Dissidence politique dans les Pyrénées catalanes du XIIe au XVIe siècle
p. 127-139
Texte intégral
1Dépourvues d’institutions de recherche propres, éloignées des grands pôles universitaires, les Pyrénées catalanes ont jusqu’à présent été victimes d’un traitement historiographique superficiel. Il en a résulté une perception faussée de ce territoire, bien souvent partielle et partiale1. Il faut chercher les origines d’une vision si centralisée de l’histoire de la Catalogne dans la fin du XIXe siècle, un moment historique de résurgence des lettres et de l’esprit national catalan certes, mais aussi un moment dans lequel les Pyrénées furent considérés comme un monde isolé et sauvage, presque sous-développé, étranger au progrès du pays2.
2Cette lecture présente les Pyrénées comme un pays idyllique, lieu de refuge pour les dissidents de toutes époques (wisigoths face aux sarrasins, cathares, opposants au régime de Franco…), insoumis aux pouvoirs de la plaine et difficile à contrôler, un pays qui tient ces attributs de sa réalité physique, caractérisée par un milieu hostile au développement social et économique, et de son éloignement des grands centres de décisions politiques.
3Cette contribution a pour but d’étudier les conditions politiques et sociales qui ont fait des Pyrénées catalanes un territoire favorable au développement de certains mouvements de dissidence entre le XIIe et le XVIe siècle, à travers l’étude comparative de deux personnages emblématiques de l’histoire pyrénéenne de ces deux époques dont les relations avec le pouvoir central se sont caractérisées par une politique d’affrontement et de lutte de factions. Il s’agit de deux membres de l’aristocratie, Arnau de Castellbò et Joanot Cadell, dont le rôle est essentiel pour comprendre l’évolution des relations de la petite noblesse pyrénéenne avec la monarchie dans un pays frontalier d’une grande importance stratégique à des moments où l’enjeu était d’assurer l’intégrité territoriale de la couronne espagnole et la sûreté des voies transpyrénéennes face aux puissances qui faisaient pression au nord, qu’il s’agisse des comtes de Foix au XIIIe siècle ou des leurs successeurs, les rois de France, au XVIe3.
4À l’exception de leur statut nobiliaire, de leur situation géographique et de la violence qui a guidé leur action politique, Arnau de Castellbò et Joanot Cadell n’ont presque rien en commun, au moins en apparence. Le premier est lié au catharisme du XIIIe siècle, l’autre aux luttes des bandolers4 pyrénéens du XVIe siècle. Mais les deux personnages ont des similitudes qui nous permettent de reconstituer les préoccupations et les ambitions des classes dominantes dans les Pyrénées durant ces trois siècles et de comprendre l’essence de la dissidence politique pyrénéenne dans la longue durée.
5Arnau de Castellbò appartient à l’ancienne lignée nobiliaire qui monopolise dès le Xe siècle le titre vicomtal d’Urgell. À partir du XIe siècle, les vicomtes ont peu à peu délaissé leur rôle administratif au sein de la vicomté pour se consacrer à leur fonction seigneuriale sur leur propre territoire. C’est d’ailleurs à cette époque que les anciens vicomtes d’Urgell remplacent le nom de leur lignage par celui de Castelbò, prenant ainsi le nom du château qui domine la plupart de leurs domaines seigneuriaux5.
6Malgré tout, au XIIe siècle, la dignité vicomtale représente encore une lieutenance en cas d’absence comtale, absence qui commence à être habituelle à partir de ce siècle dans le nord du comté d’Urgell. Ces absences si fréquentes des comtes d’Urgell dans les terres originelles de leur lignage provoquent une tension naissante parmi les grands maîtres du territoire, en particulier entre d’une part les évêques d’Urgell et les chanoines de la cathédrale et, d’autre part, les vicomtes de Castellbò6.
7Les comtes d’Urgell, désireux de soutenir le fragile équilibre politique au nord du comté pour empêcher toute tentative hégémonique de leurs vassaux pyrénéens, ont favorisé – on ne peut pas déterminer si c’est d’une façon consciente ou non – un état de guerre constant qui rend impossible toute concentration du pouvoir autour d’une seigneurie supérieure7.
8Mais, dans le même temps, le vicomte Pere Ramon de Castellbò a pu élargir son domaine vers le comté voisin de Cerdagne grâce à son mariage avec Sibilla de Cerdanya, dernière représentante du lignage vicomtal de Cerdagne après la mort de son père vers 11208. Il faut rappeler que, pendant ces années-là, le comté cerdan est tombé sous le joug des comtes de Barcelone et passera sous juridiction royale lorsque, à partir du mariage de Ramon Berenguer IV avec la reine Pétronille d’Aragon, célébré en 1150, les comtes de Barcelone deviendront rois d’Aragon. Pourtant, les rois aragonais n’en seront pas moins suzerains des vicomtes de Castellbò pour ce qui est de leurs nouvelles possessions en Cerdagne, possessions concentrées en Baridà, un territoire montagneux à la frontière des comtés d’Urgell et de Cerdagne et semé de plusieurs châteaux situés sur les principaux axes de communication des deux comtés.
9Ainsi, lorsque en 1185, suite à la mort de son père, Arnau de Castellbò devient vicomte, il hérite de lui la vicomté de Castellbò – devenant ainsi vassal des comtes d’Urgell –, de sa grand-mère, Sibilla de Cerdanya, la vicomté de Cerdagne – devenant en conséquence vassal des comtes de Barcelone rois d’Aragon –, et, en sus, d’un conflit qui perdure avec l’Église d’Urgell en lutte pour l’hégémonie sur la région pyrénéenne du comté d’Urgell. En outre, cette même année, le vicomte Arnau épouse Arnaldeta de Caboet, unique héritière d’un des plus puissants lignages du nord du comté d’Urgell, contre l’avis non seulement du comte d’Urgell mais aussi de l’évêque, qui de surcroît se trouve être le tuteur de la jeune femme9. En effet, le mariage d’Arnau et d’Arnaldeta menace de créer une seigneurie très puissante, encerclant les domaines de l’évêque d’Urgell et remettant en cause sa domination sur l’Andorre10.
10L’élargissement excessif des domaines des Castellbò après le mariage d’Arnau et Arnaldeta est à l’origine de la guerre générale qui a opposé le vicomte Arnau et les siens d’un côté, l’évêque, le comte d’Urgell et le roi d’Aragon de l’autre, guerre qui débute vers 119011. Il faut cependant chercher d’autres motivations pour justifier une alliance entre l’évêque, le comte et le roi. En premier lieu, il faut comprendre que la formation de cette alliance tripartite contre le vicomte a profité non seulement à l’Église d’Urgell, qui était directement menacée par l’ost de Castellbò, et au comte d’Urgell, qui craignait la liberté d’action de son puissant vassal au nord du comté, mais encore au roi Alfons el Cast qui, devant l’absence de descendance du comte d’Urgell, y voyait une opportunité d’intervention sur le comté, voire d’incorporation de celui-ci à la Couronne12.
11Arnau de Castellbò était-il un dissident ? Du point de vue des trois alliés, qui auraient souhaité s’octroyer l’exclusivité de la représentation du domaine public (concept qui était une nouveauté dans le comté d’Urgell malgré toutes les tentatives menées par le comte Ermengol VIII, soutenu par le roi et l’évêque d’Urgell, de l’imposer sur son territoire lors de l’assemblée de Paix et Trêve d’Agramunt en 1187)13, oui. En revanche, de son point de vue, Arnau de Castellbò défend les droits coutumiers de la noblesse et, à ce titre, il est devenu le chef de file d’une noblesse affectée par l’action conjointe des trois représentants de l’ordre public dans les Pyrénées14. Au-delà des griefs particuliers de l’évêque, du comte et du roi contre le vicomte de Castellbò, ces différends autour de la conception de l’ordre public furent à l’origine d’une longue guerre, connue au nord du comté d’Urgell sous le nom de guerre d’Arnau de Castellbò15.
12L’attitude de défi du vicomte de Castellbò vis à vis des pouvoirs publics ne se limite pas au comté d’Urgell. Dans le comté de Cerdagne, Arnau de Castellbò essaie d’imposer son hégémonie en s’assurant la fidélité des autres seigneurs cerdans et en faisant valoir ses droits, en tant que vicomte de Cerdagne, à s’introduire dans la cour royale16, le roi étant héritier de l’ancien titre comtal de la Cerdagne depuis 1118. Les ambitions du vicomte de Castellbò sur la Cerdagne ont répandu la violence féodale sur ce territoire, où il a mené quelques agressions et chevauchées depuis ses châteaux de Baridà, en Cerdagne occidentale. Ces agressions ont été possibles grâce à la complicité de quelques seigneurs cerdans, qui, parce que celles-ci répondaient à leurs propres intérêts, ont aidé Arnau de Castellbò dans ses campagnes en devenant membres de son escorte armée17.
13À la fin du XIIe siècle le conflit s’aggrava en raison de l’intervention du comte Raymond-Roger de Foix en comté d’Urgell. Sans doute le comte occitan avait-t-il été appelé en Urgell par une faction seigneuriale dissidente, opposée aux intérêts du comte d’Urgell et menée par les Cabrera et les Castellbò, les deux lignages vicomtaux du comté d’Urgell. L’absence de descendance du comte Ermengol VIII d’Urgell aurait inquiété sa mère, la comtesse veuve Dolça, tante du comte Raymond-Roger, qui craignait l’intervention du roi en comté d’Urgell et son intégration à la Couronne d’Aragon, ce que l’aurait poussée à s’allier avec la faction seigneuriale contre son fils aîné pour favoriser l’accès de son petit-fils, Guerau IV de Cabrera, à la tête du comté, et à attirer son neveu le comte de Foix dans la lutte à ses côtés. Le comte de Foix, qui avait des intérêts sur les territoires du nord du comté d’Urgell, notamment sur l’Andorre, attaqua la Seu d’Urgell et pilla sa cathédrale vers 1196, devint l’allié du vicomte Arnau de Castellbò, et accepta de marier son héritier, Roger-Bernard, avec sa fille aînée, Ermessenda de Castellbò, en 120218.
14L’union des héritiers des maisons de Foix et de Castellbò fit craindre au comte et à l’Église d’Urgell, ainsi qu’au roi, l’éventualité d’une fusion de leurs deux domaines en une seule seigneurie transpyrénéenne, puissante et hostile. C’est pour cette raison qu’après une trêve établie en 1201 pour mettre fin aux hostilités dans les Pyrénées, la guerre contre la coalition de Raymond-Roger de Foix et Arnau de Castellbò reprit vers 120319. Finalement, malgré cette opposition au mariage de Roger-Bernard de Foix et d’Ermessenda de Castellbò, vers 1209, après la mort du comte Ermengol VIII et alors que débutait la croisade contre les Albigeois en Languedoc, le conflit pyrénéen s’interrompit temporairement et le vicomte de Castellbò commença à se rapprocher de la monarchie pour profiter des gains qui pouvaient découler de son service à la cour royale20.
15Après la bataille de Muret et la mort du roi Pere el Catòlic, Arnau de Castellbò s’implique très activement dans les affaires de la cour du jeune roi Jaume I21. Il en sera expulsé en 1219, en raison de conflits internes à la cour22. Après quoi, bénéficiant encore de l’alliance des comtes de Foix, le vicomte Arnau se retire à Castellbò et y ouvre une sorte de cour vicomtale, proche des milieux cathares, afin d’établir une faction anti-ecclésiale et antimonarchique dans les Pyrénées23. Son alliance avec le comte de Foix, qui, après la mort de Ramon Roger en 1223, n’est autre que son gendre, Roger Bernat II, le porte à organiser, dans le cadre de sa lutte contre le roi et ses alliés de la cour, une nouvelle campagne intense de pillage dans le comté de Cerdagne, contrôlé par le comte Nunó Sanç, cousin et allié du roi24.
16Après la mort d’Arnau de Castellbò en 1226, le conflit avec Jaume Ier et l’évêque d’Urgell continue, mené par la vicomtesse Ermenssenda, fille d’Arnau, et son époux le comte Roger Bernat II25. La question religieuse du catharisme sera utilisée par l’évêque d’Urgell Ponç de Vilamur comme justification de son action politique contre Castellbò et Foix26. Après le décès de la vicomtesse Ermessenda, le conflit avec le roi sera précairement réglé, moyennant la subordination du comte Roger Bernat II à la suprématie royale de Jaume Ier pour ses domaines en Cerdagne27. Quant au conflit avec la nouvelle famille comtale d’Urgell, les Cabrera, finalement parvenue à la tête du comté, il se résout en 1256, moyennant un accord pour diviser le comté : l’hégémonie des comtes de Foix est reconnue dans la moitié nord du comté tandis que les Cabrera deviennent suzerains indiscutables dans la partie méridionale28. Seul le conflit avec l’Église d’Urgell perdurera pendant quelques années, jusqu’à 1278, lorsque la signature du premier paréage d’Andorre ouvrira les portes à un accord pour partager la suzeraineté sur ces vallées29.
17Arnau Castellbò incarne, dans les Pyrénées catalanes, le passage d’un système fondé sur les serments de fidélité féodale, point culminant de la dégradation de l’ancien système administratif carolingien, à un nouveau schéma basé sur la notion d’ordre public, centré sur la figure du roi (ou du comte, dans le cas d’Urgell), système qui est considéré comme une attaque contre les anciens droits coutumiers de la noblesse territoriale. Les difficultés, pour la noblesse territoriale, à accéder à une cour royale monopolisée par une noblesse de service, plus proche du roi et bien souvent issue des cercles barcelonais, accélèrent la rupture, renforcée par l’intervention des pouvoirs occitans, notamment du comte de Foix. Dans ce contexte, le catharisme a agi selon une idéologie qui a favorisé un militantisme du côté seigneurial, incarné par Arnau de Castellbò. La dynamique de lutte et l’incapacité royale de s’imposer pleinement a favorisé la cristallisation d’un système selon lequel la noblesse territoriale reconnaissait la suprématie royale en échange de la renonciation du roi à son autorité dans des domaines seigneuriaux.
18Joanot Cadell, quant à lui, est le fils d’une famille de la petite noblesse pyrénéenne. Les Cadell, dont on trouve la trace à Puigcerdà depuis la fin du XIIe siècle, sont devenus seigneurs juridictionnels de plusieurs localités de la Cerdagne et du Conflent. Bien que l’origine de leur puissance soit méconnue, on pense qu’il faut la mettre en relation avec l’imposition des structures du gouvernement du Royaume de Majorque (qui comprenait les comtés du Roussillon et la Cerdagne) pendant le XIIIe et le XIVe siècle. Dès le XIVe siècle, une branche de la famille entre en possession des petites villes d’Arsèguel, d’Arànser et de Vilanova de Banat, en Baridà, ce même territoire qui avait rassemblé les châteaux les plus importants des vicomtes de Castellbò aux XIIe et XIIIe siècles30.
19L’historiographie catalane a peint les Cadell comme de redoutables protecteurs de bandolers, si influents que plusieurs des familles les plus importantes de la Catalogne du XVIe siècle ne se contentèrent pas de leur accorder leur complicité, mais allèrent jusqu’à se grouper autour d’eux en une faction nommée cadells contre une faction contraire, celle des seigneurs du château de Nyer, en Conflent, dont les partisans étaient appellés nyerros31. Les liens de la famille Cadell avec les luttes de factions prennent leurs origines dans la réaction de la petite noblesse locale face aux agents de la centralisation des nouvelles monarchies nationales à la fin du Moyen Âge, des agents du pouvoir public qui voulaient assurer et contrôler leurs territoires frontaliers. Dans la péninsule, suite au mariage des Rois Catholiques en 1469, la cour s’est faite encore plus lointaine que lorsqu’elle se trouvait à Barcelone et l’action du gouvernement est passée aux mains du Conseil d’Aragon, composé de conseillers qui n’appartiennent pas au territoire, et du vice-roi, un grand seigneur qui jouissait de la pleine confiance royale. En réaction, les membres de la haute noblesse catalane cherchent des alliances matrimoniales avec des familles castillanes et quittent bien souvent la Catalogne. Dans ce contexte, la petite noblesse locale est exclue de toute possibilité d’influer sur le gouvernement et craint de surcroît que le roi n’élimine ses petites forteresses frontalières au nom de la raison d’État32.
20La famille Cadell illustre bien le cas de ces familles de la petite noblesse qui se sentent méprisées et n’ont pas la possibilité d’accéder aux hautes sphères du pouvoir. Leur éloignement des centres de pouvoir leur interdit l’accès aux charges lucratives de gouvernement33. C’est pourquoi leurs membres n’ont pas peur de compromettre leur carrière politique ou militaire dans des crimes ou des infractions. Dans ce contexte, les affrontements entre familles atteignent une violence extrême et se mêlent à des infractions de nature économique ou visant l’élargissement de leurs réseaux et l’accroissement de leur influence locale34.
21Pour comprendre les origines de la dissidence politique de la famille Cadell, il faut connaître l’épisode des guerres de la vicomté de Castellbò vers 1530. À la suite de l’incorporation du royaume de Navarre et de la vicomté de Castellbò, domaines de la famille d’Albret (ce dernier par héritage des Foix-Castellbò), à la monarchie espagnole en 1512, l’armée royale occupe la vicomté. Mais, dans les années suivantes, la monarchie cède la vicomté à la famille Oliver de Boteller, de Tortosa, également liée au bandolerisme, ce qui engendre une grande instabilité. En effet, dans ce contexte, une partie des familles de la vicomté de Castellbò défend l’incorporation de celle-ci à la couronne royale, tandis que les familles Cadell et Oliver de Boteller, avec le soutien de leurs bandes de bandolers, s’y opposent pour des raisons économiques. On ignore si les agissements violents des Cadell débutent avec ces guerres ou antérieurement. Néanmoins, celles-ci sont le précédent immédiat aux violences des bandolers en haut pays d’Urgell et Cerdagne pendant le XVIe siècle.
22Il semble évident que cette lutte contre les partisans de la monarchie espagnole reçoit des appuis dans le comté de Foix. Cette collaboration des fuxéens avec les Cadell se traduit par des raids, attaques et pillages perpétrés au sud des Pyrénées, tout particulièrement dans l’ancienne vicomté de Castellbò, tout au long du XVIe siècle et par le fait que de nombreux bandolers de la faction des Cadell se réfugient à plusieurs reprises sur ce territoire35.
23Bien des années plus tard, à partir de 1580, Joanot Cadell II, le plus célèbre chef de la famille, commence à être nommé pour occuper quelques charges dans l’administration : d’abord viguier du Conflent36 puis lieutenant d’alcaid des châteaux de Puigcerdà, Querol et Tour Cerdane37. Il profite de sa position, renforcée par ses nouvelles responsabilités, pour obtenir des bénéfices pour lui et les siens : il protège et aide des bandes de bandolers contre les bandes des familles rivales, telles que les Banyuls du Conflent, et ouvre les portes de son château d’Arsèguel pour entreposer le butin de ses vols à travers toute la Catalogne38.
24En raison de l’implication de Joanot Cadell dans plusieurs désordres causés dans toute la Catalogne et jusqu’en Aragon, et surtout en raison du vol d’une cargaison de monnaie royale en 158739, le château d’Arsèguel est soumis à deux sièges par l’armée royale en 1588 et 1592. Alors que le premier se solde par un échec de l’armée royale, le second se termine par l’abandon de la place d’Arsèguel par Joanot Cadell et la victoire des troupes royales. Joanot Cadell mourra en exil à Foix ; sa famille perdra une bonne partie de son influence parmi les bandes de bandolers des Pyrénées catalanes mais pas sa juridiction sur plusieurs domaines de l’ancien comté de Cerdagne, tel le château d’Arsèguel40.
25Le bandolerisme lié à la famille Cadell a connu aussi quelques liaisons avec le protestantisme. Certains membres de ses bandes ont été signalés comme protestants et ont reçu l’appellation d’hugonots, de luterans ou d’« inimichs de nostra sancta fe cathòlica ». Cependant, au-delà de la présence de quelques huguenots dans les bandes de bandolers qui traversaient les Pyrénées du nord au sud, on pense qu’il faut voir derrière l’insistance de la documentation sur ce sujet une politique menée par l’Église – il faut rappeler que l’Église d’Urgell conservait son pouvoir juridictionnel dans ce territoire – et par la monarchie pour condamner les bandolers non seulement comme délinquants ordinaires mais aussi comme hérétiques41.
26À partir de notre étude comparative de ces deux acteurs de l’histoire pyrénéenne médiévale et moderne, nous avons présenté deux moments historiques différents, le XIIIe et le XVIe siècle, mais ayant des traits communs quant à la dissidence politique, illustrée par Arnau de Castellbò, Joanot Cadell et leurs factions respectives qui ont remis en question la capacité du pouvoir public, la monarchie aragonaise ou espagnole, à maîtriser les Pyrénées d’une façon efficace.
27Au chapitre des traits communs, il faut rappeler qu’Arnau de Castellbò et Joanot Cadell sont membres de l’aristocratie locale, que leurs possessions sont réparties en haut Urgell et en Cerdagne, plus particulièrement dans le territoire du Baridà. Les deux seigneurs ont une grande emprise sur leur aire d’influence et sont soutenus par des factions armées qui luttent pour la cause de chacun de leurs lignages. On remarque aussi des éléments communs quant à la portée géographique de leur dissidence, la vicomté de Castellbò et le Baridà, quant à la réaction violente du pouvoir central qui s’attribue dans les deux cas un droit supérieur à légiférer sur la paix territoriale, quant à la participation active des pouvoirs du comté de Foix et quant au lien avec des manifestations de dissidences religieuses – le Catharisme au XIIIe siècle, le Calvinisme au XVIe siècle – qui servent non seulement d’élément de cohésion des factions dissidentes mais aussi de facteur aggravant à la peine appliquée par les pouvoirs publics, notamment la monarchie avec le soutien idéologique de l’épiscopat d’Urgell, les deux institutions agissant en étroite collaboration.
28Cependant, ces similitudes ne peuvent occulter plusieurs différences entre les deux épisodes : Arnau de Castellbò a occupé un poste de nature publique, lequel avait été vidé de son sens originel d’ancien métier de la curie comtale urgellitaine par la féodalisation des relations de pouvoir en Catalogne, dans un contexte ou un seul comte, celui de Barcelone, avait mis au point un ingénieux jeu d’alliances pour défendre sa puissance publique et essayer de se mettre à la tête du pouvoir en Catalogne. En ce sens, l’évolution du pouvoir des comtes de Barcelone, puis des rois d’Aragon, a suscité la résistance des seigneurs régionaux, y compris Arnau de Castellbò, notamment à partir du règne d’Alfons II. À la fin du XIIe siècle, la lutte prend fin de façon consensuelle : les nobles ont reconnu la nouvelle suprématie publique des descendants des comtes de Barcelone couronnés rois d’Aragon, et le roi se garde d’intervenir dans les affaires intérieures de leurs domaines seigneuriaux.
29En revanche, Joanot Cadell a développé son action dissidente dans un État fondé sur la suprématie théorique du roi – castillan à ce moment –, mais encore conditionné par la survivance de juridictions seigneuriales qui en sont exemptes sur un territoire très hétérogène du point de vue juridique. La dissidence de Joanot Cadell est née en raison de l’altération de l’ordre public causée par sa promotion des guerres privées entre factions. La garantie de la paix publique étant l’une des attributions fondamentales sur lesquelles la monarchie basa son autorité, le trouble de l’ordre public par la faction des Cadell fut considéré comme particulièrement dangereux à une époque où la consolidation des grandes monarchies nationales faisait des frontières des espaces très sensibles. C’est pour cela que les guerres privées et les troubles de l’ordre public menés par Joanot Cadell sur une frontière française potentiellement hostile provoquent la condamnation et la réaction soudaine du roi.
30Ainsi, on peut considérer que les expressions de dissidence politique d’Arnau de Castellbò et de Joanot Cadell marquent deux extrêmes du développement dans les Pyrénées Catalanes de l’institutionnalisation du modèle organisationnel fondé sur la coexistence des juridictions publiques et privées sous l’autorité théorique de la monarchie : Arnau de Castellbò symbolise les troubles qui ont accompagné sa mise en oeuvre et sa consolidation au XIIIe siècle et Joanot Cadell sa décadence face au pouvoir royal croissant à partir de la fin du XVIe siècle.
Notes de bas de page
1 Il n’existe aucune étude sur la place qu’occupent les Pyrénées dans l’historiographie catalane mais on peut d’ores et déjà affirmer que celle-ci est minime. La prépondérance de Barcelone et de son aire urbaine dans l’évolution économique, sociale et politique récente du pays, ainsi que l’absence de centres universitaires ou de recherche sur le territoire pyrénéen n’ont pas joué en faveur de l’essor d’une production historiographique sur les Pyrénées catalanes. On peut percevoir cette réalité au travers des ouvrages de référence de l’histoire de la Catalogne, y compris les plus récents, où le traitement historique très superficiel des Pyrénées contribue à entretenir l’image d’un territoire primitif et isolé des grands courants civilisateurs des peuples de la plaine. À ce sujet, voir A. Balcells (dir.), Història de Catalunya, L’Esfera dels Llibres, Barcelona 2004 ; F. Navarro (dir.), Història de Catalunya, Salvat Editores, Barcelona 1998 ; B. de Riquer (dir.), Història, política, societat i cultura dels Països Catalans, Fundació Enciclopèdia Catalana, Barcelona 1995-2008 ; P. Vilar (dir.), Història de Catalunya, Edicions 62, Barcelona 1987-2003.
2 À la fin du XIXe siècle, divers intellectuels catalans se sont certes tournés vers les Pyrénées, mais au travers d’expéditions organisées dans un esprit missionnaire, voire civilisateur, tel que l’exprime l’avocat barcelonais Josep Zulueta dans ses articles consacrés à ces territoires. Voir C. Gascón, Comarques oblidades. Josep Zulueta i el Pirineu l’any 1890, Edicions Salòria, la Seu d’Urgell 2010 ; Ll. Obiols Perearnau : « La ribera de la Seu vista pels enginyers de mines del segle XIX », Ibix : annals del Centre d’Estudis Comarcals del Ripollès, vol. 7, Ripoll, Centre d’Estudis Comarcals del Ripollès, 2012, p. 213-229.
3 Nous tenons à remercier Sarah Bloch pour sa collaboration à la relecture et correction de cet article.
4 La complexité du phénomène qu’est le bandolerisme rend difficile la traduction de ce terme sans rien perdre de ses diverses connotations. C’est pourquoi nous utiliserons la dénomination catalane bandoler, ainsi qu’elle apparaît dans la documentation d’époque.
5 Les premiers vicomtes de Castellbò sont désignés comme vicomtes d’Urgell en raison de leur condition de fonctionnaires de la cour des comtes d’Urgell. Cette dénomination a été remplacée par celle de vicomtes de Castellbò de façon graduelle à partir du XIe siècle, lorsque les anciens vicomtes urgellitains ont patrimonialisé la vallée et le château de Castellbò autour de leur lignage et lorsque le seigneur Arnau Mir de Tost a constitué un nouveau vicomté au sud du comté d’Urgell, autour du château d’Àger, conquis sur les sarrasins. Voir C. Baudon de Mony, Relations politiques des comtes de Foix avec la Catalogne jusqu’au commencement du XIVe siècle, t. I, Alphonse Picard et Fils, Paris 1896, p. 91-93 ; J. Miret i Sans, Investigación histórica sobre el vizcondado de Castellbó, Imprenta la Catalana, Barcelona 1900, p. 119-122 ; R. Viader, L’Andorre du IXe au XIVe siècle. Montagne, féodalité et communautés, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse 2003, p. 117.
6 F. Sabaté, « Organització administrativa i territorial del comtat d’Urgell », El Comtat d’Urgell, 1 (1995), p. 32 ; C. Gascón, « Els anys més convulsos de la Seu d’Urgell : el comte de Foix, el vescomte de Castellbò i els càtars » dans M. Castiñeiras, J. Verdaguer, La princesa sàvia. Les pintures de santa Caterina de la Seu d’Urgell, éd. Museu Nacional d’Art de Catalunya / Museu Episcopal de Vic, Barcelona / Vic, 2009, p. 40-41.
7 La politique comtale basée sur l’équilibre des forces au nord du comté d’Urgell se concrétise par diverses donations aux grands maîtres du territoire. En 1133 le comte Ermengol VI a cédé en franc-alleu tout ce qu’il possédait en Andorre ainsi que le village d’Arcavell, jouxtant l’actuelle frontière andorrane, à l’évêque d’Urgell. C. Baudon de Mony, op. cit., p. 75 ; C. Baraut, « L’evolució política de la senyoria d’Andorra des dels orígens fins als pariatges (segles IX-XIII) », Urgellia, 11 (1992-1993), p. 237 ; R. Viader, op. cit., p. 117-119. Pour sa part, le vicomte Pere Ramon de Castellbò a reçu en 1135 l’ancien château comtal de Castellciutat, situé sur une colline à moins de deux kilomètres de la cathédrale d’Urgell. C. Baudon de Mony, op. cit., p. 98-100 ; J. Miret i Sans, op. cit., p. 123 ; R. Viader, op. cit., p. 117-119.
8 Voir C. Gascón, « Els darrers vescomtes de Cerdanya i el casal de Castellbò », Quaderns d’estudis andorrans, 9 (2012), p. 53-77.
9 Les Caboet étaient une ancienne famille seigneuriale urgellitaine qui maîtrisait la vallée de Cabó et la vallée de Sant Joan, à l’ouest de l’Andorre. Ils étaient des alliés traditionnels de l’Église d’Urgell, malgré quelques tensions au milieu du XIIe siècle, et leurs vassaux depuis la fin du XIe siècle, avec quelques droits sur l’Andorre. R. Viader, op. cit., p. 106-116.
10 Depuis le XIe siècle, l’implication des Caboet dans les affaires andorranes va crescendo. En 1096, ils inféodent les revenus des paroisses andorranes de Canillo et Ordino. Et, après l’obtention de la suprématie épiscopale sur les vallées, ils accaparent certains droits paroissiaux au titre de fief épiscopal. C. Baraut, op. cit., p. 236 et 251-253 ; R. Viader, op. cit., p. 106-113. Il était en outre possible qu’ils profitent de leur position avantageuse vis à vis des andorrans pour leur bénéfice propre. Ce danger se concrétise lorsque les anciens droits des Caboet sont transmis à la famille des Castellbò au moyen du mariage du vicomte Arnau de Castellbò et d’Arnaldeta de Caboet en 1185. C. Baudon de Mony, op. cit., p. 105-108 ; C. Baraut, op. cit., p. 264-267 ; R. Viader, op. cit., p. 115-116.
11 Voir R. Viader, op. cit., p. 117-124.
12 Selon l’hypothèse que nous avons développée, à la fin du XIIe siècle, une partie de la noblesse de l’Urgell se méfiait des intentions du roi Alfons el Cast sur ce comté. En 1192, le roi a profité de l’absence de successeurs dans le comté de Pallars Jussà, voisin de celui d’Urgell, pour l’incorporer à la Couronne. L’alliance du roi avec le comte Ermengol VIII d’Urgell fut prise par une partie des seigneurs comme une tentative pour entreprendre une action similaire dans l’Urgell, crainte renforcée par l’absence de descendance dudit comte — sa femme Elvira était considérée comme stérile. Voir C. Gascón, « L’irruption des comtes de Foix sur le versant méridional à la fin du XIIe siècle, ses possibles motivations et ses conséquences », dans C. Pailhès (dir.), 1209-1309. Un siècle intense au pied des Pyrénées, Foix, 2010, p. 36-40.
13 En 1187 le comte Ermengol VIII d’Urgell a convoqué les grands barons du comté à une assemblée à Agramunt avec pour but de leur imposer la suprématie comtale au moyen de la paix territoriale, c’est-à-dire la valorisation de la paix comme un bien public qui devait être gardé par le comte face aux abus des grands barons territoriaux. D’un point de vue doctrinal, l’assemblée d’Agramunt a été inspirée par la réunion de la paix territoriale convoquée par le roi Alfonse el Cast en 1173 à Fondarella dans le but de réaffirmer sa suzeraineté. L’un et l’autre ont eu des difficultés avec leur noblesse pour se faire obéir dans leurs tentatives d’implanter leur suprématie sur leurs domaines respectifs. Voir G. Gonzalvo, « El comtat d’Urgell i la Pau i Treva », El Comtat d’Urgell, 1 (1995), p. 71-88 ; T. N. Bisson, L’impuls de Catalunya. L’època dels primers comtes-reis, Eumo, Vic, 2002, p. 39 et 110.
14 D’après l’historien Thomas N. Bisson, au début du XIIIe siècle, des seigneurs catalans ont essayé d’imposer au roi Pere el Catòlic, toujours en manque de ressources économiques, des réformes contraires à l’esprit de la législation de la paix territoriale développée par son père, en échange de leur appui financier. Ce réformisme seigneurial aurait été soutenu par une faction de la noblesse catalane. Voir T. N. Bisson, op. cit., p. 129-140. Dans cette faction, Arnau de Castellbò aurait eu une position centrale en Urgell et en Cerdagne face aux intérêts comtaux et royaux. Voir T. N. Bisson, « The war of the two Arnaus. A memorial of the broken peace in Cerdanya (1188) », Miscel · lània en honor al P. Agustí Altisent, Tarragona, 1991, p. 100.
15 La dénomination de “guerre d’Arnau de Castellbò” apparaît dans un document de 1201 concernant le conflit entre l’Église d’Urgell et le seigneur Ramon II de Josa. Voir C. Gascón « Els senyors de Josa i la documentació de l’Arxiu Capitular de la Seu d’Urgell, anterior a 1300 », Urgellia, 17 (2008-2010), doc. 3, p. 240.
16 Voir T. N. Bisson, « The war or the two Arnaus… » op. cit., p. 95-108.
17 Ibídem.
18 Voir C. Gascón, « L’irruption des comtes de Foix sur le versant méridional… op. cit. Sur le mariage de Roger-Bernard de Foix et d’Ermessenda de Castellbò, voir C. Baudon de Mony, op. cit., p. 125 ; J. Miret i Sans, op. cit., p. 150-156 ; C. Baraut, op. cit., p. 272-273 ; R. Viader, op. cit., p. 126.
19 C. Baudon de Mony, op. cit., p. 125-135 ; J. Miret i Sans, p. 151-154 ; C. Baraut, op. cit., p. 273-274.
20 On ignore jusqu’à quel point le vicomte Arnau de Castellbò a été impliqué dans la croisade des Albigeois. Martín Alvira soutient que ce dernier pourrait avoir lutté à la bataille de Muret dans l’ost du comte Raimond-Roger de Foix, à côté du roi d’Aragon. Voir M. Alvira, El Jueves de Muret, éd. Universitat de Barcelona, Barcelona, 2002, p. 627. Après la défaite de l’armée royale et la mort de Pere el Catòlic, on note, à partir de 1218, la présence d’Arnau de Castellbò à la cour royale de son fils et successeur, Jaume I. Voir J. Miret i Sans, Itinerari de Jaume I el Conqueridor, Institut d’Estudis Catalans, Barcelona, 1918, p. 26.
21 La documentation de la chancellerie royale démontre la présence régulière du vicomte Arnau de Castellbò à la cour du jeune roi Jaume I de 1218 à 1219. En 1219 le roi désigne le vicomte « vénérable conseiller nôtre ». Voir J. Miret i Sans, Itinerari de Jaume I… op. cit., p. 31.
22 Tous les témoignages de la présence d’Arnau de Castellbò à la cour royale sont interrompus d’une façon abrupte en mai 1219. On peut mettre cela en relation avec le remplacement, à la tête de la procuration du royaume pendant la minorité du roi Jaume I, du comte Sanç de Roussillon, allié du vicomte Arnau et d’une faction de l’aristocratie partisane de continuer l’intervention catalane en Occitanie, par Guillem de Montcada. Voir J. Miret i Sans, Itinerari de Jaume I…, op. cit., p. 33.
23 Le témoignage le plus ancien de la présence des cathares à la cour vicomtale de Castellbò remonte aux environs de 1224. Voir J. Duvernoy (ed.), Le dossier de Montsegur. Interrogatoires d’Inquisition 1242-1247. Édition latine, Pérégrinateur Éditeur, Toulouse, 1998, p. 158.
24 Voir C. Gascón, « Els càtars a la Cerdanya, invasors o dissidents ? », Ker, 4 (décembre 2010), p. 19-23.
25 En effet, après la mort de son beau-père, le comte Roger-Bernard II poursuit les agressions sur les domaines de l’Église d’Urgell, fait construire de nouveaux châteaux et agrandit ceux déjà existants en haut Urgell ainsi que dans le domaine royal de Cerdagne. Voir C. Baudon de Mony, op. cit., p. 151-163.
26 C. Gascón, « Els anys més convulsos de la Seu d’Urgell… op. cit., p. 46-48.
27 C. Baudon de Mony, op. cit., p. 164-166.
28 Ibidem, p. 196-199.
29 Ibidem, p. 234-239 ; J. Miret i Sans, Investigación histórica… op. cit., p. 216-219 ; C. Baraut, op. cit., p. 283-285 ; R. Viader, op. cit., p. 129-131.
30 Il semble que la famille eut été anoblie en 1222 ; A. Puyol Safont, Hijos ilustres de Cerdaña, Barcelona, Tipografía la Académica de Serra Hnos. y Russell, 1896, p. 79. En 1369, Jaume Cadell achète la place d’Arsèguel à Beatriu, fille d’Arnau de Saga et épouse de Berenguer d’Oms ; Arxiu de la Corona d’Aragó, Liber Patrimonii Regii, fol. 76-77. Pour ce qui est d’Arànser, à partir de 1404 et du mariage de Violant, fille de Ramon de Juià, avec Joan Cadell, le village passe aux mains de la famille Cadell. Ramon de Juià avait acheté Arànser en 1371 à la précédemment citée Beatriu de Saga ; Ll. Obiols Perearnau, « Pendre la possessió del castell de Arçèguel. La contribució puigcerdanenca als setges d’Arsèguel (1587-1593) », Ceretania : quaderns d’estudis cerdans, 6, Puigcerdà / Bourg-Madame, Institut d’Estudis Ceretans / Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de Cerdagne, 2012, p. 98-99. Vilanova de Banat, pour sa part, apparait en 1351 en tant que seigneurie de la famille Pinós, mais, dix ans plus tard, on trouve la trace de Jaume Cadell comme seigneur de cette localité ; J. Serra i Vilaró, Baronies de Pinós i Mataplana : investigació als seus arxius, vol. I, Bagà, Centre d’Estudis Baganesos, 1989 [édition fac-similé], p. 145-146 ; Arxiu Comarcal de la Cerdanya (ACCE), Fons Notarial, manuals de Bernat Manresa. Nous remercions Monsieur Pere Cerqueda pour ses informations concernant Vilanova de Banat.
31 Sur le bandolerisme en Catalogne, sont incontournables les oeuvres de référence de Joan Reglà et Xavier Torres. J. Reglà, El bandolerisme català del barroc, Barcelona, Edicions 62, 1966 [deuxième édition] ; X. Torres, Els bandolers (s. XVI-XVII), Vic, Eumo, 1991 ; X. Torres, Nyerros i Cadells : bàndols i bandolerisme a la Catalunya moderna (1590-1640, Barcelona, Reial Acadèmia de Bones Lletres de Barcelona, Quaderns Crema, 1993. Sur la famille Banyuls, seigneurs Nyer : N. Sales, « El senyor de Nyer sense els nyerros (Senyors bandolers, senyors ferraters, senyors alt-justiciers) » dans N. Sales, Senyors bandolers, miquelets i botiflers. Estudis sobre la Catalunya dels segles XVI al XVIII, Barcelona, Empúries, 1984, p. 11-101.
32 En 1535, par exemple, les autorités royales planifient l’élimination des forteresses de Puigcerdà, Querol et Torre Cerdana, dans la stratégique vallée de Querol (voie de communication entre la Cerdagne et l’Ariège par le col du Puymorens), régies par un système héréditaire et échappant au contrôle royal de cette zone frontalière ; Ll. Obiols Perearnau, « La clau d’esta terra : alcaids i bandolers a la vall de Querol al segle XVI », Records de l’Aravó, Bulletin de l’Association pour la Protection du Patrimoine et de la Mémoire Collective de la Vallée de Carol, 9, 2012, p. 10. Patrice Poujade a réalisé diverses études excellemment documentées sur les Pyrénées et les relations transpyrénéennes à cette époque qui nous permettent de comprendre la complexité institutionnelle, sociale, économique et politique de ce territoire frontalier. Les résultats de ses recherches ouvrent un nouvel horizon historiographique dans lequel les Pyrénées cessent d’être considérées comme une zone isolée et imperméable et se convertissent en un territoire riche d’intérêt quant à l’étude de certains phénomènes historiques dus à ses spécificités physiques – une zone montagneuse, riche en ressources naturelles et dotée de voies de communication stratégiques - et géopolitiques – un territoire frontalier entre deux grandes monarchies, avec certains éléments autonomes et singuliers qui se maintiennent hors du contrôle des autorités royales. P. Poujade, Le voisin et le Migrant. Hommes et circulations dans les Pyrénées modernes (XVIe-XIXe siècles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.
33 La famille Cadell occupe des charges de gouvernement, mais à caractère toujours local. Profitant de l’influence que lui procure ses charges, elle tente d’en obtenir le maximum de bénéfice pour ses intérêts propres. Malgré tout, il s’agit de menues parcelles de pouvoir aux répercutions somme toute limitées. Certains membres de la famille, par exemple, occupent des charges de contrôle fiscal à la frontière voire sont nommés veguers ou gouverneurs de la Seu, d’Andorre, du vicomté de Castellbò ou de Cerdagne, charges qui incluent des attributions judiciaires, politiques, militaires et administratives ; E. Serra i Puig, « Territori i inspecció fiscal : la visita del General del 1600 » dans J. Dantí (coord.), Les xarxes urbanes a la Catalunya dels segles XVI i XVII, Barcelona, Rafael Dalmau, 2011, p. 199, 226, 249 (divers membres de la famille Cadell occupant des charges liées à la perception des impôts sur les produits textiles à la frontière française) ; J. Buyreu Juan, Institucions i conflictes a la Catalunya moderna. Entre el greuge i la pragmàtica (1542-1564), Barcelona, Rafael Dalmau, 2005, p. 305 ; E. Moliné Coll, « El veguer episcopal i altres ministres de la justícia d’Andorra : notícies disperses des de 1372 a 1600 », Quaderns d’estudis andorrans, 8, Andorra, 2006-2008, p. 111, 144 (Gaspar Cadell nommé veguer de la Seu et d’Andorre par l’évêque) ; Arxiu de la Corona d’Aragó, Consell d’Aragó, llig. 269, doc. 25 (Antoni Cadell, gouverneur du vicomté de Castellbò) ; Arxiu Comarcal de la Cerdanya, Registre de Consells de 1572 a 1577, fol. 229 (Miquel Cadell Descallar, veguer de Cerdagne).
34 Le bandolerisme, particulièrement dans les Pyrénées, est un phénomène difficile à appréhender dans lequel se mélangent divers éléments : conflits frontaliers pour l’usage des zones d’estive, affrontements entre villages pour le contrôle des axes commerciaux, guerres privées entre familles, pure délinquance, résistance nobiliaire face à l’implantation de l’autorité royale… ; Ll. Obiols Perearnau, « El bandolerisme a la Cerdanya : algunes precisions (1526-1593) » dans A. Casals (dir.), El bandolerisme a la Corona d’Aragó, vol. I, Cabrera de Mar, Galerada, 2012, p. 185-222.
35 Ll. Obiols Perearnau, « Entre el comtat de Foix i el bandolerisme a l’Alt Urgell i la Cerdanya durant el segle XVI », Ibix : annals del Centre d’Estudis Comarcals del Ripollès, vol. 6, Ripoll, Centre d’Estudis Comarcals del Ripollès, 2010, p. 111-132. Il semblerait que ce soutien depuis Foix puisse se comprendre sinon comme une tentative de récupérer la vicomté de Castellbò, qui avait été perdue en 1512, du moins comme une manière d’obtenir le maximum de bénéfices économiques des attaques et sacs constants de ce territoire. La convergence d’intérêts contre la vicomté pourrait être un motif important de la collaboration entre les habitants de Foix et les bandolers liés à la famille Cadell.
36 Arxiu de la Corona d’Aragó, Reial Cancelleria, registre 4746, fol. 162v-164.
37 Arxiu Comarcal de la Cerdanya, Ajuntament de Puigcerdà, Registre de Consells de 1582 a 1587, fol. 333v-334.
38 En 1589 les paers (consuls) de Lleida spécifiaient, à propos des bandolers que el estar ellos tan apoderados d’esta tierra es porque tienen su fuente en la montaña, en un lugar llamado Arsègol, que es señor d’el Joan Cadell, el qual los mantiene y tiene allí los más principales d’ellos casados en el dicho lugar, y de allí salen para hazer todas las maldades, y allí suben los cautivos y robos (s’ils sont si puissants en ces terres c’est qu’ils ont leurs forces dans la montagne, en un lieu nommé Arsègol, seigneurie de Joan Cadell, lequel les entretient et tient là la plupart d’entre eux logés en ledit lieu, et ils en sortent pour causer toute sorte de dommages, et de là ils fomentent les rapts et vols) ; Arxiu de la Corona d’Aragó, Consell d’Aragó, llig. 265, núm. 26.
39 J. Reglà, « Envíos de metales preciosos de España a Italia a través de la Corona de Aragón y sus relaciones con el bandolerismo pirenaico », Estudios de Historia Moderna, t. IV, Barcelona, Consejo Superior de Investigaciones Científicas - Universitat de Barcelona, 1954, p. 191-203. Cet épisode a depuis été étudié par la plupart des auteurs cités et est désormais considéré comme le point d’inflexion dans la persécution de Joanot Cadell par les autorités.
40 Ll. Obiols Perearnau, « Pendre la possessió… » ; Ll. Obiols Perearnau, Lo niu dels bandolers de Catalunya. Els setges del castell d’Arsèguel (1588-1592), Ajuntament d’Arsèguel, Edicions Salòria, la Seu d’Urgell, 2012. Même si le rôle prépondérant de la famille Cadell dans le bandolerisme en Catalogne diminue considérablement après les sièges d’Arsèguel, ont encore lieu en 1637 des conflits auxquels participe la famille ; Ll. Rourera i Farré, Pau Duran (1582-1651) i el Capítol i Bisbat d’Urgell fins al Tractat dels Pirineus, Universitat Autònoma de Barcelona, 1987, p. 72, 94. La guerre dels Segadors (1640-1659), représentera un changement dans le fonctionnement social et institutionnel de la Catalogne, avec la militarisation du territoire et l’imposition de l’autorité royale, consolidée par la guerre de Successió (1701-1714), avec la victoire de Philippe V de Bourbon, l’abolition du droit catalan et l’implantation de nouvelles institutions à l’image du modèle castillan. Il s’agit de la victoire de la monarchie absolutiste face au système pactiste catalan, caractérisé par une grande autonomie de la noblesse face au pouvoir du Roi.
41 La crainte d’une contagion protestante depuis le nord impulsa la réorganisation et la création de nouveaux évêchés dans la zone frontière des Pyrénées, tels celui de Solsona en Catalogne et ceux de Jaca et Barbastro en Aragon ; Ll. Obiols Perearnau, « Dissentir en lo repartiment del bisbat. La reacció del Consolat de la Seu d’Urgell davant la creació del bisbat de Solsona (1590-1623) », Oppidum : revista cultural del Solsonès, 2012, p. 21-42. Sur les relations entre bandolerisme et protestantisme : N. Sales, « “Bandoliers espaignols” i guerres de religió franceses », L’Avenç, 82, maig de 1985, p. 46-55. Réédité dans N. Sales, De Tuïr a Catarroja : Estudis sobre institucions catalanes i de la Corona d’Aragó (segles XV-XVII), Catarroja-Barcelona, Afers, 2002, p. 143-166. La documentation de l’époque identifie fréquemment les bandolers comme luterans ou hugonots. En 1565, par exemple, est mentionnée la nécessité pour le roi et l’Inquisition de contrôler las fronteras de Catalunya para si luteranos atentassen, lo que este anyo passado attentaron en la tierra de Puzardán […] como viniessen con quadrilla mesclados de vandoleros ; lo que más me angustia es que estamos vezinos de los luteranos, y témese que so color de bandoleros no entren este verano y no den alguna batibarba a la Yglesia […]. Témese que no traygan algunos predicadores luteranos para del todo pervertir la tierra, que está llena de ygnorancia (les frontières de Catalogne dans le cas où les luthériens y attentassent, comme ils le firent l’an passé en la terre de Puzardan […] dans l’éventualité qu’ils vinssent en bandes meslés de vandoleros ; ce qui nous donne le plus d’inquiétude c’est que nous sommes voisins des luthériens, et il est à craindre que sous couvert de bandoleros ils n’entrassent cet été et ne causassent de grands désordres en l’Église […]. Il est à craindre qu’ils n’amenassent quelques prédicateurs luthériens afin de pervertir pleinement ces terres, qui sont pleines d’ignorance) ; Arxiu General de Simancas, Estado, leg. 332, doc. 94 y 95. Quelques années plus tard, en 1592, les consuls de Castellbò écrivent clairement que dits bandolés tenen certes correspondènsies ab los luterans (lesdits bandolers ont d’évidentes connivences avec les luthériens). La même année, le gouverneur du vicomté, Alemany de Tragó, informait la Cour du danger causé par les preparatorios que se hazen acá y al condado de Foix […] y como dizen públicamente que hazen aliansa con los luteranos, es de temer (préparatifs qui se font ici et dans le Comté de Foix […] et comme ils déclarent publiquement faire alliance avec les luthériens, il y a lieu de craindre) ; Arxiu de la Corona d’Aragó, Consell d’Aragó, llig. 344, s. n. (22-02-1592, 24-03-1592).
Auteurs
Doctorant Universidad Nacional de Educación a Distancia (Espagne).
Président de l’Institut d’Estudis Comarcals de l’Alt Urgell (Espagne).
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