Chapitre III. Les tribus à noms gentilices
p. 129-155
Texte intégral
De la condamnation de Spurius Cassius (486 AV. J.-C.) à la loi de Voleron Publilius (471 AV. J.-C.)
Spurius Cassius : le sens d’une condamnation
Les débats à propos de l’ager publiais
1L’importance du personnage1 ne saurait être niée2 : consul pour la seconde fois en 493, il est seul interlocuteur des cités latines pour le traité qui porte son nom, et qui va régler pour plus d’un siècle leur alliance avec Rome ; et c’est lui encore qui, devenu consul pour la troisième fois en 486, étend aux Herniques les clauses du traité3. Or, son activité en politique intérieure fait de lui d’autre part, sans conteste, un des partisans et des plus fermes défenseurs des revendications de la plèbe4. Celle-ci, d’ailleurs, a dû le reconnaître pour l’un des siens, puisqu’elle l’a chargé de dédier le temple de Cérès5. Auteur en 486 d’une loi agraire qui allait entraîner des troubles pendant quinze ans, il est condamné et exécuté à sa sortie de charge6. Dans ce rôle et ce destin, sans doute peut-on reconnaître une réélaboration post-gracchienne, mais tout ne doit pas relever de la légende : trop d’indices invitent à y voir un fonds d’authenticité7. Et le récit qu’en a laissé Tite-Live, confirmé par Denys d’Halicamasse, est ici fort riche d’enseignements.
2Tite-Live en effet – qui vient d’informer le lecteur de l’annexion par Rome des deux tiers du territoire hernique – poursuit8 :
« Le consul Cassius se proposait de partager (diuisurus) ces terres pour moitié entre les Latins, pour moitié entre les plébéiens. Il ajoutait à ce don (huic muneri) une bonne part du domaine public, dont il dénonçait la possession par des particuliers (quem publicum possideri a priuatis criminabatur). Déjà ce projet épouvantait nombre de patriciens, qui en étaient eux-mêmes détenteurs (possessores), comme un danger pour leurs propres biens ; mais à cela se mêlait pour les Pères le souci public, avec la crainte que le consul ne rassemblât par ses largesses des forces dangereuses pour la liberté. Alors pour la première fois fut promulguée une loi agraire ».
3Dans le récit livien, sous des expressions qui renvoient à des institutions certainement plus tardives du régime des terres, il est, me semble-t-il, possible de retrouver l’ensemble des éléments du débat qui oppose patriciens et plébéiens, au Ve siècle, sur le sort des territoires conquis. A suivre Tite-Live en effet, l’ager publicus accaparé par les patriciens doit être constitué, au moins pour une part, par les terres confisquées récemment aux Herniques9. Immédiatement la plèbe et le patriciat s’opposent sur le régime auquel elles doivent être soumises – partage uiritim, ou régime de l’indivision-, et sans doute peut-on saisir là le processus par lequel les Patres, qui sont patrons de gentes, s’emparent de la terre conquise, et en évincent la plèbe : Tite-Live décrit de fait l’indivision comme donnant lieu à l’accaparement du sol par les seuls patriciens, qui sont détenteurs d’autre part de la puissance publique. Et Ton est conduit à penser que ce sol, ipso facto, va grossir les territoires contrôlés par les gentes, permettant ainsi, avec l’implantation de nouveaux clients, le renforcement incessant de la puissance de leurs chefs. De ce fait, d’autre part, la plèbe se trouve exclue de territoires qui, venant d’être conquis par tous, devraient profiter à tous : si Ton suit Tite-Live, Spurius Cassius, en dénonçant le caractère criminel d’un tel accaparement, paraît dénoncer par là même la contradiction profonde entre les intérêts des patrons de gentes, liés à des structures du passé et désignés comme priuati, et les « intérêts publics », ceux de la cité prise collectivement et qui, depuis plus d’un siècle, a vu se développer en son sein des structures autrement complexes. Cette contradiction se traduit par l’opposition entre deux régimes de la terre qui renvoient, sans doute, à des productions différentes, mais aussi à des modes d’exploitation du sol et à des rapports sociaux antagoniques, tels qu’ils étaient déjà apparus, on Ta vu, à l’époque de Servius Tullius10 : l’évolution ultérieure montrera, par la disparition des structures gentilices, qu’il n’était pas de compromis possible. Peut-être en trouve-t-on à nouveau la trace lorsque Tite-Live, à propos de l’agitation agraire qui une fois encore trouble la Ville en 416, au lendemain de la prise de Labici, précise :
« [Les tribuns de la plèbe] avaient déposé un projet de loi d’après lequel “tout territoire conquis serait partagé par tête” (ut ager ex hostibus captus uiritim diuideretur), confisquant ainsi par décret de la plèbe les biens d’une grande partie de la noblesse ; car il n’y avait dans cette ville, bâtie sur un sol étranger, à peu près aucune terre qui n’eût été conquise, et il n’y avait que la plèbe qui possédât (en toute propriété) ce qui avait été vendu ou attribué par l’État. C’était une lutte terrible en perspective entre la plèbe et les Pères [...] »11.
4On peut douter, peut-être, qu’à une date aussi tardive du Ve siècle, seuls les plébéiens aient accédé à la propriété privée. Mais il est clair que dans l’esprit de Tite-Live, l’exclusion de la plèbe des profits de la terre conquise est inséparable du statut donné à cette terre, et décidé par les patriciens détenteurs, à ce moment, d’un quasi monopole du pouvoir. Une telle opposition, si nettement affirmée par Tite-Live, est peut-être excessive, mais elle ne doit pas être totalement inventée. Elle illustre en tout cas parfaitement tout ce que Ton peut savoir, d’autre part, des bases de la puissance des patriciens ; elle éclaire au mieux, me semble-t-il, comment et pourquoi ces derniers pouvaient se réserver l’accès à un ager publicus – précisément parce qu’il restait dans le statut ambigu d’ager publicus – d’où la plèbe se trouvait, de ce fait, exclue : elle était incapable d’en imposer le partage uiritim, étant aussi exclue, pour l’essentiel, du pouvoir de décision politique.
5Or, Spurius Cassius est de ces consuls en qui Ton a pu reconnaître des plébéiens encore capables, dans les deux premières décennies de la République, de partager avec les chefs des gentes les charges et les honneurs consulaires12 : son action en faveur d’une distribution uiritim des terres conquises prend ici toute sa signification, mais aussi son échec à imposer le partage des terres herniques en faveur de la plèbe et des Latins.
6Son échec est d’autant plus remarquable qu’il pourrait bien avoir été provoqué avec l’aide même d’une partie de la plèbe : je reviendrai ultérieurement sur les éléments de la propagande patricienne qui ont pu entraîner l’abandon de Spurius Cassius par la plèbe. Je rappellerai cependant au passage que son collègue au consulat, Proculus Verginius, qui conduisit la campagne d’opposition au projet de loi agraire, était soutenu par les plus grands patriciens13. De plus, celui-ci s’était assuré le soutien de certains tribuns de la plèbe ; les sources anciennes ne livrent ici aucun nom, mais on soupçonne que ces tribuns pouvaient – et en fait devaient – faire partie des clientèles gentilices ; or, leur soutien à la campagne de Proculus Verginius fut décisif pour l’issue de l’affaire, si du moins l’on en croit les informations données par Denys d’Halicarnasse14. Et pour finir, l’accusation contre Spurius Cassius fut portée non pas devant la plèbe, mais devant le peuple, par Caeso Fabius et Lucius Valerius15 qui étaient alors questeurs : tous deux des patriciens, qui appartenaient à de très grandes familles ; Denys d’Halicamasse précise, pour le premier, qu’il était le fils de l’un des consuls de l’année, Quintus Fabius ; quant au second, il était fils ou neveu de Publius Valerius Publicola, le fondateur de la République16. À n’en pas douter, le procès de Spurius Cassius a été voulu et contrôlé par les patriciens – quelle qu’ait été d’autre part l’attitude de la plèbe à l’égard de la loi agraire qui lui était proposée.
7La condamnation et la mort du consul à sa sortie de charge, en 486 av. J.-C, prennent alors valeur de symbole : au cours des quinze années qui suivent, la disparition totale des plébéiens des Fastes consulaires17 montre l’ampleur de la défaite subie par la plèbe à ce moment. Cette défaite paraît à la fois l’indice et la conséquence des difficultés nées de la récession de certaines activités de production et d’échange, une récession qui, atteignant alors tout le monde étrusque, frappe les couches de la population qui, à Rome, sont liées à ces activités18. Les chefs des plus puissantes gentes, dans la mesure où leurs forces reposaient encore, pour une part au moins, sur les anciennes structures gentilices et les rapports de clientèle, et sur les activités agro-pastorales et guerrières, ont pu être relativement épargnés par la crise, et ont été capables de s’emparer du pouvoir : comment n’auraient-ils pas tenté, pour affermir leurs positions, d’utiliser les terres nouvellement conquises et d’en exclure leurs rivaux plébéiens ? Il reste à se demander si à ce moment, la création des tribus sur les territoires qu’ils contrôlaient leur était profitable. Il n’est que de s’interroger sur les avantages que pouvaient trouver à les constituer les maîtres du pouvoir.
Les patriciens et les tribus
8Dans la mesure où le patriciat parvient à accaparer les hautes magistratures, il contrôle, à l’évidence, aussi bien les tribus déjà existantes que le destin de l’ager publions, lorsque celui-ci s’accroît par les conquêtes19. L’incapacité de la plèbe à imposer le partage uiritim – autrement dit, hors de l’organisation des gentes – de cet ager publicus, atteste parfaitement l’efficacité d’un tel contrôle : il est clair que la domination du patriciat, si elle résulte à ce moment, comme il y a tout lieu de le croire, d’une résurgence des structures gentilices, doit se manifester par le refus de telles distributions agraires, à coup sûr antagoniques de leurs intérêts les plus évidents.
9Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui pourrait contraindre ou même simplement inciter les patriciens à inscrire les territoires que leurs gentes contrôlent dans des tribus – celles-ci recevraient-elles leurs noms. Les tribus n’ont pas encore d’autre rôle que celui d’intégrer et d’encadrer les citoyens qui sont hors des gentes ; ce sont des cadres, me semble-t-il, encore étrangers aux structures gentilices, étrangers aux domaines des gentes : Tite-Live en donne des indices sans équivoque, sur lesquels il y aura lieu de revenir. On ne voit pas davantage l’intérêt que la plèbe pourrait trouver à de telles créations ; de fait, les luttes ne se développent pas, à ce moment, sur la question de la création ou non de nouvelles tribus – du moins les sources n’en parlent pas – mais sur le régime de la terre conquise : gestion « collective » de l’ager publicus – dont on imagine aisément que les patrons des gentes pouvaient l’utiliser pour y développer leurs clientèles, et qu’ils avaient pour cela l’entier appui de leurs clients – ou distributions de lots en propriétés privées, qui échappent au contrôle direct des patrons20.
10En d’autres termes, il y a tout lieu de penser qu’au début du Ve siècle, et pour plusieurs décennies peut-être, les territoires contrôlés par les gentes n’ont pas encore été distribués en tribus ; mais ils peuvent donner lieu, à tout moment, à la création de nouvelles tribus, sans que soient nécessaires, par conséquent, de nouvelles conquêtes. Lorsque ces tribus seront créées, leurs noms gentilices manifesteront alors, selon toute vraisemblance, la permanence des structures gentilices – voire leur renforcement – sur les territoires intéressés. Leur création, si elle n’est pas liée à une modification du régime des terres, doit s’expliquer par la transformation de la fonction des tribus dans la vie de la cité : une transformation qui a dû donner aux patrons des gentes de bonnes raisons d’insérer les terres qu’ils dominaient – et leurs clients – dans le réseau des tribus. Or, on sait par la tradition ici unanime21 qu’en 471 av. J.-C, une loi imposée par la plèbe allait profondément modifier le rôle dévolu aux tribus, et par là même, l’enjeu politique qu’elles représentaient22.
La loi de Voléron Publilius (471 av. J.-C.)
Les contradictions de l’annalistique
11En 473 en effet, les élections ont porté au tribunat de la plèbe Voléron Publilius, le héros et l’instigateur, au cours des mois précédents, d’une grave émeute des plébéiens. Or, le tribun, dès qu’entré en charge, « proposa au peuple un projet de loi établissant que les magistrats de la plèbe seraient élus par des comices tributes ». Par ce projet, aux dires mêmes de Tite-Live, Voléron avait fait passer « son ressentiment personnel après l’intérêt public ». Pourtant Tite-Live ajoute : « Ce n’était pas une petite affaire, sous une formulation à première vue peu dangereuse ; mais surtout elle enlevait aux patriciens tout pouvoir (omnem potestatem) de créer tribuns qui ils voudraient, par les suffrages de leurs clients. À ce projet très agréable à la plèbe, les patriciens devaient résister avec la plus grande violence (cum summa ui resisterent patres) [...] »23. Une résistance que la plèbe mettrait deux années à réduire, après avoir réélu Voléron pour un second tribunat : à partir de 470, en vertu de la lex Publilia, les tribuns de la plèbe allaient être élus par les comices tributes24.
12Tite-Live – que corrobore partiellement Denys d’Halicamasse25 – livre ici une première information d’importance, dont la signification paraît assez claire : si la rogatio Publilia rencontre la résistance violente des patriciens, c’est bien parce qu’elle exclut leurs clients des procédures d’élections pour les « magistrats de la plèbe », à partir du moment où l’on vote par tribus ; et cette information n’a de sens que si les clients n’ont pas de tribus : autrement dit, si les tribus gentilices n’existent pas.
13À l’évidence ces événements, dont on ne saurait ignorer l’importance, sont en contradiction flagrante avec l’existence, dès la première décennie du Ve siècle, de vingt et une tribus. Celle même de la tribu Claudia devient plus que douteuse : si en effet pour 471 av. J.-C, au lendemain de la réélection de Voléron, les Patres nomment consul un Appius Claudius, c’est pour son intransigeance et sa violence naturelles, qui semblent le désigner comme particulièrement apte à mener le combat qui s’annonce. Mais l’on ne voit pas que le consul ait du tout tenté d’utiliser ses clients, ce qu’il n’aurait sans doute pas manqué de faire, si ceux-ci avaient pu faire partie de l’assemblée tribute26. Au reste, on l’a vu, l’hypothèse selon laquelle la tribu Claudia aurait été créée en 504 est loin d’être solidement fondée : elle s’appuie sur une information fort ambiguë de Tite-Live, et elle est peut-être contredite par Denys d’Halicamasse, qui reporte cette création à « plus tard ». Les événements de 473/471 me semblent lever le doute à ce sujet, et indiquer qu’à ce moment la tribu Claudia n’existait pas encore.
14Ainsi donc, Tite-Live comme Denys d’Halicamasse mettent le lecteur devant un choix entre deux informations contradictoires27. S’il faut admettre l’historicité des événements qu’ils relatent pour 473/471, on doit repousser la création des tribus à noms gentilices à une date ultérieure : et donc ni à ce moment, ni, a fortiori, en 504, 495 ou 491, ne pouvaient exister vingt et une tribus. Si l’on retient néanmoins ce nombre de vingt et une tribus pour les premières années du Ve siècle, on doit admettre l’existence des tribus gentilices dès ce moment : mais en ce cas, les controverses politiques suscitées par la rogatio de Voleron Publilius deviennent incompréhensibles. Les rejettera-t-on, en les déclarant inauthentiques ? On ne saurait pourtant le faire sans examen critique préalable.
15Une telle contradiction passe inaperçue, si l’on ne retient des textes de la tradition que les données chronologiques, simples jalons marquant la naissance et le développement des institutions républicaines, depuis l’abolition de la royauté en 509 jusqu’aux premières décennies du IVe siècle : naissance et développement que l’on met seulement en rapport avec les nécessités des relations extérieures de Rome (avec les Latins, les Volsques ou les Herniques), et la chronologie des guerres et des extensions de territoires. Aucune étude, à ma connaissance du moins, n’a tenu compte, pour la création des tribus au Ve siècle, de ce que révèlent les débats de 473/47128. Si pourtant l’on admet – à la suite de L. R. Taylor elle-même – leur historicité, l’histoire des tribus en acquiert une dimension politique de singulière importance, qui éclaire les luttes de la plèbe et du patriciat à ce moment : la querelle a alors pour enjeu, à l’évidence, le contrôle sur les tribuns de la plèbe, et, par eux, sur les assemblées populaires et les décisions que celles-ci peuvent prendre29.
Les patriciens et les élections des tribuns de la plèbe
16De tout cela découle une seconde information : la réalité du contrôle exercé jusqu’ici par les patriciens sur l’élection des tribuns de la plèbe. Est-il possible de préciser davantage ?
17L’on sait, par Denys d’Halicarnasse30, que les premiers tribuns de la plèbe furent élus, en 493 av. J.-C, par le peuple réparti entre les curies ; et selon toutes probabilités, dans les années suivantes, l’élection des tribuns de la plèbe incomba encore aux comices curiates – de façon, peut-on croire, toute spontanée du côté de la plèbe, pour trois raisons au moins. On observera d’abord que les plébéiens avaient leur place dans ces assemblées dont les divisions, héritières au moins en partie de celles des plus anciennes unités de villages qui avaient précédé Rome31, étaient irréductibles à l’organisation gentilice de la société ; On a ensuite de bonnes raisons de penser qu’à ce moment n’existait pas d’autre assemblée32. Enfin, ce sont les assemblées curiates qui, depuis 509, avaient proclamé la loi curiate qui investissait les magistrats, dépositaires ou non de l’imperium33 ; les tribuns de la plèbe, cependant, n’étant pas encore magistrats, ne pouvaient être investis par une loi curiate : pouvait-on alors trouver meilleure assemblée pour légitimer, par un vote tenu sous la présidence du pontifex maximus, un pouvoir tribunicien d’autre part garanti par des lois sacrées34 ?
18Mais dans l’assemblée curiate siégeaient aussi les clients, ainsi que les patrons des gentes ; et si, en 493, l’acte de création du tribunat de la plèbe avait interdit l’élection des patriciens à cette charge, on ne voit pas qu’il les ait exclus des procédures de vote, non plus que leurs clients, pas plus d’ailleurs qu’il n’avait frappé ces derniers d’incapacité à être élus35. Or, la domination politique que les patrons de gentes pouvaient exercer sur l’assemblée paraît peu douteuse : des trente curies qui la composaient, sept – il est vrai, plus anciennes : elles sont dites curiae ueteres – portaient des noms de lieu ou de culte ; ce sont ces curies qui étaient, selon toute probabilité, héritières des institutions des premières communautés de villages, aux origines de la Ville ; mais les vingt-trois autres, les curies dites nouvelles, nouae, portaient des noms gentilices36 : indice sans équivoque du pouvoir de contrôle qu’y détenaient les patrons de gentes, et qu’au Ve siècle les plus puissants d’entre eux – les patriciens – pourraient utiliser, s’assurant par là même la soumission de l’assemblée curiate tout entière37. Qu’ils aient réussi dans nombre de cas à imposer à l’assemblée curiate, en utilisant les suffrages de leurs clients, des tribuns de leur choix, ne peut guère être mis en doute. Il n’était d’ailleurs pas même besoin d’imposer tous les tribuns pour contrôler l’ensemble du collège : l’intercessio d’un seul suffisait à paralyser toute initiative, comme l’avait montré un Appius Claudius à l’occasion d’un conflit fameux, en 480 av. J.-C.38 :
« Il y en aurait toujours qui voudraient se ménager à la fois un succès aux dépens d’un collègue et la faveur de l’aristocratie en sauvant l’État. Plusieurs tribuns, s’il en fallait plusieurs, seraient prêts à aider les consuls : un seul, d’ailleurs, suffisait à la rigueur contre tous. Les consuls et les principaux sénateurs n’avaient qu’à prendre soin de gagner, sinon tous les tribuns, du moins quelques-uns aux intérêts de l’État et du Sénat ».
19La leçon avait été aussitôt suivie :
« Dès ce moment » conclut Tite-Live, « les sénateurs, tous tant qu’ils sont, se montrent polis et bienveillants en abordant les tribuns ; les anciens consuls, usant de l’influence particulière qu’ils pouvaient avoir sur chacun d’eux, les amènent, soit par reconnaissance, soit par considération pour eux, à mettre les forces du tribunat au service de l’État et, soutenus par quatre tribuns au service de l’État contre un seul adversaire de l’intérêt général, les consuls font le recrutement ».
20Quatre tribuns acquis aux patriciens sur les cinq qu’aurait comptés alors le collège : telle est, s’il faut en croire Tite-Live, la mesure de le domination patricienne en 480 av. J.-C.39, et, certainement, en bien d’autres occasions. On ne saurait donc s’étonner que l’intercessio tribunicienne ait pu jouer à plusieurs reprises pour la plus grande satisfaction des patriciens, dans les années qui suivent l’exécution de Spurius Cassius, bloquant sans coup férir les revendications « plébéiennes » de loi agraire : contrôle du collège tribunicien et contrôle des assemblées vont évidemment de pair. Cependant, dans les années qui précèdent la rogatio de Voleron Publilius, les luttes ont déjà pris un tour nouveau, et Ton est amené à penser que la lex Publilia n’innovait peut-être pas : elle a pu s’inspirer d’événements rapportés par Tite-Live comme par Denys d’Halicamasse pour les années 476/47540, événements que l’on peut, me semble-t-il, tenir pour des victoires « plébéiennes », et sur lesquels il convient de s’arrêter un instant41.
Tribus et vie politique
21En 476 en effet, Titus Menenius, ancien consul, est assigné en justice devant l’assemblée de la plèbe par deux tribuns de la plèbe, Quintus Considius et Titus Genucius, et condamné ; en 475, c’est le tour de Spurius Servilius, son collègue au consulat, que traduisent devant l’assemblée les tribuns de la plèbe Lucius Caedicius et Titus Statius. La conduite des opérations militaires par les deux hommes, lors de leur consulat en 477, est la raison avouée des deux procès ; mais Tite-Live comme Denys d’Halicarnasse en soulignent une autre, plus déterminante : l’opposition des deux accusés à la loi agraire réclamée par la plèbe, et que soutiennent les tribuns accusateurs. Doit-on voir là – comme le suggère Denys d’Halicarnasse – les premiers procès instruits par les tribuns devant les assemblées de la plèbe, en application des lois sacrées de 493 ? Ils constituent en tout cas une affirmation nouvelle du pouvoir des tribuns, face aux patriciens, à n’en pas douter ; ils révèlent en même temps le processus d’institutionnalisation des assemblées de la plèbe – définie, fondamentalement, comme l’ensemble de ceux qui gentem non habent42 – : le déroulement des événements, tel qu’on peut le percevoir par les informations complémentaires de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse, doit donner à réfléchir. Dans de tels procès en effet, où les accusés sont patrons de gentes, le « code » de la clientèle43 doit exclure la libre participation des clients44 : seuls les plébéiens stricto sensu – qui gentem non habent – sont’à même de voter une condamnation de cette sorte, sur proposition des tribuns. Et de fait, Tite-Live, tout au long de son récit, désigne l’assemblée par le mot plebs ; quant à Denys d’Halicarnasse, s’il utilise le mot demos, de signification très large, il précise que les votes, pour les deux procès, ont eu lieu « par tribus »45 : ce qui pourrait être une autre façon d’exprimer l’absence des clients, ou leur abstention, et de désigner la plèbe seule.
22Il y a là, me semble-t-il, des indices assez clairs et d’une indépendance des tribuns accusateurs, et de la réaffirmation politique de la plèbe à ce moment : la constitution de l’assemblée, qui parvenait à imposer ses conclusions lorsqu’elle excluait les clients, au moins pour une part, montrait la voie à suivre pour assurer de façon durable les positions « plébéiennes »46, et dans tous les cas, c’était le recours à l’assemblée tribute.
23Les patriciens ont-ils compris que leur contrôle devenait moins efficace ? On assiste en tout cas à un net durcissement de leur attitude, et en 473 av. J.-C., ils recourent à l’assassinat politique. En cette année comme presque chaque année depuis la mort de Spurius Cassius, les tribuns de la plèbe parlent de loi agraire ; mais en outre l’un d’eux, Cneus Genucius, traîne en justice les consuls Lucius Furius et Caius Manlius à leur sortie de charge : cette fois, ouvertement, c’est pour leur opposition à la loi47.
24Or, le jour du jugement, Cneus Genucius est trouvé mort chez lui. Selon Tite-Live, la joie éclatante des patriciens ne laisse aucun doute sur les responsables d’un assassinat clairement prémédité, tandis que les Patres (pour prévenir une insurrection de la plèbe ?) décrètent une levée militaire48. On voit alors un ancien centurion, Voleron Publilius, s’insurger ; tandis que les licteurs s’emparent de lui, il fait appel aux tribuns ; ceux-ci, terrorisés, n’osent pas même exercer leur devoir d’auxilium, et Voléron en appelle au peuple49 ; le silence même des tribuns déclenche alors une émeute, qui paraît vite incontrôlable : « La foule (concitati homines) se soulève et s’arme comme pour le combat ; il semblait qu’il fallait s’attendre à tout ; nul droit public ou privé ne serait respecté »50. L’émeute, pourtant, s’apaise. Mais aux élections tribuniciennes qui suivent, Voleron Publilius, « entouré de l’affection de la plèbe » dit Tite-Live, est élu : c’est tout aussitôt pour proposer la loi que l’on sait51, qui devait transférer aux tribus l’élection des tribuns de la plèbe, jusque là dévolue à l’assemblée curiate52.
25Le but de la loi était, à l’évidence me semble-t-il, de briser le contrôle des patriciens sur les organisations que la plèbe tentait de se donner : en permettant la nomination de tribuns de la plèbe libres des liens de clientèle ou de toute autre sujétion, elle tendait à assurer au pouvoir tribunicien son autonomie à l’égard des patriciens ; on pouvait penser qu’une assemblée électorale excluant clients et patrons aurait durablement l’indépendance nécessaire, et ce ne pouvait être à ce moment que l’assemblée tribute.
26Si cette interprétation est exacte, la riposte, non sans doute la seule53, mais une des plus évidentes et efficaces qui pouvaient être opposées à la lex Publilia, devait être la création de tribus sur les domaines gentilices : faisant entrer les clients des gentes dans l’assemblée tribute, elle permettrait à leurs patrons de restaurer la position de force qu’ils avaient eue naguère – grâce à leur ascendant sur l’assemblée curiate – sur les élections des « magistrats de la plèbe ». De cette création de tribus sur les territoires contrôlés par les gentes, cependant, la tradition n’a gardé aucun souvenir ; mais sauf pour les quatre tribus urbaines de Seruius Tullius, elle n’avait pas gardé beaucoup mieux celui des autres créations. De plus, dans le cas présent, est-ce si étonnant ? Jusqu’à la publication de la loi des XII Tables, en 451/450, le droit est resté secret, gardé jalousement par les détenteurs du pouvoir, et ce n’est qu’en 448 qu’a été établi l’usage de déposer certains décrets du Sénat au temple de Cérès, à la garde des édiles de la plèbe : car jusque là, dit Tite-Live sans ambages, « les consuls avaient toute latitude pour les supprimer ou les altérer »54. Encore ne s’agit-il pas là de tous les décrets du Sénat, mais seulement de ceux qui donnent force de loi aux plébiscites ; même après la publication de la loi des XII Tables, le droit restera pour une large part soustrait à la connaissance du commun, jalousement conservé dans le secret des archives pontificales : j’aurai à revenir sur ce problème55.
27Que ce soit prudence, manœuvre politique, ou pour toute autre raison, les patriciens ont dû garder par devers eux des mesures qui intéressaient les gentes : ils avaient toute latitude pour le faire ; seule la présence des clients dans les assemblées tributes pourrait manifester qu’ils relevaient eux aussi de tribus – et que s’y trouvait instaurée, par là même, la domination des chefs de gentes. Par conséquent la date de 471 av. J.-C. – si du moins l’on admet l’authenticité des événements décrits par Tite-Live comme par Denys d’Halicarnasse pour les années 473/471 – doit constituer un terminus post quem pour la création des tribus à noms gentilices. Doit-on croire cette création très postérieure ? La présence des clients dans les assemblées tributes constituerait un indice assez clair, mais Tite-Live ou Denys d’Halicarnasse donnent rarement des indications sur la composition des assemblées. La plus ancienne que Tite-Live décrive, pour laquelle la participation des clients paraît certaine, se tient en 392, après la prise de Véies56 ; l’exposé de Tite-Live, toutefois, donne l’impression que cette participation fait alors partie du fonctionnement normal de l’assemblée, et qu’elle doit déjà être ancienne.
28Cependant un certain nombre d’indices – tels que le rétablissement du contrôle politique des patriciens sur le tribunat de la plèbe, ou encore l’accroissement des compétences de l’assemblée tribute – devraient permettre d’avancer une date plus précise.
La création des tribus à noms gentilices : les données de la tradition annalistique
Les conséquences de la lex Publilia
Le temps de l’indépendance des comices tributes
29Avec la promulgation de la lex Publilia, les compétences de l’assemblée tribute s’étaient donc élargies, ajoutant l’élection des tribuns de la plèbe au jugement des accusés, même patriciens, que les tribuns pouvaient traduire devant elle en vertu de leur pouvoir de coercition57. De telles conquêtes plébéiennes étaient loin, cependant, de donner à la plèbe toutes les garanties qu’elle en attendait : Tite-Live comme Denys d’Halicarnasse donnent maints exemples de l’arbitraire des consuls patriciens, qu’ils expliquent par le caractère sacré et secret du droit, dont les patriciens sont seuls détenteurs58 : il conviendra de revenir sur les aspects religieux de ces conflits, qui devaient laisser un bel héritage, pour les siècles suivants. Je retiendrai simplement ici une première leçon des textes de la tradition : ils montrent clairement que contre les assemblées tributes, les patriciens n’étaient pas sans recours. Ainsi, dans les années qui suivent la promulgation de la lex Publilia, ils réussissent, par l’obstruction et par la violence, à bloquer les débats des assemblées et à réduire à néant toutes les initiatives tribuniciennes : l’indépendance des assemblées de la plèbe pour l’élection de leurs tribuns ne suffisait pas, à l’évidence, à assurer une « égalité des droits » dont l’absence était de plus en plus impatiemment ressentie. En 462 enfin, le tribun de la plèbe Caius Terentilius Harsa fit part à l’assemblée du projet de loi qu’il entendait déposer :
« Pour mettre un terme à l’arbitraire (des consuls), il allait proposer une loi instituant une commission de cinq membres chargés de réglementer le pouvoir consulaire. Le peuple fixerait les droits du consul sur lui-même, le consul se bornerait à en user, au lieu de n’avoir pour loi que son bon plaisir et sa fantaisie [...] »59.
30Le projet rencontra aussitôt l’opposition des patriciens, qui allaient réussir pendant plusieurs mois, par des manœuvres de toutes sortes alliées à la violence, à paralyser les assemblées60.
31Plus attentif que Tite-Live au processus institutionnel61, Denys d’Halicarnasse62 prête aux patriciens, dès les premiers affrontements, un discours juridique du plus haut intérêt. On ne peut, disent-ils, reconnaître aux tribuns de la plèbe le droit de proposer des lois, depuis qu’ils sont élus non plus par l’assemblée curiate, mais par l’assemblée tribute ; car de ce fait, non seulement ils ont perdu la caution légale et religieuse qu’assurent l’autorisation préalable du Sénat et le vote de l’assemblée curiate, mais en outre, n’étant plus élus que par une partie du peuple, ils ne sauraient parler pour le peuple tout entier, et les lois concernent le peuple tout entier. Si cependant l’assemblée tribute ne réunit qu’une partie du peuple, n’est-ce donc pas parce qu’à ce moment encore, les clients des gentes ne sont pas inscrits dans les tribus63 ?
32La présentation des faits par Tite-Live confirme pleinement cette interprétation. Pour empêcher la tenue de l’assemblée de la plèbe et les débats sur le projet de loi, les patriciens recourent à l’obstruction violente alliée à la manœuvre. Tite-Live les décrit présents sur le lieu d’une assemblée où ils n’ont que faire,
« rangés et tout prêts, eux et l’immense armée de leurs clients ; ils saisirent le premier prétexte, l’ordre de circuler, pour tomber sur les tribuns avec tant d’ensemble qu’aucun d’eux n’était particulièrement glorieux ou détesté en rentrant chez eux [...]. Mais entre temps, les jours où il n’était pas question de la loi, il n’y avait pas plus calme et plus tranquille qu’eux : ils saluaient amicalement les plébéiens, les abordaient, les invitaient chez eux, s’occupaient de leurs affaires au forum, laissaient même les tribuns tenir toute autre assemblée, sans la troubler [...]. Ils laissèrent les tribuns en toute tranquillité exercer toutes leurs fonctions, et même se faire réélire pour l’année suivante, sans un mot blessant, à plus forte raison sans la moindre violence. Peu à peu, à force de la bien traiter, ils avaient apprivoisé la plèbe. En manœuvrant ainsi toute l’année, ils éludèrent le projet de loi »64.
33Il y a tout lieu de penser que depuis 471, les patriciens, assistés de leurs clients, paralysaient de la sorte à leur gré les assemblées tributes, et que la rogatio Terentilia avait, entre autres desseins, celui de faire obstacle à de telles pratiques. Mais de tels recours ne pouvaient être à la fin qu’occasionnels, et leurs résultats tout provisoires : d’année en année, la rogatio est reprise par l’un ou l’autre des tribuns, et les manœuvres d’obstruction, les violences patriciennes, échouent à briser les organisations « plébéiennes ». Une fois encore, un jeune patricien, Caeso Quinctius, est traduit devant l’assemblée de la plèbe pour y répondre de ses violences, et contraint à l’exil ; la tradition décrit son père, qui n’est autre que le grand Cincinnatus, ruiné par l’amende qu’il a dû acquitter pour lui, vivant solitaire, retiré sur les quatre jugères de terre qui lui restent dans l’ager Vaticanus65.
34La rogatio Terentilia de 462 av. J.-C. n’était que la première forme d’un projet qui devait aboutir onze ans plus tard, très amplifié, avec la constitution en 451 d’un décemvirat législatif, renouvelé en 450, et la publication de la loi des XII Tables66.
Indépendance des tribuns de la plèbe, et accès de plébéiens aux plus hautes magistratures
35Pendant les vingt années qui suivent la promulgation de la lex Publilia, les organisations de la plèbe rencontrent donc des difficultés évidentes à s’imposer. Cependant la période semble caractérisée aussi par une relative indépendance des tribuns de la plèbe : c’est par la violence, et non plus par le consensus politique de l’assemblée et de ses tribuns, que le patriciat garde une position de force. Et sa domination n’est plus aussi exclusive : pendant ce même temps, l’élite plébéienne retrouve à la direction politique de l’État une place non négligeable, comparable à celle qu’elle avait occupée aux premiers temps de la République ; ainsi, entre 504 et 486, elle avait détenu un cinquième des consulats ; entre 470 et 451, à nouveau un cinquième des noms conservés dans les Fastes consulaires sont plébéiens67 ; si le premier collège décemviral, en 451, ne compte qu’un « plébéien », le second en compte cinq, selon de grandes probabilités ; et l’on s’accorde à reconnaître dans l’œuvre législative de ces deux collèges, pour une part au moins, le résultat d’une victoire du « peuple » et, singulièrement, de la plèbe68.
36Il est très difficile – peut-être impossible – de voir dans quelle mesure l’indépendance du collège tribunicien et de l’organisation de la plèbe dans ses assemblées tributes a joué un rôle dans ce regain d’influence politique de l’élite plébéienne, perceptible jusque dans l’élection des consuls. La promulgation de la loi de Voleron Publilius ne suppose-t-elle pas, déjà, une meilleure position de la plèbe ? Il convient sans doute de penser à la dialectique d’une conjoncture économique et politique plus favorable à ce moment, et d’une organisation plébéienne capable de mieux s’imposer pour durer ; de penser aussi – et surtout peut-être – à la force qu’a pu retrouver l’élite plébéienne pour nouer à nouveau, de ce fait – comme pendant les deux premières décennies de la République – des alliances avec certains patriciens69. Or, la chute du second collège décemviral, en 449 av. J.-C, révèle peut-être déjà la fragilité des positions acquises70. En tout cas, dans les dix années qui suivent la chute du second collège décemviral, on assiste à un véritable renversement de la situation : tout indique que les patriciens ont alors repris le contrôle des assemblées, et pour longtemps. Il faut ici revenir sur la signification politique de la ‘restauration’ des institutions républicaines, en 449 av. J.-C., et singulièrement sur la refondation du tribunat de la plèbe.
La « restauration » de 449 av. J.-C.
Une nouvelle définition de la plèbe
37La plèbe a certainement reçu, dans les assemblées tributes, une définition nouvelle : elle comprend maintenant tout le peuple romain – à l’exclusion, cela va sans dire, des patriciens : mais ces derniers ne sont-ils pas moins « hors » de ce peuple, qu’au-dessus de lui ? À l’ancienne plèbe, composée de ceux qui gentem non habent, s’agrègent maintenant les clients, au sein des assemblées : l’antinomie plébéiens/patriciens71 est politiquement fondée, et remplace l’ancienne opposition plebs/gentes. En ce sens, une re-fondation du tribunat de la plèbe est devenue à la fois possible et nécessaire : Or, comme en 493, les élections pour le premier collège tribunicien rénové – des élections auxquelles participe le Peuple romain tout entier – sont placées sous la présidence du pontifex maximus : ne reconnaîtra-t-on pas, là encore, un indice de la reprise en mains des élections tribuniciennes par les patriciens ?
Le renouveau du contrôle patricien sur le tribunat de la plèbe
38D’abord, aux élections tribuniciennes de 448 av. J.-C., sont ouvertement tournées les règles qui pouvaient préserver l’indépendance du collège des tribuns : on y applique un système de cooptation, mis en vigueur – ou peut-être renouvelé72 – par la loi qui, en 449, avait rétabli le tribunat de la plèbe après l’intermède du décemvirat législatif. Si l’on en croit Tite-Live, le texte de la loi prévoyait : « On fera nommer dix tribuns de la plèbe ; si, au jour dit, moins de dix tribuns de la plèbe sont élus, ils se choisiront des collègues qui seront légalement tribuns de la plèbe au même titre que ceux qui auront été élus tribuns le dit jour »73. Or, en 448, pour couper court aux tentatives de certains tribuns sortants pour se faire réélire, le tribun Marcus Duillius, qui présidait les élections, leva l’assemblée alors que cinq tribuns seulement avaient été élus, laissant à ces derniers le soin de se choisir des collègues74. Le résultat fut sans ambiguïté : « Les nouveaux tribuns de la plèbe choisirent leurs collègues de manière à flatter les désirs des patriciens : ils allèrent jusqu’à désigner deux patriciens anciens consuls [...] »75.
39Il convient ici de s’interroger sur la portée réelle et la signification de cette cooptation tribunicienne : peut-elle véritablement suffire pour que s’établisse le contrôle des patriciens sur le collège des tribuns ? L’affaire, à vrai dire, apparaît des plus ambiguës ; le rôle du tribun Duillius, qui manœuvre l’assemblée, peut-on croire, pour la plus grande satisfaction des patriciens, la personnalité, aussi, des deux tribuns cooptés – deux consulaires « patriciens » si l’on en croit Tite-Live, mais que Denys d Halicarnasse donne pour favorables à la plèbe76, en fait, plus vraisemblablement, deux hommes issus de l’élite plébéienne et parvenus au consulat pour 454 – : tout évoque, aussi bien qu’une domestication déjà accomplie, des alliances nouées entre des personnalités de l’élite plébéienne et certains patriciens, et des complaisances mutuelles. Alliances partielles cependant, fragiles, et bien près de la rupture : bientôt en effet l’on voit l’un des cinq tribuns élus, Lucius. Trebonius, accuser les patriciens « pour l’avoir, disait-il, dupé et fait trahir par ses collègues dans le choix par cooptation des tribuns [...] »77. Il pourrait bien y avoir là autre chose que la simple dénonciation d’alliances individuelles et de mauvais aloi, et tout porte à croire qu’à ce moment, les patriciens avaient dû reœuvrer le contrôle des élections tribuniciennes, au moins en partie, grâce au vote de leurs clients.
40Quoi qu’il en soit, Lucius Trebonius déposa un projet de loi interdisant la cooptation des tribuns de la plèbe, et employa toute l’année de son tribunat à la faire adopter : en vain78.
Le rétablissement du monopole patricien sur les hautes magistratures
41Or, au cours des années suivantes, l’élite plébéienne peine à maintenir ses positions, et subit un grave recul aux élections consulaires. Certes, en 445, l’un des consuls, un Genucius, est plébéien ; mais le collège des tribuns militaires à pouvoirs consulaires79 élu l’année suivante, et qui comporte un plébéien, est dissous pour manquement aux rites lors des procédures électorales, et remplacé par deux consuls, tous deux patriciens80. Dans les années suivantes, aucun plébéien ne parvient à la magistrature suprême, et en 439, le renversement du rapport des forces et le rétablissement de la domination patricienne deviennent patents : cela non seulement pour les élections aux hautes magistratures, mais encore si l’on considère l’activité du collège des tribuns de la plèbe.
42En cette année 439 en effet, qui voit se développer à Rome une grave famine, un riche particulier, Spurius Maelius, très populaire pour ses distributions de blé à la plèbe – Tite-Live souligne que de ce fait, il aurait pu obtenir le consulat, malgré l’opposition patricienne – est accusé d’aspirer à la royauté, et sommairement exécuté81. Par delà les invraisemblances du récit livien et ses anachronismes, peut-être est-il possible de discerner les éléments essentiels du conflit82.
43Spurius Maelius, candidat potentiel au consulat, était certainement plébéien83. Six ans plus tôt, en 445, un autre plébéien, Marcus Genucius Augurinus, avait accédé au consulat. Or, l’année avait encore été marquée par deux graves reculs patriciens84 : d’abord la loi sur l’interdiction de mariage entre plébéiens et patriciens, acquise cinq ans plus tôt à peine, avait été annulée par la lex Canuleia, que le Sénat avait été contraint d’accepter ; ensuite avaient été créés les tribuns militaires à pouvoirs consulaires, qui pourraient être recrutés parmi les plébéiens aussi bien que parmi les patriciens, et il semble bien – en dépit de ce qu’assure Tite-Live – que l’un des trois tribuns militaires qui avaient été élus, Lucius Atilius Luscus, était plébéien. Mais l’élection avait pu être annulée trois mois plus tard, au profit de deux consuls patriciens85, et depuis, le monopole patricien sur le consulat ou sur le tribunat militaire à pouvoirs consulaires ne s’était pas démenti. Allait-on tolérer l’ascension politique et la rivalité d’un Spurius Maelius ? L’urgence d’une telle situation a dû inspirer au Sénat la nomination d’un dictateur capable d’imposer son autorité et d’empêcher la perpétuation d’un tel état de choses. Le consul alors en charge, Titus Quinctius Capitolinus, fit donc appel à Cincinnatus, alors âgé de quatre-vingts ans. Nomination fort symbolique : Cincinnatus n’était-il pas le père de Caeso Quinctius, condamné et contraint à l’exil en 462 pour ses violences contre la plèbe et son opposition à la rogatio Terentilia ?
44Aussitôt Spurius Maelius fut dénoncé pour complot contre la sûreté de l’État, accusé d’aspirer à la royauté, et mis à mort avant même d’avoir comparu86. Les circonstances du procès, les éléments de l’accusation aussi, rappellent étrangement la condamnation de Spurius Cassius, auquel Spurius Maelius est expressément comparé par le dictateur87. Et comme l’exécution de Spurius Cassius, la mort de Spurius Maelius marque, à nouveau, l’éviction quasi totale de l’élite plébéienne des plus hautes magistratures – consulats ou tribunats militaires à pouvoirs consulaires- pour des décennies : à l’exception d’un tribun à pouvoir consulaire en 422 et un autre en 417, les plébéiens disparaissent des Fastes jusqu’en 40088.
45Pendant le même temps, le collège tribunicien semble plus domestiqué que jamais. En 439, il paraît étrangement acquis aux patriciens puisque, s’il faut en croire Tite-Live, il n’y eut que trois tribuns pour déplorer « le meurtre révoltant de Maelius »89. Et dans les années suivantes, les patriciens n’ont aucune peine à trouver en son sein des hommes pour faire obstacle, par l’exercice de leur intercessio ou d’une autre manière, à toute initiative tribunicienne90. Une telle reprise de contrôle des patriciens sur les organisations de la plèbe invite à penser que les clients avaient dû prendre place dans l’assemblée tribute, aux côtés de leurs patrons, au plus tard dans les années 450-440 : ce qui suppose la création, sur les territoires contrôlés par les gentes, des dix tribus qui avaient reçu, en bonne logique, les noms de dix d’entre elles. Le fonctionnement de l’assemblée tribute, tel que le décrit Tite-Live pour 392, lorsqu’est débattu le projet d’émigration à Véies, ne laisse aucun doute sur la participation, sans doute déjà ancienne à ce moment, des patrons des gentes et de leurs clients91. Quels critères réglèrent le choix des dix gentes éponymes ? Le silence de la tradition est, là encore, total.
46Les Fastes peuvent-ils apporter quelque lumière ?

Carte VIII – La localisation des dix-sept tribus rurales au milieu du V° siècle.
Notes de bas de page
1 Pour l’établissement de critères de différenciation entre consuls plébéiens et consuls patriciens, cf. infra, chapitre IX (Annexe).
2 Sur l’authenticité du personnage de Sp. Cassius, cf. en particulier : A. W. Lintott, The Tradition of Violence in the Annals of the Early Roman Republic, Historia, XIX, 1970, pp. 12-29 (qui voit dans les récits de Tite-Live, de Denys d’Halicarnasse ou de Cicéron, relatifs à Sp. Cassius, la transformation d’une fable morale – l’exécution de Sp. Cassius par son père – en conflit d’ordre constitutionnel) ; P. Ch. Ranouil, Recherches sur le « patriciat », pp. 76-81 (qui en fait un patricien, puisqu’il a géré le consulat) ; J.-Cl. Richard, Les origines de la plèbe..., pp. 524-526 (qui en fait le défenseur des ruraux contre le patriciat, et le classe parmi les sénateurs conscripti).
3 Tite-Live, II, 33, 3 et 19, confirmé par Denys d’Halicamasse, VI, 19-20 ; sur le foedus Cassianum et son contenu : M. Humbert, Municipium..., pp. 68-73 et pp. 92-122.
4 Valère Maxime, V, 8, 2, fait même de lui, pour 493, un tribun de la plèbe : information rejetée par Münzer, RE, III, 1751 ; par J. R. S. Broughton, Magistrates, I, p. 21 ; par R. M. Ogilvie, A Commentary, p. 339 ; par E. Pais, Ricerche sulla storia e sul diritto pubblico di Roma, I-IV,, pp. 53-54 et p. 240.
5 Denys d’Halicamasse, VI, 94 ; cf. aussi infra.
6 Selon Tite-Live, II, 41, 1-3, que confirme Denys d’Halicamasse, VIII, 69 sq., Sp. Cassius, après avoir confisqué aux Hemiques les deux tiers de leur territoire, aurait proposé d’en faire la distribution moitié aux Latins, moitié à la plèbe ; il aurait ajouté aux terres herniques des domaines que les patriciens détenaient abusivement en possessio.
7 M. Humbert, Municipium..., pp. 72-74 et n. 78-79 ; F. De Martino, Storia economica di Roma antica, Florence 1979, pp. 14-15 ; F. Serrao, Lotte per la terra e per la casa a Roma dal 485 al 441 A.C., Legge e società nella Repubblica romana, I, Naples 1981, pp. 98-114.
8 Tite-Live, II, 41, 1-3 : Inde dimidium Latinis, dimidium plebi diuisurus consul Cassius erat. Adiecebat huic muneri agri aliquantum, quem publicum possideri a priuatis criminabatur. Id multos quidem parum, ipsos possessores, periculo rerum suarum terrebat ; sed et publica patribus sollicitudo inerat, largitione consulem periculosas libertati opes struere. Turn primum lex agraria promulgata est. Cf. aussi Denys d’Halicamasse, VIII, 68-80 ; pour l’analyse critique de ces passages : F. Serrao, 1981, pp. 51-57, avec la bibliographie.
9 Pour les différents statuts des terres de Yager publicus : Cl. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen. 1/ Les structures de l’Italie romaine, Paris 1977, pp. 33-38 et pp. 120-124 ; L. Capogrossi-Colognesi, Le régime de la terre, pp. 318-323 et n. 23, et pp. 349-350, pour les premiers siècles de la République.
10 Cf. supra, pp. 76-79 ; J. Cels-Saint-Hilaire et Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 127-128 et p. 141 ; dans le même sens, F. Serrao, Lotte per la terra, pp. 55-56.
11 Tite-Live, IV, 48, 2-3 : Ei cum rogationem promulgassent ut ager ex hostibus captus uiritim diuideretur, magnaeque pars nobilium eo plébiscito publicarentur fortunae – nec enim ferme quicquam agri, ut in urbe alieno solo posita, non armis partum erat, nec quod uenisset adsignatumue publice esset praeterquam plebs habebat – atrox plebi patribusque propositum uidebatur certamen [...] (éd. et trad. CUF).
12 PI. Fraccaro, La Storia romana arcaica..., p.5 ; A. Bernardi, Patrizi e plebei nella costituzione della primitiva repubblica romana », Rendiconti dell’Istituto Lombardo, Classe di Lettere Scienze morali e storiche, 79, 1952, pp. 3-58 ; M. Pallottino, Fatti e leggende..., pp. 3-37 ; contra : P. Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat, pp. 76-81. Les données de la tradition relatives au consulat, pour les premières décennies de la République, sont rejetées par K. Hanell, Probleme der römischen Fasti, Entretiens XIII, fondation Hardt, Vandœuvres-Genève 1966, pp. 177-196 ; par R. Werner, Der Beginn der römischer Republik, Munich-Vienne 1963, p. 474 sq., qui place en 473-471 la fondation de la République, et aboutit aussi à des conclusions hypercritiques ; par F. De Martino, Storia economica..., en particulier pp. 233-249, qui refuse toute crédibilité à l’histoire constitutionnelle des premières décennies de la République, et a fortiori aux listes fournies par les fastes consulaires. Sur ces questions, cf. déjà les mises au point de J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 273-274, et récemment celles de G. Poma, Tra legislatori e tiranni, Bologne 1984, pp. 38-46.
13 Tite-Live, II, 2-4 ; Denys d’Halicamasse, VIII, 71, 2-3.
14 Denys d’Halicamasse, VIII, 71, 4.
15 Des deux versions qu’il transcrit – procès privé, ou procès public à l’instigation des deux questeurs – c’est la seconde que Tite-Live, II, 41, 11, juge la plus vraisemblable.
16 Sur le charisme dont les Valerii paraissent avoir été porteurs : infra, chap. VI.
17 Cf. infra, chapitre IV, et tableaux : on remarquera que l’enseignement des Fastes s’intègre au mieux dans la logique de l’évolution du moment. Je laisse ici de côté la discussion du titre réel de ces magistrats – préteurs ou consuls – me bornant à renvoyer à l’exposé de J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 268-273.
18 M. Torelli, Rome et l’Étrurie..., pp. 284-287.
19 L. Capogrossi-Colognesi, Le régime de la terre..., pp. 318-323 et n. 23, et pp. 349-350.
20 La plèbe pensera bientôt trouver, en revanche, un avantage considérable à la non-existence de tribus sur les territoires des gentes : cf. infra.
21 Tite-Live, II, 55-56 ; Denys d’Halicarnasse, IX, 41-49 ; en faveur de l’authenticité de la loi : cf. L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 9 et n. 18 ; contra : R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy, Books 1-5, Oxford 1965, pp. 378-381 : cf. infra ; F. Serrao, Lotte per la terra, p. 71 et n. 52, qui, sans donner de vraies raisons, rejette l’idée de l’élection des tribuns de la plèbe jusqu’en 471 par les assemblées curiates, comme « dérivant de la nécessité de sauver les notices de Cicéron et de Denys d’Halicarnasse ». Le problème est moins, me semble-t-il, de « sauver » ces notices, que de vérifier leur adéquation – ou leur inadéquation – à la cohérence historique du moment.
22 Pour de tout autres analyses : R. M. Ogilvie, A Commentary.pp. 378-381.
23 Tite-Live, II, 56, 2-5 : [...] (Volero) rogationem tulit ad populum ut plebei magistratus tributis comitiis fierent. Haud parua res sub titulo prima specie minime atroci ferebatur, sed quae patriciis omnem potestatem per clientium suffragia creandi quos uellent tribunos aufferret. Huic actioni gratissimae plebi cum summa ui resisterent patres [...]
24 Tite-Live. II, 58, 1 : Turn primum tributis comitiis creati tribuni sunt. Numero etiam additos tres, perinde ac duo antea fuerint, Piso auctor est. Par quelle assemblée – curiate ? ou quelle autre assemblée ? – la loi a-t-elle été votée ? Ni Tite-Live, ni Denys d’Halicarnasse ne le laissent percevoir. Seule est certaine Tissue des luttes : la règle a été imposée par un rapport des forces qui, à ce moment, a donné l’avantage aux exigences plébéiennes ; mais il y a tout lieu de penser que ce fut avec l’appui – sans doute nécessaire – de certains patriciens : j’y reviendrai. Pour de tout autres solutions, R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 381 ; R. Develin, « Comitia tributa plebis », Athenaeum, 1975, pp. 302-337.
25 Tite-Live. II, 56 ; Denys d’Halicamasse, IX, 27-33 et IX, 41, 3 : Denys d’Halicamasse explique ici l’opposition des patriciens à la rogatio de Voléron par le fait que l’assemblée tribute était soustraite à la nécessité d’un décret préalable du Sénat – auquel l’assemblée curiate était soumise – ainsi qu’à la sanction des prêtres et des augures – tous patriciens à ce moment ; mais cela n’implique-t-il pas aussi l’exclusion des patriciens de l’assemblée tribute, parce qu’à cette époque, pas plus que leurs clients, ils ne sont dans les tribus ?
26 Ainsi pour l’épisode que rapporte Tite-Live, II, 56-57.
27 La « conscience » de telles contradictions que pouvaient avoir Denys d’Halicamasse ou Tite-Live n’a pas à être abordée ici.
28 R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 381, en fait un épisode très mineur de légalisation d’une assemblée de la plèbe, qui existait déjà de facto : cf. infra, n. 30.
29 C’est à ce moment que les tribus ont commencé d’acquérir un rôle politique dont le développement éclaire les querelles et les affrontements auxquels donneront lieu, au cours des siècles à venir et jusqu’au principat augustéen, les créations de nouvelles tribus et le mode de répartition des citoyens romains dans les assemblées tributes. La générosité même d’un Jules César à octroyer à des provinciaux la citoyenneté romaine, aussi bien que la politique à cet égard très nuancée de son fils adoptif trouvent là de premiers éléments d’explication, auxquels on ne saurait être trop attentif.
30 Denys d’Halicarnasse, VI, 89, 1, que corrobore Cicéron (selon Asconius, in Corn., 60) l’atteste formellement pour 493 av. J.-C. ; et en 471, précise-t-il, la loi de Voléron transféra l’élection des tribuns de la plèbe, des comices curiates aux comices par tribus : IX, 41, 2 ; R. M. Ogilvie, A Commentary..., p. 381, pense ces informations inacceptables, étant donné le « caractère révolutionnaire » (« revolutionary character ») des tribuns de la plèbe : mais un tel caractère n’est-il pas un présupposé de l’auteur, que démentent formellement les informations des Anciens ?
31 M. Torelli, Rome et l’Étrurie..., p. 271.
32 A. Magdelain, Recherches sur l’« imperium » : la loi curiate et les auspices d’investiture, Paris, 1968, p. 34.
33 A. Magdelain, Recherches sur l’« imperium »... : même quand les comices curiates n’auront plus qu’une valeur formelle, leur vote de la lex de imperio restera indispensable à l’investiture des magistrats, tant inférieurs que majeurs (cf. en particulier pp. 12-15) ; pour l’importance des comices curiates, cf. encore J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 216-219 ; pour un rappel des discussions récentes sur la loi curiate, et la bibliographie : E. Ermon, « La place de la loi curiate dans l’histoire constitutionnelle de la fin de la République romaine », Ktéma, 7, 1982, pp. 297-307.
34 Sur les compétences du pontifex maximus – et en particulier sur la présidence des comices curiates – cf. Szemler, in RE, Suppl. XV, s.v. Pontifex, 354-364 (avec les sources et la bibliographie) ; pour les élections de 449 av. J.-C., tenues sous la présidence du pontifex Maximus : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 298-299, et infra.
35 Tite-Live, II, 33, 1 : Agi deinde de concordia coeptum, concessumque in condiciones ut plebi sui magistratus essent sacrosancti quibus auxilii latio aduersus consules esset, neue cui patrum capere eum magistratum liceret : « On se mit alors à traiter de la réconciliation et l’on consentit à accorder à la plèbe des magistrats spéciaux et inviolables, chargés de prendre sa défense contre les consuls, et à exclure tout patricien de cette fonction » (éd. et trad. CUF).
36 Festus, p. 180 L, s.v. Nouae curiae ; sur cela, cf. M. Torelli, Rome et l’Étrurie..., pp. 270-272.
37 M. Torelli, Rome et l’Étrurie..., p. 271.
38 Tite-Live, II, 44, 3-6 : « Neque enim unquam defuturum qui et ex collega uictoriam sibi et gratiam melioris partis bono publico uelit quaesitam ; et plures, si pluribus opus sit, tribunos ad auxiliutn consulum paratos fore, et unum uel aduersus omnes satis esse. Durent modo et consules et primores patrum operam ut, si minus omnes, aliquos tamen ex tribunis rei publicae ac senatui conciliarent ». Praeceptis Appi moniti patres et uniuersi comiter ac benigne tribunos appellare, et consulares, ut cuique eorum priuatim aliquid iuris aduersus singulos erat, partim gratia, partim auctoritate obtinere ut tribuniciae potestatis uires salubres uellent rei publicae esse ; quattuorque tribunorum aduersus unum moratorem publici commodi auxilio dilectum consules habent. (éd. et trad. CUF). (Pour obtenir la promulgation de la loi agraire, des tribuns de la plèbe s’étaient opposés à la levée militaire).
39 Le nombre de cinq tribuns, à ce moment, est cependant sujet à caution, et contredit par Tite-Live lui-même cf. Tite-Live, II, 58 : il n’y aurait eu d’abord que deux tribuns, et le nombre de quatre, ou de cinq, n’aurait été atteint qu’en 471, pour passer enfin à dix en 449 ; cf. encore Tite-Live, II, 33, qui souligne les hésitations des sources, lorsqu’il mentionne la création en 493 des premiers tribuns de la plèbe. Reste, pour 480, l’impression d’une domination incontestable des patriciens sur le collège des tribuns, même si la mesure donnée – quatre tribuns sur cinq dans leur obédience – ne doit pas être prise à la lettre.
40 Tite-Live, II, 52 ; Denys d’Halicamasse, IX, 27-33 ; c’est pour Coriolan, en 491 av. J.-C., qu’aurait été instruit contre un patricien le premier procès devant une assemblée populaire, si Ton suit Denys d’Halicamasse, VU, 5, 3 ; 26 ; 38 ; 39 ; 58 ; le procès aurait été conduit devant l’assemblée centuriate, après que le Sénat en eut donné l’autorisation ; par la suite, le Sénat aurait concédé le transfert de ce type de procès à l’assemblée tribute : Denys d’Halicamasse, VII, 59 ; 60, 1 ; c’est devant cette assemblée qu’est instruit le procès, en 476, de Menenius et de Servilius, et à cette occasion, Denys d’Halicarnasse rappelle l’évolution de la procédure.
41 L’historicité de tels procès a été discutée par R. M. Ogilvie, A Commentary... : l’auteur les tient pour inauthentiques, parce que les tribuns de la plèbe n’ont de juridiction que sur la plèbe ; mais pour la même raison, il est conduit à rejeter l’idée que les tribuns de la plèbe aient jamais pu être élus par les comices curiates, puisque dans ces assemblées se trouvaient réunis le peuple des gentes aussi bien que la plèbe ; et donc la lex Publilia n’a fait que légitimer des concilia plebis dont il faut bien postuler l’existence préalable – une existence qui aurait été seulement tolérée, jusqu’en 471 – pour qu’aient pu être élus des tribuns de la plèbe depuis leur création en 493 : p. 381.
42 Tite-Live, X, 8, 9 ; sur ce point, J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 196-197 ; M. Torelli, Rome et TÉtrurie, pp. 274-275.
43 Denys d’Halicarnasse, H, 10,1-4, expose : « Pour les patrons comme pour les clients, il était impie et illégal de s’accuser les uns les autres dans les procès, ou de porter témoignage ou de voter les uns contre les autres, ou de figurer au nombre des ennemis de chacun ; et quiconque était convaincu de s’être rendu coupable de Tune ou l’autre de ces choses, était reconnu coupable de trahison, en vertu de la loi établie par Romulus, et pouvait être mis à mort par quiconque le désirait, en tant que victime consacrée à Jupiter des régions infernales. » (Traduction J. Harmand).
44 À moins de supposer déjà, comme ce sera vraisemblablement le cas quelques années plus tard, l’utilisation de leurs clients par certains patrons de gentes – alliés à la plèbe – contre d’autres. Pour des informations sur le « code de la clientèle » à l’époque archaïque – tel du moins que le souvenir s’en était gardé à la fin de la République : et surtout Denys d’Halicarnasse, II, 10, 1-4., et l’analyse in J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 106-108 ; contra : J. Poucet, Les origines de Rome. Tradition et histoire, Bruxelles 1985., p. 104, n. 99, qui rejette cette analyse- aussi bien d’ailleurs que la pertinence du texte de Denys d’Halicarnasse – pour une argumentation qui ne s’y trouve pas ; cf. Aussi supra, chap. I.
45 Denys d’Halicarnasse, IX, 27, 2 ; 33, 3.
46 Tite-Live est beaucoup moins précis que Denys d’Halicarnasse. En 491 (Tite-Live, II, 35), il décrit une assemblée comprenant aussi bien la plèbe (coorta plebs) et ses tribuns, que les patrons et leurs clients : pour sauver Marcius Coriolan, dit-il, les patres commencèrent par essayer de leurs clients, les chargeant de prendre à part les gens et de les amener à déserter les ligues et les réunions pour essayer de les désorganiser » : ac primo temptata res est si dispositis clientibus absterrendo singulos a coitionibus conciliisque disicere rem possent (Texte et trad. CUF). En laveur de Menenius, le Sénat, dit encore Tite-Live (Tite-Live, II, 52, 4) « fit pour lui les mêmes efforts que pour Coriolan [...] » mais l’autre accusé, Spurius Seruilius, « ne comptait pas, comme Menenius, sur ses sollicitations personnelles et sur celles du Sénat, mais se fiait entièrement à son innocence et à sa popularité, pour affronter les attaques des tribuns [...] Il s’attaqua hardiment dans sa réplique non seulement aux tribuns, mais à la plèbe [...] » (Trad. CUF). Si donc les clients interviennent, c’est toujours en faveur des accusés – mais on ne voit pas clairement s’ils font partie de l’assemblée, ou s’ils agissent seulement en tant que témoins à décharge (conformément, on le soulignera au passage, aux obligations que leur faisait en ce sens le code de la clientèle). Ce n’est qu’avec la rogatio Publilia, en 471, qu’apparaît clairement dans le récit livien l’organisation tribute, d’où les clients des gentes sont exclus.
47 Tite-Live, II, 54, 2 : Agrariae legis tribuniciis stimulis plebs furebat. Consules, nihil Meneni damnatione, nihil periculo deterriti Seruili, summa ui resistunt. Abeuntes magistratuCn. Genucius tribunus plebis arripuit : « Les tribuns usaient de la loi agraire pour fouetter les passions de la plèbe. Les consuls, sans se laisser influencer soit par la condamnation de Menenius, soit par le procès de Seruilius, résistent avec la plus grande violence. À leur sortie de charge, Cneus Genucius, tribun de la plèbe, les traîna en justice ». (N.B. : les traductions, dans l’édition CUF de plebs par « peuple », et de summa ui par « vigoureuse opposition », me semblent dénaturer le texte).
48 Tite-Live, II, 54, 9-10 : Tandem qui obuersati uestibulo tribuni fuerant nuntiant domi mortuum esse inuentum. Quod ubi in totam contionem pertulit rumor, sicut acies funditur duce occiso, ita dilapsi passim alii alio. Praecipuus pauor tribunos inuaserat, quam nihil auxilii sacratae leges haberent morte collegae monitos. Nec patres satis moderate ferre laetitiam, adeoque neminem noxiae paenitebat ut etiam insontes fecisse uideri uellent, palamque ferretur « malo domandam tribuniciam potestatem » : « Enfin tous ceux qui avaient attendu le tribun à sa porte viennent annoncer qu’on Ta trouvé mort chez lui. Dès que ce bruit se fut répandu dans toute l’assemblée, comme une armée qui se disloque après la mort de son général, elle se dispersa de côté et d’autre. Les tribuns surtout étaient saisis de frayeur, car la mort de leur collègue prouvaient que les lois sacrées ne leur étaient d’aucun secours. De leur côté, les patriciens ne savaient pas modérer leur joie : ils avaient si peu de remords de leur crime, que les innocents eux-mêmes affectaient d’y avoir trempé, et qu’on préconisait bien haut la violence pour mater le tribunat ». (éd. et trad. CUF). Pour Denys d’Halicarnasse, IX, 38, 2, cependant, Cneus Genucius était mort de mort naturelle ; mais l’arrogance des patriciens, dès le lendemain, et leur décision de procéder aussitôt à une levée militaire, allaient provoquer l’insurrection, soutenue même par les tribuns les plus accommodants : Denys d’Halicamasse, IX, 38, 3 ; 39.
49 Tite-Live, II, 55, 4-11.
50 Tite-Live, II, 55, 8 : Concitati hommes ueluti ad proelium se expediunt ; apparebatque omne discrimen adesse, nihil cuiquam sanctum, non publici fore, non priuati iuris. (éd. et trad. CUF).
51 Tite-Live, II, 56-58 : cf. supra, n. 81 et 82.
52 Denys d’Halicarnasse, IX, 42-49 ; Tite-Live, quant à lui, ne spécifie pas le mode d’élection des tribuns de la plèbe avant la promulgation de la loi de Voleron Publilius.
53 Cf. infra, pour les ripostes patriciennes dans le domaine du droit et de la religion.
54 Tite-Live, III, 55, 13 ; Denys d’Halicamasse, X, 1-4. Pour le secret du droit, privilège des patriciens : M. Humbert, Institutions politiques et sociales de l’antiquité, Paris 1984, pp. 212-213.
55 Cf. infra, chap. VIII.
56 Tite-Live, V, 30 : cf. infra.
57 Tite-Live, on l’a vu, donne des exemples non équivoques de condamnations de patriciens votées par l’assemblée tribute, et en III, 9, 9, il évoque nettement la réalité de cette juridiction plébéienne ; plus précis encore, Denys d’Halicarnasse, expose expressément le transfert de compétence, qui serait passée, pour cette sorte d’affaires, de l’assemblée centuriate à l’assemblée tribute : Denys d’Halicarnasse, VII, 38,58 ; 58, 60, 1 ; IX, 46, 4. Sur la compétence des assemblées, cf. M. Humbert, Institutions..., p. 208 ; R. M. Ogilvie, A Commentary..., pp. 323-326, voit dans ces données le résultat d’une réélaboration tardive et d’une modernisation.
58 Par exemple Tite-Live, III, 9, 4 ; Denys d’Halicarnasse, X, 2, 1 etc.
59 Tite-Live, III, 9, 5 : Quae ne aeterna illis licentia sit, legem se promulgaturum ut quinque uiri creentur legibus de imperio consulari scribendis ; quod populus in se ius dederit, eo consulem usurum, non ipsos libidinem ac licentiam suant pro lege habituros (éd. et trad. CUF) ; Denys d’Halicarnasse, X, 3, 4, donne à la rogatio Terentilia un contenu beaucoup plus proche de la loi de constitution du décemvirat législatif. Par quelle assemblée Caius. Terentilius Harsa voulait-il faire promulguer sa loi ? Tite-Live évoque des dies comitiales, des décisions du populus, ou encore la plèbe assemblée ; or on peut douter que les assemblées « plébéiennes » – les concilia plebis – puissent être qualifiées de comitia, et la plèbe n’est pas le populus ; d’autre part, les comices centuriates ont-elles à cette date – avant la loi des XII Tables, qui les mentionne – une existence et une compétence légales ? On remarquera, en tout cas, que si la rogatio Terentilia trouve son aboutissement dans l’élaboration et la publication de la loi des XII Tables, celle-ci a été soumise au vote des comices centuriates, qui comprend certainement tout le populus. Sur ces problèmes : J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 313-314 ; sur les notions de populus, Quirites, plebs : F. De Martino, Storia economica..., pp. 218-219.
60 Tite-Live, III, 9-14 ; Denys d’Halicarnasse, X, 1-8.
61 Sur l’importance des informations données par Denys d’Halicarnasse sur la situation prédecemvirale du droit : F. DTppolito, Giuristi e sapienti in Roma arcaica, Bari 1986, pp. 57-58 ; pour d’autres analyses cependant : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., pp. 135-171 (en particulier p. 164), et p. 177 ; sur les manœuvres d’obstruction patriciennes dans les récits de Tite-Live, cf. aussi infra, chap. IV.
62 Denys d’Halicarnasse, X, 4 ; G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 187 remarque l’aspect simplificateur de l’exposé de Denys d’Halicarnasse, qui fait dériver directement l’institution du décemvirat législatif de la rogatio Terentilia ; mais l’observation n’enlève rien de l’intérêt du discours patricien, tel que le présente Denys d’Halicarnasse.
63 Les patrons des gentes, qui avaient leur résidence dans la ville, ont pu être inscrits dans les tribus urbaines – celles de leurs domiciles – dès les premiers temps ; mais en l’absence de leurs clients, leur petit nombre leur interdisait tout espoir de dicter leur volonté à l’assemblée tribute.
64 Tite-Live, III, 14, 4-6 : Instructi paratique cum ingenti clientium exercitu sic tribunos, ubi pritnum summonentes praebuere causam, adorti sunt ut nemo unus inde praecipuum quicquam gloriae domum inuidiaeue ferret [...] Mediis diebus quibus tribuni de lege non agerent, nihil eisdem illis placidius aut quietus erat : benigne salutare, adloqui plebis homines, domum inuitare, adesse in foro, tribunos ipsos cetera pati sine interpellatione concilia habere ; nunquam ulli neque publico neque priuatim truces esse, nisi cum de lege agi coeptum esset [...1 Nec cetera modo tribuni tranquillo peregere, sed refecti quoque in insequentem annum, ne uoce quidem incommoda, nedum ut ulla uis fieret. Paulatim permulcendo tractandoque mansuefecerant plebem. His per totum annum artibus lex elusa est. (éd. et trad. CUF).
65 Tite-Live, III, 11-13. Mais que signifie à ce moment, pour un patricien, l’exploitation, apparemment à titre personnel, de quatre jugères de terres ? Les clients n’ont-ils pas eu leur part, comme le voulaient les règles de la clientèle, dans le paiement de l’amende infligée ? Dans quelle mesure la gens – et donc son patron – a-t-elle vu sa puissance diminuée ? Le rôle que Cincinnatus sera appelé à jouer dans les armées suivantes invite peut-être à ne pas prendre trop à la lettre un récit tout destiné à l’édification du lecteur.
66 Tite-Live, III, 32-34 ; Denys d’Halicarnasse, X, 55.
67 Infra, chapitre IV, avec la bibliographie.
68 Cf. maintenant, pour la signification politique du décemvirat législatif et l’authenticité des deux collèges de 451 et de 450, G. Poma, Tra legislatori e tiranni (dont j’adopte ici les conclusions), avec l’exposé des hypothèses jusque là proposées et la bibliographie ; pour la signification de la loi des XII Tables, en dernier lieu M. Humbert, La crise politique du Ve siècle à Rome et la législation décemvirale, in : Crise et transformations des sociétés archaïques de l’Italie antique, (Table ronde organisée par l’École française de Rome et l’Unité de recherches étrusco-italiques associée au CNRS), Rome, 19-21 nov. 1987 (à paraître).
69 Infra.
70 Sur la signification du second collège décemviral : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., particulièrement pp. 295-320.
71 Sur ce problème, cf. infra.
72 Tite-Live, II, 33, 3, parle pour 493 de l’élection de deux tribuns de la plèbe, qui se seraient donné trois collègues ; mais il ajoute : « Selon quelques uns même, on n’aurait créé que deux tribuns de la plèbe ».
73 Tite-Live. III, 64, 9 : Si tribunos plebei decent rogabo, si qui uos minus hodie decem tribunos plebei faceritis, tum ut ii quos hi sibi collegas cooptassint legitimi eadem lege tribuni plebei sint ut illi quos hodie tribunos plebei feceritis. (éd. et trad. CUF).
74 Faut-il voir dans cet épisode l’indice des alliances que pouvaient alors avoir nouées certaines personnalités marquantes de la plèbe avec des patriciens ? Une telle hypothèse a été proposée, pour interpréter la présence de plébéiens dans le second collège décemviral, par J. Bayet, Appendice à Tite-Live, III, p. 54, n. 3. Sans doute de telles alliances ont existé bien avant le milieu du Ve siècle : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., particulièrement pp. 281-295, qui évoque l’existence de factions nées d’antagonismes internes divisant le patriciat comme la plèbe.
75 Tite-Live, III, 65, 1 : Noui tribuni plebis in cooptandis collegis patrum uoluntatem fouerunt ; duos etiam patricios consularesque, Sp. Tarpeium et A. Aternium, cooptauere. (éd. et trad. CUF) ; Denys d’Halicarnasse, X, 50 et 52.
76 Pour la critique de l’interprétation livienne de ces personnages : G. Poma, Tra legislatori e tiranni..., p. 197 et n. 106. N’est-ce pas parce qu’ils sont plébéiens que ces deux consulaires ont pu être cooptés ? cf. infra.
77 Tite-Live, III, 65, 3-4 : L. Trebonius tribunus plebis, infestus patribus quod se ab is in cooptandis tribunis fraude captum proditumque a collegis aiebat, rogationem tulit « ut qui plebem Romanam tribunos plebei rogaret, is usque eo rogaret dum decern tribunos plebei faceret » ; insectandisque patribus, unde Aspero etiam inditum est cognomen, tribunatum gessit : « L. Trebonius, tribun de la plèbe, qui en voulait aux patriciens pour l’avoir, disait-il, dupé et fait trahir par ses collègues dans le choix par cooptation des tribuns, déposa un projet de loi portant que “quiconque ferait élire des tribuns de la plèbe continuerait les opérations, jusqu’à l’élection de dix tribuns de la plèbe”. Ses attaques contre le patriciat, qui lui valurent le surnom d’Asper, occupèrent tout son tribunat ».
78 Supra, n. 67.
79 À partir de cette année-là et jusqu’en 367 av. J.-C, le plus souvent, des tribuns militaires à pouvoirs consulaires remplacent les consuls : cf. tableaux I et II.
80 Sur le premier collège de tribuns militaires à pouvoir consulaire et les hésitations de la tradition : Tite-Live, IV, 7, 10 et 23, 2. On remarquera au passage, dans les décennies qui suivent les années 450-444, les indices d’un approfondissement à Rome des difficultés économiques : d’une part on sait par Tite-Live le développement de famines, d’épidémies et de troubles intérieurs pour 442-440 (IV, 12-13), 437-433 (IV, 25, 2-5), 430-328 (IV, 30, 7-11), 413-411 (IV, 52) ; d’autre part l’archéologie révèle pour la même période la cessation quasi totale des échanges avec l’extérieur : De Martino, Storia economica, p. 13. C’est aussi au cours de ces décennies que les plébéiens sont exclus des hautes magistratures sauf un tribunat militaire à pouvoir consulaire en 422 et un autre en 417.
81 Tite-Live, IV, 13-15.
82 Pour les invraisemblances du récit livien : J. Bayet, Appendice à Tite-Live, III b, p. 24, n. 2.
83 Tite-Live, IV, 13, 1, le présente comme un homo priuatus, ex equestri ordine ; promis au consulat par la faveur de la plèbe – IV, 13, 3, – il lui faudrait pour obtenir cette magistrature vaincre l’opposition des Pères – IV, 13, 4 ; A. W. Lintott, The Tradition of Violence, pp. 13-16, voit dans cette affaire la transposition, à l’usage des optimales de la fin de la République, d’un crime politique. On peut cependant reconnaître en Sp. Maelius, me semble-t-il, par delà l’interprétation anachronique, très « fin de la République », du personnage par Tite-Live, un homme issu de l’élite plébéienne et engagé dans des luttes très caractéristiques du Ve siècle av. J.-C.
84 Tite-Live, 4, 1-6.
85 Tite-Live, IV, 7.
86 Tite-Live, IV, 13-14.
87 Tite-Live, IV, 15, 4.
88 Tableau chapitre IV, et infra, chapitre IX.
89 Tite-Live, IV, 16, 3.
90 En 431 av. J.-C., le Sénat, en conflit avec les consuls, obtient le concours des tribuns de la plèbe dans des circonstances des plus ambiguës : Tite-Live, IV, 26, 7-8 ; en 418-415, les patriciens bloquent un projet de loi agraire grâce à l’opposition de six tribuns de la plèbe : Tite-Live, IV, 47-48.
91 Tite-Live, V, 30.
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