Introduction
p. 7-8
Texte intégral
1Écrire sur Garcilaso, à un moment où la bibliographie garcilasienne a atteint une ampleur considérable, peut paraître impertinent. Le dessein de cet ouvrage est à la fois modeste et ambitieux : il s’agit de proposer une clé, la mélancolie, pour aborder l’écriture de Garcilaso. En 1959, José F. Montesinos voyait déjà en Garcilaso un « professeur de mélancolie » :
Garcilaso, como todos los grandes artistas del Renacimiento, sobre todo de nuestro Renacimiento, es un profesor de melancolía.1
2La mélancolie constitue, à notre sens, un des facteurs qui apportent au texte du poète tolédan sens et cohérence. Mais la mélancolie au Siècle d’Or est un concept complexe, qui couvre un domaine bien plus large que celui compris actuellement sous le terme de « mélancolie ». Le premier chapitre retrace donc rapidement le système de représentation tissé autour de la mélancolie au Siècle d’Or. Les chapitres suivants analysent comment la poésie garcilasienne peut être lue comme une écriture de la mélancolie.
3On ne cherchera pas — ou pas seulement — à vérifier ici, comme l'ont fait tant de travaux — notamment ceux d'Yvonne David Peyre — l'adéquation du texte littéraire aux conceptions de son époque sur la mélancolie. Il ne suffit pas de remarquer que le texte littéraire adhère au système de représentation qui lui fut contemporain : encore faut-il se demander commentla mélancolie devient matériau poétique.
4L'analyse de l'écriture de la mélancolie chez Garcilaso ne doit pas non plus être comprise comme la recherche, dans le texte poétique, du reflet d’une expérience privée. Formulée à partir de topoi, d'imitations, d’un code conventionnel, la poésie garcilasienne est bien moins une dissection de l'âme qu'un essai d'écriture. Il faut donc se garder d'aborder l'oeuvre sous un angle strictement autobiographique, comme l'ont pourtant fait beaucoup d'auteurs critiques2, ou encore de lui appliquer une analyse clinique, comme l'a fait Y. David Peyre à propos du O leal Conselheiro de Dom Duarte de Portugal3. Nadine Ly a été parmi les premières à penser que la poésie de Garcilaso n'avait pas pour objet de retracer un vécu, mais, au contraire, d'effectuer une prise de distance par rapport à l'expérience privée pour accéder à une parole proprement littéraire4. Nous nous attacherons donc ici à cerner comment la mélancolie advient à l'écriture littéraire, comment elle l'infléchit, induisant dans le texte poétique une série de motifs, de thématiques et de démarches stylistiques récurrentes.
5Plus profondément encore, la mélancolie influence aussi la représentation que le poète donne de son écriture. En effet, la mélancolie n'intéresse pas le poète en tant qu'objet scientifique ou en tant qu'hypothétique vécu intime, mais en tant que processus d'écriture poétique. Dans l’écriture garcilasienne, le projet amoureux se double d’un « projet littéraire »5. On peut donc poser l'hypothèse que ces poèmes décrivent la détresse que suscite l’accomplissement de l'entreprise poétique elle-même. L'écriture de la mélancolie décrirait alors non tant une expérience privée et personnelle que l'effort du poète pour dire la mélancolie, pour accéder à la parole littéraire et arriver à exprimer un objet qui, de prime abord, semble se refuser à la langue.
Notes de bas de page
1 José F. Montesinos, Ensayos y estudios de literatura española, éd. et prologue de Joseph H. Silverman, Mexico, Ediciones de Andrea, 1959, p. 34.
2 II ne s'agit pas ici de passer en revue tous les ouvrages qui ont proposé une lecture « autobiographique » de la poésie de Garcilaso. On rappellera simplement que Dámaso Alonso (Poesía española. Ensayo de métodos y límites estilísticos, Madrid, Gredos, 1966, p. 85) voit dans la quatrième toile de l'Églogue III l'expression directe d'un référent autobiographique, d'une expérience vécue de Garcilaso (« la cuarta historia » serait, selon le critique, « historia de un dolor muy real »). Adrien Roig prend également parti pour une interprétation autobiographique dans son article « ¿Quiénes fueron Salicio y Nemoroso ? » (Criticón, 4, 1978, p. 1-36) affirmant que « Salicio » désignerait SI de Miranda et « Nemoroso », Garcilaso lui-même.
3 Yvonne David-Peyre, « D. Duarte roi du Portugal : une névrose exemplaire », dans La Mélancolie dans la relation de l'âme et du corps », Nantes, Université de Nantes, 1979, p. 73-113.
4 Nadine Ly, « Garcilaso : une autre trajectoire poétique », Bulletin hispanique, LXXXIII, 1981, no 3-4 p. 263-329.
5 Julia Kristeva (Histoires d'amours, Paris Denoël, 1983, p. 268) définit la poésie amoureuse comme un intense désir de « dire », de « communiquer » un « message d'elle-même » : l'être aimé ne serait donc pas l'objet principal de cette poésie, mais simplement son « destinataire imaginaire », le « prétexte à l'incantation ».
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