Chapitre II. Les tribus en 495 av. J.-C.
p. 101-128
Texte intégral
1On admet très généralement le rôle éminemment intégrateur – pour les terres et pour les individus – dévolu aux tribus, après la réforme décisive du roi Servius Tullius1. Mais à peine formulée, une telle affirmation ne laisse pas d’être pleine d’incertitudes.
2D’abord pour le contenu même – la portée, les limites – de l’intégration dans le corps civique que représentait l’inscription des individus dans une tribu. Certes, à la fin de la République, le rôle des tribus comme cadres de recensement des citoyens romains et comme unités de vote est bien affirmé : au point que la mention de la tribu est partie intégrante de la dénomination des citoyens optimo iure, au moins depuis 160 av. J.-C.2. Cependant, l’importance réelle d’une telle inscription, le poids qu’elle assurait aux citoyens dans la vie politique de la cité, avaient, à n’en pas douter, subi de profondes modifications au cours des temps, ne serait-ce que parce que le nombre des tribus, entre le règne de Servius Tullius et 241 av. J.-C. – date de la création des deux dernières-, était passé de quatre à trente-cinq. Certaines mutations se laissent plus ou moins aisément appréhender par les sources annalistiques qui en rendent compte : si ces dernières ne sont jamais qu’interprétation des faits, elles ne sont pas pour autant le pur produit de l’imagination des Anciens, et Ton dispose d’un certain nombre d’éléments de connaissance assez bien assurés3.
3On peut ainsi reconnaître, avec une relative certitude, l’histoire de la création et de l’extension territoriale des tribus rurales qui, entre 396 av. J.-C. – date de la prise de Véies par Rome-, et 241 av. J.-C, ont intégré des terres conquises dans l’ager Romanus, et assuré la distribution des citoyens qui y avaient leur résidence au sein des assemblées tributes4. Mais si l’on est ici en terrain assez sûr, c’est que la création de ces tribus appartient à un temps – après 390 av. J.-C. – où la documentation devient tout à coup plus abondante et plus précise5. Or il s’agit là de quatorze seulement des trente-cinq tribus entre lesquelles, à partir de 241 av. J.-C., se distribue la population des citoyens romains. Que sait-on des vingt et une autres ? Elles existaient certainement avant la fin du Ve siècle. Mais quand, comment, et pourquoi avaient-elles été créées ?
4L’attribution à Servius Tullius de la création de quatre tribus urbaines, à noms topographiques, rompant avec l’ancienne organisation en trois tribus « génétiques », est clairement attestée par toutes les sources6. Mais pour les premières tribus rurales, les informations sont contradictoires7. Avaient-elles été créées par Servius Tullius, en même temps que les tribus urbaines ? Tite-Live rejette catégoriquement cette hypothèse : Servius Tullius n’aurait établi que les quatre tribus de la ville. Mais Denys d’Halicarnasse se fait l’écho d’opinions radicalement différentes, toutes diverses d’ailleurs : selon Fabius, Servius Tullius aurait créé trente tribus, dont vingt-six rurales ; Venonius, pour sa part, en décomptait trente-cinq ; Denys d’Halicarnasse retient pour finir l’opinion de Caton, « plus digne de foi » écrit-il, « qui dit que Servius Tullius divisa le territoire en parts (moira), mais n’en donne pas le nombre »8.
5Remarque prudente, en effet, que celle de Caton : s’il fallait admettre l’existence de trente ou trente-cinq tribus vers la fin du VIe siècle av. J.-C., force serait de supposer ensuite des suppressions ou des regroupements avant la fin du siècle suivant – avant la création, bien attestée, des quatorze tribus qui porteront à trente-cinq leur nombre définitif. Or, de tels regroupements ou suppressions, il n’est jamais question.
6Mêmes incertitudes, pour les débuts de la République. Tite-Live en effet affirme qu’en 504 av. J.-C., Appius Claudius et les siens reçurent, lors de leur intégration dans la Cité, « des terres sur la rive droite de l’Anio » ; et il ajoute : « Ils formèrent l’ancienne tribu (uetus tribus) Claudia ». Comment faut-il comprendre l’expression uetus tribus ? Denys d’Halicarnasse, relatant les mêmes événements, précise quant à lui : « Ils formeraient plus tard la tribu Claudia ». Qu’est-ce à dire9 ? D’autre part Tite-Live mentionne, en 496 ou en 495, l’existence de vingt et une tribus, sans autre précision10. Quand sont donc apparues les dix-sept autres tribus, rurales à coup sûr, dont il affirme expressément que Servius Tullius ne les a pas créées ? Il n’en souffle mot ; mais il a, quelques lignes plus haut, formulé cette remarque, lourde de significations : « Il y a une telle incertitude dans la chronologie et dans la liste des magistrats d’un historien à l’autre que Tordre de succession des consuls et la date des événements sont impossibles à restituer à une pareille distance [...]11.
7De tels problèmes ont depuis longtemps attiré l’attention, et Ton voit, aujourd’hui encore, s’opposer les « reconstructions » fidèles à Tannalistique et celles qui la rejettent. Or, la question ne se réduit pas à une question de chronologie : du n’ombre des tribus dont on admettra l’existence dans les premières années du Ve siècle dépendra en effet, on le verra, la signification que l’on accordera aux premières institutions dont la République naissante se dote à ce moment ; et singulièrement, de la chronologie que l’on retiendra pour les vingt et une premières tribus, dépendra l’interprétation que l’on fera de leur rôle politique, aussi bien que de l’organisation des assemblées populaires et de leurs votes, jusqu’à la fin de la République.
8Sur les interprétations encore récemment proposées, il convient d’abord de s’arrêter.
Les « reconstructions » des dernières décennies
A. Alföldi, L. R. Taylor
9Ainsi, pour L. R. Taylor12, existaient au début de la République vingt ou vingt et une tribus, sur un territoire qui couvrait les deux rives du Tibre jusqu’à la mer13.
10Pour A. Alföldi14, l’ager Romanus, qui ne s’étendait pas au-delà d’un rayon de six à huit milles de Rome, et de toutes manières ne franchit le Tibre qu’après 450, n’aurait compris, outre les quatre tribus urbaines de Servius Tullius, que cinq tribus rurales. Ce n’est qu’après 450 – et plus précisément quand Rome aurait franchi le Tibre et en aurait occupé la rive droite – que la Cité allait connaître une période d’expansion territoriale : alors seulement pourraient être créées de nouvelles tribus. Mais les noms de celles-ci doivent refléter la situation politique du moment, que caractérise l’absolue prédominance des grandes familles du patriciat : elles portent des noms gentilices15.

Carte V – Rome et son territoire à la fin du VI° siècle av. J.-C.
(d’après TAYLOR, 1960, p, 34)

Carte VI – Rome et le Latium jusque vers 420 av. J.-C.
(d’après ALFÖLDI, 1965, p. 297)
11Les deux thèses sont évidemment inconciliables. Celle que soutient A. Alföldi, hypercritique, tend à rejeter presque toute la chronologie d’une tradition à laquelle, pourtant, selon la formule de J. Heurgon, « une série de découvertes considérables ont, ces dernières années, apporté [...] de sérieuses justifications, et à l’hypercritique d’éloquents démentis »16. Mais la thèse de L. R. Taylor ne pèche-t-elle pas, quant à elle, par une trop grande fidélité à la tradition annalistique ?
Les analyses proposées par M. Humbert
12Récemment M. Humbert, au cours de sa réflexion sur les origines du Municipium et de la ciuitas sine suffragio, a été conduit à reconsidérer la question.
13Son analyse de la documentation ancienne sur les premières tribus l’amène à rejeter certains arguments avancés par A. Alföldi, mais sans pour autant prononcer « une condamnation sans recours »17 : « Le système, magnifique de cohérence »18, que ce savant propose, invite en effet à ne pas accorder une confiance aveugle à la tradition, telle que l’ont transmise Tite-Live ou Denys d’Halicarnasse : au reste, on Ta vu, ces deux auteurs eux-mêmes inclinent au doute critique.
La critique de la chronologie basse proposée par A. Alföldi pour l’extension de l’ager Romanus
14À la suite d’A. Alföldi, M. Humbert reconnaît donc dans les tribus rurales deux types, qui se rattachent à deux temps de création19 : selon toute vraisemblance les tribus à noms topographiques, qui jouxtent immédiatement la limite très vénérable de la ville de Romulus – le pomérium –, sont plus anciennes que les tribus à noms gentilices. Mais quand ces dernières ont-elles été instituées ? C’est sur la chronologie basse proposée par A. Alföldi pour l’extension de l’ager Romanus que porte la critique très vigoureuse et convaincante de M. Humbert20.
15D’abord, parce que les événements les moins incertains de la tradition deviennent incompréhensibles, si l’on attribue à Rome un territoire aussi exigu que celui que lui consent A. Alföldi jusqu’en 450. Or, cet auteur ne parvient à une telle limitation de l’ager Romanus qu’au prix d’une interprétation univoque, mais nullement assurée, de certaines données.
16Ainsi de la fixation au Tibre, stricto sensu, de la frontière entre Rome et Véies : elle résulte d’une interprétation étroite, et qui ne s’impose pas, de l’autorisation faite par la Loi des XII Tables de vendre le nexus – le citoyen romain condamné à l’asservissement pour dettes – au delà du Tibre ; en particulier, le passage n’implique nullement que le Janicule, sur la rive droite du Tibre, ait été en terre étrangère : à tout le moins appartient-il à une zone-frontière, l’installation des ennemis y signifiant toujours pour Rome une catastrophe. Le Janicule apparaît plutôt, dans les récits de Tannalistique, comme une fortification naturelle protégeant un ager Vaticanus qui, au début du Ve siècle, est certainement romain et qui même, personne n’en doute, fait partie de l’ager Romanus Antiquus. De même, les territoires de la tribu Fabia ou ceux de la tribu Claudia sont déjà certainement romains dans les toutes premières années de la République – au plus tard.
17Ensuite – et surtout peut-être –, il est difficile de croire à une expansion du territoire romain, dans la seconde moitié du Ve siècle, qui aurait été ignorée de toutes les sources. La tradition insiste en effet unanimement sur les projets de confiscations nourris par Rome, aussitôt après sa victoire du lac Régille en 496, aux dépens des cités latines vaincues ; dans les décennies qui suivent, en revanche, et pendant tout le Ve siècle, c’est la coopération avec ces cités qui caractérise la politique romaine, qu’il s’agisse de reconquête des territoires dont Volsques ou Sabins ont pu s’emparer pour un temps, ou de l’installation de colonies, toutes fédérales et de peuplement mixte : M. Humbert souligne ici fortement que ces épisodes ne sont à l’origine d’aucune augmentation, ou presque, de l’ager Romanus21. Sans doute, Rome s’empare de Fidènes en 426 et de Labici en 418 ; mais la puissance de ces deux cités était très diminuée depuis des décennies, et l’accroissement du territoire de Rome n’a pas pu être alors considérable. Il faut attendre l’annexion du territoire de Véies, vaincue et prise en 396, pour que l’on puisse parler d’une véritable expansion de l’ager Romanus : elle se traduit alors, très vite, par la création de quatre tribus nouvelles.
18Il est donc impossible de suivre A. Alföldi – conclut M. Humbert – lorsqu’il rejette à la seconde moitié du Ve siècle la création des tribus rurales à noms gentilices : « On ne voit pas de quoi pouvaient être formées toutes ces tribus massées après 450 et avant 396 »22.
Les nouvelles tribus ont pu et ont dû – selon M. Humbert – être créées en 493 av. J.-C.
19Pour M. Humbert par conséquent, il convient bien de distinguer deux temps dans la création des tribus rurales ; mais si celles qui portent des noms gentilices sont de création plus récente, on ne saurait en abaisser la date beaucoup plus tard qu’aux lendemains de la victoire romaine de 496 au lac Régille : les nouvelles tribus ont dû alors englober les terres qui, très certainement, avaient été confisquées aux cités latines vaincues, et qui avaient permis une extension notable, à ce moment, de l’ager Romanus. M. Humbert propose donc la date de 493 av. J.-C.23 : elle a le mérite de coïncider à la fois avec celle du foedus Cassianum, qui règle le contentieux entre Rome et les cités latines, et avec celle du recensement mentionné par Denys d’Halicarnasse24. Elle est de plus en quasi conformité avec les informations sur l’existence, en 495 selon Tite-Live25, en 491 selon Denys d’Halicarnasse26, de vingt et une tribus.
Critique, et tentative d’interprétation
20Les difficultés d’interprétation que présentent ces documents sont considérables, et ne doivent par être mésestimées ; toute reconstruction, à l’évidence, suppose une large part d’hypothèses. Si pourtant l’on tente une explication logique et cohérente, prenant en compte, autant que faire se peut, toutes les données que livre la tradition – avec, suivant le conseil de J. Heurgon, « un esprit historique marqué d’abord par un sentiment de modestie à l’égard des sources », mais aussi « des dispositions de confiance relative et d’accueil prudent »27-, les contradictions auxquelles on se heurte obligent à procéder à des choix. Nécessairement, avec d’ailleurs beaucoup de prudence et de nuances, M. Humbert a procédé à de tels choix ; mais le parti qu’il a pris n’est peut-être pas le seul possible – de son propre aveu, au reste28.
21La date de 493 qu’il propose pour la création des tribus à noms gentilices paraît avoir pour elle, à l’évidence, les informations que donnent Tite-Live et Denys d’Halicarnasse pour des dates très proches. Pourtant, on peut opposer à son raisonnement trois objections.
22En premier lieu, M. Humbert admet implicitement qu’une extension du territoire romain était un préalable indispensable à la création des tribus à noms gentilices : il fonde sa démonstration, pour une bonne part, sur ce postulat – dont la nécessité n’est peut-être pourtant pas évidente, et cela mérite examen.
23En second lieu, traiter toutes les tribus, à toponymes ou à noms gentilices, comme si elles étaient toutes de nature identique – comme le fait M. Humbert, à la suite d’ailleurs de tous les auteurs qui ont traité de la question – est peut-être discutable : les analyses auxquelles s’est livré en particulier M. Torelli, à propos des curies à toponymes ou à noms gentilices, ont montré que ces deux types de dénomination, pour ces unités dans lesquelles le peuple romain était réparti depuis les premiers temps de Rome, relevaient non seulement de deux temps d’organisation des curies, mais encore de deux structures sociales, économiques et politiques distinctes et concurrentes29 ; on ne peut exclure sans examen que, de façon analogue, les tribus à toponymes et celles à noms gentilices aient correspondu à deux types de structures sociales : s’il en est ainsi, elles doivent relever de deux projets institutionnels et politiques différents, peut-être même antagoniques, et les indices de création des unes et des autres ne peuvent être identiques. M. Humbert n’opère pas de telles distinctions ; aussi sa démonstration, qui est d’autre part extraordinairement riche et cohérente, singulièrement éclairante aussi pour les luttes des décennies suivantes, aboutit pour les tribus à une conclusion qui n’est pas sans poser de problèmes.

Carte VII – Rome et le Latium à la fin du Vl° siècle av. J.-C.
24En troisième lieu – et ce n’est pas là la moindre objection – M. Humbert ne tient pas compte d’autres informations que les Anciens donnent – et en particulier Tite-Live et Denys d’Halicarnasse-, sur la création des comices tributes, pour une période de vingt ans plus tardive. Or, ces informations, on le verra, contredisent l’existence des tribus à noms gentilices dans les trois premières décennies du Ve siècle ; en même temps elles confirment les caractères socio-économiques, et par là même politiques, révélés par les deux types de dénomination des tribus ; elles donnent enfin des indices de datation de la plus grande importance, pour la création des tribus à noms gentilices – si du moins on admet leur authenticité.
25Il y a là trois séries de questions auxquelles je voudrais tenter d’apporter quelques éléments de réponse.
Création de tribus et extension du territoire : une concordance obligée, au début du Ve siècle ?
26Il me paraît nécessaire, en premier lieu, de revenir sur l’étroite relation chronologique admise par M. Humbert entre la création des tribus à noms gentilices, et une extension de l’ager Romanus : c’est là une des pièces maîtresses de sa critique d’A. Alföldi. Selon M. Humbert, on s’en souvient, c’est parce que l’extension de l’ager Romanus ne peut avoir eu lieu qu’au tout début du Ve siècle – plus précisément, après la défaite des cités latines et à leurs dépens – que les tribus nouvelles n’ont pu être créées après 450. A. Alföldi raisonnait d’ailleurs de façon analogue, liant les créations de tribus aux possibilités d’extension du territoire au-delà du Tibre30. Pourtant, de tels raisonnements me paraissent fondés sur des présupposés qui ne vont pas entièrement de soi, et cela mérite examen.
La conquête de territoires ne donne pas nécessairement lieu, sur le champ, à la création de tribus
27Supposer une telle concordance chronologique entre conquête et création de tribus, c’est en effet d’abord admettre pour la période archaïque, sans raison bien apparente, des règles dont on ne voit guère qu’elles aient existé par la suite, quand la documentation se fait plus précise : L. R. Taylor a montré, et analysé en termes de luttes politiques entre factions, les délais plus ou moins longs qui séparent les conquêtes de territoires et la création des tribus qui y sont établies, entre 387 et 241 : ainsi, pour n’en prendre qu’un exemple – au reste le plus évident – il faut attendre 241 av. J.-C. pour que soient constituées la Quirina et la Velina, sur des terres conquises en 290 sur les Vestins et les Sabins ; pourtant ces terres, dès 290 av. J.-C., avaient fait l’objet d’assignations viritanes31. Si après 387 av. J.-C. – c’est-à-dire quand les données deviennent plus abondantes et mieux assurées – on ne voit pas qu’il y ait eu concordance chronologique entre extension du territoire (avec assignations viritanes) et création de tribus, on perçoit mal pourquoi une telle concordance aurait été nécessaire au Ve siècle. En d’autres termes, les tribus à noms gentilices, si l’on admet qu’elles ont été créées sur les terres confisquées aux Latins par Rome en 496-493, ne l’ont pas été nécessairement aussitôt. Rien ne prouverait, à s’en tenir à ces seules considérations, qu’elles n’ont pas été organisées après l’annexion de Fidènes, comme le veut A. Alföldi. Mais bien entendu, cela ne prouve pas non plus pour autant qu’il faille retenir une date aussi tardive.
À la fin du VIe siècle av. J.-C., tout le territoire était-il réparti dans les tribus ?
28Sans doute l’argumentation de M. Humbert est-elle appuyée aussi sur le témoignage de Tite-Live, peut-être confirmé par Denys d’Halicarnasse32, selon qui vingt et une tribus auraient existé dès ce moment33. Il reste que si M. Humbert accepte ces témoignages, et rejette la proposition d’A. Alföldi, c’est, me semble-t-il, non seulement parce que les dimensions consenties par A. Alföldi au territoire contrôlé par Rome sont d’une exiguïté invraisemblable, en ce début du Ve siècle, mais aussi parce qu’une extension notable du territoire romain a eu lieu, selon toutes probabilités, après la victoire de Rome sur les Latins en 496, et non après 450. Pourtant, ni Tite-Live ni Denys d’Halicarnasse ne lient l’existence des vingt et une tribus à l’extension récente du territoire : cette extension ne fait d’ailleurs l’objet d’aucun commentaire – seulement une allusion à une volonté de confiscations, qui donne lieu à des débats au Sénat, aux dépens des cités latines34.
29De telles considérations invitent à se demander de façon plus générale si, à la fin du VIe siècle ou au début du Ve, le territoire romain se trouvait dans sa totalité réparti entre les tribus, au point que toute nouvelle création ait nécessité préalablement une conquête.
30L’épisode, si connu, de l’installation en 504 av. J.-C. des Claudii et de leur gens, sur des terres prises, dit-on, sur l’ager publicus, pourrait aussi bien illustrer l’hypothèse inverse : ils ont reçu un territoire dont tout donne à penser qu’il était resté libre de toute exploitation, et en particulier qu’il ne relevait d’aucune tribu : sans quoi, comment aurait-il pu ensuite donner naissance à la tribu Claudia ?
31On peut certes objecter que ce territoire était nouvellement conquis, sur Fidènes par exemple35. Mais est-ce si certain ? Et que dire par exemple de la Romilia ? L. R. Taylor, suivie par M. Humbert, rapporte la tradition selon laquelle cette tribu était sise sur des terres conquises par Romulus sur Véies36 : de quelle tribu relevaient donc ces terres, avant que soit constituée la Romilia ? Mêmes incertitudes pour celles qui formeront la Fabia...
32On peut sans doute, à la suite d’A. Alföldi, reconnaître l’existence de limites sacrées, que jalonnent sept sites consacrés – temples ou lieux de fêtes religieuses annuelles fort anciennes -37. Mais on a de bonnes raisons de penser à la suite des analyses de M. Humbert38, que sont venues pleinement confirmer celles de F. Coarelli39, que les limites reconnues par A. Alföldi sont celles d’un ager Romanus antiquus dont la création précède la consolidation de la cité, et que ces lieux sacrés sont les témoins d’une situation bien antérieure40 : dès le VIIIe siècle s’il faut en croire la tradition, Rome a commencé d’annexer dans le Latium les territoires qui l’entouraient et, au début du Ve siècle av. J.-C., les frontières romaines s’établissaient, à n’en pas douter, bien au-delà des limites de l’ager Romanus antiquus : j’aurai à revenir sur ces problèmes.
33On remarquera seulement pour l’instant que l’on ne saurait alors être certain – et c’est peut-être là l’essentiel – que Servius Tullius ait inscrit la totalité du territoire romain dans les tribus : on l’a vu, Tite-Live lui refuse la création de tribus rurales, et Denys d’Halicarnasse rapporte avec une grande prudence les hésitations et les contradictions qu’il a rencontrées chez les auteurs qu’il a pu consulter41. L’unanimité des sources se fait sur un seul événement – au reste d’importance majeure –, et sur sa signification : la division par Servius Tullius du territoire urbain en quatre régions, et l’assignation dans chaque région d’une tribu, à définition géographique et non plus génétique comme étaient les trois tribus traditionnelles. Les sources s’accordent d’autre part sur des interventions probables de Servius Tullius hors du territoire proprement urbain, sur ce que Tite-Live désigne comme ager publicus ; mais elles divergent sur les modalités de ces interventions ; de plus, à quel régime de la terre l’expression d’ager publicus peut-elle renvoyer, s’agissant du VIe siècle ? De telles questions ne sauraient être passées sous silence : il conviendra d’y revenir. On retiendra pour l’instant que rien n’interdit de penser que, aux lendemains de la réforme de Servius Tullius, de larges portions du territoire romain avaient été laissées hors des nouvelles circonscriptions – et l’on serait tenté d’ajouter : rien n’est plus vraisemblable42. Mais il importe ici de revenir sur le sens que l’on accorde à la création des tribus serviennes, à la rupture qu’elle consacrait avec le passé : préalable indispensable pour comprendre et les créations ultérieures, et les fonctions dévolues par la suite aux tribus.
La signification et le rôle des tribus au début du Ve siècle
Les tribus « serviennes »
34L’on admet aujourd’hui43 que les noms topographiques des tribus que Servius Tullius avait créées manifestaient sa volonté d’affaiblir, sinon de maîtriser, les chefs trop puissants des gentes, forts de leurs clientèles, en intégrant dans la cité des couches sociales nouvelles, protégées des contraintes et des pesanteurs des structures gentilices traditionnelles : les quatre tribus créées dans la ville devaient assurer l’intégration dans le corps civique – par leur inscription en fonction de leur domicile-, des plébéiens qui, n’appartenant pas à une gens, en étaient jusque là exclus ; ces nouveaux citoyens apporteraient des forces nouvelles au roi, à qui ils fourniraient des soldats, et à qui ils paieraient des impôts. On remarquera au passage que les tribus créées par Servius Tullius sont alors exclusivement des cadres de recensement pour cette partie de la population – les plébéiens-, qui n’ont pas de gens où être recensés. Sans doute ces nouveaux citoyens sont-ils appelés à faire entendre leurs voix dans les assemblées du peuple : on s’accorde très généralement pour penser qu’ils ont été inscrits dans des curies et qu’ils participent à l’assemblée curiate – seule assemblée politique populaire qui existe alors44.
35La tradition assure d’autre part expressément que Servius Tullius avait distribué des terres sur l’ager publicus à des « citoyens sans terre »45. Il est évidemment très difficile, sinon impossible, pour cette très haute époque, de saisir dans leur réalité concrète les rapports des hommes à la terre, et le risque est grand de les traduire en expressions anachroniques. Ainsi de l’ager publicus : s’il existe déjà à ce moment, on ne saurait réduire le régime des terres au binôme ager publicus/ ager priuatus ; en particulier, tout le système d’exploitation de la terre et des rapports sociaux, dans les cadres gentilices, échappe à de telles notions46. A quoi renvoie d’autre part l’expression « ager publicus » ? Du contenu que Ton accorde à ces formulations dépend largement l’interprétation que Ton donne des textes de l’annalistique47.
36Il semble cependant que, pour le VIe siècle, les données de la tradition confirmées par l’archéologie – et aussi, avec toute la prudence ici nécessaire, par le fonctionnement d’autres sociétés, plus facilement observables parce que plus récentes –, inviteraient à distinguer deux parties dans le territoire rural, quel que soit le vocabulaire que l’on conviendra d’employer pour les désigner48.
37En tout premier lieu, on distinguera le territoire rural où dominent les gentes, au sein desquelles, depuis le VIIIe siècle, s’est affirmée une aristocratie guerrière, capable de confisquer à son profit la gestion des terres conquises, pour y développer les rapports de clientèle qui faisaient sa force49 : dans un tel cadre institutionnel, on voit mal quelle place pourrait avoir l’appropriation privée du sol ; le développement de la propriété privée y aurait eu pour corollaire la dissolution des rapports de clientèle, et l’affaiblissement des patrons des gentes50. Il y a donc tout lieu de penser que ces derniers devaient jalousement veiller à préserver d’un tel processus les terres sur lesquelles ils fondaient leur puissance, et qu’il faut sans doute imaginer soustraites, pour l’essentiel, à l’autorité royale : la situation périphérique – sur les terres conquises à partir du VIIIe siècle, en bonne logique – de ces « domaines gentilices », devait d’ailleurs faciliter une telle indépendance. Il paraît donc fort peu vraisemblable que Servius Tullius ait pu procéder là à des distributions de terres en faveur des « citoyens sans terre ». M. Torelli a suggéré que Servius Tullius avait complètement abandonné la campagne aux patrons des gentes : qu’il leur en ait abandonné une grande part est, de fait, ce que suggèrent les ambiguïtés de l’œuvre de ce roi, quand on la considère dans son ensemble51. Mais peut-être ces patrons ne dominaient-ils pas la totalité du territoire rural, malgré tout : Tite-Live n’évoque-t-il pas une distribution, par Servius Tullius, des terres récemment conquises52 ?
38Surtout, les distributions de terres faites à des « citoyens sans terre »53, sur ce que les Anciens désignent comme « ager publicus », invitent à ne pas réduire les luttes socio-politiques du temps à une opposition, trop simple, de la ville et de la campagne. Ces distributions de terres, d’autres mesures de caractère public aussi, visant à rationaliser la levée des impôts ou le recrutement militaire pour les hommes vivant sur cet ager publicus : tout donne à penser qu’existait encore, en dehors des « domaines gentilices », un territoire que, faute de mieux, je dirai « commun », hérité, peut-on croire, des plus anciennes communautés de villages qui se trouvaient aux origines de la Ville ; un territoire constitué avant la hiérarchisation sociale et le développement des structures gentilices, et sur lequel, par conséquent, les patrons de gentes ne pouvaient pas dominer seuls, ni de façon prévalante ; un territoire en revanche où Servius Tullius, devenu roi, avait toute latitude d’exercer la puissance publique54 : s’il a distribué des terres, ce pouvait être là. Or on pourra reconnaître cet « ager publicus », pour une part au moins, dans l’ager Romanus Antiquus, enfermé dans ses très anciennes limites sacrées, et qu’il faut croire constitué dès les premiers temps de Rome.
39Les partages du sol que la tradition attribue à Servius Tullius doivent y témoigner alors, en toute logique, de l’émergence d’un rapport à la terre étranger aux structures gentilices, garanti par la puissance publique, et structurellement lié à la plèbe et à son développement : l’appropriation privée55. On soulignera au passage le caractère anachronique d’une conception qui verrait dans la plèbe des couches exclusivement urbaines, c’est-à-dire composées d’artisans et de marchands ; les activités agraires étaient certainement nécessaires à la survie de tous – quel que soit le degré de développement qu’avait pu alors atteindre la division sociale du travail. Mais en outre, l’existence d’une appropriation privée de la terre – telle que semble bien l’avoir assurée Servius Tullius-, rendait possible le développement d’une plèbe rurale hors des gentes et des terres qu’elles contrôlaient. C’est, me semble-t-il, dans un tel contexte qu’il convient de placer par la suite les revendications de partage uiritim – à titre individuel – de la terre conquise, données si constamment par la tradition pour spécifiquement plébéiennes56.
40En toute logique, n’est-ce pas sur ce même territoire de l’ager Romanus antiquus qu’ont pu être établies les cinq premières tribus rurales – des tribus qui, comme déjà les quatre tribus de la ville57, allaient porter des noms topographiques58 ? Sans doute Servius Tullius – s’il en est bien le fondateur-, y met-il en œuvre une organisation qui n’est pas en tout point identique à celle des tribus de la ville. En particulier, s’il faut en croire Denys d’Halicarnasse, les institutions religieuses que ce roi aurait établies pour la campagne – les paganalia –, et pour la ville – les compitalia –, bien que fort proches, ne diffèrent pas seulement par le nom : ainsi la tradition que rapporte Denys d’Halicarnasse établit une relation très étroite entre les compitalia et la personne même de Servius Tullius. Elle reste beaucoup plus évasive pour ce qui est des paganalia : est-ce parce que Servius Tullius jouit dans l’ager Romanus antiquus, malgré tout, d’une moindre liberté d’action que dans la ville, et qu’il s’y trouve contraint à des mesures de compromis59 ? Ces différences s’expliquent-elles par l’ancienneté de l’organisation d’un tel territoire, qui impose au législateur sa spécificité ? En tout cas, le Pap. Oxyr. XVII (1927) n. 2088 qui, peut-être, décrit l’œuvre servienne, parle de pagi distribués en tribus60 : Ton connaît, de fait, des pagi sur le territoire assigné par Servius Tullius dans les quatre tribus urbaines, et Tune au moins de ces tribus, la Suburana, tire son nom d’un pagus Sucusanus, si Ton en croit Festus61. Mais en outre, au moins pour deux des cinq tribus rurales qui jouxtent le pomérium – et qui donc se trouvent dans l’ager Romanus antiquus –, Festus assure qu’elles devaient leurs noms Tune au pagus Lemonius62, l’autre à l’ager Pupinius63, qu’elles englobaient ; selon toute probabilité, c’était aussi le cas de la Pollia et de la Voltinia, dont les noms ne peuvent être mis en relation avec aucune des gentes qui ont laissé un souvenir64.
41La Camilia exige cependant d’autres observations : car le gentilice Camillius, s’il est rare, est cependant attesté dans le Latium65 ; il l’est en particulier à Tibur – cité latine qui à la fin de la République, après la guerre sociale, sera assignée à la tribu Camilia, de façon peut-être significative66 ; d’autre part il figure, selon toute probabilité, sous la forme étrusquisée de Camitlnas, parmi les gentilices livrés par la tombe François de Vulci. Je me bornerai ici à renvoyer à l’analyse sémiologique du décor de cette tombe, que F. Coarelli a récemment proposée67 : elle conduit, de façon fort convaincante, à rapprocher le nom de la tribu Camilia du gentilice Camillius, bien connu à Tibur ; or Tibur est la cité d’origine de Servius Tullius dans les récits de la tradition romaine68 ; entre le Marce Camitlnas /Marcus Camillius de la tombe François et Servius Tullius – le Macstrna de la tombe François69 -, on est conduit de la sorte à imaginer des liens d’étroite solidarité. Mais dans une telle perspective, le nom de la tribu Camilia viendrait d’un gentilice tiburtin, et non pas romain, et cela confirmerait encore le sens qu’a dû avoir la création des tribus, dans la ville et dans l’ager Romanus antiquus, par Servius Tullius70 : une création destinée à affaiblir la puissance des chefs des gentes romaines.
42Je retiendrai seulement ici que si le gentilice Camillius est attesté à Tibur, il est inconnu des Fastes romains ; en revanche, le cognomen Camillus, de signification clairement religieuse, est en particulier celui du vainqueur de Véies, Marcus Furius Camillus, porteur des destins, des fata tyrrhéniens – et cela doit donner à réfléchir. Quoi qu’il en soit, le nom de la tribu Camilia ne renvoie pas à un gentilice romain ; peut-être même doit-il être rapproché, pour le sens qu’il donne à la création de cette tribu, des quatre autres qui étaient situées dans l’ager Romanus Antiquus, et qui avaient des noms géographiques71.
43On est ainsi, en toute hypothèse, amené à reconnaître une parenté étroite entre les quatre tribus urbaines de la Rome servienne et les cinq tribus rurales qui ceinturent l’enceinte sacrée de la ville. L’important n’est pas ici que ces cinq tribus rurales aient été organisées en même temps que les autres par Servius Tullius, ou plus tard. Plus intéressant me paraît ce que leurs noms révèlent : les indices d’une indépendance au moins relative des territoires qu’elles intéressent à l’égard des structures gentilices, et du fait qu’elles échappent à l’omnipotence à Rome des patrons de gentes.
44Non que ces tribus aient organisé dès ce moment les votes de ces nouveaux citoyens que sont les plébéiens : elles ne sont encore que des cadres de recensement pour ceux qui n’ont pas de gens. Mais les tribus de Servius Tullius ont intégré de la sorte, dans le corps civique, les nouvelles couches sociales qui se développaient hors des gentes, et qui pouvaient contribuer à la puissance royale en livrant des richesses et en fournissant des soldats. C’est dans l’assemblée curiate que certainement les plébéiens votent72 : l’on peut penser qu’ils ont été inscrits dans les plus anciennes curies – celles qui ont des noms géographiques, qui sont héritées des premiers temps de Rome, qui sont, enfin, bien moins nombreuses que les curies contrôlées par les patriciens, et de ce fait ne peuvent menacer la domination politique des patrons de gentes sur l’assemblée.
Les tribus à noms gentilices
45Le Ve siècle av. J.-C. – l’accord sur ce point se fait aisément-, aurait vu la création des tribus à noms gentilices : A. Alföldi comme L. R. Taylor et M. Humbert lient le fait à la domination patricienne73. Qu’est-ce à dire ?
46Ce siècle apparaît comme un temps de régression économique, marqué par la résurgence des anciennes structures gentilices et par la marginalisation d’une partie de l’élite sociale : celle que touche durement la récession des activités productives et d’échanges récemment développées. C’est alors que les chefs des plus puissantes gentes établissent, et pour quelque cent ans, leur quasi monopole sur les hautes magistratures et sur toute la gestion de l’État74. C’est seulement au tout début du IVe siècle que la plèbe réussit à briser durablement le monopole du patriciat sur la puissance publique : en 400 av. J.-C., les élections au tribunat consulaire, qui portent au pouvoir une majorité de plébéiens75, marquent un renversement de la conjoncture politique. C’est certainement aussi le temps où se prépare – en 367 av. J.-C. selon la tradition, avec les lois Licinio-Sextiennes – la réconciliation des patriciens et de l’élite plébéienne, jusqu’à leur fusion au sein d’une classe dirigeante de plus en plus unifiée76. Dans le même temps, Véies a été prise et son territoire confisqué : en 387, quatre nouvelles tribus sont créées, et reçoivent des noms topographiques. Il est hors de doute que, dès avant cette date, vingt et une tribus existaient : dans l’entre-deux qui sépare la création dans la ville des quatre tribus serviennes, suivie sans doute de peu de celle des cinq premières tribus rurales, et les créations du IVe siècle, douze tribus ont été établies. Les noms gentilices de dix d’entre elles ne manifestent-elles donc rien d’autre qu’une concordance chronologique fortuite entre un accroissement du territoire de Rome aux dépens de ses voisins, et la domination politique du patriciat ? Si les noms – topographiques ou gentilices – des plus anciennes tribus rurales renvoient à deux temps de création, ce pourrait être aussi – et surtout-, parce qu’ils renvoient à deux états différents des rapports de forces, opposant, au sein de la communauté romaine, la plus vieille société agro-pastorale et guerrière organisée dans les gentes par les rapports de la clientèle, et une société nouvelle – la plèbe-, qui avait grandi, depuis l’avènement du premier roi étrusque, en marge et en dehors des gentes ; cette plèbe ne devait-elle pas être recensée dans les tribus topographiques, indépendantes des gentes, que Servius Tullius avait créées ? Ne devait-elle pas être intégrée de ce fait dans le corps civique, et fournir au roi des forces neuves contre d’éventuels opposants77 ?
47S’il en est ainsi, la création des tribus à noms gentilices a pu répondre à un projet politique inverse de celui de Servius Tullius : il y a tout lieu de penser que ses promoteurs cherchaient par là à affermir les bases – gentilices – de leur pouvoir. Il se pourrait donc qu’il y eût de substantielles différences entre tribus à noms topographiques et tribus à noms gentilices : ne pas en tenir compte risque fort de conduire à une impasse.
La création de tribus au début du Ve siècle
48Il est ici nécessaire de revenir sur la proposition de M. Humbert, qui date la création des tribus à noms gentilices de 493 av. J.-C. : le raisonnement, qui traite des tribus comme si elles étaient toutes de même nature, me semble en effet déboucher, de ce fait, sur des conclusions paradoxales, sinon contradictoires.
49M. Humbert78 fonde une bonne part de sa démonstration sur deux règles, que l’on retrouverait à l’origine de toute création de tribu :
« Pas de conquête sans que naisse un conflit sur la répartition des terres ».
« Toute création de tribu suppose une distribution de l’ager publicus, et une lutte victorieuse sur le patriciat qui est le principal bénéficiaire de l’occupatio de l’ager publicus. Et il n’y a pas de création de tribu sans que se pose, en termes parfois violents [...], le problème d’un partage d’un ager publicus, dont le patriciat aurait voulu conserver une occupatio exclusive ».
50Or en 493 sont indiscutablement réunies les conditions qui seraient nécessaires, en vertu de ces deux règles, à la création de nouvelles tribus :
Rome dispose des territoires qu’elle vient de confisquer aux Latins.
La tradition révèle le développement, au même moment, de revendications plébéiennes de partages uiritim de la terre conquise : la plèbe est encore capable de les imposer, et de fait les impose.
51De plus, cette même tradition affirme qu’à cette date vingt et une tribus existent : il y aurait donc parmi elles les tribus gentilices, et c’est alors que ces tribus ont dû être créées.
52Mais un tel raisonnement admet à la fois, et de façon qui me semble quelque peu paradoxale, que la création de ces tribus en 493 résulte d’une victoire plébéienne sur les patriciens, et que les nouvelles tribus portent des noms gentilices, parce que les patriciens dominent les institutions.
53On peut, évidemment, imaginer à ce moment une situation instable – au reste, la « fermeture » du patriciat est loin d’être achevée en 493-, qui imposerait une solution de compromis. Mais les exemples mêmes sur lesquels s’appuie M. Humbert pour dégager les deux règles nécessaires à la création de tribus révèlent les difficultés d’une telle interprétation. Il cite en effet :
les tribus serviennes,
les quatre tribus créées en 387 av. J.-C. sur le territoire de Véies,
les deux tribus créées en 358...
54Or, toutes ces tribus, qu’en effet la tradition associe clairement au partage uiritim des terres conquises, et donc à une issue victorieuse des luttes plébéiennes sur les patriciens, portent des noms topographiques79, et toutes manifestent, au moment de leur création, une marginalisation relative des forces gentilices. Le fait, si bien mis en lumière par M. Humbert, qu’après 493 av. J.-C. et jusqu’en 387, les revendications plébéiennes ne purent jamais aboutir, ne prouve donc pas, me semble-t il, que la création des tribus gentilices n’a pu avoir lieu beaucoup plus tard que 493. Mais il prouve au mieux que si des tribus ont été créées en 493 av. J.-C, manifestant une victoire de la plèbe sur les forces patriciennes, elles ont dû recevoir des noms topographiques, sur le modèle des tribus serviennes ; il prouve aussi bien qu’après 493 et pour des décennies, des tribus à noms topographiques ne pourraient plus être créées, du fait de l’incapacité de la plèbe à imposer ses revendications.
55De fait, en 493 av. J.-C., la plèbe peut exiger le partage uiritim des terres que Rome, selon toutes probabilités, vient de confisquer aux cités vaincues de la ligue latine. Mais en outre, en 499 s’il faut en croire Tite-Live, Crustumerium, cité sabine au nord de Fidènes, a été prise et son territoire annexé80. De plus, depuis quelques décennies déjà, l’ouverture par Véies d’une voie nouvelle en direction de la mer, longeant le fosso Galeria, pourrait être l’indice d’une extension du territoire romain sur la rive droite du Tibre, aux dépens de Véies, et ce, au plus tard au début du VIe siècle81 ; Tite-Live suggère enfin la possibilité d’un nouvel accroissement dans cette direction, au cours des toutes dernières années du VIe siècle82.
56À ce moment, les patrons des grandes gentes partagent encore les responsabilités du pouvoir avec une élite plébéienne83, et des assignations uiritim ont fort bien pu avoir lieu. Toutes les conditions semblent donc réunies pour la création de tribus rurales qui, en bonne logique, devraient recevoir comme les précédentes des toponymes.
57Or, deux tribus répondent à ce schéma : le nom de la Clustumina, en effet, rappelle étrangement celui de la cité récemment vaincue ; quant à la Galeria, elle ne doit son appellation à aucun magistrat du Ve siècle. Mais on la retrouve dans la toponymie médiévale et moderne, en particulier à Santa Maria di Galeria, située à moins de dix kilomètres de l’antique Véies, et dans le nom du fosso Galeria, sur la rive droite du Tibre : selon toute probabilité, son nom aussi est géographique. La création de ces deux tribus n’a pas laissé de trace précise dans la tradition annalistique ; mais celle des cinq tribus rurales à toponymes qui jouxtent le pomérium n’en avait pas laissé beaucoup plus : c’est seulement le rapprochement d’informations dispersées dans les textes, mais de significations convergentes, qui a permis à A. Alföldi d’en proposer une interprétation cohérente. De la même façon, pour la Clustumina et la Galeria, si l’on admet, à la suite de M. Humbert, que les territoires que ces deux tribus englobaient étaient devenus – ou redevenus – romains entre les premières années du VIe siècle et les premières du Ve, on sera tenté de rapprocher cette création de l’agitation agraire rapportée à l’action de Spurius Cassius et à sa loi agraire, dont Tite-Live affirme qu’elle avait été promulguée84 : non cependant pour voir dans la création de ces tribus la conséquence, mais bien la cause de troubles qui la prolongent, parce que toutes les terres n’avaient pas été distribuées.
***
58En 495-493, par conséquent, on peut penser qu’existaient non pas vingt et une tribus, mais onze85, toutes à noms topographiques : les neuf tribus serviennes – quatre sur le territoire de la ville et cinq sur le territoire rural de l’ager Romanus antiquus-, auxquelles deux autres venaient d’être ajoutées, sur des territoires conquis au cours du VIe et au début du Ve siècle86 (cf. carte VII).
59Mais si cela est, l’établissement de la Clustumina et de la Galeria risque fort d’avoir marqué la fin du temps favorable à la plèbe – et à son élite – et le renversement de conjoncture qui allait permettre la « fermeture » du patriciat : c’est peut-être le sens de l’œuvre et du destin ambigu de Surins Cassius, sur lequel il importe de s’arrêter maintenant.
Notes de bas de page
1 L. R. Taylor, Voting Districts of the Roman Republic. The Thirty-five Urban and Rural Tribes, American Academy in Rome, 1960, pp. 3-9 ; J.C. Richard, Les origines de la plèbe, pp. 399-407 ; M. Humbert, Municipium..., p. 49.
2 L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 12-13.
3 Pour une analyse des sources, cf. en particulier J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 378-385, et la bibliographie ; sur l’absence souvent invoquée de documents antérieurs à 390 et dont le « sac » de Rome par les Gaulois serait responsable, cf. F. Coarelli, « La stratigrafia del Comizio e l’incendio gallico », I Galli e l’Italia, Roma, 1979, pp. 226-230.
4 L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 12-13.
5 Les Anciens l’expliquaient par les destructions commises par les Gaulois ; mais les données archéologiques invitent à mettre en doute que les dommages subis du fait des Gaulois aient eu une telle ampleur, et il convient sans doute de mettre le fait en relation avec les mutations profondes que connaît Rome au cours des premières décennies du IVe siècle av. J.-C. : cf. M. Torelli, Il sacco gallico di Roma, I Galli e l’Italia, Roma, 1979, pp. 226-227.
6 Tite-Live, I, 43, 13 ; Denys d’Halicarnasse, IV, 14 ; Festus, 506 L etc., mais peut-être Denys d’Halicarnasse est-il le plus explicite ; pour une discussion du caractère « génétique » des trois tribus primitives, cf. M. Torelli, Il sacco gallico..., p. 272.
7 De l’aveu même des Anciens : Tite-Live, I, 43 ; Denys d’Halicarnasse, IV, 15.
8 Denys d’Halicarnasse, IV, 15.
9 Tite-Live, II, 16, 5 : His ciuitas data agerque trans Animent ; Vetus Claudia tribus – additis postea nouis tribulibus, qui ex eo uenirmt agro – appellata : « On leur donna le droit de cité et des terres sur la rive droite de l’Anio. Ils formèrent l’ancienne tribu Claudia, grossie depuis lors de nouveaux venus originaires du même pays » (éd. et trad. CUF) ; Denys d’Halicarnasse reporte « à plus tard » cette création : cf. sur tout cela L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 35-36 et n. 6, qui cite encore Suétone, Tib., I ; Virgile, Aen., 7, 708 ; Servius, I. 706 ; Appien, Reg., 12 ; Plutarque, Publicola 21.
10 Tite-Live, II, 21, 7 : Romae tribus una et uigenti factae ; cf. aussi Per. II, 16-17 : Appius Claudius ex Sabinis Romam transfugit. Ob hoc Claudia tribus adiecta est numerusque tribuum ampliatus est, ut essent XXI : « Appius Claudius s’enfuit de chez les Sabins à Rome. Pour cette raison, on ajouta aux autres la tribu Claudia et le nombre des tribus fut augmenté et porté à vingt et un ». (éd. et trad. CUF).
11 Tite-Live, II, 21, 4 : Tanti errores implicant temporum, aliter apud alios ordinatis magistratibus, ut nec qui consules secundum quos, nec quid quoque anno actum sit, in tanta uetustate non rerum modo sed etiam auctorum digerere possis. (éd. et trad. CUF).
12 Carte V.
13 L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 4 : « I should state at the outset that in general I accept the ancient tradition for the origin and development of Roman institutions » ; p. 6 : « Livy [...] seems to have thought of (the rural tribes) as a creation of the kingship », etc. ; p. 37, et carte p. 34.
14 Carte VI.
15 A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1963, pp. 288-318.
16 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., p. 380, avec l’exposé des méthodes.
17 Pour une analyse critique des deux interprétations, cf. M. Humbert, Municipium et civitas sine suffragio. L’organisation de la conquête jusqu’à la guerre sociale, École française de Rome, 1978, pp. 49-65, qui reprend l’ensemble de la question.
18 M. Humbert, Municipium..., p. 57 et n. 31.
19 M. Humbert, Municipium et civitas... ; dans le même sens, J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir, pp. 122-123 et 140-141 : il nous avait paru alors que les analyses d’A. Alföldi touchant au caractère « gentilice » de certaines tribus, dont la création devait en toute logique coïncider avec la période de plus grande domination patricienne, méritaient la plus grande attention ; mais nous ne percevions pas la nécessité, pour autant, de rabaisser toute la chronologie de l’extension de l’ager Romanus : je reviendrai par la suite sur ces problèmes.
20 M. Humbert, Municipium.., pp. 52-65, et particulièrement pp. 50 et 51, n. 8, pour une mise au point et une définition de l’ager Romanus, avec la bibliographie : l’expression ager Romanus doit être entendue au sens large ; cf. aussi F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 279-280.
21 M. Humbert, Municipium..., pp. 65-84.
22 M. Humbert, Municipium..., pp. 61.
23 M. Humbert, Municipium.., ppp. 66 et 72.
24 Denys d’Halicarnasse, VI, 96,4.
25 Tite-Live, II, 21,7 : cf. supra, n. 8.
26 Denys d’Halicarnasse, VH, 64, 6, mais le passage est d’interprétation difficile, et discutée.
27 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 381 et 387.
28 M. Humbert, Municipium..., p. 49, n. 1 : « Le problème principal, pour nous, est davantage de retrouver l’extension territoriale de Rome, plus que l’organisation politico-administrative du territoire au cours de cette période [...] ».
29 M. Torelli, Rome et TÉtrurie..., pp. 270-272 : cf. aussi infra, chap. III.
30 M. Humbert, Municipium..., pp. 58-76 ; A. Alföldi, Early Rome..., pp. 304-318.
31 Autrement dit, individuelles ; sur cela, L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 47-68.
32 Denys d’Halicarnasse, VII, 64, 6 : supra n. 24.
33 Il conviendra cependant de revenir sur ce nombre, que sur dix manuscrits du texte de Tite-Live, II, 21, 7, deux seulement donnent.
34 M. Humbert, Municipium..., p. 72 ; cf. en particulier, son commentaire de Tite-Live, II, 22,1-4 et de Denys d’Halicarnasse, VI, 19,4 ; 20,25.
35 M. Humbert, Municipium..., p. 60, n. 37 : l’auteur discute les diverses interprétations qui ont été données de Denys d’Halicarnasse, V, 43 (prise de Fidènes) et V, 40 (migration des Claudii en 504).
36 L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 38 d’après Festus (Paulus) 331 L : Romilia tribus dicta, quod ex eo agro censebantur, quern Romulus ceperat ex Veientibus ; M. Humbert, Municipium..., p. 50, n. 6, avec la bibliographie.
37 Carte VII ; A. Alföldi, Early Rome..., pp. 304-318 ; cf. la discussion de M. Humbert, Municipium..., p. 50, n. 6, avec la bibliographie de la question.
38 M. Humbert, Municipium..., pp. 52-57 et n. 19-24.
39 F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 275-282, et, pour la date de création de l’ager Romanus antiquus, particulièrement p. 279.
40 M. Humbert, Municipium..., p. 50, n. 6 et p. 57 et n. 29 ; dans le même sens déjà : P. Catalano, Linee del sistema sovranazionale romano, Turin, 1965, p. 273.
41 Cf. supra, n. 6 et 9.
42 J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., p. 117 : je reprendrai ici, pour la compléter et la nuancer, l’interprétation que nous avions proposée de l’œuvre de Servius Tullius et de ses ambiguïtés.
43 L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 4, n. 5 (et bibliographie) ; A. Alföldi, Ager Romanus antiquus, Hermes, 90, 1962, pp. 187-213 ; J. Cl. Richard, Les origines de la plèbe romaine. Essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome, 1978 ; sur le sens de la constitution servienne : M. Torelli, Rome et l’Étrurie..., p. 282-283 ; J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 111-112 et pp. 119-121.
44 Sur cela : M. Torelli, Rome et l’Étrurie..., pp. 270-271.
45 Denys d’Halicarnasse, IV, 9, 6-8, parle de terres distribuées aux « thètes » : A. Magdelain, « Remarques sur la société romaine archaïque », Revue des Études latines, 49, 1972, pp. 107-108, interprète le mot « thètes » comme renvoyant aux clients ; mais le récit – au-delà de l’interprétation de la tradition par Denys d’Halicarnasse en termes très « fin de la République »-, peut aussi bien, et plus vraisemblablement à une telle époque, renvoyer à tous ceux qui, n’appartenant pas à une gens, n’ont pas accès au territoire public.
46 F. De Martino, Storia economica di Roma antica, Florence, 1979, p. 23 ; L. Capogrossi-Colognesi, discussion après (et à propos de) J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., pp. 140-141.
47 M. Torelli, Rome et l’Étrurie..., p. 283, interprète le Pap. Oxyr. XVII (1927) n. 2088, selon lequel Servius Tullius (?) aurait distribué les pagi dans des tribus, comme l’indice d’un abandon total du territoire rural aux gentes, et de l’opposition irréductible de la ville et de la campagne. Une telle opposition me paraît trop tranchée. Je crois aussi nécessaire d’autre part de nuancer l’interprétation que CI. Feuvrier-Prévotat et moi-même avions proposée : Cels-Saint-Hilaire et Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., p. 116. Sur ces problèmes, cf. infra.
48 Sur cela : L. Capogrossi-Colognesi, Storia delle istituzioni romane arcaiche, Rome, 1978, pp. 28-37 ; J. Cels-Saint-Hilaire et Cl. Feuvrier-Prévotat, Guerres, échanges, pouvoir..., p. 140. On consultera ici tout particulièrement, pour une comparaison avec d’autres sociétés de l’Italie antique, E. Sereni, Comunità rurali nell’Italia antica, Rome, 1955, notamment pp. 201-253 ; idem, Villes et campagnes dans l’Italie préromaine, Annales (Économie, société, civilisation), 1967,1, pp. 23-49 ; oserai-je évoquer d’autre part les leçons que pourraient donner d’autres sociétés – malgré tout ce qui les sépare de la société romaine à l’époque archaïque ? En gardant à l’esprit la nécessaire prudence qui doit accompagner toutes les comparaisons de cette sorte, fort instructif serait le processus qui conduit à l’établissement du « nouveau servage » en Europe centrale et orientale ; ainsi M. Laran, Nobles et paysans en Russie (1760-1861), Annales ESC 1966, pp. 111-140, et surtout pp. 112 et 117-118, montre pour la Russie comment s’est opéré le passage de la communauté rurale du mir à la seigneurie et au « nouveau servage de l’époque moderne » ; voir encore, pour l’Europe Centrale, J. Blum, Lord and Peasant in Russia from ninth to the Nineteenth Century, Princeton, 1961, pp. 507 sq.
49 Sur l’organisation des gentes : A. Magdelain, « Auspicia ad Patres redeunt », Hommages à Jean Bayet, 1964, pp. 427-473 ; pour une définition économique et sociale des gentes : Ferenczy, From the Patrician to the Patricio-plebeian State, Budapest, 1976, particulièrement pp. 16-18 (et la bibliographie) ; sur la gens comme base de la puissance des patriciens : Hahn, The Plebeians and Clan Society, Oikumene, 1, 1976, pp. 47-75 ; M. Torelli, I Galli a Roma..., pp. 272-273.
50 Dans le même sens, Capogrossi-Colognesi, Le régime de la terre à l’époque républicaine, Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques, Colloque international (Besançon, 2-3 mai 1974), Paris, 1979, p. 138 : « Le rapport entre gentes et clients sans doute ne subsistait que si le principe économique de la puissance gentilice, représenté par la terre, restait intact. C’est au cours du Ve siècle, je pense, que la défense patricienne des possessions gentilices en tant que telles dut lentement reculer ».
51 M. Torelli, Rome et l’Étrurie à l’époque archaïque, Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques, Colloque international (Besançon, 2-3 mai 1974), Paris, 1979, p. 283 ; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., op. cit., p. 257 : « Un compromis où les survivances l’emportent ».
52 Tite-Live I, 46, 1.
53 Denys d’Halicarnasse IV, 13, 1.
54 E. Sereni, Comunità rurali nell’Italia antica, Rome, 1955, pour les communautés ligures, a reconnu dans les pagi l’héritage des terres communautaires des origines, tandis qu’avec la hiérarchisation sociale ultérieure et le développement des structures gentilices, les patrons des gentes étaient parvenus à établir leur domination sur les uici : cf. en particulier pp. 336 368 et pp. 409-420 ; on pensera à une évolution analogue dans le processus qui, sur le territoire de l’ager Romanus antiquus, devait mener à l’unification politique des anciennes communautés de villages et à la constitution de la Ville.
55 Contra cependant : Ferenczy, From the Patrician to the Patricio-plebeian State, Budapest, 1976, pp. 16-17 et Hahn, The Plebeians and Clan Society, Oikumene, 1,1976, pp. 70-71, selon qui la propriété privée aurait été développée par les patriciens, pour eux-mêmes.
56 C’est au Ve siècle que les revendications plébéiennes de partages de la terre conquise apparaissent dans les récits de la tradition. Pour F. Serrao, « Lotte per la terra e per la casa a Roma dal 485 al 441 A.C. », Legge e sociétà nella Repubblica romana, I, Naples, 1981, pp. 51-180, et en particulier ici pp. 55-56, les revendications agraires sont nées de la crise économique du temps, caractérisée par la rareté et la cherté des grains : la plèbe ne pouvait alors survivre que si elle avait un accès à la terre ; F. Serrao se réfère à F. De Martino, Storia economica di Roma antica, Florence, 1979, p. 15. Il me paraît pourtant que si la récession du Ve siècle a rendu le problème plus urgent, il ne l’a pas fait naître : dès auparavant, la plèbe avait certainement aussi des activités agricoles. Mais l’accaparement du sol par les patrons de gentes, au fur et à mesure de la conquête, devait aboutir à en exclure tous ceux qui ne se trouvaient pas dans leurs clientèles : autrement dit, les plébéiens. Quand s’est appronfondie la crise des activités artisanales et d’échanges, la situation de nombre d’entre ceux-ci est certainement devenue intenable.
57 Varron, LL, 5, 56 : [...] tribus dictae ab locis Suburana, Palalina, Esquilina, Collina :(« [...] les tribus Suburana, Palatina, Esquilina, Collina, reçurent leurs noms d’après les lieux [...]. Cf. aussi Denys d’Halicarnasse, IV, 14, 2.
58 À l’exception peut-être de la Camilia : cf. infra.
59 Cf. infra.
60 E. Volterra, Pap. Oxyr. XVII (1927) n. 2088 : texte, commentaire et bibliographie, Jura, VII, 1956, p. 246 (texte, commentaire et bibliographie) : le document (qui date probablement du IIe siècle ap. J.-C.) montre la grande importance des pagi dans la constitution de l’État romain ; E. Volterra renvoie particulièrement à E. Sereni, Comunità rurali nell’ltalia antica, Rome, 1955 ; cf. aussi, dans le même sens, L. R Taylor, The Centuriate Assembly before and after the Reform, American Journal of Philology, 78, 1957, pp. 337-354, et particulièrement p. 341, n. 10 ; voir aussi A. Magdelain, Remarques..., Revue des Études latines, 49, 1972, pp. 110-112.
61 Festus, 390 L.
62 Paulus Festus, p. 102, 20 L : Lemonia tribus a pago Lemonio appellata, qui est a Porta Capena via Latina : « La tribu Lemonia tire son nom du pagus Lemonius, qui commence à la porte Capène sur la voie Latine » ; cf. aussi sur cela J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., 1969, p. 260.
63 Paulus Festus, p. 265, 1 L : Pupinia tribus ab agro Popinio : cf. L. R. Taylor, Voting Districts..., p. 38, n. 13.
64 A. Alföldi, Early Rome..., pp. 307-309.
65 A. Alföldi, Early Rome..., p. 309, renvoyant à W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Abh. Ges. Wiss. Gottingen n. f. 5, 5, 1904, p. 140 ; Th. I. L., Onom. C, 116, 120.
66 F. Coarelli, Il Foro Romano, I..., pp. 62-63 ; sur la tombe François, cf. aussi maintenant le catalogue de l’exposition qui lui a été récemment conacrée à Rome.
67 F. Coarelli, « Le pitture della tomba François a Vulci : una proposta di lettura », Dialoghi di Archeologia, 2, 1983, pp. 43-69 (avec l’exposé des discusions, et la bibliographie n. 2), et en particulier ici pp. 62-63.
68 Les informations les plus nettes, peut-être, sur les deux traditions, l’une étrusque, l’autre romaine relatives à Servius Tullius sont celles que l’on doit au discours de Claude ; cf. CIL XIII, 1668, coL. 1, I. 16-24 : Huic quoque et filio nepotiue eius (nam et hoc inter auctores discrepat) insertus Servius Tullius, si nostros sequimur, captiua natus Ocresia, si Tuscos, Caeli quondam Vivennae sodalis fidelissimus omnisque casus comes, postquam uaria fortuna exactus cum omnibus relilquis Caeliani exercitus Etruria excessit, montem Caelium occupauit et a duce suo Caelio ita appellauit, mutatoque nomine (nam Tusce Mastarna ei nomen erat) ita appellatus est, ut dixi, et regnum summa cum rei p(ublicae) utilitate optinuit : « Entre [Tarquin l’ancien] et son fils ou son petit-fils – car nos sources divergent sur ce point – s’est inséré Servius Tullius, né, selon nos auteurs, de la captive Ocresia, et, selon les Étrusques, du plus fidèle compagnon de Caelius Vivenna et compagnon de toutes ses aventures ; lorsque, après des revers, il dut quitter l’Étrurie avec tout ce qui restait de l’armée caélienne, il occupa le mont Caelius, ainsi nommé du nom de son chef ; et ayant changé de nom – car il s’appelait en étrusque Mastarna –, il prit le nom que j’ai dit et occupa le trône pour le plus grand bien de l’État ». (trad. L. Lerat, 1977, pp. 188-189).
69 L’identification de Macstrna avec Servius Tullius est assurée par l’empereur Claude : CIL XIII, 1668, col. 1,116-24 ; pour la discussion de ce passage : Th. Thomsen, King Seruius Tullius. A historical Synthesis, Copenhague, 1980, pp. 95-103 et pp. 112-114 (et la bibliographie).
70 Pas plus sans doute que le nom de la tribu Publilia, créée en 358 av. J.-C, ne dément la signification des noms – tous topographiques, à l’exception de celui-là – des tribus créées entre 387 et 242 av. J.-C.
71 A. Alföldi, Early Rome..., p. 309, l’interprète comme un toponyme probable.
72 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 218-219.
73 A. Alföldi, Early Rome..., p. 315 ; Taylor, Voting Districts..., p. 6 ; M. Humbert, Municipium..., pp. 57-58, 74-76, et n. 80-81. A. Magdelain, « Auspicia ad Patres redeunt », Hommages à Jean Bayet, 1964, pp. 427-473, a montré comment une telle domination s’était accomplie au début de l’époque royale, lorsque les Patres aux pouvoirs héréditaires, qui composaient l’aristocratie des patrons de gentes, avaient établi leur monopole sur l’interregnum, lui-même fondé sur le droit auspicial : alors s’était constitué le premier patriciat. Aux cours des premières décennies de la République, l’aristocratie des patrons de gentes tendra à monopoliser le pouvoir consulaire au nom du droit auspicial dont ces Patres se prétendront seuls détenteurs, et se constituera en une caste fermée ; sur tout cela, et. M. Humbert, Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, Paris, 1984, pp. 175-180, 193-195, 200-201.
74 Pour les critères de reconnaissance entre noms plébéiens et patriciens dans les Fastes du Ve siècle av. J.-C. : cf. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., pp. 273-275 et pp. 378-386 (avec l’exposé des débats à ce moment, et la bibliographie) ; R. E. A. Palmer, The archaic Communauty of the Romans, Cambridge 1970, pp. 290 sq, discuté par I. Shatzman, Patricians and Plebeians : The Case of the Veturii, CQ, XXIII, 1973, pp. 65-77 ; sur le patriciat : P. Ch. Ranouil, Recherches sur le « patriciat » (509-366 av. J.-C.), Paris, 1976 ; sur les origines de la plèbe : J. C. Richard, Les origines de la plèbe romaine. Essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome, 1978 ; G. Poma, Tra legislatori e tiranni. Problemi storici e storiografici sull’età delle XII Tavole, Bologne, 1984, pp. 38-46, a repris l’ensemble du débat sur les Fastes, avec un exposé bibliographique, pour introduire son étude du décemvirat législatif ; cf. infra, chapitre IV.
75 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée..., p. 286, avec la discussion de Tite-Live, V, 12-13.
76 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, pp. 303-312.
77 Pour une autre interprétation des origines et de la définition de la plèbe : J. C. Richard, Les origines de la plèbe romaine. Essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome, 1978.
78 M. Humbert, Municipium..., pp. 61-76 et n. 40-41.
79 Une exception pourtant : le nom de la Poblilia, qui n’est pas un toponyme, et qui doit être rapproché du nom de Poblilius Philo ; ce dernier, cependant, est indubitablement plébéien, et donc la tribu Poblilia ne porte certainement pas un gentilice, stricto sensu : sa dénomination relève de processus particuliers, qui exigeraient d’autres analyses.
80 Tite-Live, II, 19, 2 ; sur l’annexion de Crustumerium, cf. M. Humbert, Municipium..., p. 78 ; sur l’emplacement de la tribu Clustumina : L. R. Taylor, Voting Districts..., pp. 36-37 ; J. Kolendo, « Tuscorum urbs Crustumena et l’origine de la tribu Crustumina d’après Festus », Eos, 56, 1966 (1969), pp. 311-315 ; Quilici et Quilici-Gigli, 1980, pp. 285-286.
81 M. Humbert, Municipium.., pp. 56-57 et n. 28-29 : dès le début du VIe siècle, Véies avait perdu au profit de Rome le contrôle de la rive droite du Tibre ; pour atteindre les salines qu’elle contrôlait, il lui fallait éviter Rome : aussi avait-elle ouvert une voie nouvelle. Cf. sur ce point J. B. Ward-Perkins, « Veii, the historical topography of the ancient city », Papers of the British School at Rome, 29, 1961, mais aussi l’interprétation proposée par A. Alföldi, Early Rome..., pp. 294-295, et l’argumentation que lui oppose M. Humbert, Municipium..., p. 56.
82 Tite-Live, II, 13, 4 et 15, 5 : sous l’égide de Porsenna, Rome aurait repris en 506-505 le contrôle de territoires que Véies lui avait enlevés deux ans auparavant ; cf. M. Humbert, Municipium..., p. 56.
83 Cf. infra.
84 Tite-Live, I, 41 : Turn primum lex agraria promulgata est : « C’est à cette date que fut promulguée la première loi agraire » (texte et trad. CUF) ; Denys d’Halicarnasse, IX, 51, 2, évoque quant à lui des promesses du Sénat, qu’il a auparavant présentées (VIII, 76) comme un décret prévoyant une enquête sur l’ager publicus et des distributions éventuelles ; sur les luttes agraires du Ve siècle : F. Serrao, Lotte per la terra..., art. cit. 1981, p. 51-180 et plus particulièrement pour Sp. Cassius, pp. 52-62 et p. 88-92.
85 Il convient encore de rappeller au passage le caractère toujours incertain des nombres transmis par les manuscrits : le cas présent pourrait en être une illustration entre d’autres ; si deux manuscrits du texte de Tite-Live donnent bien le nombre de vingt et une tribus, pour 493 – et c’est le nombre toujours retenu-, un troisième donne celui de trente, et tous les autres celui de trente et une : deux leçons impossibles à admettre, au regard des vingt et une tribus bien attestées pour le début du IVe siècle ; pour les leçons des manuscrits, cf. l’édition des livres I-V de Tite-Live par Conway et Walters, Oxford,1964, (1ère éd. 1914).
86 Il convient cependant de souligner, une fois encore, que le fait que les territoires des tribus Clustumina et Galeria aient été romains dès la fin du VIe siècle ou le début du Ve ne suffirait pas à prouver que ces deux tribus existaient déjà en 493. Deux indices en effet pourraient inviter à rejeter leur création à une date plus tardive : 1) la première raison de douter – à mon sens, la moins déterminante-, pourrait d’abord venir de la situation très excentrique de ces deux tribus, au-delà de la couronne des terres gentilices ; mais on peut aussi admettre que la plèbe a pu imposer le partage de terres nouvellement conquises – et donc périphériques – mais non de celles où les gentes avaient établi leur contrôle de longue date. 2) Le second indice, plus sérieux, vient du nombre même des tribus gentilices : si l’on admet (cf. infra) que ces dix tribus étaient destinées à assurer aux patrons des gentes la prééminence dans l’assemblée tribute, on pourrait être alors tenté de penser qu’au moment de leur création, neuf tribus seulement existaient – en d’autres termes, qu’aucune tribu ne s’était encore ajoutée aux tribus serviennes. Mais il se peut aussi que la Galeria et la Clustumina, si elles ont été créées vers 493, soient de quelque façon tombées très vite sous le contrôle politique des patriciens, responsables, quelque trente ans plus tard, de la création des tribus à noms gentilices. Sur cela : cf. chap. III, tableau I.
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