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Chapitre VIII. De la censure d’Appius Claudius Caecus à la Lex Ogulnia (312-300)

p. 251-290


Texte intégral

1Il convient, en premier lieu, de revenir sur les débats qui ont eu pour objet l’intervention des libertini dans la vie politique – avec, en particulier, leur inscription dans les tribus –, et d’abord sur le plus ancien de ces débats dont les textes de la tradition aient gardé le souvenir : celui qui avait marqué la censure d’Appius Claudius Caecus et les dernières années du IVe siècle av. J.-C.1

2Et avant toute chose, il faut évoquer les analyses que A. Garzetti2, puis E. S. Staveley3 ont proposées de cette censure, revêtue par Appius Claudius en 312 av. J.-C.4. Tous deux ont insisté sur la complexité des textes, et sur l’impossibilité de réduire les discussions à la question de l’affranchissement des esclaves. De même, F. Cassola5 a souligné l’invraisemblance d’une interprétation qui prendrait en compte exclusivement, dans les assemblées populaires, le poids relatif des affranchis de l’esclavage : cet auteur tendrait même à croire que les réformes décidées en 312 et en 300 ne les concernaient guère, parce que leur nombre devait être alors négligeable ; la question importante n’était pas celle des affranchis, qui pouvaient d’ailleurs être des ruraux et donc être inscrits dans les tribus rurales, mais bien celle que pouvaient poser les humiles, qui étaient des citadins6. L’on a de bonnes raisons de penser, en effet, qu’en 312 av. J.-C., les difficultés venaient moins de l’intégration des esclaves affranchis dans le corps civique, que des liens nouées par Rome avec les cités de l’Italie méridionale, plus ouvertes qu’elle aux échanges et à une vie de relations ; et en définitive, ce qui devait devenir la question essentielle, avec la conquête par Rome de toute l’Italie – une conquête qui devait aller de pair avec une diffusion calculée de la citoyenneté romaine – ce serait le problème de son unification, d’abord économique et sociale, puis politique.

3Cependant, lorsqu’il évoque la censure d’Appius Claudius Caecus, Tite-Live parle de libertini7 : A. Garzetti comme E. S. Staveley ou F. Cassola ont admis pour ce vocable le sens traditionnel d’« esclaves affranchis », ou encore celui de « fils d’affranchis » ; en conséquence, ils ont fait du problème des libertini un problème contemporain, mais distinct de celui de l’ouverture des relations extérieures de Rome, distinct aussi de celui de l’octroi à des Italiens libres de la citoyenneté romaine, et tout à fait secondaire. Pourtant, si à ce moment, le mot libertini a un sens plus large, s’il renvoie aux nouveaux citoyens, et donc aux Italiens naturalisés – comme c’est le cas plus tard, selon toute vraisemblance, pour les pérégrins originaires de la péninsule ibérique et installés à Carteia, colonia libertinorum8 –, il y a tout lieu de penser que les deux problèmes sont non seulement contemporains, mais étroitement liés. Là encore, une définition large du mot libertini risque fort de permettre une meilleure compréhension de ces épisodes, en donnant aux documents une cohérence qui leur a été jusqu’ici refusée.

4Il me paraît donc nécessaire de revenir aux textes anciens, pour tenter de cerner de plus près la réalité qu’ils prétendent décrire, et pour éprouver à nouveau le bien-fondé de mon hypothèse sur le sens du mot libertini.

La censure d’Appius Claudius

5Pour tout ce qui regarde la censure d’Appius Claudius et ses conséquences, les textes sont exceptionnellement abondants9. Ils sont aussi, bien sûr, en partie contradictoires, et ils ont donné lieu aux interprétations les plus opposées de la personnalité d’Appius Claudius et de son œuvre censoriale, au prix, chaque fois, d’une hypercritique conduisant à rejeter ce qui, dans la tradition, allait à l’encontre de l’interprétation préalablement retenue10.

6Or, une fois encore, ces contradictions de la tradition ne tiennent pas seulement, à mon sens, à la partialité des sources, qui prennent parti pour une faction11 ou pour une politique12 contre une autre. Elles sont dues aussi au flou des termes employés, en même temps qu’à la signification trop étroite – trop souvent univoque – que les Modernes accordent à des mots ou expressions tels que forensis factio, campum et forum, humiles, enfin et surtout libertini, que plusieurs auteurs anciens emploient. C’est ce que je me propose d’analyser, en tenant pour assurée la pertinence des perspectives d’analyse13 tant de A. Garzetti, de E. S. Staveley, que de F. Cassola : ces trois études abordent les problèmes de trois points de vue certes différents, mais qui me semblent complémentaires : celles de A. Garzetti, insiste sur les luttes des « factions » aristocratiques – à des fins d’intérêt personnel – dès cette haute époque ; celle de E. S. Staveley met l’accent sur l’opposition entre deux politiques économiques qui sont liées à des politiques extérieures différentes ; F. Cassola, quant à lui, s’est attaché à mettre en évidence les appuis que trouvent les factions dirigeantes dans les assemblées populaires, et l’utilisation que ces factions peuvent faire des préoccupations divergentes qui divisent les citoyens ; cela, à des fins politiques qui, sans que soient absents les intérêts privés, peuvent aussi largement les dépasser14. Je tiendrai aussi pour acquis le bien-fondé de la critique des sources telle que l’a exposée Cl. Nicolet : un certain nombre d’éléments de la tradition paraissent bien assurés, qui remontent à deux sources anciennes, ante-gracchiennes, et que l’on retrouve essentiellement chez Tite-Live et chez Pline l’Ancien, mais aussi chez Diodore15.

7Ce sont ces éléments assurés de la tradition – et le vocabulaire qui les exprime – que je voudrais analyser ici, en partant, pour les commodités de l’exposé, de Tite-Live.

Ce qu’écrit Tite-Live de la censure d’Appius Claudius

Manuscrits et éditeurs

8Or un préalable est ici nécessaire : il faut en effet revenir sur une « correction » que depuis le XVIIe siècle, sans toujours la signaler16, nombre d’éditeurs apportent à une phrase de Tite-Live17, pour laquelle les manuscrits sont pourtant unanimes à présenter une même version ; c’est là une « correction », qui n’est pas, on le verra, sans graves conséquences pour toute la compréhension de l’œuvre censoriale d’Appius Claudius ; et elle ne va peut-être pas de soi.

9On peut lire en effet, dans des éditions de Tite-Live qui, aujourd’hui, font autorité – ainsi l’édition de la collection Teubner18, ou encore l’édition de la Loeb Classical Library19 – à propos de la censure d’Appius Claudius Caecus et de l’élection à l’édilité curule de Cn. Flauius pour 304 av. J.-C, la phrase suivante (IX, 46,11) :

Ceterum Flauium dixerat aedilem forensis factio, Ap. Claudi censura uires nacta, qui senatum primus libertinorum filiis lectis inquinauerat, et posteaquam eam lectionem nemo ratam habuit nec in curia adeptus erat quas vetierat opes, urbanis humilibus per omnes tribus diuisis forum et campum corrupit20

10Toutefois, les éditeurs de la Loeb Classical Library ajoutent une note à ce texte21 : on y apprend que la lecture « urbanis » – que cette forme rattache à humilibus – est due à Gronovius ; pourtant, tous les grands manuscrits portent la leçon « urbanas »22 – qui doit en ce cas qualifier opes, « les forces ».

11Il convient encore de souligner que l’édition Teubner omet purement et simplement de signaler le fait, et propose à l’étude, comme un texte indiscutable, ce qui n’est en fait que la lecture rectifiée proposée au XVIIe siècle par J. F. Gronovius, à partir des manuscrits dont ce dernier disposait. Cependant l’édition Nisard – qui faisait autorité vers le milieu du siècle dernier – ignorait totalement la lecture de J. F. Gronovius, et donnait purement et simplement, à la suite des manuscrits23 :

Ceterum Flauium dixerat aedilem forensis factio, Ap. Claudi censura uires nacta, qui senatum primus inquinauerat, et posteaquam eam lectionem nemo ratam habuit nec in curia adeptus erat quas petierat opes urbanas, humilibus per omnes tribus diuisis forum et campum corrupit.

12Cependant, la traduction qui était proposée éludait la difficulté, en omettant de traduire le mot urbanas ; on peut lire en effet :

« Au reste, Flavius avait été nommé édile par la faction du forum, fortifiée sous la censure d’Appius, lequel avait le premier dégradé le Sénat en y introduisant des petits-fils d’affranchis24. Comme personne ne tint compte de ces choix, Appius, privé du crédit qu’il s’était flatté d’acquérir au Sénat, corrompit le forum et le champ-de-mars, en répandant le menu peuple dans toutes les tribus »

13Il y a là une difficulté d’autant plus difficile à esquiver, qu’il s’agit d’une information donnée par le seul Tite-Live : d’où vient donc la « rectification » des manuscrits que de grandes éditions de Tite-Live, depuis quelques décennies, admettent comme allant de soi25 ?

14Elle appartient en fait aux éditions annotées d’auteurs grecs et romains – et en particulier de Tite-Live – élaborées, au XVIIe siècle, par un savant néerlandais du nom de J. F. Gronovius et par son fils Jacobus ; après la mort du père, survenue en 1671, le fils avait poursuivi l’œuvre entreprise : un premier ouvrage parut en 1678-1679, et fut réédité à Amsterdam en 1699. Le titre de l’édition de 169926 en précise l’intention et le contenu : Titi Livii Historiarum quod extat cum perpetuis CAR. SIGONII et J. F. GRONOVII Notis. Jac. GRONOVIUS probavit, suasque et aliorum Notas adjecit27. Ainsi, Jacobus Gronovius, avec le texte de Tite-Live tel qu’on le trouve dans les manuscrits, livre ses propres notes, en même temps que celles de son père « et de quelques autres ». Or, aux pages 830-831 du volume I de cette édition, la fin de la phrase de Tite-Live est ainsi transcrite :

[...] et posteaquam earn lectionem nemo ratam habuit nec in curia adeptus erat, quas petierat opes urbanas, humilibus per omnes tribus diuisis forum et campum corrupit

15Autrement dit, on y trouve la leçon même des manuscrits, qu’au XIXe siècle l’édition Nisard retient encore ; mais on y trouve aussi une note explicitement attribuée à J. F. Gronovius, qui souligne :

« Nec in curia adeptus erat, quas petierat opes urbanas]. Quod sit in curia nancisci opes, scio. Lib. 6, de Manlio, Postquam inter Patres non, quantum aequum censebat, excellere suas opes anivadvertit. Apud Sallustium homo clarus et turn in senatu potens Opimius. Sed quo respectu hae opes appellentur urbanae, parum intellego. Urbanas habeat forsan opes, qui domi multum possit, si contra ponantur opes apud exercitum : quarum hi nulla mentio ; sed igitur debet fieri opum urbanarum. Scribe : nec in curai adeptus erat opes, urbanis humilibus etc. De quo uberius in nostro de Sestertiis repetitae editionis ».

16Ainsi, J. F. Gronovius propose de corriger le texte des manuscrits : le recours qu’il fait à deux autres textes, qu’il extrait l’un de Tite-Live, l’autre de Salluste, lui permet de comprendre ce que pourraient être les opes – les forces – que pourraient trouver dans la Curie de grands personnages28 ; mais il ne comprend pas ce que pourraient être des « opes urbanae » ; en revanche, il sait très bien ce que pourraient être les urbani humiles : de là, la correction qu’il propose. Et par la suite l’on voit, dans les éditions de la fin du XIXe siècle et du XXe, le texte suggéré par la note de J. F. Gronovius remplacer le texte des manuscrits ; lequel disparaît complètement de l’édition Teubner, et ne figure, dans 1 édition de la Loeb Classical Library, que sous la forme d’une note parfaitement laconique.

17On observera alors que cette transformation d’une lettre – urbanas devenant urbanis – que l’on fait subir au texte des manuscrits, bouleverse en fait le sens même de la censure d’Appius Claudius. Le texte des manuscrits en effet tend à souligner l’appui que le censeur attendait dans la Curie, mais n’avait pu obtenir, de certains hommes de l’élite citadine – nec in curia adeptus erat, quas petierat opes urbanas – une fois accomplie sa lectio senatus : le syntagme opes urbanae ne peut renvoyer de fait, dans le contexte d’une lectio senatus, qu’à la bonne société de la Ville ; mais il renvoie aussi – et en même temps – aux fils de libertini que cette lectio a introduits dans la Curie ; cependant, cette lectio n’ayant pas été respectée, Appius Claudius avait inscrit les humiles – sans autre distinction – dans toutes les tribus.

18Les éditions de la collection Teubner et de la collection Loeb, en corrigeant la lettre des manuscrits, dissocient arbitrairement les fils de libertini – entrés au Sénat du fait d’Appius Claudius – et la bonne société urbaine – opes urbanas – : ils introduisent ainsi, entre ces fils de libertini et la bonne société de Rome, une incompatibilité que les manuscrits ignorent quant à eux. Par là même, ces éditions détournent l’attention du lecteur de la lectio senatus – qui n’offre plus qu’un intérêt de scandale, du fait des fils de libertini introduits au Sénat – vers les humiles de la Ville, qu’Appius Claudius aurait inscrits dans toutes les tribus, et qui composent dans Rome la forensis turba29 : en d’autres termes, l’attention du lecteur se trouve détournée vers la lie de la population citadine, qui aurait compris les fils de libertini, et qui aurait renforcé une forensis factio30 capable de contrôler le vote des tribus.

19Cependant ce remplacement d’une lettre par une autre ne fait pas pour autant disparaître la version des manuscrits. En la proposant, J. F. Gronovius ne fait que tirer la conséquence logique de son incapacité – dont il fait l’aveu – à comprendre dans ce passage l’expression « opes urbanas », lorsqu’elle est employée, à la fois, à propos de la Curie et des fils de libertini qu’Appius Claudius aurait voulu y introduire : cette argumentation peut-elle donc suffire à justifier pareille modification de la leçon de manuscrits, dont on reconnaît pourtant très généralement la qualité31 ? On est en droit d’en douter. Mais la question posée par J. F. Gronovius demeure : que peuvent être les opes urbanae dont Appius Claudius attendait l’appui dans la Curie, après sa lectio senatus, et qui, en définitive, lui firent défaut, parce que personne ensuite ne tint compte de cette lectio ? On s’avisera alors que la difficulté qui s’oppose à la compréhension du texte des manuscrits ne vient pas du fait qu’Appius Claudius aurait tenté, par sa lectio senatus, d’acquérir au Sénat l’appui de personnalités qui sont issues de la bonne société de Rome – « opes urbanae » – : elle vient de l’équivalence, explicitement établie par Tite-Live, entre ces opes urbanae et les fils de libertini introduits par Appius Claudius dans la Curie. Et de fait, s’il faut toujours comprendre « anciens esclaves » quand on entend « libertini », il n’est pas facile de comprendre comment Appius Claudius pouvait trouver au Sénat un appui efficace, en y introduisant des fils de libertini : en d’autres termes, en y introduisant des individus dont les pères, à la fois citadins et affranchis de l’esclavage, devaient composer pour une bonne part la forensis turba, et donner toute sa force à la forensis factio ; et plus difficile encore est d’imaginer qu’Appius Claudius ait pu lui-même croire à l’efficacité d’un tel appui. À l’évidence, la lettre des manuscrits inviterait, à elle seule, à s’interroger sur le sens du mot libertini32.

20C’est en tout cas la leçon des manuscrits – telle que l’avaient bel et bien transcrite J. F. Gronovius et son fils, et telle qu’on la trouve dans l’édition Nisard – qu’en l’absence de démonstration véritable, il convient, au moins provisoirement, de retenir.

21Mais s’il est possible de trouver une réponse aux interrogations que cette leçon pose, ce ne peut guère être que par une analyse d’ensemble des mesures politiques prises par Appius Claudius pendant sa censure, et du vocabulaire employé pour en rendre compte : car la difficulté formulée par J. F. Gronovius ne me paraît pas la seule qu’opposent les textes anciens à leur compréhension par les Modernes. C’est sur quoi je voudrais revenir, en partant à nouveau, pour la commodité de l’exposé, du récit de Tite-Live, complété quand il en sera besoin par les informations que donne Pline l’Ancien.

Questions de vocabulaire

22Tite-Live explique donc33 :

« La même année, Cneus Flavius, scriba, né d’un père libertinus et dans une "humble" condition (patre libertino humili fortuna ortus), mais homme habile et éloquent, fut édile curule. Je trouve dans certaines annales que tandis qu’il assistait les édiles, voyant qu’il était désigné par les tribus comme édile et que son nom n’était pas retenu, parce qu’il avait la tâche de secrétaire (quia scriptum faceret), il déposa la tablette et jura de ne plus remplir ce rôle à l’avenir ; mais Licinius Macer assure que quelque temps avant, il avait géré le tribunat et deux fois un triumvirat, une fois comme triumvir nocturne, une autre pour la fondation d’une colonie. De toute façon, personne ne nie qu’il ait toujours âprement lutté avec les nobles qui méprisaient son "humilitas" (humilitatem suam) ; il divulgua le droit civil, gardé dans le secret des archives pontificales, et il exposa les jours fastes sur un tableau au Forum, afin que chacun pût savoir quand il pouvait agir selon la loi ; il dédia un temple de la Concorde dans le sanctuaire de Vulcain, à la grande indignation des nobles ; et par la volonté du peuple, le grand pontife Cornelius Barbatus fut contraint de lui dicter les formules, bien que celui-ci niât que selon la coutume des ancêtres, on eût le droit de dédier un temple si l’on n’était consul ou imperator. C’est pourquoi, en vertu de l’autorité du Sénat, fut porté devant le peuple un décret qui interdit à quiconque de dédier un temple ou un autel, s’il n’avait pour cela un ordre du Sénat et de la majorité des tribuns de la plèbe. Je rapporterai une chose peu digne par elle-même d’être retenue, si elle ne témoignait de la façon dont la liberté plébéienne s’opposait à la superbe des nobles. Alors que Flauius était venu voir un collègue malade, les jeunes nobles qui étaient présents s’étant donné le mot pour ne pas se lever à son arrivée, il fit apporter là sa chaise curule, et du haut de ce siège qui était dû à sa charge, il contempla ses ennemis éperdus de jalousie. C’était au reste la forensis factio, dont les forces avaient été accrues par la censure d’Appius Claudius, qui avait fait Flauius édile : Appius Claudius, le premier, avait dégradé le Sénat en y inscrivant des fils de libertini. Parce que par la suite personne ne tint compte de cette lectio, et qu’il n’avait pas trouvé dans la Curie les forces de la ville (opes urbanas) qu’il avait attendues, Appius Claudius, ayant réparti les humiles dans toutes les tribus, corrompit le forum et le Champ de Mars (forum et campum corrupit) : les comices qui désignèrent Flauius provoquèrent une telle indignation que la plupart des nobles déposèrent leurs anneaux d’or et leurs phalères. À partir de ce moment, la cité fut divisée en deux parties. D’un côté se trouvait le peuple integer (integer populus), qui favorisait et honorait les honnêtes gens (fautor et cultor bonorum), de l’autre la forensis factio, et cela dura jusqu’à ce que Q. Fabius et P. Decius eussent été faits censeurs ; et Fabius, à la fois pour rétablir la concorde, et pour empêcher la mainmise des humiles sur les comices, ayant séparé toute la tourbe forensis (forensis turba) la rassembla en quatre tribus, et il appela ces tribus urbaines. L’on raconte que cela fut reçu avec une telle reconnaissance, que le cognomen de Maximus, que tant de victoires ne lui avaient pas fait obtenir, lui fut accordé pour cet arrangement. On dit que ce fut lui aussi qui institua l’usage de passer les chevaliers en revue aux ides de Juillet ».

23À la lecture de ce texte, il apparaît clairement que Tite-Live fait référence, à propos de la censure d’Appius Claudius, à deux séries de me sures, nettement distinctes et pourtant liées entre elles dans un même projet politique : d’une part, Appius Claudius aurait procédé à une lectio senatus34 ; j’en retiendrai ici un élément essentiel : il aurait fait entrer au Sénat des fils de libertini ; d’autre part, il aurait inscrit les humiles dans toutes les tribus : par quoi, ajoute Tite-Live, forum et campum corrupit – « il corrompit le forum et le Champ de Mars »..

24Les conséquences de ces mesures paraissent doubles aussi : d’abord Appius Claudius, en inscrivant pour la première fois comme sénateurs des fils de libertini, avait renforcé au Sénat la forensis factio – mais par la suite, on n’avait tenu aucun compte de sa lectio ; mais aussi et surtout, la puissance de la forensis factio avait été accrue dans les comices tributes, du fait de l’inscription des humiles dans toutes les tribus : le fait devint patent lors des élections pour 304, qui portèrent Cneus Flauius à l’édilité curule – évidemment contre la volonté de l’integer populus, fautor et cultor bonorum.

25Toutes ces expressions, Cl. Nicolet35 en a souligné l’importance, et il a montré combien le discours de Tite-Live est nourri de l’idéologie de la fin de la République : ce vocabulaire n’est certainement pas innocent, et les luttes politiques d’un temps très proche de celui de Tite-Live l’inspirent à coup sûr. Mais Cl. Nicolet a montré également36 la présence d’un « substrat plus ancien auquel [...] on peut se fier », et qu’il a aussi tenté de déceler malgré l’emploi d’expressions sans doute trop modernes pour le IVe ou le IIIe siècle av. J.-C. Cependant il me semble que, là encore, le récit de Tite-Live, précisément parce qu’il est nourri du vocabulaire de la propagande politique – qui est aussi, et pour cela, un vocabulaire très proche de celui de l’invective – est susceptible de plusieurs interprétations à la fois : c’est ce que je voudrais examiner plus précisément ici.

La forensis factio au pouvoir

26Une remarque s’impose dès l’abord : l’emploi que fait Tite-Live de l’expression forensis factio, à propos et du Sénat, et des comices tributes issus du recensement d’Appius Claudius. Car Tite-Live ne désigne pas par les mêmes vocables les individus qui la composent – ou qui la renforcent – dans l’un et l’autre cas. Dans le Sénat, ce sont les fils de libertini – inscrits au Sénat pour la première fois dans l’histoire de la Cité qui auraient assuré à la forensis factio un apport décisif ; mais cette lectio était restée lettre morte37. Appius Claudius avait alors compensé l’échec de sa lectio senatus par la façon dont il avait inscrit les humiles dans les comices tributes : ces humiles avaient renforcé dans ces assemblées la forensis factio, et en avaient assuré la victoire politique, parce qu’ils avaient été inscrits dans toutes les tribus.

27Qu’est-ce que cette forensis factio au Sénat et dans les comices, et qui sont donc ces humiles ?

Le Sénat « dégradé » ? La lettre morte d’une lectio senatus

28C’est surtout l’introduction au Sénat des fils de libertini – ces libertini étant toujours entendus soit comme « esclaves affranchis »38, soit comme « fils d’esclaves affranchis »39 – qui a soulevé l’étonnement des Modernes. La mesure suscita, dit Tite-Live, l’indignation de la noblesse40. A. Garzetti a émis l’idée que le fait était peut-être moins scandaleux en 312 que plus tard41. Quant à E. S. Staveley, il a suggéré de ne pas prendre à la lettre les récits des Anciens, et de ne pas croire que les mesures prises par Appius Claudius avaient pu véritablement bouleverser le Sénat : que l’on songe, fait-il remarquer, pour comparaison, aux accusations portées contre Sulla ou César, qui avaient, disait-on, introduit des libertini au Sénat ; or le Sénat, pour la fin de la République, est beaucoup mieux connu que pour la fin du IVe siècle ; et l’on sait bien que lorsqu’on cherche dans ce Sénat les anciens esclaves qui y auraient été introduits, on n’en trouve aucun42.

29Faut-il donc croire que la présence dans le Sénat, à la fin du IVe siècle av. J.-C, de fils de libertini, aussi bien que celle de libertini au temps de Sulla ou de César, ont été le pur produit de l’imagination des Anciens, ou qu’ils n’ont existé que dans la propagande ? Peut-être. Je ferai cependant remarquer au passage que dans tous les cas, les textes parlent bien de libertini – mais non de liberti – ; et lorsqu’on s’avise de chercher dans le Sénat de César des nouveaux citoyens – tous de naissance « libre », mais pérégrins d’origine, on en trouve un certain nombre43.

30Les documents permettent-ils de comprendre de façon plus précise la lectio senatus d’Appius Claudius ?

31Il convient d’abord, à la suite de Garzetti44, d’évoquer un aspect contradictoire de la tradition. Les Anciens, en effet, parlent de cette lectio comme d’un événement scandaleux, sans précédent, qui aurait provoqué la réprobation de tous, et dont les consuls d’ailleurs, par la suite, n’auraient tenu aucun compte. Mais d’un même mouvement, ils disent45 qu’Appius Claudius ne raya personne de la liste des sénateurs (ni d’ailleurs de celle des chevaliers) : avec beaucoup de vraisemblance A. Garzetti et E. S. Staveley46 en concluent que le Sénat issu de la lectio d’Appius Claudius ne devait pas être très différent de ce qu’il était auparavant. Mais il est vrai que cette observation n’est guère vérifiable : on connaît mal le mode de recrutement du Sénat à ce moment, et en particulier on ne connaît pas avec certitude la date, ni même le contenu précis, du plébiscite ovinien qui transféra peut-être aux censeurs la lectio senatus47.

32Cependant, même si le bouleversement et le scandale ne furent pas tels que voudrait le suggérer Tite-Live ou encore Pline48, on peut penser que la lectio senatus d’Appius Claudius n’aurait pas laissé un souvenir aussi vif, si elle n’avait comporté de quelque façon des éléments de scandale ; le problème reste de les apprécier, s’il se peut, de la façon la plus exacte ; et il n’est guère d’autre recours, à mon sens, que d’analyser le plus précisément possible les conséquences réelles des mesures qui avaient été prises, et qui se laissent percevoir dans le fonctionnement des comices : ce fonctionnement, les Anciens ne le séparaient pas, dans l’œuvre d’Appius Claudius, de sa lectio senatus. Peut-être alors sera-t-on mieux à même de comprendre les intentions du censeur et son projet politique, et par là, le sens des modifications qu’il avait apportées d’abord dans la composition du Sénat, ensuite dans l’inscription des citoyens pour les comices tributes.

La « forensis factio » porte à l’édilité curule Cneus Flavius, fils d’un « libertinus »

33L’élément le mieux assuré de la tradition paraît être l’élection à l’édilité curule, en 305 pour 304, de Cneus Flavius : quel est le sens de l’événement ? Il faut ici évoquer les informations données par Pline l’Ancien49, et qui apportent au récit de Tite-Live50 d’utiles compléments.

34Pline expose :

« Il n’est par flagrant que l’usage des bagues ait été vraiment courant avant Cneus Flavius, fils d’Ann(i)us. Comme on sait, celui-ci publia la liste des jours fastes, que le peuple demandait quotidiennement à quelques-uns des grands de la cité. Du reste, Flavius était né d’un père fils d’affranchi51 (libertino patre alioqui genitus), et il était lui-même le secrétaire (scriba) d’Appius Caecus ; c’est ce dernier qui l’engagea à recueillir les jours fastes en consultant de façon assidue et en réfléchissant avec sagacité, puis à les publier. Cela lui valut une telle faveur auprès de la plèbe qu’il fut créé édile curule avec Quintus Anicius de Préneste, qui peu d’années auparavant était encore un ennemi de Rome, alors qu’on repoussa les candidatures de Caius Poetelius et de Domitius, dont les pères avaient été consuls. De surcroît, Flavius obtint en même temps le tribunat de la plèbe. Ce fait souleva une telle indignation que « l’on déposa les anneaux », d’après ce qu’on lit dans les plus anciennes annales. La plupart pensent à tort que l’ordre équestre en fit autant ; et de fait, le texte ajoute encore : « Mais les phalères également furent déposées », et c’est pour cette raison qu’on a ajouté le nom des chevaliers ; les annales rapportent aussi que les anneaux furent déposés par la nobilitas, non par le Sénat tout entier. Cela se passa sous le consulat de P. Sempronius et de L. Sulpicius. Flavius voua un temple à la Concorde, s’il parvenait à réconcilier les ordres avec le peuple ; et comme on n’affectait pas d’argent à ce vœu sur le budget de l’État, il employa le produit des amendes infligées aux usuriers à faire construire une chapelle de bronze dans la Graecostasis, qui était alors au-dessus du Comitium ; et il fit graver sur une plaque de bronze que cette chapelle avait été construite 204 ans après la dédicace du temple du Capitole. Ce fait se situe 449 ans après la fondation de la Ville, et constitue la première trace de l’emploi des anneaux ».

35Pline, comme Tite-Live, mêle mesures politiques et innovations religieuses, parce que certainement elles sont liées. Pour les commodités de l’exposé cependant, c’est aux questions politiques que je m’intéresserai ici, me réservant de revenir ultérieurement sur les secondes52.

36Les deux textes de Tite-Live et de Pline donnent un certain nombre d’informations, que l’on peut tenir pour certaines53 :

  • Cn. Flavius a été scriba ; Pline précise : scriba d’Appius Claudius ;
  • né d’un père libertinus, il est sorti, assure Tite-Live, d’une condition humilis (humili fortuna ortus) ;
  • il est parvenu non seulement à l’édilité curule, mais aussi au tribunat de la plèbe ; en outre Tite-Live, citant Licinius Macer, ajoute « qu’auparavant (ante), il avait exercé deux triumvirats : le triumvirat nocturne, et celui pour la déduction d’une colonie (coloniae deducendae) ».

37Donc Cneus Flavius a obtenu, avec l’édilité curule et (peut-être) le tribunat de la plèbe54, des charges que l’on peut tenir pour importantes, et qui appellent plusieurs observations.

38Elles peuvent être considérées comme équivalentes dans le cursus honorum – elles le sont en tout cas à la fin de la République mais surtout, on observera que l’édilité curule faisait partie des plus anciennes magistratures qui aient donné qualification pour entrer au Sénat, et cela peut-être dès la lex Ouinia55 : si donc Appius Claudius a échoué, lors de sa censure, à imposer sa lectio senatus, la modification qu’il a fait subir à l’assemblée tribute, et qui assure l’élection de Cneus Flavius, aboutit bel et bien à ouvrir le Sénat au fils d’un libertinus ; et cela expliquerait bien aussi, dans le Sénat, le deuil de la noblesse à la suite d’une pareille élection.

39Mais là s’arrête l’ascension politique de Cneus Flavius56. Or, les élections pour l’édilité – serait-elle curule –, tout comme pour le tribunat de la plèbe, incombent aux assemblées tributes57, tandis que les élections à des charges supérieures reviennent aux comices centuriates. Par conséquent la forensis factio, si c’est elle qui a porté Cneus Flavius à l’édilité curule, domine l’assemblée tribute, mais non l’assemblée centuriate58 : je rappellerai au passage que l’assemblée tribute pouvait être réunie aussi bien au Champ de Mars qu’au forum59, et Tite-Live est parfaitement fondé à écrire, à son propos, que la censure d’Appius Claudius « forum et campum corrupit » ; il n’y a en tout cas aucune raison de penser que cette expression ait pu de quelque façon concerner l’assemblée centuriate, que rien ne liait encore au mode d’inscription des citoyens dans les tribus60. Et l’on observera que les comices tributes ont alors accordé à Cneus Flauius tout ce qui était en leur pouvoir de lui accorder : c’est cela, me semble-t-il, qui donne tout son poids à la remarque de Tite-Live, lorsqu’il lie le succès électoral de Cneus Flavius au mode d’inscription des citoyens dans les tribus qu’avait adopté Appius Claudius, pour compenser l’échec de sa lectio senatus. Autrement dit, l’élection d’une telle personnalité à l’édilité curule ne doit pas être considérée comme le fruit du hasard, malgré l’intervalle de quelques années qui sépare le recensement des citoyens effectué par Appius Claudius, et l’élection de Cneus Flavius à l’édilité curule : il y a tout lieu de penser que le Censeur avait souhaité cette élection, et que son recensement en avait établi les conditions.

40Est-il possible de préciser davantage ?

De la censure d’Appius Claudius à l’édilité de Cneus Flavius

Qui était Cneus Flavius ?

« Cneus Flauius, fils de libertinus »

41On peut tenir pour assez sûr que Cneus Flavius, qui avait assisté Appius Claudius comme scriba, appartenait à son entourage, de la façon la plus officielle et politique qui soit61. Le père de Cneus Flavius était un libertinus, et l’on comprend très ordinairement par là que ce père avait été affranchi de l’esclavage, ou encore, comme pourrait le suggérer Suétone62, qu’il était né d’un esclave affranchi. Or le gentilice Flauius n’est pas inconnu à Rome – on connaît pour 323 un Marcus Flauius, tribun de la plèbe63 – et il ne serait pas impossible que le père de Cneus Flavius ait été esclave d’un Flavius, et affranchi par lui. Il convient cependant de revenir aux informations que l’on tient de Suétone, ainsi qu’à celles données par Diodore.

42J’ai déjà dit comment Suétone, à propos de la censure d’Appius Claudius, et de sa lectio senatus, affirme en effet « qu’au temps d’Appius [Claudius] et longtemps ensuite, on appelait libertini non pas ceux qui avaient été manumissi, mais les ingenui qui étaient nés d’eux »64. Or dans le vocabulaire juridique, on l’a vu65, manumissi ne désigne pas exclusivement les esclaves affranchis ; mais le mot les désigne aussi. Le texte de Suétone paraît donc contenir trois éléments d’information, de portées au reste fort inégales.

43Avec l’emploi du mot manumissi, et non pas liberti, il est d’abord porteur d’une ambiguïté majeure : car si, dans le contexte où Suétone l’utilise, le mot renvoie clairement à l’acquisition de la citoyenneté romaine, il ne permet pas, à lui seul, de déterminer avec certitude le statut antérieur de celui qui a été manumissus ; mais en même temps, il insiste sur une citoyenneté qui n’est pas de naissance, mais acquise ;

44Cependant, en donnant les libertini pour des ingenui qui seraient nés de manumissi, Suétone fait naître les libertini dans la citoyenneté : et cette identité du libertinus et de l’ingenuus, même à date haute, ne manquera pas de surprendre66 ;

45Mais par là, Suétone suggère aussi – et surtout – que ce n’était pas le père, mais le grand-père de Cneus Flavius qui avait fait l’objet d’une manumissio.

46Sur le père de Cneus Flavius, on ne sait à peu près rien : on dispose d’une seule information, qui vient de Diodore67 ; or celui-ci affirme que Cneus Flavius était fils d’apeleutheros, et que son père avait été relevé de la condition de doulos dans laquelle il se trouvait68. Diodore, il est vrai, présente tous ces épisodes en leur donnant une coloration plus scandaleuse encore, semble-t-il, que toutes les autres sources : A. Garzetti a montré comment Diodore, avec une grande malveillance, joue sur les mots, prend des aises avec la chronologie, invente même, pour renforcer l’impression de scandale ; et la partialité de son récit est à certains égards flagrante69. Doit-on donc en conclure à une hostilité à l’égard de Cneus Flavius qui pourrait aller jusqu’à la calomnie ? Car il est vrai aussi que Diodore est seul à préciser que le père de Cneus Flavius avait été, pendant un temps, dans la condition d’un doulos.

47On en retiendra d’abord, en tout cas, qu’à la fin de la République au moins, selon toute apparence, les Anciens pensaient que le père, et non le grand-père de Cneus Flavius, avait accédé à la citoyenneté romaine : les propos que tient Diodore sur le père de Cneus Flavius – que les sources latines disent libertinus – pourraient aussi montrer que dans les dernières années du IVe siècle, comme au temps de Plaute, à la fin de la République, ou à l’époque de Suétone, les libertini n’étaient pas nés dans la citoyenneté : ils l’avaient acquise. Mais avec Diodore se pose en outre la question de l’adéquation du vocabulaire grec, pour transcrire des réalités qui sont spécifiquement romaines. L’on sait en effet que le mot eleuthéros désignait pour les Grecs le citoyen de plein droit, et que tout individu qui ne justifiait pas pleinement de ce statut pouvait être qualifié de doulos. Ainsi, à Athènes, des métèques : si certains d’entre eux avaient pour ancêtres des esclaves affranchis, beaucoup d’autres descendaient d’étrangers de condition libre, qui avaient un jour élu domicile à Athènes, mais qui ne pouvaient devenir, au mieux, que des métèques, et qui ne pouvaient faire souche que de métèques ; en d’autres termes, ils ne pouvaient être, eux et leurs descendants, que des apeleutheroi – comme c’était le cas pour les esclaves affranchis70. En ce sens, apeleutheros pourrait fort bien s’appliquer, à Rome, à un pérégrin qui aurait acquis la citoyenneté romaine : on ne ferait que retrouver, avec le vocable grec, l’ambiguïté que recèlent, en latin, manumissus aussi bien que libertinus. Mais à Rome, le fils d’un manumissus né après la manumissio de son père était citoyen romain de plein droit, ingenuus71, et sa dénomination comportait la mention de sa filiation : ce pourrait être le cas de Cneus Flavius, fils de Cneus selon Tite-Live, ou d’Annius selon Pline.

48La dénomination de Cneus Flavius suggèrera alors d’autres observations

Les enseignements de l’onomastique

49Car lorsque Tite-Live dit Cneus Flavius « fils de Cneus », il énonce une filiation « à la romaine », en rappelant apparemment le prénom paternel ; Pline quant à lui, qui paraît s’inspirer d’une tradition plus ancienne et peut-être plus sûre72, le donne pour « fils d’Annus », ou « d’Annius »73 : les manuscrits donnent en effet deux leçons différentes.

50Deux remarques s’imposent alors. On observera d’abord que le prénom Annus est inconnu et comme prénom latin, et comme prénom osque. En revanche, Annius est connu comme un gentilice latin, dans lequel se survivrait un ancien gentilice osque, Anniis74 ; de la même façon, Flauius aussi bien que Cnaeus, ou encore le composé du prénom Cnaeus avec le gentilice Flauius, renvoient à des éléments de l’anthroponymie osque75. On trouve en effet, à Nola, une inscription vasculaire comportant le nom de Cnaiues Flauies, [fils de] P.76 ; à Capoue, le prénom [Cnai]us figure d’autre part sur une défixion ancienne, où il est associé à Fuvfdis, et le document paraît dater du IVe siècle av. J.-C.77 ; à Capoue encore, on connaît un magistrat local – un meddix – dont le nom est Mi. Anniiei78 ; et tous ces documents sont inscrits en alphabet indigène, ce qui est un indice certain de leur caractère local – indigène – en même temps que de leur ancienneté. Enfin, ces éléments de dénomination se retrouvent dans l’onomastique osque romanisée : Annius figure plusieurs fois dans des inscriptions chez les Hirpins, et le nom est fréquent en Lucanie79 ; quant à Flauius, on le trouve dans toute l’Italie du Sud80.

51Mais il y a plus ; s’il convient en effet de retenir, à la suite de Pline, que Cneus Flauius est « fils d’Annius », on observera que Cneus Flavius ne porte pas le même nom que son père : en d’autres termes, le système gentilice – dont l’usage est à ce moment complètement implanté à Rome – pourrait ne pas rendre compte, en tout cas pas de façon totalement satisfaisante, de la dénomination de Cneus Flavius. Cette dénomination peut-elle donc relever du système de dénomination qu’utilisaient les populations osques, auxquelles Flauius ou Annius renvoient ? On sait que le système gentilice, s’il a été aussi adopté par les populations du Sud de l’Italie81, l’a été plus tardivement qu’à Rome : c’est au plus tôt au IVe siècle av. J.C. qu’il y est devenu officiel82 ; et dans les inscriptions en alphabet indigène – qui datent au plus tôt du IVe siècle av. J.C. – on trouve des vestiges du système pré-gentilice de dénomination qu’avaient utilisé les populations osques jusque dans un passé récent83 : dans un certain nombre d’inscriptions en effet, qui datent du IVe siècle av. J.C, l’on peut voir que chaque individu y était déterminé par un idionyme qui lui était personnel ; à cela pouvait s’ajouter – facultativement – l’indication de la filiation, par la référence à l’idionyme du père. À ce moment, où se fait la transition vers la dénomination gentilice, n’est-ce pas d’un système de ce type que relèverait encore le nom de « Cneus Flavius, fils d’Annius » ?

52En tout cas, la dénomination de Cneus Flavius84 pourrait, en cette fin du IVe siècle av. J.-C, renvoyer à l’onomastique indigène en voie de se latiniser, en même temps sans doute qu’aux relations de clientèle politique qu’Appius Claudius devait avoir nouées avec des principes des peuples d’Italie méridionale : c’est là en effet l’un des aspects de la politique d’ouverture vers le Sud dont A. Garzetti85, et plus nettement encore E. S. Staveley86, ont crédité le censeur de 312 av. J.-C.

53Est-on donc autorisé à conclure que le père de Cneus Flavius – auquel Pline donne le nom osque d’Annius – appartenait au cercle de ces principes de l’Italie méridionale avec qui le censeur Appius Claudius, mais d’autres hommes politiques aussi87, avaient noué sans doute des relations d’amitié et de clientèle ; qu’il avait reçu la citoyenneté romaine ; qu’enfin on devait le désigner comme libertinus parce que sa citoyenneté était non de naissance, mais acquise ? Ce serait peut-être conclure trop hâtivement.

54On remarquera d’abord que Tite-Live le dit aussi humili fortuna ortus. Qu’est-ce à dire ?

55Humilis – on l’a souvent rappelé – ne révèle sans doute pas, et en tout cas pas nécessairement, ce qu’aujourd’hui on entendrait par « une humble origine » : l’expression humili (ou infima) fortuna ortus est employée, à la fin de la République, pour qualifier tous les individus qui n’appartiennent pas à la nobilitas ; on l’utilise en particulier à propos des homines noui88 Pour me borner à un seul exemple – mais combien révélateur – je rappellerai comment Quintus Pompée, ancêtre de Pompée le Grand, qui le premier dans sa famille, était devenu consul en 141 av. J.-C., est décrit comme humili atque obscuro loco natus89 : ce qui est une façon d’insister sur le fait qu’il n’appartenait pas à la nobilitas romaine ; mais on ne pense guère pour autant que ce Pompée était issu des classes populaires : plus vraisemblablement, sa famille faisait partie de l’élite de la société italienne. Sans doute convient-il d’ajouter qu’elle n’avait pas une citoyenneté romaine des plus anciennes – ce qui suffirait à expliquer la date tardive de son accès à la nobilitas – : dire d’un individu qu’il était humilis, c’est peut-être surtout dire, on le verra, que sa citoyenneté romaine n’avait pas une très grande ancienneté, quel qu’ait été d’autre part son rang social dans son peuple d’origine.

56Cependant toutes les études qui ont jusqu’ici été consacrées à Cneus Flavius ne tiennent aucun compte de ce sens du mot humilis : toutes les analyses, en effet – sans doute parce que le personnage est dit non seulement humili fortuna, mais aussi patre libertino ortus – admettent que 1 expression renvoie soit au bas peuple, soit à des individus qui pouvaient certes être riches – et donc relever, d’une certaine manière, d’une élite sociale – mais qui n’étaient pas propriétaires fonciers, et qui participaient exclusivement à des activités urbaines nécessairement dévalorisantes90.

57Pourtant, cette interprétation ne s’impose peut-être pas91 : d’abord parce qu’elle ne rend pas véritablement compte de la signification du mot humilis – en particulier de son opposition à nobilis – à l’époque de Tite-Live ; ensuite, parce qu’elle admet pour le mot libertinus un sens approximatif92, qui est de pure hypothèse.

58On peut aussi bien penser qu’en disant de Cneus Flavius qu’il était patre libertino, humili fortuna ortus, Tite-Live donne deux informations qui ne sont pas seulement liées par une simple effet de redondance, mais qui, peut-être, se complètent. Or si patre libertino [ortus], signifie exclusivement « né d’un ancien esclave affranchi », on ne voit pas bien quelle information supplémentaire apporterait le fait d’ajouter « humili fortuna ortus » : quelle pourrait donc en être la portée ?

59En revanche, si « libertinus » ne fait qu’insister sur le caractère acquis de la qualité de citoyen romain, et si Tite-Live donne bien deux informations distinctes et complémentaires, préciser que Cneus Flavius était humili fortuna ortus aurait surtout un sens par référence au peuple d’où son père était issu : en d’autres termes, l’expression pourrait indiquer que le père de Cneus Flavius n’appartenait pas à la noblesse indigène, mais cela ne veut peut-être pas dire, pour autant, qu’il relevait d’un milieu modeste : peut-être avait-il été, dans son peuple d’origine, ce qu’à Rome on aurait appelé un homo nouus.

60Cependant, on ne saurait affirmer en toute certitude que le père de Cneus Flavius n’avait pas été esclave, et affranchi : le vocabulaire tend ici à confondre irrémédiablement, quelles qu’aient été leurs conditions économiques et sociales réelles, tous les individus qui avaient une origine étrangère, par opposition aux citoyens romains de souche : c’est dans ce contexte – avec l’idée de cette ambiguïté fondamentale du vocabulaire – qu’il convient sans doute de lire les récits qu’ont laissés les Anciens des conflits politiques du temps, et qui ont mis aux prises, dans les assemblées tributes, l’integer populus et la forensis factio.

La faction « du forum » triomphe du vrai peuple

« Forensis factio » et « opes urbanae »

61On comprend très généralement l’expression forensis factio comme renvoyant aux masses populaires citadines qui, déjà à ce moment, fréquentaient assidûment le forum : ainsi – pense-t-on – a pu se constituer une forensis factio – une factio qui trouve son existence au forum, dans les assemblée tributes qui s’y tiennent ; et une fois accomplie, du fait d’Appius Claudius, l’inscription des humiles dans toutes les tribus, cette forensis factio est devenue capable de contrôler les votes de ces assemblées93 : et c’est bien là, en effet, une interprétation qu’impose assez sûrement la lecture « [...] urbanis humilibus per omnes tribus diuisis », suivie très ordinairement par les éditions actuelles de Tite-Live.

62Or, le texte des manuscrits pourrait peut-être admettre une autre interprétation – si du moins l’on veut bien considérer que peut-être, on ne désignait pas par le mot libertini, exclusivement, les affranchis de l’esclavage.

63L’adjectif forensis doit certainement être rapproché de forum, qui est le nom du centre traditionnel de la vie politique à Rome – et certainement il a une signification politique qui en est dérivée, avec la nuance péjorative que Cl. Nicolet y a décelée94. Cependant, il prend peu à peu aussi un autre sens, tout aussi péjoratif, qui sera bien attesté au IIe siècle ap. J.-C. : il en vient à renvoyer à ce qui est « extérieur » et « étranger » – peut-être par un faux rapprochement avec foras/foris95, mais tout autant, peut-on penser, parce que le forum est aussi un lieu de transactions, et de rencontre de personnes venues des horizons les plus divers.

64De la sorte, l’expression forensis factio ne pouvait-elle évoquer aussi une « faction étrangère », agissant dans l’assemblée tribute ? Cela, alors même que l’assemblée était tenue ailleurs qu’au forum, comme on le voit dès une haute époque96 : pour les élections, très tôt, elle est réunie au Champ de Mars. Sans doute Tite-Live joue-t-il ici de la polysémie et de la consonance, en utilisant un mot -forensis – qui pouvait évoquer chez le lecteur aussi bien l’idée du forum, que celle de l’étranger ; comme il joue sur les mots lorsqu’il affirme que de la sorte, Appius Claudius campum et forum corrupit : j’y reviendrai.

65Cependant Pline, à propos de l’élection à l’édilité curule de Cneus Flavius, donne une information qui me paraît de nature à confirmer cette interprétation. Pline dit en effet97 qu’en 304 av. J.-C, en même temps que Cneus Flavius, était parvenu à l’édilité curule Quintus Anicius Praenestinus, dont le cognomen dénonce clairement l’origine étrangère : très exactement, il venait de Préneste. Pline d’ailleurs précise : peu d’années avant, c’était un hostis – un ennemi98. De fait, Préneste fait partie de ces cités latines soulevées dans une dernière guerre contre Rome, en 339 et 338, et dont, après leur défaite, un réglement du Sénat avait décidé du statut99. À Préneste, ainsi qu’à quelques autres cités latines, avait été confirmée leur autonomie de cité fédérée, avec les privilèges, renouvelés, de l’ancien traité que Spurius Cassius avait passé avec les cités latines en 493 – le foedus Cassianum100. Et ce foedus comportait un ius migrandi, « droit d’immigrer » qui devait permettre aux ressortissants de ces cités latines d’accéder à la citoyenneté romaine et sans doute aussi d’accéder aux honneurs – à condition, bien entendu, de venir vivre à Rome101 : l’on pensera que Quintus Anicius devait être de ceux-là102.

66On sait aussi qu’en 340, les mêmes droits avaient été accordés aux chevaliers campaniens restés fidèles à Rome103, et en 340, l’un des deux consuls avait été précisément un Decius Mus, dont l’origine campanienne paraît avérée104 : selon toutes probabilités, le personnage avait profité de la citoyenneté potentielle qui lui était offerte105, était venu vivre à Rome, et y avait aussitôt occupé une des plus hautes charges de l’État106.

67Il apparaît alors que certains Latins – tout comme certains chevaliers campaniens-, qui ont pu choisir par la suite de s’installer dans la Ville, devaient remplir toutes les conditions économiques, sociales et culturelles107 requises pour la carrière des honneurs : pour peu qu’un Appius Claudius leur ait facilité l’entrée au Sénat, par eux s’expliquerait aisément les opes urbanae sur lesquelles le Censeur avait pu compter – et il ne serait nul besoin de « corriger » les manuscrits pour les comprendre. Mais si l’on admet cette lecture, on aboutit, à l’évidence, à une interprétation de la lectio senatus d’Appius Claudius qui n’a rien à voir avec l’entrée au Sénat romain d’individus dont les pères avaient été affranchis de l’esclavage : cela, encore, invite à revenir sur le sens traditionnellement accordé au vocable libertinus.

Défaite politique de l’integer populus et victoire de la forensis factio

68Ainsi, Quintus Anicius Praenestinus et Cneus Flauius sont devenus, ensemble, édiles curules, « alors qu’on repoussa – s’étonne Pline108 – les candidatures de Caius Poetelius et de Domitius, dont les pères avaient été consuls »109 : une telle opposition renverra aisément à celle que formule Tite-Live : lors de ces élections, la forensis factio a mis en échec dans les comices tributes l’integer populus, fautor et cultor bonorum. Au delà du vocabulaire très « fin de la République », nettement cicéronien aussi, que Tite-Live emploie110, l’idée est bien celle de la défaite politique du « vrai » peuple romain – du peuple romain « de souche », qui révérait les hommes de bien, et les portait aux honneurs111 – et de la victoire, scandaleuse, d’une faction qui était « étrangère ».

69Aucun texte ne dit que Quintus Anicius – ou son père – ait été un libertinus ; mais Pline dit que « peu d’années avant », il avait été « hostis » du peuple romain. L’on pensera d’abord que l’emploi de ce terme – qui était beaucoup moins infâmant, sans doute, à la fin de la République112, à la différence du mot libertinus – pourrait révéler que Quintus Anicius était issu de l’aristocratie de Préneste ; mais en outre, et surtout peut-être, il paraît bien qu’à partir des premières décennies du IIe siècle av. J.-C, ont été désignés comme libertini non seulement ceux qui accédaient à la citoyenneté romaine, mais aussi ceux que Rome gratifiait du droit latin : l’exemple des colons de Carteia l’atteste clairement113, en toute logique, à partir de ce moment, les Latins qui devenaient citoyens romains ne pouvaient plus être dits libertini – et de fait, jamais ils ne le sont ; ainsi, compte tenu du sens qu’avait le mot libertinus au temps de Pline, Quintus Anicius, Latin venu de Préneste, et devenu citoyen romain, pouvait être désigné comme ancien hostis, non comme libertinus.

70En revanche, Cneus Flavius est désigné comme fils de libertinus, et cela peut s’entendre comme « fils d’un ancien esclave affranchi » ; mais certains indices de la dénomination, ajoutés à la différence de présentation qui est faite des deux personnages, donneront à penser : le père d’un Cneus Flavius pourrait aussi bien être de ces Italiens du Sud qui avaient reçu depuis peu la citoyenneté romaine114 ; venu s’établir à Rome, où il pouvait jouir de la plénitude des droits du citoyen, il appartenait à un milieu social assez relevé115 pour qu’il fût permis à son fils d’être inscrit dans l’ordre des scribae116. L’appui d’Appius Claudius allait en outre ouvrir à celui-ci la carrière des honneurs – en même temps qu’à d’autres, et par exemple à Quintus Anicius –117 ; mais dans l’opinion, l’origine étrangère de Cneus Flavius était aggravée, selon toute vraisemblance, du fait qu’elle n’était pas aristocratique.

71L’important, me semble-t-il, est qu’en définitive, le vocabulaire employé par Pline suggère une similitude profonde entre les deux personnages : sans doute Cneus Flavius était-il humili fortuna ortus, tandis que Quintus Anicius était issu, selon toute probabilité, de l’aristocratie de Préneste ; mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui compte surtout, c’est qu’ils aient eu tous deux une origine étrangère avérée.

72C’est aussi, à mon sens, ce que pourrait suggérer Tite-Live, lorsqu’il parle de l’entrée au Sénat, par la lectio qu’en avait fait Appius Claudius, de fils de libertini. Peut-être, parmi les nouveaux inscrits, y avait-il des fils d’esclaves affranchis : ce n’était certainement pas le cas de Quintus Anicius, qui pourtant venait de Préneste et qui était à Rome de citoyenneté récente ; peut-être était-ce le cas de Cneus Flavius ; mais le personnage pourrait aussi bien faire figure d’« homme nouveau ». Or tous deux, devenus édiles curules grâce à la forensis factio qui dominait maintenant l’assemblée tribute, étaient entrés au Sénat.

73Il convient donc de distinguer deux temps, dans la censure d’Appius Claudius. D’abord, le Censeur procède à une lectio senatus, par laquelle il tente de faire entrer au Sénat des fils de libertini : c’est-à-dire de quelque façon que l’on comprenne le terme, des hommes capables d’y tenir leur place – ce qui suppose à la fois richesse, culture, et résidence à Rome. N’est-on donc pas conduit, une fois encore, à reconnaître en ces fils de libertini des citoyens de date récente, capables de fournir à Appius Claudius un appui assuré dans la Curie, et que Tite-Live désigne par l’association de l’adjectif urbanae, vraisemblablement péjoratif, et du substantif opes ? Mais on sait l’échec d’Appius Claudius à imposer sa lectio – en d’autres termes, à imposer au Sénat son ouverture à des hommes issus de peuples étrangers, et entrés depuis peu dans la citoyenneté romaine. De là, par la suite, une seconde mesure, prise peut-être à la fin de sa censure, et qui devait porter ses fruits lors des élections de 305 pour 304 : c’est la distribution dans toutes les tribus des humiles qui, renforçant la « faction étrangère » dans l’assemblée tribute, devaient permettre à cette faction de remporter une victoire politique sans précédent sur le peuple romain de souche ; elle avait en effet élu à l’édilité curule ceux-là même – ou leurs semblables – qu’Appius Claudius avait échoué, quelques années avant, à inscrire comme sénateurs.

74Sur cette inscription des humiles dans toutes les tribus, il convient de revenir.

L’inscription des humiles dans toutes les tribus

Les humiles ont-ils eu le choix de leurs tribus ?

75On remarquera d’abord que l’association de cette mesure avec la victoire politique de la forensis factio invite à voir, dans ces humiles, non seulement tous ceux qui n’appartiennent pas à la nobilitas romaine – ce qui est un sens bien connu du mot-, mais encore ceux dont la citoyenneté romaine est récente, et qui ne sont pas tous des anciens esclaves : et cela rejoint, on s’en souvient, les observations d’A. Garzetti et A. Staveley. Cela rejoint encore tout ce que l’on soupçonne de l’intégration dans la citoyenneté – romaine ou latine – d’Italiens qui avaient sans doute contribué, aux côtés d’authentiques citoyens romains de souche, à fonder des colonies118 : je rappellerai ici la fondation des colonies latines de Cales en 334, de Fregellae en 328, de Suessa Aurunca en 313 et d’Interamna Lirenas en 312, et encore l’établissement de la colonie romaine de Tarracina en 329. Si l’on tient compte des facilités que la loi donnait alors aux « Alliés de nom latin »119 pour entrer dans la citoyenneté romaine optimo iure – de plein droit120-, on pensera que de telles fondations121, en même temps que l’octroi de la pleine citoyenneté à des individus, à des groupes, ou à des communautés entières, sur les territoires que Rome annexait122, peuvent expliquer pour une large part – beaucoup plus, selon toute vraisemblance, que les affranchissements d’esclaves – la progression du nombre des citoyens, passé de 165 000 en 340/339123 à 262 321 en 294/293124.

76Mais comment comprendre, concrètement, l’inscription par Appius Claudius des humiles dans toutes les tribus ? En quoi ce mode d’inscription innovait-il ?

77Dans la mesure où l’on associe humiles et l’adjectif urbani, qui qualifieraient « les habitants de la ville », on est très logiquement conduit à rechercher la signification de ce mode d’inscription dans l’expansion urbaine de Rome – au reste difficilement discutable. On a donc très généralement admis que les nouveaux inscrits, s’ils n’étaient pas tous des affranchis de l’esclavage, et si tous n’étaient pas de pauvres gens, n’en étaient pas moins liés à des activités et une résidence urbaines, et par conséquent au développement de l’artisanat et des échanges : aussi l’inscription dans les tribus rurales devait-elle leur être interdite. Si donc Appius Claudius avait innové, ce ne pouvait être qu’en donnant aux citadins et à tous les nouveaux inscrits le choix de leur tribu125. De la sorte, Appius Claudius aurait fait disparaître dès ce moment le lien qui attachait tribu et résidence.

78Cependant, si l’indépendance entre le lieu de résidence des citoyens et la tribu à laquelle ils appartenaient est certaine à la fin de la République – du moins quand il s’agit des citoyens de souche, des ingenui – il est très douteux qu’elle ait été établie à une date aussi haute, à une époque où l’on continue à créer de nouvelles tribus, notamment pour les territoires où sont établies des colonies de citoyens : à partir de 387 av. J.-C., et jusqu’en 242/238, date d’établissement des dernières tribus, qui portent à trente-cinq leur nombre définitif, toutes les tribus ont reçu une base territoriale, et un nom géographique126. De plus, L. R. Taylor a montré que même après 242, le lien a dû rester très fort entre la résidence et l’appartenance à une tribu, puisque Ton inscrit alors les communautés intégrées dans la citoyenneté romaine en étendant les tribus où elles sont assignées dans la direction des territoires où ils vivent127. C’est seulement en 188 av. J.-C, avec l’inscription des citoyens de Fundi, de Formiae et d’Arpinum, que se font jour d’autres préoccupations128.

79Mais il est possible, à mon sens, de donner une autre interprétation à la mesure prise par Appius Claudius.

Les « humiles » dans les tribus : enjeux politiques et jeux de mots

80Si l’on considère en effet les tribus qui existaient au moment de cette censure, et si l’on a à l’esprit les débats et les conflits qui avaient déjà marqué l’établissement de l’assemblée tribute129, puis l’évolution de cette assemblée, avec la création des nouvelles tribus130, on sera conduit à penser qu’existaient, à la fin du IVe siècle, plusieurs catégories de tribus. Les plus anciennes, au nombre de neuf, avaient été créées au VIe siècle par Servius Tullius131, pour que puissent être intégrés dans la communauté civique les « plébéiens », qui avaient élu domicile sur le territoire romain sans entrer pour autant dans une gens : ce sont ces tribus qui ont dû former la plus ancienne assemblée tribute132, institutionnalisée pour l’élection des tribuns et des édiles de la plèbe, en 471 av. J.-C., par la lex Publilia133. Puis, entre 470 et 449 sans doute, les tribus à noms gentilices avaient été créées par les patriciens, soucieux de retrouver, avec le contrôle de l’assemblée tribute, celui des élections des tribuns de la plèbe, aussi bien que celui des lois qui pouvaient être soumises à cette assemblée ; tribus différentes des précédentes – l’indiquent assez leurs noms, qui sont empruntés à des gentes – elles ne se sont pas substituées aux anciennes tribus de Servius Tullius : elles s’y sont ajoutées. À partir de 387 enfin, et jusqu’en 242, de nouvelles tribus seront créées dans les territoires conquis, et toutes – à l’exception de la Poblilia, qui porte le nom des Poblilii, et qui a été créée en 358 en même temps que la Pomptina, à toponyme celle-ci – reçoivent des noms géographiques ; et c’est dans ces tribus que sont inscrites les communautés établies sur les territoires où elles sont assignées, lorsque ces communautés sont intégrées, collectivement, dans le corps civique.

81Mais où étaient donc inscrits ceux des vaincus d’hier qui parvenaient individuellement à la citoyenneté romaine, et dont l’accès au corps civique, précisément parce qu’il était individuel, était difficile à contrôler134 ? Pour qui voulait garder inchangées les conditions du contrôle de l’assemblée, il fallait y préserver la prééminence du peuple romain de souche qui favorisait et révérait les hommes de bien – l’integer populus, fautor et cultor bonorum ; il n’était alors guère d’autre moyen, à mon sens, que d’inscrire ces nouveaux citoyens selon la plus ancienne tradition : dans les tribus créées par Servius Tullius pour recenser les immigrants qui alors constituaient la « plèbe ».

82Si l’on admet que les humiles, à la fin du IVe siècle, sont bien de ces gens d’origine étrangère qui sont entrés dans la citoyenneté romaine, et qui forment la forensis factio, on pensera qu’ils étaient jusque-là inscrits dans les neuf tribus les plus anciennes, qu’avait créées Servius Tullius ; et de la sorte, dans une assemblée qui comptait en 312 av. J-C. trente et une tribus, ces humiles, à supposer même, contre tout vraisemblance, qu’ils aient eu une opinion unanime, étaient incapables de dominer le vote de l’assemblée tribute. Appius Claudius, disent les Anciens, avait inscrit les humiles dans toutes les tribus : si l’on admet qu’il les avait tout simplement inscrits dans la tribu de leur résidence – et non plus seulement dans les tribus de Servius Tullius – un nombre non négligeable de ces nouveaux citoyens avait dû se trouver réparti dans toutes les tribus : au point de faire triompher la volonté politique de la forensis factio, et de faire basculer le vote de l’assemblée tribute en faveur de deux hommes d’origine étrangère, l’un venu de Préneste, l’autre fils de libertinus. On observera d’autre part que de la sorte, Appius Claudius, en même temps qu’il avait corrompu toutes les tribus, avait corrompu la ville et la campagne : forum et campum corrupit, écrit Tite-Live en jouant sur les mots.

83La riposte de Quintus Fabius, censeur en 304, s’inscrit parfaitement dans cette perspective : « Fabius » – dit Tite-Live-« à la fois pour rétablir la concorde, et pour empêcher la mainmise des humiles sur les comices, ayant séparé toute la tourbe “forensis”, la rassembla en quatre tribus, et il appela ces tribus “urbaines” [...] ». L’on sera tenté de reconnaître dans ces quatre tribus les toutes premières qu’avait créées Servius Tullius, dans la ville même, et de comprendre la mesure comme restrictive par rapport au mode d’inscription qui avait pu être jusque-là suivi pour ces humiles : non plus dans neuf, mais dans quatre tribus. De plus, le texte laisse entendre que c’est à partir de ce moment – et du fait d’une décision de Quintus Fabius : « urbanasque eas appellauit » – que l’on a commencé à distinguer, nommément, les quatre tribus « urbaines » des autres tribus135.

84À ce propos, je ferai encore deux observations. D’abord, pour remarquer que ce mode d’inscription est celui même que l’on devait suivre aussi pour les libertini : par là les humiles, qui formaient la forensis factio à la fin du IVe siècle av. J-C, se trouvaient confondus avec les libertini dans une même mesure d’exclusion. Ensuite, pour rappeler qu’au début du Ie siècle av. J.-C, Cornelius Balbus, qui était un très grand personnage de l’aristocratie de Gadès, fut inscrit, en recevant la citoyenneté romaine, dans une tribu urbaine : en cela au moins, son exemple rejoint et celui des humiles des siècles passés, et celui des libertini.

Innovations religieuses et interventions dans le domaine du droit

85Elles paraissent avoir été inspirées par deux projets politiques différents, sinon opposés.

Appius Claudius, Cneus Flavius, Hercule et la Concorde

86Les Anciens gardaient le souvenir de l’intervention d’Appius Claudius à l’ara Maxima d’Hercule – intervention malheureuse, s’il faut en croire une tradition que rapporte Tite-Live136 :

« C’est grâce à ce même Appius que les Potitii, dont la gens possédait comme un privilège de famille le sacerdoce du Grand Autel d’Hercule, avaient enseigné à des esclaves publics, pour leur déléguer leur ministère, les cérémonies de ce culte. On rapporte que’après cela – chose étonnante et propre à inspirer des scrupules quand il s’agit de modifier les cérémonies sacrées – alors qu’il y avait à ce moment-là douze familles de Potitii, comprenant environ trente adultes, tous moururent dans l’année avec leur lignée. Et que non seulement le nom des Potitii disparut, mais que le censeur Appius, sous l’effet de la colère des dieux qui n’oublie pas, fut privé de ses yeux ».

87Cette histoire – de même que celle de la grève des tibicines et de leur retraite à Tibur l’année suivante137 –, mériterait une étude que je ne puis développer ici. De tout cela, je retiendrai cependant l’interprétation proposée naguère par D. Van Berchem138 : pour les Potitii, cet auteur proposait de reconnaître en eux non pas une gens, comme le fait Tite-Live, mais les desservants qui étaient attachés au culte de l’Hercule de l’ara Maxima – comme on le voit dans le culte singulièrement proche du Melqart punique, et par exemple à Gadès. En revanche, les Pinarii, qui au contraire des Potitii, sont bien attestés dans les Fastes139, appartenaient à une gens patricienne, vraisemblablement chargée traditionnellement du culte de l’ara Maxima. Mais cette gens paraît en plein déclin au IVe siècle : on peut penser avec quelque raison que de telles circonstances ont joué en faveur d’une transformation de ce culte prestigieux en culte public.

88De surcroît et surtout peut-être, l’Hercule Inuictus de l’ara Maxima, qui était depuis toujours sans doute un dieu protecteur des étrangers au Forum Boarium, était très lié à l’Hercule Victor de Tibur ; par là, il apparaissait aussi lié au souvenir de Servius Tullius, le roi originaire peut-être de Tibur, le roi intégrateur par excellence140.

89La politique d’ouverture engagée par Appius Claudius lors de sa censure, au Sénat aussi bien que dans les assemblées, prend aisément sa place dans une telle interprétation.

90On sait aussi comment Cneus Flavius, l’ancien scriba d’Appius Claudius devenu édile curule, « dédia un temple de la Concorde dans le sanctuaire de Vulcain ». Ce fut, insiste Tite-Live141, « à la grande indignation des nobles. ». L’opposition d’une partie de la noblesse ne paraît alors faire aucun doute. Cneus Flavius put pourtant procéder à la fondation qu’il avait projetée, car – explique encore Tite-Live – « par la volonté du peuple, le grand pontife Cornelius Barbatus fut contraint de lui dicter les formules, bien que celui-ci niât que selon la coutume des ancêtres, on eût le droit de dédier un temple si l’on n’était consul ou imperator ».

91On sait de plus par Pline l’Ancien142 que Cneus Flavius, s’étant vu interdire l’utilisation de fonds pris sur le trésor public pour construire son temple à la Concorde, employa le produit des amendes qui avaient été infligées aux usuriers. L’on sait enfin qu’il ne data pas le temple par le nom des consuls de l’année – qui étaient Publius Sempronius et Lucius Sulpicius, des amis et des alliés de de la faction des Fabii – : il « fit graver sur une plaque de bronze que cette chapelle avait été construite deux cent quatre ans après la dédicace du temple du Capitole ». La volonté de « laïcisation » de la chronologie est ici patente.

92Il est à peine besoin d’insister sur la portée de toutes ces décisions, qui s’ajoutaient à d’autres, plus considérables encore. Cneus Flavius en effet, à l’instigation d’Appius Claudius, avait procédé à la publication des jours où une action en justice était possible ; plus largement, encore, il publia le ius Flauianum – un recueil qui portait à la connaissance du public les formules judiciaires jusque là gardées soigneusement dans le secret des archives pontificales – in penetralibus pontificum.

93Toute cette politique était placée sous le signe de la libertas143. En particulier, elle aboutissait à lever quelque peu le secret dans lequel le droit était tenu, et le pouvoir du collège pontifical s’en trouvait amoindri d’autant ; en cela, elle agissait en faveur de tous ceux qui, jusque là, devaient s’adresser à un Sage du collège pontifical, pour la moindre action en justice ; elle agissait tout particulièrement en faveur de ceux qui, par leur position sociale, auraient eu capacité pour engager de telles actions ; mais qui ne le pouvaient de fait, étant entrés depuis trop peu de temps dans la citoyenneté romaine. Elle intéressait, en un mot, ceux-là mêmes qu’avait pu impliquer l’œuvre censoriale d’Appius Claudius.

La riposte des Fabii et de leurs amis

94Quintus Fabius et ses alliés organisèrent leur riposte point par point.

95Ce fut d’abord pour l’avenir une interdiction, que rapporte Tite-Live144 : « En vertu de l’autorité du Sénat, fut porté devant le peuple un décret qui interdit à quiconque de dédier un temple ou un autel, s’il n’avait pour cela un ordre du Sénat et de la majorité des tribuns de la plèbe ». Ce furent ensuite des fondations qui paraissent, au moins pour une part, répondre aux innovations religieuses décidées par Appius Claudius. Vers 300 av. J.-C. la statue de Marsyas fut établie au Comitium, sur l’initiative probable de Caius Marcius Censorinus145. Puis, sur l’initiative de deux tribuns de la plèbe, les Ogulnii, la statue de deux jumeaux fut adjointe à celle de la Louve : a-t-on voulu représenter Rémus et Romulus ? Ou bien faut-il y reconnaître l’image de la plèbe et du patriciat ? Plus simplement encore, les deux jumeaux furent placés là pour rappeler l’œuvre des deux Ogulnii, qui avaient été ensemble tribuns de la plèbe, et qui avaient contribué à achever l’« égalisation de la plèbe » avec le patriciat146.

96Pour ces fondations, comme précédemment, fut employé le produit des amendes levées sur les feneratores. Et comme précédemment, elles furent mises sous le signe de la libertas. Mais était-ce bien la même libertas, dans tous les cas ? C’est peut-être dans les débats suscités en 300 par la rogatio de deux tribuns de la plèbe, Cneus et Quintus Ogulnius, qu’apparaît avec le plus d’évidence le thème de la défense de la libertas, et de la signification ambiguë que le mot pouvait prendre.

97Cette défense est ici transposée dans un conflit donné pour opposant plébéiens et patriciens : la rogatio Ogulnia tendait à ouvrir aux plébéiens le collège des pontifes, jusque-là réservé aux patriciens.

98Tite-Live expose ainsi l’affaire147 :

« Sous le consulat de Marcus Valerius et de Quintus Appuleius, [...] un brandon de discorde fut jeté entre les premiers de la ville, patriciens et plébéiens, par les tribuns de la plèbe Quintus et Cneus Ogiulnius. Ceux-ci [...] imaginèrent [...] un projet de loi propre à échauffer non le menu peuple, mais les principaux d’entre les peuples, les consulaires et les triomphateurs plébéiens, aux honneurs desquels il ne manquait plus que les sacerdoces, qui n’étaient point encore accessibles à tous. Comme il n’y avait alors que quatre augures et quatre pontifes, et qu’on devait augmenter le nombre des prêtres, ils demandèrent que les quatre pontifes et les cinq augures qu’on voulait ajouter fussent tous tirés de la plèbe [...]. Au reste, cette adjonction de prêtres, tous pris parmi les plébéiens, n’offensait pas moins les patriciens que ne l’avait fait le partage du consulat ; mais ils affectaient de dire que cette innovation regardait les dieux encore plus qu’eux-mêmes [...]. Cependant lors de la discussion de la loi, il y eut des débats animés, surtout entre Appius Claudius et Publius Decius Mus148.
[...] La loi passa à une grande majorité. Publius Decius Mus, qui avait parlé en faveur de la loi, Publius Sempronius Sophus, Caius Marcius Rutilus, Marcus Livius Denter furent créés pontifes. Les cinq augures, également tirés de la plèbe, furent Caius Genucius, Publius Aelius Paetus, Marcus Minucius Faesus, Caius Marcius, Titus Publilius [...] ».

99Selon l’interprétation classique, la loi ouvrait « à la plèbe » les collèges des pontifes et des augures. Appius Claudius, par son opposition intransigeante au projet de loi, aurait alors révélé des positions politiques en apparence inverses de celles qu’il avait précédemment mises en œuvre, lors de sa censure. Mais en réalité, dans l’un et l’autre cas, son action aurait été dictée par la seule considération de ses intérêts personnels immédiats, qui aurait fait de lui tantôt un démagogue, protecteur et patron de la multitude, tantôt un conservateur des plus bornés, défenseur intransigeant des privilèges de son Ordre.

100La réalité est peut-être moins simple149. Je renverrai ici en particulier aux observations de F. D’Ippolito150. Ce dernier rappelle qu’un rôle essentiel du collège des pontifes était la garde du droit et des formulaires ; et de la sorte, on ne peut prendre la pleine mesure des effets de la lex Ogulnia, si l’on ne replace pas les débats auxquels elle avait donné lieu dans le contexte large des discussions qui étaient ouvertes, depuis l’édilité de Cneus Flavius, sur la publication du droit et des formulaires. À cet égard, la personnalité des plébéiens qui furent les premiers bénéficiaires de la loi pourrait livrer quelques éléments de réponse des plus intéressants.

101Pour les pontifes, si l’on en croit Tite-Live, furent élus Publius Decius Mus, Marcus Sempronius Sophus, Marcus Livius Denter et Marcus Marcius Rutilus Censorinus ; du côté des augures plébéiens, ce furent Caius Genucius, Publius Aelius Paetus, Marcus Minucius Faesus, Titus Publilius, et Marcus Marcius Rutilus Censorinus, élu par conséquent à deux sacerdoces à la fois. La loi faisait donc entrer dans le collège pontifical, en tout, huit plébéiens.

102De ces huit personnages, quatre étaient certainement des adversaires de la faction claudienne, et des alliés de Quintus Fabius151 : ce sont Publius Decius Mus, Marcus Sempronius Sophus, Publius Aelius Paetus, et Marcus Marcius Rutilus. De surcroît, trois d’entre eux appartenaient à des familles qui avaient pu jadis être patriciennes, et avoir obtenu une transit io ad plebem, et ce sont Marcus Sempronius Sophus, Marcus Minucius Faesus, enfin Caius Marcius Rutilus. Dans ces conditions, il y a tout lieu de s’interroger sur le sens réel de la loi Ogulnia

103Appius Claudius lui opposa la volonté la plus résolue.

104Les Modernes y ont vu volontiers l’expression d’une contradiction majeure chez Appius Claudius, qui aurait défendu des orientations politiques soumises à chaque moment aux impératifs de ses intérêts personnels les plus étroits152. Mais n’y verra-t-on que cela ?

105Sous des apparences d’ouverture du collège pontifical à la « plèbe », la loi l’ouvrait en réalité à un tout petit nombre d’hommes, tous anciens consulaires ou fils d’anciens consuls, très implantés dans la nobilitas, et pour certains très liés à la faction des Fabii. De ce fait, elle contribuait en réalité à perpétuer le secret du droit, et son contrôle étroit par une élite, sinon par une faction de nobiles.

106L’opposition d’Appius Claudius à une loi qui aboutissait à ruiner toute l’œuvre qui avait été entreprise se comprend alors aisément.

107La loi fut votée par l’assemblée tribute à une énorme majorité : preuve éloquente du fait que la censure de 304 avait rétabli la supériorité de l’integer populus, fautor et cultor bonorum, sur la forensis factio – et qu’elle avait restauré les conditions du contrôle sur l’assemblée par la faction des Fabii, identifiée avec « les hommes de bien ».

***

108Dans les décennies suivantes, tandis que les Fabii et leurs amis continuaient de dominer toute la vie politique, une loi allait donner l’élection du grand pontife à l’assemblée tribute : plus que jamais, le contrôle des tribus fera partie des préoccupations majeures de la classe politique.

Image

Carte XI - La localisation des vingt-neuf tribus rurales au début du III° siècle av. J.-C.

Notes de bas de page

1 Pour une étude d’ensemble des épisodes liés à la carrière d’Appius Claudius, cf. E. Ferenczy, 1965, La carrière d’Appius Claudius Caecus jusqu’à la censure, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 13, 1965, pp. 379-404 ; E. Ferenczy, The Censorship of Appius Claudius, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 15, 1967, pp. 27-61 ; E. Ferenczy, The Career of Appius Claudius Caecus after the Censorship, Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 18, 1970, pp. 71-103 ; R. A. Bauman, Lawyers in Roman Republican Politics. A Study of the Roman jurists in their political setting, 312-82 BC, Munich, 1983, pp. 21-66 (avec les références aux sources, et la bibliographie).

2 A. Garzetti, Appio Claudio nella storia politica dl suo tempo, Athenaem, 1947, pp. 175-224.

3 E. S. Staveley, The political Aims of Appius Claudius Caecus, Historia, 1959, pp. 410-433.

4 Sur la durée de la censure d’Appius Claudius, et sur les débats à propos de sa légalité : A. Garzetti, Appio Claudio Cieco nella storia politica del suo tempo, Athenaeum, 1947, pp. 190-195 et p. 198.

5 F. Cassola, I gruppi politici romani net IIIe secolo A. C, Trieste, 1962, pp. 94-97, pp. 101-103, pp. 108-109, pp.128-140, pp. 148-158.

6 F. Cassola, I gruppi politici..., p. 103.

7 Tite-Live, IX, 46 : cf. infra, n. 34.

8 Cf. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 352-356.

9 Les références aux textes anciens relatifs à la censure d’Appius Claudius et à ses conséquences politiques ont été réunies par Cl. Nicolet, Appius Claudius et le double Forum de Capoue, Latomus, 1961, pp. 683-720, et ici p. 685 n. 3, et p. 687 n. 1 ; cf. aussi E. Ferenczy, La carrière d’Appius Claudius, pp. 379-404. Ce sont, 1) pour Appius Claudius : Diodore, XX, 36 ; Tite-Live, IX, 29 ; 33-34 ; 42 ; 46 ; X, 6-9 ; 11 ; 15 ; 19-22 ; 31 ; enfin CIL 12, p. 192 ; 2) pour Cneus Flauius : Tite-Live, IX, 46 ; Diodore, XX, 36 ; Ciceron, Pour Murena., 21 ; De l’Orateur, I,41 ; Lettres à Atticus, VI, 1, 8 ; Valère Maxime, II, 5, 2 ; Macrobe, Saturnales, I,15 ; Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 1-6.

10 Pour une analyse critique des sources : Cf. Cl. Nicolet, Le double Forum..., particulièrement pp. 685-686, et pp. 691-696 ; E. Ferenczy, The Censorship, pp. 27-61.

11 Sur cela, en particulier A. Garzetti, Appio Claudio Cieco...

12 E. S. Staveley, The political Aims...

13 Ce qui n’exclut pas pour autant que soit nécessaire la discussion critique de certaines interprétations.

14 Cf. F. Cassola, I gruppi politici, en particulier pp. 134-137.

15 Tite-Live, IX, 46 ; Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 1-6 ; Diodore, XX, 36.

16 Par exemple Weissenborn-Müller dans l’édition Teubner ; les éditeurs de l’édition Loeb la signalent, mais n’en adoptent pas moins la version corrigée, sans autre explication.

17 Tite-Live, IX, 46,11.

18 Weissenborn-Müller, 1880-1911 ; c’est la leçon que paraît suivre F. D’Ippolito, Ciuristi e Sapienti in Roma arcaica, Bari, 1986, p. 14, n. 3.

19 Mais non l’édition de Conway-Walters, Oxford, Clarendon Press, 1919, qui respecte pleinement la leçon des manuscrits.

20 « Au reste, la faction du forum (?), dont les forces avaient été accrues par la censure d’Appius Claudius, avait élu Flavius comme édile ; Appius Claudius, le premier, avait dégradé le Sénat en y introduisant des fils de libertini ( ?) ; et parce que par la suite personne ne tint compte de cette lectio, et qu’il n’avait pas trouvé dans la Curie les forces qu’il avait attendues, ayant réparti dans toutes les tribus les citadins d’humble condition, Appius Claudius corrompit le forum et le Champ de Mars ».

21 Tite-Live (= Livy), IX, 46, 11, Loeb Classical Library, vol. IV, p. 352 n. 1 : « urbanis Gronovius ; urbanas Ω : cf. n. sq. ; pour la traduction, cf. infra.

22 L’éditeur précise dans sa préface : « I have employed Ω to designate such of the good MSS as are not cited specifically for some other reading ».

23 À cela près que les manuscrits ne portent pas de ponctuation : et cela ajoute à l’ambiguïté des constructions grammaticales et des sens.

24 Sur cette traduction de « libertini filii » comme « petits-fils d’affranchis », cf. infra ; J. Cels-Saint-Hilaire, les libertini : des mots et des choses, Dialogues d’Histoire Ancienne 11,1985, pp. 331-379 et particulièrement pp. 354-356.

25 Certaines éditions – et par exemple celle de Conway-Walters – admettent cependant la leçon opes urbanas ; sur cela : Cl. Nicolet, Le double forum, p. 684, n. 3.

26 C’est celle que j’ai pu consulter à la Bibliothèque Nationale.

27 J. F. Gronovius et Jac. Gronovius, 1699 ; une autre édition de l’ouvrage paraîtra en 1740.

28 Gronovius recourt à Tite-Live, VI, 11, 6 (à propos de Manlius Capitolinus et du conflit qui allait opposer celui-ci au Sénat) et à Salluste, Guerre de Jugurtha, XVI, 2 (à propos de Lucius Opimius, fort influent au Sénat après la répression dont C. Gracchus et ses partisans avaient été les victimes, pour proposer une version qui lui paraît plus compréhensible).

29 Tite-Live, IX, 46, 14.

30 Tite-Live, IX, 46, 14.

31 Cf. supra, n. 21.

32 J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini…, pp. 331-379.

33 Tite-Live, IX, 46 : Eodem anno Cn. Flauius Cn. filius scriba, patre libertino humili fortuna ortus, ceterum callidus uir et facundus, aedilis curulis fuit. Inuenio in quibusdam annalibus, cum appareret aedilibus fierique se pro tribu aedilem uideret neque accipi nomen quia scriptum faceret, tabulant posuisse et iurasse se scriptum non facturum ; quem aliquanto ante desisse scriptum facere arguit Macer Licinius tribunatu ante gesto triumuiratibusque, nocturno altero, altero coloniae deducendae. Ceterum, id quod haud discrepat, contumacia aduersus contemnentes humilitatem suam nobiles certauit ; ciuile ius, repositum in penetralibus pontificum, euolgauit fastosque circa forum in albo proposuit, ut quando lege agi posset sciretur ; aedem Concordiae in area Volcani summa inuidia nobilium dedicauit ; coactusque consensu populi Cornelius Barbatus pontifex maximus uerba praeire, cum more maiorum negaret nisi consulem aut imperatorem posse templum dedicare. Itaque ex audoritate senatus latum ad populum est ne quis templum aramue iniussu senatus aut tribunorum plebei partis maioris dedicaret. Haud memorabilem rem per se, nisi documentum sit aduersus superbiam nobilium plebeiae libertatis, referam. Ad collegam aegrum uisendi causa Flauius cum uenisset consensuque nobilium adulescentium, qui ibi adsidebant, adsurredum ei non es set, curulem adferri sellam eo iussit ac de sede honoris sui anxios inuidia inimicos spedauit. Ceterum Flauium dixerat aedilem forensis factio, Ap. Claudi censura uires nacta, qui senatum primus libertinorum filiis lectis inquinauerat, et posteaquam earn lectionem nemo ratam habuit nec in curia adeptus erat quas petierat opes urbanas, humilibus per omnes tribus diuisis forum et campum corrupit. Tantumque Flaui comitia indignitatis habuerunt ut plerique nobilium anulos aureos et phaleras deponerent. Ex eo tempore in duas partes discessit ciuitas : aliud integer populus, fautor et cultor bonorum, aliud forensis factio tendebat, donec Quintus Fabius et Publius Decius censores facti, et Fabius simul concordiae causa, simul ne humillimorum in manu comitia essent, omnem forensem turbam excretam in quattuor tribus coniecit urbanasque appellauit. Adeoque earn rem acceptam gratis animis ferunt ut Maximi cognomen, quod tot uictoriis non pepererat, hac ordinum temperatione pareret. Ab eodem institutum dicitur ut equites idibus Quinctilibus transueherentur. (éd. Nisard).
Pour mettre en évidence les questions qui, à mon sens, doivent faire l’objet d’une analyse, je prends ici le parti, au moins provisoirement, de ne pas traduire certains vocables ou certaines expressions dont il convient de préciser les significations, et d’en garder la transcription latine ; on ne saurait oublier que toute « traduction » d’un texte, en dépit que l’on en ait, n’en peut jamais être qu’une « interprétation » ; tout ce que l’on peut espérer – et que l’on doit rechercher – c’est de formuler une « interprétation » qui rende compte d’une reconstitution historique des textes, et des faits qu’ils rapportent, la mieux fondée que possible.

34 Le censeur dressait la liste des sénateurs : il pouvait alors radier certains noms, ou en introduire de nouveaux.

35 Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 701-709.

36 Cl. Nicolet, Le double forum..., p. 695.

37 Tite Live, IX, 46, 10.

38 E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., p. 201 : « Il provvedimento veramente singolare sarebbe l’introduzione in senato di figli di liberti » ; E. S. Staveley, The political aims..., p. 413 : « It is unlikely that there were all sons of freedmen » ; de même R. A. Bauman, Lawyers...

39 C’est le sens que retient H. Zehnacker dans sa traduction de Pline, XXXIII, VI, 17, vraisemblablement en vertu d’un passage de Suetone, Claude, 24, sur lequel j’ai naguère attiré l’attention : J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 354-360.

40 Tite Live, IX, 46, 12.

41 E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., p. 201.

42 E. S. Staveley, The political aims..., p. 413.

43 Cf. la liste qu’en donne L.R. Taylor, Voting Districts…, p. 291.

44 E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 200-201.

45 Diodore, XX, 36, 5 ; Tite Live, IX, 30, 2.

46 E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., p. 201 ; E. S. Staveley, The political aims..., p. 413.

47 E. S. Staveley, The political aims..., p. 413 ; E. Ferenczy, The Censorship..., pp. 42-50, interprète le plébiscite ovinien comme inspiré par les mêmes intentions que toute la censure d’Appius Claudius, et tend à le dater de 312 av. J.-C ; cf. aussi la discussion de la question par Cl. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen, I, Les structures de l’Italie romaine, Paris 1977, p. 362 : « Vers la fin du IVe siècle, entre 318 et 312 sans doute, une loi Ovinia transféra [la lectio senatus] aux censeurs [...]. Les premiers censeurs attestés comme ayant effectué la lectio furent ceux de 312, dont Appius Claudius [...] ».

48 Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 6, 17 : cf. infra, n. 38.

49 Pline, Histoire naturelle, XXXIII, VI, 17-20 : Frequentior autem usas anulorum non ante Cn. Flauium Anni filium deprehenditur. Hic namque publicatis diebus fastis, quos popuius a paucis principum cotidie petebat, tantam gratiam plebei adeptus est – libertino patre alioqui genitus et ipse scriba Appi Caeci, cuius hortatu exceperat eos dies consultando adsidue sagaci ingenio promulgaretqueut aedilis curulis crearetur cum Q. Anicio Praenestino, qui paucis ante annis hostis fuisset, praeteritis C. Poetelio et Domitio, quorum patres consules fuerant. Additum Flauio, ut simul et tribunus plebei esset, quo facto tanta indignatio exarsit, ut anulos abiectos in antiquissimis reperiatur annalibus. Fallit plerosque quod tum et equestrem ordinem id fecisse arbitrantur ; etenim adiectum hoc quoque sed et phaleras positas propterque nomen equitum adiectum est ; anulos quoque depositos a nobilitate in annales relatum est, non a senatu uniuerso. Hoc actum P. Sempronio L. Sulpicio cos. Flauius uouit aedem Concordiae, si populo reconciliasset ordines, et, cum ad id pecunia publice non decemeretur, ex multaticia feneratoribus condemnatis aediculam aeream fecit in Graecostasi, quae tunc supra comitium erat, inciditque in tabella aereafactam earn aedem CCIIII annis post Capitolinam dedicatam. Id a. CCCCXXXXVIIII a condita urbe gestum est et primum anulorum uestigium extat [...]. (Texte et trad. CUF, H. Zehnacker 1982, avec notes et commentaires).

50 Tite-Live, IX, 46 : supra n 20.

51 On observera au passage – j’y reviendrai – l’adoption, par le traducteur de Pline, de la définition des libertini comme « fils d’affranchis ».

52 Recherches en cours.

53 Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 692-695, pour une analyse critique des sources.

54 Sur la carrière de Cn. Flauius, les observations de Zehnacker, 1982, p. 132.

55 Cl. Nicolet, Rome et la conquête..., p. 367.

56 En ce sens, F. Cassola, I gruppi politici...

57 C’est-à-dire en toute rigueur, s’agissant d’élections à l’édilité curule, l’assemblée du populus réparti dans les tribus, et présidée par un censeur, un consul ou un préteur ; on peut penser que Pline, en donnant le nom des consuls de l’année, n’a pas seulement le souci de préciser une date – pour laquelle il donne aussi bien d’autres précisions – mais aussi d’indiquer les relations d’amitié qui pouvaient lier P. Sempronius et L. Sulpicius à Appius Claudius.

58 Cela prouve en même temps que la censure de 312 n’a en rien concerné les comices centuriates – dont les Anciens du reste, à son propos, ne parlent en aucune manière pour d’autres discussions et d’autres analyses cependant : Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 691-711.

59 Je remercie F. Coarelli de me l’avoir rappelé ; pour cela : L. R. Taylor, Roman Voting Assemblies..., en particulier p. 47 ; pour d’autres analyses : R. A. Bauman, Lawyers..., pp. 50-55.

60 À la fin de la République, l’organisation centuriate semble avoir été alignée, pour la première classe, sur l’organisation tribute ; mais cela résulte d’une « réforme » qui n’est pas antérieure à 241 av. J.-C. ; sur cela : Cl. Nicolet, Rome et la conquête..., pp. 342-343, avec l’exposé des discussions et la bibliographie.

61 Sur les scribae et sur l’ordo scribarum : B. Cohen, Some neglected Ordines : The apparitorial status-groups, Des Ordres à Rome (sous la direction de Cl. Nicolet), Paris, 1984, particulièrement pp. 54-60 ; F. DTppolito, Guiristi..., pp. 27-29, avec 1 exposé des discussions pp. 34-36.

62 Suétone, Claude, 24 : pour cette « définition » donnée par Suétone des libertini, « au temps d’Appius Claudius », cf. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 350 sq.

63 J. R. S. Broughton, The Magistrates..., p. 149 ; R. A. Bauman, Lawyers..., p. 45, propose de reconnaître le père de Cn. Flauius dans le tribun de la plèbe de 327 av. J.-C.

64 Suétone, Claude, 25 : [...] temporibus Appi et deinceps aliquamdiu ‘libertinos’ dictos non ipsos, qui manu emitterentur, sed ingenuos ex is procreatos ; pour l’analyse de ce passage, cf. J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 354-360.

65 Supra, chap. X.

66 Elle est en particulier formellement contredite par Gaius, Institutes, I, 10 : Rursus liberorum hominum alii ingenui sunt, alii libertini ; la formule exclut les exceptions, aussi bien qu’une évolution des mots telle que par le passé, ils aient pu se confondre.

67 Diodore, XX, 36.

68 Diodore, XX, 36 : patros ón dedouleukótos, et encore : huiós apeleuthérou.

69 E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 192-196.

70 A. R. W. Harrison, The Laws of Athens. Family and Property, Oxford 1968, pp. 184-188 ; Ph. Gauthier, « Générosité » romaine..., pp. 207-215. Je remercie P. lévêque qui m’a signalé ces deux études, ici du plus haut intérêt.

71 Au latin ingenuus correspondrait le grec eleutheros.

72 Cl. Nicolet, Le double forum..., p. 692 : en ce sens aussi, Zehnacker, notes à Pline, p. 131 ; Cicéron, Lettres à Atticus, VI, 1, 8, rapporte la même tradition que Pline.

73 H. Zehnacker, dans son édition de Pline, Histoire naturelle, XXXIII, p. 131, interprète le texte de Pline comme Anni filius, et non comme Annii filius – comme y engagerait le manuscrit B, pourtant à son avis le meilleur (p 33) : Annus serait donc prénom ; à l’appui de ce choix, H. Zehnacker cite TTLII, s. v. Ann « qui croit savoir qu’Annus est portasse uetus liberinorum praenomen » ; mais cela reste à démontrer.

74 Sur cela, M. Lejeune, L’anthroponymie osque, Paris, 1976, en particulier pp. 139-144.

75 Plus exactement, on dispose d’une documentation qui autorise une recherche méthodologique pour les domaines de l’osque « central » – soit : Campanie, Samnium, territoire des Hirpini et des Frentani – et de l’osque « méridional » – soit : Lucanie, Bruttium et Messine ; sur cela : M. Lejeune, L’anthroponymie osque..., en particulier ici pp. 3-4.

76 M. Lejeune, L’anthroponymie osque..., p. 22 n. 218 (au génitif).

77 M. Lejeune, L’anthroponymie osque..., p. 20 n. 158.

78 M. Lejeune, L’anthroponymie osque..., p. 13 no 22 (au génitif) ; il s’agit ici d’un gentilice qui, comme la plupart des gentilices osques, doit être un ancien adjectif patronymique dérivé d’un idionyme – ou d’un prénom, les prénoms étant « eux-mêmes d’anciens idionymes » ; conformément aux règles de la dénomination romaine, Pline traite comme prénom paternel ce qui pouvait être, dans la dénomination osque, encore un idionyme (qui est formé sur le thème ann-), bientôt dérivé en un Annius, qui est parfaitement attesté : idem, pp. 140-141.

79 M. Lejeune, L’anthroponymie osque…, p. 141.

80 M. Lejeune, L’anthroponymie osque..., p. 142, en renvoyant aux CIL IX et X.

81 Sur tout cela : M. Lejeune, La romanisation des antrhroponymes indigènes d’Italie, Actes du colloque international sur l’onomastique latine, Paris, 1977, pp. 35-41.

82 M. Lejeune, La romanisation..., pp. 36-37.

83 M. Lejeune, La romanisation..., pp. 33-38 et pp. 107-122.

84 On remarquera, si c’était le cas, la conservation du gentilice indigène, dont seulement la finale en -iies – a été romanisée en -ius ; il en va de même d’Anniis (ou Anniies), latinisé en Annius : M. Lejeune, L’anthroponymie osque..., pp. 141-142.

85 E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 196-198 ; en particulier, la politique menée par Appius Claudius prolongerait celle de Quintus Publilius Philo, après les guerres contre les Samnites et les Latins ; pp. 182-187.

86 E. S. Staveley, The political aims..., p. 418 et surtout pp. 424-431.

87 E. Garzetti, Appio Claudio Cieco..., pp. 175-187 ; E. S. Staveley, The political aims..., pp. 417-418 et pp. 426-428.

88 Sur cela, Cf. E. Ferenczy, The Censorship..., pp. 52-56, qui fait l’exposé des différentes opinions, et souligne la pertinence de l’opposition humilis/nobilis ; Hellegouarch, Le Vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, 1972.

89 Cicéron, Verr., II, V, 181 : [...] Q. Pompeius humili atque obscuro loco natus nonne plurimis inimicitiis maximisque suis periculis ac laboribus amplissimos honores est adeptus ?, pp. 39-44.

90 En ce sens E. S. Staveley, The political aims..., p. 415.

91 Cf. les observations de F. D’Ippolito, Guiristi..., pp. 15-16.

92 Ainsi E. S. Staveley, The political aims..., p. 413, qui, on Ta vu, suggère de ne pas prendre à la lettre les textes des Anciens, lorsqu’ils disent qu’Appius Claudius avait fait entrer au Sénat des fils de libertini.

93 Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 709-713.

94 Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 701-710.

95 A. Ernout et A. Meillet, sv forum, tient ce sens pour assez précocement établi – chez Pline déjà, qui peut-être le tenait de Varron : cf. Pline, Histoire naturelle, XIV, 42 ; cf. aussi Dictionnaire d’étymologie M. L., 3344, ou encore le Thesaurus Linguae Latinae, s.v. forum.

96 L. R. Taylor, Roman Voting Assemblies from the Hannibalic war to the dictatorship of Caesar, Ann Arbor 1966, en particulier pp. 34-58.

97 Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 6 : cf. supra, n. 38.

98 Les Modernes ont supposé que le qualificatif d’hostis s’appliquerait mieux à son père, mais on ne connaît pas l’âge de Quintius Anicius : celui-ci pourrait fort bien avoir eu dix-sept ans en 338 – et avoir participé à la guerre de la ligue latine contre Rome – et être devenu trente quatre ans plus tard, âgé de quelque cinquante ans, édile curule à Rome.

99 M. Humbert, Municipium..., pp. 176-194.

100 Supra, chap. III.

101 M. Humbert, Municipium..., pp. 88-90.

102 M. Humbert, Municipium..., p. 190 n. 135, fait observer que « le clan des Plautii vint de la même façon, de Tibur et Préneste à Rome, mais en utilisant le ius migrandi avant la dissolution de la ligue latine en 338 : avant cette date, les Plautii avaient obtenu un consulat en 358, en 347, et en 341.

103 Tite Live, VIII, 11, 15-16.

104 J. Heurgon, Recherches sur l’Histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine des origines à la deuxième Guerre punique, Paris, 1942, pp. 260-277, et pour l’analyse du nom, pp. 275-277.

105 Sur le contenu de la citoyenneté romaine accordée aux equites Campani, et sur la carrière de Decius Mus : M. Humbert, Municipium..., pp. 173-176.

106 J. Heurgon, Recherches..., pp. 260-277.

107 Dans le cas précis de Quintius Anicius, le fait qu’il vienne d’une grande cité latine ne peut être sans importance : son accès à l’édilité curule est une preuve de plus que les droits garantis par le foedus Cassianum, après son renouvellement, devaient comporter le ius honorum – et donc l’accès au Sénat – pour qui accèderait à la citoyenneté romaine ; en même temps, le cas des Latins et des Campaniens devenus citoyens romains, et entrés au Sénat, pourrait donner une singulière confirmation aux dires de Philippe de Macédoine, quand il écrivait aux Larisséens, en 215-214, que les Romains donnaient l’accès au Sénat à des individus qu’ils avaient « affranchis » : Insc. gr., IX, 2, 179 : Cf. sur cela les observations de J. Heurgon, Recherches..., p. 275-277 : un Decius Mus n’aurait pu être à Athènes qu’un oiketes, un métèque.

108 Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 6,17 : cf. supra.

109 Sur ces personnages : H. Zehnacker, Traduction et commentaire de Pline, Histoire naturelle, XXXIII (éd. CUF, 1983), p. 133 n. 5.

110 Cl. Nicolet, Le double forum..., pp. 696-701.

111 A. Ernout et A. Meillet, 1967, s.v. tangere : 1) entier ; 2) Ancien : dans son état primitif.

112 Cicéron, Les Devoirs, 1,11, 37-38, pour les sens de hostis : « on nommait hostis chez nos aïeux, celui que nous nommons maintenant peregrinus [...] ».

113 J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 352-354.

114 Sur l’octroi de la citoyenneté romaine à des individus ou à des groupes d’individus : M. Humbert, Municipium..., pp. 335-350.

115 Cl. Nicolet, Introduction à Des Ordres à Rome, Paris, 1984, pp. 14-19 : outre l’ordre sénatorial et l’ordre équestre, il existait un ordre des scribes, auquel correspond, comme pour les autres ordres, une qualification sociale et censitaire.

116 B. Cohen, Some neglected Ordines..., pp. 23-61, et particulièrement ici pp. 54-61.

117 Le cas de Cn. Flavius rejoindrait alors ceux, mieux connus dans les siècles suivants, de ces Italiens nés de pères gratifiés de la citoyenneté romaine, qui ont pu entrer dans l’ordre équestre, et gérer à Rome les premières charges du cursus honrum. Sur cela : Nicolet, en particulier p. 287 ; sur les relations politiques entre Appius Claudius et Cneus Flauius : F. D’Ippolito, Guiristi e sapienti in Roma arcaica, Bari, 1986, pp. 27-67.

118 L. R. Taylor, Voting Districts.évoque Tite Live, X, 21, 7-10, qui dit la difficulté qu’il y eut à recruter des colons pour les colonies romaines de Minturnae et de Sinuessa, en 296 : selon toutes probabilités, des indigènes furent recrutés alors ; il en fut sans doute de même pour bien d’autres fondations.

119 Ce sont les « alliés de nom latin », considérés comme héritiers, au moins pour une part, des vieilles relations qui liaient Rome avec les autres peuples latins.

120 Sur ces facilités, que les socii nominis Latini devaient garder jusque dans les premières décennies du IIe siècle av. J.-C. : J. Cels-Saint-Hilaire, Les libertini..., pp. 348-352 (et la bibliographie).

121 L’origine osque de Cneus Flauius pourrait aussi expliquer qu’il ait été appelé à présider-en tant que triumuir, comme l’affirme Tite Live –, la fondation d’une de ces colonies.

122 Sur cela : M. Humbert, Municipium..., pp. 198-202 ; un exemple particulièrement révélateur d’un tel processus est celui de Priuernum, municipe sans suffrage, dont le territoire et les habitants ont fini par être versés dans la tribu Oufentim ; l’auteur souligne : « on ignore les étapes de cette mutation ; mais elle fut sans doute imperceptible et l’osmose fut si parfaite, que pour les Romains au IIe siècle av. J.-C., le centre de l’Oufentim et son point de départ était Priuernum ».

123 Cl. Nicolet, Rome et la Méditerranée, pp. 88-89.

124 Tite-Live, X, 17.

125 Ainsi E. Garzetti, Appio Claudio Cieco, p. 187 et pp. 200-205 ; E. S. Staveley, The political aims, pp. 414-421 ; E. Ferenczy, The Censorship, p. 57.

126 À l’exception de la Poblilia, créée en 358, et dont le nom mériterait une analyse particulière que je ne puis développer ici ; sur cela : L. R. Taylor, Voting Districts, pp. 50-51 ; sur la création des quatorze tribus, entre 387 et 242/238 : L. R. Taylor, Voting Districts, pp. 47-67.

127 L. R. Taylor, Voting Districts, pp. 79-93.

128 Étude à paraître.

129 Cf. supra, chap. II.

130 Cf. supra, en particulier chap. V.

131 On l’a vu : Seruius Tullius aurait d’abord créé quatre tribus sur le territoire urbain, puis cinq autres, sur ce qui devait être l’ager Romanus Antiquus : cf. infra, chap. I.

132 Peut-être faut-il y ajouter la Crustunmina et la Galeria, à noms géographiques comme les précédentes, et comme les précédentes exemptes, selon toute vraisemblance, du contrôle économique des patrons des gentes : supra, chap. II.

133 Supra, chap. III.

134 Sur la façon dont les hommes politiques rivalisaient pour patronner l’accès à la citoyenneté romaine, et s’assurer ainsi de puissantes clientèles politiques dans les assemblées du peuple romain : L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 18-24 ; pp. 298-315.

135 Texte supra, n. 34 ; sur les quatre tribus urbaines, L. R. Taylor, « The Four Urban Tribes and the Four regions of Ancient Rome », Rendiconti della Pontificia Accademia di Archeologia 17, 1952-1954, p. 227.

136 Tite-Live, IX, 29, 9-11 : Eodem Appio auctore, Potitii, gens, cuius ad Aram Maximam Herculis familiare sacerdotium fuerat, seruos publicos, ministerii delegandi causa, solennia eius sacri docuerat. Traditur inde dictu mirabile, et quod dimouendis statu suo sacris religionem facere posset, quum duodecim familae ea tempestate Potitiorum essent, puberes ad triginta, omnes intra annum cum stirpe exstinctos : nec nomen tantum Potitiorum interisse, sed censorem etiam Appium, memori deum ira, post aliquot annos luminibus caplum. (trad. E. Lasserre, Paris, Gamier, 1936).

137 Tite-Live, IX, 30 : le flûtistes font grève, parce qu’on leur a interdit de banqueter dans le temple de Jupiter ; de qui vient l’interdiction ? La chose n’est pas claire ; quoi qu’il en soit, les deux histoires pourraient être liées ; cf. recherches en cours.

138 D. Van Berchem, Hercule-Melqart, pp. 61-68 ; D. Van Berchem, Sanctuaires d’Hercuke-Melqart, pp. 73-109 et pp. 307-338 ; cf. aussi supra, chap. I.

139 Cf. tableau I, chap. IV ; les Potitii sont totalement inconnus des Fastes.

140 Supra chap. I

141 Tite Live, IX, 46 ; cf. supra, n. 34.

142 Pline, Histoire naturelle, VI, 17-20 : [...]Hic namque publicatis diebus fastis, quos populus a paucis principum cotidie petebat, tantam gratiam plebei adeptus est – libertino patre alioqui genitus et ipse scriba Appi Caeci, cuius hortatu exceperat eos dies consultando adsidue sagaci ingenio promulgaretque – ut aedilis curulis crearetur [...]. Hoc actum P. Sempronio L. Sulpicio cos. Flauius uouit aedem Concordiae, si populo reconciliasset ordines, et, cum ad id pecunia publice non decerneretur, ex multaticia feneratoribus condemnatis aediculam aeream fecit in Graecostasi, quae tunc supra comitium erat, inciditque in tabella aerea factam eam aedem CCIII1 annis post Capitolinam dedicatam. Id a. CCCCXXXXVIIII a condita urbe gestum est et primum anulorum uestigium extat [...]. (Texte et trad. CUF, par H. Zehnacker 1982, avec notes et commentaires) : « Cela se passa sous le consulat de P. Sempronius et de L. Sulpicius. Flauius voua un temple à la Concorde, s’il parvenait à réconcilier les ordres avec le peuple ; et comme on n’affectait pas d’argent à ce vœu sur le budget de l’État, il employa le produit des amendes infligées aux usuriers à faire construire une chapelle de bronze dans la Graecostasis, qui était alors au-dessus du Comitium ; et il fit graver sur une plaque de bronze que cette chapelle avait été construite 204 ans après la dédicace du temple du Capitole ». Cf. supra, n. 49.

143 Sur ce thème, et sur la véritable guerre de symboles que se sont alors livrée les factions rivales, F. Coarelli, Il Foro Romano, I, pp. 86-123.

144 Tite Live, IX, 46 : [...] ex auctoritate senatus latum ad populum est ne quis templum aramue iniussu senatus aut tribunorum plebei partis maioris dedicaret.

145 F. Coarelli, Il Foro Romano, I, pp. 91-119 ; Marsyas est ici symbole de libertas ; il conviendrait peut-être d’étudier d’autre part les relations que ce maître des flûtistes pourraient avoir avec les tibicines et avec Hercule ; sur cela, recherches en cours.

146 F. Coarelli, Il Foro Romano, I, pp. 88-89 (avec la bibliographie).

147 Tite-Live, X, 6-9 : 6. M. Valerio et Q. Appuleio consulibus, satis pacatae foris res fuere [...]. Tamen, ne undique tranquillae res essent, certamen iniectum inter primores ciuitatis patricios plebeiosque, ad tribunis plebis Q. et Cn. Ogulniis. Qui, undique criminandorum Patrum apud plebem occasionibus quaesitis, postquam alia frustra tentata erant, earn actionem susceperunt, qua non infimam plebem accederont, sed ipsa capita plebis, consulares triumphalesque plebeios : quorum honoribus nihil, praeter sacerdotia, quae nondum promiscua erant, deesset. Rogationem ergo promulgauerunt, ut, quum quatuor augures, quatuor pontifices ea tempestate essent, placeretque augeri sacerdotum numerum, quatuor pontifices, quinque augures de plebe omnes, allegerentur [...]. 7- Certatum tamen suadenda dissuadendaque lege inter Ap. Claudium maxime ferunt, et inter P. Decium Murem [...]. 9- Vocare tribus extemplo populus iubebat, apparebatque accipi legem : ille tamen dies est intercessione sublatus. Postero die, deterritis tribunis, ingenti consensu accepta est. Pontifices creantur suasor legis P. Decius Mus, P. Sempronius Sophus, C. Marcius Rutilus, M. Liuius Denter. Quinque augures item de plebe, C. Aelius Paetus, M. Minucius Fessus, C. Marcius, T. Publilius. Ita octo pontificum, nouem augurum numero factus [...]

148 Il s’agit d’Appius Claudius Caecus, le censeur de 312, et de P. Decius Mus, fils d’un P. Decius Mus qui était capouan d’origine, et qui, devenu consul en 340, s’était « dévoué » en pleine bataille pour sauver l’armée romaine.

149 P. Lévêque, « Problèmes historiques de l’époque hellénistique en Grande Grèce », La Magna Grecia nel mondo hellenistico (Taranto 1969), Naples, 1970, pp. 31-67 ; idem, « La genèse et les premières réductions du monnayage », Les dévaluations à Rome, 2 (Gdansk, 1978), Rome, 1980, pp. 19-29.

150 F. D’Ippolito, Giuristi, pp. 39-66.

151 Sur cela, cf. aussi F. Cassola, I gruppi politici, pp. 147-159.

152 Cf. l’exposé des débats par F. Cassola, I gruppi politici, pp. 132-137.

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