Le roi troubadour Alphonse X le Sage, auteur des Cantigas de Santa María
p. 88-95
Texte intégral
Quero ser oy mais seu trobador
E rogo-lle que me queria por seu
Prologue des Cantigas
1L’immense corpus des troubadours se glorifie de compter, parmi les cinq cents auteurs répertoriés, de nombreux rois, comme Richard Cœur de Lion, le roi Dinis du Portugal, Frédéric II de Sicile ou Pierre II d’Aragon, sans oublier le comte de Poitiers, Guilhem IX, le grand-père d’Aliénor d’Aquitaine, qui, vers 1100, fut le premier à livrer son chant d’amour, en créant la Fin’Amors, avec ce double miracle d’une langue nouvelle capable de s’élever au sommet de la création verbale ou musicale, et d’une civilisation courtoise qui nous a fait inventer l’amour dans notre riche langue d’Oc. L’influence des troubadours dans toutes les cours d’Europe est un phénomène bien connu et il n’est donc pas étonnant que l’un des plus grands souverains de l’Occident, le roi Alphonse X de Castille se soit entouré de nombreux troubadours occitans, catalans ou gallégo-portugais, au point de se faire lui-même troubadour.
2Le fils de Fernand III de Castille et de Béatrice de Souabe est né à Tolède le 23 novembre 1221 et, dès son accession au trône en 1252, il inaugure l’un des règnes les plus fastueux, en prétendant obtenir la couronne du Saint Empire romain germanique pendant vingt ans (de 1257 à 1276). Son gouvernement se distingue par la qualité de la production intellectuelle et scientifique : les compilations juridiques, les traités d’astronomie ou d’arithmétique, les livres de chasses, les lapidaires et les bestiaires reprennent les plus belles compilations des auteurs latins, arabes et juifs, en cette fin du XIIIe siècle, favorable aux encyclopédies du savoir en tout genre (Vincent de Beauvais, Brunetto Latini…).
3Mais, à côté de cette abondante production scientifique, il faut retenir son statut affirmé de roi troubadour, s’entourant de jongleurs et de musiciens, faisant venir les troubadours les plus célèbres à sa cour.
4Voici le portrait élogieux du roi de Tolède, brossé par un troubadour originaire de Lunel, en Languedoc, qui séjourna à la cour de Castille, entre 1269 et 1273 : Al bon rei qu’es reis de prètz car :
[…] au bon roi qui est un roi d’un mérite précieux, le roi de Castille et de Léon, roi qui sait accueillir et honorer, roi qui sait récompenser, roi de valeur et de courtoisie, roi qui cultive toute l’année les plaisirs et les divertissements. Que tous ceux qui veulent faire de belles choses aillent vers lui, car en aucun autre lieu au monde on ne pourrait mieux apprendre ! » (Strophe 1)1.
5En même temps que cet auteur, Folquet de Lunel (1244-1285), ont séjourné à la cour de Castille deux autres troubadours qui se sont produits à la même époque, le narbonnais Guiraut Riquier (1254-1292) et le catalan Cerverí de Girona (1260-1285) : tous les trois ont comme particularité de s’être illustrés dans la poésie mariale. Au contact du roi sage, ils se sont exercés à mettre leur talent au service de Notre Dame.
6Alphonse X raconte lui-même comment il a choisi de renoncer à la poésie profane pour se faire le chantre de la Vierge Marie :
E o que querro é dizer loor
Da Virgen, Madre de nostro Sennor,
Santa Maria, que ésta mellor
Cousa que el fez ; e por aquest’eu
Quero ser oi may seu trobador
E rogo-lle que me queria por seu2.
7Alphonse X dit clairement, en reprenant la thématique du service de la Dame, dans la chanson no 10, qu’il ne veut plus chanter l’amour charnel :
Esta dona que tenno perSennor
E de que quero ser trobador
Se eu per ren pos’aver seu amor
Dou ao demo os outros amores3.
8Cette belle pièce de louange, écrite sous forme de virelai (musique de danse populaire) commence par ce joli refrain : « Rose des roses et fleur des fleurs, Dame des dames, Seigneur des seigneurs », et elle nous fait entrer de plain-pied dans cet immense corpus, en l’honneur de Marie, que constituent les Cantigas de Santa María. Elles sont vraiment le couronnement de toute l’œuvre du roi troubadour, qui, pourtant a laissé un registre de pièces satiriques d’une grand obscénité : la chose est courante dans le corpus troubadouresque, l’exemple venant du tout premier, Guilhem IX, et se poursuivant jusqu’au vrai dernier troubadour, le franciscain Ramon de Cornet au milieu du XIVe siècle. Alphonse X a composé ainsi une quarantaine de pièces diverses : sirventès moraux, satires (cantigas de escarnio y de maldecir) et même trois chansons d’amour profane4. Mais, son tribut personnel à la production mariale du Moyen Âge en langue romane (oïl, oc, catalan, castillan, gallégo-portugais…) représente un vrai tour de force littéraire et musical ! Nous sommes en présence de 427 compositions originales, accompagnées de leur musique et fabriquées à partir d’une compilation de toute la production littéraire réalisée en Europe sur la Vierge Marie et plus particulièrement les miracles de Notre Dame ; il le dit dans le prologue de ces cantigas de loor, « chants de louange » : « je veux vous montrer les miracles qu’elle a fait »5.
La collection des Miracles de Notre Dame
9L’originalité de la composition réside dans le fait qu’il s’agit d’une reprise d’un matériau très connu, les Miracles de Notre Dame, présentés au terme d’un long travail de recomposition afin de les mettre en chansons, selon un modèle bien rôdé et avec une grande ingéniosité musicale, puisque le corpus utilise toutes les formes connues de chansons populaires ou religieuses : virelai, rondeau, balade, chanson, tenson…
10La méthode est toujours la même : une équipe de travail sélectionne le récit de miracle dans la littérature hagiographique disponible à l’époque. On procède ensuite à la traduction dans la langue la plus utilisée pour le trobar dans la péninsule ibérique, le gallégo-portugais, à l’origine de deux langues actuelles, le portugais et le galicien (parlé en Galice). Le texte n’est donc pas rédigé en castillan, langue de la cour de Séville, mais dans cette langue très chantante qui se rapproche davantage de l’occitan médiéval. Ensuite, les histoires sont mises en musique et un gros travail de versification s’impose. Telles sont les étapes de réalisation de chaque chanson à la Vierge.
11Tel un prédicateur, le troubadour commence toujours son poème en disant : « Écoutez le miracle qui suit », mais la chanson s’ouvre toujours sur un refrain de type moralisateur (il tire la morale de l’histoire qui va être racontée). Cet estribillo, généralement de deux vers, est souvent original et il sert à vanter les mérites de la Vierge Marie. L’auteur emploie un vocabulaire bien précis pour qualifier chaque partie d’une cantiga et il résume le travail d’élaboration avec ces termes de la technique troubadouresque : la razón, la pointe de cette histoire, la morale du récit ; le milagre : le récit proprement dit du miracle ; le son : la musique.
12On s’est interrogé pour savoir si Alphonse X était vraiment l’auteur de toutes ces compositions. Il a signé l’ouvrage, en se présentant comme l’auteur unique, à la manière dont on peut dire que Dieu est l’auteur de la Bible, écrite par ses prophètes. Il se sert lui aussi de tous ceux qui sont sous ses ordres et l’œuvre est une production du palais du roi, c’est un produit de la littérature à la cour du Roi. D’ailleurs, sur les miniatures illustrant les chansons, il est toujours représenté avec des musiciens et des jongleurs. On a souvent utilisé ces jolis manuscrits ornés pour étudier les instruments de musique du temps des troubadours. On sait que le roi a demandé à ses clercs de rechercher dans les bibliothèques tous les récits de miracles de la Vierge, liés à tel ou tel sanctuaire de la péninsule ibérique (de la Catalogne au Portugal) et on a conservé le nom de quelques-uns d’entre eux, spécialisés en littérature religieuse (liturgie, hagiographie…) comme Rodrigue Manuel de Cerrato, Juan Gil de Zamora (auteur d’un Liber Mariae).
13D’autres compilateurs, ont recueilli tous les récits de miracles liés aux sanctuaires de toute l’Europe (comme celui de Rocamadour, du Puy ou de Montserrat). Le recueil bien connu de Gautier de Coincy, en langue d’oïl, a été exploité et on y retrouve les mêmes histoires bien connues dans toute la chrétienté. Les recueils latins de Vincent de Beauvais (auteur de Miroirs, Speculum) ou de Césaire d’Heisterbach (Liber miraculorum) ont eux-aussi été utilisés.
14À côté des récits de miracles, très nombreux et qui sont l’objet principal de l’ouvrage, l’auteur a composé des pièces plus personnelles, de portée plus théologique, bâties selon des modèles très connus (les noms et titres de Marie, des paraphrases de l’Ave Maria, des prières plus personnelles). Leur musique est différente ainsi que leur versification, on les retrouve facilement car elles se situent aux dizaines et aux centaines, dans la présentation de ce vaste corpus de près de 430 pièces.
15Terminons cette présentation d’ensemble en disant quelle est la plus belle surprise que nous réservent ces Cantigas : les manuscrits sont tous ornés de magnifiques bandes dessinées qui illustrent chacune des pièces. C’est à la fois un régal pour les yeux et un réservoir de scènes prises à la vie quotidienne. Les animaux y tiennent par exemple une grande place, comme dans les scènes de chasse (le roi est très souvent représenté avec sa cour). Les nombreuses scènes d’intérieurs (cuisines, chambres, boutiques de marchands), de récits de voyages (bateaux, auberges), de batailles (contre les maures), de vie religieuse (prières dans des couvents, assemblées de prélats, statues de Marie dans les sanctuaires..) constituent la vraie richesse de ce beau livre d’images.
16Disons un mot des manuscrits.
17L’ensemble de la production est datée des années 1257 à 1283, juste avant la mort du roi, qui eut lieu le 4 avril 1284. On répartit ainsi les pièces dans l’ordre de numérotation (bien marquée au début de chaque pièce) :
18- Le manuscrit de l’Escorial (T 1) regroupe d’abord les cent pièces les plus anciennes (celles d’avant la période de son avènement au trône). On y trouve les récits les plus célèbres.
19Les cent autres pièces (2ème centaine) concernent les sanctuaires les plus connus de la péninsule : Elche, Alicante, Cuenca, Ségovie, Tolède. C’est là que l’on trouve aussi des récits venant de Rocamadour et de Montserrat. La fin des récits (jusqu’au 400e) concerne le Nord de l’Europe, quand le roi voulait se faire élire empereur. Ce premier manuscrit (T) comporte 1262 miniatures, 210 planches et 193 cantigas.
- Le manuscrit de Florence (F) est le plus complet au plan musical et il comporte lui-aussi l’ensemble des 400 chants.
- Un autre manuscrit de l’Escorial (E) est dit « codex des musiciens » et il regroupe une quantité d’illustrations avec de nombreux instruments de musique.
Les miracles en lien avec Rocamadour
20Dans cet immense corpus se trouvent les plus beaux épisodes de la légende mariale, liés au pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, comme le récit bien connu du « Pendu-dépendu », qui raconte l’aventure de deux pèlerins allemands mis à l’épreuve lors de leur passage à Toulouse. Autour des juifs persécutés et victimes de la calomnie se retrouvent des séquences narratives très connues, comme l’histoire de l’enfant juif délivré par la Vierge du four dans lequel son père l’avait condamné à périr. Le chansonnier raconte un épisode d’hostie volée à Toulouse et cachée dans une ruche, où les abeilles ont bâti une petite chapelle avec une image de Marie et de son Fils au-dessus d’un petit autel ! Dix récits concernent des miracles liés au pèlerinage de Rocamadour et certains d’entre eux ne figurent pas dans le Livre des Miracles de Rocamadour !6
21Le jongleur de Notre Dame (8) :
22Esta é como Santa Maria fez en Rocamador decender hûa candea na viola do jograr que cantava anto elal7.
23C’est le récit le plus connu, l’histoire du jongleur Pierre Siglar qui voit Marie déposer un cierge sur sa vielle. Le poème se présente comme un joli virelai de neuf strophes de huit vers à rimes entrecroisées. La pièce s’achève ainsi, en rappelant comment le moine bénédictin, gardien du sanctuaire fut converti : « Puisque la Vierge glorieuse a fait ce miracle en faisant un tel cadeau au jongleur et qu’elle convertit le moine noir, désormais chaque année le jongleur en question apporte à son église un grand cierge ».
24La brebis volée à une pauvre femme (147) :
25Como ha moller pobre deu sa ovella a guardar a un oveilleiro e quando ao trosquiar das ovellas vo a vella demandar a sua e o oveillero disse que comera o lobo, chamou Santa Maria de Rocamador, e a ovella braadou u la tia o oveillero esconduda e disse : « Ei-me acá, ei-me acá8 ! »
26Ce joli récit, composé de cinq strophes de sept vers et d’un refrain de deux vers, repose sur le phénomène merveilleux d’un animal qui parle, comme on en rencontre dans les contes populaires.
27La femme de Gascogne qui se moque du pèlerinage (153) :
28Como ha moller de Gasconna, que desdennava a romaria de Santa Maria de Rocamador, disse que se alá non levasse ha sela en que siia, nunca yria alal9.
29Cette histoire curieuse, racontée en six strophes de sept vers, avec un refrain de trois vers, se termine sur cet avertissement : « Quen quer que ten en desden/ a Santa Maria/, grand mal lle verrà poren »10. Au passage, la chanson nous dit que cette femme de Gascogne était « très proche de Rocamadour », ce qui se comprend quand on en juge depuis la Castille, et qu’elle aurait donc pu se bouger un peu plus vite pour aller vénérer la Vierge noire !
30Le vol de farine à des pèlerins (157) :
31Como us romeus yan a Rocamador e pousaron en u burgo e a ospeda furto-lles da fara que tragan11.
32Ce récit imagé, en sept strophes de quatre longs vers de quatorze pieds, donne lieu à une belle illustration dans les manuscrits, où l’on voit l’hôtelière voleuse punie d’une étrange façon : un couteau est fiché dans sa gorge et aucun médecin ne peut l’extraire ! Seul le déplacement à Rocamadour permet la délivrance de la coupable et seul un prêtre peut effectuer et réussir l’opération salvatrice. L’histoire met en valeur l’aveu de la faute et le pardon offert aux pécheurs qui vont se confesser.
33Un prisonnier libéré de ses fers (158) :
34Esta é como Santa Maria sacou de prijon un cavaleiro e mandou-lle que se fosse pera Rocamador12.
35Cette chanson, d’une grande beauté formelle, se présente comme un long récitatif de six strophes qui ressemble à de la prose cantillée, avec uniquement des rimes féminines (en – a) et de nombreuses rimes internes : sempre de noite e de dia Santa Maria chamava que accorre-lo vsse como Sennor piadosa13. La Vierge le libère de ses fers et lui donne cet ordre : « A Rocamador vai-te e passa-ben per Tolosa »14 ! Ce chevalier devait être de la région pour recevoir une invitation si pressante. La pièce mentionne que les fers du prisonnier sont suspendus dans le sanctuaire pour rappeler l’intervention salutaire de Marie.
36La viande volée à des pèlerins (159) :
37Como Santa Maria fez descubrir ha posta de carne que furtaran a us romeus na vila de Rocamador15.
38Ce nouveau récit de vol de provisions décrit la vie quotidienne des pèlerins privés de nourriture, comme la farine du récit précédent. Ici, le texte joyeux et primesautier, disposé en sept strophes de trois vers monorimes (en –ar), suivies toujours d’un refrain, parle de pain, de vin et de viande et de chaudron (ola) ! La viande volée se manifeste comme la brebis volée précédemment, mais, au lieu de parler ou crier, elle s’agite violemment contre les parois du coffre où elle a été enfermée par l’hôtelière indélicate ! On n’hésite pas, à la fin, à nous dire que le morceau de viande (un gigot ?), suspendu par une cordelette de soie, a été amené dans le sanctuaire pour remercier Notre Dame qui vole au secours de ses fidèles.
39L’église jouée aux dés (214) :
40Como Santa Maria fez a un cavaleiro que gâasse ha ygreja que lle prometera16.
41La morale de cette histoire qui se déroule dans un cabaret et dans le monde des joueurs de dés se résume ainsi : d’un mal on peut tirer un bien, la fausseté et la tromperie arrivent par se mettre au service de la sainteté ! Une prière à Marie prononcée par des buveurs et des piliers de bar s’avère efficace au point que les dés éclatent en plein vol et que toutes les personnes présentes assistent à la conversion des deux joueurs ! De longs vers de quatorze pieds, disposés en strophes de quatre vers racontent les péripéties des deux protagonistes, le riche et le pauvre, le tricheur et sa victime ; le sort du malheureux s’inverse quand il invoque ainsi la Vierge : « Vierge de bonté de Rocamadour, Dame comblée de tous biens, que votre bonté ne soit point épuisée envers moi, je vous donne cette église comme vôtre où vous serez servie. Gagnez au jeu et récupérez l’église ».
42Le marin portugais sauvé en mer (267) :
43Como Santa Maria livrou un mercador dou perigoo das ondas do mar en que cuidava morrer u caera da nave17.
44Les sauvetages de marins, pèlerins ou marchands, abondent dans les Livres de Miracles de Notre Dame. Ce récit est très développé, en vingt strophes de quatre vers alexandrins, décrit l’épouvante d’un marin portugais qui se dirige vers les Flandres et qui se trouve pris dans une violente tempête, il se tourne vers Notre-Dame de Rocamadour et il obtient le miracle espéré en voyant les flots se calmer et tout danger écarté.
45L’enfant ressuscité (331) :
46Como Santa Maria de Rocamador ressoscitou un menynno morto18.
47Les cas de résurrections sont assez rares dans le corpus des miracles et l’histoire de cet enfant de douze ans et de sa mère est racontée de manière dramatique, en dix strophes de quatre vers de quatorze syllabes. La peine de la mère éplorée est bien évoquée, avec les marques traditionnelles du deuil (cris, larmes, cheveux défaits..) et le cérémonial des obsèques (prières, ensevelissement). Le miracle parle d’un souterrain qui amène l’enfant des profondeurs de la terre et de la tombe jusqu’à la lumière et au retour dans sa maison à Rocamadour.
48La guérison d’une fille muette (343) :
49Como Santa Maria guariu ha manceba demoniada de demonio mudo e fez que falasse19.
50La mère de cette fillette rendue muette par un démon essaye de faire intervenir les prêtres de sa paroisse, à Cahors, mais leur indignité morale suscite les moqueries des démons qui ridiculisent le clergé local et maintiennent la jeune fille dans son infirmité. Seule l’invocation de la Mère de Dieu en son sanctuaire de Rocamadour permet une issue favorable et les prières de la mère sont exaucées.
51De toute la littérature des Miracles, le plus célèbre est celui du « Jongleur de Notre-Dame » dont l’action se déroule à Rocamadour. Il se retrouve dans le recueil de Gautier de Coincy (1178-1236) et le spécialiste de cette littérature mariale, Pierre Kunstmann soulignait, dans la préface de son édition de 1981, la beauté de ce récit, digne de dépasser en notoriété l’histoire fameuse du « Moine Théophile »20. Il signalait la version romancée de l’histoire du jongleur due à Anatole France, mise en musique par Jules Massenet en 1902 ; depuis, il a été repris et modernisé dans sa présentation par le médiéviste Michel Zink21. L’intérêt de ces récits que nous avons retrouvés dans leur version en gallego dans le vaste corpus du roi-troubadour Alphonse X réside dans le fait qu’ils renvoient toujours au sanctuaire de Rocamadour et que chaque histoire se termine toujours par une prière devant l’image de Notre Dame. Ceci est encore plus évident quand on parcourt le merveilleux livre de miniatures et de planches illustrées qui accompagnent les manuscrits du recueil conservé à l’Escorial.
52Le récit en ancien français « Del Tombeoir Nostre Dame » se déploie sur 684 vers et se déroule dans une abbaye cistercienne, la version latine du Livre des Miracles de Notre Dame de Rocamadour (no XXIV), « du cierge qui descendit sur une viole » est reprise ensuite en français par Gautier de Coincy et par Alphonse X de Castille. La version très musicale des Cantigas, qui est la seule à comporter un refrain, manifeste un grand enthousiasme de la part du compositeur et incite à venir en pèlerinage à Rocamadour pour louer Notre Dame, en reprenant ce joli refrain :
A la Virgen Santa Maria
Todos a loar devemos
Cantand’e con alegria
Quantos seu ben atendemos22.
Sitographie
53Deux sites en ligne permettent de consulter l’ensemble du corpus en gallégo-portugais :
54- celui de Christian Brassy sur la musique médiévale : http://brassy.club.fr/PartMed/cantigas/CSMIDI.htlm
55- The Oxford Cantigas Santa Maria data base : http://csm.mml.ox.ac.uk/index.php?p-=poemlist
Bibliographie
Bibliographie
Bretel Pierre, Le Jongleur de Notre Dame, Paris, Champion, 2003.
Bretel Pierre, « Les Miracles de Notre Dame », dans Mathon Jean-Bernard et Subes Marie-Pasquine (éds.), Vierges à l’enfant médiévales de Catalogne, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2013, p. 21-37.
Kunstmann Pierre, Vierge Merveille. Les miracles de Notre Dame narratifs au Moyen Âge, Bibliothèque médiévale, Paris, Éditions 10/18, 1981.
Lot-Borodine Myrrha (éd.), Miracles de Notre-Dame, Paris, De Boccard, 1929.
Montoya Jesús (éd.), Alfonso X el Sabio, Cantigas, Madrid, Cátedra, 1997.
Paredes Juan (éd.), Alfonso X el Sabio, Cantigas profanas, Madrid, Castalia, 2010.
Riquer Martín de, Los trovadores, Historia literaria y textos, Barcelona, Planeta, 1975.
Rocacher Jean, Livre des Miracles de Notre-Dame de Rocamadour au XIIe siècle, Toulouse, Le Pérégrinateur, 1996.
Zink Michel, Le jongleur de Notre Dame, contes chrétiens du Moyen Âge, Paris, Seuil, 1999.
Notes de bas de page
1 Riquer, 1975, t. III, pièce n. 327, p. 1552.
2 « Ce que je veux c’est dire la louange de la Vierge, Mère de notre Seigneur, Sainte Marie, qui la meilleure créature de tout ce qu’il a fait. Et, pour ce motif, je veux être désormais son troubadour et je la prie de m’admettre comme sien » (prologue).
3 « Cette Dame que je tiens pour mon Seigneur et dont je veux être le troubadour, si je peux avoir un peu de son amour, je donne au diable les autres amours. », X, vv. 19-22.
4 « Chansons de moquerie et de méchanceté ».
5 Une anthologie des Cantigas d’Alphonse X existe avec une traduction en castillan des pièces présentées dans leur langue originelle (gallego) : Alfonso X el Sabio, Cantigas, 1997. Une édition des Cantigas profanas d’Alphonse X, due à Juan Paredes est disponible dans la collection « clásicos Castalia », 2010. Nous avons utilisé une édition complète des Cantigas de Santa María, disponible en ligne, avec la numérotation des pièces indiquées, que nous donnons pour chaque pièce analysée.
6 Albe, 1907, réédité par Rocacher, 1996.
7 « Comment Sainte Marie a fait descendre à Rocamadour un cierge sur la vielle du jongleur qui chantait devant elle. »
8 « Comment une femme pauvre donna sa brebis à un berger et quand elle vint la rechercher et que la vieille dame demanda sa brebis, le berger lui dit que le loup l’avait dévorée, elle pria Sainte Marie et la brebis cria, cachée dans la bergerie par le berger, et dit : « je suis là, je suis là ! »
9 « Comment une femme de Gascogne, qui méprisait le pèlerinage de Sainte Marie de Rocamadour, disait que si la chaise sur laquelle elle était assise ne se soulevait pas, elle n’y irait jamais. »
10 « Qui cherche à mépriser Sainte Marie en recevra un grand mal par la suite. »
11 « Comment des pèlerins allaient à Rocamadour et s’hébergèrent dans un village, et l’hôtelière leur vola la farine qu’ils portaient. »
12 « Comment Sainte Marie fit sortir de prison un chevalier et elle lui demanda d’aller à Rocamadour. »
13 « […] toujours, de nuit comme de jour, il appelait qu’elle vienne à son secours comme un Seigneur pleine de pitié. »
14 « Va à Rocamadour et passe par Toulouse ! »
15 « Comment Sainte Marie fit retrouver un morceau de viande qui avait été volé à des pèlerins dans la ville de Rocamadour. »
16 « Comment Sainte Marie a fait gagner une église par un chevalier qui la lui avait promise. »
17 « Comment Sainte Marie délivra un marchand du danger des vagues de la mer où il crut mourir en tombant de son navire. »
18 « Comment Sainte Marie de Rocamadour résuscita un garçon mort. »
19 « Comment Sainte Marie guérit une jeune fille sous l’emprise d’un démon muet et lui rendit la parole. »
20 Kunstmann, 1981, p. 143-171.
21 Zink, 1999, p. 48-51.
22 « Nous devons tous louer la Vierge Sainte Marie, en la chantant pleins de joie, en voyant tous ses bienfaits. »
Auteur
Institut Catholique de Toulouse
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