Chapitre VI. Permanence et adaptation des anciens casaux
p. 279-336
Texte intégral
1En considérant le fait que le corpus des franchises constitue le « noyau dur » des ressources documentaires de la période 1260-1320, on peut se sentir fondé à croire que l'essentiel a été dit dans le précédent chapitre. Mais il ne serait pas satisfaisant de s’en tenir à cette impression. Une première raison tient au caractère pour le moins contrasté de la géographie de l'habitat concentré (fig. 9, p. 202). En bien des secteurs du piémont pyrénéen, la dispersion est demeurée majoritaire ; et même là où l'habitat a été affecté par un véritable incastellamento, le castrum n'a pas fait disparaître les écarts. Mieux, la naissance des bourgs semble partout inséparable de l'avènement d'une nouvelle génération de maisons dispersées dans les terroirs. Enfin, il s'en faut de beaucoup pour que l'ensemble des casaux-complexes se soient trouvés réduits à l’état de casaux-jardins. Nombre de ces anciennes entités vont perdurer, en coexistant avec les structures « modernes » nées de l’avènement des bourgs.
2C'est à ce phénomène qu'est consacré ce chapitre. On y recherchera comment, à travers une collection de témoignages textuels d'apparence disparate, on peut entrevoir les raisons générales de la pérennité des anciens casaux. On y examinera la documentation qui fait sortir de l'ombre des régions qui constituent des zones de conservation des anciennes structures. On cherchera enfin à donner une vision des faits qui soit moins tributaire du caractère excessivement fragmentaire et discontinu des sources. Pour ce faire, seront mises en œuvre les riches données fournies au début du XIVe siècle par l'enquête fiscale des Debita regni Navarrae dans la Bigorre, un pays où la nucléarisation de l'habitat se révèle être particulièrement fragile et tardive.
I. Formes de résistance et zones de permanence du casal
A. La plasticité matérielle et juridique des anciens casaux
3Il s'agit d'abord de donner sens à un ensemble de témoignages textuels disparates mettant en jeu des casaux qui attestent une remarquable capacité d'adaptation pour se pérenniser, alors même que bat son plein le processus de nucléarisation de l'habitat décrit dans les précédents chapitres.
1. Le casal s'est d’autant mieux perpétué qu’il constituait un hameau, voire un proto-village
4On a précédemment constitué à partir du chartrier de Nizors un dossier permettant de suivre dans la longue durée le destin d'un casal, celui des Busquets, dans l'actuelle commune de Péguilhan (fig. 4, p. 61) : tour à tour casal, ensemble de casaux, lieu-dit, métairie et enfin quartier d'une commune. Dans ce même secteur du Bas-Comminges, une pièce isolée datée de 1274 permet en outre de donner un coup de projecteur remarquable sur les casaux de Bivent et de Mestugnan, situés dans l'actuelle commune de Saint-Loup-en-Comminges1.
5De ces deux entités, présentées comme casale seu castellarium, puis casalia seu casalagia, le texte précise les confronts, que l'on peut ainsi cartographier comme de véritables terroirs2. La description de leur contenu, auquel les donateurs renoncent, confirme le fait : chacun comporte un ensemble d'hommes et femmes, des bâtiments d'exploitation, des maisons, des places de maisons, des jardins, des casaux (casalia), des moulins3. Le même mot, casal, désigne donc bien ici deux réalités emboîtées : un domaine seigneurial qui, ayant emprunté ou conservé des traces de fortifications, prend concrètement la forme d'un hameau, et l'élément central des exploitations paysannes incluses dans ce domaine. Cependant, seul le casal de Mestugnan s’est perpétué à travers les siècles sous la forme d'un hameau, qui constitue le second pôle de peuplement du village de Saint-Loup4.
6On retrouve donc ici, mais sur le versant des opérations avortées, le cas de figure de continuité entre casal et castrum précédemment relevé. Or, entre la réussite et l'échec, la marge était par ailleurs fort étroite. On en trouve une bonne illustration dans le cartulaire de La Case Dieu5, une source particulièrement précieuse, en ce qu'une majorité d'actes se rapportent à la période 1260-1320, généralement mal pourvue en textes de la pratique. La hiérarchie des circonscriptions territoriales s'y avère incertaine6 mouvante, et comme brouillée7. La disparité qu'on observe dans le destin des casaux participe de cette indétermination.
7Voici notamment l'intéressant petit dossier qu'il est possible de rassembler sur le casal de Pouylebon8. D'abord un acte de 1279, qui a pour objet la fixation des limites de quatre casaux : La Cépède, Pouylebon, Planhets, Salabert9, présentés comme des entités strictement homologues, bornées par d'autres casaux ou bien des limites naturelles, non incluses dans une circonscription déterminée. On retrouve une partie de ces casaux à un demi-siècle de là10 : l'abbé réclame medietatem decimarum ecclesie de La Cepede cum pertinenciis suis in districtu castri de Podiolobono. Apparaissent à cette occasion deux données nouvelles : 1) le casal de La Cépède est pourvu d'une église11, mais ce fait ne lui a pas évité l'absorption, puis la disparition au sein d'une entité plus forte12 ; 2) dans l'intervalle des deux actes cet espace incertain s'est trouvé hiérarchisé par la transformation d'un des casaux en castrum. Pour finir, si l'enceinte alors mise en place était très en deçà du seuil critique qui lui aurait permis de se perpétuer comme bourg, elle a cependant valu à Pouylebon d'être aujourd'hui une commune autonome.
8Au-delà de la survie du « casal des cartulaires » se pose, plus généralement, la question des hameaux. Il semble bien qu'au moment de l'impérieuse multiplication des bourgs de la seconde moitié du XIIIe siècle, les habitants de bien des hameaux se soient posé la question de la survie de leur cadre de vie matériel et social traditionnel. Et il a pu advenir que, en l'absence même de projet seigneurial, les habitants aient envisagé comme solution de transformer leur hameau en castrum sans attendre qu’il soit absorbé par un bourg voisin. J’ai trouvé la trace d'une initiative de cette nature en Béarn, plus précisément à Geup, un hameau situé aux portes du bourg castral des sires d'Audaux. En 1274, les habitants de Geup, qui avaient déjà obtenu du vicomte Gaston VII la création d’une enceinte, se firent concéder la construction d'une église paroissiale autonome. En fait, ce projet irréaliste avorta. Or, Geup, à peine peuplé de quatre à cinq maisons « casalères », n'en continua pas moins à se perpétuer comme une communauté autonome jusqu'à la fin du Moyen Âge13.
9De l'histoire de ce hameau qui voulut être bourg se dégage une évidente leçon : point n'était besoin au casal d'être doté d'attributs défensifs pour se perpétuer. Il est des cas où le casal a spontanément secrété un noyau aggloméré mieux apte à assurer sa pérennité. Ce cas de figure se rencontre avec une particulière fréquence dans le Couserans, mais en l'absence, le plus souvent, de traces documentaires. L'existence d'un jalon textuel donne toute sa valeur à l'exemple de Saleich. En effet, ce casal de Silac villa est mentionné à plusieurs reprises, vers le milieu du XIIIe siècle, dans les chartes de la maison templière de Montsaunès14. Sur le terrain, le village de Saleich se présente comme un territoire polynucléaire, avec notamment face à face, à cinq-cents mètres de distance, le noyau aggloméré du « château », et celui de Saleich-Vieille, descendant de Sulac villa, tandis que l'église Saint-Pé et son cimetière se trouvent, isolés, cinq-cents mètres plus au nord15. Le pôle ecclésial, en dépit de son ancienneté, n’a pu attirer à lui l’habitat de Saleich ; c'est autour du château, et à partir du casal, que s'est opérée la concentration. Ce dernier processus, bien avant le XIIIe siècle, semble avoir constitué un des modes majeurs de création de tissu habité, si l'on en croit le nombre élevé de villages dont le nom même dérive de casal qu'on trouve dans les environs de Saleich16. Et il semble aussi avoir continué à fonctionner, comme créateur de simples hameaux, jusque vers la fin du Moyen Âge17.
10Sans bien sûr aller jusqu'à prétendre que toutes les anciennes structures de peuplement dispersé correspondent à des casaux18, force est de constater que casal se trouve souvent à l'origine de vivaces hameaux19. La raison de cette vitalité réside sans doute dans la force des solidarités qui unissaient les habitants du casal-hameau, des solidarités qui, à tout le moins dans le piémont, n’étaient en rien tributaires de la concentration de l'habitat. Cependant, la permanence du casal traditionnel posait aussi la question de la questalité qui lui était attachée.
2. Le casal s'est d'autant mieux perpétué qu'il a pu échapper in situ à la servitude
11Si la documentation ne manque pas d'exemples d'affranchissement de casaux n'impliquant pas une modification de structure, de tels changements sont généralement difficiles à contextualiser. Les deux dossiers suivants, qui nous conduisent dans des secteurs fortement affectés par le mouvement de nucléarisation de l'habitat, constituent de bons postes d'observation pour analyser comment l'ancien casal a pu se perpétuer dans les conditions qui lui étaient les plus défavorables.
12Voici tout d'abord le petit dossier qu'on peut réunir sur le casal de Tabaux, situé dans les dépendances de la grange monastique de La Case Dieu appelée le Serembat, non loin de Vic-Fezensac20. A la date de 1232, le sire de Biran fit donation du domaine de Serembat pour fonder la grange, et cette libéralité fut complétée, entre 1249 et 1265, par la donation de la villa et de l'église de Tabaux, enkystées dans le domaine, par les trois coseigneurs de cette localité21. Cinquante ans après la fondation de cette grange, l'abbé de la Case Dieu concède une charte d'affranchissement aux habitants du casal de Tabaux22 : cinq hommes qui constituent manifestement un groupe familial23. Tout bien considéré, l’interprétation de ce dossier, qui n'est pas exempte de difficultés24, semble être la suivante. Dans un premier temps, pour gérer la villa qui leur venait en donation, les moines ont opté pour une solution archaïsante, le système du casal. Or, dans un périmètre rapproché de Tabaux se sont multipliés des bourgs, des castelnaux, et des bastides qui offraient aux « poblans » des conditions de vie attractives25. L'abbé a donc cherché à stopper l'hémorragie qui affectait ce casal en alignant le statut de ses habitants sur la franchise des bourgs (ce qui ne fut d'ailleurs peut-être pas suffisant)26.
13Le second dossier nous conduit en Béarn dans la vallée moyenne du gave d'Oloron où, entre les années 1270 et 1316, une succession de fondations de bourgs a déclenché dans les villages et hameaux voisins une réaction en chaîne dont on parvient à saisir les principaux effets (fig. 10, p. 211). Si certaines communautés de hameaux, telle Geup dont il a été précédemment question, ont vainement cherché à se faire bourgs, d'autres, vers la même époque, ont obtenu de bénéficier des avantages de la « bourgeoisie » sans donner forme à un habitat groupé. Leur survie passait clairement par là puisque le peuplement d'une enceinte avait pour effet de créer de part et d’autre de la « carrère aforade » – rue bénéficiant du for de Morlaas – un espace de liberté privilégié, et donc de provoquer à l'extérieur un effet de déclassement.
14En 1289, le seigneur Raimond Arnaud d'Audaux affranchit les habitants dépendant de sa « maison » dans les localités d'Orriule, Camptort, les Marsainhs d'Audaux, Ossenx et Bastanès27. Sont concernés tant les « maisoes », maîtres des maisons, que les autres habitants, les « francs » et les « esterloes »28. L'enjeu est la pleine liberté pour chacun de disposer des terres hermes et des pâturages, « cum los borges e besiis de Morlaas ». Le prix est que chaque maison ou « casalar » paiera sa part des mille sous morlaas imposés annuellement à l'ensemble de ces communautés. La difficulté consistait à adapter le bourgeois for de Morlaas à des réalités champêtres. Dans les villages d'Ossenx et Bastanès, où les sujets du sire d'Audaux ne formaient d’ailleurs qu'une minorité, existait semble-t-il déjà un noyau d'habitat groupé. Tel n'était pas le cas dans les trois autres localités, caractérisées par un habitat totalement dispersé. Qu'à cela ne tienne : un article de la charte dispense les habitants qui ne le souhaitent pas de « mudar lors hostaus... ni de far arue de bourcq » (changer l'emplacement de leurs maisons et de constituer une rue de bourg), puis décrit les confronts du terroir qui doit tenir lieu de « carrere aforade »29.
15Contrairement à Camptort et Orriule, le terroir des Marsainhs est jointif de celui du chef-lieu dont il constitue l'indispensable poumon pastoral ; c'est probablement pour cette simple raison qu’il a été confiné au rang de quartier. Or, ce hameau correspond à un casal du même nom, tenu par un miles, qui, en 1311, le revendit à une famille paysanne. À la suite de l'affranchissement qui reconnaissait à toute unité de peuplement un égal accès aux vacants, le casal-seigneurie céda logiquement la place aux diverses exploitations paysannes qui le composaient30. Le quartier des Marsainhs n'en conservera pas moins, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, une forte personnalité au sein de la communauté d'Audaux31.
16Quelques kilomètres en amont du Gave d'Oloron, la charte accordée en 1308 par le seigneur de Jasses à son village s'inspire manifestement de celle qui précède32. Elle prévoit que, moyennant le paiement d'un lourd entrage, et un cens collectif annuel à répartir entre les chefs de maison au prorata de la surface cultivée, les « casales et botouys francs » de Jasses bénéficieraient désormais des franchises du for de Morlaas33. Dans ce document, riche et précis, les limites de la rue franche (« carrère aforade ») sont fixées de façon très extensive34. Cette libéralité va de pair avec la clause stipulant que les habitants « ne seront pas tenus de changer l'emplacement de leur maison pour faire rue ni enceinte dans une rue franche sauf s'ils en ont exprimé le désir, et ils pourront à jamais avoir leur propre clôture, leur propre basse-cour, ainsi que leur propre tas de fumier, sur la rue ou hors la rue »35. Ici encore, donc, les chefs des maisons « casalères » obtinrent les avantages juridiques du for de Morlaas, sans avoir à en subir, autrement que de leur propre volonté, les inconvénients matériels. Autant dire que, face aux seigneurs, ils constituaient une force sociale considérable qui a su faire prévaloir ses intérêts36.
3. La réaction seigneuriale contre la vague d'affranchissements a eu de son côté pour effet de fossiliser d’anciens casaux
17Face à la vague d'affranchissements qui sapait les bases de l'ancienne société casalière, les seigneurs ont pu être conduits à aligner purement et simplement le statut de leurs sujets sur celui des bourgs. Il existait cependant une seconde parade possible : la fixation autoritaire des dépendants à la tenure. Le recours à l'une ou à l'autre solution dépendait sans doute d'un rapport de forces qui semble avoir été éminemment variable dans l'espace et dans le temps. La documentation catalane éclaire d'un jour très vif la réaction seigneuriale de cette nature que fut la remensa37. Il n'en va pas de même en Gascogne, où caselage et questalité apparaissent comme spontanément dans les textes à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle sans qu’aucun texte juridique ou normatif ne vienne donner un sens explicite à ce phénomène fondamental. Il convient donc de collationner soigneusement tous les indices pouvant avoir quelque valeur démonstrative.
18La documentation béarnaise permet de constituer sur ce sujet un dossier, certes peu étoffé, mais particulièrement démonstratif. Il s'agit d'un fragment de chartrier légué par les Claverie, une des quatre maisons de besogneux « domengers » du village béarnais de Loubieng : un des très rares fonds d'archives privées du début du XIVe siècle38. Cette localité est située non loin d'Orthez, capitale de la vicomté, et à proximité de la série de villages proches de Navarrenx peuplés au for de Morlaas, dont il a été précédemment question. Trois des six pièces sont des reconnaissances de servage par devant notaire, datées des années 1318-1326. Le vocabulaire introduit une nouveauté radicale, avec une redondance qui incorpore le mot même de serf (« questau e sensau e serp »). Le serf prête serment sur les quatre Évangiles et s'engage par contrat écrit devant notaire à ne jamais quitter son casal. Il ne peut s'absenter plus de trois jours s'il reste en Béarn, et de neuf jours s'il se rend hors de la vicomté. En garantie de quoi, deux ou trois autres chefs de maison lui servent de caution pour un montant de deux cents à mille sous morlaas.
19Cette législation ne fut pas imposée sans violences ni contestation. En 1318, le seigneur de Claverie a gardé dans sa main B. du Fourc « en raison de menaces de porter atteinte à la personne dudit Arnaud Guillemet (seigneur de Claverie), proférées par ledit Bernard dans son dessein de quitter le casal dudit seigneur avec sa femme, sa mesnie et tous les biens meubles »39. Et le dénommé Bernard du Fourc dut finalement accepter son nouveau statut. Dans un contexte de quasi-désert en actes de la pratique qui caractérise les premières décennies du XIVe siècle, ces quelques pièces fournissent un éclairage fondamental, indispensable pendant de l'abondant corpus des franchises.
20Mais, pour en finir avec l'examen des facettes de la dialectique complexe qui, dans ces décennies fécondes, a durablement fixé les traits du paysage social de la Gascogne, il est d'autres textes qui montrent bien que le choc des anciennes et des nouvelles structures s'est souvent résolu par la voie d'obscurs compromis. Des compromis qui, dans de larges secteurs, ont fini par faire du casal une exploitation paysanne dépourvue de traits juridiques spécifiques40. C'est ce que la documentation bigourdane permettra de vérifier un peu plus bas.
B. Des Landes aux vallées pyrénéennes : un croissant de conservatismes
21Les ressources documentaires de la fin du XIIIe siècle ont pour vertu de tirer de l'ombre de vastes pans de terrae incognitae de la Gascogne, où se révèlent des situations fortement marquées du sceau de l'archaïsme. Le Béarn, qui vient de nous fournir d'intéressantes pièces constitue une zone « chaude » située – ainsi que la Chalosse, on va le vérifier – à l'articulation de deux plaques de territoires où la compacité des structures anciennes a fait barrage à la triomphante progression des nouvelles formes du peuplement et de la société.
1. Casaux et « hommes francs » des pays landais
22Dans les pays landais de la Gascogne la question du casal rencontre celle, fondamentale, des « hommes francs », qui a été parfaitement débrouillée par J.-B. Marquette41. Mon propos se borne ici à mettre en exergue certains éléments qui peuvent être mis en continuité ou en discontinuité avec des situations observées dans le restant de la Gascogne. Notre connaissance des pays des Landes est naturellement tributaire de la remarquable activité de l'administration des rois-ducs d’Aquitaine à partir du règne d'Edouard 1er42. Observons tout d'abord, par échantillonnage, quelques données des Recogniciones Feodorum in Aquitania, cette vaste enquête des années 1273-1275 qui fournit « une belle géographie sociale de la Gascogne de ce temps »43. Par rapport au Tursan ou à la Chalosse, qui apparaissent à maints égards comme un prolongement des terres armagnacaises, les pays de la Grande Lande et de la Lande maritime présentent des particularismes fondamentaux. C'est ce que nous pouvons aisément observer en prenant à nouveau le casal pour fil rouge.
23Dans la prévôté de Saint-Sever, qui s'étend essentiellement au sud de l'Adour et donc sur les coteaux de la Chalosse44, le casal apparaît comme un rouage fondamental de l'ordre féodal que le roi-duc se propose de clarifier et fixer. Il n'est cependant pas le seul, comme l'atteste le pointage des principaux biens au titre desquels les seigneurs de la Chalosse se reconnaissent comme feudataires45 :
Bien | Nb. d'items |
Casal | 35 |
Milicia | 41 |
Affar | 14 |
Castrum | 17 |
24Ce pointage doit être complété : il est exceptionnel que, dans une reconnaissance de fief, ne soit avoué qu'un seul casal46 ; dans la majorité des cas, le feudataire possède plusieurs casaux47, concentrés dans une même paroisse48, ou, plus souvent, disséminés dans plusieurs localités49. Dans certains items, le casal est nettement présenté comme un sous-ensemble de la milicia (soit probablement le fief de chevalerie ou « caverie »)50. Il ne s'agit en rien d'une règle : on voit un même personnage posséder dans une même paroisse une milicia et un certain nombre de casaux51. Par ailleurs, il semble que, sans pour autant constituer une milicia, un ensemble de casaux peut avoir valeur de fief de chevalerie et contraindre son possesseur à un service vassalique52, ou simplement à une reconnaissance de foi et hommage53. Enfin, pour ajouter encore à la complexité des choses, il s'avère que le casal peut également constituer un sous-ensemble de l'affar54 (domaine rural, qu'un item présente explicitement comme une entité équivalente à la milicia55).
25Tout bien pesé, l'enquête révèle une situation globalement semblable à celle que la documentation permet de restituer pour le restant de la Gascogne antérieurement au milieu du XIIIe siècle. La maison ne joue qu'un rôle secondaire ; maison franche du bourg de Saint-Sever56, ou bien maisons-fortes de chevaliers57. Presque toutes les occurrences de casal semblent renvoyer à un sens d'exploitations paysannes soumises à des services particuliers, très généralement situées dans des paroisses non centrées sur un bourg structuré. Cependant, lorsqu’Arnaud Guillem de Labarthe déclare tenir unam domum et unum casale apud castrum Novum de Salosse, il évoque très vraisemblablement une maison de bourg et un casal-parcelle58. Notons bien enfin l'essentiel : les hommes des casaux sont ici absents, il s'agit manifestement de censitaires qui restent dans l'ombre de leurs seigneurs, feudataires du roiduc. Il n'en va pas partout de même, notamment dans le Bazadais.
26Dans cette prévôté59, l'enquête révèle en effet un puzzle social différent. Le casal, ici, constitue une structure fortement minoritaire60, qui correspond à des réalités hétérogènes : d'une assiette de fief61, à l'annexe d'une borde62. Il est concurrencé par l'« estatge », qui semble correspondre à la maison entourée de son enclos, centre d'une exploitation paysanne – c'est-à-dire à une entité rurale que nous avons vue ailleurs désignée par le mot de « casalère »63. Cependant, l'impact du peuplement par bourgs se traduit par une récolte lexicographique plus riche qu'en Chalosse : pleiduras seu locus domorum, solis seu plateis, sol domus, hospicium, airial, domus64. Les articles les plus intéressants sont ceux qui mettent en jeu les « hommes francs » de certaines paroisses65. Ils sont définis comme tenant tous leurs biens du roi-duc in feudum inmediate, ce qui les astreint à payer un cens en espèces, à prêter un serment de fidélité, à effectuer un service militaire (exercitum) et à acquitter une participation au ravitaillement ou au gîte de l'armée (comestio, procuratio, alberga). À de nombreuses reprises, ces hommes sont dits casati, c'est-à-dire « chasés » sur une terre fiscale, soit le domaine direct du roi-duc. Si ces articles comportent une description très minutieuse de leurs biens (avec indication des confronts), c'est qu'ils constituent des assiettes fiscales relativement précises pour le paiement du cens. Celui-ci est un impôt de répartition d'un montant de vingt livres pour l'ensemble des francales du Bazadais66. Chaque paroisse en paie une part (par exemple celle de Cudos trente sous), somme qui est répartie entre les différents hommes libres au prorata de leurs biens fonciers : des pièces de terre (dont la superficie est souvent donnée en « estirons » ou en « arrèges ») et donc dans un certain nombre de cas, un casal67.
27Celui-ci fait alors l'objet de descriptions précises, avec une partie centrale (le casal proprement dit), comportant sauf exception la maison68, et un ensemble de pièces de terre qui en dépendent (jusqu'à dix-neuf)69. Contrairement donc à la Chalosse, ce sont les hommes qui tiennent ces casaux qui sont vassaux directs du roi. S'agit-il de simples paysans ou de notables donnant eux-mêmes à cens une partie des terres ? On ne saurait le dire avec quelque certitude. En tout état de cause, on peut voir que le nom de la plupart des casaux est identique au cognomen de ceux qui les tiennent, et que dans plusieurs cas, le casal est tenu en commu nauté par plusieurs parsonniers portant le même cognomen70. Or, le casal ne constitue pas (ou plus) la cellule de prélèvement ultime, puisque est précisée la part qui revient à chaque parsonnier (qui n'est d'ailleurs pas toujours résident)71 : indice d'une tendance à la fragmentation en plusieurs exploitations autonomes ? Dans les premières décennies du XIVe siècle, on retrouve comme questaux les maîtres de casaux de ces villages, notamment ceux de Cudos, dans le tableau du servage que permet de dresser l'Inventaire des titres de Casteljaloux72.
28Les vingt livres collectivement imposées aux francales du Bazadais, roturiers tenants directs du roi, sont à rapprocher de la queste collective que doivent acquitter les « voisins » du Marensin, de la Maremme, du Brassenx, et de Labouheyre, Sabres, Laharie, Saubusse. Ainsi que l'a bien souligné J.-B. Marquette, dans ces « terres de franchises », le mot de queste ne doit pas conduire au contre-sens ; elle « est signe d'émancipation plus que de servitude »73. En effet, une fois payée, elle laisse aux habitants des libertés telles que ces pays font figure d'enclaves étrangères au régime de la seigneurie rurale. Cette société d'hommes francs, totalement maîtres de leur terre, n'est cependant pas égalitaire, et se caractérise par un double clivage : entre caviers et voisins, mais aussi entre ces deux groupes et les tenanciers établis sur leurs terres. Caviers et voisins se distinguent au premier chef par leur statut : ceux-ci sont soumis au régime de la queste collective, et ceux-là au régime féodal. Socialement la distinction est beaucoup moins claire. En effet, à l'instar des caviers, les voisins ont sur leurs domaines leurs propres tenanciers74. Mais de ces derniers, il n'est nulle part ailleurs question dans la documentation landaise, fâcheusement dépourvue d'actes de la pratique.
29L'examen rapide de la situation qui prévaut dans les Landes de Gascogne appelle plusieurs observations importantes. La première est que la question des hommes francs, sujets immédiats du roi, renvoie à une population d'alleutiers « intégrés après coup dans le système féodal alors que leurs ancêtres étaient depuis longtemps des possesseurs sans titre du sol »75. Le casal, qui constitue dans ces régions une structure inégalement présente, recoupe incontestablement cette réalité sociale. Seconde observation : dans les terres de franchise on se trouve en présence d'une classe d'hommes libres, seigneurs de maisons jouissant de la qualité de « voisins », propriétaires fonciers exerçant leur domination sur un groupe de tenanciers, parfois réunis dans un même hameau, nettement individualisé dans le terroir d'une paroisse76. En troisième lieu, cette strate de « voisins », qui semble anciennement enracinée77, parvient à la lumière de l'histoire dans une conjoncture précise : il s'agit pour elle de se perpétuer dans des conditions sociales et politiques nouvelles. Socialement, on ne peut exclure l'hypothèse que la mise en place de la monarchie féodale ait favorisé la singularisation, au sein d'un groupe social assez homogène, d'un sous-ensemble de « caviers » dont le statut fut assimilé à celui des chevaliers78. Par ailleurs, le renforcement du duché passe alors par la mise en place d'un réseau de castra ; il semble que les coutumes aient surtout consisté, pour les voisins, à se voir confirmer leurs antiques privilèges. L'habitat per castrum était en effet virtuellement porteur, avec l'individualisation des redevances, d'un principe de dissolution du bloc social monolithique des voisins79. Dernière remarque : pas plus que le casal, la queste n'exclut la franchise. Le champ sémantique des mots dépend du contexte géographique et social particulier dans lequel ils sont employés, et selon le contexte, ils peuvent se trouver chargés de valeurs antinomiques.
30On gardera ces faits présents à l'esprit en examinant la situation qui prévaut dans le monde des vallées pyrénéennes, finalement très proche à cet égard de celui des Landes dans la mesure où, si l'isolement (relatif) impliqué par le milieu naturel ne crée pas dans ce sens un déterminisme général, il autorise la permanence de formations sociales profondément originales.
2. Les vallées pyrénéennes, pays des maisons « casalères »
31On a eu l'occasion de voir qu'aux alentours de 1250 dans le Lavedan, les maisons casalères correspondent à l'élite dominante des vallées, alors même que dans le piémont, caselage est devenu synonyme de servage et de questalité (ch. 3, p. 161). En laissant pour l'heure de côté les données des Debita Regni Navarrae, la documention des décennies qui chevauchent l'année 1300 permet de préciser quelque peu les contours de cette société valléenne. Un premier élément du dossier est fourni par l'article 35 des coutumes des Quatre Vallées, spécialement destiné aux habitants de la vallée d'Aure, qui présente un étonnant parallélisme avec l'article 30 des coutumes de Maremme, concédées la même année. Voici ces deux textes80 :
Cout. d'Aure (traduction) : Que tout habitant du pays d'Aure puisse tenir des caselages et des places de maison en divers lieux de la terre d’Aure jusqu'à concurrence de neuf, seuil en dessous duquel il a toute latitude d'en acquérir de nouveaux ; et qu'il ne soit tenu de résider que dans une seule, celle qu'il préférera.
Cout, de Maremme : Les voisins de Maremme... peuvent et doivent tenir et emparer soulz leur main sept héritages, fons et mestairies a euz appartenanz, en payant une quarte de froment sullement audict seigneur comme dict est et autres droictz cy dessus expecifiés, quest et une conque de millet et quatre soulz d'aubergade.
32Respectivement copie tardive et médiocre traduction moderne, ces deux textes souffrent d'une réelle déperdition de sens81. Pourtant, ils révèlent l'essentiel : les « voisins » ou « habitants » de ces deux régions, seuls acteurs de l'histoire retenus par les scribes, ne constituent probablement qu'une minorité de la population effective, quand bien même une partie d'entre eux seraient uniquement des exploitants directs, et que, pour les autres, le chiffre de sept ou neuf censitaires ne serait que rarement atteint. Dans la vallée d'Aure, la médiatisation des paysans pauvres par les casaux est d'ailleurs confirmée par d'autres indices82.
33Le for d'Ossau ne comporte pas de disposition semblable. Mais cette vallée béarnaise offre la ressource d'une poignée de textes de la pratique émanant d'une société semblablement hiérarchisée, et montrant des paysans libres exercer une véritable seigneurie sur des censitaires établis sur des maisons sujettes appelés « botoys » ou botoyars83. De façon générale, une telle organisation socio-économique paraît en harmonie avec l'organisation militaire des vallées pyrénéennes. Les maîtres des casaux disposent d'une capacité autonome de défense parfois impressionnante (ainsi dans le val d'Aran84), mais très tôt, particulièrement dans le Lavedan85, est attestée une hiérarchisation de la société en armes entre combattants à cheval (equites) et piétons (pedites). Ces documents achèvent donc de compléter le maillage d’indices qui unit les casaux montagnards de la fin du XIe siècle et les maisons « casalères » du Bas Moyen Age. Ils contribuent aussi à mettre davantage en évidence la singularité de la vaste équerre de terres formée par les Landes et les Pyrénées. Ces deux milieux naturels, dissemblables au possible, ont en commun d'avoir connu une féodalisation tardive et superficielle, ce qui a eu pour effet de mieux préserver qu'ailleurs l'armature ancienne de la société86. Le vocabulaire féodal, massivement adopté au XIIIe siècle, n'a fait que légitimer une structure inégalitaire sans doute largement pré-féodale.
34Reste la question essentielle : pourquoi le casal ou la queste, impliquant ailleurs la servitude, sont-ils demeurés dans ces deux secteurs le fait des hommes libres ? Un premier élément de réponse s'impose. Avec les bourgs dotés de franchises ont été créés autant de réduits privilégiés qui ont introduit une logique de déclassement du restant de l'espace, et notamment celui du casal. À l'inverse, les maisons « casalères » d'Aure, Barèges, Aspe, Ossau, Barétous ont obtenu pour leur vallée respective des franchises globales, qui ont permis la conservation des anciennes hiérarchies sociales. Et il en a probablement été de même dans la Maremme, au bénéfice des hommes francs. Dès lors que leur statut dominant ne se justifie pas par la résidence dans une enceinte privilégiée, il tiendrait au fait qu'ils sont au service direct du roi, ou du prince ; le degré de franchise se mesurant à la plus ou moins grande proximité d'un pouvoir public qui exige en retour une forme d'impôt et de service militaire87. Ces sociétés marginales répondent à une logique pré-féodale, mais elles n'ont pu perdurer qu'en passant avec le système féodal dominant des compromis altérant plus ou moins leur nature.
II. La bigorre à l’orée du xive siècle : un pays de casaux
35Les ressources documentaires de la Gascogne ne permettent pas de dresser un état tant soit peu général des formes de l’habitat à la veille des secousses majeures du XIVe siècle en dehors de l'enquête conduite en Bigorre à la fin du règne de Philippe-le-Bel et connue sous le titre des Debita Regni Navarrae (soit désormais en abrégé : DRN)88. Le milieu qui bénéficie de cet éclairage peut être de façon lapidaire caractérisé par un double trait : 1° une principauté à la fois fortement enracinée dans le massif pyrénéen (vallées de Campan et du Lavedan), et largement ouverte sur le piémont ; 2° cette dernière zone, où prédomine un habitat semi-dispersé, a été peu affectée par le phénomène des castelnaux et n'a connu que tardivement et marginalement l'implantation des bastides (la plupart sont postérieures à 1300, et une partie ne sont encore pas en place au moment de l’enquête)89.
36Cette source souffre d'insuffisances qu'il faut naturellement bien garder en tête lorsqu'on entreprend d'en exploiter les données90, et on aura garde d'oublier que par sa nature, ce document ne pose que de façon indirecte et tronquée la question de l'habitat, qui se trouve subordonnée à une logique fiscale. Au nombre des sujets fiscaux, le casal, la maison, le foyer figurent auprès de personnes morales – la communauté, la seigneurie –, ou d'individus responsables d’une unité de perception (quisquis homo, Untel nommément désigné). Leur plus ou moins forte présence, leur contenu sémantique, résultent en proportion variable de la place qui est intrinsèquement la leur dans l'espace social et du rôle fiscal qui leur est assigné.
37Jalon documentaire majeur dans l'histoire du casal, les DRN ne recèlent cependant pas tout l'éventail de lexèmes composés sur ce mot : on note en effet l'éclipse totale et étonnante du capcasal, qui émaillé les textes des cartulaires, et que l'on retrouvera omniprésent dans les sources de la fin du Moyen Âge. La manipulation des données, par ailleurs, bute sur des difficultés parfois bien difficiles à résoudre91. Le casal s'y révèle cependant, avec une exceptionnelle clarté, comme une entité socialement ambiguë, qui dessine un spectre recoupant à son sommet la sphère des seigneurs, coïncidant pour l'essentiel avec la paysannerie, et recouvrant fondamentalement les réalités du servage.
A. Le casal entre aristocratie subalterne et élite paysanne
1. Indomenjadura casalis
38À plusieurs reprises, les enquêteurs notent le nom des quelques casaux échappant au sort commun des habitants pris en charge par la communauté92. À Ost, cas limite, les enquêteurs n'ont noté aucune déclaration de la communauté ou d’un seigneur, mais simplement celle de Maria de Sancta Maria... pro casale vocato de Sancta Maria, qui reconnaît devoir au roi l’ost et la juridiction (exercitum et legem), ainsi que les cens dûs au titre des casaux d'Abbadie et de Sainte-Marie93. Avec un casal assimilé à une « domenjadure » (soit dominicatura, seigneurie) quelques-uns de ces casaliers, notables locaux, ont parfois intégré les rangs de la petite aristocratie, aussi riche en effectifs que pauvre en revenus. C'est le cas dans la localité disparue de Sarrabeyrouse : chaque habitant est soumis à « l'oelhade » (redevance d'une brebis), excepta indomeniatura casalis deu Coralet94 ; or, ce casal de Coralet correspond vraisemblablement au hameau de Caharet devenu en 1830 commune autonome95. À Osmets, Maria de Soler tient conjointement avec le seigneur Sac d'Antin la « domenjadure » du casal de Soler astreinte au gîte96, et à Camalès, village qui a racheté collectivement la queste, le casal de Cort (de Curia) se distingue en devant 12 sous de gîte quare est indomengorium.97
39C'est à Siarrouy que les enquêteurs ont noté les précisions qui permettent le mieux de restituer la place de ces casaux dans la société villageoise98. Cette localité a pour seigneur Garsia de Cuguron, damoiseau, qui, en dehors de sa soumission militaire et juridictionnelle, doit au comte une redevance de 25 sous morlaas pour le gîte. Il est précisé que les deux tiers de cette somme sont acquittés par la communauté en son nom, et que le restant est à la charge de l'« endomenjadure » du casal de Cort et de ses hommes, ce qui permet d'évaluer la fraction du village relevant de cette seigneurie subalterne.
40Ainsi donc, les Debita vérifient l'existence, en Bigorre, d'une frange supérieure de casaux qu'on identifie à coup sûr avec des communautés infra-paroissiales, et qui peuvent servir d'assiette à des seigneuries ou des quasi-seigneuries. De façon plus ponctuelle, l'existence de véritables seigneuries casalières est confirmée dans le cartulaire des vicomtes de Lavedan99. Ce phénomène est très certainement sous-représenté dans le censier de 1313, qui éclaire beaucoup mieux les gros bourgs du domaine comtal que le dense semis de minuscules localités, dominé par une cohorte de besogneux seigneurs de village, et qui semble avoir été le domaine de prédilection des casaux-seigneuries. Cela étant, il est clair que la grande majorité des casaux relèvent sans ambiguïté aucune du monde paysan, mais parfois dans le cadre d'un système fiscal complexe qui permet d'individualiser une strate de notables villageois.
2. Casal cum suis coadjutoribus
41Il est une pratique dont les Debita attestent la fréquence : celle qui consiste, pour le prince, à assigner à tel ou tel sujet fiscal une charge dont il est responsable, mais qu’il acquitte avec la contribution d'un certain nombre de sujets auxiliaires, appelés dans le texte coadjutores. Cette médiatisation du prélèvement s'applique de manière très souple, aussi bien aux individus d'une localité chargés d'acquitter une poule pour l'« amparancia », ou le cens d'une vache100, qu'à une communauté entière tenue de payer un impôt cum coadjutoribus diversorum locorum circumvicinorum101. Une telle pratique, qui conduit à scinder et à hiérarchiser la société entre sujets fiscaux actifs et passifs, s'est appuyée de façon privilégiée sur le casal. Toutefois, il n’y a rien qui puisse permettre de conclure au fonctionnement d'un système rigoureux et général fondé sur ce principe : la diversité est la seule règle. C'est, logiquement, pour acquitter les cens les plus lourds que plusieurs casaux sont rassemblés ; notamment le cens exceptionnel de 5 sous, qu'on trouve aussi bien à Betpouey, Artagnan, qu'à Ibos102. Cependant à Sarraméa, village seigneurial, c'est une redevance en mil que les deux casaux comtaux, flan qués de leurs « coadjuteurs », doivent acquitter chaque année103, et à Parrabère le casal de Las Trilhas, seul à contribuer avec des auxiliaires, n'est pas significativement plus chargé que les casaux voisins104.
42Les enquêteurs donnent parfois quelques précisions sur le nombre et l’identité des casaux auxiliaires, ainsi à Collongues, où le casal d Abbadie est astreint à un droit de carnal de 4 sous morlaas pro se et aliis tribus casalibus105 et surtout à Esquièze106, où il s'avère que le casal de Bourg peut être aussi bien entendu comme une unité de perception regroupant cinq cellules de production paysannes d'inégale importance, que comme seulement la principale de ces cellules107. Les Debita attestent clairement l’existence d'un tel système de médiatisation du prélèvement entre les mains de notables ruraux, sans pour autant permettre d’en évaluer la fréquence. Quelques indices indirects donnent à croire qu'il s'agit d’une pratique minoritaire, mais encore vivace108. On peut supposer que ce qui restait implicite dans les cartulaires des XIe-XIIIe siècles parce qu’allant de soi, correspond désormais à l'orée du XIVe siècle à un cas de figure moins commun, et demande donc à être explicité (ce que traduirait l'introduction même de la formule cum suis coadjutoribus qu'on ne rencontre pas avant cette date).
B. La dynamique des casaux paysans
43On prendra garde au fait qu'Esquièze ne représente qu'un cas de figure parmi d'autres dans un jeu complexe dont les Debita ne fourniraient qu'un instantané, qui voit certains casaux s'agréger en unités plus vastes, et d'autres se morceler en cellules divisionnaires. Rien n'indique que ce jeu obéit à une règle purement fiscale ; tout porte à croire que ce sont avant tout les partages successoraux, la loi du marché, qui remodèlent les unités paysannes, poussant les seigneurs à des réajustements a posteriori de leur système de prélèvement.
44Dans une majorité de localités, le système des casaux auxiliaires n'est pas mentionné, et là où il l'est, il se trouve très minoritaire. D'autre part, la constitution d’agrégats de tributaires ne passe pas forcément par la subordination à l'un d’entre eux. Dans bien des cas, il est simplement spécifié que le versement se fait insimul109, una110, ou bien ambo111. Cette pratique est d’ailleurs attestée dès le XIIe siècle dans le cartulaire de Bigorre, pour les localités du val d'Azun. Un examen attentif de ces occurrences incite à y voir davantage un palliatif à une tendance au morcellement qu'une volonté de rationalisation fiscale112. De fait, en dehors de ce cas de figure bien particulier, c'est bien la multiplication des casaux qui s'impose au premier regard, à travers la prolifération des homonymes, caractéristique des listes du censier113. On ignore bien entendu, hélas, dans quelle proportion ces doublons correspondent à un processus d'essaimage ou bien de fractionnement. Dans ce dernier cas de figure le souvenir de l'unité primordiale a dû rester vivace un certain temps ; ainsi à Arrens, à la suite probablement d'un partage successoral, trois unités imposables autonomes sont présentées comme autant de fractions du casal de Casalos114. À Goudon, à Vic, à Parabère, on voit également des demi-casaux ou des tiers de casaux imposés d'une manière qui n'est pas forcément proportionnelle à la fraction annoncée115. Par ailleurs, une part notable des casaux change de mains. La mutation est toute fraîche lorsque l'item rappelle le nom de l’ancien tenancier, elle est sans doute un peu moins récente quand le nom du tenancier diffère de celui du casal, mais à plus long terme, d'une façon ou de l’autre, les deux appellations ont fini par coïncider116. Cas de figure très minoritaire enfin, mais à ne pas négliger : la concentration de la propriété foncière entre les mains de quelques « cumulards »117.
45Paradoxalement, tous ces mouvements dont le censier donne un écho figé ne vont pas de pair avec une tendance à une différenciation des statuts. Bien au contraire. Là même où ne prévaut pas le conservatisme, s'affirme une tendance à l'uniformisation. Plusieurs listes de redevances présentent des casaux comme des modules fiscaux plus uniformes que la plupart des censiers inclus dans les cartulaires de l'époque antérieure. Tant pour la légèreté que pour l’uniformité, la palme revient au village d’Adé : les trente-neuf casaux et leurs appartenances doivent uniformément et uniquement, en tant que tels, une poule à la Toussaint118. On retrouve des formules à peine plus complexes dans maints villages de la plaine de l'Adour de Vic Bigorre, à l'image de Baloc119, où quarantetrois personnes acquittent pro censu casalis sui et ejus pertinenciarum trois setiers d'avoine et deux poules.
46Au total, les données du censier incitent à penser que coexistent des villages entièrement – ou presque – maillés de casaux ; des localités où subsiste en position dominante, un fort noyau de casaux face à des unités de peuplement d'autre nature120 ; et enfin des localités où le casal ne représente plus qu'une structure agraire noyée parmi d'autres (et souvent déclassée au rang de simple parcelle)121. Car ces contrastes de densité se doublent de contrastes de nature. Le casal-complexe est tout ensemble terre et maison, unité d'habitat et de production. Or, en ce début du XIVe siècle, le censier révèle dans plusieurs localités une tendance à dissocier les deux éléments122, indépendamment du fait que, comme on a pu le voir, les peuplement planifié par bourg implique l'amoindrissement du casal en parcelle.
47L’enquête répercute-t-elle une crise, un renforcement, ou un maintien global du système du casal ? Pour répondre à cette question, on peut mettre en perspective ses données avec celles que fournit, pour l'époque antérieure, le cartulaire de Bigorre123. Ce que les sources permettent de mesurer est, de façon difficilement discernable, l'évolution générale du système du casal et l'emprise du pouvoir comtal sur les casaux124. La situation qui prévalait jusqu'au XIIIe siècle – un saupoudrage de casaux permettant au comte d'assurer sa présence militaire et fiscale dans un maximum de localités –, semble avoir fait place à une politique de renforcement des points forts, et d'abandon, de fait ou de droit, des zones marginales aux seigneuries locales et aux communautés. Ce renforcement a été opéré en combinant l'extension d'une cellule d'origine ancienne dûment remodelée, le casal, et l'introduction de nouveautés fiscales, dont la plus notable est la queste, inconnue avant 1270 au témoignage du cartulaire de Bigorre.
C. Casales questales et censuales
48La questalité s'attache aussi bien aux casaux qu'aux maisons et aux hommes125. Cependant, on a eu l'occasion de vérifier que, depuis le XIe siècle, le servage est lié de façon privilégiée au casal. En reprenant l'exemple des villages du val d'Azun, on constate que la liste des casaux du XIIe siècle correspond, à quelques retouches près, à l'énumération des questaux de 1313. Il est clair cependant que les DRN donnent de cette redoutable question une vision biaisée, puisque réduite, pour l’essentiel, au seul servage comtal126. Les apports essentiels du censier sur ce sujet ont déjà été dégagés par Maurice Berthe : la proportion moyenne des serfs dans la population est de 20 %, dans une fourchette de 5 à 70 % selon les localités127. Et de la condition des serfs ne transparaît que la dimension fiscale, qui se réduit pratiquement au seul paiement de la queste128.
49Cet impôt est, rarement, acquitté par casal (ce qui peut déjà impliquer un groupement fiscal par le biais du système des « coadjuteurs ») : ainsi à Goudon un certain Arnaud Cassagne acquitte-t-il à ce titre à la Toussaint 5 sous morlaas129. Second cas de figure : les questaux d'un village, minoritaires, versent solidairement la taxe130. Enfin, dans le val d'Azun, fonctionne un système de répartition très semblable à celui qu'on a vu régir les « hommes francs » du Bazadais : la queste est répartie entre les communautés questales de la vallée131, auxquelles sont rattachés deux « hommes » du village d'Arras. Dans ces deux derniers cas de figure, les non-libres forment un ensemble d'individus, ou bien même, au sein du village, une « communauté des questaux » distincte132. Ce clivage s'efface dans les cas, majoritaires, où la communauté villageoise a racheté la queste, qui est collectivement payée chaque année133.
50La documentation bigourdane permet de retracer, quoique assez sommairement, les étapes du processus d'asservissement de ces communautés qui eu pour effet de vider de son sens la servitude liée au casal. Soit l'exemple de Trébons. Au début du XIIIe siècle, ce village compte onze casaux comtaux, astreints chacun à un cens classique en avoine, agneau, poule134. Dans l’enquête de 1300, il est précisé que la communauté, forte de trente-deux feux, acquitte une queste annuelle de 5 livres, prix fort du servicium dû par ces casaux135. En 1313, la communauté, qui compte quatorze casaux comtaux, doit acquitter, outre 100 sous de queste (soit un montant inchangé), 80 sous de quirida, que l’on peut sans doute considérer comme un abonnement aux charges énumérées en 1300 et qui ne le sont plus treize années plus tard. Pour cette communauté, comme pour bien d'autres, le bond en avant fiscal décisif a eu lieu entre 1238 et 1300, avec l'instauration de la quête. Il signifie que la charge qui incombait à une partie des foyers pèse désormais sur l'ensemble136. Il y a donc eu, simultanément, banalisation du casal et – qu'on me pardonne ce néologisme – « casalisation » des autres cellules paysannes. Ainsi en Bigorre le casal, qui était primitivement une tenure au statut particulier, tend-t-elle au début du XIVe siècle à s'identifier à toute exploitation paysanne Cette homogénéisation est passée par une perte de substance considérable du concept de servicium. Car, à considérer le vocabulaire fiscal utilisé dans le corpus documentaire régional avant et après l'instauration de la quête, on vérifie bien que c'est l'obligation du servicium qui distingue le questal du franc. Observons simplement deux définitions glanées dans le cartulaire de La Case Dieu : vers 1245, un bien est concédé liberum omni servicio sive francum137 ; une donation, datée de 1289, stipule le droit de vendere, infeodare, seu in emphiteo dare, et donare ad agraria, sen ad servicia census et obliae, vel alio quocumque modo138. La tenure à service est un mode de concession, au même titre que l’agrier ou la censive emphythéotique. Le cartulaire de Bigorre a permis de voir que jusque vers 1270 ce service correspondait à des tâches fort diverses, et qu'il pouvait être voué à des missions très spécifiques. Or, on ne trouve plus guère trace dans le censier de 1313 de ces mimera sordida. Tout au plus, çà et là, quelques affectations à des services particuliers de caractère utilitaire139, ou bien franchement symbolique140.
51En clair, comme la queste s'impose au moment où s'effacent les mimera sordida, cet impôt paraît correspondre, du moins en Bigorre et dans son principe initial, au prix forfaitaire à payer pour des services de collecte, charroi, ravitaillement, hébergement ou autres qui n'étaient plus effectivement accomplis, ou bien seulement en partie, alors que le tenancier continuait à jouir des biens et revenus qui avaient été affectés à cette fin. Toutefois, rien ne permet d'affirmer que ce schéma soit applicable aux serfs dépendant de seigneuries particulières141.
52La question du gîte, service d'origine publique par excellence, montre que la ligne de partage entre franchise et servage s'est dessinée au prix de déroutants méandres. Dans certains cas, c'est le seigneur du village qui acquitte effectivement le devoir de gîte142, à charge parfois de le récupérer sur ses dépendants, comme à Castéra-Lou. À Chelle, une majorité de tenanciers payent une modique redevance pro arciut143. C'est la communauté qui, à Camalès, outre 30 sous de queste, acquitte collectivement une taxe de 15 sous pour l'albergue, ce qui n'empêche pas un casal du village de payer 12 sous pro arciut quare est indomengerium144. Or, à Ibos, on y reviendra, l'albergue n'est pas marque de gentilité : elle incombe prioritairement aux homines censuales, à raison de trois jours et trois nuitées par an, et en cas de besoin à la communauté des hommes francs – qui sans être censitaires n'en acquittent pas moins tous un cens –, à raison il est vrai d'une nuitée seulement145.
53On a relevé dans les listes la présence du doublon ambigu « arciut » / « albergue » : en jouant sur les mots, on peut acquitter collectivement l’une et demander à un particulier d'acquitter l'autre. Voici encore le diptyque cens / queste, le plus souvent confondus (le serf ayant le plus souvent la double qualification de censualis et questalis), mais non pas indissociables, et permettant ainsi, en quelque sorte, une servitude à double détente146. Enfin, il convient d'ajouter à cette liste le couple fiscal questa / quirida. Rien ne permet affirmer que le terme roman implique davantage de servitude que le latin, pourtant moins pris en considération par les historiens147. Certaines communautés paient seulement la queste, d'autres la quirida148, et plusieurs autres sont abonnées à l'une et l'autre taxe149. Cette stratification complexe résulte vraisemblablement de la démultiplication et des oscillations du rapport de force entre le prince et les tributaires, qui s'opère au travers des pouvoirs locaux. Et encore ne sait-on pratiquement rien de ce qui se passe dans les seigneuries particulières. Au total, si les statuts extrêmes sont bien nets, existe au sein de bien des communautés une large frange d'ambiguïté entre liberté et servitude. Du moins au regard de l'historien. À quel degré l’individu qui paie la quirida est-il plus franc que celui qui est soumis à la queste ? Comment définir la nuance qui distingue le « censau » du « questau » ? Peut-on dire que celui qui est tenu de payer la taxe du francau pour que soit reconnue sa franchise jouit d'une pleine liberté ? Les questaux membres d'une communauté villageoise abonnée à la queste demeurent-ils aussi asservis que ceux qui, à titre individuel, sont les hommes de tel seigneur ? Enfin, le questal cossu tenu à un hébergement effectif (comme on en verra à Ibos) est-il socialement si éloigné du « domenger » besogneux soumis au gîte et au paiement du cens150 ?
54Les DRN donnent donc à voir une mosaïque de statuts héritée de fondements anciens, plusieurs fois retouchée, dont le module de base reste malgré tout le casal. Les nouvelles exigences fiscales de l'État émergeant, l'institutionnalisation des communautés rurales, le refus des élites de tenants-casaux d'assumer seules la charge du servicium ont enclenché une dynamique d'homogénéisation du statut des exploitations paysannes. Le casal de 1300 n'est plus exactement le même que celui de 1200, et il n'est plus alors d'exploitation rurale qui ne soit en passe d'être considérée comme casal. Or, simultanément, l’avènement d'un réseau de bourgs, quoique ici limité, a contribué à transformer la texture générale du peuplement et de l'habitat.
III. Casal et bourg en Bigorre à l'orée du xive siècle
A. Les progrès mesurés du peuplement per domum
55Dans le précédent chapitre, la leçon des textes m'a conduit à mettre en équation l'avènement de l'habitat par maison et par feu, et la dislocation du casal complexe. La documentation bigourdane montre les limites de cette hypothèse. De même que le groupement de l’habitat s'est accommodé dans un premier temps d'un renforcement du casal traditionnel, la pleine capacité d'évaluer en feux l'importance relative des diverses localités, qui s'exprime dans l'enquête de 1300, n'est pas incompatible avec le maintien de formes de prélèvement anciennes que révèlent les DRN151.
56En examinant les données documentaires de près, il s'avère que casal, domus, hospicium, ont en fait un contenu sémantique qui se recoupe largement. Toutefois, dans les villages, c'est le chef de famille ou le casal qui restent les interlocuteurs par excellence de l'administration comtale, en laissant à l'« hostau » une place très minoritaire152. Dans les deux principaux bourgs de la Bigorre, Bagnères et Tarbes, le prélèvement s'opère par l'hospicium. Ici, le prélèvement sur les individus est effectué, avant tout, pro symonagio domus sue, ce qui inclut la cité tarbaise dans l'aire du sirmenage, qui s'étend sur la Gascogne occidentale153. Point de sirmenage à Bagnères, mais un prélèvement de quelques deniers pro censu sui hospion154, et un régime fiscal assez complexe155, qui confirme l'inclination des seigneurs à regrouper, même au sein des bourgs, les cellules tributaires élémentaires en unités plus larges.
57En dehors des centres urbains majeurs, c'est donc seulement dans une minorité de localités que la maison a été prise comme base première de la fiscalité comtale. On examinera tour à tour le cas des vallées et celui du piémont.
58Le présence d'un prélèvement par maison dans les vallées ne doit que peu par contre au phénomène des bourgs castraux, dont on trouve cependant à Casted-de-Vern un écho très net156. Les villages valléens ont manifestement connu une densification du peuplement indépendante de ce mouvement. C'est ce que suggère fortement l'enquête relative au Val d'Azun. Dans ces villages, la population est nettement scindée en deux groupes. D'un côté, les homines, casalia et hospicia redevables au comte du cens et de la queste ; de l'autre, les hommes tenant feu et foyer (focum et larem), dépendant d'autres seigneurs, qui n'y sont pas soumis157. Tout donne à penser qu'à cette date, la multiplication des foyers en dehors des casaux est un phénomène récent, qui aurait notamment permis un établissement très souple des cadets, et un essai mage des groupes familiaux158. Et c'est sans doute un processus de cette nature qu'attestent, dans le Val Surguière, les items ainsi libellés placés en fin de liste : Item, quilibet estargerius commorans extra domum casalis in dicto loco tenetur dare dicto domino regis, exceptis stargeriis nobilium dicti loci, annuatim in festo Natalis Domini : VIIII d. morl.159. Ce mot estargerius ne figure pas ailleurs dans les DRN. Par contre, on le trouve à nouveau employé, pour le même secteur, dans les censiers de la fin du XIVe siècle du Livre Vert de Bénac (à la suite de la liste des casaux figure celle de leurs « estadgès », soit littéralement leurs « locataires160). » Pour aussi modique qu'elle puisse être, la redevance imposée aux sous-tenanciers est, politiquement, essentielle : elle marque un refus de la médiatisation complète de cette strate inférieure de la paysannerie par les maisons casalères. Cette médiatisation étant consentie à la seule aristocratie, c’est un critère essentiel de la stratification juridico-sociale qu'on voit ainsi s'imposer. Ici comme dans bien d'autres secteurs le casal pyrénéen ancien, véritable seigneurie paysanne, tend donc à devenir une simple exploitation familiale, en laissant accéder à l'autonomie – i.e. à l'existence fiscale – de nouveaux foyers, qui cependant lui restent souvent socialement subordonnés.
59Dans le piémont bigourdan, les exemples de prélèvement fiscal effectué par maison ou par foyer sont plus directement que dans les vallées en relation avec les progrès du peuplement par bourgs (même si l'absence des maisons dans des localités telles que Vic-Bigorre, Goudon, Mauvezin, Vidalos, ne laisse pas de surprendre). On y observe une phénomène d'irradiation très net à partir des castra, et surtout des bastides161. C'est finalement la mention de la platea, la place à bâtir qui est le plus sûr indice des progrès du peuplement par bourg, sous la forme d'un castrum ou d'une bastide. Là encore l'impact de la bastide s'étend en auréole sur les villages circumvoisins. On est d'autant mieux fondé à mettre en rapport le cens prélevé sur les places de maison du village de Bordes avec l’implantation récente de la bastide de Tournay, en 1307, que les deux localités ont pour coseigneur l'abbaye de l'Escaladieu162. L'influence de la bastide s'est même fait sentir d'une autre façon, avec une opération de congregatio hominum se traduisant par le transfert à Bordes de la population de l'abadie d'Artigue-Sec, située en marge de ce village163.
60Dans le censier, l'impact le plus fortement perceptible de l'implantation d'un bourg est l'auréole qui s'inscrit tout autour de la bastide de Rabastens fraîchement fondée (mais elle même laissée en blanc par les enquêteurs). À Ansost, Theulé, Lescurry, Lacassagne, les enquêteurs répertorient plusieurs tributaires possédant des places à bâtir, des casaux ou des arpents de terre à Rabastens164. On reconnaît ici le système agraire qui s'est mis en place de façon concomitante avec les bourgs castraux (empiriquement), puis avec les bastides (systématiquement), dans lequel le casal n'est rien d'autre qu'une petite parcelle de terre – casalis terre, dit le texte. A la date de l'enquête, ce processus d'irradiation est loin d'être achevé : il suit l'expansion territoriale et juridictionnelle de la bastide royale. Et la pression semble avoir été d'autant plus forte que la bastide de Rabastens se trouvait à l'origine nantie d'un territoire exigu165. En 1330, les seigneurs et consuls du Castéra assemblés par devant notaire avec le baile et les consuls de Rabastens, acceptèrent de fondre les terroirs du Castéra et celui de Lafitte dans la juridiction de la bastide166. Il est spécifié que les terres du Castéra (exception faite d'une réserve entourant la résidence seigneuriale - aula et mota -), seront redistribuées en fief ou emphythéose aux habitants de Rabastens et du Castéra, suivant les conditions régissant les terres de la bastide. De façon générale, les habitants du Castéra qui jusqu'à cette date étaient, est-il précisé, « serfs et questaux de corps »167, jouiront des « coutumes, usages et libertés de la ville de Rabastens ». On vérifie donc bien ici la force du lien qui associe, dans les bastides, la refonte des structures agraires et celle des statuts juridiques168.
61En tout état de cause, les bastides constituent un phénomène à bien des égards radical, doté en tous cas d'exceptionnelles vertus clarificatrices, qui se traduisent aussi bien dans les parcellaires que dans les statuts. Partant, ses leçons ne sont que de peu d'utilité pour éclairer ce qu'a pu être le processus de concentration graduelle de l'habitat, qui fut sans doute le plus courant dans un pays de casaux tel que la Bigorre. Pour ce faire, j'ai tenté de prendre appui sur un des rares dossiers monographiques qu'il semble possible de constituer.
B. La formation d'un tissu aggloméré en pays de casaux : le cas d'Ibos
62Les hasards de conservation de la documentation permettent de rassembler un dossier de textes relativement fourni sur le village d'Ibos169. En position de poste frontière avec la vicomté de Béarn, ce gros bourg comtal se signale comme une structure d'habitat singulière, qui a retenu l'attention des historiens : les maisons, en effet, s'ordonnent en deux cercles concentriques réguliers autour de l'église et du cimetière170. Le noyau circulaire central de 75 m de diamètre, dans lequel il faut probablement voir un enclos ecclésial du XIe siècle, a été ultérieurement transformé en castrum. C'est ainsi que l'enquête de 1285 la décrit, de façon il est vrai un peu stéréotypée171. Notons encore l'importance du finage que domine ce bourg : pas moins de 3288 hectares172, dont au XIXe siècle plus de la moitié sont encore en landes et bois173. L'intérêt de ce village est de pouvoir confronter le processus de formation d'un bourg avec les informations livrées par les censiers qui concernent essentiellement les casaux. La transmutation des données fiscales en indices utiles à l'histoire de l'habitat nécessite cependant un ingrat travail analytique dont le lecteur pressé peut se dispenser en se reportant directement à la synthèse (point 3).
1. La permanence des casaux, la croissance du bourg et la question de l'incultum
63Voici d’abord les éléments les plus anciens du dossier : les premières listes de casaux, incluses dans le cartulaire de Bigorre174. Elles ne sont pas datées, mais l’archaïsme qui préside à leur confection ramène à une époque antérieure au XIIIe siècle175. La plus complète se présente ainsi176. Après notification du montant de l'impôt à acquitter par les diverses composantes de la population (« abadies », censitaires et francs), suit une liste nominale de tributaires : cinq « abadies », correspondant vraisemblablement à de très anciens établissements humains177 ; quarante-huit censitaires (« censals »), parmi lesquels une douzaine sont dits redevables de « tot servici »178. De façon générale, le mot clé de cette énumération est bien celui de « service », plusieurs fois répété. Parmi les neuf « sages » qui ont présidé à la confection de ce censier figure, outre le curé — « missacanta » – qui en a assuré la rédaction, un des « abbés », cinq des censitaires, et trois autres personnages qui, vraisemblablement, représentent les hommes francs179. Si l'on se fie au nombre de représentants, ils semblent moins nombreux que les censitaires, et rien ne permet de dire si les unités d'exploitation que possèdent ces derniers sont déjà désignées ou non comme des casaux180. La liste B, plus brève (une trentaine de noms) comporte plusieurs noms de casaux inconnus de A, qui figurent dans les DRN, et d'autres qu’on ne retrouve pas ailleurs (notamment une intéressante « Galicie deu Cimiteri »). La datation relative des deux listes du cartulaire est malaisée à établir, mais l'analyse des données suggère quelques hypothèses181.
64Un fâcheux vide documentaire sépare les indications fournies par la montre de 1285 des données fiscales et démographiques de l'enquête de 1300 (où on apprend qu’Ibos compte deux-cent vingt feux vifs)182. Eu égard à la position frontalière d'Ibos, le sénéchal de Bigorre accepta en 1305 un fait accompli qui pourtant, précise-t-il, lésait les intérêts du roi : la mise en culture par des particuliers d'une partie des terres hermes183.
65Le document qui vient ensuite concerne directement la vie pastorale. En l'an 1311, à la suite d’un traité de paix sur l’utilisation conjointe des landes de Ger conclu avec la communauté béarnaise de Pontacq, les habitants d'Ibos furent appelés à se rendre, pour approbation, sur la place publique184. Le notaire a consigné la liste des deux-cent dix sept personnes qui s’y rassemblèrent tamquam major pars. C'est donc deux années seulement après cet événement que les enquêteurs des Debita Regni Navarae ont dressé une liste des chefs de famille de ce village, longue de deux-cent quarante sept noms, et qu'on peut supposer à peu près complète185. Il ne faut cependant pas s'arrêter à l'apparente proximité des chiffres. En effet, un examen attentif des noms révèle un écart plus grand que d'apparence : la liste de témoins de 1311 ne compte pas moins de quarante-cinq cognomina ne figurant plus dans les DRN (soit 20 %)186 et constituant une catégorie de population restée cachée à nos yeux187. Une étude conjointe du nomen et cognomen des habitants de la liste de 1311, révèle en outre l'absence de représentation de certains casaux188, et la sur-représentation de quelques autres qui y ont délégué plusieurs membres (dans quelle mesure s'agit-il de chefs de familles ?)189. En résumé, la liste de 1311 met au jour ce que celle de 1313 tend à laisser dans la pénombre : la frange de population composée des cadets, des artisans, et plus généralement sans doute des hommes sans terre.
66Ce sont au contraire les casaux et leurs maîtres qui sont au cœur de l’enquête de 1313 : sur deux-cent quarante sept items190, cent-quarante concernent à titre principal un casal, trois une abbaye laïque191, deux un hospicium, et cent-trois des tributaires redevables à des titres divers192. La structure de prélèvement qui se trouve ainsi détaillée peut être comparée avec celle que l'on a observée dans le cartulaire de Bigorre. Durant le long hiatus séparant les deux séries d’énumérations, beaucoup de choses ont changé. Le noyau de casaux hérité du XIIe siècle ne représente plus que 16 % de ceux qui sont énumérés en 1313. Le changement d'unité de mesure (du muid à la conque), empêche toute évaluation quantitative. Au terme de compromis dont on ignore tout, il appert qu'outre la queste, l'abonnement au cens des terres hermes et aux redevances de charroi, l'instauration de la redevance du carnal sur les landes de Bastillac et de Cognac, ont eu pour contrepartie la disparition de plusieurs prélèvements obsolètes, des corvées agraires193, ainsi que des services les plus fortement personnalisés194, soit au total une certaine uniformisation du système195. Le service est à présent l'affaire de la communauté dans son ensemble, mais normalement l'albergue reste celle des seuls censuales (soit 27 % des casaux, et 12 % des tributaires)196.
67Désormais, abadies et casaux ne constituent qu'un peu moins de 60 % des unités de prélèvement ; or, pourtant, tandis que le castrum populatum d’Ibos s'est affirmé, la maison n'a pas encore accédé à l’existence fiscale. Aux yeux de ceux qui ont en charge l’administration comtale, ce village demeure avant tout une totalisation de casaux, situés dans un environnement propice aux prélèvements sur l'élevage. Et, en laissant de côté les tributaires dont l'assiette n'est pas définie (au nombre de cent-cinq), on retrouve en 1313 un système de prélèvement pyramidal à trois niveaux assez semblable à celui de l’époque antérieure : trois abadies197, les casaux censuales (au nombre de trente), et les tenanciers francs d’un casal (au nombre de cent-onze). Après avoir bien noté que le fait de tenir casal est la condition nécessaire, mais non suffisante, pour être classé parmi les censuales198, on peut tenir pour très vraisemblable que le rachat communautaire de la queste a permis aux censuales d'Ibos d'échapper au statut de questales199. Un examen de la structure sociale qui transparaît aumiroir de la fiscalité permet d'en comprendre la raison.
2. Les hommes des casaux : une élite paysanne dominant la communauté
68Examinons plus attentivement les informations que la liste des DRN peut livrer sur l’identité et le profil de ces tenanciers de casaux. Dans l'énumération des seigneurs de casaux, trois formulations principales dominent : N. pro censu casalis sui, N. pro censu casalis N., N. pro censu casalis sui N. (en tout 109 items de ce type). Le personnage, dont on donne toujours le nomen et le cognomen, est manifestement le chef de famille. Un premier indice donne à penser qu'il s'agit de familles conjugales : l'existence, sur un casal, d'une frérèche est dûment précisée (.Petrus de Artiga Sicca, una cum Johanne de Artiga Sicca fratre suo200.) La multiplication des casaux homonymes, constitue un second indice : la proportion se monte à 20 % (alors qu'au XIIe siècle elle n'atteint semble-t-il pas 6 %201). Ce phénomène peut s'expliquer de plusieurs façons202, la difficulté principale résidant dans l'incapacité où l'on reste de distinguer ce qui relève des pratiques familiales et des décisions seigneuriales203.
69Il est possible de reconstituer approximativement l'éventail du prélèvement fiscal en s'appuyant sur les conversions fournies par l'enquête de 1300204 Entre les francs et les censuales, on relève une évidente dissymétrie. Parmi les francs, on distingue une poignée de gros contribuables et une forte majorité de très petits contribuables205. Quant aux censuales, ils sont en moyenne beaucoup plus imposés (davantage encore que notre graphique ne l’indique, puisque la dépense effective représentée par les trois jours et les trois nuitées d'albergue n'a pu être chiffrée). On trouve, certes, parmi ces tenanciers, un bon tiers de contribuables modestes, mais on y compte une fraction analogue de gros contribuables, chargés pour une valeur de 5 sous ou davantage206.
70Dans quelle mesure cette échelle fiscale reflète-t-elle une échelle sociale ou bien une surexploitation des censuales ? D'autres que moi ont montré combien, au XVe siècle, le montant des redevances pouvait être indifférent à la richesse foncière207. Il ne semble pas que ce soit ici le cas : tels de ces personnages sont flanqués de « coadjuteurs », tel autre a pris à fief un moulin, tel autre sous-loue des terres208. Un raisonnement à partir du cas limite des « abadies » est particulièrement éclairant. Il est en effet assuré que ces unités tributaires hors-catégorie correspondent en même temps à une élite sociale209. Or, on note que Gratia d'Abadie acquitte pour son casal « censuel » d'Abadie un cens annuel de 5 sous à Noël, autant en mai et 50 conques de froment à la Toussaint (soit une charge d’une valeur d'environ 18 sous). On reconnaît bien la charge coutumière pesant sur les abadies depuis au moins le XIe siècle. Il y a eu ici déclassement de cette abadie en casal « censuel » lourdement chargé, une catégorie qui au regard de l'administration comtale (et sans nul doute de la société) se place donc au dessus des simples tenanciers210. Il n'y a pas de raison que le restant des censitaires échappent à ce principe de cohérence. On est ainsi fondé à considérer que, globalement, les censuales sont les « gros », et c'est probablement la raison pour laquelle ils ont obtenu la prise en charge de la queste par l'ensemble de la communauté211, ce qui leur a évité la qualification juridique de questal.
3. Essai de restitution du processus de concentration de l'habitat à Ibos
71Il reste à tenter de dégager la signification cette structure agraire du début du XIVe siècle dans l’évolution de l'habitat. L'existence d'un castrum d'Ibos est bien établie dès 1285 ; mais une chose est d'implanter un noyau concentré au cœur d'un terroir, et autre chose d'amorcer une dynamique qui va conduire, comme ce fut ici le cas, au groupement complet de l'habitat auprès de ce noyau. Et c'est un processus multiséculaire que l'examen des données conduit à envisager.
72Jusqu'au XIIe siècle, Ibos présente une texture de peuplement par casaux polynucléaire. Les points forts semblent en être les « abadies », dont certaines sont situées auprès de très anciens sanctuaires. Autour de l’église Saint-Laurent a été créé un enclos ecclésial qui va devenir le pôle aggloméré principal du village. Entre le XIIe et le début du XIVe siècle, le nombre de casaux s’est considérablement accru. Les nouveaux casaux sont essentiellement de petites tenures familiales ponctionnées sur la production (par opposition aux anciens casaux, sans doute plus vastes, et également astreints à des obligations de service telles que l’albergue). Le noyau concentré (enclos ecclésial devenu castrum) coexiste avec les casaux qui perdurent comme cellule sociale et fiscale dominante. Dans les décennies chevauchant l'année 1300, la croissance démographique dessine un pic (de 1300 à 1313, la population a augmenté de 10 à 15 % au bas mot)212. La croissance extensive qui permet d'absorber cette crue humaine atteint alors ses limites : la mise en labour de nouvelles terres menace désormais l'équilibre agro-pastoral213. Or, l'autre fait majeur de cette période charnière est le désengagement comtal du contrôle des terres hermes au profit de la communauté. Il est donc revenu à la « besiau », déjà active et puissante, de concilier des intérêts contradictoires, en imposant un équilibre qui a durablement donné un coup d'arrêt aux entreprises individuelles de colonisation agraire.
73Au total on retrouve donc bien ici les conditions objectives qui ont présidé au processus de concentration de l'habitat villageois en pays de montagne : la nécessité, pour une communauté, d'organiser une vie sociale et économique fondée sur l'opposition entre l'appropriation privée des terres cultivables et l'appropriation collective des terres pastorales. Mais ce processus de rationalisation s’est opéré par étapes et sur une longue durée. Entre le XIIe et le XIIIe siècle, les disparitions des abadies de Sainte-Marie et Saint-Pierre, la promotion de celle de Saint-Laurent, constituent des jalons significatifs du processus de concentration de l'habitat. Cependant, en dehors du seul noyau castrai encerclant SaintLaurent, c'est postérieurement à 1313 que le casal s'est dissocié de la maison d'habitation pour rétrécir aux dimensions d'un jardin. L'évolution semble accomplie en 1429, où chaque chef de famille tient « hostau, borde, casau »214. À cette date, une dernière abadie, celle de Saint-Sever, continue semble-t-il de constituer un pôle de peuplement autonome215. Enfin jusqu'à ce que s'affirme le tout récent phénomène de rurbanisation, ce quartier correspond, depuis le XIXe siècle, à un parcellaire géométrique ouvert et dénué d'habitat dont la mise en place a accompagné le processus de drainage des zones basses216.
4. Au-delà d'ibos : réflexions sur les formes de concentration de l'habitat en pays de casaux
74À côté des gros villages dont Ibos est un bon exemple217, la géographie du peuplement de la plaine de l'Adour se caractérise, en Bigorre, par un pullulement de minuscules terroirs, qui n'excèdent souvent pas 500 hectares. Dans ces villages, les maisons ne s'égayent pas à travers le finage à la tête d'exploitations-blocs ; elles ne se serrent pas non plus les unes contre les autres dans un espace confiné. Au centre du terroir, l'habitat forme une assez vaste nébuleuse, plus ou moins dense, qu'organise la trame irrégulière du réseau viaire.
75Observons d'un peu plus près le village de Pujo, qui jouxte celui d’Andrest, dont il a été précédemment question (fig. 13). Ce village est documenté par un texte authentique de 1227 relatif à la villa de Hugues incluse dans Pujo218, et par un faux confectionné au XVIe siècle qui s'inspire du paysage de son temps : château entouré de fossés, tenures composées de capcasaux d'un journal de terre et de parcelles vouées aux labours ou à la vigne219. Telle est bien, probablement, la structure agraire de Pujo héritée du Moyen Âge. En témoigne un plan imprimé moderne montrant en vue cavalière le château ruiné de Hugues, à l'est du bourg de Pujo qui, outre le presbytère et les demeures seigneuriales, comporte vingt-sept maisons (fig. 13). Ces demeures sont disposées en ordre lâche autour de la place commune et de l'église. L'enclos qui les environne correspond exactement à ce que les textes du Moyen Âge finissant dénomment, selon les secteurs, la « casalère » ou le « casalage »220. On a là un peuplement doté d'une église qui n'est point pour autant un village ecclésial, et une localité pourvue de deux châteaux médiévaux221, mais qui n’a en rien la morphologie d'un village castrai, et encore moins d'un castelnau.
76En définitive, un tel village me semble constituer la forme qu'a pu prendre un habitat per casalem héritier plus ou moins direct d'un établissement humain antique222. Passé le XIe siècle, l'adéquation entre la texture du peuplement et la croissance démographique s'est faite progressivement par l'allotissement des « casalères », donnant naissance à un tissu de maisons de plus en plus serré, avec passage graduel de l’habitat per casalem à un habitat per domum. C'est exactement dans une telle perspective que je propose de placer le précoce exemple du village béarnais de Sainte-Suzanne, précédemment évoqué223. Là où les maîtres du pouvoir l'ont voulu, ces nébuleuses se sont fondues dans un noyau planifié qui dans les meilleurs des cas a pu servir de point de fixation à une expansion de type urbain. Ainsi en fut-il à Ibos ou Azereix, où un regroupement par étapes des caselages au pourtour du castrum, accompagné de la densification du bâti dans les espaces interstitiels, a donné à ces bourgs leur physionomie actuelle224. À l'inverse, quand une initiative d'incastellamento n'a pas été relayée par des conditions économiques ou politiques favorables, le bourg s'est vidé de sa substance, et l'habitat a retrouvé sa texture originelle.
Conclusion de la seconde partie
La naissance à l'histoire de la maison
77À bien des égards, l'histoire du casal constitue la préhistoire de la maison, mais on a pu voir que les deux structures ont longtemps coexisté. Si dans l'histoire du peuplement et de la société, la période 1270-1330 correspond bien à une flexure fondamentale, on n'y discerne aucune coupure radicale. Les diversités du substrat géographique et social ont nourri autant de solutions originales, tandis que les anciennes structures parvenaient souvent à perdurer, au prix de souples adaptations. Il est, en vérité, un seul domaine où un point de non-retour paraît avoir été franchi : celui des pratiques familiales. La question qui se pose pour finir est donc bien celle là : dans quelle mesure la période qui a vu la révélation de la maison à l'histoire n'est-elle pas aussi, par ailleurs, celle qui l'a vue naître, dans son sens anthropologique classique ?
78Vers le milieu du XIIIe siècle, on pouvait dresser le tableau d'une Gascogne encore relativement indifférenciée, fortement marquée par le poids des contraintes communautaires, mais où de puissants changements commençaient à se faire jour : à partir du corridor garonnais le droit savant redonnait vie à la pratique testamentaire, tandis qu'au pied des Pyrénées étaient repérés les plus anciens formulaires caractéristiques de l'aînesse coutumière. Un siècle plus tard, ainsi que les premiers actes notariaux permettront de vérifier, la géographie très contrastée des pratiques familiales, appelée à perdurer au moins jusqu'au Code Civil, est définitivement fixée. Le pas décisif a donc été accompli dans cet intervalle de temps durant lequel les sources, qui donnent à peu près à connaître les conditions dans lesquelles la maison accède à l'histoire, demeurent généralement silencieuses sur la façon dont a été forgé, simultanément, son système de perpétuation. Eu égard au fait que la connaissance des pratiques familiales ne pouvait être approchée que de façon indirecte, à la faveur d'une meilleure connaissance du contexte général, j'ai donc repoussé leur étude en conclusion.
79Une première corrélation saute aux yeux : la concordance globale entre la géographie des pratiques familiales et la densité des bourgs ruraux. La Gascogne septentrionale et centrale, terre de prédilection des castelnaux est massivement passée dans le camp du droit écrit et des pratiques égalitaires, plus ou moins pondérées de préciput. Diffusé à partir de la gouttière garonnaise, le droit savant a trouvé dans les castra, souvent équipés de notaires, autant de relais qui, à partir du premier tiers du XIIIe siècle, ont assuré rapidement sa diffusion. À la faveur de la recomposition générale de l'habitat, il a été d'autant plus facile de faire admettre de nouvelles règles du jeu juridiques qu'a joué un phénomène de mimétisme et d'emprunts tendant à répéter à l'identique les mêmes dispositions. La mise en place relativement précoce des castra dans la croissance du XIIIe siècle, laissait à la société une large marge d'adaptation aux pratiques successorales égalitaires. Et la densité de ces bourgs était telle qu'à l'orée du XIVe siècle l'existence même d'angles morts pouvait paraître invraisemblable.
80Ce type d'explication ne peut rendre compte, à lui seul, de la situation qui a prévalu dans le piémont pyrénéen. Ici, on l'a dit, la congregatio hominum a été aussi tardive qu'incomplète, mais ce fait en lui-même n'explique pas la généralisation de la règle de primogéniture dans un pays tel que le Béarn, où sont attestées au XIIe siècle des pratiques assez diverses. Une interprétation plus fine supposait d'ouvrir délibérément l'angle d'observation diachronique.
81Comment donc expliquer, pour les périodes plus proches de nous, la prédominance de la famille-souche dans les Pyrénées et leur piémont occidental ? Des travaux récents, particulièrement celui de A. Etchelecou225, et celui d'Anne Zink226, permettent d’intégrer cet élément de l'organisation sociale dans un système complexe. Or, il me paraît impossible de soutenir l'existence tranquille, pendant les années 1260-1330, d'un tel système homéostatique, intégrant des contraintes externes et des contraintes internes dûment intériorisées. Car cette période est bien celle d'une genèse. Dans la montagne même, il importe de revenir sur les précieuses données que l'on peut collecter sur les villages du val d'Azun : postérieurement au début du XIIIe siècle, la poignée de chefs de casaux qui dominaient la communauté ont dû, d'un seul coup semble-t-il, faire une place aux maisons subalternes qui s'étaient multipliées dans leur ombre, avant de les intégrer carrément aux capcasaux, au cours du XIVe siècle227. L'inflation des maisons est plus généralement perceptible dans le piémont, où les bourgs nouveaux qui voient le jour, souvent passé 1300, ont été peuplés dans un contexte de relâchement diffus des solidarités familiales228, et de desserrement intéressé des contraintes seigneuriales. À lire les sources, on ne sait trop si les obstacles mis par le seigneur à la mobilité des hommes restent implicites ou sont effectivement rares229, mais on note que le vicomte de Béarn autorise expressément les cadets à s'installer dans les nouvelles bastides, à condition de laisser leur casal « couvert »230. Enfin, l'ordre socio-spatial que les communautés s'attacheront à préserver bec et ongles se trouve encore en gestation. On en a vu un exemple à Ibos. La charnière des XIIIe-XIVe siècles est marquée par la multiplication des affièvements collectifs de terres hermes, les plus anciennes initiatives de bornages, et les premières manifestations de la longue chaîne des conflits de limites inter-communautaires231. La logique malthusienne qui se fait jour à la veille des crises démographiques du XIVe siècle n'est pas la révélation à l'histoire d'un état des choses immémorial. Tout incite à y voir, au terme d'une phase de croissance un peu échevelée, une réaction de défense des maîtres de maison devant la perspective de saturation de l'espace agro-pastoral. Si on accepte un tel schéma, c'est donc à peu près simultanément, et de façon cohérente, que l'espace villageois se clôt et que la société des maisons se verrouille. Objectivement, sinon consciemment, il semble y avoir eu convergence d'intérêts entre le malthusianisme naissant des chefs de maison et le désir des seigneurs de stabiliser les unités de prélèvement. On verra ultérieurement que ce ne fut pas sans nuances ni, parfois, contradictions.
82Mais, à supposer que cette interprétation reste opératoire dans son économie générale, pourquoi la ligne de démarcation qui sépare les pays de droit Pyrénéen des pays d'obédience « garonnaise », telle que l'a restituée Jacques Poumarède, est-elle aussi sinueuse232 ? Car on la voit, à l'ouest, pousser jusqu'à l'Adour, puis reculer jusqu'à la latitude de Lourdes, remonter franchement la vallée de Campan, pour revenir au débouché de la vallée d'Aure. L'hypothèse basque, généralement avancée, n'épuise peut-être pas la question233. Hypothèse pour hypothèse, la mienne est franchement historicisante, sans être pour autant antinomique de la première. Le facteur déterminant ne serait-il pas le rapport de forces qui existe entre le monde des vallées et les villes du plat pays au moment où se fixent les coutumes successorales, à la charnière des XIIIe et XIVe siècles ?
83C'est en Béarn que ce rapport est le plus favorable aux montagnards chez lesquels on l'a vu, les indices attestant le fonctionnement d'un système à maison « classique » sont les plus précoces234. Se jouant des difficultés diplomatiques du moment, Aspois et Ossalois institutionnalisent leur transhumance à travers la grande lande jusqu'au Bazadais235. Humiliant les communautés paysannes du piémont, les Ossalois imposent leur domination sur les landes du Pont-Long, et commencent à coloniser le bourg de Pau qui en assure le contrôle ; principaux soutiens de la régente Jeanne d'Artois – une étrangère – les Ossalois lui imposent une politique toute en leur faveur236. J'incline à replacer ce dynamisme dans la perspective d'une croissance « montagnarde » qui se serait diffusée de l'est vers l'ouest de la chaîne237. Il n'y aurait rien d’invraisemblable à ce que ces guerrières républiques de chefs de maisons aient exercé une influence institutionnelle sur la vicomté, au moment même où celle-ci se dote, avec Gaston VII, d’une armature étatique. Le fait d'avoir lié la concession aux bourgs du for de Morlaas à l'adoption de la règle de promogéniture assortie du privilège de masculinité, n'est sans doute pas étranger à une volonté de militarisation des hommes libres du piémont238. Et l'actif notariat béarnais dont l'influence s'étend jusqu'au-delà des frontières de la vicomté a vraisemblablement contribué à assurer « la conversion de la norme en produit social »239. Du reste, le modelage par les seigneurs des pratiques successorales paysannes dans le sens d'une restriction de la liberté constitue rien moins qu’une anomalie : on a récemment pu mettre en lumière un processus de même nature sur l'autre versant des Pyrénées240.
84Rien de tel dans la Bigorre contemporaine, qui se débat dans les incertitudes dynastiques. Les activités de transhumance n'y sont certes pas absentes241, mais on n’observe aucune emprise significative de la « république valléenne » du Lavedan sur le piémont242 ; ce sont au contraire les bourgs du plat-pays qui partent à la conquête d'espaces pastoraux jusqu'au cœur de la montagne243. Quant à la vallée de Campan, sa soumission à la domination de l'actif bourg de Bagnères va naturellement de pair avec l'effacement du droit coutumier devant le droit écrit244. Enfin, si la vallée d'Aure a pu rester fidèle au régime coutumier de primogéniture, les vallées plus orientales sont nettement sous l’influence du droit écrit venu du Languedoc.
85Mon interprétation bouscule, certes, le schéma généralement admis : la forme de primogéniture qui prévaut dans le piémont ne résulterait pas de l'amoindrissement d'un régime d'aînesse intégrale primitif, mais d'un raidissement des pratiques relativement souples prévalant jusqu'alors245. Pour autant, cette interprétation n'exclut en rien l'influence des substrats favorables au système de la famille-souche qui, on n'a sans doute pas fini d'en débattre, seraient la marque de la population basque, et/ou le corollaire d’une économie pastorale de montagne.
Notes de bas de page
1 ADG, I 377 : Guillaume Entensa et dame Brunissende de Labarthe, fille de feu Guillaume, sire de Labarthe, concèdent à Bernad de Labartère, chevalier, en récompense des services par lui rendus, le casal de Bivent et celui de Mestugnan.
2 Ibid. :... casalia seu casalagia sunt inter adjacentias infrascriptas, scilicet casale de Bivento est inter rivum seu flumen de la Gessa et viam seu poggam publicam quam itur versus de Gensiaco conveniens versus lana de Boc de duobus partibus et inter rivum de Berneda ex aliis duabus, et casale de Mustinhano est inter castrum de Sancto-Lupo et castellum de Basordano ex duobus partibus et rivum de la Berneda ex aliis duabus...
3 Ibid. : (Les donateurs renoncent à leurs droits sur) homines et feminas cum eorum progeniebus, casalagiis et tenensiis, edificia, bastimenta vel domorum localia, orti, casalia, vinee, prata et pascua, nemora et barte cum terris in quibus sunt terre culte vel inculte, atque molendina seu molendinaria, quista, oblia et omnia alia jura corporalia et incorporalia.
4 ADHG, Br 4 165 : selon la monographie communale de 1886 le village est constitué d'une partie centrale comptant 130 habitants répartis en 32 maisons, et du hameau de Mestugnan où vivent 68 habitants dans 19 maisons. La toponymie suggère que Mestugnan est l'héritier d'un établissement d'origine ancienne qui, avant la concentration de l'habitat du XIIIe siècle, ne devait guère se distinguer en importance des établissements voisins établis sur la crête d'interfluve entre Gimone et Gesse : Gensac, Saint-Loup, Bazordan.
5 Larcher, Glanages : la plupart des pièces du cartulaire nous sont connues par les analyses et transcriptions effectuées dans le tome 5, pp. 117 et suiv. ; cependant plusieurs autres documents figurent dans les tomes 4 et 6.
6 L'espace couvert par les actes dessine une vaste diagonale d'une cinquantaine de kilomètres entre Vic-Bigorre et Vic-Fezensac.
7 La paroisse semble être le cadre le mieux fixé : Glanages, t. 4, p. 383 (no 55) ; t. 5, pp. 289-290 (no 85) ; t. 5, p. 307 (no 90), mais il s'en faut de beaucoup pour qu'un réseau paroissial couvre en continu l'espace considéré. Plus rarement, on trouve le locus et la villa, difficiles à situer mutuellement (ibid., t. 5, p. 167, no 41, locus de Arras et villa de Pomareda), et cette remarque vaut pour le territorium castri (ibid., t. 6, p. 64, no 22 : casalis in pertinenciis castri de Sancto Christoforo). Pour le reste, l'incertitude est rendue par la fréquence du recours aux copulatives et, et surtout seu, pour désigner les biens en jeu dans les actes : castrum seu villa, ou bien castrum seu villarium (ibid., t. 6, p. 15, no 8 : castris seu villae de Julhaco ; castrorum...seu villarium de Julhaco et Torduno) ; terra seu villarium (ibid., t. 5, p. 286, no 83 : terris seu viltaris de Caumonte et de Bergonho) ; affar seu territorium (ibid., t. 6, p. 183, no 72) ; casal seu terra (ibid., t. 5, p. 302, no 89 : casale seu terra d'Aran).
8 Pouylebon, canton Montesquiou, dép. Gers.
9 Larcher, t. 5, pp. 270-272 (no 76).
10 Ibid. t. 6, pp. 390-391, no 58 : 1329, partage de la dîme entre le sire de Montesquiou et l'abbaye.
11 L'objet des deux actes étant différent, on ne peut exclure l'existence d'une église dès 1279. Peut-on postuler l'existence d'un territoire paroissial de La Cépède incluant un casal de ce nom ? Le fait est peu plausible, puisque les quatre casaux décrits en 1279 paraissent à peu près jointifs.
12 Dans le cadastre moderne de Pouylebon de 1735, ADG, C 208, passim, ce casal se perpétue sous la forme d'un quartier ou lieu-dit « La Sépète », émietté en plusieurs petites parcelles, qui correspond à une partie boisée du terroir.
13 ADPA, Ossenx, FF1 ; cf. B. Cursente, « Une populatio béarnaise en quête d'église... »
14 ADHG, H Malte, Montsaunès I, liasse 1,12 : en 1245 Guillaume de Montégut fait donation de ce casal cum omnibus pertinenciis suis scilicet cum hominibus et mulieribus presentibus et futuris, cum terris cultis et incultis, pratis ac pnscuis, aquis et omnibus aliis juribus pertinentibus predicti casali ; v. aussi ibid, liasse 1,18 (abandon de ses droits par le comte Bernard de Comminges en 1254).
15 ADHG, Monographie communale de 1886, Br 4 516 : à la fin du XIXe siècle, le village de Saleich apparaît comme une confédération de douze hameaux, dont six majeurs ; le plus peuplé est Saleich-Vieille (194 habitants), suivi du Château (175 habs), Gérus (100 habs), Montégut (76 habs), Chac (45 habs), Artiheguère (38 habs).
16 Voir ci-dessus fig. 3, p. 40. Tout ce secteur du Couserans se caractérise par un habitat en hameaux, souvent déconnecté des églises, et au nom parfois dérivé de casal : c'est le cas de Francazal, distant de 500m de l'église, ou encore de Cazaux, hameau de Cazavet, localité « mère » distante de 1 km où se trouve l'église paroissiale.
17 Voir ci-après l'exemple de Moulis, chap. 7 et chap. 8.
18 Cf. l'exemple du village polynucléaire béarnais de Sainte-Suzanne que j'ai analysé dans « Église et habitat en Gascogne. Quelques aspects topograpiques », dans L'environnement des églises et la topographie des campagnes médiévales, Paris, 1994, pp. 122-131 : ce village est demeuré jusqu'à la Révolution une sorte de fédération de communautés de quartiers qui sont les héritiers directs de villae attestées au XIIe siècle.
19 Un des exemples les mieux documentés est celui du hameau de Seuveméa, dans l'actuelle commune béarnaise d'Arrosès : au XIIe siècle dans le cartulaire de Madiran, apparaît un casal de Seuveméa, lui même composé de six casaux mineurs (et. supra, chap. 3, p. 114) ; en 1385, ce casal s'identifie à une seigneurie qui correspond à une micro-communauté de six feux.
20 Une première étude de cette affaire a été faite par R. Escafit, « L'affranchisement des hommes de Tabaux », dans Bull. Soc. Arch. Gers, 1950, pp. 308-315.
21 Glanages, t. 5, pp. 157-159, no 38 ; pp. 185-186, no 51.
22 Ibid., t. 5, pp. 298-300, no 88.
23 Ibid., les bénéficiaires sont Vitalis de Tabautz, Joannes de Tabautz, Guillelmus de Tabautz, Vitalis Pauquet, Petrum de Tabautz junior. La franchise les libère des cens, queste, service, dus en raison du casal pour la somme de 4 sous morlaas et une conque d'avoine annuelle à la Noël, en leur reconnaissant de larges droits d'usage pastoraux dans le domaine de Serembat et en leur donnant le droit de diviser librement le casal entre leurs héritiers.
24 La question la plus difficile à élucider est celle du rapport qui existe entre la villa de 1265 et le casal de 1282. Aucun indice dans le restant du texte ne permet de penser que le casal constitue une entité découpée dans la villa (hors du casal, les hommes se trouvent directement dans « le détroit du Serembat », un espace boisé d’environ 1400 hectares où ils ont des droits d'usage, conjointement avec d'autres « voisins »). Par ailleurs, par leur cognomen, les bénéficiaires paraissent s'identifier totalement avec le lieu de Tabaux. J'incline donc à penser que l'intégration organique de la villa au districtum donuts Sarambati s'est traduite par sa réduction en casal sous la conduite d'un groupe familial chargé de service. C'est à ces responsables que doivent correspondre les cinq bénéficiaires de la charte : des notables, à la tête de toute une mesnie (familia) dont les intérêts sont explicitement pris en compte. Par contre, à aucun moment il n'est fait allusion à des personnages qui pourraient être leurs propres censitaires, les « hommes des hommes », en somme, mais cet éventuel prolétariat était le premier intéressé par un établissement en castelnau ou en bastide, en sorte qu'il paraît logique de ne plus le trouver présent dans le casal. Le mouvement de désertion du casal semble d'ailleurs bien engagé comme le suggère la clause prévoyant le retour à l'abbaye des biens abandonnés. En tout état de cause, il devait s'agir au départ d'une très petite communauté si on en juge par l'exiguïté de l'église romane de Tabaux (cf. P. Mesplé, Les églises romanes du Gers, Auch, 1989, no 38).
25 Dans un rayon de sept kilomètres et demi, s'est développé l'important bourg de VicFézensac et se sont mises en place les enceintes villageoises de Pléhaut, Herrebouc, Biran, Le Brouilh, Bazian, Tudelle, Caillavet, Roquebrune, Préneron, tandis que la bastide de Barran (fondée en 1279) n'est distante que de vingt kilomètres.
26 BM Auch, ms 56 : en 1303, il fut procédé au réencadastrement de la bastide de Barran, fondée en 1279. Parmi les tenanciers on trouve un Arnaldus Porquer cum Johanne de Tabaus qui tient une place, et plus un loin Johanes de Tabaus qui en tient une autre ; il semble s'agir d'un même personnage, ce qui serait l'indice d'une installation suffisamment ancienne pour acquérir deux maisons.
27 ADPA, E 2216 (copie de 1691, la plus fréquemment citée) ; 1J 142/4 (transcription d'érudit de la précédente), et 1J 550 (copie moderne plus complète, de 1656).
28 Sur les « esterlos » béarnais, cf. ci-après, chap. VII.
29 Pour les Marsainhs, le texte dit ceci : « E dee e assigna aus maysoees e aus francx deus Marsanhs d’Audaux per carrera forada au for de Morlaas deu terrador deus Marsanhs d'Audaux entro a Sent Andreu e de Forcbilh entro a Mirassor, tot aixi um es dentz lo poblat deux Marsanhs d'Audaus en lor proprie terre e no en la d'autruy ».
30 ADPA, 3J/38, charte de 1311.
31 La pièce 1J/550 est une transaction entre le sire d'Audaux et les « besis deus Marsanhs d'Audaux » dans les années 1656-1679.
32 ADPA, E 2255 (copie authentique de 1691).
33 Contrairement à Audaux, il n'existe aucune hésitation dans la terminologie : la strate dominante des « casalers », maîtres des maisons, s'oppose au groupe des « botoys francs » ; nous retrouverons, au chapitre suivant, ce cas de figure dans le Montanérès.
34 Malheureusement, le nom de la plupart des maisons citées comme limites de la zone de franchise s'est perdu ; sur les sept qui figurent dans la charte de 1308, seules deux (Fourcade et Anglade) se retrouvent dans le livre terrier de 1671 (Arch. Com. Jasses).
35 Ibid. : « non sien tiengutz de mudar lours hostaus far arrue ny barrail en carrere aforade sy nos volent abans, que ayen e tienguen e possedesquen per touts temps lours barrails, lours parguies, lours femers en carrere ou fore carrere ».
36 On considère qu'en Béarn l'octroi du for de Morlaas constitue pour une communauté un privilège par excellence... Mais le fait d'en bénéficier sans se plier aux normes d'habitat qu'il implique ne constitue-t-il pas un plus grand privilège encore ? (cf. aussi les deux chartes de Cardesse de 1324 et 1332, publ. par M.-V. Duval, Monein..., pp. 28-32).
37 Cf. P. Freedman, The origins of Peasant servitude... ; L. To Figueras, « Le mas catalan du XIIe siècle... »
38 ADPA, E 948. Voici, par exemple, la teneur d'un de ces actes (1326) : « Conegude cause sie a totz que Bd d'Aster de Lobieng reconego e autreya estre home serp e questau den W.R. senher de Clavarie, e tier lo loc e casau d'Aster de luy e de soos antessedors, prometo e autreya lo dit B. que de jus luy ne sa senhorie nos partira, e se partit sen ere, tornara de jus son poder e de jus sa senhorie per III dies quen requerit sera, eg e las fidances de jus dites estan en Bearn, astan fore de Bearn per IX dies ; ensera boo, leiau e fideu en pene e sentz pene de CCC s. de morlaas, se aus dits temps tornat no ere ; e per tier e complir com dit es, au na dat fedexs, so es de tier, complir a fidances e pagadors de pagar los dits CCC s. de morlaas, Ar. de Monpeiros de Lobieng, Santz de Faurie, Ar. de Feriot de Mondran... » Ces actes de la pratique sont bien sûr à rapprocher des dispositions relatives aux serfs contenues dans les For de Béarn, publ. Ourliac, For Général, no 228, 229 ; Juges de Morlaas, no 194, 195. Dans cette dernière rubrique, est stipulé le droit qu'a le seigneur de faire prêter serment aux cadets dont il redoute le départ et d'exiger d'eux des cautions. Or, dans le texte ici reproduit, il s'agit bel et bien d’un maître de casal. On se trouve donc à un moment où répression signeuriale est allée au-delà de ce qui a fini par être considéré comme légal. On vérifie une fois encore tout le profit qu'il y a à mettre des documents de la pratique (fussent-ils en faible quantité), en vis-à-vis des textes normatifs (fussent-ils d'une grande autorité).
39 « Per razo de miases e de semlantz de dar domnage sober lo cors deu dit Ar. Wet, per so car lodit B. sen vole anar ab sa molher e ad sa companhe e ab las causes deu cazau deu dit senher de Claverie ».
40 En vis-à-vis des textes béarnais des années 1280-1320 octroyant à certains casaux le privilège du for de Morlaas, d'une part, et de ceux qui durcissent le servage de certains autres casaux, d'autre part, voici un autre acte de la pratique contemporain (daté de 1312), conservé aux Archives des Pyrénées-Atlantiques (1J 1571), qui atteste la tendance au découplage casal-servage et à la banalisation du casal comme censive. Il s'agit de l'expédition originale, sur parchemin, de l'acte de concession à fief, par Bernard, sire de Gayrosse, du casal d'Estrebou d'Arros, à Arnaud d'Aubertin « ciu (tadan) » d'Oloron. Ce casal, concédé « franquement » moyennant un entrage de 300 sous parisis, et un fief de 3 sous morlaas, est un vaste domaine de 70 journaux (soit plus de 20 hectares), composé d'une quinzaine de pièces de terre : vastes parcelles de 5 à 13 journaux, et étroites lanières ou correias (« courrèges »). Rappelons qu'au XIVe siècle la grande majorité des exploitation agricoles béarnaises ont une superficie inférieure à 20 journaux, cf. Tucoo-Chala, Gaston-Fébus..., pp. 171-172.
41 J.-B. Marquette, « Hommes libres et hommes francs... » ; Id., Les Albret, V, pp. 843-861 ; Id. et J. Poumarède, « Les coutumes de Brassenx... » ; Id., « Les pays de Gosse, de Seignanx et de Labenne... » ; Id., « Un Castelnau en terre de franchise au XIIIe siècle... : Labouheyre ».
42 J.-P. Trabut-Cussac, L'administration anglaise en Gascogne...
43 Ch. Bémont, Recogniciones... ; Ch. Higounet, Histoire de l'Aquitaine..., p. 185.
44 Recogniciones : la prévôté de Saint-Sever occupe les items no 51 à 173 ; j'en ai retiré ceux qui ne constituent pas un acte de reconnaisance (n°51, 71, 132, 135 et no 137 à 173) ; restent ainsi 83 reconnaissances de droits détaillées.
45 N'ont été retenus que les biens les plus fréquemment cités ; on trouve aussi villa (no 70), barrium (no 92), locus (no 107), terra (no 115, 136), viridarium, vinea (no 63), sans compter tout ce que peut recouvrir la formule Quidquid habet. Notons que certains des castra sont possédés par fraction, et que j'y ai inclus la motte de l'item 75. Par contre n'ont pas été agrégés aux casaux les 3 « capmas » qui sont déclarés aux no 109, 115, 134).
46 Seulement à 4 reprises.
47 Lorsque la condition des feudataires est spécifiée, il s'agit le plus sovent de milites (6), de damoiseaux (9), de bourgeois de Saint-Sever ou Mont-de-Marsan (5).
48 Dans 13 cas ; le maximum est atteint par Bernard de Vignau, chevalier qui reconnaît tenir 25 casaux dans la paroisse de Castandet (no 101).
49 Dans 17 cas ; avec une dispersion maximale sur 4 localités (no 83,107, 129).
50 Telle milicia comporte 3 casaux (no 93, 98), telle autre 4 (no 99), telle autre au moins 7 (no 84). Sur la caverie landaise, à une époque plus récente, cf. F. Hirigoyen, « Les seigneurs caviers de la vicomté de Maremme », Bull. Soc. Borda, 1975, pp. 389-311.
51 Ibid., no 62
52 Ibid., no 64, 94, 95, 101, 116.
53 Ibid., no 129.
54 Ibid., no 83,133.
55 Ibid., no 121.
56 Ibid., no 63.
57 Ibid., no 68 (domum suam de Trabassat cum pertinenciis suis) ; no 75 (domum et totam parochiam de Ricau).
58 Ibid., no 80.
59 Ibid., no 212 à 364.
60 En considérant que les no 246, 247, 248, comportent en fait, respectivement, 28, 14, et 14 articles, on pointe le casal dans 16 articles sur 205, soit seulement 8 %.
61 Ibid., no 253, 338.
62 Ibid., no 218 : excepto uno bordili cum casali.
63 S. Lavaud et F. Mouthon, « La maison rurale et l’exploitation paysanne... », pp. 17-19 ; S. Faravel, Occupation du sol et peuplement..., t. 2, pp. 336 et suiv.
64 Ibid., no 287, 330, 358, 363.
65 Il s'agit surtout des no 245 à 250.
66 On rencontrera ailleurs, notamment dans le Val d'Azun et le Montanérès, une organisation fiscale très comparable, ayant pour ressort un « pays ».
67 Soulignons bien ici la souplesse du système : ce statut de francales, ce système d'impôt de répartition valables pour tout le Bazadais, fonctionnent selon les localités sur des bases différentes. Dans la majorité des cas, ces hommes sont taxés pour quidquid habent in parrochia (avec indication d'exceptions ou au contraire de compléments) ; ailleurs pour des terres dont les confronts sont précisés, ou des estatges dont le nom est cité ; ailleurs enfin, à Cudos, (no 248-4, 7, 8, 9, 11, 12), le système fiscal repose sur le rouage du casal.
68 Ibid., no 248-7.
69 Ibid., no 248-4.
70 Ibid. : Guilhelmus et Galhardus et Johannes et Raymundus de Mauros predicti, et Menaldus de Mauros, tenent similiter casale de Mauros...
71 Ibid. : et pro his feodis debent ipsi feodotarii, de dictis. XXX. solidis solvere. IIII.s. annuatim, dictis termino et personnis, scilicet dictus W... XII. d., Menaldus XII. d., Johannes. XII. d., Galhardus. VI. d. et Reymundus. VI. d. Et sunt omnes casati in dictis feodis preter dictum Johannem.
72 ADPA, E 139, fol. 28, et étude d'ensemble de J.-B. Marquette, Les Albret..., V, p. 835.
73 Ci-dessus, note 41 ; je n'ai aucune réticence à reprendre à mon compte les analyses de J.-B. Marquette. Cette queste semble constituer un abonnement au servicium dû par les hommes libres mouvant directement du roi et qui, contraitrement à d'autres régions, a été consenti pour solde de tout compte. L'enjeu économique et social majeur est bien le droit de « perprise » reconnu aux voisins, soit la propriété des terres vacantes. C'est également celui, on l'a vu, des casaux.
74 Cout. Maremme, art. 30, reproduit ci-après.
75 J.-B Marquette, « Hommes libres et hommes francs... », p. 53.
76 Par exemple les hameaux d’Ordozon, Garros, Ahitce et Romatet à Tarnos ; cf. Marquette, « Les pays de Gosse... », p. 52.
77 Ainsi que le pense J.-B. Marquette, l’adjectif casati, « chasés », n’indique pas forcément un lotissement récent, mais le fait que la maison des tenanciers se trouve sur une terre domaniale.
78 Le caractère homogène et ambigu de ce groupe n’a pas échappé à J.-B. Marquette, ibid., p. 66 ; mon hypothèse permet de recouper le reclassement qu’on a vu s'opérer en d'autres régions de la Gascogne (notamment en Bigorre), où une partie des hommes libres a accédé à la chevalerie. Cette recomposition aurait laissé pour trace linguistique l'attraction paronymique du mot cavers (fondé de pouvoir, contremaître) par le vocable de cavarer (cavalier, chevalier) ; cf. X. Ravier, « Les actes en occitan du cartulaire de l'abbaye de Lézat », dans Mélanges de langue et de littérature occitanes en hommage à Pierre Bec, Poitiers, 1991, pp. 471-472.
79 Telle est mon hypothèse, qui, sans les contredire, va au-delà des analyses de J.-B. Marquette, à propos de Labouheyre, « Un Castelnau... », pp. 92-93 ; de façon générale, l'individualisation de l'impôt per domum constitue alors une tendance de fond, cf. par exemple les Rôles Gascons, t. II, no 387-388 : les hommes francs de Gosse et Seignanx acceptent le remplacement du droit d'aubergade par une redevance payable par chaque homme tenant feu vif (1278).
80 Cout, de Maremme, art. 30 ; cout, des Quatre Vallées, art. 35 : rappelons que cette seigneurie est un archipel composé des vallées d'Aure, Magnoac, Neste et Barousse ; en fait tout porte à croire qu'il s'agit d’une concession initialement destinée au seul comté d'Aure. Voici le texte occitan de l'art. 35 : « Tout habitant de la val d'Aure pot e posca tenir e possedir casalatges et locs de maison en la terre en diverses locs entre al nombre de nau, et daqui en bas qui poudera contestar ou acquerir, et que nou sio tengut de y demourar ny fer residence, si non en la une ou mes lou plaira, ne pousca estre compellit de plus ».
81 Il importerait bien sûr de connaître le mot qui fut traduit par « métairie » et que je suppose être casal.
82 Cf. F. Marsan, « Le censier du prieuré de Sarrancolin de 1307 », dans Rev. des Hautes-Pyrénées, 1930, pp. 139-150 : dans la paroisse de Beyrède la dîme des blés n'est pas due par la communauté, mais par trois casaux (Lo casalaige de Ramon Casau..., lo casalaige de Bazus..., lo casalaige de Arnaud Guilhem de Bagen).
83 ADPA, 66J 1 et 2, épaves d'un notaire de Bilhères d'Ossau publiéés par B. Chéronnet, « Une société hiérarchisée à Bilhères d'Ossau au début du XIVe siècle », dans Documents pour servir à l'histoire du département des Pyrénées-Atlantiques, année 1984, pp. 5-21. Ces documents concernent la période 1306-1331. À titre d'exemple, le plus ancien est un acte d'affranchissement par lequel N'Arnaut et son épouse Marie, « seigneurs » du lieu d'arribe ont donné à fief à Arnaud de Partariu et à son lignage la place et « botoy » de Partariu ; moyennant un cens annuel de 5 sous morlaas et un entrage de 400 sous, les preneurs tiendront désormais ce lieu franchement.
84 Cf. la charte de Montcorbau de 1279, publ. par F. Valls Taberner, Privilegis i ordinacions de la Vall d'Aran, 1915-1920, réed. Barcelone, 1987, p. XXV, no 2, reprise et analysée par S. Brunet, Les prêtres des montagnes..., t. 1, p. 120 : Notum sit... quod XV casals de Montcorbal... an establida tor comunal sobre casa per defendre les los causes...
85 Cart. Bigorre, ms Bordeaux, fol. 7 v° (début du XIIe siècle).
86 La géographie des mottes paraît être un bon indicateur de l'extension de la première vague de féodalisation ; selon J.-B. Marquette elles semblent absentes des pays de Gosse et de Seignanx (cf. Les pays de Gosse..., p. 69, note 171), et G. Pradalié observe qu'il en va de même, à quelques exceptions près, dans les Pyrénées (cf. « Petits sites défensifs et fortifiés en Midi-Pyrénées... », dans Aquitania, Suppl. 4, pp. 133-134).
87 Il s'agit d'un thème familier à l'historiographie allemande et italienne ; cf. T. Mayer, « Die Königsfreien und der Staat des frühen Mittelalter », dans Vorträge und Forschungen, Constance, 1963, t. II, pp. 7-56 ; G. Tabacco, « I liberi del re », Spolète, 1966.
88 AN, JJ 12.
89 Excellente mise au point sur les bastides de la Bigorre par J.-F. Le Nail, Bigorre et Quatre Vallées..., t. 1, pp. 63-66 ; liste des bastides donnée par M. Berthe, Le comté de Bigorre..., p. 49 ; la rareté des peuplement castraux organisés de type « Castelnau » a été vérifiée dans divers mémoires de maîtrise soutenus à Toulouse-Le Mirail (notamment ceux de P. Bernigolle, A. Charniguet, F. Guédon, F. Vidaillet, S. Vignau, donnés en référence chap. 4 note 19).
90 On trouvera une bonne présentation critique du document dans M. Berthe, Le comté de Bigorre..., notes 52 et 123, pp. 188-190 : 1) l'enquête qui porte sur 291 localités, n'est pas complète, avec notamment pour fâcheuses lacunes le castrurn de Lourdes et la bastide de Rabastens, outre quelques autres localités mineures ; 2) défaillance de zèle, faute de temps, ou d'une bonne collaboration des population, les enquêteurs n'ont pas toujours fourni des renseignements tout à fait complets ni homogènes. Pour certaines localités, ils ont semblé attendre un complément d'information qui n'est pas venu (par exemple à Antin, fol. 86) ; pour d'autres ils ont dû se satisfaire d'une déclaration sous serment plutôt sèche (ex. à Chèze, fol. 2 : et nihil aliud). Enfin, s'ils sont souvent en mesure de détailler les devoirs, pour plusieurs localités ils enregistrent forfaitairement les reconnaissances faites par les habitants « pour le cens de tout ce qu'ils tiennent du roi » (notamment à Mauvezin, fol. 65-66) ; 3) seules les 80 localités relevant du domaine direct, outre, dans une moindre mesure, celles dont le comte est coseigneur, font l'objet d'une énumération des biens imposables ; dans les autres, exception faite des villages du val d'Azun (fol. 13-17) ne sont rappelés que les droits de nature politique ; 4) c'est seulement de façon partielle qu'on peut « animer » cet instantané, en utilisant les informations contenues dans le cartulaire de Bigorre (qui s'arrête vers 1270), et celles des premières enquêtes administratives de 1285 et 1300, des sources beaucoup moins complètes et détaillées que les DRN.
91 L'analyse bute notamment sur le fait qu'existent trois sortes de localités : 1) celles où le casal est systématiquement présenté comme une sorte de personne morale, indépendante de l’identité de celui qui le tient (ex. : casale de Campis pro censu) ; 2) celles, au contraire, où le cens est toujours dû par une personne au titre de son casal (ex. Dominicus Binhola pro censu casalis sui de Binhola) ; 3) les localités, enfin, où on trouve concurremment, et en des proportions diverses, ces deux sortes de désignations des sujets fiscaux. La question est de savoir dans quelle mesure, lorsqu'il n'est pas explicitement désigné comme tel, le casal reste cependant sous-entendu, et dans quelle mesure ces hésitations sont purement et simplement imputables à la fantaisie du scribe. Certaines occurrences portent à le croire (par exemple à Avezac, fol. 77, où on relève la formule quilibet homo vel femina exceptis casale de...) ; mais d'autres attestent que ce distinguo est opéré en pleine conscience (notamment à Arrens, fol. 13 : homines, casalia et hospicia). En considérant tant le statut des uns et des autres, que la lourdeur de la charge fiscale, je n'ai pas trouvé le critère qui les différencie de façon décisive.
92 À Trébons (fol. 50v°) : Item dicta communitas, excepto casale de La Sala teneturfacere...pro quirida octuaginta sol. morl. ; item dicta communitas, excepto dicto casale de La Sala tenetur facere pro questa... centum sol. morl. On peut relever bien d'autres exemples de ce type, notamment aux seuls fol. 61-62, à Batsère, Fréchendets, Lahitte.
93 Ibid., fol. 9-10 ; à la suite de la déclaration de Marie de Sainte-Marie (anthroponyme remarquable), un seul autre item, la déclaration de même nature d'Arnaud de Salette pour le casal de Castagnon. Manifestement, cette minuscule communauté de montagne (dans l'Extrême de Salles), est totalement dominée par ces deux maisons qui médiatisent les autres. Ces deux casaux ne sont plus cités dans la liste des 12 capcasaux que donne le censier de 1429 (fol. 113-114).
94 Ibid., fol. 75v°.
95 Lejosne, Dictionnaire topographique, s. v. ; Caharet était avant 1830 une dépendance de Ricaut ; selon Soulet et Le Nail, Bigorre et Quatre Vallées..., t. 2, pp. 683-684, ce village, créé entre 1793 et 1801, paraît avoir englobé une partie de Pouts, village déserté au XIVe siècle.
96 Ibid., fol. 86.
97 Ibid., fol. 118.
98 Ibid., fol. 125 v° : Item indomendiatura casalis de La Cort tenetur facere [...] cum suis hominibus [...] pro arciut VIII sol. IIII d. mort. Prout bec omnia, predicti Petrus Fabri, Johanes de Marcasus, et Petrus de La Cort quantum ad deveria communitatis predicte et Benedicta de La Cort quantum ad deveria dicte indomendiature, jurati ad sancta Evangelia testificati fuerunt. Item dictus Cassias Arnaldi de Cucurone, dominus dicti loci de Syarroy, juratus...dixit quod ipsum tenetur facere exercitum et ordam [...] jus et legem. Item annuatim, in festo Omnium Sanctorum, pro arciut XXV sol. Morl. quos solvunt et solvere consueverunt homines dicti loci, pro ipso videlicet casale de La Cort tertiam partem, et residuas duas partes homines predicti...
99 Livre Vert de Bénac, pp. 144-152 (1339) : le « casal franc » est assimilé à une maison seigneuriale (le seigneur ne peut établir qu'une fromagerie simple « que no sie de mazoo d'orde, ne de chivalerie, ne de casau franch »).
100 Ibid., fol. 1 (Luz,) fol. 2 (Saint-Martin), fol. 4 (Esterre, Viey), fol. 8 (Nouilhan), fol. 14 (Marsous), fol. 49 (Campan)...
101 Ibid., fol. 139 (à Salles).
102 Ibid., respectivement aux fol. 3-4, 126, 155v°.
103 Ibid., fol. 77v°.
104 Ibid. fol. 119.
105 Ibid., fol. 140v°.
106 Ibid., fol. 3 : Item Sancius de Burgo tenetur facere dicto domino regis annuatim in festo Omnium Sanctorum pro censu unius vacalce (sic) ratione dicti casalis una cum coadjutoribus suis : V sol., I. d. morl, II presencins ; item agnum et gallinam. De quibus. V. sol. casale de Carreria tenetur facere annuatim in dicto festo : XII. d. morl. ; item casale de casalibus. VI. d. et obolem ; item casale de Solerio. V. denarii morl. ; item casale de Casanova. II. denarii morl.
107 Dans le censier de 1429, on retrouve un casal de Bore, seul dans le village à payer un cens de 5 sous ; pour ceux de Soler et d'Estrade aucune redevance n'est stipulée ; celui de Carrère est devenu autonome, et celui de Cazenave a disparu (ADPA, E 377, fol. 18).
108 Ibid., fol. 34 : à Labassère, on remarque une grande uniformité des 61 premiers items (chaque tributaire doit 12 deniers, deux quarterons d'avoine et deux poules), qui contraste avec les trois suivants. Il s'agit de trois casaux dits de Labassère-Vieille (Bassera Veteri), redevables chacun de deux sous. Tout donne à supposer l'existence, dans le centre primitif du village, d'un grand casal désormais scindé en trois unités (il s'agit probablement de Labassère-Debat, situé 1, 5 km au nord du bourg).
109 Ibid., fol. 13v° (Gez), fol. 47 v° (Campan), fol. 79 (Hitte)...
110 Ibid., fol. 5 v° (Casted-de-Vern).
111 Ibid., fol. 17 (Gaillagos), fol. 86r° (Mun : 22 deniers d'arciut à acquitter par deux personnages pro indiviso pour un casal tenu ambo).
112 Cart. Big., ms Pau A : deux listes de cens sont données, respectivement aux fol. 18 et 28. Examinons les données relatives à Marsous, la plus importante localité de cette vallée. Sur les 25 noms que comporte la première liste, 9, soit 36 %, sont homonymes (2 Abadia, 3 Bun, 2 For, 2 Davant Arriu) différenciés topographiquement (Debat, Meya, Dessus), ou simplement par le mot « l'autre » ; la seconde liste compte 23 noms, dont 9 homonymes (4 Abadia, 3 Bun, 2 Bezing), et deux tributaires doubles : Ams Comeds et Ams Antarius, ce qui porte à 13 le nombre des homonymes, pour un total de 25 casaux (soit 52 %). Le censier de 1313 (DRN, fol. 15) donne une liste de 29 casaux, dont 17, soit 58 %, sont homonymes (3 Bun, 4 Abadia, 2 Antariu, 2 Bezino, 2 Corned, 2 La Casa, 2 Manhac). On a là une stabilité fondamentale qui n'empêche pas le renouvellement ou les réajustements. Il en est de même pour les redevances. Soit les casaux d'Antarriu : dans la première liste chacune des deux unités de ce nom doit 3 sous, dans la seconde elles sont regroupées ; Ams Antarius acquittent alors 6 sous, soit le même charge en numéraire, mais augmentée de versements en nature (poule, agneau, porc) ; enfin, en 1313, les deux casaux d'Antariu sont à nouveau distincts et chacun acquitte 3 sous plus les redevances en nature. L'histoire des casaux de Comeds est quasiment la même, le paiement ambo du cens correspond à une phase transitoire.
113 Il y a là matière à une vaste étude qui n'a pas sa place ici ; je renvoie simplement à l'exemple ponctuel analysé dans la note précédente, et au développement que je consacre un peu plus bas au village d'Ibos. On notera cependant que les cognomina les plus valorisants semblent s'être particulièrement prêtés au dédoublement ; ainsi les Abadie (voir l'exemple de Marsous), et les Domec à Gaillagos (DRN, fol. 17), où on dénombre 4 Domeg sur les 8 casaux soumis à la queste.
114 Ibid., fol. 14.
115 Ibid., respectivement aux fol. 81v°, 90v°, 119v°.
116 On en verra des exemples en étudiant de plus près la liste de cens d'Ibos.
117 Ibid., fol. 36 v° : à Montgaillard, un certain Bernard de Vignes possède, en dehors de l'hospicium où il réside, un casal, plus un autre qu'il a acquis de feu Marie de Bernardo, un autre encore qui avait appartenu à Pierre de Biscaye, et enfin celui de Morzinc.
118 Ibid., fol. 28-29.
119 Ibid., fol. 115-118 (actuellement en Vic-Bigorre) ; exemples similaires à Camalès (fol. 118), Parrabère (fol. 119), Juillan (fol. 149-152), Azereix (fol. 152-154), Odos (fol. 170).
120 Par ex. à Adé (fol. 28-29), où on dénombre 29 casaux et 12 autres foyers fiscaux.
121 Par ex. à Larreule (fol. 120v°-122v°).
122 L'ajout de la formule cum pertinenciis suis semble désormais nécessaire pour désigner un casal « à l'ancienne » ; par exemple à Vic, fol. 89-114, passim, on distingue ceux qui sont tributaires pro censu casalis sui, et ceux qui le sont pro censu casalis sui et terrarum dicti casalis, voir aussi Larreule, ibid., fol. 120-121, et Odos, fol. 168.
123 Ébauche de censier du début du XIIIe s. : cart. Big. ms Pau A, fol. 28-30 (le ms de Bordeaux ne comporte pas cette liste) ; les données de ce document ont été cartographiées ci-dessus, p. 64.
124 Le recoupement des données de l’une et l'autre source permet d'opérer la classification suivante : 1) vingt-et-une localités où le comte a perdu ses casaux, à la suite d'une aliénation formelle connue des textes (Andrest, Hughes), ou d'obscures transactions ou usurpations. Sont dans ce cas plusieurs petits villlages (Argelès, Artagnan, Bernac-debat, Bettes, Bouilli, Castillon, Gez, Lahitte, Leret, Loubajac, Lousourm, Luquet, Nouilhan), et diverses minuscules communautés disparues ou absorbées dans l'intervalle de temps qui sépare les deux enquêtes (Cotz, Prued, Molias, Montagnan, Sempeymarque, Soulagnet), parfois impossibles à identifier ; 2) onze localités où le comte a globalement maintenu, avec un statut identique, la totalité de ses casaux. C'est le cas des vallées fortement tenues par le comte : le val Surguière (Aspin, Omex, Ossen, Segus, Viger) et le val d'Azun (Arcizans, Arrens, Aucun, Bun, Gaillagos, Marsous) ; 3) huit localités où le comte a conservé, en gros, ses positions, au prix d'une modification ou d'une modulation des principes de prélèvement (Antaios, Banios, Batsère, Fréchendets, Marsas, Soulagnet, par le biais de l'amparancia) ; Vielte-Adour (avec albergata) ; Noudrest (substitution du seigneur aux divers tributaires) ; 4) vingt-trois localités, souvent assez importantes, où le comte a sensiblement étendu ses droits : par une acquisition au domaine (Orleix) ; en accroissant le nombre de casaux et en rationalisant leur gestion (Azereix, Baloc, Camalès, Ibos, Parabère, Vic) ; en modifiant sa fiscalité : introduction du fouage (Saint-Pé), de la « quirida » (Gayan, Ordizan, Salles-Adour), de l’« amparancia » (Avezac-Prat, Bernac-Dessus, Ossun, Ousté), conversion des redevances en espèces (Collongues) ; en y introduisant la queste (Adé, Azereix, Baloc, Camalès, Cieutat, Juillan, Trebons).
125 DRN, fol. 13 v°.
126 Les questaux des autres seigneurs n'apparaissent que fortuitement, par ex. fol. 10 (Ouzous), et 11-12 (Salles).
127 M. Berthe, Le comté de Bigorre..., pp. 134-139.
128 Un droit de formariage n'est spécifié que pour 6 tenanciers de Campan (fol. 46-50).
129 Ibid., fol. 81.
130 Ibid., fol. 46 : à Baudéan, les trois questaux sont chargés de 30 sous ; fol. 22 : à Ségus, les 9 questaux acquitent 100 sous.
131 Il s'agit des villages d'Arrens, Marsous, Aucun, Gaillagos et Bun.
132 On lit bien la formule universitas questalium et censualium, aux fol. 13 v° (Arrens), 15 (Marsous), 16 (Aucun), 17 (Gaillagos), 18 (Bun), 19 (Arras).
133 M. Berthe, Le comté de Bigorre..., p. 136, donne la liste de ces quatorze communautés.
134 Cart. Big., ms Pau A, fol. 30.
135 Enquête de l'année 1300, p. 55.
136 Sur ce point précis, ma lecture diffère de celle que propose M. Berthe, Le comté de Bigorre... p. 135 : selon lui, dans les communautés abonnées à la queste, seuls les questaux contribuent à cet impôt ; j'estime au contraire que la charge incombe à l'ensemble des habitants. Par exemple à Ibos, DRN, fol. 154, l'item dicta communitas tenet facere...pro questa septuaginta sol. mort, est formulé d’une façon strictement identique aux items qui énumèrent les autres charges acquittées collectivement. En outre, dans le Livre Vert de Bénac (publ. Balencie), p. 54, à propos de la queste d'Ossun, il est spécifié que : « tota la beziau de Ossu deu dar, per nom de queste...LXXX ss de morlas », ce qui lève toute ambiguïté.
137 Larcher, Glanages, V, p. 173, no 44.
138 Ibid., VI, p. 185, no 72.
139 DRN, fol. 66 v° : ravitaillement des collecteurs comtaux à Chelle.
140 Ibid., fol. 50 v° : remise le 25 mars d'un épervier par le casal de Correlh, à Asté ; rappelons que dans le cartulaire de Bigorre, un acte stipule l'obligation faite au sire d'Asté d'apporter chaque année, le 15 août un « esparbier de sens » sur l'ormeau du château de Lourdes, ou, à défaut, un cens de 6 sous (Cart. Big. ms Pau A, fol. 18v°). En 1313 cette obligation, tombée en désuétude, a donc été transférée sur le servicium d’un casal, en restant liée à une fête de la Vierge.
141 À Castéra-Lou, en 1330, le seigneur local tient les habitants comme servi et questales de corpore...pro libite voluntatis, et il est précisé que même après leur passage sous le régime des coutumes de Rabastens, ils continueront à acquitter les 5 sous de gîte coutumiers, Larcher, Glanages, VI, pp. 258-260.
142 Par ex. à Baudéan, DRN fol. 46 : Item, Yspanus de Baudeano tenetur facere pro dicto loco de Baudeano [...] pro arciut comestionem unius diei.
143 Ibid., fol. 66v° ; situation comparable à Goudon où chaque chef de famille paye une redevance pro albergata et franquali... exception faite de trois des quatre questaux de la communauté (fol. 79-82) !
144 Ibid. fol. 118 ; on trouve une situation similaire à Siarrouy, fol. 125.
145 Ibid., fol. 154-168.
146 À Gaillagos (fol. 17), on trouve, exceptionnellement, une ligne qui précise que questales et censuales constituent deux catégories bien distinctes : sequntur homines et mulieres dicti loci de Galhagos et casalia qui sunt aliqui censuales et questales, et alii questales tantum dicti domini regis... On verra qu’à Ibos, la queste, collectivement achetée, laisse subsister une catégorie de censuales soumis à des services particuliers (albergue).
147 M. Berthe, Le comté de Bigorre..., ne prend pas en compte le paiement de la quirida pour dresser son tableau du servage ; les deux mots ont pourtant le même étymon, et correspondent à deux étapes successives (la quirida est absente de l'enquête de 1300).
148 Voir les exemples d’Ordizan (fol. 51 v°), Cieutat (fol. 52), Poumarous (fol. 58)...
149 Notamment à Adé (fol. 28), Trébons (fol. 50), Juillan (fol. 149), Azereix (fol. 152)...
150 Par ex. à Mansan (fol. 83-84), où le seigneur acquitte pour le gîte 6 sous et un denier morlaas.
151 Il est d'abord une formule minoritaire qui présente l'hospicium comme sous-ensemble du casal : les habitants de Soulom sont tenus à une redevance en fromage exceptis hospiciis casalium de Fraxineto et de alio Fraxineto et de Domeg (DRN, fol. 9) ; si les enquêteurs n'ont pas simplement consigné exceptis casalis, c'est qu'il s'agit vraisemblablement de casaux polynucléaires, comportant plusieurs maisons. Plus fréquemment, les enquêteurs présentent le casal et l'hostau d'une part, le chef de famille, de l'autre, comme des entités distinctes mais sensiblement équivalentes, fiscalement parlant ; c'est le cas dans les localités du val d'Azun (ibid., fol. 13-15), ou à Vielle-Adour (ibid. fol. 138), où alternent des noms de chefs de famille et d'hospicia, également chargés. Ce qui est avéré pour hospicium vaut également pour domus : à Campan certains items réglementent le départ d'un enfant de la maison pour s'installer, pour raison de mariage, in alia domo seu casali ; on note cependant que, plus qu'hospicium, domus conserve son sens de siège d'un pouvoir majeur.
152 Par ex. à Espèche (fol. 60) ou à Goudon (fol. 81 v°).
153 Ibid., fol. 128-135.
154 Ibid., fol. 37-46. Sirmenage : redevance pesant spécifiquement sur l'unité d'habitation.
155 Pour des raisons exactes qui nous échappent, il s'en faut de beaucoup pour que toutes les cellules d'habitat se trouvent énumérées. Alors que l'enquête de 1300 évalue globalement à huit-cents le nombre de feux de Bagnères, dans le censier sont seulement énumérés cent trente deux hospicia, plus une trentaine de domus, casales, bordas. Tandis que le début du rôle est dominé par le cens des maisons, le prélèvement est à la fin opéré pro toto hoc quod tenet. Les hospicia eux-mêmes entrent dans un système de prélèvement complexe. Plus d'un tiers d'entre eux (quarante-neuf exactement) prennent place au sein d'un des treize agrégats fiscaux dont on peut analyser ainsi le fonctionnement. Ces unités de prélèvement, qui se composent de trois à cinq maisons, sont toutes redevables d'un cens de 9 deniers. À leur tête, un responsable chargé de la collecte. Lors du paiement du cens, à la Noël, celui-ci récupère un denier « pour le sel » (pro sale), qu'il distribue à ses « complices » – variante des « coadjuteurs » – au prorata des versements. Il est tentant de faire remonter cette clause à un lotissement primitif, mais, faute de pouvoir la recouper avec des documents contemporains ou plus tardifs, elle garde son mystère (cf. H. Sicamois, L'administration municiplae à Bagnères-de-Bigorre, Bagnères, 1930, p. 164 qui fait simplement état d'un droit de sel au XVIIIe siècle).
156 Ibid., fol. 5 ; cf. aussi Sillien, fol. 7.
157 En fait, la situation est probablement plus complexe. À Marsous (fol. 15-16), l'enquête énumère les huit casaux qui relèvent des trois autres coseigneurs, ceux qui relèvent du comte, et enfin dresse la liste de soixante-deux chefs de famille, non redevables, tenant feu dans le village : cinquante-quatre de ces derniers, au moins, ne relèvent ni du comte ni des autres coseigneurs. À Arrens (fol. 14), rien n'est moins sûr que la totalité des soixante-six hommes, non redevables du comte, qui tiennent feu dans le village dépendent d'un des quatre autres coseigneurs du lieu : en effet ceux-ci ne possèdent de droits que sur quelques hommes (quibusdam hominibus). Tout porte à croire qu'une partie ces habitants sont tenanciers de certains maîtres de casaux ; telle est en tous cas la situation qu'on observe encore à Arrens en 1429 (ADPA, E 377, fol. 76 et suiv.).
158 Le processus de dédoublement des casaux bien perceptible, on l'a vu, dès le XIIe siècle, encore actif au début du XIVe, semble relayé par l'essaimage de maisons hors du cadre ancien du casal. C'est ainsi qu'à Arrens (fol. 14v°), parmi les hommes tenant feu, on trouve 6 Arelhs, 6 Podio, 4 Fortic, 4 Prato...un hospicium maius et un hospiciutn minor de Saint-Vincent, un Bernard de Capdepont et un Bernard de Capdepont Junior.
159 DRN, Osmets, fol. 21, Segus, fol. 23, Ossen, fol. 24.
160 Livre Vert de Bénac, pp. 99-102.
161 Dans la nouvelle bastide de Sère, chaque foyer paie l'amparancia, tous les futurs « poblans » faisant feu devant faire de même (DRN, fol. 84), et dans les villages voisins de Jacque et Bernadets-Dessus les enquêteurs ont noté une clause semblable (ibid., fol. 83 et 85). Cela peut être de façon toute indirecte, ainsi à Benqué, où tout homme tenant feu et foyer est astreint à une corvée à l'enceinte du castrum de Mauvezin (ibid., fol. 75). A Ossun, l’amparancia est perçue sur chaque foyer (ibid., fol. 146), et à Saint-Pé de Geyres, les deux-cent quarante et un habitants faisant feu acquittent uniformément chaque année à la Toussaint 12 deniers tournois pro fogagio (ibid., fol. 29-32). Si on peut supposer qu'à Saint-Pé a joué l'expérience de « bastidor » du seigneur-abbé (bastide de Montaut en 1309), on est surpris de noter la percée de la fiscalité par foyer dans d'humbles localités comme à Boulin (ibid., fol. 141). Le castrum de Montgaillard est l'objet d'une fiscalité complexe, avec une majorité de prélèvements « forfaitaires » (pro toto hoc quod tenet), et quelques-uns assis sur une maison et une borde, une maison et un casal, voire sur des » places situées dans cette bastide » (ibid., fol. 34-36).
162 Ibid., fol. 78-79.
163 Larcher, Glanages, t. 1, pp. 34-39 : affièvement des défens (« bedat ») de Bordes et d'Artigue-sec ainsi que du bois des Plas, en faveur de la communauté de Bordes (1317). Cet acte, qui fixe une redevance d'une quartère de froment et d'une autre d'avoine sur chaque habitant habens... domicilium et fovens larem, stipule que les 22 habitants jadis venus de l'abadie d'Artigue-sec sont dispensés de la redevance en avoine, mais non des autres services. Sur le plan cadastral ancien de Bordes on ne discerne guère de traces d'un lotissement régulier.
164 Ibid., fol. 123, 124, 126, 127.
165 Le territoire communal actuel s'étend sur 1284 hectares.
166 Larcher, Glanages, t. 1, pp. 257-264 ; il s'agit du village de Castéra-Lou, dont le seigneur est, en 1313, Petrus de Astano, damoiseau (alors que dans le document de 1330 il est question d'un Petrus de Seano ; la différence de cognomen tenant probablement à une erreur de transcription de Larcher). Selon le censier de 1429 (ADPA, E 377, fol. 321), Castéra se trouve, de même que Lescurry, Lacassagne et Mansan, dans la juridiction de Rabastens, et doit au chef-lieu une contribution de 5 sous morlaas.
167 Larcher, Glanages, t. 1, p. 258 :...adeo quod habitatores eorundem locorum etiam essent eorum servi et questales de corpore et singulos questabant pro libito voluntatis (si on en croit les ratures du texte, Larcher a éprouvé quelques difficultés à déchiffrer ce passage).
168 Ibid., p. 263 : habitatores...sint liberi et quiti ab omnibus questis et aliis deveriis sicut et hommes habitatores villae de Rabastenxis...et derelinquant omnes terras quas tenebant et tenere consueverant hactenus in loco et territoriis predictis dividendas et distribuendas per consules villae de Rabastenxis...
169 Une seule étude monographique notable : E. Blanc, « Quelques notes sur Ibos », dans Bull, de la Soc. Acad, des Hautes-Pyrénées, 1931, pp. 41-143.
170 La collégiale fortifiée du XIVe siècle a oblitéré l’édifice antérieur.
171 Montre du comté de Bigorre (publ. Balencie), p. 101 : Ibos est décrit, avec Azereix, Juillan et Odos, comme castrum et villa... cum muris, portis, portalibus, pontibus, fossatis, antefossati, barbacanis et liciis...
172 On ne saurait affirmer que cette superficie est bien celle du terroir d’Ibos en 1313 ; en tout état de cause, Ibos a alors absorbé la localité de Bastilhac, encore autonome dans le cartulaire.
173 En 1818, les landes, bois et terres hermes occupent 48,5 % du teritoire ; cf. A. Zink, Azereix..., op. cit. p. 102.
174 Le ms de Bordeaux, comporte deux listes, soit A (fol. 12-13), et B (fol. 36) ; dans les ms de Pau, seule figure la liste A (fol. 7v°). Seul élément de datation : la liste B a été établie à l’initiative de dompna la condessa de Bigorra, ce qui peut renvoyer à plusieurs moments historiques différents (sous Béatrix I (vers 1090), Stéphanie (vers 1130), Béatrix III, (vers le milieu du XIIe siècle), Stéphanie, dite Béatrix IV (fin XIIe), ou Pétronille (première moitié du XIIIe s) ; cf., faute de mieux, J. de Jaurgain, La Vasconie..., t. 2, pp. 374-389.
175 À la fin de la liste A, on peut lire ceci : « aquesta es la carta des homes d’Yvos, e feron la escriure per los cens dreyts ciel senhor, e feron la far : Bernat Sabent, Ar. de Palhera, Ar. de Sen Sever, Johan de Prat, Bergogn, Aramon de Visbia, Ar. Brunet, Goientz, Bonel missecanta ; aquest an dit lo cens dreit assi com lo saben, e iuraran ag assi cum lo missa canta los ag esqueri » (ont été soulignés les noms qui figurent auparavant dans la liste des censitaires). Quant à la liste B, elle a été établie à partir du témoignage sous serment de 7 « arric homes » : A. d'Urag, En Beguer, B. de Sent Per, Emarii, B. de Badaa, En P. de Lorn, W. de Sent Sever.
176 Il s'agit de la liste B.
177 Le sens de ce passage n'est guère limpide ; le texte du ms de Bordeaux, qui donne la leçon la plus intelligible, est le suivant : « S. et Per (= Sent Per), W. Aner, Sent Sever, Sent Laurenz, deven dar arcieltz sengles. V. s. a mai usqegs, e L. conqueis de forment en agost usqegs, e senglas concas de pane, e sengles mois de civade granhage en agost ; Sancta Maria. V. s. a mai,. L. concas de froment,. I. conca de pane, I. moi de civada, gragnage en agost ». À l'exception de la seconde (texte peut-être mal compris par le copiste), ces abadies, d'après leurs hagiotoponymes, semblent correspondre à de très anciennes églises primitivement implantées dans un terroir polynucléaire.
178 Le casal de Claverie s'intercale entre les abadies et une liste des 11 casaux tenus à « tot servici » : « II. mois de froment, XVIII. d. per porc et per molto, I. moi de mil e. VI. panes, gragnage, pa far, e legna, e corade, e cavad albergar, e falz, e forca, e flaied ».
179 B. Sabent, Arnalt Palhera et Johan de Prat ; si on admet que chaque composante de la communauté se trouvait équitablement représentée parmi les 9 sages, on peut évaluer la population de l'époque à environ 80 feux.
180 On retrouve le casal de Prat, dans l'enquête de 1300, un casal de Sabent et de Palhera dans les DRN.
181 J'ai tenté d'établir le degré de proximité relatif de ces deux listes avec celle de 1313. Toutes deux utilisent une métrologie en muids abandonnée dans les DRN ; et on note que dans A les francs sont deux fois plus lourdement grevés qu'en B (20 muids contre 10). L'examen des noms est assez déroutant : certains noms de A, inconnus dans B se retrouvent en 1313 (Arrufad, Estrada, Bene, Bergonh, Juncar, Lane Casavant, Nogueres, Baiag, Porquer), mais le cas de figure inverse est aussi vrai (Cozie, Gai, Boueu, Poz, St Marti). Les noms communs aux deux listes sont ceux d’une majorité d'abadies (3 sur 5 : Sen Per, Sta Maria, Sen Sever), plus ceux de Clavaria, Blanx, Artmau, Urac. Au total, en ne comptant pas les noms figurant à plusieurs endroits d'un même document, ni celui du « missacanta », on observe que 22 des 52 noms de la liste A se retrouvent en 1313 (soit 42 %), contre 19 des 30 noms de B (63 %). L'indice le plus intéressant est à mes yeux le traitement des abadies. Deux des abadies de la liste A : W. Aner et Sen Laurenz, ne figurent pas dans les autres sources. Or, la liste A, qui donne toujours 5 abadies fait apparaître les abadies d'An Boos et d'Ibos. La première se retrouve vraisemblablement en 1313 dans l’abadie de Bono (fol. 161), et la seconde a eu à coup sûr pour héritière Saint-Laurent, devenue église paroissiale d'Ibos et collégiale. La liste A est donc en fin de compte peut-être la plus ancienne, et pourrait dater d'une époque où l'église Saint-Laurent ne s'était pas encore identifiée avec l'ensemble du village d'Ibos.
182 Enquête de l'année 1300 (publ. Balencie), pp. 45-47.
183 Larcher, Glanages, t. XXV, pp. 146-152 (accord de 1305 (n. st.), confirmé en 1326 : « los homes d'Yvos aven partids e apropriadz a lor mezeys los herms besiaux d'Yvos qui son deu seignor, e partidz a camps, e a pratz, e a vignes... »). Moyennant le versement annuel d'une redevance de 200 sous, les habitants ayant mis en culture de nouvelles parcelles se les virent confirmer comme des censives grevées de 2 deniers par arpent, et l'ensemble de la « vesiau » reçut la pleine jouissance du restant des terre hermes.
184 ADPA, E 283, publ. P. Lorber, « Traité de paix entre les communautés d'Ibos et de Pontacq, signé en 1311 », dans Bull, de la Soc. Acad, des Htes-Pyrénées, 1914.
185 DRN, fol. 154-168.
186 Il existe une légère marge d'incertitude en raison des possibles interprétations ou déformations graphiques qui n'auraient pu être décelées (il est clair par ex. que Rubeo équivaut à Larroy, Spodio à Espoey, Quercu à Casso, Coquina à Cozie, etc.).
187 Quelques uns renvoient à un village d'origine ou à un métier (Dominicus de Larbusto, Dominicus Arquerii...), d'autres, plus nombreux, sont formés sur un nom propre (Guilhelmus de Mondeta, Bernardus de Garsia Johan...) ; la majeure partie trahissent, par une précision chronologique (junior), ou topographique (« devant », « derrière », « dessus », « dessous » telle maison), le bourgeonnement de certaines unités domestiques (Johannes de Barra junior, Dominicus de Fraxino Inferiori, Petrus de Prato Darrer, Raimundus Porquivo Avant...).
188 Par exemple les Nulh, gros tributaires on l'a vu.
189 Par exemple les Jouclar (Joculatore) : dans les DRN apparaissent deux Raimond et un Guillaume portant ce cognomen ; dans la liste de 1311 figurent en outre un Arnaud et un Guillaume Arnaud.
190 Mes comptages ne m'ont pas permis de retrouver les 254 feux trouvés par M. Berthe, Le comté de Bigorre…, p. 37.
191 Il s'agit des abadies de Bono (fol. 161v°), Saint-Pierre (fol. 164) et Saint-Sever (fol. 164) ; on note l'absence de l'abadie de Saint-Laurent (déjà devenue église paroissiale d'Ibos).
192 Deux cas de figures dominent : les taxes dues pour le carnal sur les landes de Cognac, Bastillac, Lanafrigida, ainsi que le cens coutumier d'une poule et d'un agneau ; les autres redevances sont rares : cens d'un moulin, d'une vigne de terres (ex. fol. 157, Vital de Bovello. pro censu terrarum quas tenet a domino rege...XII conquas frumenti).
193 Ont notamment disparu les corvées de moisson avec « forca, e fals e flaied » (fourche, faux, et fléau) : indice d’un allotissement du domaine direct ?
194 Cf. dans la liste A les services de En Goientz qui doit conduire à Lourdes les messagers comtaux, et surtout celui du casal de B. Brunet qui « deu las toalhas lavar, e deu lo hom dar despensa cum a dus cavavers ».
195 Uniformisation qui se manifeste aussi par le nombre important de « devoirs » indiqués comme communs, en tête de l'enquête (fol. 154).
196 Le préambule précise cependant qu'en cas de surcharge des censuales la communauté des hommes francs devra assurer une nuit de gîte (fol. 154v°).
197 Il s’agit des abadies de Sen Per, Sen Sever et de Bono grevées d'une charge, qui contrairement à celle des casaux, est marquée depuis le XIIe siècle par une remarquable stabilité : 5 sous payables au mois de mai et un cens de 50 conques de froment (dont le terme a été reculé du mois d'août à la Toussaint).
198 Soulignons cette ambiguïté fondamentale : tout le monde payant une taxe appelée cens, on ne peut ici, en toute rigueur, traduire censualis par censitaire.
199 La continuité onomastique entre les listes du XIIe siècle et celles des DRN conduit sans ambiguïté à voir dans les questaux les héritiers des tenanciers du XIIe siècle soumis au totum servicium, qui, on l'a vu, impliquait l'albergue. Or à Ibos, en 1313, ce sont les censualis qui sont redevables de ce service.
200 DRN, fol. 164v°.
201 Cart. Big., liste A : deux doublons sur les 34 censitaires : Estrada (Darrer- et Sus-), et Casavant ; la répétition de Forcade dans le ms de Pau me paraît relever d’une inattention du copiste. Pas de doublon dans la liste B. Ce comptage est distinct de celui de l’ensemble des cognomina figurant dans le censier.
202 Toirs cas de figure : 1) morcellement d’un casal lors d’une succession (processus dont on ignore les règles, en dehors du fait que les filles concourent pleinement à l’héritage) ; 2) installation sur un casal nouvellement créé, auquel a pu être donné le cognomen du casal d’origine (ex. au fol. 168) ; 3) installation sur un ancien casal dont le nom est supplanté par le cognomen du nouvel occupant. Dans 12 % des cas le nom du tenancier et du casal diffèrent : casal tombé en déshérence et repris par un individu non possessionné (fol. 166 et 167), casal fractionné entre plusieurs exploitations (fol. 156, 157 et 164 : casal de Na Azera).
203 Voici, entre autres exemples, ce Sabencius d’Arnaugay, qui est mis à contribution pro censu casalis de Casavant, alors qu’existe un casal de ce nom ayant à sa tête un Guillaume de Casavant (fol. 159 et 160) : s’agit-il de l’époux d’une fille Casavant chasée à part ? S’agit-il d’un individu qui aurait repris un casal de Casavant tombé en déshérence ? S’agit-il, enfin, d’un individu dont la contribution consiste à acquitter une part de la charge fiscale imposée au casal de Guillaume Casavant ? Cette dernière hypothèse ne peut être totalement écartée en raison des quelques items qui attestent à Ibos l’existence, sans doute résiduelle, de casaux tributaires ainsi organisés. C'est ainsi que Pierre de Salles acquitte le cens de son casal cum suis codajutoribus, tout comme Guillaume de Nulh et Condor de Jusina (fol. 155, 156, 157).
204 Op. cit., publ. Balencie, pp. 45-47 : la poule vaut 3 deniers, l'agneau 5, le quarteron d'avoine 6 deniers, celui de froment 30, le pain un denier et demi. Les calculs butent sur le fait que les DRN expriment les versements d'avoine et blé en conques, soit environ 1/17e du quarteron, et que la fourniture des agneaux reste aléatoire (selon les disponibilités) ; ils butent surtout sur l'impossibilité de convertir en espèces la valeur des trois nuitées d'albergue dues par les censuales, ce qui minore de façon significative la charge fiscale de cette catégorie. J'ai par ailleurs limité les calculs aux charges dues au titre du seul casal.
205 Pour plus de la moitié, le prélèvement n'excède pas 1 sou, et pour près de 90 % d'entre eux, il est inférieur à 2 sous.
206 Il ne fait guère de doute que ce seuil fiscal des 5 sous, si souvent rencontré, jouait un rôle important dans la hiérarchisation juridico-sociale.
207 M. Berthe, op. cit., p. 151 ; il est évident que les effets conjugués de l'inertie fiscale (respect de la coutume), et de la rapidité des modifications liées à la crise démographique, ont déconnecté la plupart des charges fiscales du principe de proportionnalité.
208 Ibid., fol. 156 : Bernardus de Johane Pratis,...pro censu terrarum quas tenet a casale de Armau (10 conques de froment).
209 On peut évaluer à environ 20 sous le prélèvement effectué par le comte sur les abadies, soit 4 fois plus que sur la strate supérieure des tenanciers de casal, et 20 fois plus que la strate inférieure.
210 Rappelons qu'entre le XIIe et le début du XIVe siècle, 2 des 5 abadies primitives ont disparu des rôles fiscaux. Celle de Saint-Laurent s'est probablement effacée lors de la l'organisation du castrum comtal autour de l'église paroissiale ; et la dernière (celle de Sainte-Marie ?) a donc été déclassée en simple casal.
211 C'est une situation qui, avec un siècle de décalage, rappelle celle qu'observe en Catalogne L. To Figueras, « Le mas catalan du XIIe s... », p. 176 : les seigneurs ont placé une élite sociale paysanne à la tête des mas.
212 Les chiffres de 1300 et 1313 correspondent à un phénomène général, bien établi par M. Berthe, Le comté de Bigorre..., p. 37 ; au surplus, on l'a vu, l'examen de la liste de 1311 conduit à réévaluer le nombre d'habitants induit des DRN.
213 Cette période est marquée par l'âpreté des conflits pour le contrôle des espaces pastoraux entre Tarbes, Ibos, Séméac, Bagnères ; cf. Histoire de Tarbes..., pp. 49-51.
214 ADPA, E 377, fol. 210 et suiv.
215 Terrier de 1768, ADHP, Dépôt Communal Ibos, passim : on observe à Saint-Sever une remarquable concentration de vergers qui pourraient bien constituer les derniers vestiges des anciennes « casalères ».
216 « Saint Sébè » est situé non loin du bourg, 500 m au sud-est de l'église ; on y a récemment implanté le nouveau cimetière communal, mais celui-ci s'inscrit dans une parcelle géométrique. De façon générale, les aménagements modernes ont oblitéré les structures de peuplement anciennes et rendent très problématique la restitution de la texture ancienne du peuplement d'Ibos. Entre autres problèmes non résolus, se pose celui de Sainte-Croix. E. Blanc, « Quelques notes... », op. cit., pp. 83-84, fait état d'une transaction sur les fruits décimaux, datée de 1612, dans laquelle le terroir d'ibos est partagé entre quatre ressorts : Bastillac, Sainte-Croix, Bernbergos « et le reste du territoire, appelé Saint-Laurent » ; je n'ai pu établir si ce quartier Sainte-Croix, situé tout au nord du terroir, était ou non la renomination d'une des abadies du XIIe siècle.
217 On aurait pu prendre aussi bien les exemples d'Ossun ou d'Azereix, également caractérisés par l’existence d'un fort noyau aggloméré compact.
218 Cartulaire de Bigorre, Pau A, fol. 26, donation de la villa de Hugues par la comtesse Petronille à Arnaud de Lanamajou, baile de Lourdes contre un cens annuel de 10 sous ; autre document ADG, I1673 (vidimus de 1349).
219 ADHP, I 390 ; texte comportant par ailleurs des éléments hautement fantaisistes.
220 Même si toutes les maisons ne sont pas figurées, la texture des « casalères » semble fidèlement rendue.
221 Le plan moderne ne restitue pas la motte qui jouxte l'église, parfaitement visible, par contre, sur le plan cadastral « napoléonien », et qui a été arasée en 1860.
222 Le château de Hugues correspond au site d'une villa gallo-romaine ; cf. J. Duret, « La villa gallo-romaine de Pujo », dans Bull, de la Soc. Ramon, 1971, pp. 105-108 : exhumation d'un important matériel du Ie siècle, abandon du site habité vers le Ve siècle ( ?), et utilisation au Haut Moyen Âge comme carrière et comme cimetière.
223 V. plus haut, chap. IV, p. 174.
224 On comparera bien entendu ces bourgs avec ceux qu'ont mis en évidence P. de Saint-Jacob, « Étude sur l'ancienne communauté rurale en Bourgogne » dans Annales de Bourgogne, XIII, 1941, pp. 169-202 et XVI, 1943, pp. 173-184, et K. Bader, Das mittelalterliche Dorf als friedens und Rechtbereich, I, Weimar, 1957.
225 A. Etchelecou, Transition démographique et système coutumier..., part. pp. 8-30 : le fonctionnement des sociétés à maison résulte de l'intégration de trois éléments : un milieu physique fortement contraignant, une soumission de l'individu à l'impératif familial, et une indépendance collective face aux pouvoirs extérieurs.
226 A. Zink, L'héritier de la maison..., part. chap. 4 : la raison fondamentale de la stabilité des maisons est le malthusianisme collectif des communautés, définies comme autant de syndicats de chefs de maisons, propriétaires du principal moyen de production – les pâturages –, dont les membres sont indéfectiblement attachés à conserver la prépondérance de l'élevage – et, partant de leur niveau de vie –, en refusant d'augmenter le nombre des maisons.
227 Les villages du Val d'Azun sont les seuls à bénéficier de deux listes de casaux du XIIe siècle (cart. Bigorre), puis, dans l'enquête de 1313, d'une énumération complète des casaux et autres maisons, et enfin des remarquables données du censier de 1429. Observons ici le village d'Arrens. D'abord, pour le XIIe siècle (cart. Bigorre, ms Pau A, fol. 18 et 28), deux listes de casaux : la première dénombre 6 unités fiscales correspondant à 11 (ou 13) casaux, et la seconde encore 11 casaux, avec une majorité de noms identiques. Second éclairage, l'enquête des DRN de 1313 (fol. 13), qui fournit une liste de 13 casaux – remarquable stabilité-, suivie cependant du nom des 66 autres feux-vifs du village. Ces unités subalternes font une entrée en force dans l'histoire, et vont s'intégrer aux anciennes maisons. La preuve en est donnée par le censier de 1429 (ADPA, E 377, fol. 76), qui comporte pour Arrens une liste de capcazaux forte de 56 unités. S'il s'était simplement agi de compenser les vides causés par les mortalités parmi les anciennes maisons, leur nombre n'aurait pas excédé une quinzaine. Postérieurement à 1313, il y a donc eu accession massive des unités d'habitat de second rang à un statut d'égalité avec les anciens casaux.
228 Privilèges des vallées de Barèges et Lavedan, AD Gers, I 293 (texte de 1170 réécrit en 1404 à la suite de l'incendie des originaux) : « Item que degun home ny femne de Baretge no es tengut de pagar deute ni embarg que filh ny filhe fassen... » ; dans les cout, de Saint-Gaudens, art. 52, on trouve une formulation quasi identique, de même que dans celles de Mauvezin (art. 24). Cet ensemble de textes normatifs conduit à imaginer des groupes familiaux moins monolithiques et une tendance à l'établissement autonome des enfants, qu'on peut mettre en rapport avec la multiplication des maisons homonymes qui a été déjà observée.
229 On a déjà signalé que les D. R. N. ne se faisaient l'écho de la perception droits de for-mariage que pour la seule vallée de Campan.
230 Remarquable est la différence entre la charte de Bellocq de 1284 (ADPA, E 289, fol. 10), où le vicomte excepte de la franchise les questaux et leurs enfants résidant hors de Bellocq, et les chartes de Montaut en 1309, (Ibid., fol. 11), Navarrenx en 1316 (ADPA, E 1596, fol. 60), Lestelle en 1339, (publ. V. Dubarat), stipulant que « tot homi e femne sterle filh o filhe de mesme casau, senssau e questau, o tot senhor de casau o de botoy, laixan lo casau o lo botoy cubert ab heretat, pusque bier, franc e quities ab sas causes poblar, cum a franque personne ». Or, les franchises ultérieures, comme celle de Bruges, ne comportent plus cette clause, et l'article 195 des Juges de Morlaas, compilation arrêtée vers la fin du XIVe siècle (Fors anciens du Béarn, P. Ourliac éd., p. 83 et p. 432), retient une réglementation restrictive. La fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle, qui sont en Béarn le temps des bastides semblent donc correspondre (du moins au niveau de la norme) à un relâchement temporaire du contrôle social sur les serfs.
231 Bonnes synthèses, pour le Béarn, dans P. Tucoo-Chala, « Forêts et landes en Béarn au XIVe siècle », dans Annales du Midi, t. LXVII, 1955, pp. 247-259 ; pour la Bigorre, J.-F. Le Nail, Bigorre et Quatre Vallées, t. 1, p. 151 ; Histoire de Tarbes (M. Berthe), pp. 49-51.
232 J. Poumarède, Les successions..., p. 306 ; cf. ci-dessus, carte p. 145.
233 Comme l'écrit L. Assier-Andrieu dans son compte-rendu de l'ouvrage d'A. Etchelecou, cité supra, dans Annales ESC janv.-févr., 1993, pp. 159-162 : « L'hypothèse ethnique est séduisante, pratique, et au fond, aussi difficile à prouver qu'à infirmer ».
234 Cf. supra, chap. III.
235 H. Cavaillès, La transhumance pyrénéenne et la circulation des troupeaux dans les plaines de Gascogne, Paris 1932 ; la première trace écrite de grande transhumance est l'accord de 1242 entre Henri III et les moines de Ste Marie de Roncevaux ; l'acte décisif est le traité conclu à Dax en 1279 entre le sénéchal du roi-duc et le vicomte béarnais Gaston VII, mandataire des intérêts valléens.
236 H. Cavaillès, ibid. pp. 83-93 ; P. Tucoo-Chala, « Les Ossalois et la région du Pont-Long », dans Rev. régionaliste des Pyrénées, no 133-134, 1955, pp. 28-39 (avec pièces justificatives) ; Id. Histoire de Pau, Toulouse, 1989, pp. 17-19. Les revendications ossaloises sont pleinement satisfaites (momentanément) avec la charte signée à Bielle en 1319.
237 L'antériorité de la croissance dans les zones de montagnes se reflète clairement dans la géographie de l'art roman ; cf. par ex. V. Allègre, « Carte commentée des vieilles églises dans le département des Hautes-Pyrénées », dans Rev. du Comminges, 1970, pp. 153-163 ; E. Garland, À la découverte de l'art roman en Comminges, Aspet, 1992, pp. 31-33. Sur un registre plus général, rappelons l'analyse stimulante des sociétés pastorales du Haut Moyen Âge proposée par Chris Wickham, « Pastoralism and underdevelopment in the early Middle Ages », dans L'Uomo di fronte al mondo animale nell'alto Medioevo, Spolète, 1985, t. 1, pp. 401-451 : l'organisation d'une économie spécialisée fondée sur la transhumance correspond forcément à un stade avancé de développement. Il n'y a aucune difficulté de principe à admettre la possibilité d'une influence exercée par la civilisation des vallées sur le piémont. Encore fallait-il que le contexte politique s'y prêtât, et il s'y prêta seulement en Béarn.
238 Rappelons que le for de Morlaas (fin XIe s.-1220), ne contient aucun article relatif aux pratiques successorales, alors même que la règle de primogéniture avec privilège de masculinité lui est étroitement associée. Le lien très fort qui existe entre la concession du for de Morlaas et la mise en défense de la vicomté a été parfaitement dégagé par L. Batcave, « Interprétation de la rubrique... » Pour les serfs du piémont, non astreints au service d’ost, l’adoption du privilège de masculinité ne s'imposait pas, de sorte que, paradoxalement, leur régime familial est le même que celui des Ossalois, orgueilleusement libres. Je m'expliquerai dans le prochain chapitre sur ce paradoxe.
239 Formule empruntée à L. Assier-Andrieu, op. cit. supra.
240 Cf. la thèse de J.-J. Larrea, Peuplement et société en Navarre..., pp. 873-876, et de Lluis To Figueras, Familia i hereu.
241 Ce que fait justement remarquer J.-F. Le Nail, Bigorre et Quatre Vallées..., t. 1, p. 95, qui nuance la présentation un peu simplificatrice des faits de H. Cavaillès, op. cit. ; mais les principales remues attestées se dirigent vers le versant aragonais.
242 V. R. Rivière-Chalan, qui a soigneusement dépouillé les sources du Lavedan, ne signale aucun expansionnisme comparable à celui des Ossalois ; la période 1265-1343 est au contraire marquée par un affaiblissement du rôle politique ; cf. Une république pastorale..., t. 1, pp. 65-85.
243 Bonne synthèse sur cette politique d’expansion pastorale des bourgs bigourdans dans J.-F. Le Nail, Bigorre et Quatre Vallées..., t. 1, p. 75 ; le même auteur observe combien est significatif le fait que les habitants de Lourdes se réclament, à l'époque moderne, d'un autre droit que ceux du Lavedan.
244 H. Lefebvre, La vallée de Campan..., spéc. pp. 120 et 135-137 (voit dans la singularité du droit campanais au sein des Pyrénées un héritage direct de la romanisation).
245 Cf. P. Luc, Vie rurale et pratique juridique..., pp. 51-97 ; et J. Poumarède, Les successions..., pp. 288-292. Celui-ci propose, rappelons-le à nouveau, le schéma suivant : l'aînesse intégrale qui a prévalu jusque vers 1130 pour toutes les successions, a d'abord été amendée pour la seule noblesse par le privilège de masculinité, puis à partir de 1250, et jusque vers 1550, cette modification a été étendue à toutes les successions franches du piémont. L'aînesse intégrale s'est ainsi trouvée confinée aux serfs et aux francs des vallées de montagne. Dans cette vision des faits, l'existence d'un régime d’aînesse intégrale primitif est étayée par des indices indirects : 1) l'article 274 du For Général (284 de l'éd. Ourliac), contenant une disposition favorable à l'aînesse intégrale au cas où existent des enfants de plusieurs lits, serait une sorte de « butte témoin » du régime archaïque primitif (J. Poumarède) ; cependant cet article, relatif aux successions nobles, est contredit par la disposition symétrique relative aux roturiers (art. 279) ; 2) les modifications de l'ordre de succession en faveur de la sœur aînée qu'on relève dans les actes notariés des XIVe et XVe siècles attesteraient la permanence de l'attachement à la tradition (P. Luc). Or, selon mes pointages cet argument n'est pas réellement fondé (cf. ci-après, chap. IX) ; par contre la fréquence de la violation de la règle de « partilhe », partage égalitaire prévu en cas de descendance uniquement féminine peut constituer un argument plus convaincant...mais on peut aussi argumenter en sens contraire que le succès du principe de primogéniture a fini par rendre obsolète cette « butte témoin » de l'égalitarisme primitif. Ces indices me paraissent de peu de poids par rapport aux attestations explicites de partage relevées dans les actes des cartulaires rassemblées ici même (chap. III, p. 144). La seule question qui me trouble est de savoir si une société peut, en l'espace de quatre générations (soit entre 1250 et 1330, date d’apparition des premiers registres notariés) massivement adopter et mieux, intérioriser, une nouvelle règle de droit familial. La concession du for de Morlaas a dû constituer un outil de diffusion privilégié, et le substrat basco-montagnard fournir un terrain favorable.
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