Financement et logistique de la croisade au début XVIe siècle : de la collecte de François Ier (1517) à la campagne de la Préveza (1538)
p. 381-403
Texte intégral
1Les préparatifs de toute campagne militaire ont toujours représenté un élément essentiel dont dépendait le succès de l’entreprise guerrière. Les Commentaires de Jules César ont d’ailleurs offert de multiples illustrations de pareilles dispositions et l’efficacité de ces mesures a pu se vérifier à travers le temps. Les croisades n’ont pas échappé à la règle. Les préparatifs des entreprises saintes furent en quelque sorte la mise en application des conseils1 formulés à l’époque. Comment cela se manifesta-t-il ? Divers documents permettent non seulement d’appréhender le mécanisme de la collecte des ressources économiques mobilisées pour préparer une croisade, comme ce fut le cas en 15172, mais également d’apprécier l’organisation d’une campagne s’étant effectivement déroulée, comme celle de la Préveza3 de 1538. Ainsi, différents préparatifs entourant la croisade apparaîtront clairement, permettant de suivre une approche plus technique des croisades.
Financer la croisade : l’exemple du diocèse de Toulouse
2Depuis Thucydide au moins, l’aspect économique d’une campagne militaire a toujours représenté un élément important de la guerre. Cicéron l’évoqua également dans ses écrits et plus tard encore Rabelais fit même dire à l’un de ses personnages, Toucquedillon : « guerre faicte sans bonne provision d’argent n’a qu’un souspirail de vigueur. Les nerfz des batailles sont les pécunes »4. Et comme effectivement l’argent est le nerf de la guerre, quand en 1517, une nouvelle croisade fut projetée, un des premiers points à résoudre fut la question de la levée des fonds.
Circonstances conduisant à la croisade
3En 1515, Léon X et François Ier se rencontrèrent à Bologne, mais la teneur exacte de leurs conversations resta cachée comme l’écrivit l’historien Paolo Giovio : « Quant aux questions de paix ou de guerre qu’ils ont abordées, publiquement on ne sait rien, car leur entretien a été très secret. Ce sont les effets qui nous l’apprendront »5. Cependant, l’idée de croisade avait semble-t-il ressurgi au cours de la VIe session du concile du Latran V6 du 27 avril 1513. Lors de la Xe session, tenue le 4 mai 1515, l’archevêque de Patras avait prononcé un discours sur l’importance d’une expédition contre les Turcs, reprochant la négligence des princes chrétiens à cet égard. Le 16 mars 1516, le pape Léon X publia une bulle7 dont le onzième article portait sur la croisade contre les Turcs, et le douzième soulignait la nécessité de la paix entre les princes chrétiens pour défendre la foi. Lors de la XIIe et dernière session, qui eut lieu le 16 mars 1517, l’évêque d’Iserni exprima la nécessité de délivrer la Grèce de l’oppression des Turcs. Par l’entremise d’une lettre adressée au concile, l’empereur Maximilien, témoignant de sa douleur de voir l’Église affligée par les Turcs et les progrès de leurs armes, fit la promesse d’entrer dans les vues du pape et des Pères conciliaires pour mener la guerre contre les Ottomans. Le Concile se conclut sur la décision de lever des décimes pour la croisade. Dans sa bulle, le pape ordonnait ainsi une imposition des décimes en exhortant les bénéficiers à permettre qu’on levât des sommes sur leurs bénéfices pour la guerre contre les Turcs. Le contexte de la préparation de la croisade se mettait ainsi en place.
Des documents illustrant le financement de la croisade en France
4Une partie de la collecte des fonds destinés à la croisade peut être reconstituée au moyen d’un ensemble de pièces réunies sous le titre de Collectio facta cum litteris originalibus hic redditis8. Ces pièces regardant le diocèse de Toulouse permettent de suivre de bout en bout la collecte des fonds.
5Après une lettre patente du roi François Ier, rédigée en latin, datée d’Amboise le 17 décembre 1516 et adressée à Messire Josse de la Garde, docteur en théologie et vicaire général de l’église cathédrale de Toulouse au sujet de la croisade, suivaient les instructions9 pour exécuter la bulle pontificale, il s’agissait des :
Instruction à messire Josse de la Garde […] touchant le faict et execution de la bulle octroyée et decernée par luy du jubilé et croisade ordonné et establi en ce royaume […] durant deux ans, pour faire la guerre aux infidelles, de ce que ledict commissaire aura à faire pour le faict de ladite commission.
6Sa tâche était présentée de manière ordonnée : « Premièrement verra et entendra ledict commissaire les lettres que le Roy lui escript… »10 ; ensuite, le texte détaillait les consignes en les introduisant chacune par un usuel item. Ainsi, on recommandait au vicaire de parler à « quelques notables personnages religieux ou lays de la ville principale dudict diocese qui ont accoustumé de prescher […] pour prescher ladicte croisade, pardon et jubilé11 […] et les justes et saintes causes et raisons pour lesquelles il est ordonné »12. On ordonnait la préparation des documents nommés « confessionaulx »13, ainsi que l’installation sur les portes des églises des « sommaires »14 imprimés reprenant les chapitres de la bulle. Ces fameux « confessionnaulx » devaient être signés par un notaire et faits en « bonne quantité », en laissant un « espace en blanc pour y mettre le nom de celui ou celle qui voudra avoir lesdicts confessionaulx »15. Il était également question du choix de « bons confesseurs » pour chaque église « où sont les troncqs et quesces16 dudict jubilé, pour confesser ceulx qui le voudront gaigner et auront faculté de absouldre selon ladicte bulle »17. Les facultés devaient également être taxées. On trouve même des consignes techniques au sujet des troncs18 :
Au troncq de l’eglise cathedralle aura deux estaiges19 l’une pour mettre les deniers du pardon20, <et> l’aultre pour mettre les deniers qui proviendront desdictes compositions21 que ledict commissaire et six confesseurs par lui deputés par luy fairont, et aussi l’argent des despenses et confessionaulx. Item en chacun desdicts troncqs y aura trois serrures et trois clefs dont l’une sera es mains dudict commissaire, l’aultre du recepveur et l’aultre du contrerolleur.
7Plusieurs articles établissaient également la procédure entourant l’ouverture des troncs : un inventaire devait être dressé des « pieces tant d’or, d’argent, bagues que aultres choses qui se trouveront esdicts troncqs »22. Il fallait encore verser des sommes pour ces « peines et vacations […] afin que <les collecteurs> ne exigent ne prennent aucune chose desdictes compositions qu’ils fairont »23.
Les mesures projetées pour accompagner la collecte
8À ces instructions s’ajoutait un Mémoire de ce qui est à faire touchant le faict de la croisade également signé de la main du roi. Il était ainsi question de placarder les articles de la bulle de la croisade traduite en français sur les portes principales et aux carrefours « de toutes les cités et villes principales de ce royaume24, et eglises principales d’icelles villes et cités »25. Le mémoire recommandait aussi de faire des « confessionaulx »26 en grand nombre et prescrivait qu’ils « soyent scellez du sceau de ladicte croisade, signez et soubscripts du notaire deputé par lesdicts sieurs commissaires »27. Chaque confesseur devait avoir « une bulle en latin et une en françoys avecque ung confessional et une taxe des rehabilitations, absolutions, dispenses et compositions »28. Pour encadrer la confession, le mémoire29 ajoutait encore :
Seront députés par ung chacun desdicts commissaires six des plus notables doctes sçavants confesseurs, qui seront gens de bonne conscience, auxquels seront baillez bulles en latin et en françoys et celle dudict avec plusieurs confessionaulx, taxes et ordonnances en forme d’absolution, et leur sera baillé la surintendance et aultre faculté d’absouldre, dispenser et rehabiliter ung chacun penitent selon l’exigence du cas, en ensuyvant la forme d’absolution, et pour remonstrer aux aultres confesseurs comme ils se debvront conduire […]c’est à dire après que lesdicts six confesseurs ou l’un d’eulx auront absouls lesdicts penitents, leur enjoindront aller vers ledict commissaire, et devant lui mettra dans le troncq la composition ordonnee ; d’aventure si le penitent vouloit avoir lettres d’absolution, dispense ou rehabilitation, pour seureté de son cas, ledict sieur commissaire luy pourra bailler in foro conscientiae duntaxat30, soubz le sceau de ladicte croisade, en ensuyvant le texte de ladicte tierce forme d’absolution.
9Le roi enjoignait également les commissaires à se préparer « pour faire publier et intimer ladicte croisade »31, en faisant ouvrir les trésors des églises le dimanche de la Septuagésime et que le samedi précédent « ledict commissaire fasse bien et honnestement accoustrer [arranger] son troncq, au milieu duquel sera une belle et grande croix en laquelle seront escripts ces mots ‘In hoc signo vinces’ »32. On recommandait également d’exposer une bannière33 décrite avec grande précision :
[…] une belle baniere en laquelle le pape fust peint en son grand pontificat, accompaigné de plusieurs cardinaulx et autres prélats estant en pontificat et mitrez de mitres blanches, à dextre, et le roy à la senestre, armé tout en blanc, excepté le harnois de teste que porteroit son grand escuyer, accompaigné de plusieurs princes et aultres seigneurs, tous armés ; et de l’aultre costé de ladite baniere, des fustes et aultres bannieres pleines de Turcs et aultres infidelles.
10Une procession solennelle devait avoir lieu le dimanche de la Septuagésime, la bannière « de ladicte croisade »34 marchant devant la croix suivie d’« ung beau et devot sermon au peuple »35. Il serait également possible de déployer cette même bannière « tous les dimanches et festes auprès du troncq »36. Le dernier article37 prescrivait au commissaire de réunir les plus grands prêcheurs « des cités et villes de sa charge » pour les exhorter à prêcher la croisade et « vertueusement exhorter le peuple à icelle ». En outre, diverses lettres des envoyés du pape, Antoine Bohier et Loys de Canossa, fixaient la rétribution des prêcheurs en accord avec la bulle pontificale et complétaient ces dispositions.
11Enfin, le roi accompagna ses recommandations d’une nouvelle missive. Revenant sur la mission incombant à chacun, le 17 décembre 1516, depuis son château d’Amboise, le roi écrivit aux responsables de la collecte pour le diocèse de Toulouse : le receveur Jehan Clucher, le contrôleur Raymond Raffin et le commissaire, le vicaire Josse de la Garde. Les trois lettres suivent en fait un plan assez proche : après avoir rappelé l’action du pape et son projet de croisade38, il est question de la mission dévolue à chacun. La première lettre adressée à maître Jehan Clucher, notaire de Toulouse, lui ordonnait de s’employer à « faire ladicte récepte, tant en l’eglise cathedralle dudict diocese que des aultres eglises et paroisses des villes d’iceluy, où les capses et troncqs seront posez et establitz selon les instructions que sur ce nous envoyons à messire Josse de la Garde »39 dont il aurait un double. Il faudrait également que le contrôleur Raymond Raffin se trouve avec lui à l’ouverture des troncs, dont chacun possèderait une clef. Il devrait s’adresser à Josse de la Garde pour tous ses frais. La deuxième lettre destinée à messire Raymond Raffin, chanoine de l’église métropolitaine de Toulouse40, lui confiait le contrôle de la collecte des fonds pour la croisade, avec messire Josse de la Garde. Les instructions précédemment données à Clucher se retrouvaient ici. Enfin, la troisième lettre adressée à Josse de la Garde était plus circonstanciée. Le début41 exposait l’action du pape et ses intentions :
augmenter nostre saincte foy catholique et religion chrestienne, extirper et destruire à la gloire et louange de Dieu nostre createur les infidelles ennemys de nostre foy, Turqs et Mahomestes, et leurs damnees sectes et erreurs, pour les reduire et convertir a la loy de grace.
12La suite détaillait la méthode à employer : « il est nécessité préalablement conquerir et mettre hors de leurs mains et subjection l’empire de Grece, Constantinople et aultres lieux et pays oultremarins qu’ils occupent et tyranniquement usurpent sur la chrétienté »42. François Ier voulait ainsi s’inscrire dans la tradition des croisades43 et il ajoutait :
<nous> sommes le successeur et imitateur des tres louables preux et vertueux roys tres chrestiens qui ont defendu, conservé et gardé l’église militante, exaulcé et augmenté par l’expedition de leurs propres personnes le nom de nostre saulveur et redempteur Jesus.
13Il se désignait comme « premier fils de l’Eglise »44 et disait espérer pouvoir compter sur l’appui des « aultres princes et tous bons chrestiens aimant Dieu et desirant leur salut […] afin que ceste saincte et louable entreprinse sorte effect »45. De nouveau, il revenait sur les bulles papales offrant rémission plénière et indulgence pour tous les péchés et plusieurs autres grâces, concessions et indults. De la Garde devait en outre recevoir les lettres de nomination et de commission, les missives de l’envoyé pontifical l’évêque Tricary, la bulle et les instructions du roi de France. S’appuyant sur l’exemple tout récent de la flotte de Français et de Génois qui était parvenue à reprendre les prisonniers chrétiens aux « Maures et barbares infidelles »46 venus en Provence s’emparer d’eux, le roi évoquait les forces navales françaises nécessitant de grands frais. Il s’agissait donc de prêcher la croisade pour que le peuple apporte son aide. La méthode47 à employer serait exposée à l’évêque auquel le roi disait écrire :
pour plus esmouvoir ledict peuple à dévotion, ils facent le jour de l’ouverture dudict jubilé et pardon, procession generalle pour remercier et rendre graces à Dieu nostre redempteur, de ce qu’il a pleu à nostre sainct pere ouvrir les tresors de l’Eglise pour ung tel bien, et aussi pour supplier notre divin redempteur que, pour l’augmentation et l’exaltation de sa foy, il nous donne grace de parvenir à avoir victoire de sesditcs ennemys.
14Dès lors, tout était en place pour collecter l’argent de la croisade.
Résultat de la levée de fonds
15Le résultat de tous ces préparatifs est visible dans le compte des recettes et des dépenses établi par maître Jehan Clucher en suivant les instructions reçues. Dans une première lettre, rappelant ses instructions en employant les mêmes termes des missives antérieures, Clucher fit son exposé48 de manière formelle :
la recepte et despenses faictes par ledict maistre Jehan, recepveur à cause des deniers issuz et provenuz au diocese de Thoulose, tant pour les confessionaulx que pour les deniers du jubilé, prins et trouvez es troncqs estans tant dans ladicte ville de Thoulose que dehors, spécifiés et déclarés en un cayer de papier signé et arreste de la main dudict messire Josse de la Garde, commissaire, et dudit messire Raymond Raffin, contrerolleur, cy rendu pour la verification de la recepte de ce present compte rendu à court par Guillaume Voisin, procureur dudict maistre Jehan…
16Ensuite, il fit un compte séparé des sommes perçues à Toulouse et de celles collectées en dehors. Le processus suivi lors l’ouverture de ces fameux troncs est détaillé dans la première mention de la collectio totius receptae49 :
Le dimanche de Quasimodo, XIXe jour d’avril, l’an mil cinq cent et dixsept, heure de huit à neuf heures après midi, fut levé et emporté le troncq de l’église métropolitaine Sainct Estienne de Thoulose, tout clos et fermé à trois clefs et sellé de deux seaux, et mis en la maison archiepiscopalle dudict Thoulose par lesdicts commissaire, tresorier ou recepveur et contrerolleur en presence50 de messire Jehan de Verramino, chanoine et celerier de ladicte église, Thomas le Franc, recteur de ladicte eglise, Domengo Vaussonet, bourgeois et plusieurs aultres le lendemain, en presence que dessus, lesdicts commissaires, recepveur, contrerolleur firent ouverture dudict troncq, où ils prindrent et trouverent, pour les confessionaulx la somme de six cent cinquante et une livres six sols six deniers tournois en toute monnoye, pour mille cent et quinze confessionaulx, qui ont été distribués. […] Des aultres deniers trouvez audict troncq les jours et an dessus dicts, venus du pardon et jubilé de la croisade, la somme de quatre cent quatre vingt dixneuf livres quinze sols quatre deniers tournois.
17Clucher mentionnait d’autres ouvertures ayant eu lieu à Toulouse : pour Noël, pour le 1er Mai (les deux années), le 7 juin, le 30 décembre et la dernière qui s’est faite le 9 janvier 1519.
18Un deuxième compte porte sur les « ouvertures des troncqs posez et assis [installés] es villes et bourgades, eglises et paroisses dudict diocese estant hors ladicte ville de Thoulose »51. Ces résultats sont à entendre « tant des confessionaulx que du jubilé »52. En général, il n’est question que d’une seule ouverture du tronc, si ce n’est à l’Isle-Jourdain où l’on trouva une première fois seize livres, neuf sols et neuf deniers tournois et « d’une aultre ouverture du troncq de l’Isle en Jourdain qui est pour la deuxième année, tant des confessionaulx que du jubilé, où a esté trouvee la somme de neuf vingt dixhuit livres trois sols sept deniers tournois, cy… 198 l. 3s. 7d. »53. Les dons ont parfois été faits en nature, ainsi on peut lire : « l’ouverture du troncq d’Eurdille, où a esté trouvé tant en linge, robes, bassin et harnois, arbalestes, lances, bringandes, vin, argent rompu et billon54, valant pour tout la somme de soixantequatorze livres quatre sols six deniers tournois »55. Le total de la collecte sur les deux ans se serait ainsi élevé à trois mille sept cents livres quatre-vingt-huit sols et six deniers tournois.
Le bilan de la collecte56
19Le détail des dépenses faites durant cette collecte apparaît dans plusieurs comptes. D’abord, plusieurs versements ont été effectués à « maistre Jehan Grossier, notaire et secretaire du roy, nostre sire ; et par luy commis à tenir le compte et recepvoir les deniers de la croisade octroye par nostre sainct pere le pape au roy »57 : le 26 février 1517, mille cinq cent trente-deux livres dix-sept sols et quatre deniers ; le 30 avril 1518, deux cent quarante-huit livres et trois sols tournois ; le 20 mai 1520, six cent vingt-cinq livres quatorze sols et cinq deniers tournois. Le relevé des dépenses58 entourant la mise en place de la collecte offre des précisions sur tout ce qui s’est fait durant la levée de fonds. Cela commence par la construction des troncs pour laquelle les registres offrent certains renseignements. Il est ainsi noté que Thomas Noel a reçu soixante-trois sols et quatre deniers « pour avoir faict le troncq de ladicte croisade à Thoulose »59, Georges Ruveres dix sols « pour avoir faict deux capses60 de fer blanc à mettre sur le troncq »61 et Jehan Demont a ferré le coffre du tronc et fait le cadenas pour onze livres tournois. Messire Reniesi a été payé quarante sols pour quatre cadenas destinés aux troncs. Maître Jehan Galmar a installé des troncs en divers endroits et a « fourny des clous pour les cadenas »62 pour vingt-sept sols et six deniers tournois. La Roussignolle a procuré « douze sacs de toile à mettre argent »63 pour huit sols et six deniers tournois.
20On a également versé six livres à « ceulx qui ont scellé les confessionaulx de ladite croisade »64 et six autres livres à Jehan Bonissent, secrétaire de monseigneur de Toulouse, pour huit mandements en parchemins et pour « avoir signé quatre cens articles pour les mettre aux portes des églises »65. Raymond de Long a fait quant à lui « six douzaines et demi d’armes pour mettre aux portes »66 pour trois livres tournois. L’imprimeur Jehan Grant a reçu cent dix sols tournois « pour avoir imprimé mille petits articles et cent confessionaulx en parchemin »67. Dix livres dix-sept sols et six deniers ont notamment été versés à l’apothicaire Jehan Brodet « pour trenteune livres de cire rouge et aussi pour quatorze mains68 de papier »69.
21Au titre des activités entourant la collecte de fonds, Pierre Laugiere a reçu seize sols « pour avoir collé quatre cents articles et en avoir posé et assis [bien placé] environ deux cents aux portes et carrefours dudict Thoulose, par la feste de Pasques »70. On a versé quatre livres deux sols et neuf deniers tournois à maître Estienne Fabry et Jehan Galmart pour avoir porté des articles en divers lieux et en particulier du « papier à escrire, et de la ficelle à lier les paquets »71. Les « campaniers » de Saint-Étienne ont reçu soixante sols tournois « pour avoir sonné le pardon et ladicte feste de Pasques »72 et de nouveau quarante sols « pour avoir sonné les cloches et avoir faict nettoyer l’église »73. La garde des troncs a été également rétribuée : on a versé dixsept sols et six deniers tournois à Bertrand Boix « pour avoir servy au troncq de Sainct Estienne de Thoulose, par l’espace de quinze jours »74. Les soixante-douze sols tournois du repas75 offert « à ceulx qui ont été presens à veoir compter l’argent » de Saint-Étienne « et pour le cuisinier » ont également été comptabilisés. Les dépenses engagées lors de la fête de Noël figurent dans un compte séparé76, comprenant une énumération du même genre de frais que ceux évoqués précédemment.
22Enfin, le trésorier fit encore le détail des sommes dues aux acteurs de la collecte. Après l’énumération des prêcheurs77 ayant perçu la « quinte part »78 pour leur peine, comme stipulé dans la bulle pontificale, il signalait différentes sommes versées à qui avait gardé le tronc, sonné les cloches, porté des documents, reprenant en somme toutes les activités déjà citées. Seules nouveautés, treize livres tournois qui furent versées à un certain François Villassier « pour avoir porté l’estendard de la croisade aux villes et aux lieux notables dudict diocese, quand on faisoit les processions »79 et cinq sols pour un messager80 envoyé quérir de nouveaux « confessionaulx » de Auterive à Toulouse. Outre les mentions le laissant entendre, cette levée de fonds semble ne pas s’être limitée au seul diocèse de Toulouse, surtout si l’on en croit un document notarié81 attestant du paiement de trois rames de confessionaulx à un imprimeur d’Orléans.
23Pourtant, malgré tous ces préparatifs économiques, la croisade n’a finalement pas été lancée. Au bout des deux années de collecte, la mort en 1519 de l’empereur Maximilien82 changea les conditions : il devenait moins opportun pour François Ier de se lancer dans une croisade. Dès lors, les dissensions entre Charles-Quint et François Ier compliquèrent toute nouvelle tentative. Pourtant, en 1537, le projet fut relancé et une ligue fut même établie en 1538 entre le pape, l’empereur et Venise. S’appuyant sur les conseils de spécialistes, de nouveaux préparatifs furent engagés.
Organisation d’une campagne effective, celle de 1538
24Peut-être encouragés par le succès de la campagne impériale à Tunis en 1535, et incités à la réaction par de multiples attaques turques, les chrétiens songèrent de nouveau à une entreprise pouvant réunir leurs forces.
Les préparatifs spirituels d’une croisade
25Ils consistèrent en la mise en application des conseils pour organiser l’entreprise sainte. Le 8 février 1538, le pape réunit ainsi un consistoire et conclut la ligue avec Don Giovan Manrico, marquis d’Aghillare, représentant de l’empereur Charles-Quint, et Marco Antonio Contarini, pour la seigneurie de Venise.
26La publication officielle de la Ligue se fit en grande solennité83 dans le but d’encourager les princes à participer à la croisade projetée. Des cérémonies eurent lieu notamment à Rome avec une messe solennelle dite à Saint-Pierre par le pape en personne et le cardinal vénitien Gasparo Contarini84, en présence de tout le collège des cardinaux. À Venise, diverses processions furent organisées. Ces cérémonies rappellent celles décrites85 pour la Ligue de 1571 ayant débouché sur la victoire chrétienne de Lépante. Dans le but d’appuyer la publication officielle on imprima les Chapitres ou articles de la tressainte confederation faicte antre notre sainct pere le Pape, la Maieste Imperiale, et les Venitiens, Contre les Turcqz86. Rappelons que pour la campagne de 1538, il fut écrit que « le pape donnera la palme à chacun et la rose à qui la mérite »87 lors de sa visite des troupes fixée à la fin mars 1538.
Répartition des commandements
27Outre les préparatifs spirituels, des dispositions plus matérielles furent mises en place comme l’établissement des commandements88. L’organisation militaire prenait forme. Andrea Doria, le capitaine de l’armée impériale, fut choisi comme généralissime des forces chrétiennes. Don Ferrante Gonzaga, vice-roi de Sicile, serait le général de l’infanterie commandant les troupes pour combattre en terre ennemie. Vincenzo Capello, après avoir brillamment occupé plusieurs charges pour Venise et remporté la victoire de Castelnuovo en 1537, fut nommé provéditeur all’armata en octobre 1538, dirigeant ainsi la flotte vénitienne. De même, le comte d’Anguillara devait conduire les forces de l’Église89 à Corfou. Cependant, le Prieur Salviati reçut le commandement de la flotte des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem et le Patriarche d’Aquilée, Marco Grimani, celui de la papauté avec comme coadjuteur Paolo Giustiniano. Après d’habiles manœuvres, Grimani était parvenu à être élu légat90 a latere et nommé commandant de la flotte pontificale. Ayant appris sa nomination le 7 février 1538, il passa les mois d’hiver à Venise pour équiper ses galères, après quoi il accompagna son équipage en pèlerinage à Lorette pour se rendre ensuite à Corfou où il arriva le 15 juillet 1538.
Organisation de la flotte
28Le soin de Grimani à superviser l’élaboration de sa flotte nous conduit aux préparatifs navals de cette campagne. Désireux de se doter d’une flotte puissante, avec un objectif de deux cents vaisseaux, les participants de la Ligue avaient arrêté la répartition suivante : l’empereur et Venise devaient fournir chacun quatre-vingt-deux galères et le pape trente-six. Les accords chargeaient Venise de procurer au pape tous les navires requis déjà équipés, le pape n’ayant plus qu’à fournir les marins. Pour obtenir un tel nombre de vaisseaux, la construction navale dut s’adapter. Dans l’Arsenal de Venise91, la vitesse de production des bateaux augmenta très nettement durant les préparatifs de la campagne. Avant août 1537, l’Arsenal avait fourni cent galères ; et six nouvelles galères légères, deux anciennes, trois vieilles galères bâtardes et neuf autres étaient déjà prêtes à être calfatées. La rapidité atteinte dans la construction permit d’assembler cinquante vaisseaux entre juin 1537 et avril 1538 ! L’augmentation de la production requérant plus de main d’œuvre, l’organisation du travail devint plus complexe. L’Arsenal employait entre autres des charpentiers, des calfats, des scieurs et des fabricants de rames, à la journée ou à la tâche. Devant l’accroissement du travail et du nombre des ouvriers du chantier, en 1537, l’encadrement fut également renforcé. En outre, entre 1530 et 1560, le nombre de charpentiers de marine et de calfats doubla à Venise, et ce bien plus rapidement que l’ensemble de la population de la ville. En 1538, les registres de l’Arsenal comptabilisaient ainsi six cent quatre-vingt-treize charpentiers de marine, six cent cinquante-deux calfats et trente-six fabricants de rames. On comptait aussi trois cent sept maîtres ayant des apprentis.
29La qualité des constructions navales vénitiennes se retrouve dans le soin apporté au suivi de la flotte : par exemple, au retour de mission, elle était scrupuleusement examinée pour déterminer ce qui devait être nettoyé, remis en état et réparé, et il en allait de même pour les nouveaux vaisseaux qui étaient minutieusement contrôlés. En outre, les approvisionnements en matériaux s’améliorèrent à cette époque et le travail des contremaîtres et des experts devint plus efficace. L’Arsenal de Venise était un endroit éminemment stratégique, il était ainsi surveillé jour et nuit et il était interdit de sortir les bateaux de nuit.
30Suivant les sources92, face à l’objectif de deux cents galères légères et du plus grand nombre possible de bateaux et gros vaisseaux devant porter cinquante mille soldats (fanti) et quatre mille chevaliers, le nombre total de navires rassemblés au large de Préveza, première étape de la croisade, aurait été de cent soixante-sept à deux cent soixante vaisseaux. On trouve un détail de la composition de la flotte chez Besbelli : cinquante-deux galères pour la formation espagnole placée directement sous l’autorité de l’amiral Andrea Doria ; quatre-vingt-un bateaux pour les Vénitiens, répartis en soixante-dix galères et un puissant galion, commandés finalement par Vincenzo Capello, et dix caraques sous les ordres de Kondo Lambro ; la flotte pontificale aurait compté trente galères placées sous l’autorité de Grimani et celle des chevaliers de Saint-Jean dix ; il faut encore ajouter quatre-vingt barges commandées par Alessandro Condulmer pour la formation hispano-portugaise. Selon ces chiffres, la flotte chrétienne se serait élevée à deux cent soixante vaisseaux, forts de deux mille cinq cents canons et six mille hommes.
31En guise d’illustration de l’organisation à bord, prenons l’exemple d’une galère de Malte de vingt-six rangs93 emportant deux cent quatre-vingts rameurs et deux cent quatre-vingts combattants. L’armement consistait en un puissant canon placé entre deux grosses pièces et quatre autres canons et enfin quatorze canons plus petits, nommés pierriers. Quatre chevaliers et quatre soldats assuraient la défense de la poupe, dix soldats et quatre chevaliers celle de la proue et un frère servant, « le maître écuyer », portait les ordres. Le second enseigne surveillait le tir des canons ; les courroirs et arbalétrières étaient remplis de soldats (on en comptait généralement deux par intervalle de banc). À bord, se trouvaient encore le capitaine, le pilote ainsi que le timonier. Le comite aidé du sous-comite était maître de la chiourme ; l’argousin était l’officier de police du bord veillant à l’ordre ; l’écrivain et le sous-écrivain tenaient les registres de bord ; enfin, l’aumônier et le chirurgien prenaient soin des blessés dans les chambres de la galère. L’évocation du personnel à bord nous conduit à la question de la levée des troupes.
La levée des troupes
32Dans les accords, le pape s’engageait à enrôler les marins servant sur ses vaisseaux. À Venise, l’enrôlement semble s’être passé pour le mieux si l’on en croit l’historiographe officiel, P. Paruta. Dès 1537, le Sénat vénitien aurait ordonné à ses généraux de redéployer les forces navales. Avec diligence, il recruta de nombreux soldats pour atteindre le nombre requis et désigna les gouverneurs des galères grosses94 et des bâtardes95. Tous les vaisseaux armés furent ainsi placés dans un premier temps sous l’autorité de Condulmer, le capitaine du galion. Aussi, tout fut rapidement prêt96 pour eux.
33Pour d’autres, la levée de troupes fut plus délicate. Le généralissime Andrea Doria tarda à se joindre à la flotte vénitienne, arguant de mille excuses. Cependant, cela rendait compte en quelque sorte des difficultés s’abattant réellement sur lui. Ainsi, Doria se plaignait des menées de la flotte française qui le retardait du côté de Marseille. Or François Ier s’en flattait presque, estimant que c’était une protection. Les levées de troupes en Allemagne semblaient destinées aux affrontements avec le roi de France, ce dernier disait craindre plus l’empereur que le Turc97 ! Pourtant, il assurait98 qu’aucune trêve (même pas celle de trois ans qu’il avait avec Soliman) ne saurait tenir si le Saint Siège était menacé. Mais, aux dires du nonce Carpi dans sa lettre du 14 janvier 153899, il fallut faire face à diverses complications avec François Ier, mécontent de la conclusion de la Ligue de 1538. Il dépêcha Rincone auprès de Soliman, sur les conseils des ambassadeurs vénitiens. Seules ses rencontres de l’été de 1538 avec le pape et Charles-Quint réussirent à apaiser le roi.
34À la nouvelle de la confirmation de la trêve entre l’empire et le royaume de France, des soldats espagnols défendant le Piémont se mutinèrent. Ils se rassemblèrent pour exiger leurs paies toujours en souffrance. Tant qu’ils ne seraient pas payés, ils refuseraient d’obéir au marquis del Vasto. Et en attendant le règlement de leur situation, ils pillèrent l’endroit, ruinèrent le pays et maltraitèrent les paysans à tel point que ces derniers s’enfuirent en abandonnant leurs récoltes. La mutinerie100 gagna et les soldats révoltés menacèrent d’autres territoires à qui ils faisaient payer un tribut en argent. Le mouvement était bien loin de s’arrêter ; déjà ils pensaient aux vendanges prochaines. Des envoyés milanais vinrent trouver l’empereur pour l’informer de leur sort. Le marquis del Vasto pour pacifier ces soldats voulut faire preuve de clémence dans un premier temps en oubliant toutes leurs fautes, mais ces derniers vivant somptueusement par leurs crimes, refusaient de revenir à leurs charges militaires anciennes. Alors, obéissant aux ordres de l’empereur, Del Vasto ne recourut pas à la force envers eux mais institua une nouvelle taille de cent dix mille écus auprès de la population pour payer les soldats ! Satisfaits de cet accord, ils quittèrent la Lombardie pour participer à l’entreprise contre les Turcs et se joignirent ainsi à la flotte se réunissant à Gênes, l’effectif s’élevant alors à cinquante mille hommes101.
35Or, Doria ayant transporté l’empereur en Provence lors des rencontres de l’été et l’ayant reconduit en Catalogne, prit du retard dans ses préparatifs102. À Gênes, il renforça ses équipages et se fournit en ravitaillement. Certains biographes103 estiment qu’il fut prêt en seulement quinze jours ! Il aurait ainsi quitté Gênes avec vingt-huit vaisseaux, comptés parmi les plus modernes et les plus puissants de Méditerranée, disait-on. Toute la flotte espagnole était équipée de boussoles depuis quelques années ce qui lui assurait une incontestable supériorité. Doria aurait ensuite fait escale à Naples pour ajouter vingt-deux autres vaisseaux battant pavillon espagnol. À bord, se trouvait l’infanterie impériale. Passant à Naples et en Sicile, il aurait ainsi adjoint des vaisseaux des deux royaumes ainsi que nombre de provisions, atteignant les cinquante-quatre navires104. Les princes105 n’entretenaient cependant pas un grand nombre de vaisseaux ronds destinés au transport de troupes et de victuailles, ils préféraient utiliser ceux des marchands. Ils réquisitionnaient ainsi des navires de commerce en payant le nolis et une solde aux patrons, tout en prenant soin d’enlever voiles et gouvernail jusqu’au départ pour éviter qu’ils ne prennent la mer à la dérobée. En 1538, le transport des troupes et de la logistique aurait ainsi été assuré par une trentaine de ces bâtiments106.
La question des approvisionnements
36Or, il était établi que l’empereur et les Génois devaient se charger des navires armés devant convoyer les victuailles et les soldats. Et selon les accords de la Ligue, l’empire devait également fournir « à juste prix »107 autant de grains de Sicile que le désireraient les confédérés, et ce sans taxe ni gabelle.
37Des conseillers avaient fixé très précisément la question du ravitaillement, Giovio en fit un rappel dans son propre Conseil108. Outre le commissaire s’occupant des « grains, de farine et de biscuits », Giovio expliquait :
Et ils disaient encore qu’il était nécessaire d’avoir des commissaires spéciaux pour la garde des chaussures, des cuissardes et des collets, parce qu’il était nécessaire d’en faire un très grand appareil et un autre qui soit un précurseur dans son domaine, qui ait les navires fournis de toutes sortes de médicaments, pour le besoin des médecins et des chirurgiens et encore d’un autre commissaire <qui> ne s’occuperait que du maintien des viandes salées et des charcuteries de mer, en en faisant porter par ordre une grande quantité en temps opportun et lieux idoines, pour un embarquement facile. Il en faudrait un semblable qui aurait toute la charge des meules et des fromages venant de tous pays et de toutes sortes. De même, il faudrait un général qui s’occupe des vêtements et des tissus, de telle sorte qu’il soit sous son autorité de les conserver et de les distribuer, ce qu’on peut aussi mettre en place à propos des armures et des équipements des chevaux, parce que là où se trouve un bon chef, rien ne manque jamais et les prix sont honnêtes et fermes, et on peut recourir à la justice pour celui qui ne tient pas le compte.
38Aucune mention de désordres liés à d’éventuelles difficultés au cours de l’approvisionnement en victuailles ne laisse entendre que le ravitaillement ne se soit pas globalement passé normalement. Cette opération allant de soi, il n’a pas semblé utile pour les auteurs de s’y étendre outre mesure.
39Des signalements de réapprovisionnements apparaissent à l’occasion de l’évocation de faits concomitants au ravitaillement. Ainsi, pour l’entreprise de la Préveza, au titre des subsistances, on apprend que la flotte fit des réserves d’eau au port d’Igoumenitsa, un endroit extrêmement riche en eau situé en terre-ferme tout près de l’île de Corfou109. L’approvisionnement en eau douce représentait un point crucial. En effet, l’autonomie des galères légères110 a été estimée à trois jours maximum en raison de la faiblesse en réserve d’eau douce que l’on pouvait garder à bord. Il était ainsi nécessaire de se ravitailler en eau tout au long du voyage et, de ce fait, des réapprovisionnements en vivres pouvaient leur être associés, rendant fréquente la collecte de vivres. Les conseillers avaient établi divers lieux où tenir prêtes différentes denrées. Et à l’époque de Léon X111, on recommandait l’institution d’une fonction d’un commissaire des victuailles devant se charger de faire préparer des magasins de grains, de farine et de biscuits, notamment à Messine, Tarente, Otrante et Brindisi ainsi qu’à Manfredonia et Ancône. Ces préparatifs concernaient encore les équipements, les voiles et les gréements, ainsi que tout ce qui pouvait servir à la médecine durant la campagne — mais l’examen de toutes ces fournitures nous entraînerait trop loin, signalons-les seulement.
40Contrairement à 1517, en 1538 tous ces préparatifs ont bien débouché sur une entreprise112. Les troupes chrétiennes alliées sont effectivement parvenues à se rassembler au large de la Préveza où elles ont affronté Barberousse et ses habiles marins. Mais divers retards et de nombreuses confusions dans les combats dues à des dissensions entre les chefs de l’armée chrétienne et des tractations secrètes menées avec les adversaires ont conduit à un échec cuisant et mis un terme à cette tentative de croisade.
41Pourtant, en appliquant les mêmes préparatifs, d’autres campagnes seraient de nouveau menées et certaines même connaîtraient une meilleure fortune. L’expérience du passé étant riche d’enseignements, divers conseillers surent tirer profit des tentatives antérieures en les adaptant à leur temps.
42Ainsi, reconstituer le fonctionnement de la collecte des fonds lancée en 1517 et examiner les préparatifs de la campagne de 1538 a permis d’observer des aspects plus matériels de la croisade. Ces opérations ont constitué une matérialisation concrète des conseils des spécialistes qui pouvaient sembler jusque-là purement théoriques.
43Or, même si les préparatifs tant financiers que logistiques de ces deux campagnes n’ont finalement pas pu déboucher sur une entreprise couronnée de succès, ils n’en illustrent pas moins comment, au seizième siècle, des hommes ont pu partir à la croisade.
Notes de bas de page
1 Cette contribution complète mon étude des conseils destinés à assurer la réussite des croisades : Emmanuelle Pujeau, « Conseils pour l’entreprise contre les Infidèles ou le modus operandi de la croisade au XVIe siècle », dans Jacques Paviot (éd.), Les projets de croisade. Géostratégie et diplomatie européenne du XIVe au XVIIe siècle), Toulouse, 2014, pp. 287-314.
2 La République chrétienne doit encore lutter contre l’« hérésie » de Luther lancée en 1517 par les quatre-vingt-quinze thèses placardées sur la porte de l’église de Wittenberg, la veille de la Toussaint.
3 Pour une étude détaillée de cette campagne on pensera à E. Pujeau, « La Préveza (1538) entre idéologie et histoire », Studi Veneziani, LI (2006), pp. 155-204 et Idem, « Preveza in 1538 : The background of a very complex situation », Second and International Symposium for the History and Culture of Preveza, Préveza, 2010, t. I, pp. 121-138.
4 Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, VI, 34 ; ou Cicéron, Cinquième Philippique, V ; ou encore Rabelais, Gargantua, ch. XLVI.
5 Il s’agit de la lettre écrite à Bologne le 15 décembre 1515 dans Paolo Giovio, Epistularum pars prima, éd. de Giuseppe Guido Ferrero, Rome, 1956, p. 85.
6 Le discours de Simon, évêque de Modrusse en Croatie eut pour sujet les ravages des Turcs et la nécessité pour les chrétiens de se réunir contre ces infidèles.
7 Il s’agit de la bulle XVIII du pape Léon X intitulée Confirmatio sacri et Œcumenici Concilii Lateranensis Quinti, et indictio expeditionis contra infideles.
8 Manuscrit appartenant à la bibliothèque du roi, no 9879. Ces textes ont été édités pour la première fois par Joseph-François Michaud, Histoire des Croisades, tome V, Paris, 1841, pp. 435-468.
9 Ibid., p. 436.
10 Ibid., p. 437.
11 Prêcher : annoncer ; pardon au pluriel renvoie aux indulgences (rémission des peines temporelles que les péchés méritent) accordées aux fidèles par l’Église. L’indulgence est accordée par l’Église après que le châtiment éternel ait été remis pas l’absolution. L’indulgence peut être accordée dans des conditions particulières. Le jubilé est aussi une Indulgence plénière solennelle et générale accordée par le pape en certains temps et à certaines occasions, accordé aux fidèles pour une année, dite année sainte, et sous la condition d’accomplir certaines pratiques de dévotion.
12 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 437.
13 À savoir « billets de confession » par lesquels les prêtres certifieraient avoir entendu les porteurs en confession.
14 Dans le sens de <textes> abrégés, résumés.
15 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 437.
16 Plutôt queste de l’ancien français désignant une « caisse ».
17 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, pp. 437-438. Le texte précise : « <Ils> auront puissance […] de faire les compositions des restitutions et bailler les solutions d’icelles et plus loin <ils> ne recepvront, ne auront aucuns deniers desdictes compositions, sur peine d’excommuniement, ains enjoindront à ceulx qui fairont lesdictes restitutions de mettre eulx mesmes leurs deniers aux troncqs et au registre des despenses ».
18 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 438.
19 « Étagères ».
20 Cette locution semble renvoyer au « denier de confession » désignant une offrande en argent que les pénitents remettaient autrefois à leur confesseur et qui faisait partie du casuel.
21 S’agit-il d’une extension du sens ancien juridique de compensation pécuniaire due par l’offenseur à l’offensé ?
22 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 438.
23 Ibidem.
24 Cette mention semble bien prouver que cette collecte concernait tout le royaume de France.
25 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 439.
26 Le texte dit : « Fault envoyer aultre gros nombre de confessionaulx selon la forme composée sur ladicte bulle, car il n’y aura guere de gens qui n’en prennent », Ibidem.
27 Ibidem.
28 Ibidem.
29 Ibidem.
30 « Juste en se bornant au jugement de sa conscience ».
31 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 440.
32 Ibidem.
33 Ibidem.
34 Ibidem.
35 Ibidem.
36 Ibidem.
37 Ibidem.
38 Ibidem, le texte précise que le pape avait octroyé : « ung jubilé et plenière remission, durant deux ans, à tous vrays chrestiens de nostre royaume, pays, terres et seigneuries de nostre obeissance et subjection qui donneront et eslargiront de leurs biens pour employer à faire la guerre aux infidelles et conquerir la terre saincte et empire de Grece, detenus et usurpez par lesdicts infidelles ».
39 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 442.
40 Il est question de Saint-Étienne.
41 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 443.
42 Ibidem.
43 Ibidem.
44 Ibid., p. 444. Allusion à la France, fille aînée de l’Église, depuis le baptême de Clovis ?
45 Ibidem.
46 Ibidem.
47 Ibid., p. 445.
48 Ibidem.
49 Ibid., p. 447.
50 Des témoins sont également mentionnés dans l’exposé.
51 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 448.
52 Exception faite du tronc de Buzet où l’on trouva cinq livres et treize sols tournois « pour le jubilé et croisade », Ibid., p. 453, sans faire mention des fameux « confessionaulx » (sauf cacographie).
53 Ibid., p. 451.
54 C’est-à-dire de la « monnaie altérée ou fausse ».
55 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 455.
56 Les résultats de la collecte sont soigneusement consignés, selon les règles de l’art. Une première partie fait le total des recettes et une deuxième celle des dépenses.
57 Ibid., p. 456.
58 Ibid., pp. 457-459.
59 Ibid., p. 457.
60 À comprendre « caisses ».
61 Ibidem.
62 Ibid., p. 458.
63 Ibidem.
64 Ibid., p. 459.
65 Ibidem.
66 Ibid., p. 458.
67 Ibid., p. 459.
68 « Assemblage de vingt-cinq feuilles de papier, une rame se compose de vingt mains », Paul Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1970, tome 4, p. 207.
69 J.-F. Michaud, Histoire des Croisades…, p. 459.
70 Ibid., p. 457.
71 Ibidem.
72 Ibid., p. 458.
73 Ibid., p. 459.
74 Ibidem.
75 Ibidem.
76 Ibid., pp. 459-460.
77 Ils sont désignés comme « prescheurs » sauf le « prédicateur de la Bastide Sainct Furny », celui de Grisolles, ou celui de Villefranche ; tous ont touché la « quinte part » ou « quinte partie » désignée comme telle si ce n’est pour le « prescheur de Ville Novelle, pour sa cinquieme partie ».
78 Ibid., p. 460.
79 Ibid., p. 465.
80 Ibid., pp. 465-466.
81 Un document d’archives attestant du paiement de six livres tournois à l’imprimeur orléanais Jehan de La Roche le 18 janvier 1517 « pour avoir imprimé trois rames de confessionaulx » a été reproduit dans le Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, numéro 139.
82 Maximilien mourut le 12 janvier 1519 et la lutte engagée alors pour sa succession déboucha le 28 juin sur l’élection de Charles de Habsbourg.
83 Paolo Paruta, Dell’Historia Vinetiana, Venise, 1718, tome I, p. 700.
84 Gasparo Contarini (1483-1542), fait cardinal par Paul III en 1535, diplomate vénitien très efficace.
85 L’édition des articles de la Ligue et la victoire chrétienne de Lépante suscitèrent la parution de feuilles volantes comme Le très excellent et somptueux triomphe faict en la ville de Venise, en la publication de la Ligue publié à Lyon en 1571 avec les advertissements de la tres-heureuse & vrayement miraculeuse victoire, obtenue par l’armee Chrestienne, à l’encontre du grand Turc. Cet opuscule comptant seulement huit feuillets est d’un intérêt précieux pour la connaissance de la Ligue, de sa réception par les populations et de la campagne victorieuse qui la suivit.
86 Les Chapitres ou articles de la tressainte confederation faicte antre notre sainct pere le Pape, la Maieste Imperiale, et les Venitiens, Contre les Turcqz, Anvers, Guillaume Vorsterman, 1538.
87 Lettre de P. Giovio datée du 31 mars 1538, P. Giovio, Epistularum pars prima…, p. 204.
88 P. Giovio, Historiarum sui temporis, Paris, 1553, fol. 199 verso et P. Paruta, Dell’Historia…, p. 701, notamment.
89 P. Paruta, Dell’Historia…, p. 702.
90 Pour les prérogatives et attributions du légat a latere cf. M. F. Feldkamp, La diplomazia pontificia, Milan, 1998, pp. 35-36.
91 Frederic Chapin Lane, Venetian ships and shipbuilders of the Renaissance, Baltimore, 1934 (rééd. 2010), p. 151.
92 Pour Joseph von Hammer, Histoire de l’empire ottoman, Paris, 1936, tome V, p. 296, Barberousse dirigeait cent vingt-deux navires face aux cent soixante-sept vaisseaux chrétiens répartis en « quatre-vingt-une galères de Venise, trente-six du Pape et cinquante d’Espagne ». Les chiffres sont différents pour Saim Besbelli, « Ottoman naval superiority in the Mediterranean », Revue Internationale d’Histoire Militaire, 46 (1980), pp. 97-98.
93 Julien de la Gravière, Les derniers jours de la marine à rames, Paris, 1885, p. 116.
94 La galère grosse aussi appelée « galea da mercanzia » s’opposait à la « galea sottile », elle avait une poupe plus large et plus arrondie et servait au commerce en temps de paix.
95 La galère bâtarde est moins forte que la principale, mais elle s’oppose aux galères légères.
96 P. Paruta, Dell’Historia…, p. 710.
97 Il s’agit de la lettre de Carpi à Ricalcato du 30 janvier 1537, Parme, Archivio di Stato, Francia, 7/2.
98 Le 17 mars 1537, le nonce Carpi rapportait que François Ier expliquait que les flottes de Provence constituaient une défense, Archives Vaticanes, N. F. 2, fol. 73 v.
99 Archives Vaticanes, N. F. 2, fol. 82 v.
100 Le récit de ce soulèvement figure dans P. Giovio, Historiarum sui temporis…, fol. 203 v sqq.
101 Le reste fut envoyé à la défense de la Hongrie. Giovio précise que deux de leurs vaisseaux heurtant des rochers allèrent par le fond et peu survécurent, on y vit la punition par Dieu de leurs nombreuses malédictions et déportements, P. Giovio, Historiarum sui temporis, fol. 205.
102 Lorenzo Capelloni, Vita del principe Andrea Doria, Venise, 1565, p. 99.
103 Antonio Perria, Andrea Doria il corsaro, Milan, 1982, p. 159.
104 Aux dires de L. Capelloni, Vita del principe…, p. 99.
105 J. de la Gravière, Les derniers jours…, p. 3.
106 Pierangelo Campodonico, Andrea Doria, Gênes, 1997, p. 133.
107 P. Giovio, Historiarum sui temporis…, fol. 199 v.
108 E. Pujeau (éd.), « Il Consiglio di Mons. Paolo Giovio », Studi Veneziani, LIX (2010), p. 221.
109 P. Giovio, Historiarum sui temporis…, fol. 208 v.
110 Guido Ercole, Le galere mediterranee, Trente, 2008, p. 89.
111 E. Pujeau (éd.), « Il Consiglio… », p. 221.
112 Pour la reconstitution et l’analyse de cette campagne voir la note 3.
Auteur
UMR 5136 (FRAMESPA, Toulouse)
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