Chapitre IV. Au carrefour des services : les marchés et l’organisation de l'espace économique
p. 155-198
Texte intégral
1Vendre et acheter des denrées agricoles est certainement une des fonctions primordiales des foires et des marchés, mais on aurait tort de s'arrêter là. Leur place dans l'économie ancienne embrasse des champs d'activité bien plus vastes. Au Moyen Age, les foires de Champagne canalisaient une partie significative des produits manufacturés de l'époque ; les grandes foires de la Renaissance, celles de Lyon et de Genève, par exemple, ont joué un rôle tout à fait analogue. Il en est de même des foires de l'époque moderne – Beaucaire, Guibray, Bordeaux – où les produits textiles constituent la majeure partie du chiffre d'affaires1. Les foires et marchés que nous étudions sont bien plus modestes et bien plus orientés vers la production agricole. Cependant, ils continuent à accueillir des producteurs artisanaux et industriels, toujours nombreux dans les campagnes françaises avant le triomphe de la Révolution industrielle. Nous avons donc cherché à comprendre comment ces producteurs ruraux se servaient du réseau marchand.
2La présence de foires et de marchés est un puissant facteur d'attraction pour l'ensemble des commerçants et des prestataires de services. Certains d'entre eux sont mobiles, les forains ; ils circulent de réunion en réunion pour étaler leurs marchandises ou proposer leurs services ; d'autres sortent de leur village pour fréquenter toujours le même marché où ils retrouvent des clients réguliers. De nombreux artisans, commerçants et membres des professions libérales se regroupent dans les bourgs et petites villes où se tiennent d'importants marchés hebdomadaires. Pour l'ensemble de ces acteurs économiques, à quoi sert le commerce périodique, comment s'en servent-ils ?
LA LOCALISATION DES ACTIVITÉS SECONDAIRES ET TERTIAIRES
3Selon l'anthropologue américaine Carole A. Smith, « un lieu devient le cœur d'une région parce que des biens, des hommes et des informations circulent principalement entre lui et son hinterland moins différencié »2. Dans la société que nous étudions, les foires et marchés sont un moteur essentiel de la circulation ; les lieux qui accueillent ces institutions ont plus de chances que d'autres de devenir « le cœur d'une région », ce que les géographes appellent un lieu central. Ces lieux centraux se distinguent des autres par l'accumulation de fonctions multiples – commerces, services, administrations, etc. – qui attirent des populations vers ce centre. Le lieu central possède, donc, une armature socioprofessionnelle plus étoffée que les localités qui font partie de « son hinterland moins différencié ». Appliqué à notre terrain d'étude, les bourgs marchands devraient accumuler davantage de fonctions centrales que les villages qui gravitent autour de leurs marchés. On pourrait dire qu'il existe une division spatiale du travail au sein de chaque petit pays.
4La centralité d'un lieu n'est jamais facile à définir en termes absolus ; aucune méthode n'existe aujourd'hui pour la déterminer qui serait valable universellement. Néanmoins, grâce aux travaux d'un géographe canadien, J. U. Marshall, il est possible de construire un indice de centralité pour un ensemble de communes orientées autour du même marché. Cet indice semble refléter assez fidèlement la réalité dans une région peu industrialisée offrant un nombre relativement faible de professions différentes3.
5Le tableau qui suit présente les principaux résultats des relevés de métiers non agricoles pour plus d'une centaine de communes de la Haute-Garonne et des Hautes-Pyrénées entre 1798 et 1906. Les lieux de marché accumulent toujours un pourcentage de centralité supérieur à celui des autres villages. La plupart de ces communes sont également des chefs-lieux de canton ; leurs fonctions administratives complètent et renforcent leur force d'attraction commerciale. Le cas de la dernière commune citée, Baziège, est différent ; son marché hebdomadaire constitue son seul atout face aux foires mensuelles et au statut de chef-lieu de Montgiscard. Ces deux communes voisines forment, en fait, le centre du canton. Mais grâce au rayonnement de son marché, Baziège a réussi à conserver une armature socioprofessionnelle plus forte que celle de sa rivale.
6Les lieux de foire viennent ensuite avec un pourcentage nettement plus faible que celui des marchés mais très supérieur à ce que l'on trouve dans des villages sans aucun commerce périodique. La présence de foires dans une localité semble être le signe d'une centralité naissante ou déclinante, en tout cas de faible importance. Prenons le cas d’Auriac à la fin du XVIIIe siècle et au début du XXe siècle. Sous l'Ancien Régime, cette communauté possédait le droit de tenir un marché, mais celui-ci est toujours resté assez peu prospère à côté du marché de Caraman. Sous la Révolution et durant le XIXe siècle, le marché d'Auriac est une sorte de fantôme qui finit par ne plus exister du tout. Son déclin se lit dans la baisse de son indice de centralité qui passe de plus de 20 % en 1798 à moins de 10 % en 1906. La perte d'Auriac profite intégralement à Caraman qui renforce son hégémonie sur les communes de son canton avec des foires et marchés dont la prospérité ne s'est jamais démentie.
7Les derniers maillons de la chaîne, les villages, manifestent un très faible taux de centralité. Ils possèdent peu d'artisans ou de commerçants ; leur population est majoritairement composée d'agriculteurs.
TABLEAU 13. CENTRALITÉ DES LIEUX DE MARCHÉ, DE FOIRE ET DES VILLAGES4

Métiers de village, métiers de bourg
8Jusqu'ici nous avons pu constater que le bourg se distingue du simple village par son contingent de services plus nombreux et plus complet. Mais une question reste à poser : y-a-t-il un type de service au village et un autre au bourg ? Quelle division du travail s'opère entre le bourg et son plat pays ? La réponse à cette question se trouve dans la théorie économique classique, adaptée à la géographie5. Il est raisonnable de présumer que tandis que le coût d'un bien augmente, la quantité demandée diminue. Etant donné que le prix de transport constitue une partie du coût d'un bien (ou d'un service), il est logique de conclure que la quantité demandée diminue avec l'augmentation de la distance. Une certaine distance dépassée, la demande tend vers zéro, car l'acheteur potentiel trouvera les frais de transport trop onéreux par rapport à la valeur du bien. Chaque bien (ou service) a donc un rayon (que les anglo-saxons appellent range) au-delà duquel on ne le demande plus ; ce rayon est variable selon que le bien est plus ou moins cher. En général, on se déplace plus loin pour chercher un objet de forte valeur que pour en acheter un de faible valeur. Dans le temps, ce rayon varie également avec la possibilité de nouveaux moyens de transport plus rapides et moins chers.
9Pour un fournisseur, le rayon du service proposé a une importance primordiale. Toute entreprise doit être fréquentée par un certain nombre de clients si elle veut survivre. Ce seuil minimum est variable selon le bien ou le service offert. Si, par exemple, un artisan a besoin d'une population seuil de 5 000 habitants pour vivre de son métier, mais si à l'intérieur du rayon dans lequel le bien qu'il propose est demandé n'habitent que 3 000 consommateurs, son entreprise risque fort d'échouer. Il lui faudra changer soit de métier (le nouveau exigeant une population seuil plus proche de 3 000) soit de lieu, soit combiner deux emplois.
10D'après ces deux critères – rayon et seuil – nous pouvons théoriquement expliquer l'emplacement des différents services dans l'espace du marché. Dans les villages, nous devrions trouver des services ayant un faible seuil de clientèle. Plus nous montons dans la hiérarchie des lieux centraux, plus nous devrions trouver des services à seuil élevé qui s'ajoutent à tous les autres services offerts au village.
11Ce que nous rencontrons concorde-il avec la théorie ? Examinons d'abord les services les plus répandus dans l'espace vers 1800 ; ils correspondent aux services à seuil faible : le meunier, le forgeron, le tisserand, le tailleur, le charpentier, l'aubergiste, le marchand. Ce sont les métiers de base d'une société rurale à l'aube du XIXe siècle. Le meunier, avant tout, bénéficie du mauvais état des routes qui empêche les céréales de circuler très loin. Parce que la plupart des grains qui passent par le moulin du village sont destinés à l'autoconsommation, la proximité joue un rôle essentiel. Le transport du grain coûte très cher, donc on limite les frais en le faisant moudre près du lieu de production. Le forgeron et le maréchal-ferrant travaillent eux aussi presque exclusivement pour une clientèle paysanne à qui ils fournissent les outils de production – araires, faucilles, fers pour les bêtes. De même le tisserand, le tailleur et le charpentier œuvrent au bénéfice d’un marché restreint. Ainsi cette armée d'artisans vivant dans les villages et à la campagne nourrit, loge, habille et outille les paysans.
12L'aubergiste et le marchand ont des fonctions quelque peu différentes. Le premier vend ce que nous appelons actuellement un loisir – la boisson et son ambiance. En même temps, un grand nombre d'aubergistes exercent une autre profession : boulanger, blatier, entrepreneur, voiturier... Ils sont très impliqués dans le commerce et le transport des subsistances et de ce fait semblent souvent être des relais entre le commerce villageois et les échanges plus lointains. Par ce biais, les aubergistes peuvent être partiellement assimilés aux marchands dont l'objet de commerce est extrêmement variable et rarement spécifié dans les documents de l'époque. Ce groupe très hétéroclite est surtout important comme intermédiaire entre monde rural et monde urbain.
13Quels métiers villageois trouve-t-on au début du XXe siècle ? On remarque la présence maintenue du forgeron, du meunier, du charpentier et du tailleur, ce qui souligne l’importance de ces métiers de base dans la vie quotidienne. Disparaissent de la liste le tisserand, l'aubergiste et le marchand. Le cas du tisserand est le plus facile à comprendre – la Révolution industrielle est passée par là, et la fabrication des étoffes s'est concentrée dans de grandes unités de production situées désormais dans les centres urbains. Aubergistes et marchands semblent être victimes de la concentration commerciale qui s'opère au bénéfice du bourg ainsi que d'une certaine spécialisation du commerce de détail. Les nouveaux venus – la couturière, le charron, l'épicier et le cordonnier – répondent aux transformations de la demande des populations rurales. La couturière vient compléter le tailleur, hommes et femmes achetant davantage de vêtements que par le passé. Le cordonnier satisfait à une demande nouvelle de chaussures en cuir, maintes fois réparées, qui remplacent de plus en plus les sabots. Le charron doit sa place à l'essor des transports. Avec l'amélioration des routes et une agriculture tournée davantage vers le commerce, chaque famille paysanne rêve de devenir propriétaire d'un moyen de transport personnel. De plus en plus, les agriculteurs commandent tombereaux, charrettes et jardinières chez le charron. L'augmentation du nombre de véhicules est confirmée par de nombreux arrêtés municipaux de la fin du XIXe siècle qui tentent de résoudre le problème nouveau du stationnement et de la circulation autour des bourgs lors des foires et marchés. L'épicier remplace enfin certains aubergistes et marchands qui étaient aussi des détaillants de produits d'épicerie. C'est lui qui vend désormais le sel, le sucre, l'huile, les pâtes et mille autres produits de première nécessité. Il fait du troc avec ses clientes, échangeant ses produits contre des œufs frais, de la volaille, des fruits et légumes de saison. Il est le commerçant le plus proche des populations rurales, souvent le seul à être présent dans les villages.
14L'artisan et le commerçant de village exercent couramment plusieurs métiers à la fois. En général, ils ont un pied dans les affaires et l'autre dans l'agriculture. Ou bien, comme nous l’avons vu chez les aubergistes, ils cumulent des types de services différents. Ceci est particulièrement manifeste dans les listes de patentés de l'an V. Vers 1800, à Aurignac, par exemple, on relève deux boulangers aubergistes, un aubergiste boucher, un aubergiste marchand et un aubergiste presseur d'huile. Ces aubergistes élargissent leur clientèle potentielle tout en restant, pour la plupart, dans le commerce des produits alimentaires. Dans le canton de Caraman, d'autres combinaisons existent qui tendent vers la même diversification, vers l'élargissement de la clientèle par l'offre d'une série de produits en rapport les uns avec les autres. Un boucher est aussi marchand de cuir et de peaux, un maçon se double d'un tailleur de pierre, un charpentier se fait menuisier. Un dernier exemple présente le cas extrême d'un homme très entreprenant qui a payé la patente (15 francs) pour les activités de droguiste, épicier, marchand de laine, marchand d'eau-de-vie, marchand de grains au détail !
15Ce phénomène des métiers multiples s'explique par la difficulté qu'ont artisans et commerçants à remplir les conditions de rentabilité de leur entreprise, telles que nous les avons définies. Notre boucher de Caraman sait qu'il ne vivra pas de la seule vente de viande. Au lieu de livrer les peaux des animaux abattus à d'autres artisans, il en fait commerce lui-même, étant déjà bien situé dans les circuits commerciaux d'animaux de boucherie. Ainsi, il possède certainement deux clientèles assez distinctes, une très locale pour la viande, une autre, plus lointaine, pour les peaux et le cuir. Le paysan artisan règle le problème d'une autre manière ; au lieu d'élargir son marché, il limite sa propre demande, la production agricole lui permettant de baisser artificiellement le seuil de survie de son entreprise non agricole.
16Tournons-nous à présent vers les métiers à seuil élevé que l'on trouve le plus souvent en haut de la hiérarchie des places centrales. Ces métiers donnent au bourg son caractère de vrai centre commercial et artisanal, marquant nettement ce qui le distingue d'un simple village. Les tableaux rassemblent les professions qui se trouvent uniquement sur les lieux de marché pour les deux dates étudiées. Deux types se dégagent : le premier, le plus nombreux, regroupe des métiers relativement spécialisés, mais qui ont une clientèle socialement très large ; le second concerne des professionnels travaillant pour une clientèle plus restreinte. Prenons le cas du bourrelier qui fabrique et vend des articles en cuir très utilisés à la campagne – harnachements, courroies... Tout le monde a besoin de lui pour équiper des bêtes de somme ou de trait, pour réparer des harnais endommagés. Cependant, on ne fait pas appel au bourrelier tous les jours. Il voit un grand nombre de clients sans pour autant retrouver les mêmes très souvent. Dans un tout autre registre, le médecin et le notaire font partie de ce premier type de service. Nous verrons plus tard comment travaillent ces deux professions libérales, mais nous pouvons déjà noter que, comme le bourrelier, le médecin et le notaire ont une clientèle potentielle qui inclut toute la population à l'intérieur de leur rayon d'action.
17A la différence de ces services « universels » mais occasionnels, le second groupe compte sur une clientèle moins nombreuse car limitée à certains groupes sociaux : membres des classes aisées et habitants du bourg non agriculteurs. On peut estimer par exemple que ce sont des femmes aisées qui emploient les services de lingères et de repasseuses. De même, ce ne sont pas des agriculteurs qui achètent du lait chez le laitier ou de la viande de porc chez le charcutier. Ces divers métiers peuvent s'épanouir au bourg car c'est le seul endroit, à l'échelle locale, susceptible de les faire vivre. En premier lieu, la concentration de la population fait qu'automatiquement, tout service a déjà à proximité un pourcentage important des habitants du pays, un ensemble qui recouvre souvent l'équivalent d'un canton. Ajoutons en second lieu l'attraction du marché hebdomadaire : plusieurs centaines, voire des milliers de personnes fréquentent les commerces et y laissent d'importantes sommes d'argent. Ainsi les artisans, commerçants et membres des professions libérales du bourg vivent aussi bien de la demande extérieure que de celle qu'ils déterminent eux-mêmes. Avec une économie rurale de plus en plus ouverte au commerce à la fin du XIXe siècle, le bourg attire de nouveaux services, crée de nouvelles demandes d'autant plus que chaque nouvel acteur fait croître la demande globale de services. L'agent d'assurances d'Aurignac ou de Caraman, représentant type de l'économie nouvelle, vit certainement des contrats passés avec les agriculteurs du canton, soucieux de se mettre à l’abri des catastrophes naturelles telles la grêle, l’incendie ou la perte de bétail. En tant que consommateurs, lui et sa femme risquent fort de faire travailler bon nombre d'artisans et de commerçants dont la plupart vivent au bourg. Pour son travail, il a besoin du charron, du bourrelier, du maréchal-ferrant. Pour s'habiller, le couple est le client de tailleurs, couturières, modistes, corsetières, négociants en chaussures. Ils commandent des chaises chez le chaisier, une horloge chez l'horloger, le ramoneur vient nettoyer la cheminée tous les ans. Il est permis de croire que notre homme et sa famille, moyennant un certain succès, consomment beaucoup plus de biens et de services que la famille paysanne moyenne du Comminges ou du Lauragais. C'est à la fois une question de pouvoir d'achat et de genre de vie.
TABLEAU 14. MÉTIERS EXERCÉS EXCLUSIVEMENT AU BOURG PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

Le rendez-vous des producteurs ruraux
18D'un côté, donc, des campagnes à la structure sociale relativement peu différenciée, de l'autre, des bourgs et petites villes aux secteurs secondaires et tertiaires plus riches. Il convient maintenant de s'interroger sur le rôle des foires et marchés dans l'activité de l’ensemble des prestataires de services, qu'ils soient ruraux ou citadins. Comment utilisent-ils le réseau du commerce périodique ? Le jour de foire ou de marché se distingue-t-il des autres jours ? Afin de répondre à ces questions, nous présenterons quatre dossiers sur différents types de professionnels auxquels les habitants des campagnes et des bourgs faisaient fréquemment appel : producteurs ruraux, engagés dans des activités protoindustrielles ou exerçant des métiers plus traditionnels ; prestataires de services administratifs (percepteurs, notaires et juges) ; professionnels médicaux et enfin usuriers. Dans chaque cas, l'important est de comprendre comment ces professions s'insèrent dans le rythme des foires et des marchés.
19De notre discussion sur la répartition des services entre les villages et le bourg il est ressorti que certaines professions ont une implantation très diffuse. Le fait de se trouver en dehors du lieu central peut être avantageux dans la mesure où la concurrence locale est plus faible ; cependant, l'isolement relatif du village et l'habitat dispersé des campagnes toulousaines rendent la vie difficile à l'artisan villageois. Pour tenter d'élargir son rayon d'action, entrer en contact avec ses clients habituels, s'approvisionner en matières premières et, finalement, écouler ses marchandises, il utilise le réseau des marchés et des foires.
20On sait que les industries rurales se sont beaucoup développées aux XVIIe et XVIIIe siècles avant de reculer sous les coups des machines et de l'élargissement des marchés au cours du XIXe siècle6. Profondément enracinées dans la vie agricole régionale, ces industries élémentaires transformaient le bois, l'argile, la laine, le lin et le chanvre en marchandises susceptibles de trouver acheteur sur les marchés locaux. S'il est impossible aujourd'hui de faire l'inventaire de la totalité des productions régionales, on peut néanmoins en énumérer quelques-unes et montrer leur présence dans le commerce. Au XVIIIe siècle et à un moindre degré au début du XIXe siècle, le secteur des textiles domine la protoindustrie. Les zones de forte production rurale se trouvent sur les marges de la région – Montagne Noire, Rouergue et Quercy, Pyrénées. Le plus important centre industriel du Rouergue est la petite ville de Saint-Geniez-d'Olt dont les marchés sous le Premier Empire concentrent la production des alentours :
Les jours de marché, la place de Saint-Geniez est couverte de pièces d'étoffes ou de chaînes de laine, apportées de 3 ou 4 lieues à la ronde, car la fabrication de l'intérieur de la ville n'est rien en comparaison de celle des environs7.
21D'un côté, le marché permet d’écouler des marchandises finies (les pièces d'étoffes), de l'autre, il approvisionne les tisserands en matières premières (les chaînes de laine). Dans le premier cas, il est probable que le produit quitte la localité pour rejoindre des circuits commerciaux extra-régionaux ; ces étoffes se vendent alors dans les foires plus spécialisées comme celles de Beaucaire, Montagnac, Pézenas ou Bordeaux. Dans le second, la laine filée retourne à la campagne avant de revenir à la ville transformée. On trouve le même genre de commerce au pied des Pyrénées et dans les vallées tout au long du XVIIIe et pendant la première moitié du XIXe siècle. Les étoffes de la vallée d'Aure se vendent sur le marché de Saint-Gaudens et dans d'autres marchés moins importants. C'est au cours de ces marchés que les gardes-jurés « visitent » et « marquent » les étoffes selon la réglementation alors en vigueur8. Un peu plus à l'est, dans le Couserans, les toiles de lin, spécialité locale, trouvent un débouché facile dans les foires de Saint-Girons, surtout celle du 8 septembre9. Autre production locale : le tricotage de bas de laine dans la région de Montréjeau. Voici comment un inspecteur des impôts décrit cette activité à la fin de l'Ancien Régime :
[C'est une] industrie cependant fort misérable et qui consiste depuis le plus grand jusqu'au plus petit, hommes et filles, dans le tricot de bas de laine que les mères de famille vont vendre sur les marchés de Montréjeau qui se tiennent tous les lundy et dont elles tirent quelque peu d'argent pour acheter le grain dont elles peuvent avoir besoin, et qui prouve bien le peu d'aisance de cette communauté [Cuguron]10.
22A Montréjeau, l'importance de ce commerce se signale par l'existence d'une place aux Tricots où ont lieu les transactions. Dans le même canton, on trouve trace d'autres petits marchés spécialisés dans la laine et son travail. A Saint-Plancard, des négociants des environs viennent apporter de la laine qu'ils livrent à crédit « aux femmes pour la filer », laine qui est ensuite achetée par des fabricants d'étoffes des villes voisines. Selon le conseil municipal, « ce commerce de laine et de fil attirait un si grand concours de monde dans ce marché que tous les habitants pauvres des communes voisines de Saint-Plancard trouvaient le moyen de se soustraire de l'indigence »11. L'emploi de l'imparfait dans ce texte de 1816 suggère que la situation décrite est celle du siècle précédent, donnée confirmée par ce que nous savons de la faible activité de cette commune au XIXe siècle.
23Les textiles ne sont pas l’unique objet d'industrie et de commerce, surtout après la Révolution. Des spécialités artisanales se développent dans maints villages, la production trouvant ses débouchés dans les foires et marchés de la région. Dans le Quercy, par exemple, des femmes valorisent la paille de seigle, rigide et blanche, par la fabrication de tresses, des palholes, pendant qu'elle gardent le troupeau ou durant les veillées. Ces tresses sont vendues à des chapeliers lyonnais dans les foires d'hiver de Puylaroque, Montpezat et Lalbenque12. Cette industrie féminine s'est développée localement avec la mise en place d’ateliers de chapellerie à Caussade et Septfonds. Une autre petite industrie est née vers le milieu du XIXe siècle autour de Grisolles avec la culture du sorgho dans la vallée de la Garonne. La graine est destinée au bétail, la paille aux balais. Au début, les balais sont fabriqués dans les fermes et vendus sur les marchés voisins – Grisolles, Grenade, Fronton. La fabrication industrielle intervient vers la fin du siècle, prenant appui sur l'élargissement des marchés grâce aux moyens de communication modernes13.
24A quelques kilomètres de là, à Ondes, modeste village de la rive droite de la Garonne, c'est le métier de sabotier qui occupe un grand nombre d'hommes selon le juge de paix de Fronton :
Ils [les sabotiers] portent leur marchandise à Toulouse et aux marchés de Fronton sur lesquels ils n'ont pas de concurrents et où ils trouvent les acheteurs en très grand nombre. Leurs relations commerciales sont là depuis un temps infini...14.
25Bernard Caussat, sabotier, affirme pour sa part : « Je fais des sabots qui se vendent bien au marché de Fronton – c'est avec cette commune que sont nos relations... »15. Il semble donc que les sabotiers d'Ondes, et sans doute leurs confrères d'autres villages, commercialisent personnellement le produit de leur travail, et que le marché constitue le lieu naturel de vente.
26Dernier exemple de cette production artisanale présente sur les places marchandes : la poterie. Dans la région toulousaine, le centre le plus important pour la poterie domestique se trouve à Cox, dont la production a aujourd'hui totalement disparu. Mais tout au long du siècle dernier, ce petit village de quelques centaines d'habitants partagés entre le travail agricole et celui de potier fournit des articles rustiques aux ménagères du Gers, du Tarn-et-Garonne et de la Haute-Garonne par l'intermédiaire des marchés locaux. Cette poterie est vendue soit directement par les producteurs sur les marchés les plus proches, soit par des rouliers qui sillonnent la région entre Auch et Toulouse, entre Saint-Gaudens et Montauban. On peut penser que chaque région avait son centre qui l'approvisionnait en articles de cuisine de qualité courante16.
27La protoindustrie se caractérise par le regroupement de producteurs dans des villages plus ou moins spécialisés. Mais il s'agit d'une minorité par rapport à la masse d'artisans des villages et des bourgs engagés dans les métiers typiques du monde rural. Eux aussi doivent se procurer des matières premières, trouver des clients, écouler leur marchandise. Quelques exemples nous éclaireront sur le fonctionnement de ce monde peu connu des artisans ruraux.
28Le 12 mars 1835, Jean Lasserre, tanneur de son état, rencontre sur le marché de Montréjeau Pierre Anglade, cordonnier. Le tanneur a apporté du cuir au marché dans l'espoir de trouver des acheteurs. Le cordonnier, lui, est venu pour s'approvisionner en cuir. Se retrouvant sur le marché, les deux artisans concluent leur affaire sans problème. Mais acheter du cuir n'était qu'un des objectifs du cordonnier ; il cherche aussi à débusquer des clients pour ses souliers. La femme Dupuy lui commande une paire de souliers livrable le dimanche suivant. Anglade accepte à condition qu'elle règle une autre paire restée impayée depuis un an, ce qu'elle fait. Jusqu'ici tout le monde est satisfait, le marché a joué pleinement son rôle de centralisateur de l'offre et de la demande. Mais si cette histoire nous est connue, c'est parce que la femme Dupuy faisait son marché avec de fausses pièces de 5 francs, ce qui explique sans doute sa soudaine capacité à régler de vieilles dettes et à passer de nouvelles commandes17 !
29Le tailleur d'habits est un autre habitué de la place. Pierre Cassagne est un tailleur de campagne sans envergure. Domicilié près de Saint-Gaudens, il a l'habitude d'exercer son métier dans des métairies des environs, où il loge avec son apprenti. Le jeudi 29 février, il se rend au marché de la sous-préfecture où il passe la journée. Son récit de cet après-midi est extrêmement précieux. Jugeons-en :
A mon arrivée à Saint-Gaudens j’allais d'abord me faire raser chez Sensat. De là j'allais chez M. Moura avocat pour lui rendre un habit. M. Moura n'étant pas chez lui j'allais déposer l'habit chez la nommée Louise femme du portugais derrière l'hôtel Mezan. Après cela je m'établis sur la place pour y voir mes diverses pratiques ainsi que cela se pratique dans notre profession... Quand j'eus terminé mes affaires à la place et que je pus croire M. Moura chez lui j'allais retirer l'habit chez Louise et je le portai à M. Moura. Celui-ci étant occupé me dit de repasser pour me payer. Je revins enfin chez M. Moura lorsque toutes mes affaires furent terminées. Il me paya et je me retirai immédiatement à la métairie de Dastre18.
30Ses activités se résument ainsi : se faire raser, livrer un costume, se faire payer, s'installer sur la place où il rencontre clients habituels et potentiels. L'ordre de ses déplacements n'est certainement pas dû au hasard. Après son séjour à la métairie où les conditions d’hébergement ne devaient pas être les meilleures, il se rend directement chez le barbier qui soigne son apparence. Enfin présentable, il essaie de se débarrasser de l'habit qui, sans doute, l'encombre. Mais il veut également être payé car il a probablement quelques achats à faire. Finalement, il cherche à rencontrer « ses pratiques », phase clef de la journée car il doit fixer ses prochains rendez-vous. Le tailleur d'autrefois se déplaçait souvent, allant travailler chez ceux qui avaient commandé des vêtements. Pendant ce bref séjour, il était logé et nourri par ses clients. Quand le temps était venu de les quitter, le tailleur espérait avoir déjà une commande ferme. Comme le montre Cassagne, c'est le marché qui en fournit la meilleure occasion : il trouve d'ailleurs sur la place sa prochaine cliente, Jeanne Toulouse, qui a raconté leur rencontre aux autorités. Voyant le tailleur en face de l'église, elle lui dit :
Je vous trouve fort à propos, car je suis venue à Saint-Gaudens exprès pour vous parler. Mes petits enfans sont nus. J'ai absolument besoin que vous veniez leur faire une paire de pantalons à chacun. – Allez, me dit-il. J'irai. Qu'ey aneré19.
31Si le passage précédent illustre l'utilisation du marché par l'artisan, celui-ci montre comment les consommateurs viennent y rechercher les services qu'on leur propose ce jour-là.
32A la fin du XIXe siècle, les progrès de l’alphabétisation et des moyens de communication permettent à certains artisans dynamiques un nouveau contact avec leurs clients. La diffusion des journaux, surtout en période électorale, touche une population plus large et plus populaire que dans le passé. Toutefois, le rendez-vous au marché est maintenu si l'on juge par cette publicité parue dans un journal d'Auch en 1891 :
M. Bessagnet [marchand tailleur à Auch] prévient... ses clients qu'il se rend régulièrement dans tous les marchés des environs, et très désireux de leur donner toute satisfaction, il emporte des échantillons des Draperies qu'il a en magasin afin de pouvoir, de cette façon, prendre mesure sans aucun dérangement pour eux, et leur rapporter à la huitaine les costumes confectionnés à leur goût20.
33A la frontière entre l'artisanat et le commerce, Bessagnet possède donc un magasin à Auch, mais cela ne l'empêche pas de rayonner autour du chef-lieu à la recherche de clients dans les marchés.
34Quand le cordonnier Anglade et le tailleur Cassagne vont au marché, leur souci commun est de se faire payer le travail qu'ils ont effectué. Parfois, aucun problème ne se pose ; M. Moura, avocat de Saint-Gaudens, règle à la livraison le prix de son habit. D’autres fois, l'artisan fait crédit. Une telle politique, absolument nécessaire pour garder sa clientèle, rend des pertes inévitables. Ainsi le cordonnier attend un an avant d'être payé, et encore avec une fausse pièce ! Le problème doit être courant et c'est pourquoi la fréquentation du marché se révèle toujours utile. François Rigal, tailleur à Vazérac, en fait l'expérience un jour de foire à Lafrançaise (1896). Quelque temps avant il a fait un costume pour Jacques Longueville, ouvrier agricole, qui lui en doit toujours le paiement. Quand ils se revoient enfin à la foire, Rigal le traque – « quand il me voyait à droite, il allait à gauche ; enfin je l'attrapai, il me dit qu'il paierait, mais il me doit encore »21. Nous ne saurons jamais si les intentions de Longueville étaient vraiment sincères car il fut arrêté quelques jours après pour l'assassinat de son patron.
SERVICES ADMINISTRATIFS
35Les Français du siècle dernier, en particulier les habitants des campagnes, avaient probablement moins besoin de services administratifs et légaux que leurs compatriotes actuels. Au village, le maire fournissait les services essentiels allant de l'enregistrement des actes de l’état civil à la livraison de certificats de résidence et de bonne moralité pour ceux qui en avaient besoin. Près de ses concitoyens, le maire entrait en contact avec ses administrés principalement à l'intérieur de la commune. La plupart des autres affaires administratives devaient être réglées en dehors de la commune, ce qui exigeait un déplacement coûtant temps et argent. Payer ses impôts, consulter un notaire, comparaître devant le juge de paix nécessitaient une visite au bourg dont le jour de marché constituait l'occasion. Evidemment, il fallait aussi que le percepteur, le notaire et le juge de paix se prêtent au jeu.
Percepteurs
36La perception des impôts était organisée à l’échelle cantonale ; en général chaque canton comptait deux percepteurs, un au chef-lieu et l'autre dans un village important. Selon la résidence du percepteur, la méthode de recouvrement variait quelque peu. Celui qui habitait un village sans marché devait visiter assidûment chaque commune de sa circonscription, où il installait un bureau temporaire à peu près une fois par mois. En plus de cette tournée, il se rendait sans doute aux marchés voisins fréquentés par ses « clients ». Le percepteur qui habitait dans un lieu de marché avait moins de trajets à faire car il pouvait compter sur le passage de la plupart des contribuables au moins une fois par mois.
37Du point de vue des contribuables, il était commode, sinon agréable, de pouvoir payer ses impôts en même temps que l'on s'occupait d'autres affaires. Les instituteurs de 1885 ont été plusieurs à remarquer ce fait. En haute montagne, dans la vallée d'Oueil, les habitants de Saint-Paul « ... profitent des jours de marché et de foire pour acquitter leurs contributions chez le percepteur qui réside au chef-lieu de canton »22. A Eoux, près d'Aurignac, « les contribuables ont tellement l'habitude d'aller au chef-lieu de canton verser leur quote part, que lors du passage du percepteur, il n'y a que des répartiteurs qui se présentent »23.
38Pour le percepteur et son administration cette habitude était à encourager car elle favorisait le prompt paiement des impôts. Les foires et marchés étant des lieux d'intense circulation monétaire, les paysans pouvaient avoir suffisamment d'argent en poche pour satisfaire les besoins du fisc. Plusieurs percepteurs ont souligné ce détail à leurs supérieurs dans l'espoir de justifier un changement ou un maintien de leur résidence. L'argument du percepteur Serran quand il sollicite la permission de rester chez lui à Puymaurin en 1825 est instructif à cet égard :
Il est vrai que L'Isle-en-Dodon a l'avantage d'avoir des marchés hebdomadaires et des foires mensuelles, aussi le percepteur dans ses intérêts bien d'accord avec ceux du Trésor et de tous les contribuables ne manquera jamais de passer ces jours-là à L'Isle-en-Dodon, et même le lendemain ; de manière qu'aussitôt que l'argent sera pris au marché ou à la foire, le contribuable aura toujours la facilité de le remettre immédiatement à son percepteur ; et s'il se retarde dans ses paiements, ce ne sera point le percepteur qui lui manquera, mais seulement l'argent ou la volonté24.
39Autrement dit, la résidence compte moins que la fréquentation du bourg lors des grands rassemblements commerciaux. Dans le même registre, le percepteur de Saint-Aventin demande de pouvoir s'installer à Bagnères-de-Luchon :
Les contribuables étant forcés de descendre à Bagnères pour y vendre leurs denrées, il leur serait plus convenable de s'acquitter avant d'en reporter le produit chez eux qui est employé à d'autres objets non moins importants ce qui les expose souvent à supporter les frais inévitables25.
40Les percepteurs ont donc bien compris à quels moments l'argent circule et entre dans les porte-monnaie de la population rurale. Ils se sont rendu compte que l'Etat était en concurrence avec d'autres besoins ; il fallait donc prélever la part du Trésor avant que cet argent ne disparaisse du circuit monétaire pour être caché dans des bas de laine et ne plus réapparaître pendant des mois ou des années.
Notaires
41La vénérable institution du notariat est si largement implantée sur tout le territoire qu'il est impossible de conclure à un rapport direct entre ses activités et le réseau commercial. En 1824, moins de la moitié des notaires de la Haute-Garonne résident dans les bourgs marchés (Toulouse exclu). Le cas de Toulouse est exceptionnel car sa population et son importance économique régionale permettent à la ville d'entretenir 14 notaires sur un total de 56 pour son arrondissement26. Il faut noter cependant que si la grande majorité des villages ne possèdent pas d'étude notariale, quasiment tous les centres commerciaux en comptent au moins une. La seule exception paraît être Longages, porté sur le tableau des marchés de 1823, mais l'existence réelle de son marché semble bien douteuse. Il reste à voir si les affaires du notaire suivent les rythmes du bourg, c'est-à-dire ont une activité plus grande le jour de marché que les autres jours de la semaine.
42Pour analyser l'activité hebdomadaire des notaires, nous avons examiné d'abord des notaires de Caraman et d'Auriac dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (1771), puis leurs confrères du canton d'Aurignac au milieu du XIXe siècle (1857). Les actes notariés de l'année ont été répartis selon le jour de la semaine où ils furent passés. Nous savons qu’il y a un marché le mardi à Auriac et le jeudi à Caraman. Ce tableau fait ressortir combien l'activité notariale à Caraman subit l'influence de ses marchés, le jeudi occupant la première place. A Auriac, le jour de marché n’occupe que la seconde place, loin derrière le dimanche. Comment expliquer cette différence ? Tout simplement par le fait que le marché d’Auriac est presque inexistant. Une enquête du subdélégué de Toulouse sur les marchés de grains de sa circonscription en 1755 révèle qu'à Auriac, « les marchés... sont si peu considérables qu’à peine on y voit deux setiers de grain dans les marchés les plus nombreux... »27. Vingt ans plus tard, une nouvelle enquête provoque une réponse similaire :
43Il se tient un marché dans la présente ville le mardi de chaque semaine en vertu des lettres patentes accordées à cet effet, et que les marchés, quoique dans un lieu très bien placé pour le commerce de grains, sont très modiques28.
TABLEAU 15. RÉPARTITION HEBDOMADAIRE DES ACTES NOTARIÉS, 1771 (en %)29

44Autrement dit, l'étude notariale d'Auriac n'est pas bondée tous les mardis parce que les places publiques sont presque vides. Ce tableau nous propose deux modèles d’activité notariale : dans les villages sans marché, le rythme est similaire à celui d'Auriac ; en revanche, au bourg, le jour de marché apparaît immédiatement comme le jour où l'activité est la plus intense. Les déplacements se font donc en priorité les jours de marché et le dimanche, jour chômé où les habitants de la campagne sont libres pour réaliser toute une série de projets non agricoles : assister à la messe, rendre visite à des parents, boire dans les auberges, danser, jouer aux cartes, aux quilles, etc., aller chez le notaire. Le jour de marché ressemble beaucoup au dimanche pour ceux qui ont abandonné le travail de la ferme pour la sortie en ville – les divertissements sont similaires, la visite au notaire aussi.
TABLEAU 16. RÉPARTITION HEBDOMADAIRE DES ACTES NOTARIÉS, CANTON D'AURIGNAC, 1857 (en %)30

45Les notaires, comme les autres fournisseurs de services, peuvent profiter de leur position dans un bourg commerçant pour recruter une clientèle plus nombreuse et venant de plus loin que celle de leurs confrères villageois. Ce partage est nettement favorable aux notaires d'Aurignac qui font passer davantage d'actes et ont un rayonnement plus étendu que leurs collègues d'Aulon et d'Alan. Là où les notaires des deux villages recrutent le gros de leur clientèle dans seulement cinq ou six communes avoisinantes, les deux du bourg rayonnent sur plus d'une douzaine de villages. Sur l'ensemble des actes passés dans le canton en 1857, les deux notaires d'Aurignac en totalisent presque 64 %, tandis que leurs deux confrères villageois n'en comptabilisent que 36 %.
46A l'autre bout du département, dans le Lauragais, le même modèle se dessine autour de Caraman. Nous avons enregistré les notaires utilisés par des couples qui se sont mariés entre 1853 et 1862 dans le canton de Caraman. Au lieu d’avoir une photographie de la clientèle par étude, il s'agit cette fois d’examiner la fréquentation des notaires du point de vue du consommateur. En plus de la très nette hégémonie des notaires caramanais, il faut noter que près de 85 % des contrats de mariage sont passés à l'intérieur du canton ; ce chiffre reflète la très grande endogamie qui règne en milieu rural à l'époque. La grande majorité des mariages unissant deux habitants du canton, il est naturel de faire appel aux notaires qui se trouvent à proximité. Les assises territoriales du chef-lieu ressortent clairement : sur les 19 communes du canton, 9 passent la majorité de leurs contrats de mariage à Caraman. Trois communes seulement fréquentent aussi assidûment Loubens et seuls les habitants d'Auriac passent la majorité des contrats chez leur propre notaire. Finalement six communes partagent leurs affaires entre plusieurs études. A la fois chef-lieu et principal marché de son canton, Caraman donne un avantage considérable aux deux notaires qui y résident.
TABLEAU 17. CONTRATS DE MARIAGE PASSÉS PAR DES HABITANTS DU CANTON DE CARAMAN, PAR LIEU DE RÉSIDENCE DES NOTAIRES, 1853-1862 (en %)31
Caraman * | 45,6 | Cuq-Toulza | 0,8 |
Auriac * | 21,9 | Lanta | 0,6 |
Loubens* | 17,2 | Lavaur | 0,6 |
Saint-Julia | 3,5 | Revel | 0,5 |
Saint-Félix | 2,1 | Mourvilles-Hautes | 0,5 |
Baziège | 1,4 | Puylaurens | 0,5 |
Villefranche | 1,4 | Balma | 0,3 |
Verfeil | 0,9 | Lavalette | 0,3 |
Toulouse | 0,9 | Montgiscard | 0,1 |
Bourg-Saint-Bernard | 0,9 | Villenouvelle | 0,1 |
(* Notaires du canton de Caraman)
47Une autre façon de démontrer le rapport entre notaire et marché consiste à examiner les actes passés dans une commune à deux dates, avant et après la création d'un marché qui a réussi son implantation. C'est le cas de Cadours, au nord-ouest de Toulouse, où la création du marché date de 1830.
TABLEAU 18. RÉPARTITION HEBDOMADAIRE DES ACTES NOTARIÉS À CADOURS, EN 1818 ET 1854 (en %)32

48De la Restauration au Second Empire, deux jours ont progressé, le dimanche (+ 25,7 %) et le mercredi, jour de marché (+ 69,1 %). Tous les autres jours de la semaine, la fréquentation de l'étude notariale a diminué. Non seulement le nouveau marché a modifié la semaine du notaire, mais il a contribué à une plus grande prospérité de l'étude, le nombre d'actes ayant presque triplé entre les deux dates.
49Ces exemples suggèrent que l'existence d'un important marché a des conséquences directes sur le nombre de clients du notaire, sur leur aire de recrutement et sur les jours de la semaine où l'étude est fréquentée. L'étude peut vivre sans le marché tout comme la plupart des autres services dont il a été question dans ce chapitre ; le marché n'est évidemment pas responsable de son existence, mais il modèle l'offre et l'utilisation du service par le public.
Juges de paix
50Comme le percepteur et le notaire, le juge de paix, à première vue, n'a pas grand-chose à voir avec les foires et marchés. Sauf, peut-être, si ces rassemblements périodiques fournissent aux magistrats cantonaux des conflits à régler. Toutefois, une série de faits reliés entre eux rend le rapport des juges de paix avec le marché tout à fait logique. 1° le siège de la justice de paix est situé au chef-lieu de canton ; 2° dans beaucoup de départements les chefs-lieux sont aussi des marchés ; 3° les marchés attirent un nombre considérable de personnes non seulement pour acheter et vendre des produits d'agriculture et d'élevage mais aussi pour profiter des services qui y sont disponibles ; 4° chaque juge doit tenir une audience publique au moins un jour par semaine. Alors, quel jour choisira-t-il ? En 1880, le département de la Haute-Garonne compte 35 cantons en dehors des 4 cantons toulousains. Parmi eux, 32 possèdent un marché au chef-lieu. Quand nous consultons l'Annuaire du département de 1880, nous apprenons que le juge de paix organise son audience le jour du marché dans 25 cantons. Dans plusieurs chefs-lieux, il est également disponible un autre jour de la semaine, mais la coïncidence entre les audiences et les jours de marché est nette33. Au début du XXe siècle dans l’Aveyron, 28 cantons sur 43 possèdent un marché ; dans 21, le jour de marché coïncide avec une audience du juge de paix34. Comme bien d’autres, les juges de paix se conforment aux rythmes qui ponctuent la vie rurale, et en particulier au rythme hebdomadaire des marchés.
51Au début de ce chapitre, nous avons fondé notre analyse sur des documents fiscaux (listes de patentés) et des dénombrements de la population. A partir des métiers représentés dans les cantons, nous avons pu nous rendre compte de l'organisation des services à l'échelle locale. Toutefois, ces listes de métiers sont incomplètes. Si nous y trouvons les médecins, le charlatan, l’arracheur de dents et le guérisseur en sont absents. De même, aucune liste ne fait mention de l'usurier. Nous savons pourtant que ces métiers existaient, que des hommes et des femmes les exerçaient et gagnaient ainsi leur vie. La fin de ce chapitre sera donc consacrée à des personnages que l'on trouve un peu au hasard des archives et des lectures. Ils sont là pour nous rappeler que la population fait souvent appel à des services que les autorités ne reconnaissent pas et, parfois, répriment.
PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ
52Parmi les personnages qui hantent foires et marchés il faut signaler le médecin et son rival acharné, le guérisseur. En effet la médecine officielle n'a pas toujours eu le monopole de la lutte contre la maladie et la mort ; le guérisseur, face au représentant officiel de la science, parle un langage spécifique et mêle, dans son art, magie, science, croyance religieuse... et parfois l'expérience empirique de remèdes éprouvés. Une des arènes privilégiées de cette pittoresque compétition est le champ de foire ou la place du marché. On trouve ici, une fois de plus, l'illustration de cette tendance qui pousse les ruraux à chercher dans les marchés non seulement des marchandises à vendre ou à acheter, mais plus généralement tout ce qui n'existe pas ou existe peu dans leur village.
53Qui sont les professionnels de la santé ? Quels sont leurs clients ? Les réponses à ces deux questions ne sont pas simples car il faudrait analyser toutes les représentations de la maladie qui coexistaient dans nos régions au XIXe siècle. Si aujourd'hui on peut prétendre qu'un assez large consensus existe en ce qui concerne l’interprétation des maladies et le rôle des médecins, ce n'est nullement le cas pendant une bonne partie du siècle dernier. D'une part, le pouvoir de guérir des médecins reste toujours limité par les faiblesses de la science médicale et par les insuffisances de ses techniques. D'autre part, devant l'absence de résultats de la médecine officielle, une pléiade de rivaux peut prétendre à des guérisons aussi efficaces.
54Les causes mêmes de la maladie sont disputées : si le médecin ne peut pas guérir, peut-être faut-il en chercher les causes en dehors du monde strictement naturel. Ainsi la porte s'ouvre sur un monde parallèle à la médecine officielle où une multitude d'acteurs offrent leurs services et leur savoir à une population éprouvée par des ennuis de santé ou des « malheurs biologiques »35.
55Les sources proviennent en majeure partie des observations ethnographiques de folkloristes de la région et des archives judiciaires. La plupart des données datent de la fin du XIXe siècle, de 1870 à 1900 ; l'essor des études folkloriques pendant cette période explique cette concentration d'observations dans le temps. Dans sa thèse sur Les médecins de l'Ouest au XIXe siècle, Jacques Léonard suggère que le charlatanisme a connu son apogée en France pendant la première moitié du siècle dernier avant de tomber victime de la répression des autorités et du changement des mentalités36. Cependant, il ne présente pas d’argument décisif pour soutenir son hypothèse, laissant ainsi la question ouverte à d'autres recherches. Dans le Sud-Ouest il semble, d'après nos sources, qu'une assez large proportion de la population croit en l'efficacité des praticiens non officiels et recherche leur aide en temps de crise. Comme certains observateurs de la fin du siècle l'ont remarqué, beaucoup trop de gens « crédules » ou « superstitieux » continuaient de consulter des « charlatans », « devins » et « sorciers » au lieu de s'en tenir aux médecins diplômés. C'est pour mettre fin à cet état de choses que les folkloristes et les tribunaux ont tour à tour dénoncé la médecine populaire et ses praticiens. Du même coup, ils ont créé des sources écrites que l'historien peut utiliser.
Les médecins
56Lors de sa réunion du 7 mars 1854, le conseil central d'Hygiène et de Salubrité de la Haute-Garonne note « que c'est principalement les jours de foires et de marchés que les gens de la campagne viennent prendre des consultations et se pourvoir de médicaments dont la plupart du temps ils avaient depuis plusieurs jours un pressant besoin »37. Affaires et santé se traitent ainsi en même temps. Les médecins de campagne reconnaissent parfaitement cette tendance et ont, les jours de marché, les horaires de consultation les plus longs de la semaine38. Les ruraux y affluent dans l'espoir de mettre fin à leurs souffrances. C'est ainsi qu'en décembre 1861 le docteur Bezins à Montréjeau a reçu la visite d'une jeune haut-pyrénéenne venue demander un avortement39.
57Certains médecins, plus dynamiques ou plus pauvres que d'autres, prennent l'habitude de se rendre aux foires et marchés des alentours où ils s'installent dans une auberge près de la place ou du foirail. Les papiers privés d'un médecin bigourdan, étudiés récemment par une étudiante toulousaine, illustrent ce modèle de mobilité professionnelle. Le docteur Pédebidou pratiquait dans la région de Tournay pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Chaque semaine, plusieurs décennies durant, Pédebidou se rendit à Bagnères-de-Bigorre pour le marché : une distance de 32 kilomètres aller-retour. Environ tous les deux mois, il allait à Trie, encore plus loin, pour profiter des importantes foires du lieu : dans la décennie 1873-1883, cela lui procurait environ 6 % de ses revenus annuels lors des six foires de Trie40.
58Un autre signe du rapport entre la profession médicale et le système des marchés est moins direct : c'est la distribution géographique des médecins eux-mêmes. Des études dans plusieurs départements méridionaux montrent que la plupart des médecins ont préféré s'installer dans les centres urbains ou semi-urbains, notamment dans les chefs-lieux cantonaux. Cette préférence correspond à deux facteurs : d'abord, la présence d’un assez grand nombre de notables qui avaient l'idée et les moyens pécuniaires de consulter des praticiens régulièrement ; ensuite, la fonction marchande du bourg dont les rassemblements périodiques garantissent une clientèle populaire qui évite ainsi des déplacements inutiles et coûteux41.
59L'analyse de la répartition des services médicaux dans plusieurs départements du Midi toulousain entre 1865 et 1905 montre la corrélation avec le réseau commercial. Plus encore que les médecins, les pharmaciens recherchent des centres commerciaux pour leurs officines. Moins mobiles que les médecins, ils doivent s'installer dans un lieu central afin de favoriser l'accès à une clientèle nombreuse, attirée au bourg autant par le commerce que par le besoin de se procurer quelque médicament.
TABLEAU 19. MÉDECINS, PHARMACIENS ET PLACE MARCHANDE42

60Ici s'arrêtent nos informations sur les lieux de la pratique médicale dans cette région au siècle passé. Mais les médecins ne constituent que la partie statistiquement visible de l'iceberg médical. En dehors du cercle officiel et autorisé des docteurs en médecine, une multitude de praticiens exercent leurs talents ou leurs dons. On pourrait les mettre tous dans le même panier, en les nommant, sans discrimination, charlatans, sous le prétexte qu'ils exploitent la crédulité des masses avec leur thérapeutique sans efficacité. Toutefois, une telle approche cacherait plus de choses qu'elle n’en révèlerait car ces soignants paramédicaux abordaient la maladie avec des approches très différentes et dans beaucoup de cas, partageaient les mêmes systèmes de croyances que leurs patients.
Charlatans et arracheurs de dents
61Les charlatans et les arracheurs de dents ont le même rapport au public et la même tendance à la mobilité. Les uns et les autres recourent pour vendre leurs services à la publicité bruyante, haute en couleur. Voici comment l'écrivain dauphinois Pilot de Thorey décrit le charlatan type (1882) :
... [Ils] sont des dentistes, des joueurs de tours de passe-passe, des jongleurs, des marchands de baumes, d'eaux de senteur, en un mot des bateleurs de tous genres. Les uns s'affublent de costumes orientaux, les autres étalent aux yeux des spectateurs des chaînes d'or, des diamants, de riches parures. Ils sont en voiture ou à cheval, escortés de musiciens, de valets et de servants. A certaines époques, aux foires et marchés, ils encombrent les rues et couvrent les places. Ils vantent et prônent tant et plus leurs onguents, fioles et compositions qu'ils débitent à la foule ébahie, pressée autour d'eux43.
62Cette description, comme tant d'autres du même genre, souligne l'utilisation du spectacle comme support de la vente des médicaments. Par leur exotisme visuel et oral, les charlatans captivent l'attention de l'assistance et gagnent sa sympathie avant de dévoiler le véritable but de leur entreprise, la vente de « ces prétendues panacées universelles »44. Imaginez la réaction des aveyronnais devant les harangues d'un italien nommé Mascoumiéry dont le langage était, semble-t-il, assez énergique et plaisant, « tant par la prononciation que par le style » :
Je biens de guarir le douc Douiez qu'il est mort... Que l'on bous diso le roi de Prousso il est mort, ça il n'est rien ; que le papo il n'est plus, ça il n'est rien ; que l'emperour il est mort, ça il n'est rien ; mais si bous apprenez que Mascoumiéry il est mort, tout est pardou pour l'houmanité45.
63Il vantait les bienfaits d'une eau merveilleuse qui guérissait mille maladies. Chaque fiole était accompagnée d'un imprimé qui en expliquait l'usage. Il concluait sa prestation en criant : « Vous lirez la fiolo, bous aboierez l'emprimé, et vous sarez guari coumo auparabant ! » Comment résister ?
64Souvent, le charlatan était un faux médecin, sa crédibilité auprès du public venant non seulement de la valeur thérapeutique de sa panacée mais aussi de ses diplômes, attestations et autres gages d'efficacité scientifique. Louis-Henri Cléret, dentiste ambulant et charlatan pendant le Second Empire, faisait savoir qu'il possédait un diplôme de docteur en Médecine de l'Université de Montpellier et un autre de celle de Paris. Un jour, le 7 février 1859, il faillit être dénoncé aux gendarmes de Salies-du-Salat à cause de son faux diplôme. Ironie de l'histoire, celui qui le menaçait était lui aussi un charlatan.
65Au marché de Salies, les deux hommes se rencontrèrent à l'auberge de Jean-Paul Duclos. Au milieu de l'après-midi, celui-ci les vit dans sa cuisine, engagés dans une « discussion assez vive ». Duclos raconte :
Lestier avait l'air de defier Cleret de montrer le diplôme qu’il prétendait avoir, il le qualifiait même de faux. Alors Cléret mit ce diplôme sur la table et m'appela pour que je puisse l'examiner. Je vis qu'il était censé d'être livré par la Faculté de Montpellier à M. L. H. Cléret en 1846. Lestier malgré cette exhibition persista à soutenir que ce diplôme n'était pas valable. Je n'entendis pas sa proposition de se rendre à la gendarmerie pour le soumettre au brigadier. Cléret ne parut pas affecté des doutes émis par Lestier. Il parut bientôt réconcilié avec Lestier puisque un moment après cette scène, je revins à la cuisine... et je trouvai les deux charlatans causant et buvant ensemble46.
66Finalement la solidarité entre gens de métier l'a emporté sur un possible désir de se débarrasser d’un rival.
67Si Cléret brandit son diplôme de Montpellier, Thomas Gineste de Salvignac-Saint-Loup met en avant sa longue carrière réussie, preuves à l'appui, dans les prospectus qu'il fait distribuer à Rodez le 2 juillet 1863, jour de foire. Il prétend avoir fait des expériences « sur plus de 30 000 personnes de tout âge et de tout sexe », et pouvoir « fournir au moins 2 000 certificats... » L’objet de tant d'expériences et de certificats ? « Un spécifique pour guérir le goitre et un autre contre les dartres »47. Même les plus sceptiques devaient s'interroger devant les « preuves » scientifiques qu'apportait Gineste. Les titres, les diplômes, la preuve statistique, des témoignages favorables sont parmi les méthodes éprouvées de l'art publicitaire. Cléret et Gineste figurent dans cette tradition avec beaucoup d'autres charlatans de leur temps (pour ne pas parler du nôtre).
68Faisant appel plus rarement à une prétendue science, l'arracheur de dents exerce son métier en public, tambour battant. Comme le charlatan, il séduit les clients par une mise en scène et une rhétorique tapageuses. Voici la description qu'en donne le chanoine Sol, ethnographe du Quercy (fin du XIXe siècle) :
Le personnage allait dans les foires sur une voiture rutilante composée d'une large plate-forme entourée d'une balustrade à hauteur d'appui, généralement, il avait une voix de stentor. Après chaque période oratoire, un orchestre placé à l'impériale jouait des airs de circonstance48.
69Couleur, voix et musique sont présentes pour faire oublier la peur, pour attirer et encourager les victimes. Devant la foule rassemblée autour de la voiture, le dentiste ambulant fait œuvre de pédagogue. Dans plusieurs villes du Sud-Ouest à la Belle Epoque, une arracheuse de dents, connue sous le nom de la Bartelote, incarne ce type de praticien. A ses débuts elle est seulement accompagnée d'un tambour ; plus tard c'est un bruyant orchestre qui lui sert à attirer les foules. Campée sur l'estrade,
... elle montrait un tableau représentant un homme au visage enflé, puis élevait de sa main gauche une énorme molaire en plâtre rongée par la carie. Elle débitait son boniment, où se mêlaient patois toulousain, grivoiserie, termes techniques de la science dentaire. La Bartelote saisissait de la main droite un énorme davier, le plongeait longuement dans un bocal contenant un liquide incolore et donnait le signal à l'orchestre. Elle présentait enfin triomphalement la dent au public49.
70La fonction du tambour ou de l'orchestre est donc double : amuser l'assistance au début des opérations, ensuite noyer les cris de souffrance des victimes pour ne pas effrayer les prochains patients.
71Tout l’art du charlatan ou de l'arracheur de dents est de s'imposer comme l'ami du public en même temps qu'il se distingue du commun des mortels par sa science. La Bartelote, par exemple, se met du côté du public par l'usage du patois, elle gagne sa sympathie et sa bonne humeur par la grivoiserie. Elle s'en distingue par sa connaissance des termes techniques et par la manipulation des instruments de l'art dentaire. Ces rivaux de la médecine officielle se déplacent à cheval ou, souvent, en voiture, comme le signalent Pilot de Thorey et Sol. Cette mobilité a deux avantages : elle leur permet d'élargir leur clientèle et d'échapper aux poursuites des représentants du pouvoir central. Périodiquement, les autorités parisiennes envoient des circulaires aux préfets et aux maires afin de les exhorter à faire la police contre ceux qui exercent illégalement la médecine. Un texte provenant du ministère de la Police générale en 1818 en donne le ton :
Monsieur, les rapports qui me parviennent de différents points de la France m'annoncent que les individus, prenant sans titres la qualité de médecin ou de chirurgien, parcourent les campagnes, se rendent dans les lieux où se tiennent les foires et marchés, et y exercent, avec le plus grand danger pour les malheureux qui tombent entre leurs mains, un art dont souvent il n'ont pas les premières notions50.
72Toutefois, entre les souhaits répressifs de Paris et la réalité sur le terrain, il y a une grande marge que les charlatans se sont empressés d’occuper.
73Nous avons déjà parlé de Louis-Henri Cléret, le charlatan arracheur de dents, qui possède de faux diplômes. Sous le Second Empire il mène une vie nomade, exerçant ses talents au long de la chaîne des Pyrénées entre Montréjeau et Perpignan, s'arrêtant dans les villages de la Haute-Garonne, l'Ariège, l'Aude et les Pyrénées-Orientales. De 1852 à 1858 son passeport intérieur est tamponné 65 fois, soit en moyenne neuf fois par an51. Ce nomadisme signifie qu'il reste rarement plus de quelques semaines dans la même localité avant de repartir à nouveau. Son dernier séjour dans le Comminges est probablement représentatif : il s'installe dans une auberge de village ; de là, il rayonne sur les marchés des environs. Nous l'avons vu au marché de Salies-du-Salat (lundi), il sera arrêté au marché de Saint-Gaudens (jeudi).
74En vérité, la répression semble s'exercer sporadiquement quoique le Second Empire paraisse plutôt sévère. On dénonce surtout le laxisme des municipalités qui ne prennent pas leurs responsabilités. La circulaire de 1818 va encore plus loin, se plaignant de ce que les charlatans « réussissent quelquefois à séduire les autorités locales elles-mêmes »52. Les frères Combes, notables de Castres, comprennent mal pourquoi les charlatans peuvent débiter « ces onguents, ces drogues, ces prétendues panacées... sous les yeux d'une autorité toujours coupable de ne pas veiller à la stricte application de la loi »53. Leur attitude est typique dans la mesure où elle exprime le mépris des gens éclairés pour les croyances et les comportements populaires. Elle s'inscrit dans la lutte contre la superstition. Les frères Combes, comme beaucoup de leurs contemporains cultivés, regrettent que les autorités municipales ne comprennent pas la « nécessité » de cette croisade.
75Il faut souvent quelque stimulant pour les inciter à mettre en marche la machine répressive. Si un charlatan tente de s'installer quelque part de façon permanente, il risque d'être dénoncé par un concurrent appartenant au monde médical autorisé. Tel est le cas d'un pharmacien à Trie qui écrit au préfet en 1839 :
Un empirique qui a établi son domicile à Castelnau-Magnoac depuis un mois, se rend tous les jours de marché dans les villes voisines, telle que Galan et Trie ; siégeant sur la place publique, ce marchand de guérison fait un étalage pompeux de prétendus remèdes dont la bonne foi est toujours la victime... Il est fâcheux que les autorités municipales des petites villes soient si faciles et si tolérantes pour favoriser le charlatanisme54.
76Ce pharmacien vend-il des médicaments plus efficaces que ceux de son rival illicite ? Rien n'est moins sûr. Sa plainte est certainement inspirée moins par le devoir civique que par la peur de la concurrence réelle ou potentielle de son nouveau « confrère ».
77La mobilité du charlatan lui permet aussi d'éviter des rencontres trop fréquentes avec des patients déçus. Quand un malade tient un « empirique » pour responsable de l'aggravation d'une affection, la dénonciation aux autorités compétentes est la suite logique. La chute de Louis-Henri Cléret nous fournit un exemple typique. Si l'on peut imaginer que la plupart des charlatans dispensent des remèdes plus ou moins inoffensifs, ce n'est pas le cas de Cléret. Lors d'une visite au marché de Saint-Gaudens, il prescrit des gouttes à un adolescent pour le guérir de la surdité d'une oreille. L'effet est inverse de celui escompté ; le remède brûle assez sérieusement l'oreille, provoquant la colère du père du patient. Par vengeance, il dénonce Cléret aux gendarmes présents sur le marché55.
78Nous ne savons pas si la carrière de Cléret reprend après sa comparution devant la cour d'assises. Il y a tout lieu de croire que de tels incidents mettent rarement fin à la vie professionnelle d'un charlatan. Prenons l'exemple de l'aveyronnais Thomas Gineste. En 1854, le tribunal correctionnel de Villefranche-de-Rouergue le condamne à 25 francs d'amende pour exercice illégal de la médecine. Cette punition ne l'empêche pas de continuer dans la même voie sans être inquiété outre mesure par les autorités. En effet, il exerce son métier neuf ans avant d’être de nouveau arrêté, à Rodez, cette fois à la foire du 2 juillet 1863. Comme d'habitude il s'est installé à l'auberge du Cheval noir où il rencontre ses patients. Lors de son arrestation, il avoue au commissaire de police, « qu'il n'avait pas d'autre métier que celui-là, qu'il vendait sa pommade et sa poudre cinq ou dix francs suivant la position de fortune des clients, etc., etc. »56. Une amende tous les neuf ans n'allait certainement pas décourager Gineste, d'autant plus que la publicité donnée à l'affaire risquait d'accroître encore sa notoriété dans la région.
Médecine surnaturelle
79Médecins, charlatans, guérisseurs ou rebouteux sont en quelque sorte les matérialistes de la médecine. La maladie a selon eux une cause matérielle, naturelle qu'il convient de traiter par des moyens adéquats. Tous prescrivent des drogues, des pommades, des manipulations censées agir directement sur le corps du malade et le soulager.
80Un autre groupe de praticiens fait appel à d'autres pouvoirs pour éliminer la maladie, considérée comme une agression surnaturelle. Souvent, la maladie s'accompagne de toute une série de malheurs à répétition – accidents, animaux qui dépérissent ou qui ne produisent plus, etc. L'agression a deux sources principales, les morts et les sorts. Sans entreprendre un long exposé sur la sorcellerie ou sur les fonctions magiques, il suffit ici de rappeler que ces praticiens « magiques » tentent de combattre l'agression par des manipulations symboliques en rapport avec la nature de la source du mal57. Ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est le fait que ces personnages adoptent le réseau des foires et marchés au même titre que leurs concurrents « matérialistes ». Quelle que soit l'interprétation ou la représentation de la maladie, les places marchandes jouent le même rôle de lieux intermédiaires et de points de rassemblement.
81Trois textes, s'échelonnant entre 1882 et 1920, nous aident à replacer ces personnages dans le contexte des foires et marchés et montrent la rude concurrence qu'ils font aux médecins. De la Montagne Noire vient cette description de F. Pariset qui souligne l'identité des comportements face au réseau commercial :
On en cite deux [sorciers], un homme et une femme, dans la Montagne Noire. Ils ne se contentent pas de donner des consultations à domicile ; pour satisfaire aux exigences de leur clientèle, ils se rendent – comme les médecins eux-mêmes – dans certaines localités, dans les petites villes, surtout aux jours de grande foire, et on peut voir la foule se pressant avidement pour en obtenir une audience, plus nombreuse que celle qui s'adresse aux véritables médecins58.
82Norbert Rosapelly, folkloriste des Hautes-Pyrénées, constate le même phénomène en Bigorre à la fin du XIXe siècle :
Nous en connaissons [des devins] qui se rendent à domicile et régulièrement aux marchés de Vic, de Maubourguet, de Rabastens, de Tarbes, où une nombreuse clientèle quadrupède et bipède – l’un emmenant l’autre – stationne à leur porte59.
83Enfin, l'écrivain périgourdain Rocal parle en 1920 d'une « devineresse » qui laisse sa « masure sordide » pour se rendre le samedi à la ville voisine où elle bénéficie du jour de marché pour recevoir « en son cabinet de consultations établi dans l'arrière-boutique d'un cabaret »60.
84Ces trois textes ne nous permettent pas de distinguer clairement les sorciers des groupes que nous avons évoqués. Quand les consulte-on, pour quelle raison ? Quels sont les remèdes prescrits ? Les témoignages suivants vont nous amener plus près du cœur du problème non sans soulever de nouvelles interrogations. Ils mettent en scène des gitanes, réputées posséder des dons ou des pouvoirs innés qui leur permettent d'assumer un rôle magique. A la fin du siècle dernier, ce rôle magique est devenu extrêmement syncrétique, les gitanes occupant tour à tour et mélangeant toutes les fonctions magiques – donner le mal, deviner le mal, communiquer avec les morts.
85En 1888, le docteur Fugairon dans sa Topographie médicale du canton d'Ax-les-Thermes (Ariège) donne l'exemple de gitanes qui agissent comme les sorcières traditionnelles en donnant le mal :
On croit que certains hommes sont en rapport avec le diable et moyennant certaines prières peuvent le mettre à leur service. Il arrive assez souvent que les paysans vont trouver certains jours de foires des gitanes ayant cette spécialité afin que, moyennant finances, elles prient le diable de faire mourir la personne pour laquelle ils ont de la haine et contre laquelle ils veulent se venger. La personne visée se dessèche et meurt ainsi cachexique61.
86Des démonologues tels Bodin et de Lancre reconnaîtraient tout de suite que Fugairon parle ici de sorcières de la plus pure tradition. Rocal, lui, affirme explicitement l'identité entre sorcière et tzigane, mais en lui donnant une spécialisation plus bénigne, celle de prédire l'avenir :
La sorcière se multiplie aux foires ; c'est la tzigane aux prunelles ardentes. Elle a vu les pays lointains, elle connaît la sagesse antique, elle possède les tarots infaillibles. Les amoureux inquiets de leur avenir, les femmes préoccupées d'une difficulté de ménage, les gens que fascine la magie... [la suivent] derrière la tente du confiseur. Elle scrute la main et fait payer cher une révélation favorable62.
87Jusqu'ici nos gitanes n'ont rien de médecins – elles font le mal ou elles sont des voyantes. Toutefois, dans le syncrétisme de la fin du siècle dernier, elles vont être appelées à s'occuper aussi de la maladie. L'histoire suivante est tirée du journal clérical toulousain, L'Express du Midi (1896), qui la raconte pour montrer que le catholicisme n'est point synonyme de superstition. A la foire de Laguiole, « la femme Boissonnade, 34 ans, demeurant aux Serres, commune de Condom d'Aubrac, consulta une devineresse sur la maladie de son mari ». Ici une question se pose : que cherche-t-elle à savoir en se rendant chez « une devineresse » ? Soupçonne-t-elle une cause surnaturelle de la maladie ? La réponse de son interlocutrice le laisse supposer si l'on en croit le journal : « La bohémienne lui dit qu'il fallait faire célébrer six messes pour rejeter la maladie sur une autre personne ».
88Sans trop forcer le sens de cette source fragmentaire, on a l'impression d’être en présence d'une endebinaire qui, ayant deviné l'origine du mal, le renvoie à son auteur ou sur une tierce personne. Mais les choses n'en restent pas là. La femme Boissonnade, apparemment satisfaite de cette ordonnance, remet 12 francs à « la devineresse » qui sent la possibilité d'aller plus loin avec cette cliente et lui propose de regarder les lignes de sa main ; elle y voit une somme de 3 000 francs cachée quelque part dans sa maison. La cliente, heureuse, lui donne encore de l'argent pour la remercier de cette découverte inespérée et, sitôt revenue de la foire, elle se met à creuser dans sa cave. Ce n'est qu'après « maintes recherches » vaines dans la maison qu'elle raconte l'histoire à son curé qui avertit les gendarmes63. Dans cette affaire, nous sommes passé d'une simple histoire de divination à une chasse au trésor, domaine où interviennent le plus souvent les morts et leur interlocuteur privilégié, le « messager des âmes ». Cette « devineresse », « bohémienne », ignore la spécialisation et ne craint pas d'utiliser ses talents dans toutes les directions qui lui semblent fructueuses. Il semble évident qu'elle ne fait que répondre à la demande de ceux et de celles qui viennent la consulter.
89Pour compléter ce tableau des praticiens du surnaturel, il faut parler de l'étonnant « messager des âmes », en occitan l’armièr, Varmassier, l’armotier, selon la région. C'est René Nelli qui a, le premier, inclus ce personnage singulier – il communique avec les âmes des défunts – dans un système magique cohérent. Les recherches de D. Fabre et de J.-P. Piniès ont ensuite révélé une documentation surprenante par son ampleur64. Quel lien existe-t-il entre la maladie et les morts et quel rôle occupe l’armièr ? Le rapport de M. Cantier, inspecteur de l'Education dans l'arrondissement de Castelnaudary en 1873, nous fournit quelques détails précieux :
On attribue parfois aux âmes des morts certains malheurs, des maladies, la perte des bestiaux, et plus particulièrement, les maladies ou la mort des jeunes enfants. Un enfant est pâle, chétif, maladif, les commères ne manquent pas de dire qu’il est persécuté par les âmes65.
90Face à ce genre d'agression surnaturelle, le problème est d'abord de savoir d’abord quelle est l'origine générale du mal – un sort, les morts et ensuite, dans le cas d'une persécution par les morts, de trouver le mort responsable afin de mettre fin à ses tracasseries. Tel est le domaine où l'armièr intervient : il identifie le responsable et interprète la demande implicite que traduit toute manifestation des esprits. Cantier raconte une histoire qui résume parfaitement son rôle :
Voici ce qui se passait dernièrement dans un village du canton de Fanjeaux : Mme X avait un enfant de 12 mois. Cet enfant perdait de jour en jour. – Il devient pâle et diminue de corps, dit la mère ; c'est quelque mort qui me le poursuit. Elle prend le parti d'aller consulter le Messager des âmes de Mirepoix. En la voyant entrer l'homme en communication avec les morts lui dit : – Pauvre femme ! que n'êtes-vous venue plus tôt : Vous auriez déjà délivré l'âme de votre mère des flammes du Purgatoire. Vous êtes heureuse encore d'avoir eu l'idée de venir me trouver avant dimanche : ce jour-là votre enfant aurait été sur le suaire. Retournez-vous en vite ; faites dire une messe demain et une autre samedi à l'occasion de laquelle vous donnerez un pain bénit. N'oubliez pas qu'il vous faut assister aux messes avec l'enfant habillé de blanc66.
91D'après les indications données, cette consultation a lieu le jeudi, un des jours de marché à Mirepoix. Des documents de la même époque situent plusieurs autres armiers dans les foires et marchés de la région. Dans le Quercy, un armotier tenait « un cabinet de consultation à Gramat (Lot), tous les jours de foire, et il y recevait plus de clients qu'aucun médecin de la région ». De même, vers 1900, un armassié tarnais se rendait au marché de Carmaux chaque semaine – « Ce jour-là il entend en moyenne une trentaine de personnes »67.
92Ainsi, l'armièr prend sa place parmi les praticiens de la médecine. Il répond au besoin d'une clientèle pour qui certaines affections ou malheurs viennent de l'au-delà. Cette interprétation de la maladie est souvent la conséquence de l'échec de la médecine officielle. Quand le représentant de la science est impuissant, la tentation est grande de chercher la solution ailleurs. Dans tous les cas, ce qui intéresse les gens, c'est de trouver un remède efficace au malheur qui les frappe. Que ce soit le médecin, le charlatan, la gitane ou l'armièr, ce qui compte c’est le retour à une situation normale – la bonne santé, l'esprit tranquille.
93Le point commun de tous ces thérapeutes est leur utilisation des places marchandes comme lieux où l'on peut facilement rencontrer un grand nombre de clients potentiels. De même, les habitants de la campagne savent que toutes sortes de services médicaux sont à leur disposition ces jours-là. Bien sûr, l'importance des rassemblements, les croyances locales, la vocation personnelle font que les rivaux du médecin ne sont pas présents partout à toutes les époques. Toutefois, les nombreux témoignages que nous avons cités insistent sur les rapports entre toutes les formes de la médecine et les foires et marchés.
LE MARCHAND D'ARGENT : L'USURIER
94Le crédit et l'endettement font partie des problèmes éternels de la campagne, qu'elle soit française, irlandaise ou indienne. Le paysan producteur a toujours eu les pires difficultés à garder son argent chez lui. Entre les prélèvements venant du haut – Etat, Eglise, seigneurs, propriétaires – et les dépenses nécessaires à la survie et à la perpétuation de la famille – semences, bétail, outils, terre, dots, etc. – l'argent semble se volatiliser. En dépit de l'habitude ancestrale de thésaurisation, les besoins pressants dépassent souvent les capacités financières des familles paysannes. Face à ces besoins la charité intervient, mais dans des limites très circonscrites ; en l'absence d'autres solutions, on fait appel à l'usurier comme dans d'autres circonstances on va voir le notaire, le médecin ou le charron. Comme chez Dante, celui qui pénètre chez l'usurier risque de perdre non seulement son âme mais, pire encore, ses possessions. De ce risque découle toute une violence, aussi bien individuelle que collective, dirigée contre les usuriers68.
95Nous avons déjà noté l'absence de l'usurier sur les listes administratives, mais nous le trouvons sur le terrain, déguisé sous de multiples apparences, implanté solidement dans le réseau des foires et marchés. Pour en faire le portrait, nous invoquons l'écrivain gascon Eugène Ducom dans sa nouvelle Scènes de la vie des Landes (1859) :
Anquelin était l'homme le plus riche de Sainte-Quitterie, et il appartenait à la classe malheureusement trop nombreuse des usuriers campagnards. C'est un type tellement répandu qu'il est devenu banal. Il avait commencé par être maquignon, brocantant des vaches malades et des chevaux bons à nourrir des sangsues... Il prêta à la petite semaine ; puis bientôt, ses capitaux étant accrus, il prit un vol plus élevé. Il commença à prêter aux propriétaires gênés et imprévoyants ; il se montrait d'abord doux et accommodant, plein de tendresse pour ses débiteurs ; il attendait qu'il eût rendu leur ruine inévitable, il montrait les dents alors, et se trouvait avoir une métairie de plus. Il était d'une autorité prodigieuse, furetant partout pour trouver une occasion de gain. On le voyait aux foires, aux marchés, devant les justices de la paix, devant les tribunaux de première instance69.
96Notons ses débuts comme maquignon, un métier aussi mal famé que celui d'usurier, mais qui a l'avantage de mettre en contact avec un grand nombre de personnes, de faire connaître leurs situations et de brasser beaucoup d'argent. Dans une société où l'argent liquide est rare, les maquignons et les autres commerçants bénéficient d'une situation privilégiée. S'ils ont le goût de la spéculation, la tentation est grande de se lancer dans des prêts à intérêt garantis par le système judiciaire qui vient secourir le créancier face au mauvais payeur. Pour un risque minimum, le profit est considérable.
97L'usurier souhaite-t-il vraiment la ruine de son débiteur ? C'est sans doute une question de personnalité et de circonstance. Nous allons voir que, pour certains créanciers, le crédit accordé aux autres constitue une source non seulement de richesse mais aussi de pouvoir et de prestige. Du département des Hautes-Pyrénées viennent ces histoires rapportées par J.-F. Soulet. Nous y trouvons une galerie de portraits assez proches de l'exemple fictif de Ducom. Des usuriers tourmentent tellement leurs débiteurs que ceux-ci se révoltent, essayant de s'en débarrasser en faisant appel aux tribunaux, qui décident, le plus souvent, en faveur des usuriers. Parmi ces personnages, Thomas Fau, aubergiste à Luz-Saint-Sauveur sous le Second Empire. Comme nous l'avons déjà remarqué, l'aubergiste exerce souvent un autre commerce ; dans le cas de Fau, c'est celui des grains, négoce stratégique dans cette région montagnarde déficitaire. Ses clients ne sont pas riches et Fau leur prête assez régulièrement de petites quantités de grains ; commence alors pour eux de longues années de vicissitudes. Devant les juges, les victimes se plaignent :
Il y a 15 ans que Fau me fournit du grain. Je ne sais ni lire, ni écrire, mais néanmoins, j'avais en lui une confiance aveugle. C'est lui-même qui calculait les intérêts de l'argent que je lui devais pour le grain qu'il me vendait. Je le payais comme je le pouvais à l'aide de divers acomptes et quand il y avait des arrérages, il me faisait consentir des actes devant notaire70.
98Fau consolide son commerce et son pouvoir en forçant ses débiteurs à acheter chez lui :
Dès l'instant que j'ai été sa débitrice, il ne m'a plus été permis, sous peine d'avoir des frais, d'acheter ailleurs que chez lui ; ainsi, venait-il à comprendre que j'étais sur la place du marché, il me faisait guetter et si j'achetais, j'étais sûre de recevoir le lendemain un billet d'avertissement71.
99Le crédit est donc devenu un moyen de se procurer une clientèle et de la « fidéliser », même s'il faut utiliser la manière forte. L'auberge de Fau bénéficie également de sa position de créancier. Après lui avoir emprunté de l'argent, Pierre Cunia est obligé à se rendre « à Luz tous les lundis, jour de marché... dîner chez lui et payer tous les frais du repas »72.
100Ce cas est intéressant à analyser du point de vue de son rapport avec le marché. Les deux commerces principaux de Fau font partie de ceux que l'on trouve dans tous les bourgs. Sans doute la plupart de ses affaires en tant qu'aubergiste se réalisent le jour de marché, le lundi à Luz-Saint-Sauveur. Fau est donc un représentant des commerçants qui vivent du marché. Son autre commerce, l'usure, en vit aussi. Bien que nous n'ayons pas de données sur les jours où l'on lui demande des emprunts, nous pourrions imaginer que le jour de marché lui fournit bon nombre de clients. Tout le monde vient au marché faire ses courses, même ceux qui doivent demander un crédit73. C'est à partir de ce moment que Fau tente de bénéficier des avantages du marché – afflux de clients – sans souffrir de ses inconvénients – la concurrence entre commerçants. Ses débiteurs peuvent, voire doivent venir au marché tous les lundis, mais ils n'ont plus le droit de faire leurs affaires avec d'autres que lui. Il va jusqu'à les surveiller. Il essaie de créer une situation de monopole à l'intérieur d'un marché qui, au moins en théorie, est organisé sur le principe de la libre concurrence.
101L'administration était au courant de ce lien entre le crédit et la fidélité des clients, en particulier dans le domaine du commerce des grains. En févier 1857, le sous-préfet de Saint-Gaudens note que les ménages pauvres
achètent à la mesure et souvent à crédit. Leurs fournisseurs habituels étant près d'eux et leur donnant des facilités qu'ils ne trouveraient pas auprès de l'administration, qui, si elle vendait un peu meilleur marché, vendrait nécessairement au comptant, ces fournisseurs seraient toujours préférés74.
102Aider des pauvres lors des crises de subsistances est donc un problème délicat d'autant plus que la question du prix semble subordonnée à celle du crédit. Si l'administration ne pouvait pas concurrencer des particuliers dans le domaine du crédit, tel n'était pas le cas du clergé. J.-F. Soulet a analysé les activités d’un curé bigourdan au XVIIIe siècle qui prêtait à de nombreuses personnes dans un rayon de 10 kilomètres à la ronde. Il semble avoir œuvré autant par désir de gain que par charité chrétienne75.
103A peu près à la même époque, à quelques kilomètres à l'est, dans les Pyrénées commingeoises, le prêtre de Fos et de Melles est devenu prêteur. Loin de s'enrichir il s'appauvrit, ses paroissiens croyant au miracle, la transformation des dettes en charité. Il écrit :
... lorsque j'avais de quoi vivre avant 1779, on me tirait quasi tout mon grain par cette voie [les emprunts], et quoique je n'exigeasse que selon le marché, néanmoins j'y étais si enfoncé avec eux que résolution me prit d'affermer ma partie de Melles en 1779 pour 6 ans, par la vue d'obliger mes débiteurs à me payer... Malgré tout, il m'est dû encore beaucoup76.
104Apparemment, le curé manque des moyens de pression qui obligeraient ses paroissiens à rembourser leurs dettes. D'ailleurs, comme il le note dans un autre passage, les commingeois semblent être des clients difficiles même pour des créanciers de métier :
Nombre de maisons se ruinent, ne vivant que d'emprunt une bonne partie de l'année, des avares leur prêtent des grains qu'ils ne sauraient vendre selon leur gré au marché de Saint-Béat et leur font payer très au-dessus du taux du fourleau de ladite ville, ou se font faire des obligations en argent afin de n'être point rabaissés par la justice ou qu'ils ne leur renferment leur grenier pour d'autres occasions : ce qui oblige certaines maisons à disparaître pour un temps. Malheureusement c'est aussi trop la mode dans cette paroisse de vivre d’emprunt ; car plusieurs feraient mieux leur affaire si, avec ce qu'ils vont gagner ailleurs, ils achetaient au marché leur petite provision...77.
105Ces textes soulignent plusieurs aspects des relations complexes existant entre couches supérieures et inférieures de la société ; de même, ils mettent en évidence le rôle du marché dans ces rapports. Certaines personnes possèdent, par leur position ou par leur commerce, un surplus de grains qu'elles trouvent difficile à écouler normalement dans les marchés. Les consommateurs de grains sont trop souvent non pas des acheteurs au comptant mais des emprunteurs. Si l'on ne consent pas de crédit, le grain restera invendu. Le crédit à l'achat constitue donc une des clefs du commerce des grains au détail. Le curé de Fos remarque aussi que l'argent que rapporte le colportage, activité répandue dans les montagnes commingeoises, ne va pas nécessairement à l'achat des denrées alimentaires. Ce comportement est peut-être dû au fait que dans ces maisons l'argent liquide rentre une fois par an quand le ou les colporteurs reviennent de leur tournée. Cet argent doit rembourser les dettes de l'année écoulée et payer les impôts. S'il en reste, les besoins stratégiques de la maison l'absorbent : dots, partages, successions, expansion du patrimoine, etc. La consommation courante est assurée par la production familiale et par le recours à l'emprunt qui permet de thésauriser l'argent jusqu'à la fin de la prochaine saison de colportage. Ce système coûte cher à la maison à cause des intérêts qui s'accumulent, mais il est aussi le garant de la survie de la famille pendant l'absence des colporteurs. Une mauvaise campagne de colportage met les biens de la maison en danger car les ressources ne suffisent pas à rembourser les anciennes dettes, ce qui peut obliger toute la famille à s'exiler, au moins temporairement.
106Le crédit est donc un service que l'on paie plus ou moins cher. Le curé de Fos n'exige aucun intérêt apparent, ce qui correspond aux dogmes de l'Eglise interdisant le prêt à intérêt. Son témoignage n'est toutefois pas exempt d'ambiguïté. Il déclare qu'il n'exige « que selon le marché », mais veut-il dire le prix au moment de l'emprunt ou le prix à un autre moment ? Dans la région toulousaine, les remboursements d'emprunts de grains étaient pendant longtemps calqués sur le prix au dernier marché du mois de mai suivant l'emprunt. Cette date n'a rien de fortuit ; elle correspond souvent au sommet des prix annuels78. Si la variation saisonnière est faible, le débiteur paie peu d'intérêts, si elle est importante, il finit par payer un taux élevé. Le prêteur, lui, est presque toujours sûr de réaliser un bon bénéfice car son blé est vendu au prix le plus élevé sans égard à l'époque réelle de la vente. Etant donné que le curé de Fos ne dit rien sur les vraies conditions des prêts consentis, nous ne pouvons pas nous prononcer sur les possibles profits qu'il réalise. Au total, ils sont certainement moins importants que ceux des « avares » de Saint-Béat qu'il dénonce et dont le comportement ressemble beaucoup à celui de Thomas Fau plus d'un demi-siècle plus tard.
107Le marché apparaît en filigrane dans tous ces récits, ce qui ne devrait pas nous étonner. Après tout, le commerce des grains est orienté autour des places marchandes et cela est vrai autant pour les transactions au comptant que pour celles à crédit. C'est également par rapport au marché que sont fixés les prix. Les mercuriales jouent le rôle d'étalon, d'arbitre impartial ; ni le débiteur ni le créancier ne peut espérer influencer le cours du marché qui est réglé par l'offre et la demande. Cependant, en imposant le calendrier du marché, le créancier renforce ses chances de bénéfices en se fondant sur le mouvement saisonnier des cours.
108Notre discussion s'est centrée jusqu'ici sur l'emprunt de denrées alimentaires où le marché trouve tout naturellement sa place. En va-t-il de même quand l'argent entre en scène ? S'endetter est un acte compliqué qui demande une certaine préparation. Il faut trouver un prêteur, négocier les termes de l'emprunt, comparaître devant des témoins avec ou sans notaire. Une fois l'accord conclu, les deux parties sont amenées à se fréquenter régulièrement pour discuter des modalités du remboursement, pour payer les intérêts et le principal et, trop souvent, pour demander des délais de paiement. A toutes ces démarches, le marché offre un cadre commode, à la fois pour ceux qui disposent de fonds à prêter et pour ceux qui en sont demandeurs.
109En février 1813, deux hommes de Boissède, un tisserand et un cultivateur, sont accusés de tentative d'assassinat, avec le motif apparent d'éliminer un de leurs créanciers. Tous les deux se sont rendus au marché de Samatan pour régler quelques affaires financières. Le premier, J. Gay, cherchait un homme du bourg ayant « de l'argent à prêter ». L'autre inculpé, déjà endetté, voulait « parler à M. Catalan de Montpezat qui lui fait des intérêts »79. Chacun utilise donc le marché, l'un pour trouver de l’argent, l'autre pour expliquer pourquoi il ne peut honorer ses dettes.
110Deux décennies plus tard, le marché de Saint-Gaudens est le théâtre du ballet compliqué d'un ensemble de créanciers, débiteurs et intermédiaires. Le personnage principal de l'affaire, B. Ané, artiste vétérinaire de Savarthès, s'est rendu au marché pour exercer son métier (tout comme les médecins) et pour « figurer comme caution » dans plusieurs transactions financières. Il raconte :
Je devais figurer comme caution dans un emprunt de la somme de six cents francs que devait faire Jean Guillem de Couret qui prenait cette somme pour la donner au nommé Papine de Saint-Gaudens pour la dot de sa fille qui devait épouser ledit Papine... Je devais aussi servir de caution à Dupin dit Marquis pour une somme de quatre cents francs qu'il devait emprunter pour opérer le rachat d'une prairie que je lui ai achetée... Voilà indépendemment de mes affaires comme artiste, l'affaire qui m'appelait à Saint-Gaudens ce jour-là.
111Dans ce premier récit, Ané est au centre d'un réseau où se trouvent d'un côté Guillem et Papine et de l'autre Dupin, sans oublier le notaire qui, comme l'artiste vétérinaire, sert d’intermédiaire. Ané ne nous dit pas qui allait prêter les sommes en question, mais il est possible que ce soit le notaire lui-même. L'artiste vétérinaire en tant qu'homme relativement aisé sert de caution pour des personnes situées plus bas sur l'échelle sociale. Il leur rend un service, mais certainement en échange d’autres, un peu à la façon d'un padrone sicilien.
112Plus tard dans la même journée, Ané rencontre Perbost, dit Larcané, qui vient discuter de quelques affaires avec lui. Perbost fait partie des débiteurs, quoique pour une faible somme. Toutefois cette dette ne l'empêche de vouloir marier sa fille avec le fils du vétérinaire. Laissons Ané relater la scène située dans l'auberge où il travaillait :
Perbost à mon arrivée dans la salle s ' excusa de ce qu ' il n ' avait pas vingt francs à me donner dans le moment ; qu ' il avait cet argent chez lui ; qu ' il me le donnerait le lendemain . Il est vrai que j ’ avais fait réclamer cette somme la veille par ma femme qui ne trouva chez Perbost que la femme de celui - ci . Je répondis à Perbost que cela ne pressait pas ; qu ' il me payerait le dimanche ou le jeudi suivant [jour de marché à Saint-Gaudens]. Ce n ' est pas tout , me dit Perbost , il faut marier ma fille Jeanne avec votre fils . Je lui donnerai tel pré et tel champ . Je répondis que je n ’ étais pas éloigné de cela , ma femme lui en dit autant et comme par un mouvement de joie , il me sauta au cou et m ' embrassa80.
113Son témoignage fait donc apparaître autour de lui un réseau d'obligations financières et morales qui lui donne un certain pouvoir. Tous les autres sont représentés comme ayant quelque chose à lui demander : de servir de caution, de les excuser pour le retard dans le remboursement d'une dette, de marier une fille avec son fils. Artiste vétérinaire (avec une réputation de sorcier dans le pays), Ané fréquente les réunions commerciales dans la poursuite de sa profession ; à cette activité principale il ajoute celle de prêteur et d'intermédiaire financier. Dans les deux cas, la place marchande occupe un rôle essentiel.
114Le recours au crédit est tellement répandu à la campagne qu'il n'est pas rare que le même homme soit à la fois créancier et débiteur. Cette double position n'est pas toujours très confortable, comme l'a constaté un propriétaire d'Aurignac en 1837. Il avait prêté de l'argent à un cultivateur d'Aulon en même temps qu'il devait lui-même une somme à un aubergiste de Saint-Gaudens. Pendant cinq ou six mois les deux agriculteurs venaient aux marchés de Saint-Gaudens où ils discutaient longuement chez l'aubergiste. Le propriétaire d'Aurignac « demandait le paiement de ce qui lui était dû » tandis que le cultivateur « demandait des délais ». Malheureusement le propriétaire se sentait pris car, comme il le dit, « Je ne peux attendre parce que je dois moi-même de l'argent à Poujet », aubergiste et témoin intéressé de ces transactions81. Il est à noter que Poujet, comme l'autre aubergiste que nous avons rencontré, Thomas Fau, prête de l'argent à des agriculteurs des environs et que ceux-ci se sentent obligés de venir consommer chez lui les jours de marché. Le débiteur est un homme surveillé qui doit constamment se justifier.
115Le rôle du crédit à la campagne est un phénomène passionnant mais extrêmement difficile à étudier en profondeur. Nous avons eu la chance de trouver quelques détails précieux dans les travaux de J.-F. Soulet et dans les dossiers de procédure de la cour d'assises mais beaucoup de questions restent dans l'ombre. Les historiens doivent continuer leurs recherches dans les archives dans l'espoir de pouvoir présenter un jour une image plus complète de ce monde quasi souterrain des usuriers et de leurs clients, victimes ou non. Ici, nous nous sommes contenté de présenter avant tout le contexte du crédit et de ses prolongements. Autrement dit, avant l'implantation d'un véritable réseau bancaire, le crédit était un service offert par des individus pouvant disposer d'un surplus de grains ou d'argent. Ce service trouvait toute sa place dans les lieux marchands à côté des autres services spécialisés – notariat, médecine, commerce du grain, etc.
*
116C'est le rassemblement des artisans, des commerçants et des professions libérales qui donne aux bourgs les caractères urbains qui les distinguent des villages. Ces bourgs vivent économiquement au confluent de deux demandes pour leurs biens et services : une demande engendrée par la population même du lieu, une autre venant des proches campagnes qui s'exprime de façon régulière lors des foires et marchés. Leur commerce périodique ainsi que leur rôle administratif – les chefs-lieux de canton sont souvent dotés de marchés hebdomadaires – constituent des facteurs essentiels de leur domination locale.
117Revenons à la définition du lieu central proposée par l'anthropologue C. A. Smith : « un lieu devient le cœur d'une région parce que des biens, des gens et des informations circulent principalement entre lui et son hinterland moins différencié »82. Les divers éléments que nous avons présentés dans ce chapitre répondent assez largement à cette définition. Les bourgs étudiés, et sans doute bien d'autres, sont dotés d'une armature socioprofessionnelle plus étoffée et plus complexe que n'importe quel autre lieu du canton. Ils sont également au centre de la circulation des hommes et des marchandises (peut-être aussi des informations). Chaque semaine, des courants d'échanges sont activés par la tenue des marchés ; les bourgs et les petites villes canalisent cette circulation, établissant ainsi des rapports privilégiés entre eux et les villages qui les fréquentent. Dans ce monde agricole relativement peu complexe, le marché et la centralité sont indissociables.
Notes de bas de page
1 Voir, par exemple : J.-F. Bergier, Genève et l'économie européenne de la Renaissance, Paris, S.E.V.P.E.N., 1963 ; R. Gascon, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle. Lyon et ses marchands, Paris, S.E.V.P.E.N., 1971.
2 C. A. Smith, Regional Economic Systems : Linking Geographical Models and Socioeconomic Problems, dans C. A. Smith, Regional Analysis, t. 1, Economic Systems, New York, Academic Press, 1976, p. 6.
3 J. U. Marshall, The Location of Service Towtis. An Approach to the Analysis of Central Place Systems, Toronto, University of Toronto Department of Geography, Research Publications, no 3, 1969. L'indice se calcule à partir d'un tableau croisé où on a, d'un côté, les localités étudiées, de l'autre, les métiers non agricoles représentés. Les cellules du tableau donnent le nombre de personnes exerçant ces métiers par localité ; le chiffre total pour chaque métier se voit attribuer l'indice 100 ; l'indice de centralité pour la région étudiée est de 100 multiplié par le nombre de métiers représentés. Pour chaque localité, l'indice de centralité est la somme des indices par métier. Un exemple hypothétique : imaginons un canton avec 20 tisserands au total (indice 100) ; une localité ayant 5 tisserands se voit créditer d'un indice de 5/20 multiplié par 100, soit 25 et ainsi de suite pour chaque métier représenté dans la commune.
4 Liste des patentés, 1798 : A.D. Haute-Garonne, L. 4230, 4529 ; 2 E 1405 ; 2 E 346 ; Hautes-Pyrénées, 1856 : Abadie de Sarrancolin, L'indicateur des Hautes-Pyrénées, Paris, 1856 ; dénombrement de 1906 : A.D. Haute-Garonne, M 209, 213, 215, 6 M 341 (cette série est en cours de reclassement). L'indice de centralité est exprimé ici en pourcentage afin de faciliter des comparaisons.
5 Cette discussion suit celle de J. U. Marshall, The Location of Service Towns, pp. 13-14.
6 Voir, par exemple, P. Kriedte, H. Medick et J. Schlumbohm, Industrialization before Industrialization. Rural Industrie in the Genesis of Capitalism, London et Paris, Cambridge University Press et Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1981.
7 A. Monteil, Description du département de l'Aveyron, t. 1, Rodez, 1802 (réédité à Villefranche-de-Rouergue, 1884), p. 32.
8 J. Savary des Bruslons, Dictionnaire universel du commerce, t. 1, nelle édition, Paris, chez la veuve Estienne et fils, 1748, p. 35.
9 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, Paris, Librairie de Médicis, 1956, p. 597.
10 A.D. Haute-Garonne, C 556, cité par G. Fouet, L'occupation du sol dans les coteaux de la Haute Save. Etude de géographie humaine, D.E.S., Faculté de Lettres de Paris, 1949, t. 1, p. 116.
11 A.N., F2I 539 : 5 janvier 1816.
12 P. Deffontaines, Les hommes et leurs travaux dans les pays de la moyenne Garonne (Agenais, Bas-Quercy), Lille, 1932 (reprint, Agen, Librairie Quesseveur, 1978), p.
13 Monographie de Grisolles, Montauban, Editions du « Mois paroissial de Grisolles », 1941, p. 137.
14 A.D. Haute-Garonne, 7 M 9 : enquête ayant pour objet la distraction de la commune d'Ondes du canton de Fronton pour être réunie au canton de Grenade, le 7 avril 1861.
15 Ibid.
16 L. Brunet, Les potiers de Cox, ms. au Musée des Arts et Traditions populaires, 1944. Dans son autobiographie, Léonce Chaleil parle des potiers et poteries de Saint-Quentin-la-Poterie près d'Uzès (Gard), dont la production s'écoulait dans les foires de la région : La mémoire du village, Paris, Stock, « La vie des hommes », 1977, p. 101.
17 A.D. Haute-Garonne, wU 1415 : cour d'assises, 1835.
18 A.D. Haute-Garonne, wU 1409 : cour d'assises, 1832.
19 Ibid.
20 L'Electeur, Journal de l'Union conservatrice du Gers, 19 juillet 1891.
21 L'Express du Midi, 22 mars 1896.
22 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 99 : monographie communale de Saint-Paul-d'Oueil, 1885.
23 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 79 : monographie communale d'Eoux, 1885.
24 A.D. Haute-Garonne, 2 P 18 : lettre du percepteur Serran, 18 mai 1825.
25 Ibid. Lettre du percepteur Sacarrère, 25 septembre 1824.
26 Annuaire de la Haute-Garonne, 1824, pp. 176-179. En 1901, 54 % des notaires résident dans un lieu de marché (Toulouse exclu) : Nouvel annuaire général de la Haute-Garonne, Toulouse, Privat, 1901.
27 A.D. Haute-Garonne, C 117 : enquête sur les marchés aux grains. Réponse de la communauté d'Auriac, 23 octobre 1755.
28 A.D. Haute-Garonne, C 107 : enquête de 1773 sur les marchés.
29 Auriac : A.D. Haute-Garonne, 3 E 20197 (étude Calvet) ; Caraman : A.D. Haute-Garonne, 3 E 17239 (étude Martin) ; A.D. Haute-Garonne, 3 E 17195 (étude Lacals).
30 Alan : A.D. Haute-Garonne, 3 E 23667 (étude Cassagne) ; Aulon : A.D. Haute-Garonne, 3 E 23778 (étude Amiel) ; Aurignac A : A.D. Haute-Garonne, 3 E 23593 (étude Fasuille) ; Aurignac B : A.D. Haute-Garonne, 3 E 23568 (étude Cabestaing).
31 A.D. Haute-Garonne, 4 E 4842 à 4863 : état civil du canton de Caraman.
32 A.D. Haute-Garonne, 3 E 31878 (étude Dardenne, 1818) ; A.D. Haute-Garonne, 3 E 31923 (étude Merle, 1854).
33 Grand annuaire-almanach illustré pour toute la France et la Haute-Garonne, Toulouse, Librairie centrale, 1880.
34 Annuaire du département de l'Aveyron pour l’année 1901, Rodez, 1901.
35 Parmi les nombreux ouvrages sur la médecine populaire dans la France contemporaine, on peut consulter : M. Bouteiller, Médecine populaire d'hier et d'aujourd'hui, Paris, G.-P. Maisonneuve et Larose, 1966 ; et F. Laplantine, La médecine populaire dans les campagnes aujourd'hui, Paris, Editions universitaires, 1978.
36 J. Léonard, Les médecins de l'Ouest au XIXe siècle, thèse d'Etat, Paris IV, 1976, Lille, Ateliers de reproduction des thèses, 1978, t. 2, p. 607.
37 A.D. Haute-Garonne, 5 M 81.
38 J. Léonard, La vie quotidienne des médecins de province au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1977, p. 59. Non seulement les médecins « libéraux » travaillaient beaucoup les jours de marché, mais ceux employés par l’administration utilisaient ces jours pour faire avancer une politique médicale – au début du XIXe siècle, la vaccination. En 1812 le médecin vaccinateur se rendait tous les samedis à Grenade (jour de marché) « pour y vacciner gratuitement toutes les personnes de tout sexe et de tout âge qui ne l’auraient pas été ». A.D. Haute-Garonne, 2 E 466 : Archives communales de Grenade.
39 A.D. Haute-Garonne, wU 1588 : cour d’assises, 1862.
40 A. Quartarano-Vinas, Médecins et médecine dans les Hautes-Pyrénées au XIXe siècle, Tarbes, Association Guillaume Mauran, Sources et travaux d'histoire haut-pyrénéenne, no 2,1982, pp. 81-82. Seule la découverte et l'étude d'autres documents de ce type pourront nous permettre d'affirmer ou non la représentativité de ce cas. Les témoignages d'autres régions semblent néanmoins confirmer la présence de médecins lors des réunions commerciales au XIXe siècle. Voir H. Fournier, Lettres à un curé de campagne sur les erreurs médicales du peuple, Le Puy, 1833, pp. 42-43 ; Dr Brisson, En montagne bourbonnaise, mœurs et coutumes, superstitions et sorciers, Roanne, 1911, p. 157.
41 M. Boyer, L’encadrement médical dans l'Ardèche au XIXe siècle, Revue du Vivarais, t. 82, no 1,1978, pp. 17-18.
42 Pour la localisation des médecins et des pharmaciens, nous avons consulté les annuaires départementaux pour les années indiquées.
43 Pilot de Thorey, Usages, fêtes et coutumes en Dauphiné, 1882, (Marseille, Lafitte Reprints, 1977), p. 253.
44 A. Combes et H. Combes, Les paysans français sous le rapport historique, économique, agricole, médical et administratif, Paris, 1853, p. 343. Une telle drogue miracle, fabriquée à l'aide de plusieurs plantes, fut inventée à Orviéto en Italie au XVIIe siècle, d'où l'appellation d'orviétan. Elle a donné son nom au marchand qui la vendait et, par extension, qui vantait toute préparation miraculeuse, le marchand d’orviétan. Peut-être cette origine italienne explique-t-elle la persistance d'italiens dans la tradition de charlatanisme en France depuis bien longtemps.
45 M. J. J. Pougens, Dictionnaire de la médecine pratique, t. 3, Paris, 1820, p. 1450. Mascoumiéry était un habitué des foires de Rodez.
46 A.D. Haute-Garonne, wU 1560 : cour d’assises, 1859.
47 Société de prévoyance et de secours mutuel des médecins du département de l'Aveyron. Assemblée générale tenue à Rodez le 14 juillet 1863, Rodez, Impr. Ratery, 1863, pp. 22-23, dans Médecins et médecine aveyronnais. Exposition organisée à la Bibliothèque municipale de Rodez (juillet-août 1976), Rodez, Bibliothèque municipale, 1977.
48 E. Sol, Le vieux Quercy, t. 2, Traditions et coutumes, 5e édition, Bibliothèque de la maison des Œuvres, 1969, pp. 83-84.
49 Histoire de Tarbes, sous la direction de J.-B. Laffon et J.-F. Soulet, Pau, Marrimpouey jeune, 1975, pp. 302-303.
50 A.D. Tarn, VM5 1 : lettre du ministre de la Police générale, 13 avril 1818. Apparemment, le problème des yeux se posait pour beaucoup de personnes et provoquait leur visite chez un charlatan. La lettre du ministre l'affirme : « Les empyriques semblent s'attacher de préférence aux maladies des yeux ; ils savent que de tous les maux celui qui afflige davantage les pauvres, c'est la perte de la vue, parce qu'elle leur enlève... tous les moyens d’existence... » L’étude des conscrits de l’arrondissement de Lavaur au XIXe siècle montre que les maladies des yeux constituent une des principales affections. Le terrain était donc propice pour l’intervention de charlatans et de leurs remèdes. M. Taurines, L'état sanitaire et la santé publique dans l'arrondissement de Lavaur au XIXe siècle, mémoire de maîtrise, Univ. de Toulouse-Le Mirail, 1968-1969, p. 49.
51 A.D. Haute-Garonne, wU 1560 : cour d’assises, 1859.
52 A.D. Tarn, VM5 1.
53 Combes et Combes, Les paysans français, p. 343.
54 A. Quartarano-Vinas, Médecins et médecine dans les Hautes-Pyrénées, p. 140 (d'après A.D. Hautes-Pyrénées, 5 M 11 : lettre au préfet, 1839).
55 A.D. Haute-Garonne, wU 1560 : cour d'assises, 1859.
56 Médecins et médecine aveyronnais, p. 95.
57 Sur la sorcellerie et les fonctions magiques en Languedoc : R. Nelli, Le Languedoc et le comté de Foix, le Roussillon, Paris, 1958 (c'est lui qui, le premier, distingua les trois fonctions en présence, brèish, debinaire et armièr). L'essai de R. Nelli suscita les travaux de D. Fabre et J. Lacroix, La vie quotidienne des paysans de Languedoc au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1974, pp. 292-341 ; et de J.-P. Piniès, Figures de la sorcellerie languedocienne. Brèish, endevinaire, armièr, Toulouse, C.N.R.S., 1983. Pour une vision assez différente de la sorcellerie, voir J. Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le bocage, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1977.
58 F. Pariset, Economie rurale, industrie, mœurs et usages de la Montagne Noire, Paris, 1882 (rééd., Carcassone, G.A.R.A.E., 1985), pp. 56-57.
59 N. Rosapelly, Au pays de Bigorre, Bulletin de la Société académique des Hautes-Pyrénées, t. 2,1892, p. 67.
60 G. Rocal, Les vieilles coutumes dévotieuses et magiques du Périgord, Toulouse, Librairie Marqueste, 1922, pp. 92-93.
61 Dr Fugairon, Topographie médicale du canton d'Ax (Ariège), Paris, Asselin et Houzeau, 1888, p. 176.
62 G. Rocal, Les vieilles coutumes du Périgord, p. 182.
63 L'Express du Midi, 31 mars 1896.
64 Voir les ouvrages cités dans la note 57.
65 M. Cantier, Géographie physique, agricole et industrielle de l’arrondissement de Castelnaudary, Rapport général, 24 avril 1873, ms., Bibliothèque municipale de Carcassonne. Document présenté par D. Fabre lors du séminaire sur « le messager des âmes », Ecole des Hautes Etudes, Toulouse, 1981-1982.
66 Ibid.
67 E. Sol, Le vieux Quercy, t. 1, p. 16 ; Dr Gallus, La sorcellerie dans le Tarn, Revue du Monde invisible, juin-décembre 1899 et janvier-mai 1900, p. 96. Je dois cette référence à D. Fabre.
68 Parmi les études sur le crédit rural : A. Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle (1845-1880), Paris, Rivière, 1975, t. 1, pp. 163-172 ; J.-F. Soulet, A propos de l'endettement rural au XVIIIe siècle : deux communautés du piémont pyrénéen, Annales du Midi, t. 85, no 111, janv.-mars 1973, pp. 29-50 ; du même auteur, Usure et usuriers dans les Pyrénées au XIXe siècle, Annales du Midi, t. 90, no 138-139, juillet-décembre 1978, pp. 435-447. Pour un cas de violences contre un usurier, voir M. Barrau et A.-M. Lagarde, Mentalités et genres de vie dans l’arrondissement de Saint-Gaudens au XIXe siècle d'après les procédures criminelles, mémoire de maîtrise, Univ. de Toulouse-Le Mirail, 1976, p. 8.
69 E. Ducom, Scènes de la vie des Landes, Revue des Deux Mondes, t. 21, 1859, 1er mai, p. 60.
70 J.-F. Soulet, Usure et usuriers, p. 441.
71 Ibid.
72 O. Bergachorena, Société et criminalité dans les Hautes-Pyrénées sous le Second Empire, mémoire de maîtrise, Univ. de Toulouse-Le Mirail, 1973, p. 74.
73 Une étude sur l'endettement lors des crises de la fin du XVe siècle montre qu’une bonne partie des emprunts sont contractés le jour du marché : un peu plus de 30 % ce jour-là, un peu moins de 29 % le dimanche. F. Dutreuilh, L’endettement dans la région de Caraman, 1690-1695, mémoire de maîtrise, Univ. de Toulouse-Le Mirail, 1975. L'auteur a eu la gentillesse de me permettre de consulter ses notes à partir desquelles j'ai pu calculer la répartition hebdomadaire des actes.
74 A.D. Haute-Garonne, 6 M 48 : lettre du sous-préfet de la Haute-Garonne, 14 février 1857.
75 J.-F. Soulet, A propos de l’endettement.
76 Sajous, curé de Fos et Melles, diocèse de Comminges, 1786, dans A. Sarramon, Les paroisses du diocèse de Comminges en 1786, Paris, C.H.E.R.F., 1968, pp. 410-411.
77 Ibid.
78 Pour un point de vue sur les mécanismes des prêts dans la région toulousaine, on peut consulter : B. Dupuy, Eclaircissement nouveau sur le prêt et les intérêts, 2e édition, Toulouse, chez R. Calas, 1687, pp. 12-22.
79 A.D. Haute-Garonne, wU 1308 : cour d'assises, affaire Gay et Primo, 1813.
80 A.D. Haute-Garonne, wU 1409 : cour d'assises, affaire Ané et al., 1832.
81 A.D. Haute-Garonne, wU 1418 : cour d'assises, 1837.
82 C. A. Smith, Régional Economic Systems, p. 6. On trouvera la confirmation du rôle des bourgs dans plusieurs ouvrages récents : F. Braudel, L'identité de la France, t.1, Espace et histoire, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986, pp. 141-157 ; A. Corbin, Archaïsme et modernité, t. 1, pp. 301-308 ; J. Merley, La Haute-Loire de la fin de l'Ancien Régime aux débuts de la Troisième République (1776-1880), t. 1, Le Puy, 1974, pp. 398-401. Dans les petites villes, la diversité des activités économiques est sans doute plus grande, mais les analogies avec les bourgs sont nombreuses. Voir les actes du colloque tenu à Bordeaux en octobre 1985 : Les petites villes du Moyen Age à nos jours, sous la direction de J.-P. Poussou et Ph. Loupés, Paris-Bordeaux, Editions du C.N.R.S.-Presses Universitaires de Bordeaux, 1987.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Bestiaire chrétien
L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (Ve-XIe siècles)
Jacques Voisenet
1994
La Gascogne toulousaine aux XIIe-XIIIe siècles
Une dynamique sociale et spatiale
Mireille Mousnier
1997
Que reste-t-il de l’éducation classique ?
Relire « le Marrou ». Histoire de l’éducation dans l’Antiquité
Jean-Marie Pailler et Pascal Payen (dir.)
2004
À la conquête des étangs
L’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (xiie - xve siècle)
Jean-Loup Abbé
2006
L’Espagne contemporaine et la question juive
Les fils renoués de la mémoire et de l’histoire
Danielle Rozenberg
2006
Une école sans Dieu ?
1880-1895. L'invention d'une morale laïque sous la IIIe République
Pierre Ognier
2008