VI - La vigne - le vin
p. 285-291
Texte intégral
1 - L’homme, la famille, la vigne
a - 1920-1950
1Jusqu’en 1960 environ, les vignes demeuraient entre les mains de leurs propriétaires. Peu de possibilités pour un jeune d’accéder à un bien à mi-fruit. De plus l’ancêtre cédait rarement son bien définitivement de son vivant, il restait le responsable.
2La vigne était cultivée, entretenue, d’une manière empirique. Depuis le début du XXe les mêmes engrais, le même encépagement, le soufre et le sulfate étaient employés, le rare emploi du DDT apparaît vers 1950.
3Les premiers tracteurs vignerons, propriétés de riches bourgeois de la plaine, apparaissent en 1918 mais sont très rares.
4Toujours dès 1950, les motoculteurs et tracteurs vignerons commencent à intéresser les viticulteurs modestes. Mais 1954 est la date du grand départ des jeunes.
5Le vigneron possédant 5 hectares pouvait seul cultiver son bien, au-delà il faisait appel à un aide.
6Le principal atout du propriétaire était le cheval ou le mulet, sans eux aucune vie possible. La santé de l’animal était le souci permanent de toute la famille ; son ardeur, sa souplesse étaient la garanrie de la sécurité d’emploi. La bête de somme était assurée sous le système de la « tontine ». C’était le fils de la maison qui devait la faire courir pour pallier aux coliques et au manque de remèdes. Le premier appelé en cas de certaines maladies était le maréchal ferrant.
7C’était la même famille gitane qui tondait la bête à l’entrée de l’été.
8Le cheval sert de symbole populaire en bien des occasions :
maichant colar : qui tire de travers du collier, quelqu’un qui n’est pas franc
tirar dal reculament (prononcé recuolament) : le reculement étant commandé par une chaînette attenante au harnais qui permettait de reculer. Donc « tirer du reculement » indiquait quelqu’un de sournois, d’hypocrite, qui intervertissait les rôles
franc colar : bon collier
joïna cabaleta : jeune fille délurée
bogre d’ase : peut-être pas très intelligent mais présent au travail
a chaval bailat s’espia pas las dents : quand on vous donne un cheval on ne lui regarde pas la dentition
chavalassa : grande femme ossue, très directive
morralh : mors - caldria i metre lo morralh ! se dit à quelqu’un qui parle trop
9La sofra : pièce de cuir double qui, ajustée (enfilade) aux bras de la charrette, était posée sur le harnais, soutien du véhicule vers l’avant.
10Ventrièra : pièce de cuir qui, accrochée aux bras du véhicule, passait sous le ventre de l’animal, d’où l’impossibilité du soulèvement arrière.
11Nota : pour le labour, le harnais dit bastet ne possédait pas de ventrièra.
12Emploi. Débuter par un angle approximativement droit avec le forcat, utiliser l’agalís [obliquement]. Prendre dans les abords cultivables, les colces, 3 rangées pour aborder un autre agalis. Continuer d’utiliser l’espace de 3 rangées jusqu’à la fin. La vigne reçoit donc un labour croisé par 2 passages : la terre est très remuée, le forcat ne sort pas de terre, les colces sont cultivés et la fatigue est moindre. Dernier avantage, la bête, cheval ou mulet, n’a pas à enjamber les souches.
b - Les outils
- La carreta : elle est indispensable, souvent revue par le charron (lo rodièr), portant en général des telièiras, ridelles cloisonnant la charrette sur le côté ainsi qu’à l’avant et à l’arrière (petites telièiras).
- La mecanica : le frein qui ne pouvait être actionné que par l’arrière. Il fallait donc un aide ou alors le conducteur abandonnait sa place à l’avant. Nota : les lendemains de fête, le fils assis sur le côté arrière de la charrette devait en descendre, « serrar la mecanica ! » ; il le faisait, mais se rendormait et omettait de la desserrer à la montée, son père alors le réveillait en criant : « Dormisses ! ».
- Lo tortorièir (prononcé tortolièir) : c’était le cylindre avant qui permettait l’enroulement des cordes, las tortorièiras, lors du chargement des bottes de sarments ou du foin…
- Las escaletas : grandes échelles à l’avant qui permettaient par leur aplomb sur l’échine du cheval d’augmenter le volume du chargement, petites escaletas à l’arrière.
- Las cambièras : tiges de maintien arrière de la charrette à l’arrêt.
- Las tavèlas : tiges de maintien avant.
- Lo forcat : l’araire.
- La mossa : soc unique vers la droite pour couvrir les pieds ou la gauche pour ouvrir la terre aux pieds. Avec le soc droit la raie demeure avec une bande de terre au milieu qui doit être fouillée au forcat. Un bon laboureur laisse une raie rectiligne.
- La gratteuse : herse à dents.
- Le bissoc : deux socs jumelés.
- Lo bigòs : houe à deux dents.
- L’arpa : houe à trois dents ; outil employé pour défoncer les terrains à 50cm de profondeur, c’était la rompuda avant l’arrivée des tracteurs. L’arpa était munie à l’arrière de l’escalpre pour déchausser.
- La manaira (prononcée à Montpeyroux manaida) : hache.
- Lo rastèl (rabassièr) : gros râteau pour déchausser les pieds de la terre labourée par le soc gauche.
- Lo brancard : attelage de fer.
- Lo rosset : chariot de fer à deux roues pour déplacer lo forcat sur les chemins.
- Lo bastet : harnais spécial pour le labour.
- Lo morralh : muselière pour empêcher le cheval de manger les bourgeons.
- Las aurelhièiras : gaines d'étoffe assujetties sur les oreilles de l'animal pour lui éviter les piqures des mouches.
- Le charriot à deux roues de fer : les bras pouvaient être déportés, ainsi le cheval circulait dans une rangée, le chariot dans l'autre.
- La jardinièira : petite charrette de « luxe » à 2 roues utilisée pour les déplacements familiaux ou lointains.
- Dans chaque ville centrale, comme Clermont l'Hérault ou Lodève, l'afenatge [lieu où l’on met les bêtes en pension ; lo fen = le foin] recevait les jardinières encore en 1940.
- La trenca (prononcée à Montpeyroux trinca) : houe à lame courte, pioche.
- La sapa : bèche à large lame.
- La pica : pic, pioche.
- La desbordaira (prononcée à Montpeyroux debordaida) : hache pour enlever la racine (la borda) des chênes à brûler.
- Lo podet : serpe.
- Lo curet : petit outil pour nettoyer le soc.
- Lo ferrat (prononcé à Montpeyroux : farrat) seau.
- Lo quichadon : massue pour presser la vendange dans les comportes.
- La semal : la comporte.
- Los semalièrs : barres pour porter les comportes.
- La cornuda : grande bassine de bois où lo trolhaire foulait les raisins aux pieds.
- La tremuèja (à Montpeyroux, var. tremiòja) : trémie pour recevoir les raisins piétinés et les diriger vers le foudre ou vers la cuve (la tina).
- Lo tinon : petite cuve en général dans le sol.
- La raca : le marc de raisin.
- Lo buta-raca : appareil pour repousser le raisin dans la trémie.
- La premsa : le pressoir.
c - Les vendanges
13Les charrettes étaient équipées de fers à la place des telièiras.
Lo banaston : l'homme qui vidait les seaux (banasta = panier) des coupeuses qui formaient la còla.
Las podadoiras (les serpettes) étaient utilisées avant les sécateurs.
14Si l'orage s'annonçait, le cheval dételé et la còla rejoignaient le mas le plus proche. Tous les mas pouvaient être utilisés (mas dans le sens de maset de vigne).
15Le cheval « sollicité » bruyamment au bas de chaque grimpette s'arrêtait de lui-même au sommet pour recevoir un raisin en récompense.
16Toutes les maisons des vignerons quelles que soient leurs commodités faisaient usage de cave à vin.
17Une odeur de fermentation régnait dans le village. Le soir, les bandes de vendangeurs peuplaient les villages.
18Dans les grandes còlas, une « tireuse » très dégourdie était surpayée pour activer l'équipe des coupeuses. Le patron excitait de la voix par des exclamations : « Plantam pas de saules ! » « Acampam la gruna » « Rebalem pas lo cuol ! » « Sem pas aqui per mostachar las filhas ! » « Còrba, còrba ! » « Finirem la rengada abans d'anar dinnar ! » (Note : une rangée devait être finie quel que soit le temps, de peur de l'orage) « Esperam lo còp de campana de miègjorn ! ».
2 - La cochylís1 (cf. CD no 28)
19Étienne Barral, né en 1905, apprit cette chanson alors qu’il était jeune garçon de café à Béziers. Malgré mes recherches personnelles et mes demandes de prospections auprès des bibliothèques de Béziers, je n’ai pu obtenir la version originale ni le nom du chansonnier.
L’autre jorn la gròssa Marieta2
M’espia ambe sos uèlhs coquins;
Me demandèt la voes doceta:
«De qu’es aquò la cochilís?»
«La cochilís, li responguèri,
Es una bèstia, un parpalhòl,
Doas alas jaunas, doas alas brunas,
Las patas blancas e lo cuòl gris.
Es una garça que s’espandís
Dins nòstra vinha, chuca-rasim,
Chuca-brostinha, chuca-sulfata,
Chuca-sabor e chuca-tot.
Mas jamai chuca la marrana
Que nos escana».
La cochilís, mai d’un l’aganta
Tot en tetant un plen sadol
Aquel bon vin que nos encanta
Siague muscat o picapol.
Ieu, avant ièr tròp ne tetèri,
Tanben prenguèri la cochilís.
Lo lum dançava, lo nas brilhava,
La pèl susava, lo cuòl pesava,
Los uèlhs iglauçavan, lo cap virava.
Se m’aviatz vist, trampoligèri,
M’espandiguèri, fasiái paissièira3
Dins lo rajòl, mes aquò rai
Es pas un crime, siái pas lo sol,
Sem una banda
Que teta lo jus de la trelha
Dins la botelha.
La cochilís es la canilha
Del malur que sus nautres plòu.
Es la decha que nos espía
Quand tanben ela a pas lo sòu.
La cochilís nos envaís,
Nos espotís, nos adalís.
Jamai fugís dins la borseta.
L’avem sovent un còp per jorn.
Sem argentats coma una pala.
Los deputats l’an pas jamai,
Los electors l’an a molon.
Se ieu aicí vene far l’ase
Ieu siái forçat, mas un vièt d’ase
S’aviái d’aiçò(t), m’auriatz pro vist.
E ieu tanben, aime la vida
La bidòrsaire e lo bon vin
Los escursions, las distraccions
E los teatres e las femnetas
E tot çò z-autres; de tot aquò Me’n cal brossar, adiussiatz totes,
Ie tornarai e cantarai
Tan que la garça de canilha
Tendrà l’estrilha.
20[Chanté par Étienne Barral à Lodève en septembte 1964, collecte P. Bec / E. Gauzit]
21Traduction : 1 - L’autre jour la grosse Mariette / Me regarde avec ses yeux coquins / elle me demanda d’une voix doucette : / « Qu’est-ce que la cochylis ? ». / « La cochylis, lui répondis-je, / Est une bête, un papillon / deux ailes jaunes, deux ailes brunes / Les pattes blanches et le cul gris / C’est une pie qui s’étale / Sur notre vigne, suce-raisin / suce-grapillon, suce-sulfate / Suce-saveur et suce-tout. Mais jamais elle ne suce la maladie (marasme / poisse) qui nous étouffe ».
222 - La cochylis, plus d’un l’attrape, / Tout en tétant jusqu’à plus soif / Ce bon vin qui nous enchante / Qu’il soit muscat ou picpoul. / Moi, avant-hier, j’en tétai trop, / Aussi je pris la cochylis. / La lumière dansait, le nez brillait, / La peau suait, le cul pesait, / Les yeux lançaient des éclairs, la tête tournait, / Si vous m’aviez vu, je trébuchais, / Je m’affalais, je ruisselais / Dans la raie, mais peu importe, / Ce n’est pas un crime, je ne suis pas seul, / Nous sommes une bande / Qui tête le jus de la treille / Dans la bouteille.
233 - La cochylis est la chenille / Du malheur qui pleut sur nous. / C’est la dèche qui nous regarde / Quand avec elle tu n’as pas le sou. / La cochylis nous envahit, / Nous écrase, nous anéantit, / Jamais elle ne fuit dans la boursette4. / Nous l’avons souvent une fois par jour. / Nous sommes argentés comme une pelle. / Les députés ne l’ont jamais ; / Les électeurs l’ont à foison. / Si moi ici, je viens faire l’âne, / J’y suis forcé ; mais une verge d’âne / Si j’avais ça, vous m’auriez assez vu. / Car moi aussi j’aime la vie / La « bistronquette » et le bon vin, / Les excursions, les distractions / Et les théâtres et les petites femmes / Et toutes les autres choses. De tout cela / Je dois m’en brosser. Au revoir à tous. / J’y reviendrai et je chanterai / Tant que la garce de chenille / Tiendra l’étrille.
Notes de bas de page
1 La cochylis de la vigne, Eupoecilia ambiguella, est un petit papillon nocturne dont la chenille s'attaque au feuillage et aux fruits. Les chenilles peuvent occasionner des dégâts directs en se nourrissant des fleurs et des fruits, mais aussi des dégâts indirects, en favorisant le développement de la Pourriture grise. Le papillon mesure entre 12 et 15 mm d'envergure. Les ailes antérieures jaunes sont traversées par une bande brun noir. Les ailes postérieures sont grises avec des franges plus claires. Le développement embryonnaire dure de 8 à 12 jours.
2 Je remercie Christian Dur, André et Anne-Marie Connes, qui m’ont aidée à transcrire ce texte.
3 La passièra signifie la chaussée, le barrage. Cf. l’expression : Tu que te pòrtas plan, deves avure la rega del cuòl que fa passièira (Toi qui te portes bien, tu dois avoir la raie du cul qui fait barrage, c’est-à-dire qui est mouillée).
4 Boursette : piège à cochylis.
Auteur
Montpeyroux
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