« Comment peut-on être hérétique dans l’Église des premiers siècles ? » ou la fabrication de l’hérétique dans l’Antiquité tardive
p. 31-48
Texte intégral
1Parler des dissidences dans le christianisme des cinq premiers siècles expose l’orateur à un double écueil : celui de la naïveté et celui de l’anachronisme. Écueil de la naïveté, tout d’abord, parce que la très grande majorité des sources dont nous disposons émanent de la grande Église qui est elle-même à l’origine de la décision d’exclure ceux qui, en son sein, ont manifesté trop vivement leur différence. Ces sources sont donc partiales et partielles et n’exposent que le point de vue du parti sorti vainqueur de la confrontation. Écueil de l’anachronisme, ensuite, parce que nous ne pouvons entendre les mots « hérésie » et « hérétique » qu’à travers le prisme déformant de la longue histoire de l’Église. Quiconque mentionne aujourd’hui l’hérésie évoque inévitablement, même à son corps défendant, le massacre des albigeois, le bûcher de Jeanne d’Arc et les procès de la Sainte Inquisition. Mais ces événements tragiques sont la conséquence d’une collusion de l’autorité ecclésiastique avec le pouvoir temporel, d’une confusion du religieux et du politique, dont on chercherait vainement l’équivalent exact dans l’Antiquité. Pour bien saisir le rapport entre l’institution ecclésiastique des premiers siècles et les dissidences auxquelles elle a été confrontée, il faut évacuer ces images héritées du Moyen-âge et de l’Époque Moderne et nous replonger dans le contexte religieux de l’Antiquité tardive. Notre époque contemporaine, avec son goût prononcé pour le « politiquement correct », constitue également une source d’anachronisme, car elle se plaît à réviser les divers procès instruits contre les hérétiques et à réhabiliter ces derniers en en faisant les victimes du pouvoir abusif de l’Église secondée par le bras séculier. Loin de moi cependant l’idée de nier les abus auxquels ces procès ont parfois donné lieu, mais il importe avant tout de ne pas céder à la tentation stérile de juger le passé au nom du présent et de tomber dans une distribution simplificatrice des rôles du bourreau et de la victime, car une telle attitude interdit de cerner véritablement les mécanismes sociaux, politiques, juridiques et spirituels qui ont présidé, à une époque donnée, à la définition et au traitement du phénomène hérétique. Mon propos est donc d’apporter un éclairage sur l’apparition et la résolution à la fois pratique et théorique de la question de l’hérésie, dans le champ du christianisme, entre le IIe et le Ve siècle. Je commencerai par un très bref excursus sur le sens et les connotations du mot « hérésie ». J’expliquerai ensuite pourquoi le phénomène hérétique est constitutif et indissociable de l’élaboration de la doctrine chrétienne, ce qui m’amènera à proposer une typologie des différentes hérésies de l’Antiquité. Je montrerai enfin, à travers les exemples de l’arianisme, du priscillianisme et du pélagianisme, différents modes de traitement de l’hérésie au IVe et au Ve siècles, période au cours de laquelle s’effectue pour la première fois, dans l’empire romain, une convergence entre autorité ecclésiastique et pouvoir politique.
« Hérétique » ou « dissident » ?
2En septembre 2009 se tenait à La Rochelle un colloque de patristique sur le thème suivant : « Les pères de l’Église et les dissidents ». Dans sa communication introductive, Jean-Marie Salamito s’interrogeait d’emblée sur le vocabulaire utilisé pour traiter un tel sujet et soulignait que les connotations positives attachées au mot « dissident » permettaient de mettre à distance celles, négatives, que présentent les termes d’« hérétique » et de « schismatique ». Mais le choix du mot « dissidents » ne nous garantit pas, loin de là, contre le risque de partialité ; il « n’est donc », écrit-il, « qu’un pis-aller. C’est même un anachronisme, qui souligne à lui seul l’écart impressionnant entre la sensibilité de notre époque et celle des premiers siècles chrétiens1 ». Au risque de heurter la sensibilité de notre époque, je militerais volontiers pour une réhabilitation des termes « hérésie » et « hérétique » dans le cadre de la sphère antique en remontant au mot grec haïresis dont le sens initial et le glissement progressif vers un emploi dépréciatif ont été clairement exposés par Alain Le Boulluec dans le cadre de la littérature grecque2. Avant d’être gauchi par l’usage qu’en a fait la littérature hérésiologique à partir du IIe siècle, le mot, issu du verbe haïréo, qui veut dire « prendre, choisir », signifie « choix », « préférence », mais désigne aussi communément les diverses écoles philosophiques3. C’est dans ce sens qu’il conviendrait d’entendre le mot « hérésie » dans l’Antiquité, dans la mesure où celui qui se démarque alors de la doctrine professée par l’ensemble des Églises fait le choix d’interroger cette doctrine et de lui préférer une autre interprétation. L’hérétique est donc celui qui choisit de comprendre différemment l’enseignement du Nouveau Testament, tout en se revendiquant chrétien, mais autrement4. Bien sûr, la revendication de cette différence ne va pas sans mal et l’hérétique chrétien se voit rapidement contesté, voire exclu de la communauté dont il est issu. Ce processus d’exclusion n’est pas nécessairement violent et le christianisme des premiers siècles voit se développer sur ses marges de nombreuses communautés hérétiques qui ne représentent pas toujours une menace pour lui, dès lors qu’elles sont clairement identifiées comme telles et ne cherchent pas à attirer à elles les chrétiens de la Grande Église. Si l’on s’en tient au sens premier du mot, cette dernière peut même être paradoxalement considérée comme l’« hérésie » majoritaire du christianisme !
L’hérésie indissociable de l’élaboration de la doctrine chrétienne
3De fait, dès sa constitution, que l’on peut fixer à l’épisode de la Pentecôte rapporté au chapitre 2 des Actes des Apôtres, la première communauté chrétienne est amenée à définir sa foi et à se présenter comme une « hérésie » du judaïsme, à savoir comme une interprétation différente de la fidélité judaïque au Dieu de l’Alliance. Cette nouvelle interprétation repose sur la certitude que les promesses de l’Ancien Testament se sont réalisées dans la personne de Jésus, tenu pour le Christ. Mais il est très clair, à lire le discours de Pierre à la foule alors présente à Jérusalem, que les premiers chrétiens se considèrent comme des juifs à part entière5. Cela transparaît particulièrement bien dans les derniers mots de sa profession de foi : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié6 ». Cette origine judaïque du christianisme explique d’ailleurs pourquoi pendant près d’un demi-siècle les autorités et les auteurs romains n’ont pas nettement distingué les chrétiens des juifs. Le rejet du christianisme primitif hors du judaïsme par l’autorité des prêtres et du Sanhédrin contribua à tourner celui-ci vers les nations païennes auxquelles Paul consacra la plus grande part de son activité apostolique. La destruction du Temple de Jérusalem, lors de la prise de la ville par Titus en 70, accentua encore le divorce entre judaïsme et christianisme en contraignant les Juifs à passer de la religion du Temple à celle de la Synagogue dans laquelle les Pharisiens s’imposèrent au détriment de la classe sacerdotale et du parti aristocratique des Sadducéens. Cependant, même après cette séparation, les premières communautés chrétiennes hésitèrent sur l’attitude à adopter face au maintien ou non des exigences rituelles du judaïsme, notamment la circoncision, le repos du sabbat et les interdits alimentaires. Ces hésitations prouvent bien que l’énoncé primitif de la foi prêtait lui-même, dès l’origine, à une certaine latitude dans ses conséquences pratiques. L’acculturation du christianisme au monde grec et, plus largement, à la culture gréco-romaine, sous l’impulsion de Paul notamment, l’a finalement conduit à écarter les pratiques rituelles juives. On voit par là combien les choix de l’Église primitive ont pu être dictés par la nécessité de se constituer une identité religieuse propre qui la distinguât à la fois de la religion nationale des Juifs, dont elle était issue, et des religions polythéistes des autres nations constituant l’empire de Rome, nations auxquelles elle adressait désormais sa prédication.
4Arrêtons-nous un instant sur la nouveauté considérable que le christianisme constitue dans le paysage religieux de l’Antiquité : il est, en effet, la première religion à s’inscrire dans un cadre universel, transcendant les différences ethniques. Le judaïsme antique se voulait la religion du peuple élu et de lui seul ; les religions polythéistes reposaient, quant à elles, sur le culte de dieux nationaux spécifiques à chaque peuple, même si de nombreuses identifications pouvaient s’opérer d’un panthéon à l’autre, et si les citoyens romains n’hésitaient pas à adopter, en marge de leur religion nationale, des divinités étrangères7. Le christianisme, lui, s’adresse à l’humanité entière à laquelle il propose une même et unique voie de Salut. De ce fait, il cherche à se présenter comme la religion naturelle et primitive dont il assume seul fidèlement l’héritage et doit, pour cela, se distinguer le plus nettement possible du judaïsme et du paganisme qui, selon les auteurs chrétiens, n’en sont que des formes dégradées et perverties8. Mais mon propos n’est pas de présenter les arguments développés par l’apologétique chrétienne vis-à-vis des païens et des Juifs, et j’insisterai seulement sur le fait que c’est une même logique identitaire qui préside aux discours ecclésiastiques en direction des païens et des Juifs et en direction des courants centrifuges du christianisme, autrement dit des hérétiques. Ces discours ont beau être tournés vers l’extérieur, pour le discours apologétique, et vers l’intérieur, pour le discours hérésiologique, ils sont cependant très souvent mêlés car, à force de s’écarter de la position majoritaire de l’Église, les hérétiques finissent par en être exclus et se trouvent à leur tour rejetés hors d’elle. Il est d’ailleurs significatif, à ce propos, de constater que l’assimilation de l’hérétique au Juif ou au païen fait partie de l’arsenal hérésiologique traditionnel des écrivains ecclésiastiques.
5Revenons donc à l’élaboration de la doctrine et de l’identité chrétiennes au cours des premiers siècles. Celles-ci reposent sur un critère de foi constitué par le témoignage des Évangiles et reformulé à diverses reprises sous la forme de professions de foi. Ces dernières, comme celle exposée par Pierre à Jérusalem lors de la Pentecôte, insistent sur l’accomplissement des prophéties et des promesses de l’Ancien Testament en la personne de Jésus-Christ et sur la dimension trinitaire de la divinité, à la fois Père, Fils et Esprit9. Au tournant des IIe et IIIe siècles, l’écrivain africain Tertullien propose lui aussi, au chapitre 13 de son traité De la prescription contre les hérétiques, une formule qu’il présente comme la « règle de foi », et qui doit, selon lui, permettre de trancher entre foi authentique et déviations hérétiques :
La règle de foi – car il nous faut faire connaître dès maintenant ce que nous défendons – est celle qui consiste à croire qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui n’est autre que le Créateur du monde ; que c’est lui qui a tiré l’univers du néant par son Verbe émis avant toutes choses ; que ce Verbe fut appelé son Fils, qu’au nom de Dieu il apparut sous diverses figures aux patriarches, qu’il se fit entendre en tous temps par les prophètes, enfin qu’il descendit par l’Esprit et la puissance de Dieu le Père dans la Vierge Marie, qu’il devint chair dans son sein et que né d’elle, sa vie devint celle de Jésus-Christ ; qu’il proclama ensuite la loi nouvelle et la nouvelle promesse du royaume des cieux, qu’il fit des miracles, qu’il fut crucifié, qu’il ressuscita le troisième jour, qu’enlevé aux cieux il s’assit à la droite du Père ; qu’il envoya à sa place la force du Saint-Esprit pour conduire les croyants ; qu’il viendra dans la gloire pour prendre les saints et leur donner la jouissance de la vie éternelle et des promesses célestes, et pour condamner les profanes au feu éternel, après la résurrection des uns et des autres et le rétablissement de la chair10.
6L’adhésion aux différents articles de cette règle de foi constitue donc l’assurance d’une communion pleine et entière avec l’Église et, a contrario, le rejet ne serait-ce que d’un seul de ses articles, supprime de facto la qualité de chrétien. Ce principe n’est cependant pas totalement opérant, comme le prouvent les multiples professions de foi divergentes élaborées successivement tout au long du IVe siècle dans le cadre des péripéties de la crise arienne. Un dogme aussi central que celui de la Trinité, par exemple, peut s’avérer orthodoxe ou hétérodoxe, selon l’interprétation qu’on donne à sa formulation et la nature subtile des rapports qu’on établit entre les trois personnes divines. Il faut bien reconnaître que la règle de foi de Tertullien laisse la porte ouverte à de possibles discussions sur l’éternité du Verbe, Fils de Dieu, et sur sa relation avec le Père, puisqu’il y est dit « émis avant toutes choses ». Est-ce à dire, pour alimenter le moulin d’Arius, qu’il y eut un temps, avant la Création, où le Fils n’existait pas ? Ou encore que le Fils est subordonné au Père, puisqu’il n’en est qu’une émission ? Tertullien n’est pas absolument clair, non plus, sur la nature de Jésus-Christ : en disant que la vie du Fils « devint celle de Jésus-Christ », il peut très bien laisser entendre que Jésus-Christ n’était qu’un homme dans lequel se serait incarné le Verbe, Fils de Dieu. Quelle part d’humanité ce dernier a-t-il alors assumé ? Au-delà même de ces questions qui ne sont pas d’actualité à l’époque de Tertullien et qui anticipent de plus d’un siècle la crise de l’arianisme et de près de deux siècles les querelles christologiques du Ve siècle, il est pour le moins paradoxal de constater que le même Tertullien verse à son tour quelques années plus tard dans les chemins de traverse de l’hérésie de Montan, sans renier pour autant la règle de foi qui devait pourtant permettre de distinguer les chrétiens authentiques des hérétiques !
7L’exemple de cette formule de foi du traité De la prescription des hérétiques montre bien que la doctrine chrétienne n’a pas été donnée dès l’origine dans une forme définitive, mais qu’elle s’est progressivement élaborée à travers les différents débats théologiques qui ont marqué les premiers siècles du christianisme. L’apparition et la dénonciation de l’hérésie sont même une condition nécessaire à l’élaboration de la doctrine et les discours antihérétiques des Pères ont beau multiplier les procédés qui placent l’hérétique hors de l’Église, avec le Juif et le païen, ils ne peuvent masquer le fait que c’est d’abord en elle que se développe le débat qui aboutit conjointement à la détermination d’un point de doctrine et à la stigmatisation, sous le nom d’hérésie, des options théologiques rejetées. C’est là ce que signalait déjà Adolf Von Harnack, dans l’introduction de son histoire des dogmes lorsqu’il écrivait :
L’histoire montre au contraire que la théologie a formé le dogme, mais que l’Église a toujours été obligée de voiler après coup l’œuvre des théologiens, ce qui a placé ceux-ci dans une mauvaise position […]. Des générations entières de théologiens, comme aussi leurs chefs les plus distingués, ont été victimes du dogme lorsque celui-ci fut ultérieurement développé, et ils ont été déclarés hérétiques ou tout le moins suspects. À mesure que l’histoire a marché, le dogme a dévoré ses propres ancêtres11.
8Le lieu du débat théologique où s’élabore la doctrine chrétienne est avant tout celui des Écritures et de leur interprétation, car ce qui caractérise le christianisme, comme déjà le judaïsme, c’est l’adoption d’un corpus de textes sacrés où se révèle l’enseignement du Christ. La constitution de ce corpus ne s’est pas faite sans débat et plusieurs hérésies ont été rejetées sur la base de leur refus d’accepter la totalité du canon des Écritures retenu par l’Église, ou sur leur revendication d’utiliser des textes exclus de ce canon, à savoir des apocryphes. Je ne me pencherai pas sur la constitution du canon des Écritures, cela dépasserait le cadre de mon propos, mais je m’arrêterai un instant sur la dimension scripturaire de l’hérésie. Celle-ci me semble particulièrement mise en lumière par la présentation que donne Tertullien des débuts de l’hérésie dualiste de Marcion, hérétique originaire de la région du Pont-Euxin, au début du traité où il le réfute. Son hérésie serait la conjonction de sa recherche d’une solution au problème du mal et d’une interprétation erronée de Lc 6, 43-44 qui distingue le bon arbre du mauvais arbre :
L’homme du Pont nous présente deux dieux […], le dieu qu’il n’a pu nier, c’est-à-dire le Créateur, c’est-à-dire le nôtre, et le dieu qu’il ne réussira pas à prouver, c’est-à-dire le sien. Le malheureux, ce qui lui a inspiré cette présomption, c’est un passage bien simple de l’enseignement du Seigneur, quand il applique aux hommes – et non à des dieux -, les exemples du bon et du mauvais arbre : « Le bon arbre ne produit pas de mauvais fruits ni le mauvais de bons fruits (Lc 6, 43) » ; c’est-à-dire : la pensée ou la foi ne produit pas d’œuvres mauvaises quand elle est bonne, ni de bonnes œuvres quand elle est mauvaise. Marcion était miné – comme le sont maintenant beaucoup de gens, en particulier les hérétiques – par le problème du mal, de l’origine du mal ; ses yeux étaient affaiblis par la démesure de sa curiosité même ; c’est alors qu’il trouva la parole du Créateur : « C’est moi qui crée les maux (Is. 45, 7) » ; plus il avait présumé que le Créateur était l’auteur du mal, en se servant même d’autres arguments qui persuadent dans ce sens les esprits pervers, plus son interprétation comprit comme étant ce Créateur le mauvais arbre porteur de mauvais fruits, c’est-à-dire de « maux », et présuma qu’il devait exister un autre dieu correspondant au bon arbre porteur de bons fruits12 ».
9La question n’est pas de savoir si la genèse de l’hérésie de Marcion qui nous est présentée ici est conforme ou non à la vérité historique, mais de relever que son erreur vient d’une réflexion théologique indéniable (le problème de l’origine du mal) et de la volonté d’étayer celle-ci par le recours à l’autorité des Écritures. Ainsi, Marcion aurait envisagé de distinguer le Dieu Créateur, responsable du mal, du Dieu bon, révélé en Jésus-Christ, et aurait trouvé la preuve scripturaire de sa théorie en Is. 45, 7 (« C’est moi qui crée les maux ») et dans le dit évangélique du bon et du mauvais arbre13. Tertullien réfute d’emblée cette dernière preuve en proposant une interprétation de la citation évangélique qui, conformément au verset 45 du même chapitre de Luc, voit dans les arbres une métaphore de l’homme bon et de l’homme mauvais et non la figuration de deux dieux antagonistes. Un des critères de validité revendiqués par les Pères pour l’interprétation de l’Écriture repose d’ailleurs sur la cohérence d’une exégèse avec le contexte général d’un verset et, au-delà, avec l’ensemble des Écritures.
Petit aperçu des hérésies de l’Antiquité
10La plupart des hérésies de l’Antiquité se sont développées autour des points de doctrine dont le contenu exigeait une explicitation. Pour les présenter, on peut hésiter entre deux démarches : la première dogmatique, la seconde chronologique. La démarche dogmatique offre l’avantage d’une présentation assez synthétique, même si elle oblige à aborder séparément des éléments doctrinaux qui peuvent se trouver réunis au sein d’une même hérésie14. La démarche chronologique, quant à elle, conduit à évoquer successivement des hérésies qui n’ont pas nécessairement de rapports entre elles et se perd dans une énumération qui fait difficilement ressortir l’élaboration de la doctrine chrétienne. J’adopterai donc une démarche dogmatique en distinguant cependant les hérésies qui reposent sur des divergences purement doctrinales et celles qui découlent de différences dans la pratique des rites et des sacrements. Cette distinction recoupe en partie la différence qu’on établit d’ordinaire entre hérésie et schismes, mais, à en croire les Pères, la séparation de fait adoptée par les schismatiques les mène inéluctablement, à plus ou moins longue échéance, dans le champ de l’hérésie.
11On peut schématiquement ramener les hérésies chrétiennes des cinq premiers siècles à quatre grandes questions théologiques : l’identité et l’unicité de Dieu, l’unité divine au sein de la Trinité, la nature du Fils dans sa relation à l’humanité de Jésus, la nature de l’homme dans sa relation à Dieu. Autrement dit, il y a des hérésies théistes, trinitaires, christologiques et anthropologiques.
12Parmi les hérésies théistes, on compte les multiples hérésies gnostiques qui considèrent que la divinité primordiale, appelée « plérôme », ne se révèle aux hommes qu’à travers une succession d’émanations plus ou moins dégradées, mais qui développent également une dimension anthropologique dans la mesure où elles distinguent jusqu’à trois natures d’hommes, les « spirituels », les « psychiques » et les « terrestres » dont seuls les premiers sont destinés au Salut. On peut également considérer comme hérésies théistes les hérésies dualistes de Marcion et de Mani qui, malgré d’importantes différences, partagent un même rejet du Dieu créateur révélé par l’Ancien Testament et une même aversion pour la création et la matière. Toutes ces hérésies se sont développées entre le IIe et le IIIe siècle, mais certaines, comme le marcionisme et le manichéisme ont persisté au moins jusqu’à la fin du IVe.
13Parmi les hérésies trinitaires se distinguent deux courants antagonistes : le courant des hérésies modalistes ou monarchianistes, tout d’abord, qui, soucieuses de préserver l’unité divine, considèrent que le Dieu créateur, le Fils et l’Esprit, ne sont que trois « modes » successifs de la manifestation de Dieu aux hommes et qu’ils ne constituent pas des personnes coexistantes ; le courant des hérésies subordinatianistes, ensuite, qui établissent une hiérarchie au sein de la Trinité en subordonnant le Fils au Père, voire l’Esprit au Fils, au point de laisser croire que seul le Père est véritablement et ontologiquement Dieu. Au courant modaliste se rattache Sabellius, au IIIe siècle, et Marcel d’Ancyre, au siècle suivant. Au courant subordinatianiste se rattachent, tout au long du IVe siècle, les différentes tendances de l’arianisme, depuis Arius, l’initiateur de l’hérésie, jusqu’à Macédonius, le chef de file des pneumatomaques qui ne contestent que la divinité de l’Esprit Saint, en passant par Eunome qui nie toute ressemblance entre le Père et le Fils.
14Les hérésies christologiques sont moins clairement circonscrites dans le temps car elles se succèdent du Ier au Ve siècle. Il s’agit en premier lieu de l’adoptianisme, doctrine qui ne voit dans le Christ qu’un homme adopté par Dieu et que professent aussi bien certaines hérésies judéo-chrétiennes, dès le Ier siècle, que Paul de Samosate ou Photin de Sirmium, respectivement au IIIe siècle et au IVe siècle ; en second lieu de l’hérésie d’Apollinaire de Laodicée qui, au IVe siècle, considère que le Verbe divin n’a assumé que la chair, et non l’âme du Christ ; en troisième lieu de l’hérésie de Nestorius, évêque de Constantinople qui, dans les premières décennies du Ve siècle, distinguait l’humanité et la divinité du Christ au risque de les juxtaposer sans les unir ; en quatrième et dernier lieu du monophysisme d’Eutychès qui, dans son opposition aux positions de Nestorius, en vient à professer une seule nature dans le Verbe incarné, au point de sous-estimer l’humanité du Christ.
15On peut tenir pour anthropologiques les hérésies pessimistes qui dévalorisent tellement la condition de l’homme qu’elles lui refusent tout libre arbitre et considèrent son Salut ou sa damnation comme prédéterminées. Dans cette mesure, les hérésies gnostiques et l’hérésie manichéenne, que nous avons qualifiées de théistes, ont une dimension anthropologique indéniable. À l’opposé, le pélagianisme qui, au début du Ve siècle, présente la condition humaine sous un jour tellement optimiste qu’il en arrive à réduire considérablement la condition pécheresse de l’homme, constitue également une forme d’hérésie anthropologique.
16Les hérésies et les schismes qui résultent de différences dans la pratique des rites et des sacrements portent, pour leur part, essentiellement sur les points suivants : le maintien de certains rites du judaïsme, l’exercice de la prophétie, l’exercice de la pénitence. On pourra ajouter à ces points les prescriptions spécifiques concernant la pratique ou l’abstinence sexuelles.
17Nous avons déjà évoqué les diverses sectes judéo-chrétiennes qui, tout en reconnaissant Jésus pour le Christ venu accomplir les promesses de l’Ancien Testament, n’en restent pas moins attachées à la pratique de la circoncision, au repos du sabbat ou à certains interdits alimentaires. Nous nous contenterons d’évoquer ici les noms sous lesquels elles sont le plus souvent citées : l’hérésie de Cérinthe, ainsi que les sectes des Nazaréens et des Ébionites.
18La pratique de la prophétie, reconnue comme don de Dieu par le Nouveau Testament, et notamment par la Première Épître de Paul aux Corinthiens15, demeure relativement limitée dans l’Église des premiers siècles. L’hérésie de Montan, apparue en Phrygie dans le courant du IIe siècle, lui donne la première place dans l’exercice de la dévotion, si bien que cette hérésie a souvent été qualifiée de « Nouvelle Prophétie ». L’inflation prophétique qui la caractérise prend appui sur la prétention de Montan à être l’incarnation de l’Esprit Saint et à inaugurer les derniers temps du Salut. En un sens, cette réévaluation de l’économie du Salut et de la personne de l’Esprit Saint peut aussi être tenue pour une hérésie trinitaire.
19Plusieurs hérésies revendiquant une pureté authentique et sans défaut se caractérisent par un grand rigorisme moral qui les pousse à refuser la pénitence et le pardon aux baptisés convaincus d’avoir péché. Certaines d’entre elles sont liées aux grandes persécutions de l’Empire romain contre les chrétiens et au fait que, parmi ces derniers, certains avaient préféré apostasier en sacrifiant au culte de l’empereur, plutôt que de risquer la mort. Plusieurs, comme Novatien à Rome ou Novat en Afrique, refusaient la réintégration de ces apostats au sein de la communauté chrétienne, même au prix d’une longue pénitence. Ils s’opposèrent violemment aux évêques de Rome et de Carthage sur cette question, au point de constituer des communautés dissidentes que certains, comme Eusèbe de Césarée, qualifieront de « cathares » ou de « purs »16. Comme les novatianistes, les montanistes prescrivaient eux aussi la plus grande rigueur à l’égard des chrétiens qui avaient failli sous la persécution. La dernière grande persécution, lancée par Dioclétien en 303-305, est également à l’origine du schisme donatiste en Afrique où l’élection de l’évêque Cécilien sur le siège de Carthage, en 312, fut contestée par une fraction du clergé qui reprochait à l’un des évêques ayant procédé à cette élection d’avoir failli sous la persécution. Ce schisme perdura jusqu’au concile de Carthage de 411 auquel saint Augustin prit une part active.
20La question de la sexualité, enfin, conduit à deux types de dérives hérétiques. Soit elle est valorisée au point de constituer la voie du Salut dans le cadre d’une sexualité débridée, comme ce fut le cas, au dire des historiens ecclésiastiques et des hérésiologues, de l’hérésie des nicolaïtes qui connut une courte existence à la fin du Ier siècle ; soit elle est totalement rejetée comme purement charnelle et incompatible avec la vie spirituelle, comme on le voit dans les hérésies qui condamnent la Création et la matière. Cette position, qualifiée d’encratisme, se retrouve logiquement dans le manichéisme, mais était également à la base de l’hérésie de Tatien vers la fin du IIe siècle.
La crise arienne, l’affaire Priscillien et la condamnation de Pélage : révélateurs des différents traitements de l’hérésie à la fin de l’Antiquité tardive
21La crise arienne et ses retournements, l’exécution à Trèves de l’évêque hérétique Priscillien par le bras séculier et la lente mise en évidence du caractère hérétique de la doctrine de Pélage marquent, chacun à sa manière la façon dont, au IVe siècle du moins, l’institution ecclésiastique a pu définir et traiter les courants hérétiques qui se sont manifestés en son sein. Ce siècle constitue un tournant, dans l’histoire de l’Église, dans la mesure où, avec l’édit de tolérance de 313, dit édit de Milan, il inaugure, après des siècles de persécutions et de défiance, une période de reconnaissance officielle du christianisme par le pouvoir politique.
22Je n’ai pas l’ambition de raconter ici le détail des événements et des conciles et synodes qui ont scandé le cours de ces différents épisodes, cela nous prendrait trop longtemps, mais je tirerai de ces trois crises quelques renseignements qui mettent en lumière les différents chemins qui conduisent à la désignation d’une doctrine comme hérétique, au rejet de ses tenants hors de l’Église et au type de condamnation qu’ils encourent. J’aborderai ces épisodes dans leur ordre chronologique.
23La crise arienne débute dans le premier quart du IVe siècle avec la prédication d’Arius à Alexandrie. Son subordinatianisme est rapidement contesté par Alexandre, son évêque, qui professe en retour une égalité de substance pleine et entière entre le Père et le Fils. Il y a donc bien, dès le départ une divergence doctrinale entre les deux partis en présence. L’affaire, purement religieuse, est d’abord traitée dans le cadre local d’un concile réunissant des évêques d’Égypte et de Lybie et présidé par Alexandre d’Alexandrie. Avec une telle présidence, il n’est pas surprenant que le concile aboutisse à la condamnation des thèses d’Arius et à son excommunication. Cette mesure chasse Arius de l’Église d’Alexandrie, mais ne le met pas pour autant au ban de la chrétienté. Arius fait appel de sa condamnation auprès des évêques de Palestine et d’Asie mineure. Ceux-ci tiennent à leur tour des synodes provinciaux qui le réhabilitent. On voit par là combien l’établissement d’un point de doctrine peut faire l’objet de décisions contradictoires au sein même du christianisme. Il va sans dire que les évêques auxquels Arius s’adressa après sa condamnation appartenaient à un réseau de personnes qui, comme lui, avaient suivi l’enseignement d’un maître commun. Cependant, cette réhabilitation entraîne de nombreuses réactions et la querelle s’étend jusqu’en Occident par le biais de lettres échangées entre les différents sièges épiscopaux, et notamment entre Alexandre d’Alexandrie et Sylvestre de Rome. Le processus de mise en cause de la doctrine d’Arius s’effectue donc par élargissements successifs du débat, sans que les diverses instances ecclésiastiques parviennent à se mettre d’accord. C’est dans ce contexte qu’on assiste à la première intervention du pouvoir politique pour trancher une querelle doctrinale. En effet, l’empereur Constantin, bienveillant à l’égard du christianisme et soucieux d’assurer l’unité de l’Église, comme il a assuré celle de l’empire, décide de réunir un concile de l’ensemble des Églises en 325, à Nicée. Ce concile règle temporairement la question par une formule de foi très nettement antiarienne dans laquelle le Fils est dit « consubstantiel » au Père, en grec homoousios. Arius et les quelques évêques résolument hostiles au « consubstantiel », sont condamnés et envoyés en exil. Cependant, la formule de Nicée et les interprétations modalistes qui en furent tirées par certains, comme Marcel d’Ancyre, entraînèrent un revirement d’un grand nombre d’évêques d’Orient qui obtinrent de l’empereur la réintégration des exilés et une très grande méfiance de sa part vis-à-vis de la formule de Nicée, formule qu’il avait pourtant largement contribué à faire adopter ! C’est même un évêque arianisant, Eusèbe de Nicomédie, qui lui donne le baptême sur son lit de mort en 337. Une cinquantaine d’années plus tard, Jérôme écrira à ce propos, dans sa Chronique :
Constantin, baptisé tout à la fin de sa vie par Eusèbe de Nicomédie, sombre dans la doctrine des ariens. C’est là l’origine de l’occupation des églises et de la discorde universelle que l’on constate encore à présent17.
24Par ces mots, il témoigne de la longueur de la crise arienne et de son intensité renforcée par le soutien apporté d’abord par Constantin, puis par son fils Constance II, aux tenants de l’arianisme. Il faut en effet cinquante années de tractations, de luttes théologiques, de concessions, d’intimidations, de conciles, de formules de foi, d’exils, de réhabilitations pour qu’en 381, au concile de Constantinople les évêques d’Orient, d’Égypte et d’Occident parviennent à s’entendre sur une formulation proche de celle de Nicée, mais exempte de tout soupçon de modalisme. Le cas d’Athanase d’Alexandrie, défenseur intransigeant de la formule de foi de Nicée, est révélateur des turbulences de l’époque, puisque sur trente-cinq ans d’épiscopat, il fut exilé à cinq reprises et passa plus de quinze ans hors de son siège18.
25Il est un fait marquant dans les rebondissements de la crise arienne, et qui en dit long sur le peu de distance qui sépare souvent l’hérésie de l’orthodoxie : l’autorité de l’empereur et son soutien aux thèses subordinatianistes des ariens ont fait que la doctrine catholique de la Trinité consubstantielle a été considérée comme hérétique par une majorité de chrétiens pendant près d’un demi-siècle ! La lecture de la Chronique de Jérôme, nicéen convaincu, est d’ailleurs significative de ce point de vue parce que la succession de ses notices, apparemment disparates, cache en fait une épopée des évêques nicéens persécutés par les hérétiques et le pouvoir impérial. Elle s’arrête en 378, trois ans avant le rétablissement définitif, à Constantinople, de la foi de Nicée et montre la reconquête progressive de nombreux sièges épiscopaux par les partisans de celle-ci19.
26L’affaire de la condamnation de Priscillien d’Avila est beaucoup plus ramassée dans le temps que la crise arienne, puisqu’elle se déroule sur moins de 6 ans, entre 379 et 385. Elle est significative d’une certaine confusion entre le temporel et le spirituel, car si Priscillien fut bien mis en cause pour hérésie devant des instances religieuses, c’est par le pouvoir impérial qu’il fut exécuté. Un rapide exposé des faits s’impose avant d’en tirer les enseignements susceptibles d’éclairer les causes de cette mise à mort. Priscillien est un laïc issu d’une famille aristocratique espagnole. Il adhère très rapidement à un mouvement ascétique qui s’étend bientôt à l’Espagne entière et gagne le sud de la Gaule jusqu’à Bordeaux. Ce mouvement, dont il est le principal prédicateur, suscite l’inquiétude d’un certain nombre d’évêques. Hydace, évêque de Mérida, est alerté par son homologue de Cordoue et identifie le mouvement à une forme de manichéisme, en raison, notamment, de son attachement à l’abstinence sexuelle. Mais il importe de savoir qu’à cette époque, l’accusation de manichéisme est l’argument majeur de ceux qui veulent discréditer un adversaire en l’assimilant à la forme d’hérésie la plus décriée. Face à cette accusation, Priscillien et son entourage se défendent en rédigeant une profession de foi dénonçant toutes les doctrines hérétiques. Si celle-ci convainc l’évêque de Cordoue, un concile est cependant convoqué à Saragosse et les membres du mouvement y sont accusés de manichéisme, de magie et de lecture d’apocryphes. Mais aucune condamnation nominale n’est prononcée en raison de l’absence des accusés et de l’orthodoxie des professions de foi qu’ils ont fait produire pour leur défense. Les principaux accusateurs, parmi lesquels Hydace, ont même consulté le siège de Rome pour s’enquérir de la possibilité de prononcer une sentence contre des absents, sans pour autant obtenir gain de cause. Le concile doit se contenter de dénoncer diverses pratiques ascétiques qui ont été constatées chez Priscillien et ses partisans, mais ne peut condamner le mouvement pour hérésie. Suite au concile, des évêques favorables au mouvement décident d’ordonner Priscillien évêque d’Avila, afin de lui donner davantage de poids pour promouvoir ses opinions.
27La tension monte entre adversaires et partisans de Priscillien et l’épiscopat espagnol ne parvient pas à apaiser le conflit. Hydace de Mérida en appelle à Ambroise de Milan ainsi qu’à l’empereur Gratien pour obtenir de ce dernier un rescrit bannissant les hérétiques des églises et des villes. Priscillien et deux autres évêques, ainsi chassés de leurs sièges respectifs, en appellent à l’évêque de Rome, Damase. Mais l’affaire a une tournure religieuse autant que politique, puisque leur bannissement est la conséquence d’un décret impérial. Ils en appellent donc aussi à l’administration impériale. Sans qu’on en connaisse la raison exacte, ils ne sont accueillis ni par Ambroise à Milan, ni par Damase à Rome, mais parviennent à acheter des appuis parmi les fonctionnaires impériaux et obtiennent un rescrit les rétablissant dans leurs Églises. Les appuis politiques acquis par Priscillien retournent la situation au point que ses accusateurs de Saragosse se trouvent à leur tour dans une situation précaire. On comprend, devant de tels retournements de situation, qu’il est parfois bien difficile de savoir qui est hérétique et en quoi il l’est ! Mais on voit aussi que l’intervention du politique brouille totalement le débat théologique. C’est d’ailleurs un bouleversement politique qui va entraîner Priscillien à sa perte. Le 25 août 383, l’empereur Gratien est égorgé à Lyon par les partisans de Maxime, usurpateur proclamé empereur par ses troupes peu de temps auparavant. Soucieux d’être reconnu comme empereur légitime, Maxime cherche à montrer à l’épiscopat occidental, et tout particulièrement à l’évêque de Rome, qu’il est un fervent défenseur de l’orthodoxie. Il convoque donc à Bordeaux un concile destiné à faire condamner Priscillien et ses partisans. Refusant de comparaître devant l’assemblée bordelaise, Priscillien en appelle au tribunal de l’empereur à Trèves, déplaçant le procès du domaine religieux à celui du droit civil. La question religieuse est bien reprise, mais devant le tribunal du préfet du prétoire des Gaules, et débouche sur une seconde action où Priscillien est condamné, selon les lois civiles et suite à des aveux obtenus par la torture, pour pratiques magiques et manichéisme.
28On présente généralement Priscillien comme le premier hérétique mis à mort par le pouvoir séculier. Cela est vrai, certes, mais d’un point de vue uniquement formel. En effet, l’empereur et les fonctionnaires impériaux devant lesquels il comparut étaient persuadés qu’il était hérétique, puisque le concile de Bordeaux avait convaincu d’hérésie Instantius, un évêque de son parti, mais ce n’est pas pour cette raison qu’ils le condamnèrent à mort, car aucune loi civile ne permettait une telle condamnation pour motif d’hérésie. C’est uniquement sur le chef d’accusation de magie qu’ils prononcèrent l’arrêt de mort de Priscillien et de quelques-uns de ses partisans. S’il est bien le premier hérétique mis à mort par le bras séculier, il n’est l’a pas été pour hérésie. Cette dernière qualité, si l’on me permet de jouer ici du paradoxe, a sans doute contribué à disposer les juges contre lui, mais elle n’est pas la raison de leur sentence. Il importe, avant de clore le dossier Priscillien, de souligner l’enjeu politique que sa condamnation revêtait pour Maxime. L’usurpateur croyait sans doute qu’en ordonnant l’exécution d’un hérétique sur une accusation de droit civil, il s’attirerait les bonnes grâces du clergé italien et s’ouvrirait les portes de Rome. Son calcul s’avéra faux, car cette exécution et ceux qui y avaient contribué furent vivement condamnés par Ambroise de Milan et Martin de Tours dont les appels à la modération n’avaient pas été entendus à la cour impériale de Trèves20.
29Venons-en à présent au cas de Pélage. Ce moine d’origine britannique résida à Rome au tournant du IVe et du Ve siècle. Il y fréquenta les milieux ascétiques de l’aristocratie et y propagea une doctrine volontariste sur la lutte contre le péché. Son mot d’ordre était que « l’homme peut être sans péché s’il le veut ». Par une telle formule, il insistait essentiellement sur la bonté intrinsèque de la nature humaine et sur la force de la volonté de l’homme, limitant ainsi considérablement le rôle de Dieu dans la lutte spirituelle. Après le sac de Rome par les Wisigoths en 410, il se rendit en Sicile, passa en Afrique, en compagnie d’un certain Célestius, puis en Palestine où sa doctrine se répandit. La première condamnation de ses idées intervint fin 411, à Carthage, lors d’un synode présidé par l’évêque Aurélius. Célestius y fut condamné pour ses positions sur le baptême des tout petits. Pélage, mis en cause en 415 en Palestine, d’abord à Jérusalem en juillet, puis en décembre à Diospolis, défendit son orthodoxie en se désolidarisant de Célestius. Deux synodes africains, tenus respectivement à Carthage et à Milev, renouvelèrent la condamnation de ce dernier au printemps et à l’été de 416, en lui associant, cette fois, le nom de Pélage. À la demande des évêques africains, le pape Innocent Ier leur adressa, le 27 janvier 417, différentes lettres qui excommuniaient Pélage et Célestius. Mais après la mort d’Innocent, son successeur Zosime convoqua au cours de l’été 417 un synode romain qui réhabilita ces derniers sur la base de leur Libellus fidei. Leur orthodoxie continua cependant d’être contestée par les évêques africains qui demandèrent à Zosime de reconsidérer la question. Le 30 avril 418, l’empereur Honorius intervint dans le débat par un rescrit qui condamnait les thèses pélagiennes et envoyait Célestius en exil. Dans le même temps, un synode tenu à Carthage le 1er mai 418 condamnait à nouveau les thèses des deux hommes et rappelait l’excommunication prononcée l’année précédente par Innocent Ier. À l’issue du concile romain de juin 418, Zosime condamna à son tour Pélage et Célestius. Le siège romain ne revint plus, par la suite, sur leur condamnation.
30Une fois encore, on constate le rôle important joué par l’empereur dans le règlement de la question, car sa prise de position contre Pélage et Célestius, concrétisée par un rescrit assorti d’une peine d’exil, met un terme aux atermoiements et aux retournements du siège romain. Mais en marge du jeu des condamnations et réhabilitations synodales, qui ne sont que la surface officielle des choses, il est intéressant de considérer l’attitude de deux écrivains qui ont largement contribué à dénoncer l’hérésie de Pélage et dont les prises de position ont pu influencer les décisions officielles : Augustin et Jérôme. Tous deux ont signalé très tôt les erreurs contenues dans la prédication pélagienne et les ont réfutées, mais alors même qu’ils les combattaient, ils prenaient garde de ne pas incriminer nommément leur auteur. Tous deux ont affirmé vouloir s’en prendre à l’erreur et non à l’homme qui la commettait et Jérôme, joignant le geste à l’intention, rédigea sa réfutation sous la forme d’un dialogue dans lequel les adversaires en présence apparaissaient sous des noms fictifs21. Plus même, alors que, dans son traité De la nature et de la Grâce, Augustin réfutait, sans citer de nom, la conception pélagienne de la nature humaine, il envoyait à Pélage des courriers qui tentaient de le faire revenir à une position plus nuancée et acceptable pour l’Église. Les indices de cette bienveillance manifeste à l’égard de Pélage se dégagent de nombre de ses écrits antérieurs à l’été 416. Cependant, les deux contradicteurs de Pélage finirent par se lasser de l’obstination avec laquelle celui-ci se dérobait à leurs invitations et refusait le débat ouvert. Alors que leur désir de le voir corriger ses erreurs était sincère, ils constatèrent que ses réhabilitations devant les assemblées ecclésiastiques n’étaient dues qu’à des restrictions mentales qui lui permettaient de passer pour orthodoxe sans rien changer à sa prédication. Dès lors, définitivement convaincus de sa duplicité, Augustin et Jérôme n’hésitèrent plus à s’en prendre ouvertement à lui.
31De ces trois polémiques à caractère hérésiologique, nous pouvons dégager quelques constantes du traitement du fait hérétique dans l’Antiquité tardive. Tout d’abord, on peut affirmer que la détermination du caractère hérétique d’une doctrine s’effectue à trois niveaux. Le premier est de l’ordre du débat et les protagonistes s’y opposent à coup d’arguments logiques, théologiques et scripturaires. C’est par exemple le temps des réfutations du pélagianisme par Jérôme et Augustin, sans que le nom de Pélage apparaisse, ou encore le temps où l’évêque de Cordoue se laisse convaincre de l’orthodoxie de Priscillien en recevant sa profession de foi. C’est aussi le moment où les évêques nicéens, exilés en Orient sous l’empereur Constance II, rencontrent leurs homologues arianisants d’Orient, discutent avec eux et rédigent des traités sur la Trinité, comme le fit Hilaire de Poitiers. Ce premier niveau est fondamental pour la démonstration d’une incompatibilité entre une nouvelle doctrine et celle de l’Église. C’est à ce stade que s’élabore véritablement le dogme et que se distinguent les unes des autres les opinions recevables et celles qui s’écartent par trop de la tradition. Le temps du débat laisse la porte ouverte à des rétractations ou des infléchissements par lesquels le fauteur d’une doctrine hérétique peut réintégrer le giron de l’Église.
32Le second niveau est de l’ordre de l’exercice de l’autorité et correspond aux anathèmes et excommunications prononcées par les conciles et les synodes. À ce stade, le caractère hérétique d’une doctrine est affirmé de façon solennelle et l’ensemble des Églises est informé de sa condamnation. Un hérétique excommunié à ce deuxième niveau ne peut retrouver la communion qu’après une profession de foi publique rejetant les erreurs pour lesquelles il a été exclu de la communauté des chrétiens. En revanche, s’il s’obstine dans ses positions, il ne peut plus prétendre au nom de chrétien. Ces deux niveaux ne se succèdent pas nécessairement dans le temps et peuvent se superposer, car une décision conciliaire n’empêche pas les théologiens de poursuivre leur débat contradictoire. Le paradoxe veut même que, comme dans le cas de la crise arienne, les théologiens orthodoxes ont pu être tenus un temps pour hérétiques. La poursuite du débat, alors même que les décisions conciliaires ont été prises, est même le seul moyen dont dispose un théologien hérétique pour espérer faire un jour triompher son point de vue.
33À ces deux niveaux qui ressortissent à la sphère purement religieuse et qui, avant la reconnaissance du christianisme par les autorités civiles romaines, étaient les seuls à être opératoires, s’en ajoute un troisième qui complique singulièrement la donne : celui de l’intervention du pouvoir politique. Ce troisième niveau de détermination de l’hérésie n’est parfois qu’un accélérateur du niveau précédent, dans la mesure où il ne fait souvent que susciter la mise en place de l’instance religieuse compétente pour identifier et condamner l’hérésie et ses porte-paroles. C’est le cas avec la décision de Constantin de réunir le concile de Nicée en vue de vider la querelle entre partisans et adversaires d’Arius, c’est aussi le cas avec la convocation du concile de Bordeaux par l’usurpateur Maxime. Mais le niveau politique ajoute une dimension juridique considérable dans la mesure où il assortit la décision religieuse d’une sanction d’ordre pénal. Ainsi en est-il des sentences d’excommunication et d’exil prononcées contre les différents évêques, nicéens ou ariens, lors de la crise arienne, ou contre Priscillien quelques années plus tard. La sanction impériale ne coïncide pas systématiquement avec la décision ecclésiastique, comme on le constate lorsqu’un rescrit vient appuyer a posteriori la position d’un des partis en conflit. Une telle intervention du politique entrave d’ailleurs totalement le déroulement du débat théologique du premier niveau, puisqu’elle impose, comme orthodoxe, le point de vue de l’empereur qui n’a pas a priori compétence en la matière.
34Ces trois niveaux se superposent donc, se succèdent ou s’enchevêtrent et constituent les trois degrés qui mènent le promoteur d’une doctrine inédite ou d’un approfondissement théologique audacieux du statut de chrétien à celui d’hérétique. Mais on l’a vu dans le cas de Priscillien notamment, à chaque étape du processus d’exclusion, un retournement de situation demeure possible : dans le débat d’idées, un argument ou une reformulation peut faire accepter la position jusque-là rejetée ; la décision d’un concile peut être annulée par un autre concile ; le rescrit d’un empereur peut être révoqué par un autre rescrit. Il n’est qu’un cas où il n’est pas de retour possible, c’est celui où le jeu de ces trois niveaux aboutit à une mise à mort. Nous avons vu que, dans l’Antiquité tardive, une telle extrémité n’était due qu’à un glissement du domaine religieux à celui du droit civil et qu’elle n’était pas inhérente au processus de détermination de l’hérésie. En revanche, il faut bien reconnaître que, par leur caractère pénal, les interventions impériales, quoique mesurées et limitées le plus souvent à des mesures d’exil, portent en elles le germe des dérives fatales qui ont entaché par la suite le fonctionnement de bien des tribunaux ecclésiastiques.
35Lorsque les premières communautés chrétiennes, encore empreintes de judaïsme se sont constituées en religion autonome, elles ont été confrontées à la nécessité de se distinguer des autres religions pour affirmer leur identité religieuse propre. Cette logique d’identification les a amenées à élaborer une doctrine spécifique dans laquelle les différents courants de pensée de l’époque se sont confrontés et métissés. Or l’élaboration même de cette doctrine ne s’est faite qu’au prix d’un débat d’idées dans lequel certaines opinions ont été écartées sur la base du respect de la tradition apostolique et de la cohérence de l’Écriture sainte. Dans le cadre de ce débat, l’énoncé de la foi par l’intermédiaire de formules ou de règles de foi a joué un rôle déterminant. Celles-ci ont en effet servi de pierre de touche pour distinguer la foi authentique de l’hérésie et pour rejeter celle-ci hors du champ de l’Église. L’hérésie se présente donc comme une des conditions sine qua non de l’élaboration doctrinale. Les hérésies de l’Antiquité sont ainsi intimement liées aux principaux éléments du dogme chrétien, à savoir l’unicité et l’identité de Dieu, son unité au sein de la Trinité, l’Incarnation du Verbe, la condition de l’homme dans sa relation à Dieu. Les circonstances historiques, et tout particulièrement les persécutions contre les chrétiens, ont également entraîné des scissions qui ont abouti à des pratiques et à des positions intransigeantes finalement condamnées comme hérétiques. Soucieuse, comme toute institution humaine, de préserver son unité par l’établissement de règles communes, l’Église des premiers siècles s’est donc vue dans l’obligation de prononcer des sentences d’exclusion et des anathèmes contre les hérétiques qui menaçaient sa cohésion et son identité. Les cas de l’arianisme, du priscilianisme et du pélagianisme nous ont fourni des exemples permettant de définir trois niveaux différents dans le processus de définition et d’exclusion de l’hérétique : le débat ouvert, la décision ecclésiastique dans le cadre synodal ou conciliaire et l’intervention du politique. Ceux-ci préfigurent, même s’ils en diffèrent, le processus qui, dès le Moyen Âge, conduira à l’établissement de tribunaux ecclésiastiques et aux procès de l’Inquisition. Nous n’avons fait qu’apercevoir, au détour de l’une ou l’autre de ces trois crises, l’importance des réseaux sociaux, des solidarités de classe et des enjeux politiques qui s’entrecroisent et viennent contrarier le nécessaire débat d’idées. Nous avons enfin pu constater, avec les dispositions un temps conciliantes d’un Augustin et d’un Jérôme face à Pélage, que l’Église de l’Antiquité se trouve partagée entre sollicitude et intransigeance face au fait hérétique. Elle cherche à condamner le péché en ménageant le pécheur, à tuer l’hérésie, non l’hérétique. Mais à reconsidérer la question on peut aussi se demander si le processus pluriel qui aboutit à l’identification et à la condamnation de l’hérétique n’est pas également la réponse inévitable à l’entêtement de ceux qui choisissent de suivre leur propre voie sans reconnaître qu’elle les condamne à se séparer de la communauté dont ils sont issus. C’est là, bien sûr, le point de vue des Pères dont nous trouvons une expression achevée sous la plume de Jérôme dans le prologue du Dialogue d’Atticus et Critobule où il réfute les thèses pélagiennes :
Bien plus, nous tous qui suivons la foi catholique, nous souhaitons et nous désirons que l’hérésie soit condamnée, mais que les hommes soient corrigés, ou que du moins, s’ils s’entêtent dans leur erreur, la faute n’en incombe pas à nous qui écrivons, mais à ceux qui ont préféré le mensonge à la vérité22.
Notes de bas de page
1 J.-M. Salamito, « Intransigeance et ouverture dans le christianisme antique, Brèves réflexions en guise d’introduction », in Les pères de l’Église et les dissidents, Dessiner la communion, Dissidence, exclusion et réintégration dans les communautés chrétiennes des six premiers siècles, Caritas Patrum, La Rochelle, 2010, p. 6.
2 A. Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Paris, Etudes Augustiniennes, 1985, notamment les pages 11-91. On trouvera également une présentation synthétique de la question par A. Le Boulluec, dans son article « L’émergence de la notion d’hérésie » dans le no 60 de la revue Connaissance des Pères de l’Église, Editions Nouvelle Cité, décembre 1995.
3 Je ne reviens pas ici en détail sur le sens des mots « hérésie » et « secte » que j’ai déjà largement développé dans une contribution à la revue Heresis (B. Jeanjean, L’élaboration du discours antihérétique dans l’Antiquité tardive, in Heresis, Revue d’Histoire des dissidences européennes, no 44-45, p. 9-36).
4 Cette approche « positive » du phénomène hérétique a également été développée, dans le cadre de l’étude du catharisme des XIIe et XIIIe siècles, par A. Brenon, dans son ouvrage Le choix hérétique, Cahors, La Louve éditions, 2006. Voir notamment les premières pages (11 à 13) de l’étude liminaire qui reprend et justifie le titre de l’ouvrage.
5 On notera, dans ce discours, la présence de nombreuses citations de l’Ancien Testament que Pierre réinterprète à la lumière de la résurrection du Christ (Jl 3, 1-5 ; Ps 16, 8-11 ; Ps 110, 1), ainsi que l’une des premières formulations de la foi des apôtres. Pour les citations bibliques, je reprends ici la traduction de la Bible de Jérusalem.
6 Act 2, 36.
7 Il ne viendrait à personne l’idée de contester que la déesse Isis qui, au Ier siècle, fait l’objet d’un culte à travers tout l’empire, est avant tout et demeure une divinité égyptienne.
8 Face aux Juifs, les auteurs chrétiens, depuis Tertullien, développent la théorie de la substitution du christianisme au judaïsme coupable, selon eux, d’avoir perdu l’héritage de l’élection divine en refusant de reconnaître la divinité du Christ. Cette théorie de l’Église chrétienne comme « Verus Israël », l’Israël authentique, s’est généralisée au IVe siècle, avec la reconnaissance, puis le soutien du christianisme par le pouvoir impérial. Sur les rapports entre christianisme et judaïsme, l’ouvrage de référence reste encore celui de M. Simon, Verus Israel, Étude sur les relations entre Chrétiens et Juifs dans l’Empire romain (135-425), Paris, 19642. Face aux païens, fiers de l’antiquité de leur religion, les auteurs chrétiens des IIIe et IVe siècles ont développé la théorie de l’antériorité du christianisme, comme religion naturelle des origines. Ici, la polémique antipaïenne des Pères de l’Église rejoint leur polémique antijuive, dans la mesure où, dans les deux cas, il s’agit de montrer que, dans son essence, le christianisme est antérieur au paganisme comme au judaïsme. Voir, à ce sujet, les échos de ces deux thématiques convergentes dans l’œuvre de l’Ambrosiaster, à Rome sous le pontificat de Damase (366-384), dans E. Di Santo, L’apologetica dell’Ambrosiaster, Christiani, Pagani et Giudei nella Roma tardoantica, Rome, 2008, p. 192-225.
9 Dans la profession de Pierre en Act 2, cette dimension trinitaire est explicitement mentionnée aux versets 32-33 : « Dieu l’a ressuscité, ce Jésus ; nous en sommes tous témoins. Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint, objet de la promesse, et l’a répandu. C’est là ce que vous voyez et entendez ».
10 Tert., De la prescription contre les hérétiques 13, 1-5. Nous reprenons ici la traduction de P. De Labriolle, dans le volume 46 de la collection Sources Chrétiennes, Paris, Le Cerf, 1957.
11 A. Von Harnack, Dogmengeschichte, Akademie Verlag, Freiburg, 1889-1891. Édition française et traduction de E. Choisy, Histoire des dogmes, Paris, Le Cerf, Collection Labor et Fides, 1993, p. X-XI.
12 Tert., Contre Marcion 1, 2, 1-3. Nous reprenons ici la traduction de R. Braun, dans le volume 365 de la collection Sources Chrétiennes, Paris, Le Cerf, 1990.
13 Cette interprétation dualiste de la parabole évangélique des deux arbres se retrouve dans l’exégèse cathare qui s’en inspire très certainement, comme l’a montré F. Zambon, « L’interprétation cathare des paraboles évangéliques : les deux arbres, la brebis et la drachme perdues », 1209-2009, cathares : une histoire à pacifier ?, Actes du colloque international tenu à Mazamet les 15, 16 et 17 mai 2009, A. Brenon (éd.), Portet-sur-Garonne, Nouvelles éditions Loubatières, 2010.
14 Ainsi, si les hérésies judéo-chrétiennes sont avant tout fondées sur le maintien des pratiques rituelles du judaïsme, elles peuvent également présenter une dimension christologique, dans la mesure où certaines professent l’adoptianisme et considèrent que Jésus-Christ n’était qu’un homme. De même, si le Manichéisme se définit comme une hérésie dualiste qui met en cause l’unité et l’identité même de Dieu, il présente également un caractère christologique lorsqu’il affirme que le Christ n’est pas vraiment passé par la Passion et la mort sur la croix, mais qu’il ne les a souffertes qu’en apparence, pour ainsi dire comme un fantôme, doctrine communément qualifié de « docétisme ».
15 Voir I Co 12, 7-11.
16 Voir Eusèbe, Histoire ecclésiastique VI, 43, 1.
17 Jérôme, Chronique, année 337a.
18 On trouvera de nombreux exposés de la crise arienne dans les diverses histoires de l’Église disponibles en bibliothèques ou en librairies. Je signale l’ouvrage magistral de M. Meslin, Les ariens d’Occident, Paris, 1967, qui reste une référence incontournable pour la compréhension de l’arianisme dans le monde latin.
19 Voir à ce sujet B. Jeanjean et B. Lançon, Saint Jérôme, Chronique, Continuation de la chronique d’Eusèbe, années 326-378, Presses universitaires de Rennes, introduction, p. 30-41.
20 Les principales sources sur Priscillien et sa condamnation à mort nous sont fournies par Sulpice Sévère (Chronique II, 46-51, éd. G. De Senneville-Grave, Paris, le Cerf, Sources Chrétiennes no 441, 1999, p. 333-347) et par Hydace (Chronique, années 386-387, éd. A. Tranoy, Paris, Le Cerf, S. C. no 218, p. 108-109). On trouvera un exposé détaillé et critique des événements dans S. -J. Gabriel Sanchez, Priscillien, un chrétien non conformiste, Paris, Beauchesne, Théologie historique no 120, 2009).
21 Augustin, évoquant la composition du De natura et gratia, écrit un ou deux ans plus tard à propos de ses dédicataires : « Eux-mêmes ont pensé qu’il fallait encore taire le ou les noms [de ceux qui étaient incriminés], afin que l’amitié survive, mais que ce soit plutôt l’erreur commise par des amis qui meure » (De gestis Pelagii, 48, BA 21, p. 538) ; Jérôme, pour sa part écrit dans le prologue de son Dialogue d’Atticus et de Critobule (Dialogue contre les pélagiens) : « En conséquence de quoi, pour prouver à tous que je n’ai pas pris en haine les individus, mais leurs erreurs, que je ne cherche à diffamer personne et que j’éprouve avant tout de l’affliction pour ceux qui se laissent abuser par la connaissance au nom trompeur, j’ai choisi les noms d’Atticus et de Critobule afin d’exposer respectivement notre opinion et celle de nos adversaires. » (Dial. Prol., 2, traduction d’après CCL80, p. 5, l. 22-26)
22 Dial. Prol., 2, traduction d’après CCL80, p. 5, 1. 26-30.
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Professeur, Université de Bretagne Occidentale, Brest, EA4249, HCTI (Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image).
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