Municipalité et chapitre cathédral au cœur de l’ascension sociale à Tolède (1521-1700)
p. 67-76
Texte intégral
1Tout au long des premières années du xvie siècle, Tolède connaît une forte progression démographique qui porte sa population d’environ 3 000 feux en 1528 jusqu’à 12 412 en 15711. Ce niveau de population se maintient jusqu’en 1605 et, même si la chute est brutale après cette date, Tolède reste malgré tout avec 5 000 feux une ville importante par son activité économique. Le moteur de celle-ci était constitué par un fort secteur textile dans les domaines de la draperie et de la soie. Une classe marchande l’anime dès le xve siècle et, croissant en nombre et richesse, au xvie siècle ce groupe fait entendre avec plus de force sa voix dans la vieille cité.
2Accroissement de population et renforcement de la bourgeoisie sont donc les deux principaux bouleversements que connaît la société tolédane du xvie siècle. Pour être complet sur toute la période il faut ajouter deux transformations qui se font sentir dans cet univers urbain. La première est l’expulsion des Juifs décrétée le 3 mars 1492. Si le nombre de départs nous est inconnu en l’absence de recensement on peut cependant tenir pour certain que celui des convertis a été important, d’autant plus qu’il s’y ajoute celui de ceux qui avaient franchi le pas au cours des décennies antérieures. Le nombre total de la population des conversos est lui aussi difficile à préciser, mais on peut avancer des estimations. Si l’on considère les listes de judaïsants « réhabilités » en 1495 et 1497, on aboutit un total de 1640 personnes soit, si l’on considère que Tolède avoisine alors les 15 000 habitants, un peu plus de 10 % de la population totale2. Il ne s’agit là que d’un minimum puisque cette procédure n’affecte pas tous les membres de la cellule familiale. Pour sa part, Linda Martz estime qu’en 1486 les convertis et leurs descendants représentent entre 16 et 20 % des Tolédans3. L’intégration et le devenir de cette minorité si forte marquent de façon spécifique le mouvement social à Tolède. Enfin le déclin des affaires entraînant la reconversion des marchands et bourgeois tolédans du xviie siècle vient conclure la trajectoire sociale de la ville cette période.
3Dans un contexte aussi mobile et dans cette société complexe les grandes institutions présidant la vie urbaine se trouvaient au centre des regards et des ambitions des familles montantes.
4La municipalité, l’Ayuntamiento, est la première d’entre elles. Longtemps tenu de façon exclusive par des familles appartenant à la noblesse de premier rang, l’hôtel de ville se compose depuis la réforme municipale de Jean II en 1422 de deux assemblées, le chapitre des jurats (cabildo de jurados) et l’Ayuntamiento de régidors (regidores), ainsi que des charges diverses d’essence judiciaire (Alcaldes, Alguazil Mayor etc...). Nous n’entrerons pas dans le détail du fonctionnement des divers organismes4. Cependant il convient de souligner le caractère bien distinct des deux assemblées. Le chapitre des jurats est censé représenter les habitants des paroisses à raison de deux jurats chacune. Au début du xvie siècle on compte ainsi 42 jurats. Le rôle des jurats est surtout de contrôler les regidores et, par leurs majordomes, de faire entendre leurs remarques à l’Ayuntamiento. L’assemblée des regidores est d’essence plus aristocratique, même si l’on y trouve des « bancs de chevaliers » (caballeros) et des « bancs de citoyens ». Cette distinction, héritée de la règle générale de la mitad de oficios réservant la moitié des offices aux nobles et le reste au commun, perd de son importance au cours du temps5. Ainsi, les protestations des nouveaux arrivants nobles en lieu et place de roturiers se multiplient avec le temps. C’est l’Ayuntamiento qui prend les décisions. Elles sont appliquées par des membres du corps de ville qui en reçoivent mission et par les agents municipaux. Dans ces commissions ainsi qu’en représentation de la ville on trouve toujours un regidor flanqué d’un jurado. Malgré cette apparente égalité, des détails significatifs, comme des défraiements et des salaires inférieurs de moitié pour les jurats, rappellent la différence de statut.
5Pour ce qui est du mode de désignation, tous sont nommés par le roi à titre viager, mais dès le xve siècle apparaît une modalité qui, dans la pratique rend l’office transmissible : la renonciation. De la sorte, prétextant d’un empêchement sérieux ou de maladie, le titulaire renonce à son office et présente son successeur à la nomination royale. Le plus souvent, il s’agit bien sûr d’un membre de la famille. Les Rois Catholiques avaient essayé de contrôler ces renonciations en mettant comme condition nécessaire de validité un délai minimum de 20 jours entre la renonciation et la mort du renonçant6. Dans le cas des jurats un vote de l’assemblée de paroisse doit entériner l’opération. Cette dernière participation « populaire » disparaît après 15577.
6Telle est la situation lorsque se produit la révolution des Comunidades en 1519-21. On sait le rôle éminent de Tolède qui inaugure la rébellion et la clôt en se rendant aux troupes royales. Ces troubles donnent lieu à des destructions d’archives qui nous empêchent de connaître avec précision la composition du corps de ville avant cette date. Les renseignements qui nous sont parvenus ne sont que fragmentaires. On connaît mieux en revanche l’épuration qui a suivi mais, si pour les regidores nous pouvons dresser la liste de 1522, pour les jurats nous ne connaissons cette assemblée au complet qu’en 1524 seulement8.
7La liste des regidores en 1522 fait apparaître plusieurs cas de suspension ou confiscation. L’office de Juan de Padilla, l’un des chefs rebelles, est ainsi donné par le connétable de Castille à D. Juan de Tovar, son deuxième fils. Celui-ci ne semble du reste pas en profiter longtemps puisque deux ans plus tard, le 10 juin 1524 on voit Hernán Vázquez présenter une provision royale à cet office « par mort et vacance de D. Juan de Padilla »9. Le docteur Juan de Zumel, chargé du tribunal extraordinaire contre les comuneros de Tolède, après avoir reçu en dépôt de l’évêque d’Oviedo le regimiento d’Hernando de Avalos, du clan des Silva, le 28 février 1522, s’en déclare titulaire le 11 juillet. Finalement, le 1er juin 1524 c’est Vasco de Acuña qui obtient l’office par provision royale10. Don Pedro de Ayala voit son office déposé entre les mains du rapace D. Rodrigo Manrique (24 mars 1522), mais finalement c’est D. Diego de Silva qui hérite de la charge le 27 mai 152411. Malgré cette perte, en 1526 D. Pedro bénéficie de la clémence royale12. Autre grand chef rebelle, D. Pero Laso de la Vega, comte de Los Arcos, perd son office au profit de Vasco Ramirez de Guzman. Mais c’est le jeune Garcilaso de la Vega, familier de l’empereur, qui succède au comunero Gonzalo Gaitan le 1er avril 152513. Une sorte de compensation s’établit ainsi au profit de la famille qui reste représentée à la municipalité tolédane. Dans le même esprit, l’office de D. Juan Carrillo, rebelle défunt, passe à D. Juan de Ayala, du même clan.
8Pour ce qui est des regidores on voit donc que, si la répression entraîne le renouvellement du quart des titulaires, elle reste malgré tout limitée à ceux qui avaient été les principaux responsables au niveau du royaume. Pour le reste elle ne provoque pas de renouvellement profond de l’assemblée puisque la moitié des postes est reprise par des membres de familles déjà représentées au conseil, les Ayala tirant bien leur épingle du jeu.
9La situation du chapitre des jurats ne nous est connue qu’à partir de 1524, date du premier livre d’actes du chapitre14. Il est donc pratiquement impossible de mesurer l’impact des Comunidades sur l’assemblée la plus en prise avec les paroisses et les milieux socio-professionnels. C’est tout juste si nous savons que Pero Franco a renoncé le 13 décembre 1521 à l’office de jurat de San Cristóbal, car il y avait été nommé « contre sa volonté » pendant les troubles. En 1524 toutefois il est de nouveau jurat, mais au titre de la paroisse de la Madeleine. D’autres personnages ayant joué un rôle à cette époque apparaissent. On trouve aussi Miguel de Hita et Alonso Ortiz, tous deux messagers de la ville de Tolède à Charles Quint le 26 février 1520, avant la révolte ouverte15. Grâce à une attitude modérée, ils jouissent normalement de leur office, l’un jusqu’en 1527 et l’autre cédant la place à son fils, Juan Carrillo, le 1er mars 1524. C’est à peu près tout sur la participation de Comuneros à la chambre basse municipale après les événements16. Cela n’a du reste rien d’étonnant si l’on considère que les assemblées de paroisse de la révolution avaient laissé en suspens l’autorité et la légitimité des jurats.
10Quel visage présente ce corps en 1524 ? L’étude des noms de famille nous montre combien nous sommes ici dans un univers différent des regidores. Il est regrettable de ne pas avoir des professions, mais les archives notariales permettent d’esquisser des profils. Les professions juridiques sont une des composantes. On voit ainsi trois licenciés, Francisco Francés, Francisco López de Úbeda et García de León. Miguel de Hita, déjà cité, est pour sa part alcaide de la porte d’Alcantara. Les noms appartenant à des familles marchandes abondent. Il y a ainsi trois Avila, Gerónimo, Luis et Gaspar, dont le lignage se partage entre la marchandise et l’étude notariale. Pedro de Valladolid, Pero de Uceda, Alonso de la Torre et Alonso de Sosa représentent d’autres dynasties marchandes. Seule l’absence des De la Fuente étonne. Majoritaire chez les jurats, la catégorie des marchands fournit en abondance des représentants des familles de conversos. On voit de la sorte siéger en 1524 Pero Franco, Alonso Alvarez Husillo, Diego de San Pedro, Francisco de Segura et Alonso Alvarez de las Quentas pour les plus voyants. Ce ne sont pas les seuls, et, à ce moment, l’élément judéo-converti confirme une présence notable. C’est là un trait qui apparaît dès l’origine du corps des jurados en 1422 et qui se confirme tout au long du xve siècle17. Malgré les coups de l’Inquisition et les mesures d’inhabilitation ils fournissent le chapitre des jurats un siècle plus tard. Leur importance est le reflet de leur place dans les classes moyennes et la bourgeoisie marchande tolédanes. Il était difficile, voire impossible de les mettre entre parenthèses. Le problème des origines va cependant se poser en permanence pour ceux qui veulent consolider leur prestige social et progresser à l’instar des Alvarez de Toledo et des Alvarez Zapata jusqu’la noblesse ou, au moins, accéder au rang de regidor comme Juan Ramírez père du jurat Francisco Ramirez de Sosa et du regidor Juan Ramírez18. Ajoutons à ce tour d’horizon de la composition du corps de ville tolédan au lendemain des Comunidades que le tout s’inscrit dans le cadre d’un partage du pouvoir entre le clan des Silva et celui des Ayala. Leurs chefs, comte de Cifuentes et comte de Fuensalida, sont connus, ainsi que les luttes qu’ils se sont livrées au Moyen Age19. Il est regrettable que le fonctionnement au quotidien de ces groupes nous soit inconnu pour les siècles suivants. Il ne fait cependant pas de doute qu’ils surveillent la vie municipale et nous savons qu’à l’occasion ils interviennent dans des élections de jurats20.
11C’est entre 1543 et 1567 que cet ordre tacite se trouva de nouveau dérangé par les ventes d’offices pratiquées par Charles Quint et Philippe II. À quatre reprises, sous la pression de difficultés financières, le roi se vit obligé de recourir cet expédient. En 1543 ce sont trois regidores et trois jurats nouveaux qui sont créés, en 1549, quatre regidore s et trois jurats, en 1557 huit regidores et huit jurados, cinq regidores en 1567 et enfin, en 1570, 4 jurats au titre des paroisses mozarabes. De la sorte le corps des regidores s’accroît de 20 nouveaux membres (80 %) et celui des jurats de 18 (37,5 %). Cette disproportion dans la croissance s’explique du reste fort bien tant par le prestige et le prix des premiers types d’offices que par le carcan relatif de la représentation paroissiale des seconds21. Il n’en demeure pas moins qu’il y avait de quoi changer la majorité municipale. De plus la vente par le monarque dispensait de l’agrément de ceux qui étaient dans la place et ouvrait cette chasse gardée à de nouveaux venus.
12En effet, l’examen des listes de titulaires des nouveaux offices confirme la présence de patronymes jusque-là absents des fastes municipaux tolédans. La fournée de 1543 nous donne un seul nom ancien. Il est vrai qu’il est prestigieux, s’agissant de D. Juan Pacheco. Mais il s’agit-là plutôt d’un retour après les déboires de Maria Pacheco, veuve de Padilla. La famille Vargas qui lui succède, et dont la titulature enfle au fil du temps, conserve l’office jusqu’à la fin. Quant aux deux autres offices de regidores, l’un échoit à un cavallero, Gaspar Rotulo, mais il ne réussit pas à fonder une dynastie. Après quelques titulaires, c’est la famille Guixota qui s’en saisit de 1593 à 1655, puis c’est celle des Yepes (1655-1752). L’autre regidor, Juan Ruiz de Rivera, un roturier, laisse son office s’éteindre. Les jurats pour leur part sont tous des homines novi, Juan Suarez, Alonso de Cadahalso, et Rodrigo de Medina. L’un meurt en 1550 sans transmettre l’office, l’autre, alguazil mayor de l’Inquisition, à son fils Juan qui lui succède pour laisser la place à un Villareal en 156222. Le dernier qui est secrétaire du roi transmet l’office à son gendre Sancho Velluga, d’une vieille famille de conversos tolédans.
13La promotion de 1549 nous donne un regimiento qui avec Diego Garcia de Toledo va à la lignée des Ayala et des Ribadeneira. Deux autres vont à d’autres nobles, D. Dimas de Toledo et D. Juan de Ribadeneira. Ces offices ne fixent de façon durable des familles qu’à partir du xviie siècle. Sur le quatrième regimiento arrive Esteban de Sosa qui réussit ainsi à faire passer cette famille du chapitre des jurats jusqu’à l’assemblée supérieure. L’année suivante Francisco de Sosa succède à son père. Les générations suivantes vont chercher fortune hors de Tolède ou dans les ordres23. Les trois nouveaux jurats, Gaspar de Torres, Garci Alvarez de Toledo et Juan Ponce de León, portent tous des noms tolédans et, pour les deux derniers, de lignages ayant pignon sur rue, sans que pour l’instant nous puissions préciser une éventuelle parenté. Disons seulement que les Torres, une famille de marchands, sont présents au chapitre depuis 1535 avec Alonso, majordome de Tolède. De 1549 à 1559, à l’exception de la dernière année, Gaspar est le seul de ce patronyme à exercer cette charge. Garci Alvarez ne reste que trois ans jurat et cède la place le 11 décembre 1553 au notaire Gonzalo Sánchez de San Pedro dont des cousins sont au chapitre depuis longtemps. Enfin, Juan Ponce, qui est contino du roi, a profité de sa situation pour obtenir l’office qu’il cède deux ans plus tard, sans doute moyennant finance, au marchand Melchor de Chinchilla.
141557 est Tannée qui voit le plus de créations d’offices avec huit jurats et huit regidores. L’arrivée de nouveaux venus n’est pourtant pas aussi importante qu’on pourrait s’y attendre. Du côté des regidores, Juan de Herrera fait entrer un nom bien représenté chez les jurats. L’office reste dans la famille jusqu’en 1618. Diego de Argame qui reste en fonction jusqu’en 1565 est-il le même que le jurat de San Miguel (1524-53) ? Toujours est-il que son fils Diego de Argame (de Vargas) lui succède, puis en 1593 ce sont les Ribadeneira et en 1620 les Hurtado-Herrera. Avec Antolínez on peut aussi penser une promotion de jurat à la fonction de regidor. La rareté du nom le suggère fortement. Fils de Pero Ruiz de Vargas, Antolinez est jurat de San Pedro de 1538 à 1541. Seize ans plus tard achète-t-il un office sur les bancs des citadins ? Son fils, Luis Antolínez, le fait passer sur celui des caballeros. La charge, au gré des héritages, reste encore dans la famille en 1720. Gabriel del Rincón présente un autre intérêt. Issu probablement d’une famille de « coqs de village » de Borox, il achète l’office et le garde jusqu’en 1580. Il proteste contre l’assignation qui lui est faite du banc des roturiers. Il est intéressant de voir qu’il ne fait pas souche et qu’il cède sa charge à Antón Sánchez Halcón. Ce dernier est en effet fils du jurat de San Martin, Antón Sánchez, et petit-fils de Bartolomé Sanchez. Ce dernier habitait Dosbarrios de Ocaña à quelques kilomètres de Borox et était presque « pays » de Gabriel del Rincón. Làbas, « c’était un homme très riche et il avait plus d’oliviers, vignes et bétail qu’aucun autre habitant »24. L’office reste dans la famille des Halcón Sirviendo jusqu’en 1600. Ces derniers nous fournissent un exemple rare de paysans enrichis qui parviennent jusqu’à la plus haute assemblée municipale. Notons qu’il leur a fallu d’abord s’implanter à Tolède et passer par une place de jurat. Anton Sanchez n’avait pas ménagé sa peine pour obtenir une reconnaissance sociale. Ainsi avait-il réussi à rentrer dans la sélecte confrérie, peuple d’édiles, de San Miguel à laquelle il lègue 8 000 réaux de rente pour doter une orpheline. Gaspar Suarez Franco marque aussi le passage de l’état de jurat à celui de regidor. Son grand-père, Gaspar Sanchez Franco était jurat de la Madalena par renonciation de son frère Pero. Gaspar Suarez rejoint ainsi son cousin Hernán Franco, regidor depuis 1548, et précède de quelques années son autre cousin Alonso Franco qui, de jurat de San Lorenzo entre 1545 et 1562, devient regidor en 1563. La deuxième moitié du xvie siècle voit passer huit membres de la famille à l’Ayuntamiento. Pour leur part, Luis Gaytan de Ayala, Pedro de Guzman et Juan de Silva ne font que renforcer la présence des grandes familles tolédanes à l’Ayuntamiento, même si l’étude de leurs successeurs montre qu’ils cèdent la place à des noms moins prestigieux à la fin du xvie siècle.
15La liste des huit jurats de 1557 montre également combien le renouvellement de l’assemblée est ici aussi contrôlé par les anciennes familles tolédanes. La moitié des nouveaux sont membres de dynasties marchandes : Rodrigo de la Fuente Hurtado, Juan de Cisneros (en fait un Husillo), Gaspar de San Pedro et Alonso Sanchez de San Pedro. Pour ce qui est des quatre parvenus, Luis de Pareja, Pedro de Berrio, Juan de Castro et Juan Pérez de Heredia, aucun n’inaugure une ligne d’édiles.
16Les promotions de 1563 et 1570 viennent consacrer le contrôle désormais presque total des familles déjà en place et des lignages. Chez les regidores, quatre sur cinq appartiennent aux grandes dynasties : Alvaro de Ayala, le licencié Alvar García de Toledo, Lorenzo Suárez de Figueroa et Hernando de Rivadeneyra. Seul Diego de Robles amène un nouveau patronyme qui, trois ans plus tard, est aussi représenté chez les jurats avec Juan de Robles et le licencié Méndez de Robles. Les regidores s’implanteront durablement en s’alliant aux Avila et aux Gorbalan. Chez les jurats de 1570 on voit revenir les Parraga avec Lucas, dont le fils est un temps regidor par intérim de Pedro López de Ayala y Mendoza25. Gabriel del Rincón fait un retour fugace. Ce n’est qu’après 1637 que ce patronyme allié à celui de Benavides revient pour un temps chez les regidore s.
17Passée cette tourmente, le corps de ville connaît des heures beaucoup plus calmes tout au long du xviie siècle. Certes il y eut sept regidores de nouvelle création entre 1630 et 1649. Mais alors Tolède se défend mieux. Hormis les offices du Comte-Duc d’Olivares en 1640 et celui de Joseph Castejon en 1641, ce sont des représentants des dynasties tolédanes qui obtiennent les places pour services rendus au roi.
18L’étude des patronymes au cours de ce siècle montre un renouvellement progressif qui s’accentue après 1650. Les alliances matrimoniales jouent un grand rôle. Les vieilles familles de jurats se retrouvent ainsi dans les rangs des regidores et les places qu’elles laissent vacantes sont occupées par de nouveaux noms qui se répètent jusqu’au xviiie siècle. Les consonances basques ou nordiques (Asturies, Montana) y abondent. Ce trait se retrouve également chez les regidores, au fur et à mesure de l’abandon de la ville par les grands lignages26.
19Il nous reste à considérer l’autre grand corps de Tolède, le chapitre cathédral. Pour des raisons d’espace, nous nous limiterons ici à une rapide approche, laissant à une prochaine publication une étude plus complète.
20Soulignons d’emblée que nous sommes dans un univers et un temps tout différents de l’Hôtel de ville. Nulle fournée massive ne vient bouleverser l’ordre existant. Des règles bien précises encadrent le renouvellement des chanoines et, par définition, les dynasties plus difficiles à maintenir longtemps27. Dans quelle mesure la ville a-t-elle prise sur le chapitre de l’église primatiale ? L’examen de son recrutement permet d’amener quelques éléments de réponse28. Au plan géographique d’abord, nous avons regroupé ci-dessous les origines de 124 chanoines recrutés entre 1575 et 1640 :
Nouvelle Castille | 60 | Navarre | 2 |
– dont Tolède | 40 | Pays Basque | 4 |
– dont Madrid | 18 | Galice | 5 |
Andalousie | 19 | Asturies | 1 |
Vieille Castille | 27 | Valence | 1 |
Aragon | 1 | Italie | 4 |
21Tolède et sa province constituent l’origine principale des chanoines, mais il ne s’agit pas de la majorité, loin s’en faut. En deuxième position parmi les provinces, avec 18 sièges, Madrid, siège de la Cour, vient renforcer la place des Néo-Castillans sans pour autant leur faire atteindre la moitié du contingent total. On voit que la contribution de l’Andalousie et de la Vieille Castille n’est pas négligeable et que, si Ton considère l’ensemble de Taire de recrutement on peut qualifier ce dernier de « national ». En effet, hormis la Catalogne et l’Extrémadure, toutes les régions d’Espagne y figurent. La spécificité de certaines chanoinies recrutées par concours ne suffit pas à l’expliquer. L’examen des noms des chanoines apporte un complément essentiel. Il nous fournit en effet le Gotha de l’aristocratie espagnole : les Mendoza, les Sandoval, Fonseca, Guzman, Manrique de Lara, Silva, Ayala, Ribera, Avalos... Parmi eux, les Mendoza, avec dix chanoines (dignités non comprises), se taillent la part du lion pour le xvie siècle. De la sorte, le chapitre échappe dans une large mesure à l’emprise de l’oligarchie tolédane sans que pour autant elle soit totalement exclue. Les très grandes familles sont parfois aussi tolédanes. D’autres moins importantes figurent également, comme les Ortiz. Les Alvarez Zapata, déjà bien intégrés à la noblesse, représentent très activement les judéo-convertis, mais ils sont loin de contrôler la plupart des places. L’explication de cette situation, originale par rapport à d’autres chapitres moins prestigieux, tient sans aucun doute à la richesse des bénéfices des chanoines tolédans. Ils étaient comparables à certains petits évêchés, de quoi aiguiser l’appétit des plus grands du royaume.
22Au total, les institutions municipales ont, dans une large mesure, bien joué un rôle d’étape de passage dans l’ascension sociale de la bourgeoisie tolédane et son intégration à l’aristocratie. Ainsi se prolonge un phénomène déjà entamé au xve siècle. De la sorte plusieurs familles de conversos accèdent d’abord aux postes de jurats, puis de regidores, avant de se fondre dans la noblesse. Ce mouvement est toutefois filtré par le contrôle qu’exercent les familles déjà en place et l’équilibre des lignages. Les ventes d’offices ne modifient cette situation de façon ni ample ni durable. L’oligarchie locale tient bien les rênes. Il en va tout différemment dans le cas du chapitre. La richesse de ce dernier en fait un enjeu national et les grands du royaume y relèguent les Tolédans aux seconds rôles. D’autres secteurs, les cures d’âmes, l’Université, permettaient à ces derniers de s’assurer reconnaissance sociale et brevets de catholicisme.
Notes de bas de page
1 Pour 1528, il s’agit d’une estimation extrapolée du chiffre de 5 898 vecinos (feux) que donne le document pour Tolède et sa terre (Archivo general de Simancas, CG-138).
2 La « réhabilitation ».
3 L. Martz, « Converso families in fifteenth and sixteenth century Toledo, the significance of lineage », in Sefarad, Madrid, 1988, pp. 117-196, p. 119.
4 Pour plus de précisions voir J. Montemayor, Tolède entre fortune et déclin..., pp. 445-559.
5 En fait une provision royale du 17 mars 1566 précise que sur les 24 regidores, 16 sont caballeros et 8 ciudadanos. Ces derniers doivent évidemment être vieux-chrétiens. Archivo municipal de Tolède (AMT), libro de corregidores.
6 M. Cuartas Rivero, « La venta de oficios públicos en Castilla-León en el siglo XVI », Hispania, MADRID, 1984, t. XLIV, pp. 495-516.
7 J. Montemayor, op. cit., p. 449.
8 Le premier registre de délibrations conservé date de 1524.
9 AMT, Libro de corregidores, 10° regimiento antiguo de mano derecha. J. Pérez, La revolución de las Comunidades de Castilla (1520-21), Madrid, 1977, p. 644, no 55.
10 AMT, Libro de corregidores, 4°regimiento antiguo de mano izquierda. Le connétable proposa Zumel pour le conseil royal puis la Chancellerie, ce fut une charge de notaire à Ségovie : J. Pérez, op. cit., p. 646, no 63.
11 AMT, Libro de corregidores, 5° regimiento antiguo de mano izquierda. On notera la volonté royale de marquer le coup en donnant l’office au lignage rival des Ayala.
12 Il ne redevient toutefois pas regidor et est interdit de séjour à Tolède. J. Pérez, op. cit., p. 624.
13 J. Pérez, op. cit., p. 648, n. 74 cite la date du 27 mars pour la provision du Registro General del Sello. Le libro de corregidores de l’AMT donne le 1er avril mais ce n’est pas avant le 10 que Francisco Ruiz prit possession de l’office par procuration de Garcilaso.
14 AMT, Libros de actas del cabildo de jurados (dorénavant AJ), no 51 ancien. C’est par recoupements avec ce livre qui porte sur les années 1524-28 et les suivantes no 52 (1534-40) et no 353 (1540-46) que nous avons élaboré la liste qui suit.
15 J. Pérez, op. cit., p. 145.
16 Il est regrettable que les documents manquent. Deux cas laissent perplexes. Le licenciado Francisco Francés (1524-41) est sans doute un homonyme de l’Inquisiteur de Valladolid et comunero. Il en va de même pour le licencié Garcia de León (1524-49), sans doute autre que le bachiller García de León sous les verrous en 1523.
17 J.-P. Molenat, « L’oligarchie municipale de Tolède au xve siècle », in Tolède et l’expansion urbaine en Espagne (1450-1650), Madrid, 1992, pp. 159-177.
18 Ibid., p. 167.
19 E. Benito Ruano, Toledo en el siglo XV, Madrid, 1961.
20 J. Montemayor, op. cit.
21 En 1557 un office de jurado se vendait entre 550 et 800 ducats tandis que ceux de regidor atteignaient 1 800 ducats. Cf. L. Martz, « La familia y hacienda del Doctor Sancho de Moncada », in Annales Toledanos, no XXIV, Tolède, 1987, p. 58.
22 Du 9 janvier 1551 au 28 mail552 Alonso laisse la place à son fils Juan (Rodriguez) de Cadahalso, puis reprend la charge. En 1562 Juan renonce en faveur d’Alonso de Villareal Durán qui ne peut en user, la rumeur l’accusant d’avoir été prisonnier de l’Inquisition. Finalement c’est Gonzalo López de Herrera qui lui succède en 1567. AMT AJ.
23 Cette famille de marchands fournit ainsi un regidor de Madrid, Juan de Sosa y Cáceres, et un évêque d’Osma membre de la Suprema, Fray Francisco de Sosa, qui est le fils du regidor Francisco. Archivo de la Real Academia de la Historia (RAH), Colección Salazar y Castro (C.S.), D. 31, fo 108.
24 « Bartolomé Sánchez era ombre muy rico y tenia más olivares mas que ningun v° de la villa de Dosbarrios y biñas y ganados ». Archivo General de Simancas (AGS), Cámara de Castilla, leg. 2297, témoignage de Pedro de Torralba le vieux.
25 Il l’est de 1633 à 1641.
26 Ainsi, après 1660 aucun Ayala ne figure plus chez les regidores.
27 Pour les provisions, huit mois sont réservés à Rome et quatre à l’ordinaire. Seuls les bénéfices de patronage échappent à cette règle. La résignation en faveur d’un proche est possible dans certains cas.
28 Les principales sources utilisées ici sont : Archivo de la Catedral de Toledo, Libros de Actas del Cabildo et Libro de Arcayos.
Auteur
Université de Pau
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