Chapitre premier. Du droit régalien à la décentralisation : l'attribution des foires et des marchés
p. 13-53
Texte intégral
DE L'ANTIQUITÉ À LA RÉVOLUTION
1L'antiquité des échanges n’est pas à démontrer. Suscités par les besoins économiques, les rassemblements commerciaux périodiques accompagnent aussi les fêtes religieuses et les jeux, les assemblées judiciaires et législatives, le passage des caravanes. Les premières foires, les premiers marchés semblent donc être des créations spontanées qui doivent peu au pouvoir. Mais, dès l'apparition d'un Etat digne de ce nom, l'intervention de la puissance publique devient déterminante1.
2Ainsi, avec l'Empire romain et son abondante documentation, la main du souverain apparaît plus clairement et avec plus d'insistance. Selon P. Huvelin, le droit de créer marchés et foires appartient d'abord au Sénat avant d’être accaparé par l'empereur2. Cette tradition juridique romaine est léguée à la royauté mérovingienne et carolingienne durant le Haut Moyen Age. La concession du droit de foire est souvent accompagnée par celle d'un ensemble de droits dont la juridiction, la perception des tonlieux et même la frappe de monnaie. Avec la fin de la dynastie carolingienne, vient le temps du morcellement de la puissance publique ; le droit de marché et de foire, qui en fait partie, ne peut qu'en subir les conséquences. De plus en plus, il entre dans le cadre de la seigneurie banale ou châtelaine. Durant les siècles de la féodalité, les seigneurs, comme ils le font dans maints autres domaines, s’arrogent le droit de concéder des foires et marchés sur leurs propres terres et sur celles de leurs vassaux. Le droit de marché est devenu un fief ordinaire que l'on vend, donne, engage, lègue, partage sans l'intervention de l'autorité royale.
3Mais dès le XIIIe siècle, avec le renforcement du pouvoir royal en France, on revient à l'idée romaine du droit de marché comme appartenant exclusivement au souverain. Vers la fin du siècle, il est considéré comme un des droits régaliens ; ce point de vue est confirmé dans les documents de l'époque et dans les textes théoriques des juristes3. Dans la région toulousaine, le XIIIe siècle marque la fin de l'autonomie de la maison comtale avec l’arrivée d'Alphonse de Poitiers, frère de Saint Louis, et, à sa mort sans héritier, la passation du vaste domaine comtal dans le royaume de France (1271). La royauté se met immédiatement à l'œuvre dans le but d'encadrer la région pour y imposer son autorité. Le mouvement de fondation des bastides, s'il précède de plusieurs décennies l'annexion formelle, est une arme puissante ; les agents royaux tel le sénéchal de Toulouse, Eustache de Beaumarchais, laissent une impreinte indélébile sur le paysage régional par leurs créations nombreuses. Chaque bastide a son fondateur, le plus souvent, dans la région toulousaine, le roi de France seul ou en paréage avec un puissant seigneur local, laïc ou ecclésiastique. A Montréjeau, par exemple, fondé en 1272, le roi agit avec un seigneur laïc, Arnaud d'Espagne-Montespan, alors qu'à Grenade, en 1290, il s'associe à l'abbé de Grandselve. Dans les deux cas, la charte de fondation accorde aux habitants des bastides le droit de tenir foires et marchés. Il est intéressant de noter que dans l'article de la charte de Grenade concernant les foires et marchés, le roi les attribue seul alors que dans la plupart des autres articles, le paréage est de règle :
Art. 16. – De même, le seigneur roi accordera et prescrira de tenir un marché dans la dite ville ou bastide, une fois par semaine, le mercredi, et des foires, deux fois par an ; l'une à la fête des bienheureux apôtres saint Philippe et saint Jacques, l'autre à la fête d'hiver de saint Nicolas4.
4Les foires et marchés ne sont pas concédés uniquement dans le cadre de la création de bastides. Lors de la concession ou la confirmation de chartes de coutumes, si caractéristiques des XIIIe et XIVe siècles, le roi ou son agent accorde fréquemment le droit de tenir foires et/ou marchés. A Cuq-Toulza, Jean de Trie, sénéchal de Toulouse, a conclu en 1319, au nom du roi, un paréage avec les co-seigneurs ; il a concédé par le même acte des privilèges à la communauté parmi lesquels le droit de foires et de marchés5. On peut poser la question de savoir si cette concession correspond à une création de novo de foires et de marchés ou si elle n'est que la reconnaissance officielle d'institutions nées spontanément. Il est vraisemblable que cette dernière hypothèse doit valoir au moins dans une partie des cas, mais la documentation est tellement lacunaire qu'une réponse définitive dans chaque cas particulier ne pourra jamais être fournie. Dans le cas de confirmations de privilèges, la situation est moins ambiguë car de tels actes présupposent l'existence d'institutions et de coutumes autonomes. En 1330, à Fanjeaux, il est question d'une confirmation de foires et marchés par Béraud de Solomiac, sénéchal de Toulouse, en même temps que de l'union perpétuelle de la ville et de la châtellenie de Fanjeaux au domaine immédiat du roi. En tant que seigneur banal, le roi s'attribue le droit de leude sur les grains vendus sur les marchés6. Ici, donc, le roi autorise rétrospectivement des institutions relevant du droit régalien mais qui avaient été acquises dans le cadre féodal.
5Depuis la fin du XIIIe siècle et jusqu'à la Révolution, le droit de foire et de marché appartient exclusivement à l'autorité royale. Dans la théorie, du moins, cette affirmation n'est guère contestée comme peuvent l'être certaines prétentions royales. Il n'empêche que ce droit, en principe exclusif, est exercé périodiquement par d'autres que le roi, notamment aux XIVe et XVe siècles par les féodaux qui, dans le cadre de leurs principautés territoriales, ont recueilli les droits de commandement perdus par les seigneurs. Les grands fiefs du Midi, comme les comtés de Foix ou d'Armagnac, sont des seigneuries vigoureusement autonomes. Dans la région toulousaine, l'autorité royale semble assez bien respectée ; la majorité des concessions de foires datant des XVe et XVIe siècles émanèrent du roi. Le marché de Cintegabelle fut accordé en 1423 par Charles VII ; Louis XII confirma les privilèges, franchises et libertés accordés par ses prédécesseurs aux habitants de Caraman en 1500 ainsi qu'une nouvelle foire ; en 1565, Charles IX accorda à la même communauté une quatrième foire7.
6Les entorses à la règle apparaissent indirectement. En 1499, l'ordonnance de Blois cherche à limiter les pouvoirs des gouverneurs royaux, trop souvent tentés de se comporter comme de véritables princes provinciaux. Selon R. Doucet, l'ordonnance prohiba tout ce qui paraissait empiéter sur les attributions du roi : l'accord des grâces, anoblissement ou légitimations, autorisation de foires ou de marchés, le jugement souverain des procès civils et criminels. « Ce texte ne fut qu'un vain rappel des principes »8. Toutes ces attributions ont-elles été usurpées par les gouverneurs ? Ont-ils vraiment autorisé des foires ou marchés ? Nous n'avons pas d'exemple.
7Le régime féodal n'a pas totalement disparu encore et l'absolutisme royal commence à peine sa carrière fulgurante. Certains grands seigneurs résistent toujours aussi résolument à la pression dévorante de la monarchie française. Tel est le cas de la maison de Béarn. C'est pourquoi nous pouvons trouver encore en plein XVIe siècle une concession de foire aux habitants d'Auterive par Henri d'Albret, roi de Navarre et comte de Foix9. Ce genre de concession a dû continuer dans les domaines béarnais jusqu'à l'accession d’Henri III de Navarre au trône et l'annexion formelle de ses terres à la couronne après sa mort.
8Selon les spécialistes du droit seigneurial de l'époque, le droit régalien a pu être enfreint dans certaines provinces où les seigneurs ont continué à accorder foires et marchés dans leurs seigneuries ou dans celles de leurs vassaux. Selon Pocquet, dans son Traité des fiefs, la coutume d'Anjou attribue ce droit aux seigneurs châtelains à l'exclusion des seigneurs justiciers. Il reconnaît, cependant, que les foires et marchés sont théoriquement concédés par le roi et doivent bénéficier de lettres patentes dûment enregistrées. Il y a néanmoins débat à ce sujet, certains juristes soutenant « que les Châtellains et autres seigneurs supérieurs ont ce droit par la Coutume, et que Frustra impetratur a Principe quod a lege conceditur » [c'est en vain qu'on obtient du prince ce qui est accordé par la loi]10. Le juriste Denisart pense que ces coutumes provinciales, si elles accordent ce droit aux châtelains et autres seigneurs supérieurs, le font sous l’autorité du roi : « ... mais comme les coutumes qui leur donnent ce droit n'ont force de loi que parce qu'elles ont été rédigées sous l'autorité du roi, & confirmées par des lettres-patentes enregistrées, on peut dire que c'est toujours de l'autorité royale qu'émane le droit de ces seigneurs »11. Ce raisonnement n'est pas forcément très convaincant dans la mesure où il ouvre, nous semble-t-il, une assez large brèche dans le droit régalien. Quoi qu'il en soit, Pocquet, lui, conseille l'obtention de la permission royale pour tout nouvel établissement de foires et marchés en Anjou comme ailleurs. Il limiterait le droit de marché à une sorte de droit de veto. Les seigneurs supérieurs pourraient empêcher les seigneurs inférieurs « d'en établir dans leurs Terres, quand même ils auroient obtenu à cet effet des Lettres Patentes du Roi »12. Un seigneur ayant déjà des foires ou marchés pourrait aussi empêcher tout nouvel établissement dans un rayon de quatre lieues autour de sa terre, ou tout changement de jour qui ferait coïncider une foire ou marché voisin avec le jour de ses propres réunions13. Ces prétentions seigneuriales montrent les limites théoriques du droit régalien, mais il faudrait consulter les archives provinciales pour voir si elles ont une réalité autre qu'anecdotique.
9De l'époque de Louis XIV jusqu'à la Révolution, le droit de concéder des foires et marchés, d'en réglementer les privilèges, d'en fixer ou d'en modifier la date ou la durée fait partie des attributions du contrôleur général des Finances14. L'acquisition de ces institutions commerciales exige un certain nombre de formalités destinées à démontrer d'une part leur éventuelle utilité, de l'autre leur incapacité de nuire à des établissements déjà existants. Nous empruntons au Rapport sur les Foires et Marchés de Moreau-Saint-Méry de 1791 la description des étapes :
Dans l'ancienne administration, lorsqu'une communauté, un corps municipal, ou un seigneur demandait une foire ou un marché, c’était à l'intendant de la province qu'il appartenait d'examiner d'abord si la demande devait réussir, et un intendant de commerce prononçait ensuite au nom du ministre des finances. Lorsqu'on admettait la demande, on expédiait des lettres patentes, dont l'enregistrement n'avait lieu dans le parlement du ressort, qu'après un procès-verbal de commodo et incommodo, fait à la requête du procureur général15.
10On remarquera le fait que la demande peut émaner, selon les cas, de trois groupes distincts représentant trois pôles de la société de l'Ancien Régime : l'ensemble des habitants d'un lieu, un groupe socio-professionnel comme celui des marchands et la puissance seigneuriale. Leurs motivations ne sont pas nécessairement les mêmes, mais de telles demandes doivent recueillir un assez large consensus auprès de l'ensemble des intéressés.
11Les archives de l'intendance du Languedoc n'ont gardé la trace que d'un peu plus d'une vingtaine de demandes de création ou de rétablissement de foires ou de marchés concernant des communautés du Haut-Languedoc entre 1720 et 1789. On peut penser que ce chiffre sous-estime le nombre réel de demandes soumises. Nous avons également fait quelques sondages dans les archives de la généralité de Bordeaux à des fins comparatives ; là aussi, le faible nombre de requêtes conservées en sous-évalue certainement le chiffre réel. Dans la très grande majorité des cas, les requêtes émanent de la communauté (maire, consuls, habitants) ; rares sont celles venant des seigneurs ou des marchands. On est tenté de relier la faible présence seigneuriale à l'importante autonomie dont les communautés d'habitants jouissent traditionellement dans le Midi. Mais il faudrait analyser le même type de demande pour d'autres régions plus soumises à l'autorité seigneuriale – la Bretagne ou la Bourgogne par exemple – avant de conclure définitivement16.
12Comment ces requêtes se présentent-elles ? Examinons, d'abord, la demande de création de deux foires posée par Pierre Saint-Marc de Saint-Sauveur, seigneur de la Maison neuve, du Puch la Tour, de Pujols, seigneur haut justiciable de la terre et baronnie de Saint-Sève. Il justifie en premier lieu sa qualité de seigneur des divers lieux évoqués. Il explique ensuite l'existence à Saint-Sève de deux assemblées annuelles liées à une chapelle des Feuillants qui attire des fidèles le jour de Saint-Antoine (17 janvier) et le jour de Saint-Laurent (le 10 août). Ces deux rassemblements ont donné naissance à des échanges commerciaux :
A l'occasion de cette dévotion qui arrive deux fois l’année, il s’est étably... deux foires ou assemblées auxquelles se rendent régulièrement nombre de marchands drapiers, quinquailliers, marchands de toilles, dentelles, rubans et autres17.
13Les ancêtres du sieur de Saint-Sauveur avaient fait construire une halle vers 1700 pour abriter les marchands ; depuis, la halle a toujours été entretenue par les membres de sa famille ou par lui-même. Ces « assemblées » n'avaient jamais été accordées par l'autorité royale, ce qui explique la démarche entreprise en 1750. Nous sommes en présence d'un cas assez typique, sans doute, de pèlerinages ayant suscité une activité commerciale périodique. Il faut souligner que la spontanéité des origines semble avoir vite laissé la place à une organisation seigneuriale avec la construction de la halle et la perception de droits de hallage. Il s'agit de foires de facto, sans doute de faible importance ; dans sa demande de 1750, le seigneur voulait élargir leur champ d'activité au commerce des bœufs et chevaux, ce qui a motivé sa démarche auprès de l'administration. En effet, le commerce des bestiaux est davantage contrôlé que celui des quelques marchands de textiles plus ou moins ambulants.
14Deux affiches des années 1752-1759 illustrent une des étapes suivantes de la démarche administrative. Il s'agit d'affiches imprimées par l'intendant de Bordeaux avertissant les populations de la demande faite par deux seigneurs de créer foires et marchés dans leurs seigneuries respectives, l'une à Saint-Christoly-Médoc, l'autre à La Chapelle-Faucher. L'intendant demande à ceux qui auraient « intérêt de s'opposer à cet établissement » de formuler des mémoires ou requêtes devant les subdélégués appropriés dans un délai d'un mois après la première publication lors de la messe paroissiale du lieu demandeur et des localités voisines18. Cette publicité faite autour des projets de création ou de modification de foires et marchés a pour but d'en informer les communautés voisines qui pourraient en subir quelque dommage. Les subdélégués dans leurs circonscriptions sont chargés de recueillir les opinions favorables ou défavorables et d'en informer l'intendant. Des affiches de ce type ont suscité des réactions d'opposition de communautés concernées, dans la même généralité, à la même époque. Prenons le cas des consuls et communauté de la ville de Casteljaloux en Albret qui expriment leur opposition à la demande formulée par les consuls de Caumont-sur-Garonne. L'hostilité des habitants de Casteljaloux est motivée par l'inutilité, voire le préjudice de nouveaux marchés pour le commerce et l'agriculture, mais surtout par le fait que le jour de marché proposé correspond au jour du leur, le mardi. Ils considèrent que leur marché doit être protégé contre cette agression :
S'il s'agit de privilèges nous en avons au dessus de Messieurs de Caumont, notre marché est aussi ancien que la ville, notre ville est privilégiée, parce qu'elle est décorée d'un chapitre et d'un sénéchal. Ce n'est donc que par envie que Messieurs de Caumont demandent ce nouvel établissement qui nous seroit très préjudiciable19.
15En contraste, Caumont ne mérite qu'à peine le nom de bourg ; on n'y trouve que « quelques maisons placées sans ordre dans une cloaque... » La réaction de Casteljaloux est typique du refus de voir s'installer un rival potentiel même peu dangereux a priori. Les jours de marché sont sacrés, nous le verrons à maintes reprises au XIXe siècle.
16La plainte émise par les consuls de Montréal en 1752 témoigne d'un souci analogue mais qui n'entre pas dans le même cadre institutionnel. Elle vise les marchés d'un bourg voisin, Sos, accusé d'avoir augmenté, plus ou moins illicitement, la fréquence de ses marchés, passant d'une réunion tous les quinze jours à une réunion hebdomadaire. Le problème est que le jour coïncide avec celui des marchés bien plus anciens de Montréal, créés en même temps que la bastide en 1255. Selon les consuls de Montréal, une telle augmentation des jours de marché ne peut se faire « sans une permission expresse de sa majesté ». Existe-elle, ou s'agit-il plutôt d'une action hors normes ? Ils demandent donc à l'intendant d'interdire la tenue des marchés illégaux de Sos. Une telle démarche constitue une sorte de processus inversé des formalités administratives normales20.
17L'opposition manifestée par les communautés de Casteljaloux et de Montréal se pose comme une action de défense collective de l'ensemble des habitants des deux localités. Telle n'est pas la position de Monsieur de Castries, seigneur de Puylaurens, qui par deux fois s’est opposé à la création ou au rétablissement de foires et de marchés dans des communautés voisines durant les années 1771-1779. Selon le subdélégué de Lavaur, son hostilité prend sa source dans la défense de ses droits seigneuriaux perçus sur les grains vendus aux marchés de Puylaurens :
M. de Castries, seigneur de Puylaurens... est le seul qui me paroisse, Monseigneur, un peu intéressé à ce que cet établissement n'ayt pas lieu et fondé à y faire des oppositions, attendu qu'aux marchés de Puylaurens il se perçoit à son proffit un droit de coup sur les grains qui se vendent et tant qu'on vendrait aux foires de Semalens seroit en tant moins aux marchés de Puylaurens, parce que cette ville est la plus aportée de Semalens, n'en estant qu'à une lieue...21.
18En 1779, ce même seigneur aurait employé l'arme judiciaire, allant jusqu'au Conseil du roi, afin d'empêcher M. de Montesquieu, baron de Saint-Paul-Cap-de-Joux, de rétablir foires et marchés dans cette communauté en arguant de la primauté de ses droits seigneuriaux par rapport aux institutions commerciales. Sa position se rapproche de celle énoncée par Pocquet dans son Traité des fiefs cité plus haut.
19A la fin de l'Ancien Régime, l'administration royale a réussi globalement à imposer son droit exclusif à la création de foires et marchés. Bien qu’anciennement revendiqué, il ne s'est pas imposé automatiquement partout en France. Le déclin des grandes maisons féodales, la régularisation, très incomplète il est vrai, des coutumes provinciales, la mise en place de structures administratives plus centralisées et moins autonomes (le triomphe des intendants sur les gouverneurs) ont tous contribué à renforcer l’autorité royale dans quasiment tous les domaines. Le droit des foires et marchés n'a pas échappé à ce mouvement.
LA RÉVOLUTION
20Dans un premier temps, préoccupés par les grandes questions politiques et constitutionnelles, les révolutionnaires ne cherchent pas à innover dans la législation sur les foires et les marchés. La première mesure les concernant date de juillet 1790, lorsque l'Assemblée nationale décrète le respect des franchises et autres privilèges possédés par de nombreuses foires22. Le 31 mars 1791, la question des foires et marchés est débattue par l’Assemblée ; il s’agit alors d'un projet de décret proposé par le comité de la Constitution et présenté par Le Chapelier, partisan du libéralisme économique. Le projet est d'une simplicité désarmante :
Il est libre à toute commune d'établir dans son territoire des foires et marchés et de faire annoncer et publier les jours où ils se tiendront, à la charge seulement de faire au directoire de district sa déclaration, et de ne prendre aucun droit d’étalage que ceux qui pourront être nécessaires pour la tenue des foires et marchés23.
21Cela aurait signifié la disparition totale du droit régalien au profit d'une liberté totale à l'échelle communale. Ce projet de décret vise l'élimination de toute entrave à la liberté commerciale ; il doit être compris dans tout le mouvement libéral de ce début de Révolution marqué par le décret sur la libre circulation des grains du 29 août 1789, par la loi proposée par Allarde, du 2 mars 1791, supprimant les corporations, jurandes et maîtrises et par celle de Le Chapelier ordonnant l'abolition des corporations et renouvellant l'interdiction des coalitions ouvrières du 14 juin 179124.
22Le débat du 31 mars 1791 oppose tenants d'une liberté absolue aux défenseurs de notions d'ordre et de police. Le député Prieur prône une position radicalement libérale en voulant réduire le décret à une phrase : « Il est libre aux marchands de se réunir, et de vendre où bon leur semble ». Les députés Martineau et Chabroud adoptent une position beaucoup plus nuancée dans la mesure où ils veulent renvoyer le projet au comité de Constitution ou à celui d'agriculture et de commerce afin d’élaborer un décret conciliant tous les intérêts. Pour eux, un des problèmes majeurs concerne le maintien de l'ordre. En effet, la gendarmerie nationale a la charge de se rendre dans les foires ; si l'on permet le développement anarchique des foires dans un district, avec la multiplication des réunions dans de multiples lieux, elle ne pourrait jamais être présente partout25. Leurs arguments ont porté puisque le projet de décret est renvoyé.
23Six mois plus tard, le 30 septembre 1791, le député de la Martinique, Moreau-Saint-Méry, soumet son Rapport fait au nom du comité d'agriculture et de commerce sur les Foires et Marchés à l'Assemblée nationale. Après avoir évoqué des considérations générales sur la nature du commerce, sur la distinction entre foire et marché et sur la grandeur et déclin des grandes foires, le rapporteur montre que l'idée de privilège ne peut plus être acceptée et que l'intérêt général doit désormais primer :
C'est donc à procurer des facilités, soit pour des échanges journaliers, soit pour des échanges périodiques, suivant la nature des lieux et des marchandises, que doit se borner désormais tout le système des foires et des marchés ; c'est par leur entremise qu'il faut chercher à établir le niveau entre les productions de la culture et de l'industrie, et la consommation, et à faire connaître vers quels objets il est plus lucratif de diriger des vues commerciales26.
24Le comité estime que toute commune n'a pas vocation à avoir des foires et marchés ; il faut prendre en considération les ressources locales, agricoles, industrielles, commerciales, les voies de communication, la proximité d'autres lieux plus ou moins aptes aux échanges. La distance spatiale et temporelle entre lieux et jours de foires et marchés n'est pas à négliger. Le rappel des formalités administratives nécessaires sous l'Ancien Régime pour en obtenir l'autorisation royale aboutit à la conclusion que les foires et marchés, en tant qu'établissements de commerce, font partie de la police générale, relevant par conséquent de la seule autorité du roi. C'est le point de vue de la jurisprudence d'avant 1789. Est-ce à dire qu'il faudrait rejeter cette logique dans le nouveau régime politique ? La réponse du comité est négative :
Votre comité a pensé, Messieurs, que l'ordre actuel des choses n'apportant aucun changement à la nature d'une foire et d’un marché, qui reste toujours une institution commerciale, il ne pouvait y avoir de doute que c'était au pouvoir législatif à statuer dans cette matière. L'influence est trop sensible et trop directe, pour que cet objet important puisse être retranché de la compétence du pouvoir national. C'est un de ses plus beaux attributs que d'ouvrir de nouvelles sources à la prospérité publique ; nous avons donc regardé comme base fondamentale, que nul établissement de foire ou de marché ne devait avoir lieu qu'en vertu d'un décret sanctionné27.
25Par rapport au premier projet de Le Chapelier, celui-ci constitue un retour en arrière considérable. De la liberté totale, on est revenu à une conception bien plus traditionnelle ; si l'on ne parle plus de droit régalien, on fait désormais référence au pouvoir législatif, au pouvoir national. Une fois le principe national posé, le reste n'est que question de méthode : quelle procédure adopter pour donner au pouvoir législatif les moyens de décision suffisants ? Le comité propose une méthode plutôt lourde que nous pouvons résumer ainsi :
- Le conseil général de la commune formule sa demande.
- La demande est envoyée au directoire du district.
- Les communautés du canton et les chef-lieux des cantons limitrophes en sont informés.
- Ils renvoient leurs avis au directoire du district.
- Celui-ci fait part de son avis au directoire du département.
- Les directoires de districts limitrophes et de départements limitrophes en sont informés, leur avis sollicité.
- Le directoire du département centralise les avis et en fournit un détaillé à la Législature.
- Celle-ci décide du sort à donner à la demande.
26Le comité a manifestement le souci d'assurer que les nouveaux établissements correspondent à la fois à des besoins réels de la population demandeuse et aux nécessités des communes environnantes sans nuire aux intérêts acquis. Dans sa logique, la démarche proposée n’est pas très différente de celle employée sous l'Ancien Régime. A part les changements de circonscription administrative, la modification la plus importante concerne la demande elle-même. Seul le conseil général (plus tard le conseil municipal) peut formuler la demande, alors qu'avant 1789 elle pouvait émaner non seulement de la communauté mais aussi d'une corporation ou du seigneur. Dans l'esprit du comité, le conseil général de la commune donnerait à la demande « un caractère public » qu'il estime obligatoire. En dépit de la cohérence de la présentation et du projet, le Rapport n'a pas convaincu. Aucun décret sur les foires et les marchés n’est voté par les députés en 1791. La Constitution de 1791 ignore totalement cette question, sans doute de nature trop étroite pour être traitée dans un document fondamental. Cette omission ne tarde pas à poser des problèmes, car on s'est aperçu rapidement du vide législatif et administratif ; le gouvernement instauré par la Constitution n'a aucun moyen de répondre aux demandes de nouvelles foires et marchés posées par les communes et les départements. Le ministre de l'Intérieur, assiégé de demandes et de réclamations, doit avouer son impuissance durant l'année 1792 dans ces termes :
Ci-devant il n'y avait pas de loi général sur les foires et marchés... il était fait une loi particulière pour chaque concession de foires ou marchés. Cet usage est abrégé par le nouvel ordre de choses. Le pouvoir exécutif ne peut... faire aucune loi, même provisoire, mais seulement des proclamations conformes aux lois, pour en ordonner ou rappeler l'exécution. Or il n'y a aucune loi qui détermine par qui, comment et dans quelles circonstances il sera établi des foires et marchés, d'où il suit que le pouvoir exécutif ne peut prononcer sur aucune des demandes qui sont faites, et elles sont en très grand nombre28.
27En bref, le gouvernement ne peut rien faire en attendant le vote d'une loi par l'Assemblée nationale. Celle-ci n'a pu agir dans ce sens avant son remplacement par la Convention en septembre 1792, sauf pour voter la création de plusieurs dizaines de foires et de marchés dans 25 communes du pays29.
28Encore faut-il attendre le 4 mai 1793 pour qu'enfin le pouvoir législatif prenne une mesure de circonstance ne concernant que les marchés. La situation économique du pays est alors catastrophique, la disette s'aggrave de jour en jour. Dans un « décret concernant les subsistances » la Convention autorise les directoires de département à établir des marchés dans tous les lieux où ils seraient jugés nécessaires ; les directoires n'ont pas le droit, en revanche, d'en supprimer30. Cette mesure, comprise dans une législation surtout destinée à résoudre le problème des subsistances, vise à faciliter les efforts des administrateurs locaux dans l'approvisionnement des populations. Puisque les grains ne doivent plus être ni vendus ni achetés ailleurs que dans les marchés publics, il faut en assurer l'existence d'un nombre suffisant. Il est significatif que le texte ne mentionne point les foires, moins importantes d'un point de vue des approvisionnements quotidiens ou hebdomadaires.
29Cinq mois plus tard, la Convention prend le temps, très peu en fait, de voter un décret plus général sur les foires et marchés. A la suite de la demande de la commune de Vic relative à leur établissement,
la Convention nationale... décrète qu'elle passe à l'ordre du jour, motivé sur ce qu’il est libre à chaque commune d'établir telles foires et marchés que bon lui semble, et sans être assujettie à aucune homologation ou approbation des corps administratifs31.
30Ce bref décret s'inspire de toute évidence plus du projet Le Chapelier que de celui de Moreau-Saint-Méry ; la liberté entière est accordée à chaque commune de créer autant de réunions commerciales qu’elle le souhaite. Les problèmes de coordination, de cohérence, d'utilité ou de police n'entrent nullement en compte. Le radicalisme de cette mesure législative ne lui permet pas de s'inscrire dans la durée. Moins de deux mois plus tard, alors que le pays affronte une crise de subsistances dramatique, la Convention renverse brutalement la vapeur. Le 18 vendémiaire an II (9 octobre 1793), elle vote un décret « qui maintient dans leurs arrondissements les anciens marchés existant avant 1789, et défend provisoirement d’en établir d'autres »32. Le décret ne reconnaît que les marchés déjà en place avant la Révolution ; ceux créés depuis tombent dans un no man's land administratif ; aucune nouvelle demande ne pourra être approuvée jusqu'à nouvel ordre.
31Le décret du 9 octobre 1793 a laissé quelques traces dans les archives locales. Dans le bourg de Lévignac, district de Toulouse, les sans-culottes et les autres habitants se sont insurgés contre une commune voisine, Garac, pour cause d'un marché prétendument illégal qui s'y tenait. Le nœud du problème est simple ; avant 1789, les habitants de Garac approvisionnaient le marché de Lévignac ; selon le décret du 9 octobre, « les anciens marchés existant avant 1789 sont maintenus dans leurs arrondissements », sans distinction de district. L'article 5 du même décret défendait également « de former aucun nouveau marché pour les grains et denrées autres que ceux maintenus dans l'article 1... » que nous venons de citer. Par conséquent, le marché de Garac, qui n'existait pas avant 1789, est illégal. La municipalité de Lévignac, aidée par les sans-culottes de la Société républicaine, mène donc une guerre administrative contre son voisin récalcitrant33. Le cas du conflit entre Lévignac et Garac ne doit pas être unique puisque le Comité de Salut public estime nécessaire le 25 floréal an III (14 mai 1795) de prendre un arrêté abolissant « toutes les foires et marchés formés depuis le premier janvier 1789, dans les diverses communes de la République, sans le concours des autorités constituées, et dont les établissements n’ont pas revêtu de formes légales... »34. Il semblerait que durant les premières années de la Révolution, un nombre considérable de communes ont créé des foires et marchés sur leur propre initiative et autorité, profitant du vide législatif que nous avons constaté. Les différentes mesures prises par la Convention n'ont pas simplifié les choses en décrétant une très grande liberté de création. Même si elles n'ont pas duré longtemps, elles ont suffi pour permettre à des communes de délibérer en faveur de l'établissement de nouveaux marchés ou foires. Revenue à une politique plus conservatrice dans ce domaine, la Convention et son arme exécutive ont à colmater les brèches. Il en va de même dans les départements dès la réception de cet arrêté. Le 18 prairial an III (6 juin 1795), les administrateurs du département de la Haute-Garonne s'adressent aux administrateurs et procureurs syndics des districts afin de promouvoir son exécution. Ils constatent « que malgré les lois qui deffendent d'établir des marchés et des foires, il s'en est cependant établi un grand nombre », ce qui nuit à l'agriculture et aux transports des denrées et des marchandises, donc à l'intérêt public35. Il n'est pas sûr que ces rappels à l'ordre empêchent la tenue des réunions commerciales ainsi dénoncées. Il n'en est pas moins vrai que si le marché contesté de Garac figure sur un des tableaux officiels dressés par le département en l'an II, il n'y apparaît plus sur ceux de l'an III et après36. Doit-on conclure à sa disparition plus ou moins contrainte ? Y a-t-il eu d'autres cas de marchés éphémères datant de cette période et condamnés à une mort prématurée ?
32Une nouvelle étape législative a lieu après le coup d'Etat du 22 floréal an VI (11 mai 1798). Le Directoire poursuit sa politique anticléricale lancée à la suite du précédent coup de force de fructidor an V. Parmi ses dispositifs clefs, l'imposition du calendrier républicain, sujet examiné plus loin. L'important ici est le vote d'une loi prescrivant aux administrations centrales de dresser le tableau des foires selon les jours fixes dans l'annuaire de la République et de le faire afficher dans chaque commune37. Ces jours doivent correspondre à des dates du nouveau calendrier et non plus, comme cela avait été souvent le cas, aux fêtes religieuses. Ce changement de calendrier n'apporte aucun changement dans la manière d'attribuer des foires et marchés ou, plutôt, dans l'absence de législation dans ce domaine. Entre le décret d'octobre 1793 maintenant les marchés dans leurs arrondissements d'avant 1789 et un nouvel arrêté sur les marchés en juillet 1800, on a l’impression d'un véritable vide qu'aucune législation n'a cherché à combler.
33C'est donc dans ce contexte que les consuls agissent par leur arrêté du 7 thermidor an VIII. Dès lors, les jours de foire sont attribués par les consuls sur le rapport du ministre de l'Intérieur et sur l'avis du préfet. Les jours de marché se règlent de façon similaire, sauf que le ministre de l'Intérieur décide en dernier lieu sur l’avis du préfet38. Les foires restent donc sujettes à l'accord du pouvoir suprême alors que les marchés peuvent s'acquérir avec l'approbation du gouvernement par l'intermédiaire du ministre chargé tout particulièrement des problèmes de police et de subsistances. Cet arrêté est bien plus proche dans son esprit et ses mécanismes de la pratique de l'Ancien Régime et du projet de Moreau-Saint-Méry que des propositions de Le Chapelier et du décret d'août 1793 donnant à chaque commune la faculté d'établir foires et marchés. Après une dizaine d'années d'atermoiements, a-t-on enfin trouvé une règle de jeu efficace et durable ?
LE XIXe SIÈCLE
34Durant le XIXe siècle, la législation sur les foires et les marchés fait progressivement passer les pouvoirs d'attribution de l'autorité souveraine aux autorités locales, conseil municipal et conseil général. Ce mouvement de décentralisation des pouvoirs se fait sentir particulièrement pendant le Second Empire et les premières décennies de la Troisième République. Nous en résumons les principales étapes dans le tableau qui suit. Deux principaux cas de figure se distinguent : les marchés d'approvisionnement et les foires et marchés aux bestiaux. Dans la législation du siècle dernier, le pouvoir d'attribuer de simples marchés passe du ministre de l'Intérieur (an VIII), au ministre de l'Agriculture et du Commerce (1838), au préfet (1852) et enfin au conseil municipal (1884). La loi du 24 juillet 1867 sur les conseils municipaux les dispense désormais de l'avis du conseil d'arrondissement et du conseil général. A partir de 1884, donc, une commune peut se doter d'un marché aux grains ou tout autre marché de denrées ou de marchandises en vue de la consommation locale par une simple délibération du conseil municipal.
35Le cas des foires et marchés aux bestiaux est plus complexe. Comme sous l'Ancien Régime, et pour les mêmes raisons, leur attribution appartient à l'autorité souveraine, des consuls d'abord (an VIII), de l'empereur ensuite, du roi durant la Restauration et la Monarchie de Juillet et, enfin, de l'empereur de nouveau mais très brièvement. La seule exception à cette règle semble avoir été l'interlude de la Seconde République où nous constatons des concessions de foires par décret ministériel en 1848, 1850 et 185139. Un premier changement important dans le pouvoir d'attribution survient avec le décret impérial du 13 août 1864 qui le transfère aux préfets sur l'avis des conseils d'arrondissements et des conseils généraux. Cette décentralisation constitue la suite logique d'un premier décret de 1852, transférant le pouvoir de statuer sur les simples marchés du ministre aux préfets. Le second changement fondamental intervient en 1871 à la suite de la loi sur les conseils généraux ; le pouvoir d'attribution des foires et marchés détenu par les préfets passe aux conseils généraux, sur avis des conseils d'arrondissement et des préfets40.
36Les grandes étapes législatives fournissent les structures élémentaires du pouvoir de statuer sur la création, suppression ou modification des foires et marchés. Mais tout n'est pas toujours très clair dans le partage des responsabilités et des pouvoirs. En avril 1814, par exemple, le nouveau régime monarchique doit prendre une ordonnance rendant nuls deux arrêtés préfectoraux modifiant des dates de foires ; l'ordonnance soutient fermement que cette question appartient au gouvernement et à l'autorité souveraine41. La loi de 1871 introduit par inadvertance une nouvelle zone d'ombre dans la législation. Le conseil général d'un département doit obligatoirement consulter celui d’un département limitrophe dans certains cas que nous aborderons plus loin. En cas d'avis favorable, le premier conseil peut statuer à sa guise ; en cas de désaccord, au contraire, tout le mécanisme se trouve bloqué, aucun arbitrage n'étant prévu. Entre 1864 et 1871, alors que les préfets ont le pouvoir d'accorder foires et marchés, les conflits entre départements sont réglés par décision ministérielle, ce qui explique pourquoi on trouve parfois un arrêté ministériel parmi le lot des actes préfectoraux. Le Conseil d'Etat conclut dans un avis du 5 décembre 1872 qu'un conseil général ne peut passer outre à l’opposition d'un conseil général voisin et intéressé et que le ministre de l'Agriculture n'a pas qualité pour statuer. Si une conférence interdépartementale ne parvient pas à résoudre le conflit, on ne pourra que constater l'impasse. Il restera au législateur à prendre ses responsabilités42. Certaines assemblées départementales ont cru pouvoir aller au-delà de cet avis ; le gouvernement n'hésite pas à faire annuler de telles actions par des décrets en Conseil d'Etat. Parmi les conseils généraux ainsi visés, celui du Gers qui n'a pas accepté le refus de son homologue de la Haute-Garonne au sujet d'un changement de date de six foires à Cologne, localité voisine de ce dernier département43. Cet imbroglio se termine le plus simplement du monde lorsque l'Assemblée nationale vote la loi du 16-20 septembre 1879 relative aux attributions des conseils généraux pour l'établissement, la suppression ou la modification des foires et marchés44. Cette loi exige toujours la consultation du conseil général voisin et intéressé mais le pouvoir de statuer appartient définitivement à l'assemblée du département dans lequel se trouve la commune demanderesse.
TABLEAU 1. AUTORITÉ SOUVERAINE DANS L'ATTRIBUTION DE FOIRES ET MARCHÉS45
• Arrêté des consuls du 7 thermidor an VIII
Marchés – Ministère de l'Intérieur sur avis du préfet.
Foires – Consuls sur l'avis du min. de l'Intérieur et du préfet.
• Ordonnance royale du 26 avril 1814
Marchés-Aucun changement.
Foires – L'autorité souveraine.
• Loi du 10 mai 1838
Marchés – Min. de l'Agriculture et du Commerce sur avis des conseils d'arrondissement et général.
Foires – Roi, sur avis du min. de l'Agriculture..., sur avis du préfet et des conseils d'arrondissement et général.
• Décret du 25 mars 1852
Marchés – Préfet sur avis des conseils d'arrondissement et général.
Foires – Empereur sur avis des mêmes instances.
• Décret du 13 août 1864
Marchés – Préfet sur avis des conseils d'arrondissement et général.
Foires – Préfet sur avis des mêmes instances.
• Loi du 24 juillet 1867
Marchés – Préfet sur délibération du conseil municipal de la commune demandeuse.
Foires – Aucun changement.
• Loi du 10 août 1871
Marchés-Aucun changement.
Foires – Conseil général sur avis du conseil d'arrondissement et du préfet.
• Loi du 5-6 avril 1884
Marchés – Conseil municipal sur délibération.
Foires – Aucun changement.
37Le mode d’attribution des foires et des marchés n'est pas sans conséquences sur le nombre de ces réunions. Le fait de savoir qui détient ce pouvoir permet d'éviter des interprétations hâtives comme, par exemple, celle proposée par E. Weber dans La Fin des terroirs. Dans son petit chapitre sur les foires et marchés, il note que « les décrets impériaux de 1852 et 1864 simplifièrent les démarches qui permettaient d'obtenir l'autorisation d'en créer ou d'en ajouter »46. Il s’étonne un peu de la relative rareté de créations durant ces années du Second Empire, la véritable croissance ne datant, à ces yeux, que du milieu de la décennie 1870. La loi sur les conseil généraux, avec sa modification fondamentale dans le lieu du pouvoir d'attribution des foires et marchés aux bestiaux, n'est pas étrangère à cette explosion. En effet, pour la première fois, le pouvoir décisionnel appartient à des représentants élus et non pas au souverain, au ministre ou au préfet, c'est-à-dire à des autorités dont la place ou la carrière n'est pas directement liée au suffrage universel masculin. Refuser des demandes de foires et de marchés quand on est ministre à Paris ou même préfet à Toulouse ou Auch ou Albi n'a pas les mêmes conséquences que lorsqu'on est conseiller général élu avec l'obligation de se présenter régulièrement devant ses électeurs. « L'explosion » du nombre de foires après 1871 n'a pas besoin d'être expliquée par la croissance économique, la modernisation des campagnes, l’amélioration des communications... Il y a d'abord, croyons-nous, un changement institutionnel qui modifie profondément les rapports de force entre la demande de nouvelles réunions commerciales et l'offre autorisée par les pouvoirs publics responsables.
38Pour étayer cette affirmation, nous avons analysé les avis prononcés par le conseils généraux de la Haute-Garonne entre 1824 et 1909 et de Tarn-et-Garonne entre 1826 et 1895. Nous les avons regroupés par période législative selon les lois en vigueur relatives au pouvoir de statuer sur les demandes. Rappelons-nous que de 1824 jusqu'à 1871, les conseils généraux donnent des avis mais ne prennent pas de décision. Après cette date, ils sont souverains. Ce tableau appelle quelques commentaires. Tout d'abord, le conseil général de la Haute-Garonne doit se prononcer, en moyenne, 4 fois par an durant la période examinée, celui de Tarn-et-Garonne un peu plus de deux fois. La variation du nombre de demandes n'a pas influé apparemment sur le taux d'avis favorables. Jusqu'au second décret impérial de décentralisation en 1864, le conseil général de la Haute-Garonne n'en laisse passer que la moitié environ, ce qui ne peut que freiner l'expansion du nombre de foires et marchés dans le département. En Tarn-et-Garonne les avis favorables sont légèrement supérieurs. Dans les deux départements, le taux d’avis favorables fait un bond en avant à partir de 1864, le pouvoir de décision appartenant désormais aux préfets sur avis des conseils généraux et d'arrondissement. Il atteint son apogée durant les premières décennies de la Troisième République ; de 1884 à 1896 en Haute-Garonne, il dépasse 94 %. Autrement dit, les conseillers généraux approuvent quasiment toutes les demandes présentées ne posant pas de problème de rivalité locale. Un certain nombre de communes ont pu alors bénéficier enfin d'une création d'une ou de plusieurs foires refusées auparavant. Ces chiffres ne disent pas tout, car ils ne concernent que le conseil général. Le préfet avait à formuler son avis avant 1864 et à statuer entre 1864 et 1871. A l'échelon au-dessus, le ministre concerné avait aussi un avis à donner avant 1864 ; s'il était négatif, l’autorité souveraine refusait en général de l'approuver. Les dossiers des demandes de création et de modification de foires et de marchés montrent que les autorités parisiennes n'avaient pas peur de dire non. Pour une courte période entre 1839 et 1845, nous avons comparé les avis défavorables du conseil général de la Haute-Garonne et les rejets opposés par le ministre de l'Agriculture et du Commerce ; les deux listes sont quasi identiques47.
TABLEAU 2. AVIS DES CONSEILS GÉNÉRAUX DE LA HAUTE-GARONNE ET DE TARN-ET-GARONNE SUR LES DEMANDES DE FOIRES ET MARCHÉS, 1824-190948

39Ceci nous amène à nous interroger sur les critères que les responsables à divers niveaux appliquent aux nombreuses demandes formulées par les communes. Pour les aider à prendre leur décision, les gouvernements successifs ont instauré un certain nombre de formalités administratives que devait compléter chaque commune ayant une demande à présenter. Avant d'analyser le discours des pouvoirs publics sur les foires et marchés, il convient de le replacer dans le contexte des démarches exigées des communes.
40Nous présentons les principales étapes de l'enquête administrative dans le tableau 3 qui suit. Nous y avons indu également celles en vigueur au dernier siècle de l'Ancien Régime, ce qui permet de constater une assez grande continuité sur l’ensemble de la période traitée. En effet, chaque demande de foire ou de marché doit être justifiée par une proposition rédigée par les demandeurs dans laquelle ils expliquent les mérites de leur projet. Les communes voisines sont alors informées, au XVIIIe siècle par voie d'affiche, au XIXe par l'envoi de la délibération formulant la demande. Elles sont ensuite invitées à s’exprimer sur le bien-fondé de la demande, par mémoire ou requête avant 1789, par délibération du conseil municipal après 1800. L'enquête de commodo et incommodo effectuée avant la Révolution complète cette consultation des populations concernées. Au XIXe siècle, l’enquête ne prend en compte que les avis des collectivités locales – conseils municipaux, conseils d'arrondissement, conseils généraux – et des autorités de l'administration – sous-préfets, préfets, ministres. A partir de 1838, les demandes doivent être accompagnées par un dossier contenant divers renseignements sur la population, les productions, les foires et marchés déjà existants dans le voisinage. Ces informations sont destinées aux institutions qui de droit ont à fournir leur avis. La loi de 1838, en effet, inscrit dans le droit la nécessité de consulter conseil d'arrondissement et conseil général alors qu’auparavant cette consultation était plutôt le fruit de la tradition administrative.
TABLEAU 3. LES FORMALITÉS D'ENQUÊTE EN VUE DE L'ÉTABLISSEMENT, LA SUPPRESSION OU LA MODIFICATION DE FOIRES ET MARCHÉS
ANCIEN RÉGIME
– Demande formulée par la communauté, une corporation, le seigneur.
– Examen par l’intendant ; affiches dans les localités voisines, demande de mémoires ou de requêtes.
– Décision ministérielle ; lettres patentes envoyées ; procès-verbal de commodo et incommodo fait à la requête du procureur.
– Enregistrement des lettres patentes au parlement du ressort et au bailliage.
RESTAURATION
– Délibération du conseil municipal.
– Délibération des communes voisines ou en relation habituelle.
– Avis du sous-préfet, du préfet, du conseil d'arrondissement, du conseil général.
– Envoi du dossier au ministère de l’Intérieur ; foires traitées par le bureau du commerce, marchés par le bureau des subsistances.
– Ordonnance royale.
MONARCHIE DE JUILLET
– Délibération du conseil municipal.
– Préfet provoque la délibération des communes dans un rayon de 20 km environ.
– Renseignements statistiques sur population, produits agricoles et industriels.
– Tableau des foires et marchés dans une rayon de 20 km ; noms des communes, leur distance, nombre de foires dans un rayon de 20 km, produits vendus, état des communications, importance relative de chaque foire.
– Avis du conseil d'arrondissement, du sous-préfet, du conseil général, du préfet.
– Avis envoyés au min. de l'Agriculture et du Commerce.
– Décret rendu sur rapport du ministre et délibéré dans le comité de l'Intérieur du Conseil d'Etat.
TROISIÈME RÉPUBLIQUE
– Délibération du conseil municipal.
– Calque topographique centré sur la commune demandeuse avec communes dans un rayon de 20 km.
– Renseignements statistiques sur la population...
– Tableau des foires qui se tiennent dans un rayon de 20 km (mêmes informations).
– La délibération imprimée envoyée aux communes dans un rayon de 20 km pour avis.
– Dossier soumis au conseil d'arrondissement pour avis.
– Avis du sous-préfet et du préfet.
– Conseil général délibère et statue.
SOURCES : Moreau-Saint-Méry, Rapport sur les marchés, Assemblée nationale, 1791. Circulaires du ministre de l'Intérieur des 18 janvier et 11 mai 1827. Dalloz, Répertoire, art. Halles, foires et marchés, p. 23. Circulaire du préfet de la Haute-Garonne, 30 nov 1888 (A.D. Haute-Garonne, M 122).
41Après avoir esquissé les aspects formels du processus d'attribution des foires et marchés, nous pouvons aborder le contenu même des demandes, des consultations, des décisions. Nous commencerons par ceux qui ont le pouvoir de décision : ministres, préfets, conseillers généraux. Par leurs attributions, ils sont constamment sollicités par des communes qui veulent créer ou augmenter le nombre de leurs foires et marchés.
42Dans quel état d'esprit accueillent-ils ces demandes ? Nous examinerons celles-ci ensuite, afin de voir si elles font appel à des critères semblables. Quels termes sont employés pour mettre en valeur les prétentions commerciales d'une commune ? De quels arguments se sert-on pour convaincre les communes voisines, les assemblées locales, les administrateurs départementaux et nationaux ? Enfin, nous analyserons plusieurs cas de conflit autour des foires et marchés afin de dégager, si possible, les véritables enjeux.
43Le discours ministériel s'exprime le plus souvent dans le cadre de circulaires envoyées aux préfets dans le but de guider leurs activités et d'orienter leurs attitudes. Il serait exagéré de dire que les ministres soutiennent ardemment les efforts locaux de favoriser le commerce périodique. En fait, la réserve est de rigueur. S'ils accordent quelques avantages à l'établissement de nouvelles foires qui, par exemple, donnent « aux consommateurs et aux producteurs des moyens de rapprochement », ils ont plus tendance à y voir des occasions de favoriser « l'oisiveté et les désordres de tout genre »49. Les mots clés sont leur multiplicité, leur trop grand nombre, leur trop grand rapprochement dans le temps. La conséquence de cette situation était claire : oisiveté, désordres, débauche, des déplacements inutiles et coûteux. Il faut donc procéder avec beaucoup de circonspection, ne favoriser que les demandes présentant des avantages sensibles, certains et étendus. L’intérêt général doit primer sur les avantages uniquement locaux. Traduit en termes de pouvoir concret, ce discours amène le ministre de l'Intérieur de Louis XVIII à affirmer aux préfets qu'il proposerait un très petit nombre de demandes « à l'approbation de Sa Majesté ». Employant presque les mêmes termes, le ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics de Napoléon III soutient qu’il n'autoriserait « que celles qui présentent des avantages certains et étendus »50. En somme, les ministres souhaitent freiner l’augmentation constante du nombre de foires et marchés, institutions qu'ils considèrent surtout comme des lieux de dissipation pour les populations rurales.
44Quoique étonnamment rare, le discours des préfets reflète fidèlement celui de leurs supérieurs hiérarchiques. Ce sont les mêmes termes qui apparaissent : déplacements coûteux et inutiles, oisiveté et débauche, abus nuisibles aux intérêts de l'agriculture et aux mœurs, trop grande multiplicité...51. Les choses deviennent plus intéressantes lorsque l'on regarde ce qu'en dit le conseil général. Cette assemblée de notables, dominée par d'importants propriétaires terriens, a longtemps soutenu le même point de vue plutôt négatif sur les foires et marchés. Nous ne répéterons pas les termes employés puisque le vocabulaire est resté quasi identique. Le grand tournant a lieu au milieu de la décennie 1870, après la loi donnant au conseil général le pouvoir d'attribuer foires et marchés aux bestiaux. En même temps, les conseillers généraux sont soumis à la rude loi de la concurrence électorale ; le suffrage universel masculin, la naissance de véritables partis politiques et des élections moins officiellement orientées font que la chasse à l'électeur est ouverte. Ce virage peut se résumer dans deux interventions faites par le même conseiller général, Monsieur Lartet, à dix ans d'intervalle, en 1871 et en 1881 :
1871
Monsieur Lartet demande la parole. L'honorable membre est opposé en principe à la création de nouvelles foires. Il fait remarquer que plus les marchés et les foires se multiplient, plus les produits se divisent, et plus grande est par la suite la difficulté pour les consommateurs de s'approvisionner là où ils se rendent. Il ajoute que les foires et marchés détournent les habitants des campagnes de leurs occupations et leur donnent des habitudes de paresse et de dissipation...52.
1881
M. Lartet demande à présenter quelques observations sur la question des foires et marchés. Il rappelle que, depuis plusieurs années, le Conseil, partant d'un principe général économique qu'on peut accepter ou repousser, mais qu'il a cru devoir accepter, a décidé que toute foire ou marché serait accordé, quitte à disparaître de lui-même s'il ne vaut rien, à toute commune qui, située à une distance raisonnable des autres communes, en solliciterait la création ; il demande que le Conseil persiste dans cette voie et appuie les conclusions de l’honorable M. Landes53.
45Il serait difficile de trouver un revirement plus net. Lartet en particulier et l'assemblée départementale en général sont passés d'une politique que l'on pourrait qualifier de malthusienne à une autre qui s'apparente, par analogie du moins, au libéralisme économique. Dans la première, on pratique le contrôle des naissances dans l'espoir d'avoir seulement quelques beaux enfants ; dans la seconde, on donne libre cours à la procréation, laissant aux forces économiques le soin de faire le tri. Ce changement radical de politique se trouve dans les avis formulés par le conseil général à cette époque. Durant la période 1871-1874, les premières années de souveraineté des conseils généraux en matière de foires et marchés, celui de la Haute-Garonne a refusé 12 demandes. De 1875 à 1889, soit sur l'exercice de 15 ans, il n'en a refusé aucune. Sur l'ensemble de la période 1875-1909, il se prononça défavorablement seulement cinq fois54.
46Si, comme l'affirme E. Weber, l'augmentation modérée du nombre des foires et marchés des deux premiers tiers du XIXe siècle a cédé la place à une croissance beaucoup plus forte à partir de 1875 environ, nous sommes enclin à penser que les changements institutionnels ont joué un rôle plus déterminant que des facteurs purement économiques. Cette affirmation, nous la limitons cependant à la seule question du nombre des foires et marchés et non à leur importance économique ou sociale. Il nous semble nécessaire, en effet, de séparer ces deux questions, car elles n'impliquent pas les mêmes causalités.
47Il convient maintenant d'analyser les demandes des communes. A partir des délibérations des conseils municipaux en faveur de l'établissement de nouvelles foires et marchés, nous avons regroupé les arguments et les termes employés autour de six pôles : la centralité, les communications, les infrastructures, les besoins locaux, les avantages généraux qui découleraient de nouvelles foires, enfin, leur incapacité de nuire. Nous avons examiné deux groupes de délibérations, un premier échantillon de la première moitié du XIXe siècle, un second des dernières années du XIXe et des premières années du XXe siècle. Il nous a semblé utile de pouvoir comparer le discours communal à deux moments bien distincts afin de voir si les arguments et les termes sont restés les mêmes ou si, au contraire, ils ont changé55.
48Le discours sur la géographie souligne la situation générale de la commune en des termes parfois vagues, toujours positifs : on insiste sur la situation topographique de la commune et sur son incontestable centralité par rapport aux communes voisines. Tout au long du siècle la centralité revient comme un leitmotiv des communes cherchant à promouvoir leur destinée commerciale. C'est une anticipation empirique des théories géographiques développées par le géographe allemand Christaller dans les années entre les deux guerres. Puisque notre travail s'en inspire assez directement, nous ne pouvons que souligner combien ce concept est capital dans la réussite des réunions commerciales et dans le destin des villes et bourgs. Il faut reconnaître cependant que beaucoup de communes se proclament centrales alors qu'objectivement elles ne le sont pas56.
49Autre thème éminemment géographique, les communications. Elles sont absolument nécessaires si une localité veut sortir de l'anonymat et réussir une ambition commerciale. Dans la première période, on met l'accent sur l'absence d'obstacles naturels, la commodité de rivières navigables tel le Tarn mais surtout sur la présence de bonnes routes et chemins sur le territoire communal. A l'aube du XXe siècle, le besoin de bonnes voies de communications est toujours manifeste, mais la révolution des transports en a modifié la technologie. Si l'on mentionne la présence de telle ou telle route, celle de Toulouse-Bayonne par exemple, on cite plus volontiers l'implantation de la voie ferrée et la construction d'une gare. Avoir la voie ferrée, une gare importante et un quai d'embarquement, c'est posséder un atout considérable dans le jeu économique local. En 1900, avoir de bons chemins ne suffit plus, il faut aussi posséder les moyens de transport les plus modernes et de plus en plus utilisés par les particuliers et les marchands.
50Convaincre ceux qui doivent donner un avis sur un projet de foire ou de marché, c'est leur montrer que sa commune est déjà dotée de certaines infrastructures qui en font plus qu'un simple village. Dans les demandes de la première moitié du siècle dernier, les conseils municipaux énumèrent parfois les activités administratives présentes dans leur commune, allant jusqu'à citer les fonctions datant de l'Ancien Régime. A Buzet-sur-Tarn, on rappelle que le lieu avait été le siège d'un juge royal et chef-lieu d'une châtellenie avant la Révolution. Depuis, plus rien. A Aurignac, on parle du château comtal où le comte de Comminges avait habité longtemps. Ce bourg commingeois doit se contenter après la Révolution, et ce n'est pas si mal, d'être chef-lieu de canton. A Grenade, autre chef-lieu de canton, on souligne l'activité des fonctionnaires : enseignants, employés de la Poste, du bureau de l'Enregistrement, gendarmes. Vers 1900, ce type d'énumération est plus rare parce que les communes qui veulent créer des foires sont le plus souvent dépourvues de fonctions administratives. Les chefs-lieux de canton sont déjà bien fournis en foires et marchés ; s'ils demandent des changements, ils n'ont pas besoin de présenter une argumentation très complète. Dans ce domaine, donc, la nature de l'échantillon influe un peu sur le résultat, mais il s'agit d'une évolution réelle dans la nature de la demande. Une commune peut faire valoir ses commerces, ses services et ses foires et marchés. Les demandes de la première période évoquent rarement les commerces et services locaux – auberges, voitures publiques, un artiste vétérinaire. C’est un peu surprenant dans la mesure où ces activités démontrent la centralité de la localité comme nous le verrons par la suite. On cite davantage ses foires et marchés, notamment leur ancienneté, car on croit que posséder des titres anciens – à Buzet, le marché fut établi en 1247 par le comte de Toulouse – donne droit à un surplus de considération dans la demande présente. Le succès des réunions n'est pas à négliger non plus. Posséder déjà deux foires remarquables, avec une affluence extraordinaire, n'est-ce pas la preuve que la commune en mérite d'autres ? Dans la seconde période, le commerce et les services ne sont pas plus détaillés sauf par les conseillers de Gourdan-Polignan, fiers de leurs hôtels, leurs maisons de commerce, les nombreux débitants de leur village, autant de preuves du dynamisme local. L'activité des foires et marchés donne lieu à davantage de commentaire. Ici on vante le brillant succès de ses foires, là on met l'accent sur leur importance toujours croissante. Deux délibérations de Buzet-sur-Tarn illustrent un changement dans l'argumentation et peut-être dans le contexte économique. Sa demande de 1828 fait surtout la part belle à l'ancienneté de ses marchés, notamment par rapport à ceux des communes rivales ; celle de 1909 souligne leur succès commercial. En 1828, la commune voudrait faire reconnaître un privilège acquis quelque six cents ans plus tôt ; en 1909, elle joue surtout sur son dynamisme économique contemporain.
51Peu de choses distinguent, en revanche, l'évocation des infrastructures physiques aptes à favoriser la bonne tenue des réunions périodiques. Les documents des deux périodes sont assez riches en références aux halles, aux places, toutes vastes et belles. Quelques éléments novateurs se sont tout de même introduits au début du XXe siècle : on parle désormais des bascules ou ponts à bascule et de l'éclairage électrique, très utile dans les foires qui commencent au grand matin. Posséder une halle est déjà le signe d'une certaine aptitude commerciale ancienne ou nouvelle ; quelle déchéance pour une commune que d'en avoir une sans foire ou marché pour lui donner vie quelques jours par an au moins. Les places sont beaucoup plus répandues dans les villages méridionaux où elles jouent un rôle si important dans la sociabilité locale.
52Mettre en relief ses atouts n'est qu'un aspect de l’argumentation des communes. On doit parler aussi des besoins locaux. Dans la première période, certaines communes soulignent leur manque de ressources financières ; obtenir des foires serait un moyen de faire rentrer de l'argent dans les caisses municipales, soulageant ainsi les contribuables. Il est vrai que durant ces années, les finances communales se caractérisent par une anémie chronique ; affermer les droits de mesurage, de pesage et de hallage peut apporter quelques ressources supplémentaires. Vers 1900, on aurait pu tenir le même raisonnement, car les droits de place, de mesurage, de stationnement constituent un pactole annuel à ne pas négliger. Les budgets municipaux sont là pour le prouver. Néanmoins, cet argument n'est pas employé. Question de pudeur ? de stratégie ? Nous verrons plus loin que la perception de droits de place n'est pas toujours acceptée par les habitués des foires et marchés ; à l'inverse, des communes cherchant à assurer le succès de nouvelles réunions se vantent de leur absence dans des affiches et articles de presse. Si avant 1840 les besoins locaux se résument à la question financière, vers 1900 on martèle le thème de l'agriculture et de l'élevage. Plusieurs délibérations soulignent les progrès réalisés dans ces deux domaines ; les rendements ont augmenté, l'engraissement des bestiaux se fait à plus grande échelle, l'élevage a connu un accroissement notable. Ce sont là les termes utilisés dans les délibérations. Nous essayerons de voir plus loin si ce progrès a été réel, mais, pour l'instant, nous nous soucions uniquement du discours pour qui ce progrès ne fait pas de doute. Produire plus signifie vendre davantage, s'en donner les moyens par la création de foires et marchés plus nombreux et dans des lieux délaissés auparavant. On en demande, en les justifiant par les besoins de l’approvisionnement et du commerce local, par le besoin d'écouler la production, pour avoir un débouché permanent, pour faciliter la vente des animaux ou des grains. Ce besoin est exprimé par la population locale, la délibération n'en est que l’écho. Les conseillers municipaux veulent faire croire également que les foires ou marchés demandés correspondent à l'intérêt général, ce même intérêt tellement valorisé par les ministres de régimes différents. Quatre termes reviennent avec insistance : intérêt, utilité, commodité, avantage. Les deux derniers sont présents dans les deux périodes ; la commodité est ce qui facilite la vie pour les habitants ou pour ceux qui viendraient à la foire ; l'avantage est le bénéfice qu'ils en retireraient. Ces avantages immenses, considérables ou nombreux sont pour la localité, pour les environs, pour les habitants. Ils favorisent leur bonheur, leur prospérité, leur aisance. Vers 1900, on évoque volontiers l'intérêt et l'utilité. Créer des foires, c'est dans l'intérêt de tous les habitants, aussi bien de la commune qui en fait la demande que de la contrée. Enfin, le véritable mot clé de l'époque : utilité. Toute nouvelle foire ne pourrait être qu'utile, voire d'une utilité incontestable. Cela vaut parfois pour la commune, parfois pour la région. L'argument utilitaire est destiné à contrer l'image des foires et marchés comme occasions d'oisiveté et de débauche. Affirmer leur utilité, c'est leur accorder une légitimité économique et sociale qu'un certain discours de notables leur refuse.
53Quand le conseil général de la Haute-Garonne adopte sa politique de laisser-faire vers 1875, il stipule que le seul cas pouvant amener un refus est celui qui pourrait nuire à des institutions déjà établies. Cela avait été aussi la pratique assez constante du passé ; les enquêtes entreprises sous l'Ancien Régime et tout au long du XIXe siècle cherchent à éviter de tels conflits. Il n'est pas surprenant alors de lire dans certaines délibérations que les foires ou marchés sollicités ne pourraient jamais porter atteinte à d'autres établissements de ce genre, ou ne pourraient leur porter aucun préjudice. Ce sont des expressions que l'on retrouve peu dans la première période, beaucoup plus souvent vers 1900. Il est bien de pouvoir montrer que la date choisie ne correspond à la tenue d'aucune autre foire du voisinage et que le canton n'est pas très bien pourvu en réunions de ce genre. Etre éloigné d'autres centres implique un besoin commercial supplémentaire et l'on n'hésite pas à s'affirmer insuffisamment desservi par les foires existantes qui sont toujours trop éloignées et/ou qui ne répondent pas aux besoins des habitants. Les tableaux des foires et marchés dans un rayon de deux myriamètres, accompagnés de cartes détaillées, permettent aux autorités de juger si de telles prétentions sont justifiées. Il y a, bien sûr, dans les notions d'éloignement ou de proximité une part très forte de subjectivité, ce qui explique les querelles nées au moment des enquêtes ou lors de la mise en place de nouvelles foires. Les longues démarches administratives prescrites par les gouvernements successifs doivent écarter, en principe, des conflits prolongés autour de l'attribution de foires et marchés. La consultation des communes voisines dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres a pour but de repérer d’avance des oppositions fermes et justifiées, permettant ainsi aux autorités d'éviter l'introduction d'éléments perturbateurs dans le réseau commercial déjà existant. Dans leur esprit, les communes pourvues de foires et marchés ont la priorité sur les autres ; des créations ne doivent pas se faire aux dépens des premières, mais seulement en complémentarité. Une telle position, si elle avait été respectée absolument, aurait abouti à la stagnation du réseau. Les oppositions, plus ou moins bien fondées, ne sont pas rares, car les localités privilégiées historiquement craignent beaucoup l'arrivée de rivaux dont le succès hypothétique peut compromettre leur propre prospérité.
54En parcourant les dossiers déposés à la préfecture, nous avons dégagé plusieurs types de situations dans lesquelles les oppositions semblent naître facilement. Un cas typique met face à face deux bourgs voisins et nécessairement rivaux : Le Fousseret et Rieumes (1814), Montastruc et Verfeil (1821), Bessières et Buzet (1889), Montastruc et Bessières (1894) et Buzet, Salvagnac et Bessières (1909)57. Les motifs de l'opposition manquent parfois de franchise comme lorsque Verfeil donne un avis négatif à la demande de Montastruc de prolonger ses foires du 24 août et du 14 septembre d'un jour chacune. Sont évoqués la faible population de Montastruc, surtout rurale ; son marché médiocre « plus que suffisant » ; les marchés importants à Verfeil ; la gêne que ferait subir une prolongation de la foire du 24 août à la célébration de la fête du père des Bourbons, célébrée le 25 ; et la multiplicité des foires vers la même époque dans les bourgs voisins. Le rythme des réunions révèle la vraie raison de l'opposition des gens de Verfeil. Une foire se tient à Verfeil le 16 septembre. Autrement dit, une foire à Montastruc qui durerait les 14 et 15 septembre pourrait nuire à celle du 16 à Verfeil, distant de huit kilomètres seulement. La délibération de cette commune n'y fait aucune allusion directe, mais on ne voit rien d'autre dans son argumentation qui justifie son hostilité aux projets de son voisin.
55Les noms de Montastruc, de Buzet, de Bessières reviennent plusieurs fois dans le groupe des rivaux. Ces trois communes font partie du même canton au nord-est de Toulouse en allant vers le Tarn. Montastruc, le chef-lieu de canton, doit affronter les ambitions commerciales de Buzet et Bessières, villages importants, situés sur les rives du Tarn. Peuplées toutes les trois de plus de mille habitants durant tout le XIXe siècle, aucune des trois communes n'a pu imposer sa suprématie cantonale. C'est sans doute ce manque d'hégémonie qui explique leur rivalité. Quand l’une cherche à modifier les dates de ses foires ou en augmenter le nombre, il y en a toujours une autre pour s'y opposer. Dans la mesure où la rivalité s'est exprimée davantage à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la portée s'en est trouvée limitée. La politique libérale du conseil général favorise alors systématiquement les demandes et prend rarement en compte les avis défavorables.
56Dans un second type s'opposent les centres anciens et les nouveaux, parvenus du commerce. Les communes qui en possèdent veillent jalousement sur leur privilège et cherchent souvent à empêcher la création de nouvelles réunions dans le voisinage. En 1819, par exemple, Lévignac s'est dressé contre le projet de Cornebarrieu de créer deux foires. Dans sa lettre au préfet, le maire de Lévignac explique, en employant des arguments à la fois spécifiques et généraux, pourquoi ces nouvelles foires ne doivent pas être accordées :
Une foire s'établit sur un point central vers lequel aboutissent des communes dont les unes ont à se défaire de la surabondance de leurs bestiaux de qualités relatives et les autres à s'approvisionner de bestiaux ou à faire des échanges. Cornebarrieu est-il dans ce cas ? Non, placé d'un côté presqu'aux portes de Toulouse, des autres cerné par les communes de Daux, Mondonville, Pibrac, Montégut, Aussonne... il n'a rien à en retirer, ni à fournir par là même pour faire la première mise à ses foires projettées58.
57Il nie, donc, la vocation commerciale de ce village à l'ouest de Toulouse. Mais comme beaucoup de notables de son époque, le maire de Lévignac utilise un argument plus général en dénonçant la trop grande multiplicité des foires, en même temps « un mal moral » et « un sujet de dissipation ». Ces arguments ont dû porter leurs fruits puisque la commune de Cornebarrieu a vu sa demande refusée, et elle n'a jamais pu se doter de foires ou marchés.
58Nous avons examiné jusqu'ici des affrontements bilatéraux entre voisins concurrentiels. Il arrive que l’opposition prenne une forme collective ; les villages orientés vers tel marché ou telle foire ne veulent pas nécessairement que l'on crée des réunions nouvelles qui pourraient leur porter préjudice. Après tout, les documents parlent souvent d'habitudes commerciales. En 1894, c'est autour d'une foire que la solidarité s'organise. La commune haut-pyrénéenne de Mauléon-Barousse sollicite une foire aux fromages et à la laine pour les 7 et 8 septembre, alors qu'à Gourdan-Polignan existe déjà une foire aux fromages le 8 septembre, fête de Notre-Dame, jour de pèlerinage à la chapelle Notre-Dame de Polignan, très fréquenté par les Commingeois. Pour les communes des alentours, la nouvelle foire ne peut que nuire à celle de Gourdan-Polignan à cause de l'identité des dates et des produits vendus. Elles n'ont rien à gagner d'une telle concurrence59.
59Certaines situations conflictuelles ont pris une ampleur inaccoutumée et ont mobilisé des énergies considérables sur de longues années. Nous allons en examiner deux qui concernent des rivalités à l'intérieur du Comminges, petit pays au sud de l'actuel département de la Haute-Garonne. Le premier cas, par ordre chronologique, oppose les habitants de Cierp et ceux de Saint-Béat, chef-lieu du canton et siège de marchés et foires déjà fort anciens au XIXe siècle. Tout commence en 1806 quand le conseil municipal de Cierp demande l'établissement d'un marché hebdomadaire et de deux foires. Il a d'excellents arguments pour justifier sa demande ; Cierp se trouve au confluent de la Garonne et de la Pique, dans un point central d'une superbe vallée ; son élevage et son activité de flottage de bois de construction lui donne une économie vivante ; sa situation sur la route entre Montréjeau et Bagnères-de-Luchon, très fréquentée durant la saison estivale, constitue également un atout de taille. Ajoutons à cela l'éloignement des marchés voisins dans un milieu montagnard et on comprendra que les habitants de Cierp se sentent prêts à assumer une vocation commerciale.
60Consulté, le conseil de Saint-Béat s'attache à démontrer le contraire, notamment que ce projet ne peut que nuire non seulement à ses propres intérêts, mais aussi à ceux du canton tout entier. Déjà, pendant la Révolution, les deux marchés décadaires de Saint-Béat n'avaient rien donné ; il avait fallu revenir à un seul. Deux marchés cantonaux par semaine risquent de connaître la même mésaventure. Le conseil insiste ensuite sur le fait que personne de Saint-Béat ou de sa vallée n'irait aux marchés de Cierp. Cet argument exprime implicitement l'hostilité latente entre les deux vallées composant le canton. La ville de Montréjeau s'oppose également aux nouvelles foires et marchés. Le sous-préfet de Saint-Gaudens recommande la création des deux foires mais non du marché ; le préfet préfère rejeter l'entière proposition60.
61Trente ans plus tard, en 1836, le village de Cierp connaît un printemps fiévreux ; le marché tant convoité semble prêt à se réaliser. L'épisode débute autour de la halle de Saint-Béat au mois de février. Le fermier de la halle a augmenté ses tarifs pour les emplacements et empêché les marchands étalagistes forains de s'installer à l'extérieur. Ces marchands, la plupart de Saint-Gaudens, décident alors de s'éloigner du territoire de Saint-Béat en représailles. Leurs plaintes ont trouvé un écho sympathique chez quelques habitants de Cierp qui les ont invités à venir dans leur commune. Le 8 mars, alors que le marché de Saint-Béat se tient normalement, plusieurs de ces marchands forains prennent position à Cierp où ils vendent et achètent comme dans un marché. On peut dire que le marché sauvage de Cierp du 8 mars marque le véritable début des hostilités. Le maire de Saint-Béat et son conseil ont vigoureusement protesté auprès du sous-préfet, se plaignant de la nature illégale du rassemblement de Cierp. Le fonctionnaire répond avec une certaine hésitation, car il n'est pas sûr que ce qui s'est déroulé à Cierp constitue réellement un marché :
Je sais que les communes ne peuvent sans autorisation du gouvernement et sans qu'au préalable il ait été observé certaines formalités prévues, établir des marchés dans leur sein ; la difficulté est de qualifier la nature du rassemblement qui a eu lieu ; car les informations que j'ai prises à cet égard sont contradictoires et j'attends les explications de M. le Maire61.
62Celui-ci proteste en affirmant que la réunion de Cierp n'est pas un marché public puisque les marchands ont loué des locaux dans des bâtiments privés ; en tant que marchands patentés, ils peuvent vendre partout à l'intérieur du royaume. La liberté du commerce, le paiement de la patente leur permettent de conduire leurs affaires partout, y compris à Cierp le mardi de chaque semaine.
63Ces rassemblements, marchés pour les uns, simples réunions de marchands patentés pour les autres, ont continué pendant les mois de mars et d'avril en dépit des avertissements du sous-préfet et d'un arrêté municipal pris par le maire de Cierp le 15 mars, qui les interdisait. Il faut ajouter, cependant, que le maire a révoqué son arrêté le 18 avril et que le préfet a annulé cette révocation le lendemain. Au soir du 19 avril, donc, ces rassemblements sont toujours hors-la-loi. Les marchands forains et les habitants de Cierp n'ayant pas obtempéré, le sous-préfet y envoie une brigade de gendarmerie le 3 mai ; elle dresse procès-verbal contre une vingtaine d'individus « pour contravention à un arrêté de police de Monsieur le maire de Cierp ». Un quart est originaire de Saint-Gaudens, des marchands lingers pour la plupart ; ils sont réfractaires aux droits d'étalage exigés par le fermier de la halle de Saint-Béat. Presque tous les autres sont de Cierp et des communes immédiatement en amont sur la Pique. Il est significatif qu'aucun ne vient de la vallée de la Garonne en direction de Saint-Béat. Le marché disputé de Cierp coupe vraiment le canton en deux.
64Selon le maire de Saint-Béat, les efforts de leurs rivaux pour asseoir leur marché dépassent de loin les limites convenables. On aurait découragé les marchands d'assister aux marchés de Saint-Béat ; on les aurait même menacés, allant jusqu'à casser leurs charrettes. Les conspirateurs de Cierp auraient envoyé des messagers dans les communes voisines pour dire aux habitants que le marché du chef-lieu avait été supprimé et qu'ils devaient conduire leurs bestiaux à celui de Cierp. Un agent provocateur aurait poussé l'audace jusqu’à venir à Saint-Béat où il aurait tenté de convaincre les marchands d’abandonner la ville en faveur de sa rivale. Pour assurer la réussite des marchés de Cierp, des marchands lingers saint-gaudinois se seraient transformés en volaillers, achetant des volatiles qui n'auraient pas trouvé de preneurs autrement. En agissant ainsi, ils cherchent à « fidéliser » les paysans et paysannes des alentours62.
65Cet épisode prend fin avec le jugement du tribunal correctionnel de Saint-Gaudens du 9 juin 1836. Dans une décision digne de Salomon, le tribunal relaxe les personnes verbalisées un mois auparavant sur la base de subtilités juridiques concernant l'applicabilité des divers arrêtés cités plus haut. Cependant, il reconnaît que les rassemblements de Cierp constituent véritablement des marchés publics. Par conséquent, la municipalité de Cierp devra solliciter une autorisation royale selon les règles administratives établies. Dans le cas contraire, les autorités publiques pourront prendre toutes les mesures prévues par la loi pour les faire disparaître. Comme le remarque le sous-préfet de Saint-Gaudens :
La décision du Tribunal laisse les marchands sans prétexte contre les nouvelles sommations dont ils seront l'objet de la part de l’administration qui, désormais, ne fera que soutenir, dans sa démonstration, l'autorité de la justice63.
66Le maire de Cierp, le plus souvent en retrait par rapport à certains de ses bouillants concitoyens, doit maintenant leur expliquer comment la relaxe des contrevenants a abouti à l'échec de leur marché. Il est assez malmené, mais il réussit à faire cesser les marchés sans recourir à l'épreuve de force. La demande officielle présentée par son conseil municipal n'a pas reçu l'approbation des autorités supérieures ; il n'est pas impossible que cette rebuffade ait été infligée comme punition des désordres survenus autour du marché sauvage.
67Après de nouveaux refus en 1841 et 1848, les habitants de Cierp commencent à satisfaire leurs espoirs commerciaux dans les dernières années du Second Empire. En 1868, le préfet donne son accord pour l'établissement de trois foires ; en 1875, le conseil général accorde trois foires supplémentaires. De six foires, Cierp est passée à douze en 1888, le deuxième vendredi du mois. Vingt ans plus tard, ses ambitions commerciales toujours intactes, la commune sollicite la création d'un marché de quinzaine ; ces nouvelles réunions, le quatrième vendredi du mois, coïncideraient avec les jours d'audience du juge de paix du canton. En dépit de tous les atouts que possède ce village dynamique – gendarmerie, douanes, eaux et forêts, postes et télégraphes, perception – les conseils municipaux de Saint-Béat et de Montréjeau, tout comme en 1806, s'opposent à ce nouveau projet. Trop de foires existent déjà, disent-ils, la prospérité de chacune diminuerait avec l'accroissement de leur nombre. Plus surprenant, le conseil général, d'habitude si généreux dans l'attribution des foires, suit ces avis défavorables et refuse d'accorder les marchés de quinzaine64. Il n'est pas impossible que le conseiller général de Montréjeau ait influencé ses collègues plus par son poids de notable que par la justesse de ses arguments. Il est vrai aussi que le conseil général des Hautes-Pyrénées a voté contre les marchés de Cierp ; décidément, ce village accumulait les oppositions.
68La seconde grande bataille est plus brève mais elle ne manque pas de péripéties et de rebondissements dignes des meilleurs metteurs en scène. Les deux antagonistes sont Saint-Martory, chef-lieu de canton doté d'un marché depuis 1757, et Mane, village situé à huit kilomètres seulement en montant vers les Pyrénées, et centre d'un important élevage de veaux de lait, les veaux d'Arbas (du nom de la vallée). Les marchés de Saint-Martory ne jouissent pas d'une réputation très flatteuse. Une enquête menée par la préfecture au début du XIXe siècle, avec utilisation d’un observateur venu incognito, révèle une activité extrêmement faible65. Depuis cette date, les marchés ont connu un certain progrès, notamment avec l'expansion de l'élevage de veaux. Selon ce qu'écrit en 1885 son instituteur, on aurait amené une centaine de veaux par semaine aux marchés avant 188166. A cette date, Mane n'a ni marché, ni foire, mais ses habitants avaient déjà fait parler d'eux à la fin de la Restauration par leurs tentatives de détourner le commerce local à leur profit en interceptant les paysans en route vers un marché voisin67.
69L'affrontement Saint-Martory-Mane débute en 1869 par la délibération du conseil municipal de Mane demandant la création d'un marché aux veaux le vendredi de chaque semaine. Cette première tentative est repoussée. Quatre ans plus tard, Mane revient à la charge ; la proximité des deux communes et le choix du même jour amènent le conseil général à refuser de nouveau la demande. L'enquête administrative permet d'évaluer les préférences locales, les unes soutenant la proposition de Mane, les autres la refusant par solidarité avec Saint-Martory. Le partage des suffrages, à quelques exceptions près, suit le cours de la Garonne. Les partisans de Mane sont regroupés surtout au sud du fleuve dans la zone de basse montagne ; ceux de Saint-Martory sont plus nombreux au nord du fleuve68.
70La grande confrontation a lieu entre 1881 et 1885. A la différence de l'affaire de Cierp, le conflit agite surtout les salles de réunion du conseil général et les bureaux de la préfecture et du ministère concerné à Paris. Cette bataille essentiellement administrative fournit une bonne illustration des limites imposées à l'assemblée départementale. En aboutissant devant le Conseil d'Etat, elle a acquis même une certaine notoriété dans la jurisprudence.
71Cette phase finale a pourtant commencé le plus banalement du monde. Le conseil municipal de Mane dépose une nouvelle demande devant les instances administratives. Elle est débattue au conseil général dans sa séance d'août 1881. Le 27, le conseil l'approuve ; le 29, une nouvelle discussion se termine par le maintien du premier vote positif ; le 31, sur la demande d'un de ses membres, le conseil retourne l'affaire à sa commission départementale « pour choisir, pour ce marché, un jour qui concilie les intérêts des communes de Mane et de Saint-Martory »69. Le 13 mars 1882, après plusieurs séances de débat, la commission fixe le marché le mardi de chaque semaine. Le 20 avril, le conseil général ratifie cette décision. Apparemment, un compromis ayant été trouvé, les deux communes peuvent espérer sauvegarder leur prospérité. Cette solution élégante n'avait qu'un défaut : le ministre de l'Agriculture l'a récusée le 20 juin 1882 en ces termes : « La commission départementale, déléguée par le conseil général, peut ne pas admettre le jour demandé, mais n'a pas le droit d'en fixer un autre »70.
72Voilà tout le monde au point de départ. La seule certitude est que le conseil général a délibéré favorablement sur la demande d'un marché tous les vendredis à Mane. Le 2 septembre 1882, cette assemblée invite le préfet à autoriser ledit marché mais à utiliser tous ses pouvoirs pour qu'il ne se réunisse que par quinzaine. Le préfet se montre dès lors assez inconstant, ce qui ne clarifie pas la situation. En effet, il prend trois arrêtés successifs concernant le marché de Mane, chacun différent des autres. En novembre 1882, il établit officiellement le marché hebdomadaire le vendredi ; en février 1883, il le fixe le vendredi mais par quinzaine ; en mars, il change de nouveau sa tenue, fixée désormais les premier et troisième vendredis du mois. Pendant quelques mois, les choses en sont restées là.
73A partir du mois d'août 1883, l'affaire prend un nouveau tournant. Les arrêtés préfectoraux n'ont pas, de toute évidence, satisfait les habitants de Saint-Martory qui voient leur marché péricliter de semaine en semaine, privé des apports de veaux de la proche montagne. Tentant le tout pour le tout, le conseil municipal innove en délibérant la suppression du marché litigieux. En bref, il propose d'employer un des termes qui paraît dans les textes juridiques et administratifs où il est question de la création, la modification ou la suppression d’une foire ou d'un marché. Cette demande suit le cours habituel : consultation des communes, avis du conseil d'arrondissement, avis du conseil général du département voisin (Ariège) et vote du conseil général de la Haute-Garonne. La consultation des communes donne une majorité en faveur de sa suppression, quoique certaines aient opté pour un changement du jour. La géographie des votes pour et contre n'est guère différente de celle dégagée par la consultation de 1873, mais on peut remarquer que les amis de Saint-Martory ont renforcé leur position. Le conseil d'arrondissement émet un avis défavorable, mais le conseil général de l'Ariège penche dans l’autre sens. Trois ans presque jour pour jour après son vote positif, le conseil général décide de supprimer le marché de Mane, cas unique dans les annales de la Haute-Garonne71.
74Mais, comme dans un film à rebondissements, la situation a changé entre-temps. En effet, la plus haute instance administrative du pays a tout simplement annulé les deux derniers arrêtés préfectoraux modifiant les jours de marché de Mane. Par une décision du 4 avril 1884, le Conseil d'Etat trouve que le préfet a excédé les limites de ses pouvoirs en modifiant, par arrêté, la délibération du conseil général du 27 août 1881 établissant le marché de Mane le vendredi de chaque semaine. Même l'invitation de ce conseil ne pouvait justifier les mesures préfectorales72. Cette décision fait table rase, encore une fois, de toutes les discussions et actions prises depuis la première délibération de 1881. Elle met également le feu aux poudres dans la commune de Saint-Martory. Outrés par cette décision, les habitants décident le boycottage des élections municipales prévues pour le mois de mai 1884, quelques jours plus tard. Le Journal de Saint-Gaudens donne ce compte rendu du mouvement :
Au mois de mai dernier, lors du renouvellement général des Conseils municipaux, les habitants de Saint-Martory, voulant protester contre la création, préjudiciable à leur localité, d'un marché rival... résolurent de s'éloigner en masse du scrutin. Et de ce fait, pas un électeur ne se présenta, ni au premier, ni au deuxième tour ; le bureau électoral ne put même pas être formé, et force fut au préfet de déléguer à l'instituteur l'administration de la commune73.
75Le bourg est resté plus d'un an sans municipalité, ce qui en dit long sur la détermination des Saint-martoryens74.
76La suppression du marché de Mane par le conseil général aurait certainement satisfait leurs rivaux. Le préfet agit rapidement à la suite de cette nouvelle délibération en prenant un arrêté le 6 septembre 1884 qui supprime le marché si contesté. Etait-on arrivé enfin au terme de ce long conflit ? C'eût été trop simple. Le 15 octobre, le ministre de l'Agriculture informe les autorités départementales que le conseil général ne peut délibérer sur une telle demande ; la suppression d'un marché ne peut être demandée que par la commune elle-même et non par une tierce commune75. La décision du Conseil d'Etat conjuguée à celle du ministère de l’Agriculture condamne définitivement toute tentative de modifier la délibération du conseil général d'août 1881. Mane aurait son marché, Saint-Martory devrait apprendre à vivre avec un rival à proximité et une activité commerciale réduite.
77Quel bilan tirer d'une telle affaire ? Tout d’abord que le conseil général fait des marchés mais peut difficilement les défaire. Que les élus départementaux essaient parfois de ménager la chèvre et le chou au risque de mécontenter beaucoup de monde sans pour autant être efficaces. Le préfet de l'époque n'a pas brillé par sa clairvoyance, ses décisions étant régulièrement annulées par les autorités de tutelle à Paris. Cette affaire montre également qu'un marché faible court le danger de voir un jour surgir un rival prêt à lui faire subir mille humiliations. Les habitants de Mane ont saisi leur chance à partir de la construction de la voie ferrée vers Saint-Girons. Passage presque obligatoire de la vallée d'Arbas vers les vallées du Salat et de la Garonne, Mane pense capter le trafic des veaux alors en pleine expansion avec le développement des marchés urbains et les moyens de transport plus rapides.
*
78A l'origine droit régalien, le pouvoir d'attribuer des foires et marchés a progressivement descendu l'échelle administrative, passant des ministères aux préfectures, aux conseils généraux et aux conseils municipaux selon le cas. Dès l'Ancien Régime, cette attribution se faisait à la suite d'une enquête administrative destinée à promouvoir l'intérêt général et à sauvegarder les droits des localités déjà en possession de ce privilège. Si durant la Révolution on cède momentanément aux sirènes libérales, on revient rapidement à un système plus contraignant. Au XIXe siècle, jusqu'au Second Empire et même au-delà, les gouvernants sont partagés entre le souhait d'élargir le commerce le plus possible, notamment dans le cadre de foires et de marchés, et la crainte que ces institutions ne soient un lieu de débauche et une occasion d'oisiveté. De temps en temps ils tentent de freiner le mouvement, en refusant d'accepter les demandes formulées par les communes. Avec la décentralisation du Second Empire et des premières années de la Troisième République, le pouvoir de décision est finalement dévolu non plus à des autorités administratives mais à des élus du peuple. Nous avons pu en constater les conséquences en Haute-Garonne et en Tarn-et-Garonne où les conseils généraux adoptent une politique ultra-libérale vers 1875 par crainte de l'électeur. L'augmentation importante du nombre de foires et marchés dans bon nombre de départements de la région comme ailleurs suggère que ce libéralisme prévaut assez largement en France76.
79Les gouvernements successifs ont reconnu que le fait d'accorder foires et marchés n'est pas sans conséquences, que l'efficacité des relations commerciales dépend d’un réseau cohérent à la fois dans le temps et dans l'espace. Accéder à la demande d’une commune c'est prendre le risque de perturber des relations traditionnelles, de léser des intérêts acquis de plus ou moins longue date. C'est la raison fondamentale de la lourdeur des enquêtes effectuées lors de chaque demande. Il n'est pas surprenant de voir s'exprimer régulièrement des avis hostiles à de nouveaux projets tant on craignait la perte d’une part de son commerce, donc de sa prospérité. La carte de la région ne manque pas de localités dotées anciennement de foires ou marchés tombés en désuétude pour des raisons difficilement décelables aujourd'hui. Permettre la montée d'une place rivale, sans s'y opposer, c’est accepter le danger d'un éventuel déclin. D'un autre côté, les communes délaissées par l’histoire cherchent parfois crânement à renverser ces données du passé en mettant à profit des changements survenus dans le contexte économique ou géographique. Cierp a voulu profiter de l'essor du thermalisme à Luchon ; Mane a cherché à bénéficier de la voie ferrée. Ces conflits illustrent comment dynamisme et tradition s'affrontent sur toutes sortes de terrains. Ils soulignent l'importance que l'on accorde à ces institutions, à la fois gages de prospérité, réelle ou désirée, et signes pour la localité concernée d'un statut supérieur.
MIDI-PYRENEES RELIEF ET PAYS

Cartographie : J. BUOSI
Notes de bas de page
1 P. Huvelin, Essai historique sur le droit des marchés et des foires, thèse, Droit, Paris, A. Rousseau, 1897, pp. 33-97. Voir également : K. Polanyi, C. Arensberg et H. Pearson ed., Trade and Markets in the Early Empires. Economies in History and Theory, New York, Free Press, 1957 ; et M. Silver, Economic Structures of the Ancient Near East, London, Croom Helm, 1985.
2 Huvelin, Essai historique, pp. 107-108.
3 Huvelin, Essai historique, p. 186.
4 R. Rumeau, Inventaire des archives communales de Grenade antérieures à 1790, Toulouse, Privat, 1896, p. 80. Pour Montréjeau, voir C. Higounet, Le comté de Comminges depuis ses origines jusqu'à son annexion à la couronne, Toulouse, 1948.
5 M. Ramière de Fortanier, Chartes du Laura gais, Paris, Sirey, 1939, p. 409. Sur les caractéristiques et la chronologie des chartes de coutumes dans le Midi, voir M. Berthe, Les libertés rurales dans le Midi de la France au Moyen Age, XIe-XVe siècles, Der Bauer in Wandel der Zeit, Sonderdruck, Bonn, 1986, pp. 73-85.
6 Ramière de Fortanier, Chartes du Lauragais, pp. 422-423.
7 Cintegabelle : A.N., F11 352 ; Caraman : Ramière de Fortanier, Chartes du Lauragais, pp. 263-266.
8 R. Doucet, Les institutions de la France au XVIe siècle, Paris, Picard, t. 1. 235.
9 Ramière de Fortanier, Chartes du Lauragais, p. 150.
10 C. Pocquet de Livonière, Traité des fiefs, 3e éd., Paris, 1741, pp. 637-638.
11 J. B. Denisart, Collection de décisions nouvelles relatives à la jurisprudence actuelle, t. 2, Paris, Dessaint, 1771, pp. 442-443.
12 Pocquet de Livonière, Traité des fiefs, p. 638.
13 Ibid.
14 Huvelin, Essai historique, p. 304.
15 Moreau-Saint-Méry, Rapport fait au nom du Comité d'Agriculture et de Commerce sur les Foires et Marchés, présenté à l’Assemblée nationale le 30 septembre 1791, Archives parlementaires de 1787 à 1860, 1ère série, t. 32, Paris, 1879-1894, pp. 62-63.
16 A.D. Hérault, C 5500-5507, Foires et marchés. Travaillant à partir de demandes retrouvées aux Archives nationales, D. Margairaz en dénombre environ 21 % provenant de seigneurs pour à peu près la même période. Notre échantillon, beaucoup plus faible, ne leur donne que 13 %. Une ventilation par province serait donc nécessaire afin d'y voir plus clair. D. Margairaz, Foires et marchés dans la France préindustrielle, Paris, Editions de l’E.H.E.S.S., 1988, p. 22.
17 A.D. Gironde, C 1654 (1750).
18 Ibid., (1752-1759).
19 Ibid.
20 Ibid., (1752).
21 A.D. Hérault, C 5506. Rapport du subdélégué de Lavaur, 9 décembre 1771.
22 Huvelin, Essai historique, p. 735.
23 Archives parlementaires, t. 24, p. 479.
24 J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l'Empire, 2e éd., Paris, P.U.F., 1968, pp. 213-218.
25 Archives parlementaires, t. 24, pp. 479-480.
26 Ibid., t. 32, p. 62.
27 Ibid.
28 Ministre de l'Intérieur à M. Gastellier, député de l'Assemblée nationale, 4 août 1792, dans Correspondance du Ministre de l'Intérieur relative au commerce, aux subsistances et à l’administration générale (16 avril-14 octobre 1792), publiée et annotée par A. Tuety, Collection des documents inédits sur l'histoire économique de la Révolution française, Paris, Imprimerie nationale, 1917, pp. 472-473.
29 D. Margairaz, Foires et marchés dans la France préindustrielle, p. 36.
30 P. Caron, Commerce des céréales (1788-An V). Recueil de textes, Paris, pp. 46-47.
31 Dalloz, Répertoire pratique de législation, de doctrine et de jurisprudence, t. 27, art. Halles, foires et marchés, Paris, 1852, p. 4.
32 Ibid.
33 A.D. Haute-Garonne, L 2297 : extrait des registres des sans-culottes de la Société républicaine de Lévignac, séance du 7 pluviôse an II (22 janvier 1794).
34 A.D. Haute-Garonne, L 2297.
35 A.D. Haute-Garonne, L 2297.
36 A.D. Haute-Garonne, L 2297 : marchés et leurs arrondissements, district de Grenade, 12 brumaire an II (Garac y figure) ; L 2296, L 2297, L 2299 : tableaux des foires et marchés, Haute-Garonne, an III, an VI (Garac n'y est plus).
37 Dalloz, Répertoire, art. Halles, foires et marchés, p. 5.
38 Ibid.
39 A.D. Haute-Garonne, 12 M 37 et 12 M 40 : nouvelles foires ou changements de dates à Cadours (1848), Montesquieu-Volvestre (1850), Baziège et Lévignac (1851) accordés par décret ministériel.
40 En affirmant que les conseils généraux avaient le dernier mot dans ce domaine au XIXe siècle, M. Bachelard, Foires et marchés en Touraine, Blois, Le Clairmirouère du Temps, 1982, p. 29, se montre trop généreuse à leur égard. Comme nous venons de constater, ce n'est qu'à partir de 1871 qu'ils deviennent souverains en la matière.
41 M. A. Bost, Traité de l'organisation et des attributions des corps municipaux, t. 1, Paris, 1838, pp. 322-323.
42 Les conseils généraux. Interprétation de la loi organique du 10 août 1871, Paris, Berger-Levrault, 1878, pp. 235-241.
43 Décret en Conseil d'Etat du 2 juillet 1877 annulant une délibération du conseil général du Gers, Les conseils généraux, pp. 1024-1025. Des décrets analogues concernant les départements de l'Ille-et-Vilaine (1875) et de Seine-et-Marne (1877), ibid., pp. 896-898 et 1001.
44 D.P. 79.4.88.
45 Sources du tableau : on peut suivre la législation sur les foires et marchés dans Dalloz, Répertoire, art. Halles, foires et marchés, pp. 4-6 et dans Dalloz, Supplément, même article, p. 177. Les textes de loi eux-mêmes se trouvent facilement dans Dalloz, Périodique. D.P. 38.3.129 : loi du 10-12 mai 1838 sur les attributions des conseils généraux et conseils d’arrondissement. D.P. 52.4.90 : décret du 25-30 mars 1852 sur la décentralisation administrative. D.P. 64.4.108 : décret du 13-30 août 1864 qui autorise les préfets à statuer sur l'établissement... des foires et marchés aux bestiaux. D.P. 67.4.93 : loi du 24-29 juillet 1867 sur les conseils municipaux. D.P. 71.4.127 : loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux. D.P. 84.4.46 : loi du 5-6 avril 1884 sur l'organisation municipale.
46 E. Weber, La fin des terroirs, Paris, Fayard, 1983, p. 584.
47 A.D. Haute-Garonne, 12 M 37 pour la réponse du ministre.
48 A.D. Haute-Garonne, conseil général de la Haute-Garonne, « Foires et marchés », 8° 212 (1824-1838) et 8° 663 (1834-1914). D. Sonnet, Les foires et marchés de Tarn-et-Garonne au XIXe siècle, mémoire de maîtrise, Histoire, Toulouse-Le Mirail, 1989, pp. 39-44. Les sources présentées dans ce mémoire semblent moins complètes que celles de la Haute-Garonne.
49 A.D. Haute-Garonne, 12 M 25 : ministre de l'Intérieur au préfet, 17 mai 1819 et 13 décembre 1821.
50 En plus des deux textes cités dans la note précédente : circulaire du 8 novembre 1822 du ministre de l'Intérieur (Corbière), A.D. Haute-Garonne, 12 M 38 ou A.D. Gers, 8 M 1 ; et ministre de l'Agriculture aux préfets, 25 novembre 1855, A.D. Haute-Garonne, 12 M 38. L'ensemble de ces textes se trouvent également dans A.D. Tarn, XII M7 1.
51 A.D. Haute-Garonne, 12 M 24 : préfet de la Haute-Garonne, demandes en établissement ou en rétablissement de foires ou marchés formées par différentes communes du département, 8 septembre 1828. A.D. Ariège, K 20 : sous-préfet de Pamiers au préfet concernant la demande de nouvelles foires à Campagne, 1835. A.D. Haute-Garonne, 12 M 37 : préfet de la Haute-Garonne au maire de Gragnague, 4 juin 1842. A.D. Haute-Garonne, M 122 : préfet de la Haute-Garonne aux sous-préfets et maires, 30 novembre 1888.
52 A.D. Haute-Garonne 1 N 88 : procès-verbal des délibérations du conseil général de la Haute-Garonne, séance du 31 octobre 1871, p. 138.
53 A.D. Haute-Garonne, 1 N 98 : procès-verbal des délibérations du conseil général de la Haute-Garonne, séance du 27 août 1881, p. 81.
54 A.D. Haute-Garonne, 1 N 88 à 1 N 126 : procès-verbaux des délibérations du conseil général de la Haute-Garonne.
55 Ces délibérations se trouvent dans les dossiers préparés lors de chaque demande faite par une commune. Les dossiers de la première moitié du XIXe siècle couvrent la période 1810 à 1841 avec la plupart entre 1825 et 1835 : A.D. Haute-Garonne, 12 M 23, 24, 25, 40. Le second groupe de dossiers concerne les années 1895-1909 : A.D. Haute-Garonne, M 121, 122, 123, 133.
56 Pour une discussion plus approfondie de la notion de centralité, voir chapitre IV.
57 A.D. Haute-Garonne, 12 M 25, M 122, M 123.
58 A.D. Haute-Garonne, 12 M 25 : lettre du maire de Lévignac au préfet, 14 janvier 1821.
59 A.D. Haute-Garonne, M 131.
60 A.D. Haute-Garonne, 12 M 23.
61 A.D. Haute-Garonne, 12 M 37 :13 mars 1836.
62 Ibid., lettre du maire de Saint-Béat au sous-préfet de Saint-Gaudens le 29 mars 1836.
63 Ibid., rapport du sous-préfet, le 9 juin 1836.
64 A.D. Haute-Garonne, 12 M 39 : arrêtés du 4 septembre 1868 et du 30 septembre 1875 ; M 122 : rejeté par le conseil général à la séance du 19 août 1909.
65 A.D. Haute-Garonne, 12 M 21 : rapport du sous-préfet de Saint-Gaudens, le 27 frimaire an XII.
66 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 496 : monographie d'instituteur de Saint-Martory, 1885.
67 A.D. Haute-Garonne, 12 M 24 : correspondance entre le maire de Salies et les autorités préfectorales, 1829-1830. Selon le maire, des revendeurs s'étaient installés sur le territoire de Mane les jours de marché de Salies (à 4 km seulement) afin d'intercepter les denrées – œufs, volaille, gibier – que l'on destinait au marché. La place de Salies en souffrait, mais la préfecture a refusé toute intervention.
68 A.D. Haute-Garonne, 12 M 40.
69 A.D. Haute-Garonne, M 127.
70 Ibid.
71 Ibid.
72 Ibid. Voir aussi Dalloz, Périodique, 85.3.99.
73 Journal de Saint-Gaudens, 24 novembre 1884.
74 A.D. Haute-Garonne, Br 4° 497 : monographie d’instituteur d’Arnaud-Guilhem, 1885.
75 A.D. Haute-Garonne, M 127.
76 Cette constatation s'appuie sur des indications fournies dans diverses études où les auteurs nous livrent des chiffres sur l'évolution du nombre de jours de foire dans tel ou tel département au cours du XIXe siècle. Nous approfondirons cette question dans le prochain chapitre mais déjà il est possible de dire que le nombre de jours de foire a augmenté plus rapidement après 1850 qu'avant, ce qui laisse penser que le changement dans le mode d’attribution était le facteur déterminant.
Indre-et-Loire : 1810-1850 + 21 % ; 1850-1900 + 46 %.
Haute-Loire : 1810-1850 + 21 % ; 1872-1912 + 91 %.
Aveyron : an VI-1850 + 29 % ; 1850-1900 + 83 %.
M. Bachelard, Foires et marchés de Touraine, p. 20. A. Audras, Les foires et marchés en Haute-Loire, Revue d'Auvergne, t. 97, no 1, Institut de géographie, Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1983, pp. 44-45. R. Calmettes, Foires et marchés de l’Aveyron (XIXe-XXe siècles), Service éducatif des Archives départementales de l'Aveyron, dossier no 3, 1982.
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