, I 141, 14 septembre 1488).
85 Dans les notaires de Navarrenx, quatre occurrences : 1) E 1594, fol. 20 (1384) : Marie fille de Berdolet de Montfort, dame de Salanave d'Araujuzon vend « l'ostau » de Salanave « ab la place en que es en lo cemiteri de la glisie audit osta aparthient » ; 2) E 1594, fol. 77 (1385) : la vente de la maison de Marsanh-Jusso d'Audaux, est consentie sous réserve que le vendeur garde pour lui « lo cemiteri de la glisie audit loc de Marsanh Juso aperthient » ; 3) E 1595, fol. 56 (1388) : vente de « l'ostau » d’Ayees de Montfort « sauban sepulture... en lo segrat de la glisie... en lo fossat deudiit loc d'Ayees » ; 4) E 1600, fol. 51 (1409) : Peyrin de Geyres, de Castetnau, cède pour 15 florins d'or à son frère Peyroto la moitié de la « place et cazalar » de Binhau, qu'il a achetée à Arnaud de Saint Juliaa de Navarrenx ; à cette occasion il concède à son frère et à sa belle-sœur « que egs quan seran mortz sien sepelitz en lo semiteri deudiit loc de Binhau, e lors enfants entro tant mas apres lor mort, e egs diitz Peyroto e Dossine a lor vite se posquen seder pres lodiit Peyrin en lo scieti de la glisie deudit loc de Binhau ».
86 À Audaux, Forcabelher et Marsainh sont attestées dès le XIIIe siècle comme maisons « casalères ».
87 ADG, I 51, no 190 (1430) : dans son testament, Ramon Arnaut, sire d'Audaux, désire reposer « en la sepulture de moss. son pay e autes soos ancestres senhors d'Audaus ».
88 Cette tranche chronologique est couverte par les huit registres cotés E 1594 à E 1601.
89 ADPA, C 6777 bis, « Charte du Pont de Navarrenx » (1289) ; ADPA, E 1606, fol. 54-55 : réquisition des gardes et jurats de la viguerie pour réparer le pont de Navarrenx « au proffieyt e utilitat de tot lo veguerau de Navarrenx » (1493).
90 Ces communautés se soudent à celle de Castetbon, à laquelle j'ai par ailleurs consacré une monographie, cf. « Un village médiéval béarnais... ».
91 Malgré les efforts de ses habitants, Geup, tour à tour englobé dans Castetbon, puis annexé par Audaux, n'a jamais atteint le seuil démographique suffisant pour constituer une communauté à part entière.
92 Dénombrement publié par P. Raymond, Le Béarn sous Caston Phoebus..., pp. 52-55, la vérification effectuée sur le manuscrit (ADPA, E 306, fol. 25-26) a permis de redresser quelques menues lacunes ou erreurs de lecture de l'édition. C'est ainsi qu'après la liste des feux vifs de Bugnein, et avant l'énumération des « locs laus », figurent quelques lignes omises par Paul Raymond : la liste des déclarants ayant prêté serment (que le scribe attribue, par erreur, à Méritein), cancellée et reprise après l'énumération des maisons abandonnées, et à la suite, deux nouveaux noms de maisons : » L'ostau de Lasserre en que demore une femine », et « La borde de Pussenh ».
93 Le bilan des découvertes archéologiques est d'une extrême maigreur : entre Navarrenx et Sauveterre on n'a pas exhumé le moindre vestige gallo-romain, et les « antiquités » se limitent à une série d'éperons barrés protohistoriques (dont le Camp des Maures d'Audaux), cf. G. Fabre, Carte archéologique de la Gaule. Pyrénées-Atlantiques, Paris, 1994, pp. 142-143 et 190-191.
94 M. Grosclaude, Dictionnaire toponymique des communes du Béarn, Pau, 1991.
95 À Bugnein l'église est dédiée à saint Jean, titulature la plus fréquente du bailliage (Sus, Méritein, Dognen, Araux (avec Ste Anne), Bérerenx) ; celle d'Audaux est dédiée à saint Vincent, qui fait partie d'une strate correspondant à la plus ancienne vague de christianisation. Les autres titulatures sont saint Pierre (Lay, Charre, Narp), saint Laurent (Bastanès, Camblong), saint Martin (Gurs, Araujuzon), saint Etienne (Camptort), saint André (Angous), sainte Marie (Ossenx), saint Germain (Navarrenx), saint Jacques (Ogenne), saint Barthélémy (Laas), et saint Biaise (Castetbon, consacrée en 1275).
96 Ibid., acte III (non daté : sans doute fin XIe siècle) ; R. Mussot-Goulard, Les princes de Gascogne..., pp. 154 et 159 identifie Castello avec Castetbon, mais l'existence de toponymes « Castéra » et « Casteigts » dans le terroir même d'Audaux rend cette identification aléatoire.
97 B. Cursente, « La part du Moyen Âge dans l'élaboration d'un paysage béarnais », dans Photo-Interprétation, 1984, no 3.
98 V. ci-dessus, chapitre IV, pp. 210-212.
99 V. ci-dessus, pp. 286-287.
100 ADPA, Bugnein AA1 (original) : charte de franchise (au for de Morlaas) accordée le 3 janvier 1283 par Gaston VII à 60 « poblans » du nouveau bourg tant « seyssaus et questaus » que francs. Moyennant un entrage de 400 sous morlaas, il leur affiève 100 nouveaux arpents de terres en dehors des terrains de parcours dont ils avaient déjà coutume d'avoir le libre usage ; on note qu'un des témoins de l’acte est le caperan de Bugnein dont la présence implique une paroisse préexistante.
101 Ibid. : le texte interdit aux habitants de partir peupler une autre poblatio avant que les 60 places aient été occupées, ce qui revient implicitement à tolérer l'existence de fermes dispersées ; en 1351, lorsque le vicomte consent à une réduction de l'enceinte de 60 à 30 places en raison de récentes mortalités, une clause stipule que les habitants de l'enceinte devront, en cas de guerre abriter « los qui defens no auren ostaus », ce qui revient à accepter que les habitants qui n'ont pas intallé leur demeure ultra muros peuvent continuer à profiter de la présence du bourg sans en assumer les contraintes (texte publié par L. Batcave, « Interprétation de la rubrique du for de Morlaas... »).
102 Cet oratoire, aujourd'hui disparu, est attesté à de nombreuses reprises dans les actes notariés ; la photo-interprétation permet de déceler à son emplacement la trace d'un peuplement antérieur à la régularisation du parcellaire ; cf. Cursente, « La part du Moyen Âge... », op. cit.
103 Voir ci-dessus, chap. VI, p. 286-287 ; autant comme maisons que comme hameau, le nom de Marsainhs s'est perdu dans le courant du XVIIIe siècle ; aucun texte ni aucune mémoire vivante n'a pu m'en préciser la localisation ; les seuls éléments topographiques que donnent les textes médiévaux et modernes sont que les terres de la maison Marsainhs jouxtent celles de la maison Puyalou ; il est vraisemblable penser qu’une des deux maisons des Marsainhs correspond à l'actuelle ferme Hourracq, dont le nom n'apparaît pas dans les documents notariés et cadastraux les plus anciens.
104 Cf. supra, chap. VII.
105 ADPA, 1J/550 : l'affranchissement concerne aussi les habitants des villages de Bastanès, Ossenx, Orriule et Camptort, mais cette copie de 1656 est spécialement destinée aux habitants des Marsainhs, plus complète que E 2216 qui a servi de base à la transcription de Paul Lorber, conservée sous la cote 1J 142/4 ; à cette occasion sont cités quelques noms de maisons du hameau : Saint-André, Hourcabilhé (ou Forcabelher), Mirassou, que l'on retrouve ultérieurement dans la documentation notariale.
106 ADPA, 3J/38 (grosse sur parchemin émanant du notaire de Pouillon Gassianer de Capcici) ; cet Arnaud Loup est un proche parent, sinon le même personnage que l'Arnaldus d'Estivals figurant dans la liste des magnati à qui le roi-duc Edouard 1er a envoyé des lettres patentes (Rôles Gascons III, no 3382, 55) ; on ignore dans quelles circonstances ce seigneur landais s'est trouvé possessionné en Béarn. À noter enfin que le fils aîné d'Arnaud-Loup, Arnaud est dit seigneur de Luyer, nom de la maison paysanne jouxtant, à Bugnein, le sanctuaire Notre-Dame situé extra-muros.
107 ADPA Bugnein, DD1 (1327) ; ADPA E 289, fol. 30, 31, 45 (1333).
108 D'après les données fournies ci-dessus p. 506 ; la fourchette est due à la prise en compte ou non des maisons abandonnées.
109 Voir ci-dessus, chap. II, p. 58-59.
110 À titre comparatif, cf. M. Bourin-Derruau, Villages médiévaux..., t. 2, pp. 291-309.
111 ADPA, E 1596, fol. 4-6 : ce personnage, plusieurs fois jurat et procureur, rappelle notamment qu'il doit récupérer 162 sous qu'il a avancés à la « beziau », pour soutenir contre le seigneur de Laas un procès de carnal... dont il est la seule victime, et qu'en outre il doit récupérer sur la communauté les frais qu'il a engagés comme procureur dans cette affaire ; cf. Cursente, « Un village médiéval... », note 26.
112 En Béarn, sous Gaston Fébus (1343-1391), les pouvoirs municipaux sont étroitement contrôlés et se trouvent soumis au baile qui tient une cour périodique dans les villages. Les jurats nommés pour un an (entre 4 et 8), ont en charge la simple police, certaines affaires de justice, la collecte de l'impôt, la convocation à l'armée ; les gardes ont pour fonction de faire exécuter leurs décisions, et les procureurs de représenter la communauté dans les circonstances exceptionnelles ; cf. Tucoo-Chala,... op. cit. pp. 116-119. Pour le XVe siècle, on connaît mal l’évolution de cette institution. Cf. P. Tucoo-Chala, « La vicomté de Béarn », dans Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, F. Lot et R. Fawtier éd., Paris, 1957, t. 1, pp. 319-341.
113 Il s'agit des maisons d'Anglade, Averet, Balhere, Balihaut, Begbeder, Bernaduc, Bernet, Bignau, Bonecase, Bordenave, Calhavet, Camplonc, Capdebiele, Casenave, Coayreforc, Copau, Faurie, Filhou, Laroque, Luyer, Marsanh, Mibielle, Monbalor, Moret, Nabone, Portau, Saranh (Osserain). À noter que, contrairement à Bugnein, les données se font plus denses dans les registres les plus tardifs (notamment dans E 1606) et permettent de voir l'accès à la magistrature d'une nouvelle génération de maisons : Averet, Bonecase, Filhou, Laroque.
114 Autrement dit, les sommes léguées par le testateur en prévision d'un futur mariage, n'ont pas été prises en compte ; précisons que leur comptage ne changerait en rien la physionomie du tableau.
115 Lorsque les montants sont exprimés en florins, il est toujours spécifié que le florin compte pour 9 sous jaques, mais quand, et c'est plus souvent le cas, ils sont exprimés en sous, il s’agit de sous morlaas. Le sou jaques vaut 2/3 d'un sou morlaas ; à la fin du XVe siècle, le florin tend à être évalué à 10 sous.
116 Cf. en outre ADG I51 : en 1377, le sire d'Audaux constitue une dot de 9 500 sous.
117 ADP A, E 1601, fol. 70 : place de maison vide, à Bugnein, vendue pour 34 sous.
118 E 1596, fol. 135 : le seigneur d'Audaux demande un entrage de 50 sous au preneur de la maison Junca.
119 Par ex., le testament d'Amanieu de Tolosa révéle que cette famille a acquis les maisons de Naude et de Saint-Martin, dont les registres n'ont pas gardé d'autre trace (ADPA, E 1606, fol. 108-108,1492).
120 ADP A, E 1601, fol. 42.
121 ADPA, E 1601, fol. 107.
122 Le prix dérisoire de la maison Baylet (4 florins), et celui, exorbitant de la maison Camps (315 florins) correspondent à des paramètres (ou à des erreurs d'écriture ?) insaisissables.
123 C'est en fonction de cette grille qu'il convient également de replacer le sort fait aux bâtards des maisons nobles : en installant son fils Guillem Ramon dans la maison Capdevielle de Geup qu'il a achetée 400 sous, le sire Raimond Arnaud d'Audaux place son bâtard dans le circuit des bonnes maisons paysannes (ADG, I 51, testament du 10 juin 1430).
124 Les registres contiennent plusieurs attestations concordantes de ce module tant au XIVe qu'au XVe siècle : E 1598, fol. 18, 42, 50, 143 ; E 1603, fol. 67-68, 100. À noter que dans E 1598, fol. 42 (1402), il est précisé que le seigneur de Laas baille à fief les terres du lieu de Mibielle, soit « XX jornades ab soos herms cum a un autre besii ».
125 À Bugnein, la charte de 1283 (ADPA, Bugnein, AA1) stipule que les concessions de tenures à fief s'opèrent indépendamment des anciennes structures agraires ; les anciennes maisons « casalères » ont ainsi pu d’emblée disposer d'une assise foncière plus importante, et tout donne à penser que dans les villages voisins il en a été de même.
126 Les terres venant en succession proviennent essentiellement de « partilles » (partages égalitaires entre sœurs), ou bien d'achats de pièces de terres effectuées par un cadet, qui les lègue par testament à la maison-mère.
127 ADPA, B 716, cf. Cursente, « Un village béarnais... », p. 110.
128 Dans 1 idéal, il conviendrait de pondérer cette vue des choses par une appréciation du degré de spécialisation et d'intensivité des cultures, élément important de la vie rurale à la fin du Moyen Âge (il pourrait s'agir ici de la vigne, des vergers à cidre et des linières). Mais ces activités sont toujours subordonnées à une polyculture d'autosubsistance combinée à un médiocre élevage.
129 Compte tenu du caractère disparate des données, ont été pris en compte la totalité des actes de vente de terres consignés dans les registres des notaires de Navarrenx entre 1333 et 1472 (E 1593 à E 1603), soit 156 ventes de pièces terres non mesurées (trens de terre), et 30 ventes de terres évaluées en jornades (le journal de terre valant en Béarn 0,38 ha). Le prix de la jornade varie entre 10 sous et 210 sous, avec une valeur moyenne fluctuant, selon les registres, entre 23 et 121 sous (registres comportant au minimum 3 données) ; la moyenne générale s'établit à 59 sous. La nature de la terre (de la vigne à la lande), la nature de la transaction (vente pure ou acapt avec redevance féodale), le sens réel de l'opération (qui peut cacher d'autres enjeux), expliquent ces étonnantes variations. Le prix des pièces de terre non mesurées varie dans l'absolu entre 6 sous (un « trensot » de terre), et 384 sous (compte non-tenu de ventes de « terradors » qui sont davantage que des pièces de terres) ; selon les registres la moyenne s'établit entre 60 et 176 sous ; enfin la valeur moyenne générale des parcelles de terre non mesurées avoisine 96 sous (ces pièces semblent avoir eu souvent une contenance plusieurs jornades, ainsi que le suggère le fait que le fief fixé pour les acaptes est perçu autant de fois qu'il y a de jornades, cf. par ex. E. 1594, fol. 80).
130 Trois florins (18 sous morlaas), tel est le prix d'une jornade de lande (« toyaa et branar ») ADP A, E 1601, fol. 86 ; mais la jornade de lande peut être plus chere, cf. ADPA, E 1600, fol. 115 : vente pour la somme globale de 550 sous d’une jornade de terre et de six autres de lande.
131 ADPA, E 1594, fol. 16, 34, E 1596, fol. 40, E 1602, fol. 43, 44.
132 ADPA, E 1597, fol. 36, E 1600, fol. 40.
133 ADPA, E 1605, fol. 34 (la moitié d'une vigne blanche et rouge).
134 ADPA, E 1602, fol. 25, E 1604, fol. 71, 147, 166 (31 écus).
135 P. Luc, op. cit., p. 123.
136 Ces parcelles sont couramment affectées, au même titre que le cheptel, comme dots, et legs testamentaires (cf. par exemple, dans E 1606, fol. 108-109, le testament d’Amanieu de Tolose, de Bugnein, en 1493) ; ailleurs elles sont vendues pour effacer une dette (cf. par exemple E 1600, fol. 20 : pour effacer diverses dettes, les exécuteurs testamentaires de Monaut et Estenne de Bordenave vendent pour 17 florins une pièce de terre jadis achetée par les défunts) ; enfin ils peuvent correspondre à des investissements dont on ne perçoit pas forcément la nature. Ce doit être par exemple le cas de Goalhardet de Luyer, qui, entre le 4 et le 5 juin 1485 procède à la vente de 7 pièces de terres valant respectivement 25, 24, 6, 42, 62, 35 et 32 florins, soit un total de 226 florins (E 1604, fol. 78-82).
137 Voici l'exemple des Tolose : en 1405, Guimon vend pour la somme de 53 florins deux pièces de terre, la première a été achetée par sa mère « ensemps ab l'ostau de Portau », et la seconde « ensemps ab l'ostau e proprietat de Sent Per » (E 1598, fol. 118).
138 À titre d'exemple, ADPA, E 1600, fol. 7 : P. de Puyou, « caperan » de Camblong et Araux a procédé depuis plus de 40 ans aux achats suivants : deux prairies pour 375 sous (en 1362), une terre pour 60 sous (en 1366), une prairie pour 83 sous (en 1366), une autre prairie pour 95 sous (en 1367), une terre pour 60 florins (en 1381), et deux tuyars à une date indéterminée pour 37 et 40 sous. Le 26 février 1406, il fait donation du tout à sa fille Floren, héritière de l'Abadie de Camblong.
139 Je me trouve sur ce point en désaccord avec P. Luc, op. cit., pp. 140-141, qui estime que, contrairement au bétail, « l'achat de terre n'était certainement pas un mode rémunérateur ».
140 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus..., pp. 231-236.
141 On ne trouve dans les registres aucune trace de la famille de Burc, dont un des représentants, Bertrand d'En Burc, « d'Audaux en Béarn », conclut en 1446 un contrat d'un pâturage pour 850 ovins, dans les environs de Toulouse ; cf. Ph. Wolff, Commerce et marchands de Toulouse (v, 1350-v. 1450), Paris, 1954, p. 228 ; peut-on imaginer qu'il s'agit de la maison connue dans le village sous le nom de Tolosa ?
142 ADPA, E 1596, fol. 46 : 94 agneaux ; E 1600, fol. 81 : 77 brebis de Féas ; E 1598, fol. 99-100 : troupeaux de 69, 160, 77, 50 et 74 porcs provenant de Bedous, Feas, Ogeu ; E 1598 : 75 juments de la vallée d'Aspe. Parmi les rares entreprises de quelque envergure émanant de gens du pays de Navarrenx, cf. ADPA, E 1599, fol. 103 : affermage du droit de glandage du vicomte d'Orthe réalisé par un « pool » de notables (dont Guiraud d'Abadie, notaire de Navarrenx), pour des troupeaux de porcs bien modestes (65, 76, 54, 76 et 27 têtes).
143 Pour éviter de porter une appréciation faussée par un nombre trop restreint de données, j'ai pris en compte l'ensemble des données fournies par les notaires de Navarrenx entre 1333 et 1472 sur les contrats de gasaille de bovins, soit un total de 196 : le nombre moyen de têtes (animaux adultes et veaux) se situe selon les registres entre 2 et 4. Pour fixer l'échelle des valeurs, un porc gras vaut 15 sous, une vache environ 4 florins, un bœuf entre 5 et 11 florins ; à noter un intéressant acte de 1388 (ADPA E 1595, fol. 50) où l'on voit un tenant-casal de Dognen obtenir l'autorisation du seigneur de vendre deux jornades de terre du casal afin d’acquérir une paire de bœufs.
144 ADPA, E 1597, fol. 81 (inventaire de la maison Sajus) : un des deux bœufs seulement qui se trouvent dans l'étable appartient à Sansot ; E 1598, fol. 121 : Andriu de Casadevant de Laas reconnaît que sur les deux bœufs qu'il a dans son étable « Wot de Porciugues y a la mieytat » ; cf. aussi, ADPA, E 1597, fol. 47-48, l'éclairant inventaire de l'opulente maison Lassale de Berraute, qui elle-même perçoit les fiefs de 11 autres maisons : on y dénombre 40 brebis mais un seul bœuf.
145 Il s'agit de l'inventaire des maisons d'Osserain (E 1594, fol. 10), Naude (E 1594, fol. 11), Lacrabère (E 1594, fol. 11), Fontaas (E 1594, fol. 19), Capdebiele (E 1594, fol. 18), Moret (E 1594, fol. 18), Lanega (E 1597, fol. 51), Sajus (E 1597, fol. 81), Bordenave (E 1600, fol. 20), Borgarber-Suson (E 1600, fol. 111-112), Gassio (E 1600, fol. 144), Casamajor (E 1601 fol. 72), Anglade (E 1602, fol. 37).
146 B. Cursente, « Vie matérielle et société dans le Béarn médiéval, d'après quelques inventaires de maisons », dans Revue de Pau et du Béarn, no 23, 1996, pp. 39-55.
147 ADPA, E 1597, fol. 18 (1397).
148 ADPA, E 1594, fol. 11 (en 1412 on voit un successeur d'Arnaud Tuquet, Bertranet, acheter pour 99 florins de porcs gras : ADPA, E 1601, fol. 32).
149 ADPA, E 1600, fol. 41 (il y possède une créance de 74 florins).
150 ADPA, E 1594, fol. 78, 82 ; E 1595, fol. 11 ; E 1596, fol. 1.
151 ADPA, E 1596, fol. 97.
152 ADPA, E 1594, fol. 78.
153 ADPA, E 1601, fol. 16.
154 ADPA, E 1600, fol. 22 (1407) : « Guilhem Arnauton, filh prim de la Cortozie, ab licenci de Peyrone sa may mayor, aferma si medixs ab Bidau de Mureg, borgees e marchant d'Ortes per lo termi de la feste de Pascoe prosmar bient en IIII ans complitz per aprener de mercadeyar ».
155 ADPA, E 1601, fol. 75-80 (1414).
156 Il pouvait par exemple paraître avantageux d'aller vendre trois pipes de vin à Mauléon (soit le tiers d'un grand tonneau), au lieu de les commercialiser sur Navarrenx : ADPA, E 1594, fol. 11.
157 Le dénombrement de 1385 permet d'établir une première liste : « Lo Barber » ; Arnaud-Guilhem « coterer » ; Berdolo « esquirer » ; Guilhem « aroder » ; Copau « sabater » ; Johan « faur » ; et le crestiaa, charpentier présumé. Le dépouillement des notaires permet de confirmer le métier du Crestiaa (E 1597, fol. 13), et d’allonger sensiblement cette liste : Benediit du Bernet est « sarte » (E 1600, fol. 29), de même qu'Arnauton du Portau (E 1600, fol. 19) et qu'Arnaud de Naude (E 1598, fol. 32), Monaut de Bordenave « sabater » (E 1596, fol. 79), Johanet d'Ossaranh « esquirer » (E 1594, fol. 10), Sancet de Nabone « esquirer » (E 1594, fol. 26), Bertrand de MarsanhJusoo, « sarte » (E 1600, fol. 122), Gualhard de Coayreforc « peyrer » (E 1600, fol. 21).
158 Le recensement de 1385 donne deux maisons de « faurs », sans curieusement nommer Per Arnaut de Monbalor, forgeron, mais aussi garde, puis jurat (E 1595, fol. 6, 28, E 1600, fol. 118), sans doute identifiable au premier forgeron anonyme de la liste.
159 ADPA, E 1606, fol. 77-78 ; d'après l'importance des rouleaux de fil, il doit s'agir d'un tailleur ou peut-être d'un tisserand.
160 ADP A, E 1603, fol. 3 (1472).
161 Sans doute originaire du pays de Soule, à en croire la destination de ses legs pieux.
162 ADPA, E 1597, fol. 79 : en 1397 il prend deux apprentis, dont l'un est originaire d'Orthez.
163 ADPA, E 1598, fol. 120-121.
164 ADPA, E 1595, fol. 39.
165 Qu'on en juge : la disposition la plus « sophistiquée » est celle de Goalhardet d'Auriot, en 1493, qui demande deux trentains de messes, une célébration de huitaine, une de fin de mois et une anniversaire (ADPA, E 1606, fol. 77-78).
166 La coutume du pays, parfois invoquée, est de consacrer 50 sous aux frais de sépulture, soit l'équivalent d'un journal de terre : ADPA, E 1597, fol. 17, E 1595, fol. 60-61, E 1601, fol. 75, E 1602, fol. 37. Ce « forfait » comprend une liste de legs, soigneusement détaillés, au profit des diverses églises du pays, et un complément consacré aux messes. Celles-ci sont parfois prévues à part : entre 20 et 40, et un maximum de 70 (E 1604, fol. 148). Nous sommes vertigineusement loin des chiffres du Comtat-Venaissin (cf. J. Chiffoleau, op. cit.), et nettement en-dessous de ceux du Toulousain (cf. M.-Cl. Marandet, op. cit.).
167 Plusieurs attestations dans E 1601, fol. 12, fol. 53, fol. 75-77 ; on trouve aussi des demandes plus « personnalisées », telle celle de Bertrand de Luyer, qui fonde un obit de 18 francs (à 10 sous jaques par franc) pour une veille annuelle (E 1604, fol. 148).
168 Vers la fin du XVe siècle, le « caperan » de Bugnein gérait le capital des obits comme une caisse de crédit ; cf. par exemple E 1604, fol. 81-82 : Goalhardet de La Cortosie obtient sur le capital des obits de Bugnein le prêt de 27 florins, gagé sur un terrain, moyennant le paiement en surcens (« arrer fiu ») d'un fief de 27 sous jaques (1485).
169 Les textes ne donnent à ce sujet que très peu d'indices, cf cependant dans E 1598, fol. 36 l'affermage d'une prébende pour 50 florins.
170 Une attestation tardive, E 1606, fol. 108-109 : Amanieu de Tolosa lègue une pièce de pré aux « jurats et clavers de las aumoynes e las animes » (1493).
171 ADPA, E 1600, fol. 107, E 1606, fol. 77-78.
172 ADPA, E 1594, fol. 48 : Ar. Guillemet de Forquillat a emprunté 11 florins à l'« obre » de l'église de Bugnein.
173 ADPA, E 1594, fol. 74.
174 À Audaux : prébendes de Lanogère, ADPA, E 1594, fol. 30 ; Bioy, E 1598, fol. 63 ; Forc-Pelat, E 1600, fol. 15 ; La Cortozie, E 1606, fol. 177. À Bugnein : prébendes de Labadie, E 1596, fol. 4 ; Bendéjac, E 1595, fol. 52 ; Casemajor, E 1597, fol. 8 ; Luyer, E 1598, fol. 63 ; Juncar, E 1607, fol. 87.
175 ADPA, E 1597, fol. 2, 20 et 37.
176 ADPA, E 1606, fol. 177.
177 ADPA, E 1598, fol. 63 : en 1404 les « caperans » et prébendiers de la « Rivière » s'unissent pour acheter le dîme appartenant à l'Abadie Susa de Méritein.
178 L'abbé lai de Bugnein n'est décimateur que pour une partie de cette paroisse, le reste étant dans le ressort du sire d'Audaux. La prébende d'Audaux semble avoir fait fonction de « banque » de la seigneurie, mais le sire d'Audaux a dû recourir à d'autres organismes pour satisfaire ses besoins en liquidités. La somme prêtée par la prébende correspond la plupart du temps au produit des dîmes d'une partie des maisons, nommément désignées (par ex. E 1599, fol. 12 : prêt de 200 sous gagé par les dîmes des maisons de Monbalor, Casso, Toloza).
179 Il s'agit le plus souvent d'opérations complexes, qui mettent en jeu un système de garanties emboîtées : le paiement est gagé sur des débiteurs que le prébendier se charge de saisir (v. par ex. E 1596, fol. 4).
180 ADPA, E 1594, fol. 72, l’abbé lai de Bugnein et Bernard Gassiot de Bordes de Castebon prennent à ferme la dîme d'Audaux pour 2000 sous payables à la prébende instituée par le sire d'Audaux ; E 1598, fol. 109 : l'abbé lai de Bugnein et Arnaud de Bordes, seigneur de Naude d'Audaux, prennent à ferme une partie des dîmes que le sire d'Audaux prélève à Bugnein pour la somme de 84 florins (1408).
181 ADPA, E 1595, fol. 64.
182 ADPA, E 1597, fol. 8.
183 ADPA, E 1596, fol. 8-9 : en 1391, Bertranet est l'instigateur de la prise à ferme du moulin de Navarrenx par la « besiau » de Bugnein.
184 La plus spectaculaire est la concession par le sire de Laas de la ferme du village et la seigneurie d'Ossenx (E 1598, fol. 68).
185 E 1598, fol. 157.
186 ADPA, E 1597, fol. 20.
187 Par ex. E 1598, fol. 109.
188 ADPA, E 1596, fol. 6, E 1597, fol. 8 ; il s’agit d'une des bonnes maisons paysannes de Castetbon, par ailleurs alliée aux Capdepont de Geup.
189 ADPA, E 1597, fol. 2.
190 ADPA, E 1601, fol. 113-114 : en 1414, Per Arnauto d'Abadie exhibe le contrat de mariage en réclamant le « tornedot » (retour de dot) du fait que l'union a été stérile.
191 Guiraut, très actif pour son propre compte (par ex. E 1598, fol. 58), fait aussi jouer à fond le système familial en donnant à ferme à son frère Jean la prébende, pour la somme de 50 florins (E 1598, fol. 36).
192 E 1606, fol. 259 (1494).
193 E 1607, fol. 87 (1498).
194 Ce système, qui profite aux seule maisons dominantes, apparaît comme l'écho affaibli de celui qui prévaut du XIIIe au XVIIe siècle dans le Val d'Aran, où chaque maison, co-propriétaire des dîmes, spécialise dans la cléricature un enfant, le « capellan de casa », ayant mission de gérer la part qui lui revient ; cf. la thèse de S. Brunet, Les prêtres des montagnes..., livre III.
195 Par exemple la prébende de Bioy appartient à cette maison au même titre que les autres éléments de la propriété ; lorsque cette maison est donnée à Guillemarnaut à sa sœur Goalhardine, en 1407, celle-ci reçoit automatiquement le patronage à la prébende jadis instituée par Guillemot de Bioy (E 1599, fol. 118).
196 Il pouvait s'agir d’une prébende située dans un bourg plus important : Arnaud Guillem de Begbeder, héritier de cette maison d'Audaux est prébendier de l'église de Sauveterre (E 1599, fol. 99-100), de même, à la fin du XVe siècle, que Goalhard de Capdevielle, seigneur de la maison Luyer (E 1607, fol. 83).
197 Dans le village voisin de Viellenave, on connaît la fortune que Goalhardet de Colomer hérite de son oncle prébendier : quinze créances d’un montant total de plus de 170 florins (E 1601, fol. 61-66).
198 Outre l’obit de l'église Saint Jean, à Bugnein, à été fondé à la fin du XVe siècle par un enfant du village, Guiraud d'Anglade, chanoine d'Oloron, l’obit de l'oratoire Notre Dame de Luyer, qui fonctionne comme un organisme de crédit (E 1606, fol. 150, 151, 272), et dont le collecteur est Pees de Cazenave, recteur de Bugnein et membre d'une des familles dominantes du village.
199 E 1594, fol. 72 ; E 1598, fol. 109 ; E 1600, fol. 96.
200 Outre l'affermage des baillies réservé à quelques maisons, existait notamment la possibilité de se faire nommer procureur du sire d'Audaux, et d'accomplir pour lui des missions de confiance, sans doute bien rémunérées (par exemple Bernardon de Lanoguère, et Guillem Raimond de Balihaut en 1489, E 1605, fol. 74).
201 Cf. supra, note NN
202 ADG, I 51.
203 ADPA, E 1598, fol. 117.
204 ADPA, E 1605, fol. 34 ; E 1606, fol. 150,194, 259...
205 Une dizaine de maisons de nos trois villages concèdent des terres à fief : Begbeder (E 1594, fol. 21), Capdepont (E 1600, fol. 134), Cazenave (E 1599, fol. 15), Cortozie (E 1597, fol. 14), Minbielle (E 1594, fol. 87, E 1597, fol. 7), Feugas (E 1598, fol. 139-141), Lacoste (E 1594, fol. 43), Lanoguère (E 1607, fol. 49), Luyer (E 1596, fol. 14) ; dans ce dernier cas, par exemple, Goalhardet de Luyer rachète à Arnaud de Pissenh une terre qui lui avait autrefois appartenu, pour la somme de 124 sous, plus les quatre deniers de fief « que lodit Ar. ne fase cade an au loc de Luyer » (en d'autres cas, il s'agit d'une poule à Noël). Dans ces conditions, il est difficile d'identifier les propriétaires nobles (« domengers ») : c'est le cas du seigneur de Capdevielle de Geup, besogneux seigneur foncier que rien ne distingue des maîtres de bonnes maisons.
206 ADPA, E 1594, fol. 49 : Guirautine de La Cortozie fait un denier morlaas de fief à la communauté pour une terre (1385).
207 P. Raymond éd., Le Béarn sous Gaston-Phoebus.Pau, 1873, pp. 52-55.
208 Bonne analyse anthroponymique par R. de Saint-Jouan, Le nom de famille en Béarn et ses origines, Paris, 1966, pp. 84-113.
209 L'activité de Arnaud Guillemet de Camplonc est bien attestée à plusieurs reprises en 1384-1385 : E 1594, fol. 8, 31, 53, 78, 82, 94. Or dans le dénombrement, la maison de Camlonc ouvre la liste des maisons où il ne fut pas trouvé de feu, avec le commentaire suivant : « de Cam Lonc fo diit que ere d'Aramon Guilhamet de Poey ». P. Raymond a abusivement développé Ar. en Arramon, alors qu'il faut lire Arnaud, mais la liste des feux vifs qui précèdent ne comporte pas le nom de Poey, que l'on retrouve dans le village voisin d'Orriule.
210 La liste qui suit constitue le noyau minimal des maisons manquantes, puisque attestées entre 1384 et 1396 : 1) Audaux : Borgarber (E 1597, fol. 7, 8), Bordes (E 1597, fol. 4), Caillavet (E 1395, fol. 28), Nabone (E 1594, fol. 28), Saint-Pé (E 1594, fol. 75) ; 2) Bugnein : Costau (E 1594, fol. 87), Dieuzayde (E 1596, fol. 52), Forquilhat (E 1594, fol. 48), Laplace (E 1594, fol. 87), Laborde (E 1594, fol. 19), Las Caves (E 1594, fol. 19), Lasserre (E 1594, fol. 19), Minbielle (E 1594, fol. 88), Monbalor (E 1595, fol. 6), Serremia (E 1594, fol. 19) ; Geup : Capdepont (E 1594, fol. 74), Capdebielle (E 1597, fol. 37), Las Caves (E 1595, fol. 16). Si on élargit les pointages jusque vers 1410 (en incluant une période particulièrement riche en actes), on obtient une liste beaucoup plus longue de maisons absentes du dénombrement.
211 Voir ci-dessus, chap. 8. À Audaux, entre les feux vifs, au nombre de 62 et les maisons abandonnées (« ostaus dits laus »), au nombre de 7, se place unne liste de 15 maisons dépourvues de feu, généralement situées auprès de la maison principale et faisant parfois fonction de borde (3), pressoir (1), moulin à tan (1) ; par ex. : « Un ostau davant l'ostau de Fortz de Larivau, fo dit que ere deu diit Fortz », « un ostau dessus l'ostau de de Per Arnaut de Soberbielle fo diit que ere borde deu diit Per-Arnaut ». À Bugnein, les enquêteurs ne distinguent pas cette catégorie intermédiaire. Après la liste des 55 feux vifs suit celle des 3 ostaus « en que no fo trobat foecs », parmi lesquels celui de P. de las Vies, dans lequel « no y ave foec, mas que y ave caular e cadelheyt ».
212 À Audaux : Quoayreforc, La Crabere, Naude, Bioy, Bordenave Audaus ; à Bugnein : Claverie, Moret, Anglade, Capdevielle, Serremiaa, Casaubon, Bonefont, Sent Per.
213 À Audaux : Na Pros Basque ; à Bugnein : Brune.
214 La classification des noms de métier est délicate : Barber, Faur, Prebender, correspondent à des métiers ou fonctions effectifs en 1385, mais sont susceptibles de se cristalliser très vite en noms de maison ; par contre pour « l'ostau qui fo d'Arramon Faur en que demore une homi de Viele segure » (Bugnein), le nom de métier, trop brièvement exercé, ne semble pas devoir s'imposer, ceci valant a fortiori pour la maison « de la femne deu caperaa mayor », à Audaux (cf. R. De Saint-Jouan, op. cit., pp. 109-112).
215 Il s'agit des maisons abandonnées ; ex. : « un ostau devant l'ostau deu faur » (Bugnein), « un ostau davant l'ostau de Larivau » (Audaux).
216 Le nom de métier a pu résister au nom de maison : c'est le cas de Johano Barber, qui achète en mars 1412 la maison de Borgarber-Suson, mais que l'on retrouve ultérieurement sous son ancienne désignation (ADPA, E 1600, fol. 112 et 149).
217 Quelques actes permettent d'établir cette identité : notamment pour le premier, E 1596, fol. 46 ; et pour le second E 1595, fol. 21.
218 On retrouve ici toute la complexité des pratiques onomastiques que j'ai signalée à propos des « Cadets de Moumour... », op. cit., pp. 216-220 : ont joué, à la fois, la personnalité des individus, les circonstances des actes, et le renom respectif des maisons alliées.
219 ADPA, E 1594, fol. 48.
220 ADPA, E 1594, fol. 89.
221 Ibid., les deux actes sont passés le 26 avril.
222 Publ. P. Raymond, op. cit. : « L'ostau de Guixarnaut de Faurie, poble de un an navere ».
223 ADPA, E 1596, respectivement fol. 27 et fol. 28 (1391) : deux contrats de gasaille mettent respectivement en scène un certain Goalhardet de Laplace et un dénommé Guixarnaud de Faurie ; grâce au registre E 1594, on est capable d'identifier convenablement ces deux personnages. Mais, si les actes de 1385 les concernant ne nous étaient pas parvenus, on aurait imparablement commis une erreur sur leur identité ; dès lors qu’elle est dans les registres la proportion d'individus dont l'identification par le seul nom de maison est en fait illusoire ?
224 Le premier « ostau nau » a été fondé dans la seconde moitié du XVe siècle pour chaser un cadet de la maison Luyer du nom de Bertranet, qu'on voit effectivement tester dans sa maison d'Ostau-nau, le premier mai 1484 ; le fait que le nom générique soit devenu nom propre indique bien la rareté du fait (ADPA, E 1604, fol. 148-150). Le second « ostau nau » est celui de Casaubon, mentionné en 1493 (ADPA, E 1606, fol. 108-109).
225 Cf. supra, chap. 8, pp. 446-448
226 En voici deux exemples : en 1406, Estenne de Bordenave d'Audaux « alogua e meto a loguer los sons. II. ostaus qui ha Audaus dedentz e deffores, om son hostau e borda » (E 1598, fol. 120-121) ; en 1412, Goalhardet de Soberbielle vend son « ostau et place » à Bugnein, qui confronte sur un côté « ab l'aute hostau e place qui es deudit Goalhardet » (E 1600, fol. 116).
227 C'est ainsi qu’existent Marsanh Suso et Marsanh Juso, Borgarber Suson et Borgarber Juson, Mibiele Juso, Soberbielle Juso, Faurie Juso, Lacoste de Lafore, Lacoste de la Carrère, Bordenave de Lafore, Bordenave de la Carrère.
228 Deux exemples tardifs : celui de la maison Marques d'Audaux (E 1606, fol. 263, 1493), et de la maison Lafitte à Bugnein (E 1607, fol. 35, 1498).
229 Par exemple on trouve un Monauto de La Fargoe de Lagor habitant à Audaux (E 1600, fol. 85), un Monauton de Genthiu de Loubieng habitant au quartier des Conques d'Audaux (E 1606, fol. 246), un Johanet d'Aruthie de Mendibiu habitant à Bugnein avec son épouse Esmene de Garay (E 1605, fol. 94), un Moniquot d'Aunanha d'Orthez « stadiant » à Audaux (E 1600, fol. 97), un Guiraut Cavaler de Salies habitant à Audaux (E 1595, fol. 53).
230 C'est le cas du « caperan » d'Oriule, Arnaud Raimond de Bordes, qui achète en 1412 la maison de Minbielle-Jusoo à Audaux (E 1600, fol. 96).
231 Ce processus est illustré par deux actes. Dans le premier, Monauto de Laplace, seigneur de la maison du même nom à Audaux, fait mettre sa maison à l'encan. Elle est achetée pour 165 sous par Guillemet de Claragueg qui le revend pour 34 florins à Guiraut Cavaler de Salies, habitant à Audaux (E 1595, fol. 53, 1389). Désormais ce dernier apparaît dans les actes sous le nom de Guiraud de Laplace (E 1598, fol. 141, 1406). Second exemple, après déguerpissement de son ancien propiétaire, le sire d'Audaux concède à fief la maison Junca, dans le bourg d'Audaux, à Arnaud de Salabère d'Aydie habitant d'Audaux et à Condor de Faurie son épouse (E 1598, fol. 135-136).
232 ADPA, E 1604, fol. 135 (1484).
233 ADPA, E 1597, fol. 22-23.
234 ADPA, E 1603, fol. 50-51 (1473) : tout laisse entendre que la vente sera une formalité pré-arrangée, avec l'accord des voisins et des jurats.
235 ADPA, E 1598, fol. 146 (1406).
236 ADPA, E 1599, fol.118 : « Attendut que no pode tenir ni regir II hostaus... e que per faute dequero l'un o l'aute deus diitz hostaus se pergos e tornas a decadence ».
237 ADPA, E 1598, fol. 118.
238 ADPA, E 1606, fol. 108-109 (juillet 1493).
239 ADPA, E 1606, fol. 145-146 (sept. 1493).
240 ADPA, E 1599, fol. 99-100.
241 ADPA, E 1600, fol. 130.
242 ADPA, E 1603, fol. 46.
243 Ibid., fol. 92 (il ne peut s'agir d'un seigneur adventice de cette maison, puisque son épouse est Mirande de Davansentz de Narp).
244 ADPA, E 1606, fol. 194.
245 ADPA, E 1598, fol. 139-141 (1406) : « ajusta e uni lo diit loc e proprietat de Feuguaas... audit ostau e loc de Bordenava... »
246 ADPA, E 1594, fol. 77.
247 ADP A, E 1597, fol. 26.
248 ADP A, E 1599, fol. 99-100.
249 Cursente, « Une populatio béarnaise... », op. cit.
250 ADPA, E 1603, fol. 49 : Bernard Guillem de Camplonc nomme des procureurs pour administrer les biens qu'il possède à Audaux (1473).
251 ADPA, E 1607, fol. 35.
252 La modestie de notre recherche est patente au regard de la restitution de la société de la haute-Ariège qui a pu être faite par E. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan..., et des nombreux travaux des historiens anglais sur ce même thème, notamment B. Hanawalt, The ties that bound. Peasant families in Medieval England, New York-Oxford, 1986.
253 R. Fossier, La société médiévale, Paris, 1991, p. 391 ; pour l’Allemagne, cf. Rösener, Bauern..., op. cit., pp. 223-223. L'originalité fondamentale de nos « bonnes maisons » réside dans le fait que leur position ne s'appuie pas sur une domination foncière significative.
254 Cf. le célèbre exemple des Clergue analysé par E. Le Roy Ladurie, Montaillou..., chap. 3.
255 Cf. par exemple J.A. Raftis, « The Concentration of Responsability in Five Villages », dans Medieval Studies, 28 (1966), pp. 92-118, qui discerne la strate des principaux (main), la strate moyenne (intermediate), et celle des marginaux (outsiders). Si, dans nos villages, on combine les différents critères examinés, on place volontiers parmi l'élite les Abadie, Capdepont, Lafitte, Luyer, Casenave, Camblonc ; dans la dernière celle des éphémères seigneurs des maisons de Borgarber, Osserain, Fontas, Lanega des années 1380 ; enfin, à l'étage médian, une majorité de maisons qui s'efforcent d'échapper au déclassement et de rejoindre les rangs de l'élite.
256 S. Brunet, Les prêtres des montagnes..., op. cit., L. III.
257 Cf. supra, chap. 4, 5, 7.
258 L'examen de cet échantillonnage suggère une hypothèse qu'il conviendrait de vérifier sur une plus vaste échelle : le but des maisons qui s'enrichissent n'étant manifestement pas de s'agrandir mais d’établir un ou plusieurs cadets, ne peut-on pas considérer que les puînés ont vocation à participer à un héritage virtuel qu'ils peuvent concourir à rendre effectif ? Sur la nécessité de considérer la question de la transmission des biens comme un processus étalé sur une longue durée, cf. en dernier lieu B. Derouet, « Dot et héritage : les enjeux de la chronologie de la transmission », dans L'histoire grande ouverte. Hommages à E. Le Roy Ladurie, Paris, 1997, pp. 284-292.
259 J. Revel, Jeux d'échelles…, p. 36.
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