Chapitre V. Politique et marchés
p. 199-255
Texte intégral
1Les Grecs avaient leur agora, les Romains leur forum ; les paysans français avaient des places de marché, des halles, des champs de foire. Lieux de rassemblement des citoyens, lieux de circulation d'idées, de rumeurs, lieux de discussion et de confrontation. Comment dans ces foires et dans ces marchés aurait-on pu ignorer les sujets de contestation du temps, les problèmes touchant directement la vie des populations rurales et urbaines qui les fréquentaient ?
2Le contexte institutionnel n'est pas le même en 1750 et en 1900 ; d'une monarchie aux prétentions absolutistes à un régime de démocratie parlementaire, la vie politique française s'est trouvée profondément transformée. Si sous l'Ancien Régime la participation politique active n'a guère dépassé la communauté villageoise, sous la Troisième République l'horizon électoral atteignait le canton et la circonscription du député, intermédiaire privilégié entre le monde rural et la vie nationale. L’ensemble important de changements économiques, sociaux et politiques opérés depuis la Révolution et pendant tout le XIXe siècle n'a pu que transformer, lentement et inégalement, les formes et les objets d'expression politique1.
3La place marchande rejoint la vie politique de deux façons assez distinctes : d’abord en tant qu'enjeu, ensuite comme arène. Le marché a souvent été un enjeu de l'expression politique, notamment dans le domaine des subsistances. Les révoltes frumentaires en fournissent de nombreux exemples, aujourd'hui bien étudiés par des historiens français et étrangers2. Nous avons préféré porter notre analyse sur des types de contestation moins connus : les résistances à l'imposition du calendrier révolutionnaire et à la fiscalité du marché. Dans ces deux cas, le nœud du problème réside dans les conditions d'accès des populations à la place marchande. La plupart des affaires de contestation que nous avons repérées concernent la période antérieure au suffrage universel masculin. De ce fait, les formes prises sont celles du répertoire traditionnel telles que Charles Tilly les a récemment définies. Citons, parmi les caractéristiques les plus appropriées, « le rassemblement sur les lieux mêmes de l'injustice », dans notre cas, les foires et marchés3.
4Avec l'avènement de la Seconde République et le remplacement du système censitaire par le suffrage universel masculin, les formes d'expression politique se sont modifiées. Le simple changement formel – l'élargissement du suffrage – n'est certainement pas le seul responsable des transformations du répertoire. Néanmoins, il a contribué à l'éclosion de nouveaux modes d’expression qui sont, pour une large part, ceux que nous connaissons aujourd'hui. Dans ce nouveau monde, la place marchande est moins souvent l'enjeu de l'expression qu'une arène où les opinions sont émises, où les acteurs de la vie publique peuvent rencontrer leurs électeurs et leurs pairs. Dans certaines localités, toutefois, la question des foires et marchés prend une dimension politique et devient même un enjeu électoral.
LA PLACE COMME ENJEU : FAIRE DE LA POLITIQUE SANS ÉLECTIONS
Le calendrier républicain
5Le 5 octobre 1793, la Convention adopte le projet de calendrier révolutionnaire. Les Conventionnels ont choisi le 22 septembre 1792 comme le premier jour de la République. Peu de temps après, ils acceptent les noms de mois proposés par Fabre d'Eglantine, inspirés par la poésie des rythmes saisonniers. Désormais le temps de l'année connaît un nouveau découpage : chaque mois compte 30 jours divisés en 3 décades de 10 jours chacune. A la fin de l'année, il y a 5 ou 6 jours complémentaires afin de rattraper l'année solaire.
6Ce nouveau calendrier doit son existence à un double souci des révolutionnaires siégeant à Paris. Primo, il s’inscrit dans le désir des hommes du siècle des Lumières de créer un système de poids et mesures plus scientifique, plus rationnel. Avec ses décades de 10 jours, le calendrier républicain ordonne le temps de la même façon que le système métrique organise les volumes, les poids et les espaces. Secundo, les révolutionnaires rêvent aussi d'une conquête encore plus radicale ; pour beaucoup d’entre eux, l'Eglise et la religion catholique sont inséparables de la monarchie. Ayant mis fin au régime monarchique, il leur semble nécessaire de prendre des mesures vigoureuses contre ce qu'ils appellent le fanatisme, la superstition, autrement dit contre les représentants et les pratiques de l'Eglise catholique en France.
7Si la décade satisfait les « décimalistes », elle réjouit également les anticléricaux car le sacro-saint dimanche disparaît avec les autres jours de la semaine. D’après les Conventionnels, le nouveau calendrier constitue le « seul et unique moyen pour faire oublier au Peuple les jours des cy-devant fêtes et dimanches et l'ancienne dénomination des jours et des mois »4. Eliminer les pratiques religieuses ancestrales n'est guère possible sans effacer l'ancien calendrier grégorien organisé tout entier autour d'elles.
8Il va sans dire qu'une telle mesure bouscule profondément bien des habitudes ; en même temps, elle suscite presque inévitablement des résistances qui ne se limitent pas à la seule question religieuse. Imaginons un instant notre réaction devant l'annonce que la semaine durerait désormais 10 jours au lieu de 7 et que le jour de repos serait chaque dixième jour. D'un coup nous passerions de 52 jours de repos par an à 36 seulement, soit une perte d'environ 30 %. Voilà ce que le gouvernement révolutionnaire cherche à faire appliquer en instaurant un calendrier dont les deux conséquences les plus visibles sont l'effacement du dimanche et la réduction brutale des jours chômés. Une troisième conséquence nous concerne plus spécifiquement : ce même gouvernement entreprend également, et en toute logique, de fixer les foires et marchés du pays tout entier en fonction du nouveau calendrier.
9Quelles sont les implications d'une telle politique ? Nous avons vu qu’une part significative du commerce français, notamment des denrées agricoles, passait par le réseau des marchés et foires. Depuis des siècles, la semaine de sept jours régissait ce réseau ; les chartes de coutumes et les concessions de marchés du Moyen Age sont très claires sur ce point. Pour les marchés, la transformation de la semaine en décade représentait un bouleversement considérable, plus sans doute que pour les foires. Dans la plupart des bourgs, le marché avait lieu toutes les semaines ; avec le nouveau calendrier, l'intervalle entre deux marchés pouvait atteindre 10 jours. A priori, donc, moins de marchés par an et un risque de déperdition économique. Le problème se posait de manière moins grave dans des villes importantes où les marchés se tenaient tous les jours ou tous les deux jours. La désorganisation du temps y était moins ressentie.
10Afin d'illustrer concrètement les conséquences immédiates du nouveau calendrier, voici deux tableaux des principaux marchés du département de la Haute-Garonne d'après le calendrier grégorien et le calendrier révolutionnaire. Le premier présente les marchés de l'an XI selon le jour de la semaine tels qu'ils existaient avant et après les changements républicains. Les deux tableaux suivants montrent leur répartition selon les nouvelles règles, d'abord en l'an III, ensuite en l'an VII. Selon le vieux calendrier, il se tenait 42 jours de marché par semaine, soit un total annuel d'environ 2 184 marchés. Le premier calendrier républicain fait apparaître 45 marchés par décade, soit un total de 1 620 marchés par an (sans compter les jours complémentaires). Autrement dit, l'application du nouveau calendrier aurait fait diminuer le nombre de jours de marché de 25 % avec un manque à gagner inévitable pour le commerce local. Même si le volume des affaires était resté globalement le même, la réduction du nombre de jours de marché aurait affecté tous les commerces et services qui comptaient sur l'afflux des campagnards dans les bourgs : auberges, marchands au détail, notaires, etc.
11Le calendrier de l'an III avait aussi l'inconvénient de laisser davantage de jours vides dans la semaine. Dans l'arrondissement de Toulouse, par exemple, il n'existait aucun jour libre dans l'ancien calendrier tandis que dans le nouveau, il y en avait trois, le quintidi, le septidi et le nonidi. Pour les paysans, de tels espaces vides ne posaient pas de graves difficultés aussi longtemps qu'ils avaient des débouchés réguliers ; mais pour tous les professionnels du marché, qui allaient de bourg en bourg pour leur commerce, la situation s'annonçait mal. Cela pouvait signifier quatre jours chômés par décade ou des déplacements plus lointains afin de combler les trous.
TABLEAU 20. LES JOURS DE MARCHÉ EN HAUTE-GARONNE AVANT ET APRÈS LA RÉVOLUTION
LUNDI | MARDI | MERCREDI |
Bessières | Castanet | Buzet |
JEUDI | VENDREDI | SAMEDI |
Fronton | Toulouse | Grenade |
12Un dernier problème se posait, celui de la séquence hebdomadaire des réunions. Certains marchés jouaient un rôle de distributeur vers des marchés moins importants. Par exemple, dans la région pyrénéenne, l'agriculture ne fournissait pas aux habitants assez de grains pour assurer leur propre consommation. Par conséquent, des marchands de grains allaient s'approvisionner dans les centres de la vallée de la Garonne – Montréjeau, Saint-Gaudens, Cazères – ensuite ils transportaient les grains aux petits marchés de montagne tels Saint-Béat, Aspet et Bagnères-de-Luchon. La municipalité de Saint-Béat a cherché à expliquer cela aux autorités départementales en l'an VI :
...en effet, les marchés de Saint-Béat ne s'alimentent qu'au moyen de ceux de Montréjeau et de Saint-Gaudens ; car ce canton manque de presque tous les objets de première nécessité ; il est donc obligé de s'approvisionner ailleurs. Les spéculateurs qui transportent des grains aux marchés de cette commune, les achètent comme nous venons de dire, à Montréjeau et Saint-Gaudens, viennent les revendre le lendemain ici d’où ils se rendent ensuite à Bagnères-de-Luchon5.
13En fait, comme le montre le premier tableau, les marchés de Saint-Béat et de Luchon suivent immédiatement celui de Montréjeau et précèdent celui de Saint-Gaudens. Du point de vue des montagnards, la séquence traditionnelle était la suivante : Saint-Gaudens (jeudi), Montréjeau (lundi), Saint-Béat (mardi) et Luchon (mercredi). Dans le premier calendrier révolutionnaire, cette séquence a été modifiée ainsi : Saint-Gaudens (I), Bagnères-de-Luchon (III), Saint-Béat (IV), Saint-Gaudens (V) et Montréjeau (VII). L'ordre a été bouleversé, le marché le plus lointain, Luchon, devait être visité avant celui de Saint-Béat, ce qui supposait des frais de transport plus élevés. Le marché de Montréjeau, le mieux placé dans le système ancien, se trouve mal loti ; six jours séparent son marché du premier marché montagnard.
TABLEAU 21. LES JOURS DE MARCHÉ SELON LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN
an III | |
Primidi : | Castanet, Lévignac, Montastruc, Muret, Saint-Gaudens, Salies, Villefranche, Auriac |
Duodi : | Toulouse, Aspet |
Tridi : | Verfeil, Montesquieu-Volvestre, Bagnères, Cassagnabère, Revel |
Quartidi : | Toulouse, Fronton, Venerque, Saint-Lys, Carbonne, Aurignac, Saint-Béat, Saint-Félix |
Quintidi : | Muret, Saint-Gaudens, Villefranche, Caraman |
Sextidi : | Toulouse, Villemur, Buzet, Rieumes, Le Fousseret,Boulogne, Nailloux, Revel |
Octidi : | Toulouse, Bessières, Auterive, Saint-Martory |
Nonidi : | Cazères, L'Isle-en-Dodon, Baziège, Revel |
an VII | |
Primidi : | Toulouse, Bessières, Buzet, Villemur, Le Fousseret, |
Duodi : | Lévignac, Verfeil, Auterive, Carbonne, Saint-Lys,Aurignac, Saint-Béat, Caraman, Castanet, Saint-Félix |
Tridi : | Toulouse, Rieumes, Aspet, Bagnères, Boulognes |
Quartidi : | Grenade, Montastruc, Cazères, Montesquieu, Muret, L'Isle-en-Dodon, Baziège, Auriac, Revel |
Quintidi : | Toulouse, Auterive, Le Fousseret, Saint-Martory |
Sextidi : | Montréjeau, Salies |
Septidi : | Toulouse, Villemur, Venerque, Carbonne, Cassagnabère, Saint-Béat, Caraman, Revel, Saint-Félix |
Octidi : | Lévignac, Verfeil, Auterive, Rieumes, Aspet, Aurignac, Bagnères, Castanet, Villefranche |
Nonidi : | Toulouse, Grenade, Montastruc, Cazères, Montesquieu, Muret, L'Isle-en-Dodon, Saint-Gaudens, Baziège, Revel |
14Après cet aperçu des difficultés soulevées par le changement du calendrier, sur le papier du moins, il convient de voir comment les choses se passèrent au moment de sa véritable mise en place. Avant d'aller plus loin, il faut signaler que la première période d'application du nouveau calendrier est difficile à suivre faute de documents. A ce sujet, la correspondance administrative semble assez rare. De ce fait, nous sommes réduit à glaner quelques éléments épars de sources diverses. Nous savons, par exemple, qu'à Samatan, en nivôse an II, quelques semaines à peine après l'adoption du calendrier par la Convention, la municipalité dut constater que les nouveaux jours de foire et de marché n'étaient point respectés ; elle menaça de poursuive toute personne présente sur la place, « soit pour y vendre, soit pour y acheter », tout autre jour que ceux prescrits. D'ailleurs, elle observait déjà un début de résistance :
Des malveillants ont fait courir le bruit que les marchés de cette commune, lorsqu'ils se trouveraient être un jour de fête consacrée aux devoirs du culte, se tiendront le lendemain et par la suite, des gens induits en erreur se sont rendus pour tenir le marché6.
15Autrement dit, on faisait comme auparavant ; un marché ou foire qui tombait un jour de fête religieuse se tenait en général le lendemain de ladite fête. Dans ce cas, ce n'était pas la peine de changer le calendrier. Les « malveillants » préparaient le terrain pour une résistance à un calendrier qui niait les repères traditionnels qu'étaient le dimanche et les fêtes religieuses.
16Neuf mois plus tard, le comité de commerce et des approvisionnements de la Convention écrivit aux départements pour les obliger à fixer « d'une manière invariable les jours de foires et marchés dans toutes les communes en les faisant accorder avec l'ère républicaine... »7. Apparemment ce n'était pas encore bien ancré dans les mœurs. En réponse à cette sommation parisienne, les départements commencèrent à publier des tableaux des jours de foire et de marché. En Haute-Garonne, ce tableau fut imprimé à la suite d'une délibération du département du 27 vendémiaire an III, ce qui nous a permis de l’utiliser ci-dessus. La diffusion du tableau dans tout le département et, sans doute, dans les départements voisins, créa des conditions plus favorables à son adoption par les usagers eux-mêmes. Ainsi, à Lévignac, le traditionnel marché du mardi a continué quelque temps encore, jusqu'au 5 frimaire an III. A partir de cette date, le marché se tint le primidi, du 11 frimaire jusqu'au 21 pluviôse où nous le perdons de vue. Cette disparition n'est peut-être pas un hasard – il n'y eut pas de grains vendus lors des marchés républicains. La mercuriale disparaît à Lévignac jusqu'au 1er nivôse an IV, moment auquel le marché est revenu à son jour habituel, le mardi8.
17On observe un phénomène similaire dans d'autres marchés du département. A Villemur, le marché du samedi reprit son cours normal dès le mois de vendémiaire an IV. A Verfeil, les nouveaux marchés républicains débutèrent vers vendémiaire an III, mais dès le 12 messidor de la même année, la tradition avait repris ses droits. Pendant l'an III, les mercuriales que les autorités de Fronton envoyèrent au département ne portent pas de date, seulement la notation de la décade et du mois (2e décade de vendémiaire...). On peut difficilement suivre les hauts et les bas du nouveau calendrier. Toutefois, les autorités frontonnaises nous fournissent quelques détails précieux dans une note inscrite sur la mercuriale de la 3e décade de germinal an III. Selon elles, la tentative de républicaniser le calendrier avait échoué :
Les marchés qui demeurent fixés d'après l'arrêté du département de la Haute-Garonne au 4e de chaque décade n'ont pu avoir lieu. Depuis l’établissement des décades, c'était le 5e jour que se tenaient les marchés de cette commune, et depuis 2 décades les marchés sont revenus le jeudi, jour auquel il était fixé dans l'ancien régime, quelques soins que se soient donné la municipalité pour empêcher que le nouvel ordre ne fût désobéi, elle n'a pu y parvenir9.
18Les mercuriales de vendémiaire an IV portent les dates des marchés qui correspondent à l'ancien calendrier. Si l’expérience de ces communes est représentative de ce qui s'est passé ailleurs, on peut conclure que la première tentative d'imposer le calendrier révolutionnaire s’est soldée par un échec, parfois déjà en l'an III, au plus tard dans les premiers mois de l'an IV.
19Deux ans et demi plus tard, après l'arrivée au pouvoir à Paris d'un nouveau Directoire très anticlérical (le coup d'Etat du 18 fructidor an V), le calendrier républicain reprit vigueur. Par un arrêté du 14 germinal an VI (3 avril 1798), il fut rendu, une fois de plus, obligatoire. Déjà, deux mois plus tôt, le ministère de l’Intérieur avait essayé de relancer les administrations départementales. Il leur rappela surtout que l'usage du calendrier républicain était obligatoire tout en concédant qu’il était suivi davantage par les institutions publiques que par les particuliers et le commerce. Il dénonça en particulier le retard pris dans le domaine des foires et marchés qui étaient, selon lui,
... encore presque partout indiqués par les dénominations de l'ancien calendrier, dont chaque jour rappelle l'idée d'un culte dominant, lorsque la République n'en reconnaît aucun et que ses principes seuls doivent dominer. Il importe, pour ôter au fanatisme tout moyen de se perpétuer et de s’agiter, de fixer les jours de foires et marchés d'après l'ère républicaine10.
20L'idéologie anticléricale devance de loin dans sa pensée toute idée de rationalisme, pourtant capital dans la conception du nouveau calendrier. Même l'organisation efficace du réseau commercial est une motivation seconde par rapport au besoin d'extirper le fanatisme, mot de code pour parler de la religion catholique.
21Avec la publication et la diffusion de l'arrêté du 14 germinal an VI, tout est prêt pour un second face à face entre les usagers des foires et marchés et les autorités révolutionnaires. Cette fois-ci la bataille est engagée de manière plus musclée par les autorités qui cherchent à briser toute résistance. Le 8 prairial, l'administration centrale de la Haute-Garonne exprime sa déception devant le peu de réussite des nouveaux marchés républicains :
L’administration n'a pu apprendre sans étonnement que dans quelques communes où les jours de marché viennent d'être fixés suivant le calendrier républicain, les citoyens qui avaient coutume de les alimenter de leurs denrées ont affecté de n'y point paraître aux jours indiqués et que, s'y étant rendus aux jours accoutumés de l'ancien calendrier, ils ont opposé une résistance coupable aux magistrats dont le devoir était de réprimer cette infraction formelle aux lois et arrêtés du gouvernement11.
22Jusqu'au mois de messidor, nous n'avons trouvé aucun compte rendu précis de cette « résistance coupable » dont ont fait état les administrateurs départementaux. En messidor (juin-juillet 1798), le commissaire du directoire exécutif près de l'administration municipale de Saint-Gaudens, Suberville, se lança dans la bataille pour imposer le marché républicain dans sa ville et dans les localités voisines. Son témoignage exprime toute la difficulté d'un représentant du pouvoir obligé de faire appliquer une loi impopulaire dans une région bien éloignée des centres de décision. Son expérience fut certainement très proche de celle de beaucoup de ses collègues dans d'autres lieux.
23Suberville explique d'abord comment il s’est organisé. Après avoir fixé les nouveaux jours de marché, il se donna jusqu'au 1er messidor pour les imposer. Estimant la publicité essentielle à son projet, il fit faire diverses proclamations, fit imprimer un avis destiné à une large diffusion. Il informa les autorités cantonales chargées de faire passer le message à leurs administrés. Si Suberville dit vrai, tous les habitants de l'aire de marché de Saint-Gaudens savaient que les anciens marchés n'existaient plus et qu'ils étaient remplacés par les nouveaux. Le premier marché républicain devait se tenir le 4 messidor, mais la veille, un jeudi, jour de marché à Saint-Gaudens depuis le XIIIe siècle au moins, les habitudes ancestrales l'emportèrent :
... les citoyens se rendirent en foule ledit jour jeudi et prétendirent ne pas avoir été suffisamment instruits, les deffenses d'embarrasser la voye publique et d'étaler ni denrées ni marchandises furent renouvellées, cependant le peuple n'eut aucun égard, le marché fut tenu et l'agent dressa son procès-verbal et personne ne parut pour former le marché le lendemain 412.
24Le même scénario menaça de se produire huit jours plus tard. Le peuple de la campagne se rendit en foule au marché mais, cette fois-ci, Suberville rassembla ses collègues de l'administration et les entraina à la place. Ils réussirent à faire partir les ruraux sans que le marché se tienne.
25Le reste du mois de messidor se passa dans une sorte de purgatoire. Les marchés traditionnels furent interdits mais les nouveaux eurent du mal à démarrer. Seuls les marchés où il y eut coïncidence entre ancien et nouveau jour firent le plein des vendeurs et des acheteurs. La municipalité proclama une dernière fois la disparition du marché du jeudi13. Suberville dénonça plusieurs fois la mauvaise volonté des autres bourgs de son district, en particulier Montréjeau, coupables à ses yeux d'avoir cédé à la pression populaire. Toujours à Saint-Gaudens, le 1er thermidor vit une nouvelle tentative de tenir le marché coutumier. Suberville dut encore recruter quelques administrateurs, des gendarmes et des « patriotes de la garde mobile » afin de dissiper les foules qui essayaient de pénétrer dans la ville pour y tenir le marché. Les autorités parvinrent à les repousser et à les empêcher de s'installer sur une promenade à l'extérieur de la ville. Selon Suberville, ce succès relatif fut obtenu en leur parlant « avec l'énergie qui convient au magistrat ».
26Le jeudi suivant, il n'eut pas autant de chance. Une véritable insurrection éclata ; elle fut menée surtout par « des femmes armées de pierres et bâtons qui méconnaissent la loi et ses organes [et qui] ont hué ceux-ci et forcé les marchands à porter leurs marchandises sur la place et à étaler ». Les autorités décidèrent de ne pas intervenir et le marché se tint comme par le passé. Le 15 thermidor, il y eut une affluence considérable en ville mais les marchands n'osèrent pas s’installer sur la place et dans les rues de peur d'être verbalisés. Ils préférèrent vendre dans des boutiques et dans des chambres des auberges ou des maisons privées. Afin de ne pas léser « la classe indigente », les autorités permirent la tenue d'un petit marché aux grains « parce qu'il était juste, humain et politique d'être prudent sur cet article ». Le 22 thermidor, le marché du jeudi ne se tint pas. Il fallut attendre le 4 fructidor, un mardi, pour voir le marché républicain avoir lieu normalement, au grand soulagement de Suberville. Deux mois d'intense activité avaient été nécessaires à Saint-Gaudens pour imposer, au moins temporairement, le nouveau calendrier des marchés14.
27Tout au long de leur lutte, les autorités saint-gaudinoises se plaignirent amèrement du comportement de leurs homologues de Montréjeau. Dès le 12 messidor, dans son premier compte rendu, Suberville dénonça le manque de sérieux des mesures prises à Montréjeau pour assurer le succès des nouveaux marchés. Pour lui, elles « n'ont été que des simulacres ». Il s'inquiétait d'une répétition de la première expérience, car « pendant la terreur, notre commune ayant voulu opérer ce changement, perdit en entier son marché qui ne s'est pas encore parfaitement rétabli ». Dans sa correspondance, il ne cessa de fulminer contre les édiles de la ville voisine et rivale qui ne firent rien pour empêcher le marché traditionnel de se réunir. Quand les paysans envahirent la place de Saint-Gaudens, ce fut à cause du « mauvais exemple donné par la commune de Montréjeau le 28 du mois dernier ». Le peuple espérait trouver au chef-lieu du district « des administrateurs lâches et égoïstes » comme à Montréjeau où, le 5 thermidor, l'agent national près de l'administration municipale ne se présenta au marché que très tardivement sans se munir d'une force suffisante pour disloquer et disperser cette réunion illégale. Dans son rapport des événements survenus chez lui lors de l'insurrection Suberville laissa éclater sa colère :
La mauvaise foi, l'égoïsme et la méchanceté de l'agent de Montréjeau sont cause de l'insurrection ouverte qui vient de faire éclater la populace de notre marché... Pendant les trois jeudis qui avaient précédé celui de ce jour, nos concitoyens s'étaient fort bien exécutés. Pendant quatre lundis, au contraire, le dernier compris, Montréjeau avait eu une conduite totalement opposée ; le peuple jaloux de cette espèce de préférence, fâché de la non exécution de la loi dans cette partie, n'existant que par l'industrie du marché, fatigué de la longue interruption et pressé par le besoin s'est insurgé aujourd'hui ; il a voulu fortement le marché et il a été tenu malgré et contre toutes nos représentations.
28Il y a dans ce débordement de mauvaise humeur une part d'indignation d'un fonctionnaire public dont le zèle a été constamment contré par le mauvais vouloir d'autres personnes qu'il ne pouvait contrôler. A cela il faut certainement ajouter la rivalité entre deux centres distants de seulement une quinzaine de kilomètres et qui se disputaient la suprématie commerciale de la région commingeoise. Forts de leur domination administrative, acquise surtout depuis la nouvelle organisation de l'espace, les habitants de Saint-Gaudens auraient voulu imposer par la même occasion leur marché et leur commerce. Paradoxalement, ces nouvelles charges administratives pesaient dans la mesure où le chef-lieu de district était obligé de respecter la politique parisienne plus rapidement que les autres bourgs ; dans ce cas précis, ce respect devait susciter l'hostilité des populations environnantes.
29Jusqu'ici, nous avons surtout écouté les témoignages émanant du camp saint-gaudinois. Qu'en était-il à Montréjeau ? Dans leur correspondance, les autorités de cette ville évoquèrent cinq raisons pour expliquer les difficultés affrontées dans l'affaire du calendrier. D'abord, le peuple tenait à ses marchés traditionnels comme à « un vieux préjugé et [à] d'anciennes habitudes ». Ensuite, il s'agissait de rudes montagnards qui ne se laissaient pas facilement convaincre. De plus, les marchés voisins, notamment ceux des Hautes-Pyrénées, n'obéissaient pas non plus à la loi sur la tenue des foires et marchés, ce qui incitait leurs habitants à continuer à utiliser les anciens jours de marché. Les deux derniers facteurs sont à considérer ensemble. Les marchés de Montréjeau étaient de loin les plus importants de la région, attirant chaque lundi 4 000 à 5 000 personnes. De ce fait, il aurait fallu une force armée considérable et une volonté de l'utiliser que les autorités locales semblaient loin de posséder.
30Le commissaire du directoire exécutif près de l'administration municipale du canton de Montréjeau, rendant compte de ses actions, se montre parfaitement circonspect :
Le lundi après, 14 messidor, le lieutenant de la gendarmerie nationale de l'arrondissement de Saint-Gaudens se rendit avec 8 gendarmes dans la commune de Montréjeau et s'adressant à moi, il m'annonça qu'il venait offrir son secours à la municipalité pour dissoudre le marché. Connaissant mieux que lui la disposition des esprits je louai son zèle mais en même temps je lui fis sentir le danger qu'il y aurait à vouloir dissoudre une réunion de quatre à cinq mille âmes avec le peu de forces qui étaient à sa disposition... qu'il ne fallait pas compter sur le secours de la garde nationale dont la plupart des citoyens qui la composent agiraient en sens inverse, et exposeraient ses gendarmes à être accablés par les multitudes.
31Après de tels propos, il n'est guère étonnant que le lieutenant et ses huit gendarmes se soient tenus à l'écart, laissant le marché se dérouler comme au bon vieux temps.
32Vers la fin du mois de messidor et au début de fructidor, les marchés républicains commencèrent enfin à se tenir. Il fallut toutefois faire intervenir plusieurs brigades de gendarmerie et des gardes nationales des villages avoisinants pour repousser la tentative d'invasion du 3 fructidor. La stratégie employée est neuve. Au lieu d'attendre que les paysans entrent dans la ville, les forces armées se portèrent à leur rencontre sur les routes principales, bloquant ainsi les foules à plusieurs points en rase campagne. En empêchant les anciens marchés de se tenir, les autorités préparaient le terrain de l'éventuelle réussite des rassemblements républicains. Le premier grand succès vint le 8 fructidor avec la tenue d'une grande foire en remplacement de l'ancienne foire de la Saint-Barthélemy (24 août). Ce fut un succès incontesté :
...nous eûmes un si grand concours d'étrangers que les habitants pouvaient à peine sortir de leurs maisons, jamais peut-être on n'avait vu tant de grain, la place du bétail n'avait jamais été plus garnie...
33Il faut reconnaître, cependant, que le changement des foires bousculait moins les anciens rythmes, sauf pour celles dont les dates dépendaient du calendrier pascal. Il semblerait que la réussite de la foire du 8 fructidor ait donné une certaine légitimité aux autres réunions républicaines, car les marchés décadaires rencontrèrent eux aussi le succès. Les autorités de Montréjeau annoncèrent même que le marché du 21 fructidor ressemblait plus à une foire qu'à un marché, ce qui représente l'ultime compliment dans ce domaine15.
34Ailleurs, le calendrier républicain s'est finalement imposé bien que, partout, les mêmes réticences se soient exprimées. Partout il fallut employer la même énergie, la même persuasion, la même volonté musclée afin de décourager la fréquentation des anciens marchés ; partout les municipalités se plaignirent des bourgs voisins, accusés de ne point obéir à la loi républicaine. A Salies-du-Salat, en thermidor an VI, on mit en cause les pouvoirs locaux à Aspet, Saint-Gaudens et en Ariège pour le non respect du calendrier. A Saint-Béat, on incrimina Montréjeau ; à L'Isle-en-Dodon, on dénonça d'abord Aurignac et Boulogne-sur-Gesse avant de s'en prendre aux marchés du département voisin du Gers, tenus comme responsables de la paralysie du marché lislois. Les grands marchés de Tarbes, dans le département voisin des Hautes-Pyrénées, connurent également des heures tumultueuses pendant les mois d'août et septembre 1798 (thermidor et fructidor an VI). L'imposition du calendrier et la perception d'une nouvelle taxe sur les routes mirent le feu aux poudres. Les scènes d'envahissement de la ville et la tenue des marchés en dépit de la volonté des autorités étaient très similaires à celles que nous avons décrites. A la différence de ce qui s'était passé en Haute-Garonne, les autorités nationales, informées, décrétèrent le siège de la ville et un général fut dépêché sur place pour assurer le maintien de l'ordre et l'exécution des lois. Le nouveau calendrier fut installé à Tarbes grâce à la menace de la force armée16.
35La seconde expérience du calendrier républicain dura plus longtemps que la première. Nous avons trouvé quelques renseignements susceptibles de nous informer avec assez de précision sur les circonstances de son abandon dans le domaine qui nous intéresse. Au cours de l'an VIII, donc presque deux ans après sa mise en application, quelques municipalités firent état de mouvements ayant pour but le rétablissement des anciens jours de foire et marché. Au mois de floréal, le maire d'Aurignac crut sage de signaler au préfet une « conspiration » de marchands contre les marchés décadaires. Ils auraient allégué que dans plusieurs bourgs commingeois – Cazères, Salies et autres – on était en train de revenir « aux usages antérieurs ». Le maire d'Aurignac attendait donc des instructions de ses supérieurs à la préfecture. Une demande identique émana en même temps du maire de Salies-du-Salat ; le retour à la tolérance religieuse incitait beaucoup de « citoyens peu éclairés » à vouloir revenir au calendrier grégorien. Lui aussi voulait une déclaration explicite de la ligne à tenir concernant la tenue des foires et marchés17. D'après les mercuriales de Carbonne, le calendrier républicain guida leur tenue depuis fructidor an VI jusqu'à prairial an X (27 mai 1802), soit une durée de presque quatre ans, bien plus que l'expérience de la Terreur18. Les marchés décadaires auraient même survécu presque un an après le Concordat de juillet 1801. Une telle durée fut-elle la règle dans les marchés de la région toulousaine et ailleurs ? Pour le moment, il nous manque des points de comparaison.
36Il faut maintenant poser la question de l'expression politique. Peut-on voir dans les manifestations contre le changement des marchés une forme d'expression ou de volonté politique ? Ou n'est-ce pas plutôt une réaction quasi instinctive sans lendemain ? Nous penchons davantage pour la première hypothèse pour plusieurs raisons. Les décisions de la Convention de promulguer un nouveau calendrier et du Directoire issu du coup d'Etat du 18 fructidor an V de l'appliquer vigoureusement furent dictées par la raison (avantage du système métrique) et par l'idéologie (lutte anticléricale). Dans aucun des deux cas, on ne peut faire prévaloir un avantage économique quelconque. Or, il s'agit avant tout d'un choix politique. Face à une population rurale loin de partager le goût des Lumières et l'anticléricalisme des élites républicaines, le nouveau calendrier paraissait singulièrement mal inspiré, voire néfaste. Quand hommes et femmes ont envahi le bourg de Montréjeau en thermidor an VI, qu'ont-ils crié ? « ... Que la liberté dont on les berçait ne serait bientôt qu'une chimère puisqu'ils ne seraient plus les maîtres de tenir leurs marchés aux jours accoutumés... »19. Car ils avaient eu le temps de s'accoutumer à ces marchés, déjà compris dans la charte de fondation de la bastide en 1272. Depuis plus de 500 ans ils se tenaient tous les lundis. Il y a peu d'institutions en France ou ailleurs qui puissent prétendre à une histoire aussi longue et aussi régulière. Le marché faisait partie des privilèges de la ville dont la prospérité dépendait. Etre les maîtres de leurs marchés ne signifiait pas avoir le droit de les tenir n'importe quand mais de les maintenir selon la tradition historique de la ville. Ce fut un mouvement conservateur dans le sens strict du mot. En cela, il rejoint toute une série d'actions collectives que l'on retrouve jusqu'au milieu du XIXe siècle en France20.
37Les défenseurs du marché coutumier criaient autre chose encore :
... ils ne comprenaient rien à la façon d'agir des autorités chargées de l'exécution des lois, que dans le département de la Haute-Garonne, on faisait tout pour détruire les marchés en intervertissant l'ordre déjà établi au lieu que dans les départements voisins et notamment dans celui des Hautes-Pyrénées, les anciens marchés se tenaient sans troubles...21.
38Ici, deux griefs sont exprimés. Il y a d'abord le caractère incompréhensible de cette mesure qui vient d'en haut et de loin. Le changement du calendrier n'était guère une revendication universelle à l'inverse de bien d'autres que l'on retrouve dans les cahiers de doléances de 1789, notamment celle demandant l’unification des poids et mesures. Le calendrier grégorien était le seul utilisé en France ; pour la masse de la population, il n'avait en rien perdu de sa légitimité. Le second grief est dirigé contre les administrateurs locaux qui s'obstinaient à vouloir faire appliquer un calendrier en dépit des dangers d'isolement commercial. On se représentait les marchés ailleurs comme étant calmes et prospères, « sans troubles », alors que sur place ils étaient dissipés par des autorités aveugles aux intérêts du pays. Chaque lieu de marché avait son coupable attitré que l'on dénonçait avec vigueur aux autorités départementales. Ce phénomène fut tellement généralisé que nous serions tenté d'y voir quelque trait de psychologie ; d'autant que nous le retrouvons dans d'autres situations bien différentes. Au moment du maximum, chaque marché, chaque district, chaque département se plaint du fait que le voisin ne l'a pas encore fait respecter chez lui, ou que son niveau a été fixé à un niveau si élevé qu'il draine tout le commerce vers lui. Il est vrai que le maximum, tout comme le calendrier républicain, dépendait pour son succès d'une application simultanée et universelle, ce qui était loin d'être le cas22.
39La critique de la foule montréjeaulaise revêtit également une dimension économique et sociale :
... changer celui [le jour de marché] de Montréjeau serait jetter le peuple dans le désespoir en ce qu'il trouverait rien aux jours indiqués, dans la commune où il était accoutumé de s'approvisionner, qu'on allait favoriser l'avidité des propriétaires qui, pour rançonner les misérables et leur faire payer plus cher les objets de première consommation, saisiraient avec avidité cette occasion pour éviter une concurrence toujours avantageuse au peuple23.
40La carte des communes ayant l'habitude de venir s'approvisionner dans ce centre commingeois fait ressortir une aire de marché relativement vaste pénétrant assez profondément dans les montagnes. Les montagnards surtout étaient dépendants du marché pour leur nourriture car leurs propres ressources en céréales étaient très restreintes. Descendre de la montagne exigeait du temps et de l'énergie que l'on ne voulait pas gaspiller en voyages rendus inutiles par la faute de décisions politiques arbitraires. Accéder au marché les jours accoutumés constituait une exigence simple et claire. Le problème de la concurrence et de l'avidité des propriétaires doit se comprendre dans le contexte d'une pénurie habituelle. Le consommateur devait acheter des grains même si le marché n'avait pas lieu, soit chez des détaillants urbains, soit chez des propriétaires ruraux assez à l'aise pour avoir un surplus à vendre. Dans les deux cas, le prix du marché n'était plus opérant. Ces transactions chez des particuliers n'étaient pas protégées par la réglementation traditionnelle en vigueur sur les marchés publics, surtout en ce qui concerne la publicité et la transparence des échanges. Acheter sous la halle en plein marché, c'était garantir une saine concurrence entre vendeurs et s'assurer une information sur les prix tout à fait d'actualité. Acheter dans une boutique ou à la propriété quand tout le monde savait que le marché ne s'était pas tenu, c'était s'exposer à des prix de circonstance.
41Il faut évoquer, enfin, le facteur religieux. Les dirigeants parisiens tentèrent d'utiliser leur calendrier comme un outil anticlérical. La fixation des foires et marchés y tenait sa place car ils espéraient enterrer le dimanche et les jours de fête sous le poids de la routine et des besoins économiques. Si l'on devait aller au marché le dimanche (selon l'ancien calendrier), on pouvait difficilement s'acquitter de ses devoirs envers le culte. Pour une partie de la population, la plus croyante, une telle politique devait être combattue. Les foires et les marchés sont donc devenus les enjeux d'une lutte qui les transcendait. Pour certaines personnes, aller affronter les autorités dans les bourgs n'était pas seulement défendre d'anciennes habitudes commerciales mais aussi protéger l'Eglise. Dans une région telle que le Comminges, où le catholicisme était profondément ancré, où le clergé était soutenu par les habitants et où la Révolution n'avait pas suscité un enthousiasme particulier, l'élément religieux n'est pas à négliger24. Comme sous la Terreur, les paysans optèrent souvent pour une résistance passive. A Aurignac, par exemple, en fructidor an VI, la municipalité réussit à faire cesser les anciens marchés sans pour autant établir les nouveaux :
Les jours de fête surtout, les marchés sont entièrement abandonnés, au point que le commerce, l'industrie s'en ressentent sensiblement. Esclave des opinions, le peuple n'ose pas s'en affranchir même quand ses besoins le lui commandent impérieusement25.
42Tout un faisceau de facteurs sont intervenus pour rendre le calendrier républicain peu apprécié des populations rurales. On a bousculé l'ordre du temps, on a mis en péril de vieilles institutions communales, on a créé de nouveaux privilèges par l'application inégale de la loi, on a rendu le voyage au marché encore plus aléatoire que d'habitude en refoulant les ruraux des anciens marchés, on a avantagé certains détaillants qui ont profité de cette désorganisation pour augmenter leurs prix, on a porté tort à la religion. Après quelques années de marchés décadaires plus ou moins respectés, l'ancien calendrier grégorien a fini par reprendre ses droits. Le calendrier républicain fut définitivement abandonné le 27 nivôse an XIV, pardon, le 31 décembre 1805.
La résistance à la fiscalité du marché
43Depuis plus de vingt ans, les mouvements contestataires sont l'objet d'étude de la part des historiens, qu'ils soient modernistes ou contemporanéistes. En plus des thèses de Y.-M. Bercé et d'autres, plusieurs ouvrages collectifs ont proposé d'en faire l'inventaire assez complet et d'en élaborer une typologie. Dans une perspective internationale, une revue suisse, les Cahiers internationaux d'Histoire économique et sociale, a organisé une vaste réflexion sur « les mouvements paysans dans le monde contemporain », dont les résultats ont paru en 1976. Albert Soboul et Philippe Vigier ont rédigé deux articles de synthèse sur la période qui nous intéresse, XVIIIe et XIXe siècles, essais qui cherchent à inventorier les principaux types de manifestations paysannes, notamment en France. Soboul énumère celles liées aux droits d'usage, aux crises de subsistances et aux exigences étatiques, en particulier aux problèmes de l'insoumission, de la résistance à la fiscalité. Les problèmes de fiscalité se résument en trois phénomènes répertoriés : la contrebande, la résistance aux droits indirects, surtout sur les boissons, et le refus de l’impôt dit « des 45 centimes ». Vigier évoque plusieurs des mêmes types de contestation en réaction aux droits d'octroi, à l'impôt sur le sel, aux droits sur les boissons et aux contributions directes, tout particulièrement les 45 centimes26. Le grand colloque de mai 1984 sur les « mouvements populaires et conscience sociale » a fait aussi un vaste tour d'horizon de ces mouvements, surtout en ce qui concerne le monde moderne27. Dans aucun de ces ouvrages, dans aucun article, la question spécifique de la fiscalité des marchés n'est abordée. C’est pourquoi il nous a paru intéressant d'analyser un ensemble de mouvements plus ou moins importants et qui ont pour point commun la contestation de taxes, de droits, de péages exigés des utilisateurs des marchés.
Péages et droits de « coupe »
44A la fin du XVIIIe siècle, la circulation des hommes et des marchandises connaît moins d'obstacles qu'auparavant ; les principaux péages toujours en place le sont sur des ponts, toujours trop rares. Ces ponts se trouvent naturellement aux abords des villes afin d'y permettre un accès plus aisé ou pour faciliter la circulation en leur cœur même. Comme la fiscalité portant directement sur les échanges, les péages ont également provoqué protestation et révolte par l'obstacle qu'ils faisaient peser sur les déplacements vers les centres commerciaux. La lecture des cahiers de doléances de la Bigorre est, sur ce point, très instructive. Le pont de Tarbes, enjambant l'Adour, fut un projet des Etats de Bigorre. Terminé en 1744, ce pont en pierre a certainement promu la croissance commerciale de la capitale bigourdane. La ville percevait un droit de péage, plus communément appelé droit de pontonnage. Ce péage fut très mal ressenti par les habitants des villages qui devaient emprunter le pont chaque fois qu'ils se rendaient aux marchés et foires. Les tarifs étaient loin d'être symboliques : selon le cahier de doléances de la communauté de Lansac, chaque char ou charrette, chargé ou non, payait 3 sols, chaque paire de vaches ou de bœufs, 2 sols 6 deniers, chaque roturier homme ou femme à pied payait 3 deniers...28. On trouvait ce péage triplement inique. Tout d'abord, le pont était l'œuvre de la province, donc financé par l'ensemble des contribuables de la Bigorre. On comprenait mal que la ville de Tarbes perçoive le péage alors que ses propres dépenses ne concernaient que les réparations au pont. Ensuite, le pontonnage irritait les roturiers, la vaste majorité, car les nobles et ecclésiastiques en étaient exemptés. Enfin, le péage gênait le commerce en faisant payer personnes, animaux et marchandises comme si le pont constituait une véritable frontière entre deux pays étrangers. La plainte des habitants de Sère-Rustaing est assez représentative :
Finalement remontre que la ville de Tarbes, sous prétexte qu'elle fait les réparations nécessaires au pont qui est sur l'Adour à l'orient de cette ville, force les habitants du pays de Rustaing, obligés d'aller souvent à son marché, à lui payer le même droit de péage qu’elle exige des habitants des autres provinces et comme ce droit est des plus odieux par lui-même et en même temps des plus injustes pour les habitants de Bigorre-Rustaing qui ont contribué avec le reste de la province à la construction de ce pont, la communauté remontrante supplie Sa Majesté d'abolir et de supprimer ce droit inique29.
45Nous ne savons pas comment cette situation a évolué pendant la Révolution. Il ne semble pas qu'il y ait eu une explosion populaire contre le péage, car les historiens de Tarbes n'en disent rien.
46Pas loin de Tarbes, à Montréjeau, le péage sur le pont provoqua la colère des passants en plusieurs occasions au XIXe siècle. Le 24 janvier 1825, alors que le pont était toujours en construction, des centaines de paysans en route pour le marché de Montréjeau balayèrent les barrières provisoires qui ralentissaient leur marche en avant. Comme à Tarbes, les préposés à la perception devaient faire face à des tensions, surtout les jours de marché, quand les plus grandes foules se présentaient à l'entrée du pont. Comme les paysans de l'autre côté, ils étaient armés de bâtons afin de décourager les fraudeurs et calmer les esprits échauffés. Etant donnée l'importance du marché de Montréjeau, le péage rapportait ; le lundi, jour de marché, la recette pouvait atteindre 700 francs30.
47Durant l'été de 1830, le sujet du péage est redevenu d'actualité. Selon le Journal de Toulouse du 20 juin 1830, il y eut « un rassemblement à Montréjeau, le jour de marché, au sujet du péage sur le pont ; on a placé sur le pont un écriteau où l'on demande la libre circulation... »31. Après quelques semaines de calme, l'annonce de la Révolution à Paris encouragea une nouvelle attaque sur le pont ; au début du mois d'août, on brûla les barrières et les bureaux avant de tout jeter à l'eau. Ce nouvel incident découragea l'administration qui attendit presque une année avant de reconstruire les barrières et de percevoir de nouveau le péage. L'annonce de cette décision, en mai 1831, amena une réponse rapide des usagers : le bureau et la barrière sur la rive droite de la Garonne furent détruits. Cette fois les autorités relevèrent le défi en y envoyant quelque 600 hommes de troupe. Le marché du 13 juin, le premier où l'on percevait le péage, ne connut pas de révolte bien que les montagnards eussent parcouru la ville en lançant des cris : « La liberté de passage ou la mort »32. Sur le pont ou près de l'entrée, des visiteurs nocturnes avaient cloué des écriteaux ainsi libellés. On fit sonner le tocsin, on se rassembla à l'entrée du pont mais sans tenter de le franchir ; on y plaça un drapeau noir. Mais finalement les esprits se calmèrent et il n’y eut plus de manifestations autour du pont. Au printemps de 1847, sans doute dans une tentative de pallier les effets de la crise de subsistances, le ministre des Finances décida de suspendre le péage sur le pont de Montréjeau ainsi que sur celui de Pinsaguel près de Toulouse. La suspension du péage a peut-être évité une explosion populaire en mars 1848, à un moment où les populations de cette région se sont montrées hostiles aux droits sur les marchés33.
48Ces histoires de pont montrent à quel point la circulation pouvait être gênée et les passions avivées par une fiscalité mal adaptée aux besoins du plus grand nombre. Après avoir passé le pont, les paysans devaient souvent acquitter de nouveaux droits sur les transactions elles-mêmes. Depuis un temps immémorial, les puissants de ce monde avaient compris que les concentrations d'hommes et de marchandises lors des foires et marchés leur fournissaient une parfaite occasion de prélever une part en prétextant quelques services rendus. Depuis le Moyen Age jusqu'à la Révolution, on percevait des leudes sur les transactions au marché au bénéfice du roi, du seigneur, de la communauté ou du bourreau comme il était stipulé dans les coutumes du Languedoc. Il y avait aussi des droits de mesurage, de pesage, de plaçage ou hallage, de langueyage, des droits sur les animaux gros et petits, des droits de stationnement pour les charrettes et autres véhicules. En bref, les ruraux qui venaient en ville avaient souvent l'impression d'être des moutons faciles à tondre.
49En principe, les droits ainsi perçus correspondaient à des services rendus par leur bénéficiaire. La construction et l'entretien d'une halle, la fabrication de mesures et de poids publics, l’emploi de mesureurs et peseurs, voilà les principales charges de ceux qui empochaient les diverses taxes sur les marchés. Dans leur combat contre tous les obstacles à la circulation des marchandises, notamment des grains, les Physiocrates avaient cherché à réduire les péages, les douanes intérieures et les droits sur les marchés. Ces efforts n'avaient que partiellement réussi ; seules les barrières entre les provinces avaient cédé.
50Avant la Révolution, c'étaient sans doute les droits perçus sur les grains qui heurtaient le plus les vendeurs et les acheteurs sous la halle. Dans le Midi toulousain, la plupart des marchés aux grains étaient grevés de tels droits. Citons quelques cas en guise d'exemple. A Toulouse, la municipalité prenait un sol par setier sur les grains de toute espèce ; à Fronton, ce droit n'était que de 9 deniers ; la communauté de Villefranche-de-Lauragais prélevait l/56e de tous les grains mesurés sur la place du marché. Dans d'autres marchés, les droits bénéficiaient au seigneur ou à un engagiste du roi. A Mirepoix, le duc de Mirepoix prenait 1 sol 4 deniers sur tous les grains apportés par des étrangers au consulat ou à la ville34.
51Dans trois villes, les droits sur les grains ont suscité des conflits plus ou moins graves entre les consommateurs et/ou communautés d’un côté et les bénéficiaires de l'autre. A Puylaurens, au centre de la région de production de grains, le marché exportait des milliers de setiers de blé vers le Bas-Languedoc aussi bien au XVIIIe qu'au XIXe siècle. Vers 1750, le roi, en tant que seigneur du lieu, céda ses droits sur les marchés au maréchal de Belle-Isle. Pour la communauté, ce fut un rude coup, puisque les droits étaient tombés en désuétude depuis de longues années. Comme c'était souvent le cas lorsque l'on voulait percevoir de nouveau des droits anciens, la communauté renâcla et porta l'affaire successivement devant le Parlement de Toulouse et la Cour des aides de Montpellier, sans succès. Jusqu'à la Révolution, les paysans ou autres qui apportèrent leurs grains à Puylaurens pour y être vendus durent payer un « droit de coup », soit 1/48e de la quantité35.
52A Limoux, le droit sur les grains s'élevait à 1/32e dont la majeure partie revenait au roi, le reste au monastère de Prouille. Périodiquement, les limouxins et les autres habitués du marché menaient la vie dure aux percepteurs. L'année particulièrement troublée de 1789 vit l'insubordination se développer, stimulée par la crise de subsistances qui rendait les grains plus rares et plus chers. Dès février 1789, la communauté, par l'intermédiaire de l'intendant du Languedoc, avait demandé la suspension du « droit de coupe » à cause de la rareté des grains sur le marché. Necker répondit défavorablement en invoquant les autres villes dans des situations analogues qui ne tarderaient pas à faire de même. Durant les mois de juillet et août, l'agitation sur les marchés au sujet du droit sur les grains ne cessa de croître. Le fermier aurait été malmené par « un grand nombre de particuliers mal intentionnés » et il aurait demandé l'envoi d'hommes armés. Les registres du percepteur auraient été déchirés. En octobre, la communauté de Limoux et le diocèse d'Alet dont elle dépendait adressèrent à l'intendant des demandes de suspension du droit. Même si le peuple continuait à le payer, il « murmure beaucoup » ; les autorités craignaient de nouvelles « émotions populaires »36.
53A Castres, le « droit de coupe » ou « de coup », établi sur les blés étrangers au profit du domaine du roi, fut vivement contesté par la municipalité dans les années 1760-1765. Par la suite, sa perception par des fermiers originaires de la ville ne connut aucune entrave, même lors des graves crises de la fin de l'Ancien Régime. Ce calme ne résista pas aux premiers événements de la Révolution. L'annonce de la nuit du 4 août provoqua la vague de protestation populaire qui balaya cette redevance dans l'espace d'une journée. La nouvelle était arrivée à Castres le 14 août alors que le marché battait son plein. Exceptionnellement, il se tenait un vendredi à cause de la fête de l'Assomption le lendemain. Dès que la population fut au courant, une « assemblée révolutionnaire » se réunit ; des orateurs parlèrent, certains pour dénoncer vigoureusement le droit de « coupe ». La cible était facile en ce temps de crise alimentaire ; on se précipita dans les rues de la ville au cri de « Nous voulons détruire le coup, nous allons détruire le coup ! » Après avoir menacé la maison du fermier du droit, la foule se rendit à la halle et dans le bureau de la perception. Son geste fut alors typique : elle s'empara des registres et les brûla en place publique. Les mesures en bois des fermiers furent saisies et clouées aux poutres de la halle au-dessus de l'endroit où l’on vendait des grains. En quelques minutes, un des symboles les plus visibles du régime seigneurial fut détruit, la foule réussit là où les Physiocrates avaient échoué37.
54En Bigorre, le péage sur le pont de Tarbes ne fut pas le seul grief des villageois. Dans les cahiers de doléances, ce fut un véritable cri d'alarme qu'ils lancèrent contre l'ensemble des droits de marché. Les habitants de Tostat, par exemple, demandèrent « l'abolition de péage, terrage, mesurage, poids publics, droit de souquet et autres qu’on exige dans les différentes villes du Royaume, comme contraires au bien de l'Etat et comme une source d'une infinité de concussions »38. Alors que les cahiers bigourdans sont remplis de plaintes contre les droits de marché, nous n'avons rien trouvé de comparable dans d'autres cahiers de la région. De loin en loin une communauté prend position contre ce genre de droit, mais c’est une exception39. Devant une semblable disparité, on est amené à se demander si les conditions bigourdanes étaient particulièrement mauvaises ou si la rédaction des cahiers n'a pas subi une sorte de mimétisme, le thème des droits ayant frappé les imaginations dans ces mois difficiles de 1789.
55Au cours du XIXe siècle, l'actuelle région Midi-Pyrénées a connu environ 25 épisodes de conflit autour de la question des droits de place. Leur gravité varie énormément : clameurs, paroles vives, désertion plus ou moins temporaire des marchés d'une part ; de l'autre des blessés et des tués à la suite d'affrontements violents avec les forces armées. L'examen de ces dossiers permet de dégager trois variantes sur le même thème d'opposition aux droits de marché. En premier lieu, nous considérerons les mouvements contre de nouvelles impositions ou des hausses de droits déjà existants ; nous examinerons ensuite la contestation des droits dans leur principe même ; enfin, nous aborderons les cas où des rivalités locales ont nourri la résistance aux droits de place.
Résistance aux nouveaux droits et à leur augmentation
56Pour les autorités municipales d'un bourg, créer de nouveaux droits ou en augmenter le taux présente certains risques. Comment les paysans et les marchands vont-ils réagir ? Dans la majorité des cas, le changement entre en vigueur sans problème, bien que l'on imagine que des commentaires ne manquent pas. Il arrive, cependant, que le mécontentement est tel que la place marchande devient le lieu de confrontations. La violence ne dépasse pas parfois le stade verbal comme à Mirepoix en 1832. Le 7 mai, la foire aux chevaux occasionne le refus d'un « grand nombre d'individus... à payer le droit de location » établi récemment par les autorités mirapiciennes. D'après le maire, on entend crier « ces plaintes mille fois répétées » :
Nous ne voulons pas payer ! Il ne nous plaît pas ! En quel temps sommes-nous ? Quelle est cette liberté ? Nous nous foutons des gendarmes, de la Garde nationale, du Maire !...40.
57Le maire fait venir des agents de la force publique, deux des « meneurs » sont arrêtés sans que la foule intervienne. Les droits peuvent être perçus presque sans interruption.
58Six ans plus tard, la foire des Rois à Foix ne connaîtra pas un aboutissement si heureux pour l'ordre public. Tout commence le 16 septembre 1839 quand le conseil municipal crée un champ de foire et établit un droit de place pour les bestiaux que l'on y amène41. Les tarifs sont de 25 centimes pour les cochons gras, particulièrement nombreux aux foires d'hiver ; 15 centimes pour le gros bétail, bœufs, chevaux, juments et mules ; 10 centimes pour les vaches et de 1 à 5 centimes pour le petit bétail. La première perception des nouveaux droits doit se faire à la foire du 13 janvier 1840, foire dite la fiero de la groau , connue principalement pour la vente de cochons gras, l'animal le plus fortement taxé. Ayant eu des renseignements au sujet du mécontentement provoqué par la taxe, les autorités de la ville prennent quelques précautions. Autour des trois barrières provisoires installées aux avenues du foirail se trouvent un receveur plus des hommes armés dont le commissaire de police, deux sergents de ville, cinq gendarmes et quinze hommes d'infanterie.
59L'arrivée des paysans et de leurs bêtes ne provoque pas, dans un premier temps, de troubles. C'est seulement vers huit heures trente ou vers neuf heures quarante-cinq, selon les versions, que plusieurs individus tentent de passer les barrières sans payer. Dès lors, les événements se précipitent. Le commissaire reçoit un coup de bâton sur la tête, ensuite un coup de pierre, avant d'être renversé. Balayant tout devant elle, la foule envahit le foirail tandis que les responsable de la perception des droits se réfugient à la préfecture. La suite n'est pas connue avec exactitude, car la version défendue par les autorités préfectorales et celle mise en avant par les députés ariégeois, notamment par Dugabé, divergent sur plusieurs points. Ce que l'on sait c'est que vers midi, le préfet, le maire, le procureur du roi et les chefs militaires se transportent au champ de foire accompagnés par une importante force composée de gendarmes et de 167 militaires. Le foirail est alors bondé, les transactions en pleine activité, la foire de janvier étant une des plus importantes de l'année. Le préfet et ses hommes ne passent pas inaperçus ; leur présence semble avoir excité une partie de la foule qui les hue et leur lance des pierres, dont une blesse le préfet au visage. En dépit de leur nombre, les forces armées sont entourées, la foule semble les menacer. A ce moment, le préfet se tourne vers l'officier supérieur, à la tête des troupes, et lui dit : « Commandant, je mets les autorités sous votre protection ; faites votre devoir ».
60Les soldats ont-ils tiré d'abord en l'air, ou bien ont-ils tiré directement sur la foule qui se pressait autour d'eux ? Impossible à savoir. Il ne nous reste que le bilan de la fusillade qui fait évacuer le foirail en un clin d'œil. D'après des documents officiels, il y a 13 morts, dont 8 hommes et 5 femmes et 26 blessés, dont 16 hommes et 10 femmes. Toutes ces personnes faisaient partie de la foire. Du côté des forces armées, on dénombre une vingtaine de blessés légers, dont le préfet et le commissaire de police.
61Qui étaient les victimes ? Les femmes étaient toutes des paysannes originaires des villages autour de Foix ; les hommes étaient majoritairement des campagnards, des cultivateurs, mais on compte également un charbonnier et un maçon. Les blessés parmi la foule avaient la même origine géographique, la grande majorité venant des communes rurales dans un rayon de 10 à 15 kilomètres autour de Foix. Un seul, Jean Ariès, venait de plus loin, de Saman près d'Aurignac, pays de colporteurs.
62Tant de morts et de blessés implique une recherche de responsabilités. Le parquet de Foix décide de poursuivre des hommes du foirail qui se sont signalés par leurs activités contre les autorités. On arrête donc 13 hommes de la région parmi lesquels on trouve une majorité de paysans mais aussi quelques artisans : un cordonnier, un scieur de long, un boucher, un garçon boucher et un châtreur. La présence des bouchers et du châtreur a certainement un rapport avec la spécialité de la foire, les deux premiers en tant qu'acheteurs en vue de la préparation des charcuteries, le troisième proposant un service nécessaire à l’engraissement des cochons. Plus heureux que les victimes, les 13 accusés bénéficient d'un non-lieu prononcé par la chambre des mises en accusation et des appels de police correctionnelle de la cour royale de Toulouse en février 1840.
63Au-delà du bilan humain de cet événement tragique, quelles conclusions peut-on en tirer ? Il ne faut pas oublier que l’Ariège a été le théâtre d'une sorte de guérilla rurale, la guerre des Demoiselles, expression du refus du Code forestier de 1827 et de l'appropriation de la forêt et de ses produits par une minorité. Durant toute la décennie de 1830 à 1840 et au-delà, les gardes forestiers publics et privés, les charbonniers et les maîtres de forge subirent des attaques sans nombre, tout particulièrement dans les arrondissements de Foix et de Saint-Girons. Pendant cette même décennie, le département entra dans une longue période de crise économique et démographique, les ressources et la population correspondant de plus en plus mal42. Dans ce contexte de rébellion, de répression et de crise, la décision du conseil municipal de Foix n'était pas innocente. Faire peser un droit de 25 centimes sur chaque cochon gras, un tarif cinq fois plus élevé que pour un cochon maigre ou une truie, ne pouvait qu'être mal apprécié par des campagnards pour qui la vente de ces animaux constituait une rentrée d'argent très importante dans une saison où l'on commençait à manquer de grains qu'il fallait acheter sur les marchés. On comprend mal aussi pourquoi on voulait faire payer plus cher un cochon gras qu'un bœuf ou un cheval. Taxer ainsi le cochon, c'était faire payer les pauvres en priorité.
64Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que les foires et marchés de Foix aient connu une certaine désaffection. Au mois d'avril, selon un rapport de la gendarmerie, la foire de Foix a été de nouveau troublée, sans que l'on en sache davantage. En revanche, on sait que le lendemain de cette foire, le 23 avril, des campagnards essayèrent d'établir une foire dans la commune voisine de Saint-Paul, sans doute pour s'opposer à la politique municipale du chef-lieu43. Les autorités fuxéennes finirent par renoncer aux tarifs si contestés ; le 27 août 1840, le conseil municipal délibéra ainsi :
Considérant que la taxe établie sur les bestiaux exposés en vente sur le champ de foire n'a eu d'autres effets que d'éloigner les populations des campagnes qui se rendaient en affluence sur nos marchés ; que les moyens employés jusqu'à ce jour pour les ramener ont été insuffisants ; qu'il suit de là un malaise général ; que cet état de chose, s'il était prolongé, compromettrait l'existence de cette partie des habitants dont la seule industrie est la vente des comestibles et la location des maisons aux étrangers qui fréquentent nos foires ; que ce droit, s'il était maintenu, nuirait évidemment aux autres branches de revenus de la ville et que son produit ne serait qu’une faible compensation des pertes qu'elle éprouverait d'un autre côté...44.
65Il semble clair que les campagnards étaient en train de « boycotter » les foires et marchés de Foix. Pour le commerce de la ville, c'était une véritable catastrophe, car il n'y avait guère d'autre activité économique susceptible de les remplacer. De peur que cette désaffection ne devînt permanente, les édiles fuxéens durent faire machine arrière.
66Un peu plus à l'ouest, dans les Hautes-Pyrénées, des contestations similaires ont secoué les places de trois marchés à la suite de décisions prises par les conseils municipaux des trois localités d'augmenter les droits de marché. En 1832,1836 et 1859, à Trie, Maubourguet et Tarbes, on a refusé de payer les nouveaux droits, parfois au prix de la vie des manifestants. Puisque ces affaires ressemblent beaucoup à celles de l’Ariège, il n’est pas utile de les raconter dans le détail, d'autant plus que J.-F. Soulet en a déjà proposé un récit circonstancié45. Il convient néanmoins de remarquer que dans ces trois localités les manifestations de mécontentement ont été massives et les autorités locales rapidement débordées par les foules. A Trie et à Maubourguet, les opposants envahirent la place et empêchèrent les receveurs de percevoir les droits. Les autorités décidèrent de ruminer leur déconvenue tout en permettant aux réunions commerciales de se tenir. A Trie, on essaya bien d'arrêter quelques « meneurs », mais le seul résultat de cette action fut de déchaîner la colère des paysans qui n'hésitèrent pas à attaquer gendarmerie, maisons, auberge et gardes nationales. Les autorités apprirent qu’il valait mieux opérer à froid en procédant à des arrestations le lendemain au domicile même des accusés. A Tarbes, elles avaient apparemment oublié cette leçon ; au marché du 5 mai 1859, l'arrestation d'un homme ayant refusé le paiement d'un nouveau droit mit le feu aux poudres. Des pierres commencèrent à pleuvoir sur les gendarmes, la caserne de gendarmerie elle-même fut investie par la foule, l'excitation fut à son comble. Les gendarmes tirèrent, 7 personnes tombèrent mortes, une dizaine d'autres furent plus ou moins sérieusement blessées. Une fois de plus, le plomb avait répondu aux pierres, les rapports de force étant toujours inégaux.
67Les événements de Foix et de Tarbes se sont déroulés de manière tout à fait analogue. Leurs suites aussi. Les autorités justifièrent leurs actions dans les mêmes termes, la presse fut mise à contribution pour faire circuler leur version des faits, des campagnards furent arrêtés en tant que « meneurs » des émeutes. Plus tard, ces affaires furent occultées : pas de plaques sur les foirails, la plupart des archives semblent même avoir disparu46.
Contestation du principe même des droits
68Les mouvements évoqués maintenant ne sont pas fondamentalement différents de ceux déjà analysés. Leur déroulement, par exemple, est quasiment identique. Ce qui les distingue est le fait que la révolte est née non pas d'une nouvelle imposition ou d'une hausse des droits, mais d'un désir d'éliminer tous les droits, comme pendant la Révolution on avait aboli les privilèges seigneuriaux. Une seconde différence concerne leur localisation, dans un seul département, les Hautes-Pyrénées, et leur calendrier, les mois de mars et mai 1848, au moment même des grands bouleversements politiques parisiens. Dans un tel contexte, la résistance au paiement des droits de marché prend une nouvelle dimension. Il s'agit d'un mouvement contagieux ayant ses origines dans un événement politique, à un moment où le pouvoir politique en France était affaibli, et où l'avènement d'une nouvelle République semblait ouvrir toutes les portes d'un monde idéal.
69Ce témoignage du maire de Galan nous aidera à comprendre l'ambiance qui régnait à l’annonce de la création de la Seconde République :
Depuis 15 jours l’on refuse de payer les droits de place et de terrage dans notre marché de Galan. Les droits ne sont pas nouveaux. Légalement établis, ils sont perçus depuis un temps immémorial, et leur produit minime est destiné à une partie des dépenses obligatoires de notre budget communal. Dans l'état d'effervescence où se trouvent les esprits, naturellement disposés à confondre les principes de liberté avec la largesse de la license, je me suis imposé le plus grand calme... Jeudi dernier, l’obstination a été plus grande ; le mot d'ordre avait été donné, le complot était bien organisé, la victoire a été complète pour les insoumis ; presque tous ont refusé les droits... Le bruit court que des émeutiers vont dans les communes voisines recruter d'autres tapageurs pour faire de l'anarchie la semaine prochaine aux marchés de Lannemezan et de Galan. Ici tout le monde est alarmé47.
70Pour ce magistrat, les troubles relevaient plus de l'insubordination politique que d'un véritable mécontentement au sujet des droits de place. C'est un point de vue à court terme. Nous avons pu constater la revendication unanime contre ces droits en 1789 dans les cahiers de doléances. Le mouvement de 1848 marque une phase plus mouvementée dans un long débat.
71L’attitude du maire de Galan se caractérise par sa modération face aux émeutiers, refusant a priori tout recours aux moyens coercitifs pour faire respecter l'autorité municipale dans la perception des droits. Il demande, néanmoins, l’envoi de troupes à Lannemezan, bourg voisin, et dans sa commune afin de décourager les fauteurs de troubles. Au moment où le maire de Galan écrit, des troubles avaient déjà eu lieu à Lannemezan, pourtant sous la protection des hommes de la cavalerie et de la garde nationale. Le 8 mars, le marché avait été calme jusqu'à ce qu'un homme refuse de payer les droits sur une paire de bœufs qu'il venait de vendre. Sa réplique au fermier est typique de l’époque : « ... les droits étaient abolis et... il ne fallait plus payer... » Son arrestation déclenche la bagarre. Les gendarmes se trouvent vite sous une pluie de pierres et il leur semble plus sage de relâcher leur prisonnier. Le juge de paix du canton accuse surtout des « étrangers » comme responsables des troubles, d'autant plus « que le plus grand nombre semblait encore pris de vin depuis la veille... » Pire encore est le comportement de la garde nationale, « dont la plus grande partie désire la suppression de tous les droits perçus dans les marchés »48.
72Après Galan et Lannemezan, c'est le tour de Castelnau-Magnoac d’avoir des frayeurs. Avant la foire du 13 mars, les autorités municipales ont écrit au département pour demander des troupes car les rumeurs faisaient peser des menaces sur cette réunion :
Il m'est revenu que les populations circonvoisines du canton de Castelnau-Magnoac proclamaient hautement que le jour de foire on devait s'opposer à la perception des droits de place49.
73On ne sait si ces bruits étaient le fruit de communications entre notables ou s'ils résultaient d'un véritable courant d'opinion pour qui le refus des droits de place était devenu un article de foi. A Castelnau-Magnoac, la foire se passe sans incident ; on attribue cette tranquillité à la présence de la force armée et au mauvais temps qui réduit la participation à la foire. En revanche, une semaine plus tard, à Rabastens-de-Bigorre, les fermiers des droits ne parviennent pas à se faire payer. Ils essayent de faire intervenir le maire, sans grand succès. Le nouveau maire (à la suite de la Révolution de février) choisit la prudence en annonçant aux autorités préfectorales qu'il était « d'avis d'attendre des temps plus tranquilles où les esprits seraient plus calmes pour recommencer à percevoir ces droits »50.
74Deux mois plus tard, la tranquillité sur les marchés n'était toujours pas à l'ordre du jour. On refusait tout paiement de droits de péage, de pesage et de mesurage établis par la municipalité de Rabastens. Pour le maire, la faute en incombait aux Gersois qui non seulement refusaient de payer les droits dus aux fermiers mais aussi détournaient les autres personnes qui auraient eu l'intention de se conformer aux règlements municipaux. Il cita même plusieurs noms, parmi lesquels on trouve des commerçants et un artisan. Il s'agit peut-être de professionnels de la place marchande ayant un intérêt tout particulier à la suppression des droits de marché qui pesaient sur eux. Par leur activité commerciale, leurs déplacements constants entre différents marchés et foires dans leur rayon d'action, ils étaient en mesure de diffuser leur message aux autres acteurs, les paysans en tout premier lieu51.
75Il n'empêche que les Gersois ne sont pas les seuls à vouloir mettre fin aux droits. Au marché du 10 mai à Lannemezan, le maire d'un village bigourdan, Espeilh, refuse de payer les droits de terrage sur les marchandises qu’il venait d'acheter. Aux fermiers il dit : « Nous sommes en république, il ne faut rien payer. » ; mais devant les menaces des autorités, il donne la somme requise52. Pour certains, donc, l’avènement de la République sonne comme une libération totale. Cette représentation de la République éclaire l'immense déception des campagnards face à l'imposition des 45 centimes ; au lieu de payer moins d’impôts, il faut en acquitter plus ; la résistance est née, en partie du moins, de l’espoir.
76Les derniers soubresauts antifiscaux dans ce département sont signalés aux marchés de Vic-en-Bigorre et de Castelnau-Magnoac le 27 mai 1848. A Vic, c'est le droit sur les cochons qui est l'objet de conflit entre les paysans et le fermier ; celui-ci se retrouve « entouré, pressé, menacé » par des paysans qui ne veulent pas lui donner leur argent. A Castelnau-Magnoac, le refus de payer aboutit à l'arrestation (pour non paiement de 15 centimes !) d'un propriétaire gersois. Comme dans d'autres circonstances, la foule réagit en attaquant les gendarmes53.
77Comment comprendre ce mouvement de résistance qui frappe cinq marchés assez importants dans la partie nord et nord-est du département des Hautes-Pyrénées ? Il faut le mettre en rapport avec d'autres mouvements de contestation de la même période. Les signes initiaux du mouvement de refus des droits de place datent des premiers jours de mars, date qui correspond au soulèvement de la Barousse. Le 29 février, plusieurs centaines de paysans ont marché sur le chef-lieu du canton, Mauléon-Barousse, où ils ont commencé leur campagne dirigée contre les usuriers du pays. Les Baroussais avaient appris la nouvelle de la Révolution parisienne la veille au marché de Montréjeau. Cette nouvelle dut être diffusée dans les cantons voisins ; les premières manifestations de refus des droits de marché eurent lieu d’ailleurs à Lannemezan et à Galan, tous deux à proximité de Montréjeau, les trois marchés attirant certainement quelques-unes des mêmes personnes. D'une manière analogue, les deux mouvements, celui de la Barousse et celui des droits de place, prirent leurs racines dans l'histoire récente. Dans la Barousse, pays de montagne et de forêt, il existait un lourd contentieux entre les habitants d'une part et l'Etat et les propriétaires des forêts de l'autre. Les actes de rébellion contre les gardes forestiers étaient tellement répandus que les pouvoirs publics avaient envoyé des troupes d'infanterie à Mauléon et à Sost pendant plusieurs années 1835-1838, 1841. Le changement de régime en février 1848 suscita un nouvel espoir pour ces paysans, qui se trouvaient aux dernières extrémités entre les restrictions sur l’utilisation des ressources forestières, les poursuites judiciaires dont ils étaient les victimes et l'endettement qui les rongeait54. Dans les marchés, le mal que l'on attaquait était différent mais lui aussi avait ses racines dans un passé récent. Déjà en 1832 à Trie et en 1836 à Maubourguet, les droits de place avaient occasionné des émeutes. Les marchés de Tarbes et de Castelnau-Magnoac avaient connu des troubles à cause de la perception de l'octroi en 1830 et 1831. On a vu l'agitation en 1825 et en 1830 autour du pont de Montréjeau, marché fréquenté par maints habitants des Hautes-Pyrénées. La répétition des événements – l'affaire de Tarbes en 1859 n'étant que la suite logique et culminante – depuis les doléances de 1789 nous incite à penser que les droits de place étaient devenus le symbole du mécontentement paysan dans une région d'élevage et d'échanges. En montagne, la question primordiale est celle de l'accès aux forêts ; dans la plaine et sur les coteaux, elle est plutôt question de l'accès aux marchés. Par accès, nous entendons que les places marchandes devaient être d'accès libre, sans taxe sur les transactions commerciales. Dans la mesure où ces divers droits de marché étaient d'origine féodale et seigneuriale, il était logique que les utilisateurs saisissent l'occasion de la proclamation de la République pour ne plus les payer.
78Le département des Hautes-Pyrénées n'est pas le seul à avoir connu des mouvements de contestation plus ou moins spontanés dès l'annonce de la République. En Ariège, les populations montagnardes du Donezan se sont manifestées comme celles de la Barousse en attaquant les gardes forestiers et les usuriers55. A Lanuéjouls, le 5 mars, on s'est élevé contre les contributions indirectes. Dans le même mois, à Bretenoux, on a manifesté contre les droits de place. Le 24 avril, Villefranche-de-Rouergue connut une journée d'émeute dont la cible était encore les contributions indirectes et l'octroi56.
79Cette première vague de manifestations correspond à une montée soudaine de tension et de mécontentement face à la situation de crise qui touche beaucoup de paysans et d'artisans. Comme en 1789, la fin d'un régime marque le début d'une période d'instabilité politique et sociale. Devant le vide du pouvoir, ou ses incertitudes, il semble possible d'agir, de réagir afin d'éliminer quelques épines du pied – ici les gardes forestiers et usuriers, là les droits de place et les contributions indirectes. N'oublions pas que l'opinion publique ne possède que peu de moyens pour s’exprimer à cette époque. L'administration est lointaine mais partout ; même les conseils municipaux n'émanent pas directement de l'ensemble de la population. L'expression politique est donc épisodique et indirecte au sens que la majorité est rarement consultée sur les sujets qui la concernent, que ce soit à l'échelle nationale ou locale. De même, ceux qui fréquentent les marchés et les foires, paysans, artisans, marchands, subissent les décisions les concernant sans pouvoir intervenir dans le processus de leur élaboration. Ces décisions sont prises le plus souvent en fonction des intérêts du bourg, le point de vue des usagers ne devenant urgent à considérer que lorsqu'ils s'insurgent par des méthodes plus ou moins violentes. La proclamation des événements parisiens semble avoir ouvert quelques perspectives dans ce sens57.
Droits de place : résistance non violente
80En lisant les pages précédentes, on a pu avoir l'impression que toute forme de résistance populaire est empreinte de violence. En fait, d'autres formes d'opposition sont possibles. Leur non violence n'exclut nullement une grande fermeté.
81Dans le premier chapitre de ce travail, nous avons relaté le long conflit opposant la bourgade de Saint-Béat, chef-lieu de canton et marché, au village de Cierp en 1836. A l’origine du différend, l'opposition des marchands patentés des environs, notamment de Saint-Gaudens, au fermier de la halle de Saint-Béat. Plutôt que de se soumettre aux droits de place, les marchands se retirèrent de Saint-Béat et migrèrent à quelques kilomètres de là pour s'installer à Cierp. Ce village, bien placé sur la route vers Bagnères-de-Luchon, très fréquentée pendant la belle saison, a saisi l’occasion pour tenter de mettre sur pied un véritable marché afin de favoriser le commerce local. Bien sûr, la municipalité renonça à percevoir des droits de place dans l'espoir de « fidéliser » marchands et ruraux. Il fallut l'intervention des gendarmes et de la justice pour faire cesser ce marché né d'une manifestation de mauvaise humeur contre des droits de marché58.
82Au tout début du XXe siècle, des marchands ont été de nouveau à l'origine d'un conflit autour des droits de place. A une quinzaine de kilomètres en aval de Cierp se trouvent deux communes, Montréjeau, chef-lieu de canton et un des principaux marchés commingeois, et Gourdan-Polignan, dont le principal atout est sa gare. En plein hiver de 1903, alors que tous les marchés de la région faisaient un grand commerce de cochons gras, la municipalité de Montréjeau mit en place un nouveau cahier des charges des droits de marché augmentant le droit sur les cochons de 50 centimes. Au premier marché de février, les marchands de porcs gras abandonnèrent le marché pour protester contre cette hausse qu'ils considéraient comme abusive. Ils allèrent s'installer au village de Gourdan, à deux kilomètres à peine. Ces marchands menaçaient « de ne plus rien acheter sur les places de Montréjeau, pour obliger les vendeurs à s'installer hors du territoire communal »59. Les habitants de Gourdan ne pouvaient qu'applaudir des deux mains ce renforcement de leur potentiel commercial. Plus tard ils demandèrent la création de nouvelles foires en invoquant ce conflit entre la ville de Montréjeau et les marchands de porcs. Il n'est pas impossible que le fait que la gare de Gourdan desservait aussi Montréjeau ait influencé les commerçants dans leur démarche. En effet, tenir le marché tout près de la gare aurait représenté un gain de temps et d'argent pour eux. Le conflit sur les droits de place n'était peut-être qu'un prétexte en vue d'un véritable déplacement du marché vers la gare du chemin de fer60.
83A Cierp comme à Gourdan, le rôle des professionnels de la place marchande est capital. Peu nombreux mais assez homogènes et motivés, ils n'ont pas peur d'essayer de créer de nouveaux marchés à proximité des anciens qu'ils ont délaissés. Ce n'est certainement pas un hasard s'ils ont choisi des villages ambitieux qui ne rêvaient que de devenir de véritables centres commerciaux. Nous avons vu plus haut (chapitre premier) comment ces rivalités se nourrissaient de facteurs géographiques naturels ou humains. L'implantation de la gare à Gourdan-Polignan en est l'exemple type. Mais nous avons pu constater aussi que le marché des marchés n'est pas entièrement libre ; des autorités supérieures sont toujours souveraines qu'il s'agisse du roi, de l'empereur, du ministre, du préfet ou du conseil général. Quel que soit le niveau, ces autorités ont toujours longuement hésité à accorder foires et/ou marchés à des communes trop rapprochées. Les marchands contestataires de Cierp et de Gourdan ont essayé de bousculer l'ordre établi. Ils jouaient sur la peur des centres historiques de voir leurs marchés affaiblis, ceci pour obtenir de meilleures conditions pécuniaires, la réduction des droits de place en tout premier lieu. A défaut de cela, ils espéraient susciter la création d'une nouvelle place où les droits de marché seraient plus faibles voire inexistants.
84Dans des cas similaires, le conflit sur les droits de place oppose des bourgs rivaux déjà dotés de foires et marchés autorisés. Les droits – leur hausse ou leur baisse – servent d’arguments dans la course à la suprématie commerciale. Qu'un bourg hausse les droits chez lui, le bourg voisin et rival lance une campagne auprès des ruraux et des marchands pour les encourager à venir profiter de taux plus faibles dans ses propres marchés. C'est de bonne guerre. Parfois, cependant, les autorités craignent des débordements. En 1876, il y eut des incidents au sujet des droits de place lors d'une foire à Lavaur. Comptant exploiter ce mécontentement, deux bourgs voisins, Saint-Sulpice et Saint-Paul-Cap-de-Joux, voulurent afficher des annonces très explicites disant, par exemple, « que les marchés de leur localité sont exempts de toute imposition, que le passage du Pont de Saint-Sulpice... sera gratuit, que tous les bestiaux ne seront assujettis à aucune indemnité dans les auberges, etc. » Le sous-préfet de Lavaur repoussa leur publication « pour protéger la tranquillité publique et pour éviter l’animosité ». Il avait aussi présent à l'esprit l'exemple récent de la désertion des marchés de Graulhet par les paysans du canton en faveur du marché voisin de Briatexte à cause d'une controverse sur les droits de place. On peut penser également que le sous-préfet était sensible aux intérêts de la sous-préfecture ; son intervention pouvait l'aider à maintenir ses importants marchés61.
85Quelques années plus tard, la décision du conseil municipal de Cazères de créer de nouveaux droits de place afin de réaliser un certain nombre de travaux – réparer les halles, installer de nouveaux marchés, élargir des rues trop étroites pour l'intense circulation des jours de foire et marché – déclencha une vague de protestation au sein du canton et au-delà. Le principal bénéficiaire de la désaffection publique fut le bourg voisin de Martres-Tolosane, modestement célèbre pour ses faïences et son culte de saint Vidian. Autorisés depuis de longues années, quasi inexistants presque aussi longtemps, les marchés de Martres allaient connaître une renaissance avec la hausse des tarifs à Cazères. Ecrivant en avril 1885, l'instituteur martrais se félicitait de cette vie nouvelle :
Après quarante ans d'existence fictive, ces foires et marches viennent d’être repris et ont donné des résultats presque surprenants... Au dernier marché du 9 avril, il y a eu 1 000 hectolitres de denrées ; 3 124 animaux des espèces bovine, ovine et porcine [ont été amenés] et 787 animaux ont été vendus62.
86Ces résultats « presque surprenants » s'expliquent avant tout par la désertion des réunions commerciales de Cazères bien que l'instituteur n'en ait pas parlé. Heureusement, celui du petit village de Montoussin s'est révélé plus loquace dans sa monographie, rédigée elle aussi au printemps de 1885. A la question posée sur les débouchés des produits du sol, le maître répond en citant plusieurs bourgs dont Cazères et, « surtout aujourd'hui », Martres :
Les trois quarts de Montoussin étaient le samedi 25 avril dernier, jour de la première grande foire. On sait que de nouveaux droits établis sur une foule d'objets par la ville de Cazères a provoqué dans les communes environnantes un courant d'opinion très prononcé contre cette mesure. Le moment, en effet, semble bien mal choisi pour surcharger de ces nouveaux impôts les populations agricoles ; de plus, et c'est, paraît-il, ce qui a mis le feu aux poudres, le cahier des charges a été assez légèrement rédigé, et en raison de cela, étant donné le tempérament spécial qu'on reconnaît volontiers aux cazériens, le fermier s'est montré dès le début très exigeant, pour ne pas dire plus. La malencontreuse lettre du « Conseiller municipal » de Cazères qui a paru à la veille de la foire de Martres du 25 avril, au lieu de calmer les esprits, les a au contraire exaspérés et semble les avoir éloignés de Cazères pour quelque temps63.
87L'auteur de ce passage distingue plusieurs motifs pour expliquer la désaffection des paysans pour les foires et marchés de Cazères. C'est d'abord un mauvais moment pour de nouveaux impôts, la crise dans l'agriculture se manifeste toujours par la baisse généralisée des produits de la ferme. Le fermier est critiqué comme étant très exigeant, les Cazériens sont crédités d'un tempérament spécial. Enfin, un conseiller municipal aurait écrit une lettre aux conséquences malencontreuses. De cet ensemble de griefs se dégage une vision assez négative du bourg et de ses habitants. Ne s'agit-il pas de la vieille opposition entre le monde rural et le monde urbain ? Pour les ruraux, ces citadins sont des commerçants âpres au gain, des intermédiaires nécessaires mais mal supportés entre la métairie et les vastes marchés lointains non seulement pour les denrées agricoles vendues mais aussi pour tous les produits manufacturés qui sont achetés. Les droits de place ne sont qu'une manifestation de plus de leur égoïsme.
88Il est curieux de constater la réaction négative de l'instituteur face à la lettre publiée par La Dépêche. C'est une lettre de circonstance dans laquelle le conseiller de Cazères explique l'origine de la nouvelle taxe et exprime sa surprise devant la réaction hostile qu'elle a suscitée. Il faut dire qu'il n'hésite pas à politiser le débat en jetant la responsabilité sur les « réactionnaires » accusés de pousser les paysans à la révolte :
On avait opté, nous l’avouons franchement, sans la concurrence subite et très opportune d’une commune voisine [Martres] et surtout sans les dispositions belliqueuses du parti réactionnaire du canton... La réaction est partie en guerre pour la défense des intérêts menacés de leurs chers protégés... sus aux républicains, sus aux exploiteurs du pauvre campagnard que les gens des villes voulaient ruiner !... Cette croisade d'un nouveau genre, conduite, tambour battant, par tout ce que le pays compte de soi-disant conservateurs a été favorisée par de nombreuses et mutuelles attaches. Nul de nous n'a même songé à blâmer nos amis voisins d'avoir pris les intérêts de leur commune, en appelant à ses marchés, depuis longtemps déserts, un public excité on sait comment64.
89Pour ce conseiller municipal (républicain), il ne fait pas de doute que les paysans de la contrée ont été trompés et manipulés par un parti politique agissant dans un but partisan. N'oublions pas que des élections législatives étaient programmées pour l’automne 1885 et que la crise agricole prolongée faisait prévoir un recul des républicains. Il emploie un langage condescendant envers les ruraux, qualifiés de « chers protégés » et de « pauvres campagnards », comme s'ils ne pouvaient faire leur propre analyse de la situation. La réponse de l'institueur de Montoussin, indirecte car comprise dans sa monographie destinée surtout à ses supérieurs, donne une autre version de l'aptitude des paysans à réfléchir :
On discute partout, avec une hardiesse, une liberté d'allure auxquelles nos travailleurs des campagnes ne nous avaient pas habitués, les griefs qu'on dit avoir contre Cazères, contre les conseillers municipaux ; on examine si la mesure par eux prise est, oui ou non, démocratique ; on conclut invariablement par la négation, et, s'abordant, comme en se quittant, c'est toujours la même antienne qui revient : il ne faut plus revenir à Cazères65.
90En 1848, les paysans bigourdans refusaient de payer les droits de place au nom de la liberté ; quatre décennies plus tard, on boycotte les marchés de Cazères au nom de la démocratie. Liberté, démocratie... Ce sont de grands concepts à opposer aux droits de marché. Pour les paysans des Hautes-Pyrénées comme pour ceux du canton de Cazères, les droits de place représentent avant tout une taxe perçue sur les paysans au profit des villes. De leur point de vue, les termes des échanges entre monde rural et monde urbain favorisent toujours et encore le dernier, que ce soit dans le domaine des impôts ou dans celui du commerce. Il y a chez les paysans de la région de Cazères, implicitement, une réflexion sur les rapports ville-campagne : chaque fois qu'un paysan va en ville, il y laisse de l'argent par les achats qu'il fait ; cet argent enrichit les habitants de la ville, commerçants en tête ; faut-il en plus accepter les multiples droits que la ville exige, ce qui implique que les améliorations apportées dans le cadre de vie urbain soient financées par les ruraux ? La différence entre les mouvements de 1848 et ceux de la Troisième République peut être ainsi résumée de façon schématique : en 1848, on voulait être libéré de droits perçus comme des vestiges de l'Ancien Régime ; plus tard, ces mêmes droits sont vécus comme une marque d'injustice entre deux catégories de citoyens, les ruraux et les citadins. Dans ce dernier cas, la démocratie voudrait que ceux qui profitent le plus des infrastructures soient ceux qui les paient.
91Sporadiquement, donc, les droits de place ont fourni l'occasion d'une explosion de colère paysanne accompagnée, voire orchestrée par des marchands forains, marchands de bestiaux en tête. Ce refus s'est exprimé de façon très diverse : clameurs de protestation, émeute, désertion des marchés. L'action des manifestants ne nous paraît pas simplement un moment de colère passagère, une agitation sans lendemain contre le destin. Cette agitation a obtenu des résultats, que ce soit à Foix ou à Cazères. Les municipalités, menacées par la violence, par la perte de leur commerce, renoncent aux hausses. Plus de quarante ans après les événements tragiques de Foix, la rumeur d'une nouvelle taxe sur les animaux, notamment sur les cochons, incite le maire à publier par voie d'affiche un démenti formel. Ces mouvements de contestation font souvent aboutir leur principale revendication, ce qui montre que les paysans ne sont pas toujours inertes ni fatalistes.
LA PLACE MARCHANDE COMME THÉÂTRE DE L'EXPRESSION POLITIQUE
92Qui n'a jamais vu, sur un de nos marchés contemporains, la distribution de tracts par des militants de tel ou tel parti politique ou la tournée du candidat et de sa suite ? Ces scènes nous sont tellement familières que nous ne nous demandons point quel lien il peut exister entre marchés et militantisme.
93Dans la première partie de ce chapitre, il a été question d'enjeux intimement liés à la propre vie des foires et marchés. Maintenant nous voudrions porter notre attention sur des événements pour lesquels la place marchande apparaît en tant que scène sans en être le véritable enjeu. Il s'agit de faits très divers allant de révoltes contre les gendarmes dans l'exercice de leur fonction aux campagnes électorales de la Troisième République. Nous allons commencer par des exemples assez éloignés de la politique électorale avant d'examiner l'usage que les hommes politiques font de la place publique.
Rébellions
94La police sait depuis longtemps que toute arrestation effectuée au milieu d'une foule risque d'attirer de graves ennuis aux forces de l'ordre. Cette règle vaut aussi bien dans le Harlem de nos jours que dans les foires ou marchés de la France moderne et contemporaine. On l'a vu déjà lors des troubles liés aux droits de place. A Tarbes, en 1859, une arrestation au milieu du rassemblement a déclenché le mouvement de révolte avec les conséquences que l'on sait. L'intervention de la foule est le signe d'un comportement de solidarité avec la personne arrêtée. Le même phénomène s'est manifesté en maintes occasions, aussi bien dans des villages que dans des fêtes ou autres rassemblements lorsque les représentants de l'Etat venaient enlever quelque prévenu, voire même des objets matériels66. Cette solidarité est évidente dans plusieurs cas d'arrestation dans des bourgs lors de foires ou marchés.
95L'irritation paysanne en 1848 contre les forces de l'Etat est probablement à l'origine de deux explosions de mauvaise humeur dans des marchés pyrénéens. Le 25 avril, les gendarmes arrêtent un militaire insoumis au marché de Saint-Jean-Pied-de-Port. Son frère et des camarades réussissent à rameuter la foule ; elle houspille les gendarmes et frappe le maire de la commune avec des bâtons. Elle se porte ensuite devant la maison de sûreté afin de libérer tous les prisonniers, sans succès67. Deux mois plus tard, c'est l'arrestation d'une jeune femme au marché d'Argelès, pour un petit vol, qui déclenche les hostilités. L'attroupement se forme, se porte devant la mairie où la prisonnière est détenue. Mais la violence se cantonne ici aux insultes contre les autorités68. Les gendarmes doivent subir des quolibets à Decazeville en mars 1873 après avoir embarqué un jeune homme. Pire, une foule les assiège dans une maison d'où ils n'osent plus sortir. A l'extérieur on crie bien fort que les gendarmes sont des canailles et payés pour l'être. Il faut l'intervention de plusieurs notables – adjoint au maire, juge de paix, commissaire de police – pour calmer les esprits et persuader la foule de circuler69.
96Ces exemples montrent plusieurs aspects des relations entre les gendarmes, les autorités locales, la foule et l'individu. Lors de ces rassemblements, on se trouve en présence de comportements individuels mais aussi collectifs. Quand quelque trouble éclate, les forces de la répression s'en prennent avant tout à des individus et non à toute la foule (les fusillades de Foix et de Tarbes sont de malheureuses exceptions). Arrêtés, ces hommes ou femmes sont extraits de la collectivité, mais celle-ci résiste, opposant son plus grand nombre, ses pierres, ses bâtons et ses injures aux gendarmes. Ces face à face sont souvent interrompus par l'arrivée d'intermédiaires qui jouent sur leur notabilité, leur autorité, la déférence qu'on leur doit afin de faire reculer l'attroupement. Parfois cette démarche est couronnée de succès comme à Decazeville, parfois il faut l'intervention d'une force armée plus puissante pour en venir à bout. Que le détenu soit un insoumis, une voleuse ou un violent, l'action collective constitue l'arme populaire de sa défense. Cette action est favorisée sur la place ou au foirail par les centaines de personnes qui s'y trouvent.
97La solidarité envers un membre de la communauté a son revers de la médaille : le rejet collectif d'une personne exclue pour une raison quelconque du groupe. Les gendarmes sont alors attaqués parce qu'ils protègent la victime désignée. Le 24 septembre 1837, jour de foire à Bagnères-de-Luchon, une rixe oppose plusieurs personnes dont un espagnol. Dans cette région frontalière les Espagnols sont assez nombreux ; ils constituent surtout un prolétariat agricole assez marginal. L'espagnol en question a été arrêté par les gendarmes et conduit vers la prison de la ville. En route, un attroupement considérable tente de l'enlever ; grâce au courage des gendarmes, « le prisonnier a été sauvé de la fureur d'une populace effrénée qui faisait entendre des cris de mort à ses oreilles »70. Voici un exemple où la solidarité de la foule s'est exercée pour exclure l'Autre, en l'occurrence un véritable étranger.
Information politique sur le marché
98De tout temps, des questions concernant la vie de la cité ont été débattues sur les places marchandes. Ces lieux de rassemblement et de réunion favorisent aussi bien l'échange des informations et des opinions que des marchandises. De même, ils garantissent une amplification assez large de tout événement ou de toute nouvelle qui arrive de l'extérieur. De vraies et de fausses nouvelles se croisent, sans que, sur le moment, on puisse toujours distinguer entre elles.
99Dans les provinces françaises avant la révolution des moyens de communication, les nouvelles venaient de la capitale avec plusieurs jours de décalage et sous une forme parfois lacunaire. Les deux Révolutions de 1789 et de 1848 nous fournissent des exemples de la réception d'informations par les populations locales dans lesquels la place marchande joue un rôle important. La nuit du 4 août 1789 a laissé des traces à Castres et à Cazères. Nous avons déjà évoqué les incidents de Castres ; dès la réception de la nouvelle de la renonciation aux droits seigneuriaux, en plein milieu du marché, la foule s'est rassemblée dans l’enceinte de l'église Notre-Dame de la Platé. On a écouté un homme attaquer violemment le droit de « coupe », on s'est porté à la halle, on a détruit les registres des fermiers et cloué les mesures aux poutres71.
100La nouvelle est arrivée à Cazères-sur-Garonne à peu près en même temps. La municipalité a sommé tous les détenteurs de titres ou de reconnaissances ayant trait à la féodalité de les amener à la maison commune. Le lundi 17 août était jour de foire avec ses foules habituelles des paroisses environnantes. Une grande excitation régnait ; pour beaucoup de villageois, ce fut à la foire qu'ils entendirent la grande nouvelle. Les autorités locales organisèrent une mise en scène spectaculaire de la fin du régime seigneurial : les titres féodaux furent promenés autour de la ville, ensuite portés sur la place publique et enfin brûlés par le maire et les officiers municipaux. On aura reconnu dans ce rituel celui de l'exécution des sentences de justice. Quelle meilleure manière de montrer aux habitants de la ville et des campagnes les changements politiques venus du nouveau régime72 ?
101L'annonce de la Révolution de février 1848 est généralement considérée comme à l'origine de la révolte de la Barousse dans les Hautes-Pyrénées. Or, tous les observateurs de cette affaire constatent qu’elle a démarré à la suite du marché de Montréjeau, le 28 février, au cours duquel la plupart des montagnards ont appris les nouvelles parisiennes. Les autorités de l'époque ont ainsi expliqué le début de l'affaire :
Mais le plus grand nombre même ne put l'apprendre [la nouvelle] que le lundi au marché de Montréjeau où se rendent particulièrement les habitants de la Barousse. J'ai la conviction que ce fut là au marché de Montréjeau, ou en revenant, que les délinquants forestiers arrêtèrent le projet qu'ils exécutèrent le lendemain73.
102A travers le marché, l'information a atteint tous les villages d'un pays au relief difficile ; de même, la plupart des foyers ont dû en être renseignés. Le long trajet de retour a probablement favorisé les commentaires, les discussions et, au bout du compte, les projets d'action74. Toute nouvelle de ce genre n'aboutit pas obligatoirement à la révolte. A Lévignac, près de Toulouse, l'information sur la proclamation de la République circulait déjà parmi les personnes présentes au marché quand le maire est allé sur la place « proclamer l'établissement de la République ». Dans son compte rendu, le maire note avec une pointe d'orgueil que des chants patriotiques se sont alors élevés avec énergie. Il est à remarquer d'ailleurs que l'initiative du moment de l'annonce est venue de la préfecture qui a utilisé le réseau commercial comme amplificateur de cette importante nouvelle75. L'information reçue à Montréjeau le 28 février était à l'état brut, sans aucun commentaire officiel. Celle diffusée à Lévignac et probablement ailleurs portait déjà la marque de l'administration républicaine, nouvellement installée, trop heureuse de faire chanter des chansons patriotiques plutôt que de réprimer une révolte comme dans les Pyrénées. L'information comme la propagande trouvent leur place sur le marché.
103Le cycle de la Seconde République se termine par le coup d'Etat de Louis-Napoléon en décembre 1851. Le 4 décembre, la nouvelle en arrive à Miélan, dans une région que sa réaction anti-bonapartiste va distinguer. D'après Dagnon, historien de la Seconde République dans le Gers, les insurgés ont formé cortège d'une centaine d'hommes menés par le boulanger Soulès, capitaine de la garde nationale, portant le drapeau rouge. Dans les rues et sur le marché du bourg, le cortège a défilé, tambour battant. A son de trompe, un insurgé a lu un arrêté de la commission suspendant les autorités municipales et exigeant l'obéissance au comité révolutionnaire76. On peut facilement imaginer les descriptions et les commentaires sur le coup d'Etat et sur la journée de Miélan que les habitants du canton ont dû faire dans leurs foyers ce soir-là.
104Les informations circulent au marché, les rumeurs aussi. Qui pouvait contrôler les propos tenus par tel ou tel étranger venu vendre ses produits et qui, par la même occasion, racontait quelque histoire troublante ? L'épisode de la Grande Peur a beaucoup marqué au début de la Révolution, de telle sorte que quand la municipalité de Castelnau-Magnoac s'est retrouvée devant une rumeur ayant des consonances politiques, elle a été troublée :
Au dernier marché, un étranger colportait des nouvelles incendiaires et inconstitutionnelles tendant à décourager les bons et fidèles patriotes sur le sort heureux qu'ils attendaient de la Révolution77.
105Fallait-il le mettre en prison ? Comment combattre efficacement ce type de propagande/rumeur qui risquait de circuler comme tenue pour vraie dans les villages voisins ? L'épopée napoléonienne a aussi fourni sa rumeur. A la foire de Ligardes du 24 mai 1817, la nouvelle se répand que « l'Usurpateur » va revenir prochainement ; on a même distribué une prétendue proclamation à cet effet. Les villes voisines de Lectoure et de Condom sont apparemment en ébullition78. Le contexte de cette rumeur n'est pas innocent ; en effet, mai 1817 est le point culminant d'une grande crise de subsistances. Dans le Gers, département normalement excédentaire, le prix de l'hectolitre de froment dépasse trente francs. L'inquiétude des populations aussi bien urbaines que rurales est ainsi favorisée. Le retour de l'empereur peut apparaître alors comme presque providentiel.
106En 1848, on retrouve le même phénomène. Y.-M. Bercé fait état de bruits colportés dans les foires des régions angoumoise et périgourdine durant le mois de juin. Selon ces bruits, le prince Napoléon va devenir empereur, il va recruter 40 000 hommes pour aller en Angleterre et faire payer les impôts à Louis-Philippe79. Le contenu de cette rumeur n’étonne pas dans le contexte de juin 1848 lorsque l'on sait que la jeune République vient de créer l'impôt exceptionnel des 45 centimes. Il correspond à la fois à la bonne image de marque de Louis-Napoléon et à l'idée, largement répandue, que Louis-Philippe s'est exilé en emportant un important trésor que les républicains auraient mieux fait de récupérer plutôt que de faire payer les pauvres gens.
107Finalement, une autre période de tension et d'incertitude a pu donner l'impulsion à un événement tellement étonnant que l’on en reste presque incrédule. Cela se passe en août 1870 ; la France est envahie par les troupes allemandes ; l'armée française se bat mais se voit obligée de reculer derrière la Moselle. Les mauvaises nouvelles du front sèment la consternation dans les villages du Sud-Ouest, stupéfaits d'entendre parler d'une défaite militaire de l'Empire. Des rumeurs alarmistes se propagent à toute vitesse ; c'est la faute aux républicains ; on envoie de l'argent aux Prussiens. L’ennemi est à l'intérieur.
108A la foire du 16 août à Hautefaye, village de la Dordogne, un groupe d'hommes, certains passablement ivres, s'en prend à un noble du pays, Camille de Maillard. Celui-ci aurait eu le malheur de dire que l'armée française a battu les Prussiens mais qu'elle a trouvé nécessaire de se retirer derrière la Moselle ; tout cela d'après sa lecture des journaux. On commence à s'exciter autour de lui, refusant l'idée d'un tel recul, l’accusant même d’envoyer de l'argent à l'ennemi. On l'accuse de plus de crier « Vive la République ! » Son dialogue avec ses accusateurs ne peut aboutir, ses paroles sont prises à contresens. L'attroupement et sa clameur attirent d'autres curieux qui voudraient s'informer, mais il ne leur arrive que les bruits les plus fous. Par chance, Camille de Maillard réussit à fausser compagnie à ses tourmenteurs, mais cette évasion rend la foule encore plus irritée. C'est alors que son cousin, Alain de Moneys, arrive à la foire à la recherche d'un maçon pour réparer le toit d'une maison. A son tour, Moneys est entouré et subit les mêmes accusations délirantes. On le traite de traître, de prussien, de cochon, on crie qu'il faut le brûler. A chaque instant, la foule devient de plus en plus furieuse.
109Raconter son supplice n'ajouterait rien à notre exposé. Il suffit de dire qu'il a été horriblement mis à mort par un groupe d'hommes et de femmes en plein milieu d'une foire où se trouvaient plusieurs centaines de personnes. Il a été la victime d'un incroyable paradoxe ; aristocrate et bonapartiste, Alain de Moneys a péri sous les quolibets les plus absurdes eu égard à sa propre vie. D'une certaine façon, il a été la victime de la mythologie napoléonienne et de ses armées « invincibles » ; et d'un système d'information orientée autour de la propagande impériale, incomprise par la masse de la population. L'information officielle donnait les armées françaises gagnantes en même temps qu'elle expliquait qu'elles reculaient pour mieux attaquer. Il fallait, comme dans toutes les guerres, lire entre les lignes, ce qui était, hier comme aujourd'hui, beaucoup demander au public, d'autant plus que ces paysans-là, particulièrement pauvres et mal instruits, avaient peu de moyens pour le faire. De ce fait divers tragique, objet d'un beau livre d'Alain Corbin, retenons l'élément qui nous intéresse le plus ici, c'est-à-dire l'amplification de rumeurs dans le chaudron du champ de foire. Nous sommes dans un domaine qui semble dépasser le rationnel, où la vérité proposée par la victime ou ses rares amis n'a aucune chance de vaincre80.
Manifestations politiques : du cri séditieux à la campagne électorale
110Avant la Seconde République, nous avons trouvé peu de manifestations sur les marchés qui fassent référence à d’autre chose qu'à des problèmes de marché. Tout au plus une affaire de justice dans laquelle un garçon meunier fut accusé d'avoir poussé des cris séditieux au marché de Baziège en juillet 183181. Avouons-le, c'est peu de choses.
111Entre 1848 et 1851, la documentation devient plus dense. L'impôt de 45 centimes n'y est pas étranger. Comme les autres impôts directs, il était perçu par un percepteur qui s'installait sur la place avec ses registres. A Miélan, quand un percepteur mit en demeure de payer un vieux caporal en retraite, ancien grognard, celui-ci éleva la voix pour inviter, devant tous, « les habitants de la ville et de la campagne à ne pas payer ». Dans tout le sud de la Gascogne, la résistance à l'impôt fut vive ; les militaires furent envoyés sur place pour stimuler sa perception et réprimer d'éventuelles révoltes antifiscales. A Rabastens-de-Bigorre, les soldats en garnison fraternisèrent avec les personnes venues au marché82.
112Toujours en Gascogne, la tendance conservatrice de la Seconde République et la répression anti-républicaine organisée par les autorités préfectorales aiguisèrent les réactions politiques des militants des bourgs. A Mauvezin, en 1850, on monta des charivaris contre les autorités locales qui débutèrent le dimanche et qui se poursuivirent le lundi pendant le marché83. On avait déjà vu des cortèges anti-bonapartistes à Miélan lors de l'annonce du coup d'Etat en décembre 1851.
113Si notre documentation ne nous induit pas en erreur, c’est encore sous la Seconde République que les organisations politiques naissantes ont commencé à utiliser la place marchande de façon systématique pour tenir leurs réunions et faire leur propagande auprès des populations de la contrée. Nous en attribuons la cause aux exigences nouvelles des campagnes électorales qui étaient alors dans leur enfance et qui nécessitaient de nouvelles formes d'organisation et de propagande pour être efficaces. Notons aussi le développement de la surveillance politique qui préfigure celle du Second Empire ; les premiers rapports sur l'utilisation des foires et marchés à des fins politiques sont l'œuvre des procureurs généraux et de leurs agents en 1850 et 1851 quand s'est mise en place la répression anti-républicaine. En voici quelques exemples :
114– avril 1850, arrondissement de Condom :
... on remarque les efforts incessants des faiseurs de propagande pour embaucher les habitants des communes rurales lorsqu’ils viennent au marché....
115– octobre 1851, Gourdan-Polignan :
A Gourdan il [le représentant Lafon du parti montagnard] est arrivé un jour de foire sans que sa présence ait donné lieu à aucune manifestation. Après avoir reçu quelques visites chez M. Lepac, ancien procureur de la République, il allait s'établir dans un café où une vingtaine de démocrates vinrent successivement avec lui.
116– novembre 1851, Lectoure :
Le 11 du mois de novembre, jour de foire à Lectoure, un grand nombre d’individus professant des opinions démagogiques s'étaient réunis dans cette ville. Des conférences eurent lieu... dans l'auberge d'un nommé Jacob, signalé comme le lieu habituel de leurs rendez-vous...84.
117Ces trois textes, outre qu'ils soulignent la surveillance active des républicains par le pouvoir, permettent de distinguer trois types d'activité politique liée à la place marchande. Il y a tout d'abord la propagande, c'est-à-dire les efforts faits pour convaincre les campagnards des vertus républicaines. Cependant, ne nous trompons pas, le marché ne sert pas qu'aux républicains, comme nous le verrons plus loin. En second lieu, les foires et marchés sont des lieux de rendez-vous pour des hommes éparpillés autour du canton ou plus loin. On profite de l'occasion pour se réunir dans une auberge du bourg plus ou moins surveillée par la police politique. Le jour de foire ou de marché est parfait lorsque l’on vient de l'extérieur et que l'on veut rencontrer le plus de monde possible. C'est la visite classique du notable dans un lieu où il sait trouver ses sympathisants. Il agit de la même manière que le médecin qui ne voit pas son cabinet ou sa chambre louée se désemplir de toute la journée. Tout comme pas mal de praticiens, le représentant Lafon s'installe dans une auberge où ses amis politiques viennent « fraterniser avec lui ».
118A ces trois textes, il convient d’ajouter un quatrième qui complétera le panorama des types d'activité politique lors des réunions commerciales. Pour préparer les élections au conseil général en 1851, l'administration convoqua les maires à des réunions tenues dans les chef-lieux de canton. Le 9 août 1851, les maires du canton de Montréjeau se réunirent après le marché pour recevoir leurs instructions pour les prochaines élections85. Ce type de réunion officielle se répéta d'innombrables fois au cours du Second Empire et de la Troisième République. Pour les candidats de l'opposition (selon le régime et l'époque), les agissements des préfets furent difficiles à supporter mais aussi difficiles à empêcher. Les élections au conseil général des Hautes-Pyrénées de décembre 1867 soulevèrent une polémique opposant le préfet à un ancien député, Dauzat-Dembarrère. Ce dernier accusa la haute administration départementale de s'être organisée en faveur de son adversaire. Il dénonça le préfet qui aurait convoqué tous les maires du canton de Tarbes un jour de grand marché « pour leur donner ses dernières instructions verbales au sujet de l'élection ». Le même jour, son collègue de l'inspection académique aurait réuni autour de lui les instituteurs du canton, sans doute pour expliquer la stratégie officielle86. Ces convocations à des réunions politico-administratives obéissent à deux critères : les personnes convoquées peuvent combiner leurs affaires personnelles (le marché) et leurs obligations officielles ; leur déplacement à Tarbes un jour de grand marché passe relativement inaperçu alors qu'un autre jour de la semaine il aurait été vite remarqué.
119Les dernières élections législatives du Second Empire en mai 1869 nous offrent des aperçus sur le déroulement des campagnes électorales. La campagne en zone rurale doit nécessairement calquer son calendrier sur celui des principales réunions commerciales de la circonscription. Le candidat et son entourage utilisent la journée pour rencontrer les notables locaux et pour faire de petits discours à l'intention des électeurs que l'on veut séduire. Si le candidat est étranger à la localité, il se fait accompagner par un homme du cru. Ainsi quand le candidat légitimiste, Dupeyre, avocat toulousain, se rend à Villefranche-de-Lauragais le jour du marché (mars 1869), il se présente dans diverses maisons en la compagnie de M. d’Holier, un des chefs locaux de son parti87. Cette visite, tôt dans la campagne, doit préparer le terrain pour la suite ; Dupeyre se fait connaître à ceux qui, plus tard, vont mener campagne sur place et à ceux qui vont lui donner leur soutien. De l'autre côté du département, le candidat de l'opposition, Paul de Rémusat, procède exactement de la même façon. Du fait que sa candidature inquiète au plus haut degré la préfecture, nous possédons plusieurs rapports sur sa campagne. C'est l'agent voyer du canton de Rieumes qui rapporte, par exemple, en juin 1869, que Rémusat s’est rendu plusieurs fois au chef-lieu cantonal afin de renouer des anciennes amitiés et s'assurer le concours des personnes les plus influentes de la localité :
Les réunions, fixées toujours les jours de foire, se tenaient dans le domicile du docteur Fazeuilhe, médecin cantonal ; là, les amis les plus dévoués du candidat de l'opposition allaient lui chercher ceux qu'ils présumaient se laisser facilement convaincre...88.
120On voit très bien comment le candidat essaie d'élargir sa base de soutien à partir de quelques points d'ancrage solides. La campagne chez les notables se passe dans les salons de la bourgeoisie locale par le biais des relations personnelles entre le candidat et ses « amis ».
121Pour gagner les élections, il faut ajouter le soutien des villageois moins prestigieux. Par des réseaux d'opinion et de clientèle, chaque candidat essaie d'avoir un agent électoral par village. Le candidat fortuné possède un budget électoral dont une partie est destinée à ce but quand le seul militantisme ne suffit pas. C'est ainsi que Jean Capistran, de Lasserre, se voit proposer de l'argent par un cordonnier tenant son banc au marché de Lévignac pour patronner la candidature de Rémusat. Une fois de plus, la place marchande est un nœud vital dans les relations entre les hommes de villages différents.
122Enfin, tout candidat doit passer devant le public du marché où il fait connaître ses opinions et où il compte séduire l'électorat populaire. On retrouve Rémusat au marché, à Muret cette fois, le 15 mai 1869, où Pierre Pons, propriétaire et concierge de la mairie de la ville, assiste à la scène :
... à trois heures et demie du soir, m'étant rendu au marché au blé pour mes affaires, j'y rencontrai un groupe très nombreux de propriétaires et de paysans au milieu desquels se trouvait M. Paul de Rémusat qui parlait avec une grande animation. Je m'approchai et je l'entendis dire très distinctement : – Le gouvernement a fait une grande faute dans la campagne de Mexique, il a sacrifié inutilement l'argent et le sang de la France, que d’hommes sont morts dans cette campagne désastreuse, qui auraient pu rendre tant de services à leurs familles et à l'agriculture. Le gouvernement vous accable d'impôts pour payer ces folles dépenses et ses expéditions malheureuses ; la nouvelle loi militaire est une calamité, elle vous enlève tous vos enfants et vous en avez cependant le plus grand besoin..., etc.89.
123Ce récit est très intéressant car il situe parfaitement le candidat, son auditoire et au moins une partie de son message politique. On constate surtout sa critique du double impôt, argent et sang, thèmes censés toucher de près le monde rural.
124Un autre témoin de ce petit « meeting » est Pierre Darré, propriétaire à Muret. Ce qu'il raconte permet de voir comment le message du candidat circule dans la foule :
Je m'approchai et j'entendis des gens de Villate dire que M. de Rémusat ferait le bonheur du pays et de la France entière. Un meunier dont j'ignore le nom leur ayant demandé quelques explications, ils répondirent que M. Bernard et lui auraient promis la suppression du péage du pont de Muret, la diminution des impôts et la réduction du contingent militaire90.
125Le témoin note d'abord que les gens d'un village proche de Muret avaient déjà adopté une position favorable au candidat ; ensuite ils répètent ses promesses dont une concerne uniquement la région muretaine (le péage du pont) et les deux autres la politique nationale sans ignorer les conséquences locales voire individuelles de cette dernière. Si ce récit est représentatif, le message de Rémusat fut facilement repris et diffusé dans la population qui n'avait pas eu la chance de l'entendre en personne. Il n'avait pas besoin de se rendre personnellement à Villate, ou dans d'autres villages, car il avait fait passer son message aux habitants de ce village par le marché ; ceux qui l'avaient entendu feraient l'essentiel de sa propagande parmi leurs compatriotes.
126Si le message semble être passé sans difficulté entre le candidat et les paysans de Villate, il n'en est peut-être pas de même dans d’autres circonstances. Ici, on entre dans le domaine de la politique-fiction, des on-dit totalement invérifiables dans leur contenu mais significatifs tout de même. Le témoin est un propriétaire de Lussan, Théodore Laborie. Voici son récit :
Le mercredi avant l'élection, je fus au marché du Fousseret. J'entendis dans l'auberge où je dînais, le sieur Martin, meunier à Lussan, dire que M. de Rémusat proposait de prêter de l'argent aux électeurs qui voteraient pour lui, la première année sans intérêt et puis à raison de 3 %91.
127Interrogé pour savoir si le meunier était l'agent électoral de Rémusat, Laborie répond que non, pour lui Martin « disait cela à titre de conversation, parce qu'alors, on ne parlait que d'élection ». On revient à la question des rumeurs. On imagine l'auberge un jour de marché, quelques jours seulement avant les élections. Tout le monde en parle, chacun donne son opinion, répète ce qu'il a entendu ailleurs. A force de promettre la réduction des impôts, Rémusat, grand propriétaire et aristocrate, se voit promu grand créancier de sa circonscription. Dans un monde paysan qui ne connaît que le crédit à taux d'usure, cette prétendue promesse électorale vaut de l'or.
128Sous la Troisième République, chaque période électorale devient l'occasion pour des hommes politiques de pratiquer l’art du toca maneta, c'est-à-dire de toucher la main du plus grand nombre d'électeurs. Dans les villes industrielles, les candidats se bousculent devant la porte des usines, dans les zones rurales, c’est aux foires et marchés qu'ils se présentent et essaient de s'imposer devant l'électorat. Les journaux de chaque bord annoncent les réunions et les tournées de leur candidat. Dans La Dépêche, on suit l'organisation des comités républicains qui se forment avant chaque scrutin. Les réunions se font dans les bourgs et les petites villes de préférence le jour de marché. C'est le samedi à Montauban que se réunit le comité d’initiative électorale des membres républicains du conseil général et des conseils d'arrondissement de Tarn-et-Garonne en avril 1885. A Rieumes, les délégués constituent leur comité républicain cantonal le jeudi 7 mai 1885 ; à Muret, les délégués ont choisi le samedi92.
129Les journaux locaux, de plus en plus nombreux sous la Troisième République, répercutent assidûment la visite des candidats dans les divers marchés. En août 1903, le Journal de Saint-Gaudens suit fidèlement son homme, Piou, à Aurignac où plus de 200 membres du comité républicain libéral sont « heureux de se serrer autour de... l’éminent président de l'Action libérale populaire ». Les élections législatives de 1906 permettent au Martinet de Muret de soutenir son candidat, Cousinet, conseiller d'arrondissement de la ville. Lors de sa visite à la foire de Montesquieu-Volvestre, le correspondant local est ravi :
L'honorable candidat... a été très entouré ; de nombreuses personnalités politiques du canton sont venus le féliciter et l'assurer de leur profond dévouement, tandis que les hommes du peuple, honnêtes ouvriers et laborieux paysans, se pressaient autour de lui et lui serraient la main avec effusion...93.
130Le même journal rapporte sa visite à Saint-Lys et à Rieumes, autres bourgs commerçants. Il est frappant de constater le langage du journal qui parle des honnêtes ouvriers et laborieux paysans à la foire. Le discours des notables n'a pas toujours été si complaisant envers leur présence à la foire, comme nous le démontrerons plus loin. Mais l’avènement du suffrage universel masculin, les campagnes répétées à l'échelon local et national, ont obligé les hommes politiques à suivre les foires et marchés de leurs circonscriptions avec autant d'assiduité que le maquignon ou le paysan. Il devient difficile de soutenir publiquement que les paysans sont au marché surtout pour se dissiper alors que les candidats les courtisent l'espace de chaque campagne électorale94.
131Pour conclure, comment ne pas évoquer Jean Jaurès, député de Carmaux ? Pour cet intellectuel épris de politique, la campagne électorale était l'occasion de rencontrer ses électeurs, d’essayer de les convaincre de la justesse de ses positions, de se faire pédagogue sur les grandes questions du moment. Lors de sa première candidature à Carmaux et dans les campagnes voisines, les informateurs de la police le suivent sur le marché où il discute avec les agriculteurs, en patois, « des salaires décents, des prêts agricoles, de l'achat de machines par les communes... »95. En septembre 1905, plusieurs dures campagnes plus tard, on le retrouve à la foire de Valdériès dans une réunion publique où il rend compte de son mandat devant environ 600 auditeurs. On lui pose une question en patois, Jaurès répond « en cette belle langue patoise qu ' il parle si merveilleusement , les points essentiels de ses explications lumineuses et précises sur la loi de séparation de l ' Eglise et de l ' Etat ... »96. Grand orateur, Jaurès l’est en français comme en occitan, son message aux paysans et aux ouvriers passe par les deux langues selon le moment. Comme pour la plupart des hommes politiques de son époque, son bilinguisme est un atout dans une région où les langues régionales ont gardé une très large assise. Dans une démocratie parlementaire, les candidats doivent imposer à la fois leurs idées, leur étiquette politique mais aussi leur personnalité. Jaurès, plus brillamment que d'autres peut-être, mais comme eux, sait exploiter le réseau commercial, lieu de rendez-vous et de réunion, et l'idiome dominant afin de faire passer son message.
Foires et marchés comme enjeux électoraux
132Les foires et marchés ont pu devenir des enjeux lors des élections, quand le suffrage élargi est devenu la règle du jeu et quand leur concession s'est décentralisée vers des institutions dont les membres étaient les élus de ce suffrage. Ces deux conditions se retrouvent surtout après la loi de 1871 sur les conseils généraux. Dans ce nouveau cadre institutionnel et électoral, les municipalités et les conseils généraux ont dû endosser de nouvelles responsabilités dont l'exécution était sanctionnée par le vote des citoyens. Par conséquent et en raccourcissant beaucoup, on pourrait dire que l’attribution de foires et marchés est devenue promesse électorale.
133Notre premier aperçu de cette tendance vient d'Aurignac lors des élections de 1869. Selon certains habitants du bourg, le juge de paix aurait promis « de faire établir des marchés dans le bas de la ville, si ce quartier votait bien », c'est-à-dire pour le gouvernement. M. Caussade, le magistrat en question, a tenu à réfuter ces accusations ; sa réponse est très révélatrice de la dimension locale et particulière des campagnes politiques d'alors :
Un jour j'ai demandé à l’agent de Police Baudounet qui habite ce quartier, comment marchaient les élections ; il me répondit que plusieurs électeurs étaient mal disposés pour le candidat du gouvernement parce qu'ils se plaignaient que le marché se tenait au centre et sur le haut de la ville, je lui observai que ces habitants n'étaient pas mal partagés puisqu'ils avaient le champ de foire, le marché aux veaux, la ferraille... et autre ; j'ajoutai que le centre de la ville était encombré les jours de foire, et que si plus tard ils désiraient quelque chose de plus, M. le Maire ferait droit à leurs demandes si elles étaient justes97.
134Il est impossible de savoir si le juge a vraiment tenu ce discours-là ou s’il a fait des promesses plus explicites. Peu importe. Dans ce cas précis, le conflit qui se dessine est à l'intérieur du bourg, entre les habitants des différents quartiers de la ville ; les uns et les autres ont le sentiment de ne pas profiter également des réunions commerciales dont le bourg est l'hôte. Ce genre de conflit n'est pas rare, les commerçants de chaque quartier essayant d'attirer chez eux des installations marchandes afin de capter davantage de clients98. La réponse du juge est on ne peut plus judicieuse : il remarque que les quartiers qui se plaignent ne sont pas totalement dépourvus de commerce ; en même temps il laisse planer la possibilité de nouvelles installations dans l'avenir. En bref, il ménage les chances de son candidat sans promettre monts et merveilles.
135Quinze ans plus tard, une autre localité commingeoise fait l'amère expérience des nouveaux pouvoirs du conseil général et de leurs limites dans le domaine des foires et marchés. Nous avons déjà donné un récit complet de l'affaire (chapitre premier) ; rappelons les principaux faits. Par une délibération du 27 août 1881, le conseil général de la Haute-Garonne vota la création d'un marché hebdomadaire pour la vente de veaux à Mane. Mais cette localité ne se trouve qu'à 8 kilomètres de Saint-Martory, où le marché avait lieu le même jour, le vendredi, pour le même produit. Il s'en est suivi une longue bataille devant le conseil général et l'administration, allant jusqu'au Conseil d'Etat. Lasse et désillusionnée, la municipalité de Saint-Martory, dans un dernier sursaut, refusa d'organiser les élections municipales de mai 1884. D'après le Journal de Saint-Gaudens, « pas un seul électeur ne se présenta, ni au premier, ni au deuxième tour ; le bureau électoral ne put même être formé, et force fut au préfet de déléguer à l'administrateur l'administration vacante de la commune... »99. La petite ville est restée sans municipalité élue pendant plus d'un an avant d'accepter, enfin, d'organiser un scrutin.
136Dans cette région où l'opposition conservatrice était forte en ces débuts de la Troisième République, la controverse entourant les marchés rivaux lui donna quelques atouts dans les campagnes électorales. Selon l'instituteur d'une commune du canton de Saint-Martory, un ferme « supporter » du chef-lieu et de son marché, la commune de Mane utilisa les urnes entre 1881 et 1885 pour protéger son nouvel acquis :
Mane, menacé de perdre ses marchés, a poussé la résistance jusqu'à la révolte. De plus, il a mis de côté ses opinions antérieures et, dans une élection de conseiller général, l'unanimité de son vote a fait échouer le candidat républicain100.
137Pour les habitants de ce village, ce qui compte au milieu de cette crise est la défense de leurs intérêts, autrement dit la défense du marché contre les attaques d'un conseil général qui est revenu sur sa première décision établissant le marché à Mane. Les électeurs de Mane ont dû trouver la position de leur conseiller général insatisfaisante ; ils ont changé de camp. De l'autre côté, dans le canton de Saint-Martory, certains ont trouvé que le déclin du marché, perceptible depuis 1881, devait être imputé aux républicains. Dans une longue lettre publiée dans le Journal de Saint-Gaudens, « un électeur de Lestelle » (commune du canton de Saint-Martory) a raconté ses déboires au marché déchu en mai 1886. Il y a amené un veau, mais sur place il n'a trouvé que trois bouchers qui n'ont acheté que trois animaux. La décadence du marché aux veaux reflète fidèlement l'état lamentable des autres activités marchandes. Il s'est souvenu du bon vieux temps quand les divers marchés « étaient abondamment pourvus » et quand « tout s'écoulait suivant son prix ». Maintenant, pour vendre, il faut amener les animaux et les denrées « au loin ». « C'est pour nous, écrit-il, une véritable ruine ». A qui la faute ? « Aux républicains qui n'ont pas empêché les nouveaux marchés et foires de Martres-Tolosane et de Mane »101. Curieux paradoxe de la vie politique : les républicains, majoritaires au conseil général, menacent de supprimer le marché de Mane et en sont sanctionnés électoralement ; tandis que d'autres les dénoncent parce qu'ils ne l'ont pas fait. Certains conseillers généraux ont dû parfois regretter le temps où les décisions étaient prises à Paris ou dans les bureaux de la préfecture...
138Les combats politiques à l'intérieur des communes pouvaient à tout moment saisir les foires et marchés comme objet de contentieux. Les critiques adressées à la municipalité le sont souvent moins dans le but d'améliorer une situation donnée que de marquer des points contre l'équipe adverse. Ainsi, durant l'année 1895, des journaux conservateurs publièrent plusieurs lettres d'un « lecteur » saint-gaudinois peu satisfait du déroulement des foires et marchés dans sa cité commingeoise. Dans la première lettre, publiée le 6 juin, il se plaint que le drapeau indiquant l'heure à laquelle les revendeurs peuvent effectuer leurs achats n'est plus utilisé par la mairie. Par conséquent, « lorsque nos cuisinières vont au marché, elles trouvent tout enlevé par les revendeurs et ne peuvent se procurer le moindre légume qu'au poids de l'argent ». Il réclame au maire de la ville, le radical-socialiste Bepmale, « un peu moins de socialisme » afin de « permettre l'accès du marché aux petites bourses »102. Le 4 septembre, la lettre commence par un très vigoureux Désordre et Tyrannie ! De quoi s'agit-il ? Tout simplement « les marchands à baladeuses encombrent absolument la chaussée déjà très obstruée par les marchands à étalage fixe, ce qui produit, à tous moments, des à-coup arrêtant net tout mouvement ». Les causes de ce désordre ? Le manque de respect des règlements de police qui fixent les lieux de stationnement de ces marchands ambulants. En fait, c'est encore Bepmale le vrai fautif car il n'applique pas les règlements et laisse instaurer le désordre et... la tyrannie103. Finalement, le 3 novembre on écrit pour exposer les manquements de la municipalité lors de la dernière foire de la Toussaint, quelques jours auparavant. Elle a été très belle, mais elle aurait pu être compromise par « notre municipalité bepmalienne et provisoire, avec l'insouciance des choses de la campagne, qui la caractérise... » Cette fois, le problème se trouvait au foirail, « complètement envahi par les baraques de nombreux saltimbanques ». Tellement que la place manquait aux éleveurs pour exposer convenablement leurs bestiaux. Pour couronner le tout, au milieu du foirail se dressait une enceinte où se déroulait un combat d'ours et de chiens ; les membres de la municipalité furent doublement fautifs, d'abord en tolérant un tel spectacle « au mépris de toute loi protectrice des animaux » et ensuite en y assistant eux-mêmes104.
139Il est évident que l'auteur (ou les auteurs) de ces lettres était un adversaire irréductible de la municipalité « bepmalienne et provisoire ». De cette hostilité découle un certain nombre de critiques de l'administration locale en ce qui concerne la gestion des foires et marchés de la ville. Etant donné la prospérité éclatante de Saint-Gaudens vers 1900 et le succès jamais démenti de ses réunions commerciales, il ne pouvait pas se placer sur le même plan que « l'électeur de Lestelle » en 1886 par rapport au déclin historique de Saint-Martory. Si dans le premier cas, c'était la faute aux républicains, dans le cas de Saint-Gaudens, c'était en dépit d'eux (dans leur forme radical-socialiste, version bepmalienne). Les critères même du succès deviennent alors les signes avant-coureurs de l'échec. Les revendeurs achètent trop ? Les petites bourses en souffrent ? Les rues sont encombrées ? Le foirail est trop plein, les saltimbanques y accourent ? La ville est envahie ? Autant de signes du succès de la ville, de sa santé commerciale, de son importance comme débouché pour les agriculteurs et éleveurs de l'arrondissement. A Saint-Martory, les commerçants auraient été ravis d'avoir le dixième de l'animation de la sous-préfecture tous les jeudis. L'opposition saint-gaudinoise n'avait pas la tâche facile à cette époque de prospérité municipale. Le régime « bepmalien » allait leur résister bien longtemps encore.
140Nous avons évoqué, voici quelques pages, une promesse électorale qui n’en était pas une (à Aurignac en 1869)105. Voici pour finir une promesse qui se révèle difficile à tenir. Le 15 novembre 1912, le conseil municipal de Cassagnabère-Tournas demanda le changement de date de sept foires qui avaient eu peu de succès. Le dossier monta à la préfecture par les canaux normaux, mais l'arrêté préfectoral tarda à venir. Le 22 août 1913, le maire écrivit au préfet pour se plaindre des délais :
Ces foires ont été promises par la municipalité radical-socialiste que je préside aux électeurs. Si nous n'obtenions vas satisfaction, nous ferions le jeu de nos adversaires, les réactionnaires106.
141L’arrêté autorisant les changements souhaités ne vint que le 5 mars 1914, soit 18 mois après la délibération initiale. Y a-il eu interférence politique entre la préfecture et le maire ? L'important est de constater que les foires et marchés font partie désormais du domaine électoral ; en acquérir, les gérer correctement, contrer les projets des municipalités rivales, voici des objets de priorité des municipalités ambitieuses pour le développement et le maintien de l'économie locale.
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142La vie politique peut donc faire irruption sur la place marchande dans deux grands domaines assez distincts. En premier lieu, le marché est l'enjeu de la discussion, autrement dit il y a conflit au sujet du marché lui-même : le prix des grains et le comportement des intermédiaires ; la fiscalité du marché dans ses multiples formes ; l'accès au marché (péages et jours) ; l'existence même du marché. Ici, il a été question surtout des problèmes de fiscalité et d'accès au marché. En second lieu, la place publique est plutôt le théâtre de l'expression politique ; on l'utilise parce qu'elle est très fréquentée, parce qu'elle est efficace comme caisse de résonance dans une société où la communication est restée très largement une affaire de contacts humains directs, ce que les anthropologues appellent « face à face ». La place marchande sert aux hommes politiques et à tous ceux qui ont un message à faire passer auprès d'une population le plus souvent dispersée dans des villages et des fermes. Sans vouloir les mettre sur le même plan, il y a néanmoins des analogies entre cette utilisation politique des foires et des marchés et l’emploi de l'ensemble des services que nous avons examinés plus haut.
143Il nous semble que, jusque vers le milieu du XIXe siècle, le marché entre dans la vie politique plus comme un enjeu que comme une arène. Cela tient avant tout à la place qu'il occupe dans la société et l'économie d'alors. Les formes d'expression employées – le répertoire selon le terme de C. Tilly – sont celles d'une société n'ayant pas encore accédé aux institutions représentatives telles que nous les connaissons. Elles sont sporadiques, souvent violentes ; elles empruntent beaucoup aux rites folkloriques, au symbolisme traditionnel. A partir de l'installation d'un régime dans lequel le peuple est amené à s'exprimer régulièrement sur la représentation nationale et locale (du président de la République au député, au conseiller général et au conseiller municipal), les formes d'expression commencent à se transformer. Ce mouvement n'est pas, bien entendu, linéaire. Le marché devient plus régulièrement le théâtre de la politique et moins sa cause.
144Nous avons pu remarquer cependant que l'attribution des marchés a soulevé parfois des conflits aux conséquences politiques. N'oublions pas que la méthode d’attribution a profondément changé au cours du XIXe siècle et que, de plus en plus, le pouvoir de créer des foires et marchés a été donné aux élus locaux, conseillers municipaux (les simples marchés) et conseillers généraux (foires et marchés aux bestiaux). La conjonction entre la mise en place d’un régime représentatif fondé sur le suffrage universel masculin et la décentralisation du pouvoir d'attribution n'a pu que favoriser à certains moments la politisation des foires et marchés. Si elle n'a pas été plus importante, c'est probablement parce que les conseils généraux ont opté pour un très grand libéralisme en ce domaine. L'explosion du nombre de foires en a été la conséquence.
Notes de bas de page
1 Sur les évolutions de la vie politique dans les campagnes françaises entre la fin de l’Ancien Régime et la Première Guerre mondiale, il existe de nombreux travaux, la plupart consacrés à une période plus ou moins longue et à une région plus ou moins grande. Contentons-nous de citer quelques ouvrages généraux ou particulièrement importants. M. Agulhon, La République au village. Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République, Paris, Plon, 1970. G. Duby et A. Wallon (sous la dir. de), Histoire de la France rurale, t. 3, Paris, Le Seuil, 1975. J.-P. Houssel (sous la dir. de), Histoire des paysans français du XVIIIe siècle à nos jours, Roanne, Horvath, 1976. J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle, 2 vol. Toulouse, Eché, 1987. C. Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, « L'espace politique », 1986. E. Weber, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale, 1870-1914, Paris, Fayard/Editions Recherches, 1983, p. 352.
2 Sur les émeutes frumentaires, la littérature est vaste. Nous ne citerons que quelques ouvrages particulièrement féconds : G. Rude, The Crowd in History. A study of popular Disturbances in France and England, 1730-1848, New York, Wiley, 1964. E. P. Thompson, The Moral Economy of the English Crowd in the 18th Century, Past and Présent, 50, 1971, pp. 76-134. L. A. Tilly, La révolte frumentaire, forme de conflit politique en France, Annales E.S.C., no 27, 1972, pp. 731-757. Y.-M. Bercé, Histoire des croquants. Etude des soulèvements populaires dans le Sud-Ouest de la France, Genève-Paris, Droz, 1974, 2 vol. R. Pillorget, Les mouvements insurrectionnels de Provence entre 1596 et 1715, Paris, Pédone, 1975. G. Lemarchand, Les troubles de subsistances dans la généralité de Rouen (seconde moitié du XVIIIe siècle), Annales historiques de la Révolution française, vol. 35, 1963, pp. 401-427.
3 C. Tilly, La France conteste, p. 545.
4 A.D. Haute-Garonne, L 2297.
5 A.D. Haute-Garonne, L 2301, état des marchés de Saint-Béat, 25 ventôse an VI.
6 J.-P. Dieuzaide, Histoire de Samatan, Auch, Imprimerie centrale, 1923, cité p. 380.
7 A.D. Tarn, L 345, registre des arrêtés, 19 vendémiaire an III.
8 A.D. Haute-Garonne, L 4319, extraits des registres du fourleau ou mercuriale de la commune de Lévignac, ans III et IV.
9 A.D. Haute-Garonne, L 4318-4319, extraits des mercuriales de Fronton, Villemur et Verfeil.
10 A.D. Haute-Garonne, L 2298,21 pluviôse an VI.
11 G. Richert, La vie économique sous le Directoire dans la Haute-Garonne, D.E.S., Université de Toulouse, 1947, p. 190.
12 Le dossier sur les marchés républicains à Saint-Gaudens se trouve dans A.D. Haute-Garonne, L 2298.
13 A.D. Haute-Garonne, L 4437, district de Saint-Gaudens, le 24 messidor an VI.
14 Le dossier sur l'affaire de Montréjeau, A.D. Haute-Garonne, L 2298.
15 Voir aussi L 4437.
16 J.-F. Soulet a abordé les incidents de Tarbes dans plusieurs ouvrages : Bigorre et Quatre Vallées, avec J.-F. Le Nail, Pau, S.N.E.R.D., 1981, pp. 369-370. Les Pyrénées au XIXe siècle, ouvrage cité, t. 2, pp. 569-572. Histoire de Tarbes, avec J.-B. Laffon, Roanne, Horvath, 2e éd., 1982, pp. 206-207.
17 A.D. Haute-Garonne, 4 M 1.
18 A.D. Haute-Garonne, 2 E1572, Archives communales de Carbonne.
19 A.D. Haute-Garonne, L 2298.
20 Sur les actions collectives et leur répertoire, voir la plupart des travaux de C. Tilly depuis une vingtaine d'années, notamment l'ouvrage cité dans la note 1 ci-dessus. Voir aussi : C.Tilly, How Protest Modernized in France, in W. Aydelotte et al., The Dimensions of Quantitative Research in History, 1972. C. Tilly, The Changing Place of Collective Violence, in M. Richter, ed., Social Theory and Social History, Cambridge, Harvard U. Press, 1969.
21 A.D. Haute-Garonne, L 2298.
22 Voir notre thèse : L'âge d'or des foires et des marchés..., chap. 6, « Révolution, subsistances et marchés », notamment pp. 410-473.
23 A.D. Haute-Garonne, L 2298.
24 R. Souriac, Une autonomie provinciale à l'épreuve de l’absolutisme. Les Etats de Comminges de 1540 à 1630, thèse, Lettres, Université de Toulouse-Le Mirail, 1987, t.1, p. 113 et suivantes.
25 A.D. Haute-Garonne, L 2301.
26 A. Soboul, Mouvements paysans et troubles agraires en France de 1789 jusqu'au milieu du XIXe siècle, Cahiers internationaux d'Histoire économique sociale, « Les mouvements paysans dans le monde contemporain », vol. 6, 1976, pp. 141-144 ; Ph. Vigier, Mouvements paysans dans le cadre de l'agriculture et de la société traditionnelles, Ibid., p. 22.
27 Mouvements populaires et conscience sociale, Colloque de l’Université de Paris VII-C.N.R.S., 24-26 mai 1984, Paris, Ed. Maloine, 1985.
28 Cahier de doléances de Lansac dans G. Balencie, éd., Cahiers de doléances de la Sénéchaussée de Bigorre pour les Etats généraux de 1789, t. 1, Tarbes, 1925-1926, pp. 158-159.
29 Cahier de doléances de Sère-Rustaing, Ibid., t. 2, p. 562.
30 J. Dhers, Le pont de pierre de Montréjeau (1821-1835), Revue de Comminges, t. 84, 1971,3e trimestre, p. 223.
31 Journal de Toulouse, 20 juin 1830.
32 J. Dhers, Le pont de pierre, pp. 224-225.
33 Journal de Saint-Gaudens, 8 février 1847.
34 A.D. Hérault, C 2901, états de villes, bourgs et communautés du diocèse de Toulouse dans lesquels il y a des marchés de grains établis, 1755. Aussi diocèses de Mirepoix, Rieux, Lavaur, Albi, Castres...
35 G. Frêche, L'évolution du commerce du Lauragais sous l'Ancien Régime, Revue du Tarn, 3e série, no 59,1970, pp. 278-279.
36 A.D. Hérault, C 2925. Parfois la communauté l'emportait comme à Saint-Affrique en 1786. Par un arrêt du Conseil du 5 juillet, il était « fait défenses au Sr Varoquier, aux représentants du duc de Caylus et au Sr Evêque de Vabres de percevoir ou faire percevoir aucun droit de coupe ou autre sur les grains vendus en la ville de Saint-Affrique ». A.D. Lot, C 289.
37 A. Combes, Histoire de la ville de Castres et de ses environs pendant la Révolution française, 2e éd., Castres, chez Granier, 1875, p. 51-55.
38 Cahier de doléances de Tostat, dans Balencie, Cahiers de doléances de Bigorre, t. 2, p. 592.
39 Cahier de Melles dans F. Pasquier et Fr. Galabert, Cahiers paroissiaux des sénéchaussées de Toulouse et de Comminges en 1789, Documents sur l'histoire économique de la Haute-Garonne, Toulouse, Privat, 1925-1926, p. 47. Voir aussi le cahier de la paroisse d'Escanecrabe en Bas-Comminges, p. 134.
40 A.D. Ariège 7 U 705 : tribunal correctionnel de Pamiers.
41 Il y a deux sources principales pour l'affaire de Foix : la première que nous avons utilisée est le livre polémique d'Emile Darnaud, Une révolte à Foix (13 janvier 1840), Foix, Pomiès, 1890 ; la seconde se trouve aux Archives nationales dans la série BB18 1380-1381. Le livre de Darnaud donne beaucoup de détails sur les origines de la révolte et sur son déroulement, son souci étant de discréditer le préfet de l'époque, Petit de Bantel. Les deux sources donnent des listes des morts et des accusés, mais elles ne se recoupent pas parfaitement. Malheureusement les Archives départementales de l'Ariège n’ont gardé que fort peu de choses sur cette affaire.
42 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, Paris, 1956. J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle.
43 A.N., F7 3930.
44 Darnaud, Une révolte à Foix, pp. 8-9.
45 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle, pp. 569-580. Voir aussi A.N., F7 4128 : Trie (11 septembre 1832 et février 1833) ; Maubourguet (septembre 1836) ; Castelnau-Magnoac (septembre 1839). Dans ce dernier cas, les autorités locales ont eu peur, mais la foire s'est tenue sans que l'ordre soit perturbé.
46 L'affaire de Tarbes a donné lieu à un procès devant la cour d'assises des Landes, le 23 juillet 1859. Sur les 22 prévenus, 6 ont été condamnés. Nous avons pu consulter une partie de ce dossier grâce à Bernard Traimond. Qu'il en soit remercié.
47 A.D. Hautes-Pyrénées, 4 M 28 : lettre du maire de Galan, 12 mars 1848.
48 Ibid., lettre du juge de paix de Lannemezan, 10 mars 1848.
49 Ibid., lettre du président du comité provisoire aux commissaires à Tarbes, 11 mars 1848.
50 Ibid., maire de Rabastens au préfet, 21 mars 1848.
51 Ibid., maire de Rabastens, 23 mai 1848.
52 Ibid., commissaire de police de Lannemezan, 15 mai 1848.
53 Ibid., commissaire de police de Vic-Bigorre, 27 mai 1848.
54 J.-F. Soulet et J.-F. Le Nail, Bigorre et Quatre Vallées, Pau, S.N.E.R.D., 1981, pp. 365-367 ; J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle ; L. Clarenc, Quelques aspects économiques et sociaux de la crise des années 1846 à 1848 dans les Hautes-Pyrénées, D.E.S., Toulouse, s.d.
55 F. Ogé, Le pouvoir et les montagnards : trois siècles de conflits forestiers dans le Donezan, Annales du Midi, 1980, t. 92, fasc. 1, pp. 67-88.
56 Voir Y.-M. Bercé, Croquants et nus-pieds, Paris, Gallimard-Juillard, « Archives », 1974, p. 175.
57 Pour la question de l'action collective et ses rapports avec les changements politiques, voir les travaux de C. Tilly, notamment C. Tilly, L. Tilly et R. Tilly, The Rebellious Century, Cambridge, Mass., Harvard U. Press, 1975.
58 A.D. Haute-Garonne, 12 M 37.
59 Journal de Saint-Gaudens, 7 février 1903.
60 A.D. Haute-Garonne, M 122.
61 A.D. Tarn, IV M418 : lettre du sous-préfet de Lavaur, 8 avril 1876.
62 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 228 : monographie communale de Martres-Tolosane.
63 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 262 : monographie communale de Montoussin.
64 La Dépêche, 24 avril 1885.
65 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 262 : monographie communale de Montoussin.
66 On trouvera des exemples dans Y.-M. Bercé, Histoire des croquants ; R. A. Cameron, Crime and Repression in the Auvergne and the Guyenne, 1720-1790, London, Cambridge U. Press, 1981 ; Y. Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc, Paris, Plon, 1974.
67 A.N., B24 369-373.
68 A.D. Hautes-Pyrénées, 4 M 28 : 28 juin 1848.
69 A.D. Aveyron, 11 M 7-25 : foire du 31 mars 1873.
70 A.N., F 4007.
71 A. Combes, Castres pendant la Révolution, pp. 51-55.
72 E. Espagnat, Histoire de Cazères-sur-Garonne pendant la Révolution (1789-1799), Toulouse, Privat, 1911, pp. 167-168.
73 Cité par Y.-M. Bercé, Croquants et nus-pieds, p. 179. Voir aussi A.N., BB18 1461.
74 La foire ou le marché comme lieu de complot n'est pas nouveau. Les protestants cévenols auraient mis au point leur projet d'assassiner l'abbé Cayla lors de la foire de Barr, le 22 juillet 1702. Devic et Vaissète, Histoire générale de Languedoc, t. 14, Toulouse, Privat, 1874-1892, Pièces justificatives, « Rapport du comte de Peyre au ministre de la Guerre, 19 août 1702 », p. 1583.
75 A.D. Haute-Garonne, 4 M 61 : lettre du maire de Lévignac, 9 mars 1848.
76 J. Dagnon, Le Gers sous la Seconde République, thèse d'Etat, Paris, 1930, t. 1, p. 78.
77 Cité par G. Baudens, Une petite ville pendant la Révolution (Castelnau-de-Magnoac), Revue des Pyrénées, t. 3,1891, p. 688.
78 G. Courtès, Troubles et mécontentements dans le Gers durant les premières années de la Restauration, Bulletin de la Société archéologique du Gers, 2e trim., 1979, p. 144. Voir aussi A.D. Gers, M 2 164.
79 Y.-M. Bercé, Croquants et nus-pieds, p. 175.
80 Sur l'affaire de Hautefaye, plusieurs ouvrages ont tenté d'en dégager les causes : P. de Ruffray, L'affaire de Hautefaye, légende, histoire, Angoulême, 1926 ; R. Villepelet, En marge de l'histoire, Revue de France, t. 24, 1928, pp. 740-748 (il y critique la version présentée par Ruffray). G. Marbeck, Hautefaye, l'année terrible, Paris, R. Laffont, 1982. Le seul ouvrage d'un véritable historien est d'A. Corbin, Le village des cannibales, Paris, Aubier, « Collection historique », 1990.
81 A.D. Haute-Garonne wU 1404 : affaire F. Pitarre.
82 R. Gossez, Les quarante-cinq centimes, Etudes de la Bibliothèque de la Révolution de 1848,t.15,1953, pp. 111-112.
83 J. Dagnon, Le Gers sous la Seconde République, t. 2, p. 508.
84 A.N., BB30 370 : rapports mensuels sur l'état moral et politique du ressort de la cour d'Agen. Dans son mémoire de maîtrise, L'opposition républicaine dans le Gers au coup d’Etat de Napoléon III, Toulouse-Le Mirail, 1973, M. Rozès a relevé plusieurs références aux activités des républicains en 1851. A Barran, par exemple, un leader républicain avait l'habitude de faire la lecture de l'Ami du peuple sous la halle (p. 124). A Mirande, l'instituteur républicain, Jean Sénac, essayait d'endoctriner les paysans les jours de marché (p. 126). A Eauze, les républicains se sont groupés autour d'un huissier condomois, Ferret, qui venait le jeudi, jour de marché, évitant toutefois de parler quand un représentant de l'ordre s'approchait (p. 129). Les républicains utilisaient les foires et marchés d'Estang et de Manciet pour essayer d’organiser une société secrète, telle est du moins l'opinion des informateurs de la police politique (p. 131).
85 A.D. Haute-Garonne, 2 M bis 27 : élections au conseil général.
86 A.N., BB24 719 : « Protestation contre l'élection de M. Gustave Fould, à M. le Préfet et Messieurs les membres du Conseil de la Préfecture », 23 décembre 1867.
87 A.D. Haute-Garonne, wU 626 : rapport du juge de paix du canton de Villefranche, 15 mars 1869.
88 A.D. Haute-Garonne, 2 M 38 : rapport du 11 juin 1869.
89 Ibid., déposition faite à Muret, 11 juillet 1869.
90 Ibid., déposition faite à Muret, 24 juin 1869.
91 Ibid., déposition faite au Fousseret, 3 juin 1869.
92 La Dépêche, 29 avril 1885 (Montauban) ; 8 mai 1885 (Rieumes et Muret). Voir aussi ce même journal les 20 et 24 octobre 1905 pour des réunions de divers comités républicains à Grenade, Boulogne-sur-Gesse et Salies-du-Salat à l'occasion du jour du marché. Nous remercions J.-P. Amalric pour ses explications du toca maneta.
93 Journal de Saint-Gaudens, 15 août 1903 ; Le Martinet, 24 mars et 21 avril 1906.
94 Suivons dans Le Martinet l’itinéraire suivi par le candidat républicain-démocrate Louis Latapie au cours de la semaine du 10 au 17 janvier 1908 : samedi à Cazères, jour de foire ; vendredi à Auterive, jour de foire ; samedi à Montesquieu-Volvestre, jour de foire.
95 Cité par G. Laval, Chronique d'une cité ouvrière sous la IIIe République. Pouvoir et société à Carmaux de 1892 à 1932, thèse de 3e cycle, Toulouse-Le Mirail, 1981, dactyl., p. 33.
96 La Dépêche, 13 septembre 1905. Texte transmis par Gaston-Louis Marchai à Rémy Pech. Qu'ils en soient remerciés.
97 A.D. Haute-Garonne, 2 M 37 : élections. Rapport du sous-préfet de Saint-Gaudens, 3 juillet 1869.
98 Les élections municipales de janvier 1883 ont été l'occasion pour les candidats à Foix de promettre aux habitants du quartier de la place Saint-Volusien une meilleure répartition des infrastructures commerciales. Après les élections, les habitants de ce quartier et les adversaires politiques du maire ont continué à faire pression sur la nouvelle municipalité par voie de presse notamment. A.D. Ariège, 7 M 2 7. A la fin du XIXe siècle, une décision municipale réorganisant les marchés à Albi a provoqué la colère des commerçants de certains quartiers. A.D. Tarn, IV M4 24.
99 Journal de Saint-Gaudens, 24 novembre 1884.
100 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 497 : monographie communale d’Amaud-Guilhem, 1885.
101 Journal de Saint-Gaudens, 15 mai 1886. On se souviendra que le conseiller municipal de Cazères avait écrit à La Dépêche en avril 1885 pour accuser les « réactionnaires » de susciter la désertion des marchés locaux en faveur de ceux de Martres. Chaque camp trouve ailleurs les responsables d'une situation difficile, le plus souvent chez l’ennemi politique.
102 A.D. Haute-Garonne, M 6 : extrait du Télégramme (Toulouse), 6 juin 1895.
103 Ibid., 4 septembre 1895.
104 Ibid., extrait de La Haute-Garonne (Saint-Gaudens), 3 novembre 1895.
105 A.D. Haute-Garonne, 2 M 37 : élections, Aurignac, 1869.
106 A.D. Haute-Garonne, M 122.
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