I - L’occitan dans la région de Lodève au Moyen Âge
p. 83-98
Texte intégral
1On se doute bien que l’occitan était au moyen âge la langue usuelle, à Lodève comme partout en pays d’oc. Pourquoi ne l’aurait-il pas été alors, puisqu’il l’était encore il y a quelques décennies à peine et qu’il est encore parlé aujourd’hui, quoique de façon bien moins massive, certes. Le problème est bien entendu qu’au contraire de ce qui se passe aujourd’hui il n’y a pas de document sonore permettant de savoir à quoi pouvait bien ressembler le parler du XIIIe ou du XVe siècles. On ne peut se fier qu’à ce que nous laissent entrevoir des documents écrits. Or ces derniers ne sont pas légion durant toute la période médiévale. Il n’y a pas de texte littéraire que l’on puisse attribuer à un Lodévois amateur de beaux textes. On est donc obligé de se rabattre sur les actes de la pratique, ces chartes, ces testaments et autres actes notariaux, ces documents administratifs des communautés locales. Or dans ce domaine, pendant la plus grande partie du moyen âge, la langue normale, c’est le latin, qui bénéficie de la patine de la tradition et du confort de la routine : on sait l’écrire, puisque c’est la langue écrite depuis des siècles, avec ses formes fixées, son vocabulaire et ses formules récurrentes qu’il suffit au fond de recopier, en les adaptant à chaque fois au contexte. C’est la langue des bibliothèques monastiques – les seules bibliothèques disponibles, d’ailleurs, au moins jusqu’au XIIIe siècle – c’est la langue du culte, et du coup c’est la langue par excellence des litterati, ces clercs qui savent écrire, et qui écrivent donc une langue qu’ils sont les seuls non seulement à savoir lire mais aussi à comprendre, pour peu qu’ils aient l’occasion de lire leur texte à haute voix devant un auditoire d’illiterati. On devine le pouvoir que cela leur confère face à une société laïque où le taux d’alphabétisation reste longtemps microscopique. On sait d’ailleurs que certains de ces clercs, tirant les conséquences logiques de ce monopole de l’écrit dont ils jouissent, n’échappent pas à la tentation, quand ça les arrange, d’inventer carrément des chartes providentielles de tel ou tel roi ou empereur mort depuis bien longtemps, prouvant sans discussion possible, puisque c’est écrit, que telle ferme, tel bout de terre a été concédé à tel monastère par nul autre que Charlemagne lui-même. On comprend donc que l’accès à l’écriture, et à l’écriture dans une langue accessible aux laïcs ait pu constituer un enjeu de taille, et pas seulement culturel, comme on peut s’en douter. Même si le latin résiste jusqu’au XVIe siècle, protégé non plus seulement par l’Eglise mais aussi par une catégorie sociale nouvelle, celle des juristes et des notaires, nourris d’un droit romain formulé lui même en latin, bien sûr, et dont la maîtrise leur assure une influence et un pouvoir considérable. Bref, la question de la langue est loin d’être dépourvue d’importance, et la place que l’occitan peut tenir dans le registre de l’écrit constitue un enjeu, répétons-le, jusqu’à ce que latin et occitan soient tous deux exclus de ce genre d’usage au profit du français – même si jusqu’à une date récente ce n’est pas une langue beaucoup mieux comprise que le latin des siècles antérieurs –.
2La question de la langue se pose partout en pays d’oc. Il n’est donc pas étonnant de la retrouver ici en pays lodévois. De fait, on y a écrit en occitan, dès le XIIe siècle, et jusqu’au XVIe. Il n’est pas question ici de faire l’inventaire de l’ensemble de cette production écrite en occitan. On se bornera à quelques exemples, comme autant d’étapes, en se posant quelques questions : quel genre d’actes peuvent être écrits en occitan ? Comment écrit-on une langue qui, au contraire du latin, doit élaborer un système d’écriture de bout en bout ? Et enfin, de quel occitan est-il question ? En d’autres termes, un texte écrit à Lodève au XIIe ou au XIVe siècle nous donne-t-il une idée de ce qu’était la langue parlée sur place ? Faut-il y voir l’ancêtre direct du parler de la ville et de sa région aux époques ultérieures, ou s’agit-il d’autre chose ?
1 - Les chartes
3Les premiers textes que l’on connaisse pour la région de Lodève sont des chartes remontant aux années 80 du XIIe siècle. Ils ont été publiés par Clovis Brunel, dans ses Plus anciennes chartes en langue provençale, (Paris, Champion, 1924) qui contiennent, en deux volumes, plus de cinq cents chartes antérieures à 1200. Il convient d’ajouter que cela ne représente qu’une partie des chartes en occitan pour cette période : Brunel ne prend en compte que les pièces originales, et écarte les copies, même quand elles ont été faites très peu de temps après la rédaction des originaux. Au total, c’est plus d’un millier de chartes en occitan que l’on peut recenser pour la période antérieure à 1200. A titre de comparaison, les premiers textes comparables en français – ou plutôt dans une variété d’oïl truffée de formes dialectales picardes – remontent à l’extrême fin du XIIe siècle, 1197 en l’occurrence, les performances des autres langues romanes n’étant pas meilleures. L’usage de l’occitan est donc extrêmement précoce.
4Nos textes lodévois sont deux, et concernent tous les deux les rapports entre l’aristocratie locale et l’ordre du Temple. Ce n’est pas un hasard : c’est par centaines que l’on compte les chartes en occitan concernant cet ordre militaire, alors que les ordres plus traditionnels, bénédictins ou cisterciens restent fidèles au latin, et n’usent que très exceptionnellement de l’occitan. Les Templiers sont certes d’Eglise, mais ils demeurent par leurs fonctions guerrières et le mode de vie qu’elles impliquent bien plus proches de l’aristocratie laïque dont ils sont issus que des ordres monastiques se consacrant à la prière ou au travail intellectuel. Il n’est donc pas si étonnant qu’ils aient fait sa place à la langue de la société qui les entoure, même si le latin ne leur est pas inconnu. D’autant que les transactions conclues entre le Temple et les laïcs voisins ont peu à voir avec la religion, et tout avec des questions de gestion de patrimoine que les parties en présence avaient intérêt à traiter avec le plus de précision possible pour éviter tout conflit ultérieur. Le premier texte (no 211 du recueil de Brunel), en 1184, enregistre l’abandon au Temple par un dénommé Deusde Raimon de son mas del Molar, ab tots dregs et rasos (les redevances et droits appartenant à ce mas) sans oublier les hommes qui y vivent, Nadal ab tots sos parcerers et ab tot quant teno de me (Nadal avec tous ses associés, et avec tout ce qu’ils tiennent de moi) : on a affaire ici aux tenanciers de Deusde Raimon, ceux qui ont reçu leur terre de lui, la « tiennent », dans le vocabulaire féodal. En échange de ce don, Deusde reçoit 350 sous raimondencs (de Toulouse), los quals ai donats ab me per fraire a Deu : bref, ils servent à payer l’entrée dans l’ordre du Temple du donateur. Lequel précise que le bien en question est sa part d’héritage : aquesta denant dicha honors escazec (échut) a ma part per frairesca1. La transaction est approuvée par le frère de Deusde, et enregistrée devant treize témoins. Une ligne à la fin indique que celui qui l’a rédigée est P. Gervais, lo capelà, le prêtre.
5L’année suivante (no 221 chez Brunel), c’est Aimeric de Clarmont (Clermont-l’Hérault), fils d’a Mabilia, et Maria sa moiller (son épouse) qui mettent en pennora, en gage, auprès du Temple lo forn del castel de Clarmont e. l bosc Laugardenc d’a Sant Marti que es el termini de Cannet ab tot zo que al forn et al bosc apertain (le four du château de Clermont et le bois Laugardenc, à Saint-Martin qui est dans le territoire de Canet, avec tout ce qui appartient au four et au bois) entendons tous les droits et redevances qui y sont attachées – compte tenu de l’importance économique du four, monopole du seigneur, et des profits qu’il rapporte, on voit que ce n’est pas rien –. En échange, Aimeric et Marie reçoivent 1500 sous raimondencs bos e percorrevols (bons et ayant cours) le tout sous la présidence de l’abbé de Lodève. Bref, Aimeric, pour une raison qu’il n’indique pas, est amené à hypothéquer le four de son château, et d’en laisser la jouissance au temple. Comme on voit, il n’est pas question ici de libérer la Terre Sainte ou quoi que ce soit de ce genre, mais on reste dans le terre à terre. On voit aussi que le Temple – mais les autres ordres font de même – peut parfaitement jouer le rôle d’une sorte de banquier, ou de prêteur sur gage. La charte précise même la teneur en argent du sou raimondenc (soixante sous par marc d’argent fin) : en cas de dévaluation – cela arrivait à l’époque – pour lever l’hypothèque, le débiteur était donc contraint de rembourser au taux d’origine, en sous raimondencs constants si l’on peut dire.
6Tels sont ces premiers textes occitans du Lodévois. Comme on voit, il ne faut pas leur en demander trop du point de vue littéraire et esthétique, quel que soit leur intérêt historique et ce qu’ils révèlent sur le fonctionnement concret de la société du temps. Leur occitan se libère à peine du latin, qui reste présent, d’ailleurs. D’abord dans la présentation même de l’acte qui commence ainsi : notum sit omnibus hominibus, qu’il soit connu à tous les hommes, ce que l’occitan commence alors a peine à rendre par la formule conoguda causa sia a tots. Ensuite, justement, par les premières traductions littérales des formules latines traditionnelles : solidos bonos et percurribiles devenant sols bos e percorrevols. C’est ainsi, par le jeu de la traduction, par le colinguisme, aurait dit Renée Balibar, que se construit l’occitan de nos chartes, dans une trahison qui est en fait un hommage, puisque la langue vulgaire reprend et adapte les formulations de la langue sacrée. Quant à la graphie de ce temps, elle fonctionne comme elle peut. On note dans le second texte la façon dont le scribe évoque Maria, la moiller d’Aimeric. On trouve déjà, depuis 1166 au moins, le graphisme -lh- (molher) dans la région toulousaine, mais visiblement cette innovation, dont on verra plus loin qu’elle a fini par triompher, n’a pas encore atteint notre zone, qui se conforme ici plutôt au modèle qui a déjà fait ses preuves sur le Larzac voisin, chez les Templiers de Sainte-Eulalie justement.
2 - Le cartulaire de Lodève
7Il s’agit du recueil d’un certain nombre d’actes divers concernant la gestion de la communauté, actes soit latins, soit occitans, publiés en 1900 par Ernest Martin, pour servir, dit-il modestement, de preuves à son Histoire de la ville de Lodève2. L’occitan y est représenté par un certain nombre d’actes de dates diverses. Certains remontent au XIIIe siècle, par exemple un règlement sur le droit de coupe et un autre sur les poids publics datés tous deux de 1246 (pp. 41 et sqq. de l’édition Martin), mais il s’agit de copies postérieures dont la langue a été manifestement rajeunie : il est impensable de trouver au XIIIe siècle des formes comme Monseur de Lodeve, ou tout lou gazan (« tout le gain », on attendrait au XIIIe siècle tot lo gazanh), ou encore aultrement, voire recognoistre... Ce qu’on trouve là, c’est en fait l’influence du français, dans la graphie, voire directement dans la langue elle-même.
8Ceci dit on trouve aussi des documents originaux, plus fiables quant aux enseignements qu’on peut en tirer. Il y a ces correspondances entre les consuls de Montpellier et leurs collègues les sageliers de Lodève, en décembre 1395 (pp. 143-144). Les premiers avertissent les honorables et discretz senhors Cossols et cosselhiers de Ginhac, nostres cars et especials amix, de Clarmon, de Lodeva (une vraie circulaire !) de l’approche de bandes de mercenaires armés, venant du Dauphiné et disposés à traverser le Rhône : c’est avec la peste et la famine une des calamités ordinaires du temps. Les sageliers de Lodève accusent réception trois jours après, promettent de faire attention et d’avertir leurs voisins, et remercient dûment les consuls de Montpellier : « Et se vos plas deguna causa que nos puescam far per vos, estimes nos, car nos ho farem a tot nostre poder tres voluntiers » (Si vous avez besoin de quoique ce soit que nous puissions faire pour vous, faites-nous confiance, car nous le ferons très volontiers autant que nous le pourrons). Plus tard, au XVIe siècle, on trouve d’autres actes, comme l’élection en 1550 du capitaine du barri – du rempart de la ville – celui qui supervise la garde des portes. Cette année là, le sortant est Simon Benezech, qui arrive à la réunion organisée par les sageliers portan las claus (clés) dels portals del dit barri. Il est remplacé par maistre Steve Capnou, fustier (charpentier).
9L’année suivante, c’est de l’élection des consuls qu’il est carrément question.
Dissapte vingt et ung del mes de mars l’an mil cinq cens cinquanta a la nativitat, vespras de Rams, congregatz et assemblatz coma es de ansiena costeuma inmemoriala en lo consistori de la mayson consulara de la cieutat de Lodeva, per et affin de nomar et elegir novelament per lad. Cieutat de Lodeva novels consulz et sigiliers et autres officiers de lad. mayson consulara, so es assaver [...]
(Samedi 21 mars 1550, soir des Rameaux bv3, réunis et assemblés, selon l’ancienne coutume immémoriale, en consistoire dans la maison consulaire de la cité de Lodève, ce afin de nommer et élire nouvellement pour la ville de Lodève de nouveaux consuls, sageliers et autres officiers de la maison consulaire, à savoir […])
10Suit la liste de ceux qui sont ainsi convoqués : les trois consuls-sageliers sortants et les conseillers, soit au total 17 votants sur 19 inscrits. Chacun des consuls propose trois noms pour lui succéder, noms de gen de bien et capables per estre consols et sigilliers, puis indique celui des trois qui a sa préférence, que ses collègues s’empressent donc d’élire, una voce dicentes. Comme on voit, la démocratie lodévoise ne va pas bien loin.
11Mais l’année suivante, quand il s’agit de recruter un maître d’école pour la ville, c’est le français qui est employé (pp. 242-243). C’est la fin d’une époque. On trouve encore un long règlement sur la draperie de la ville en 1566, mais il s’agit manifestement du recopiage d’un texte plus ancien. Il a fallu apparemment un certain temps aux Lodévois pour assimiler les conséquences de l’Ordonnance de Villers Cotterêts de 1539, mais ils y sont arrivés. Du moins les dernières manifestations écrites de l’occitan montrent encore une fidélité certaine aux usages graphiques de la langue médiévale, avec quelques rares infiltrations du français (ung pour le plus ancien hun, aussi, dict et fayt (mais dicha et facha) : globalement, le phonème /u/ est encore noté majoritairement o, et non ou, et la finale féminine est -a. Il est vrai qu’il s’agit de textes relativement stéréotypés, reproduisant d’un an sur l’autre un formulaire de base plus ancien.
3 - Le compoix de Lodève de 1401 (Arch. dép. Hérault, microfilm 1 M 406 R 1)
12Sortons du cartulaire. Nous voici aux débuts du XVe, à un moment où les usages, et les usagers de l’occitan écrit ont fait du chemin depuis les débuts du XIIe. On a ici affaire à un texte d’une grande importance pour le fonctionnement des institutions de la ville de Lodève, puisqu’il s’agit d’un compoix (compés). Le compoix, c’est la première forme du cadastre, tel que le connaissent assez précocement les régions occitanes. Il s’agit en fait du recensement des propriétés et des terres, chacune soigneusement identifiée par ses confronts, les propriétés voisines, avec quelques grands repères – ponts, voies de communication principales, etc. – avec le nom du propriétaire, et le montant de la contribution attachée à la propriété. Car, comme on sait, si l’impôt, la taille, est personnel au nord de la France – il pèse sur l’individu en fonction de son statut social – dans le sud il est réel, c’est à dire assis sur la valeur attribuée à la terre. Et c’est ainsi qu’un noble peut payer l’impôt sur une terre soumise à impôt, alors qu’au nord, sa qualité l’exempte systématiquement de toute charge fiscale. On voit qu’il est de la plus haute importance de bien identifier les diverses propriétés des uns et des autres, et de revoir régulièrement le compoix, afin de pouvoir enregistrer les changements qui ont affecté au fil des ans la répartition des terres. Ces compoix, établis localement par des habitants de confiance, sont souvent en occitan, et ils vont conserver mécaniquement cette langue d’un recopiage à l’autre jusqu’assez tard – on trouve encore des termes occitans fossilisés dans les compoix du XVIIe siècle, plus d’un siècle après Villers-Cotterêts –. Le compoix de Lodève fournit en outre un tableau de ce qu’était la ville aux débuts du dernier siècle de l’époque médiévale. Voici le début de ce long document.
lan MCCCCI lo del mes4 fonc comesat lo presen libre del compes dels cieutadas et habitans et mazomes de la cieutat de Lodeva et fonc compezat de volontat et adhordenansa dels ageliers el cosselh et la maior et pus sana partida dels cieutadas et habitans de Lodeva so es assaber per lo noble Bertan Matfre pus vielh, P. Esterni, G. Vinas et Balmes Benezeg e dos homes de cascu cossolat coma se sec.
Primeyramen
Lo cossolat del dilhus.
Sicart Olivier I hostal en la carrieyra de Lergua confront am
Raimon Mathieu et am G. bernard te se de mos.Lavesque
fa usatge ii d. Xl.
item I malhol en la ribieyra confron am Sant Thomaset
am la carrieyra te se de Sant Matfre, fa usatge I sest.
fromen. IIl.
item una vinha a Somon confront am G. Vinas et am JohanHelias
te se del capitol fa usatge iii carts civada IIl.
item I ort el cam de l’hospital confront am G. Gavaget
am Focran Cambo te se de l ‘hospital fa usatge III carts
fromen [illisible] X s.
[illisible]
item I hostal en la vouta d’En Celan, confront te se I l. VI s. VIII d.
item I hostal a bon cosselh confront am P. Gavag et am l’espital
te se de l’hospital, fa usatge XIIII d. XIV l. XIIIs. VIII d.
Item una vinha a Semon confront am Br Tengas et am P.Audibert
te se del capitol, fa usatge I eminada et cart sivada. I l. XIII s. IIII d.
[fol. 2] Dossa filha de Johan Molinier sayentras molher de Sicart Olivier, 1 hostal en la carrieyra de Lerga confront am lo pon et am l’espital, te se de l’hospital, fa usatge XLV s. III l., VI s., III d.
item 1 hostal en la dicha carrieyra confront am G. Sabatier et am Br Gonen, vouta enueg, te se del comandayre de Sant Felis de Valsorgua, fa usatge VIII d.
item I hostal en la vouta d’En Austorel, confront am P. Albanhac et am G. Tabarras, te se de moss. lavesque, fa usatge IV d.
Item I prat al Terondel confront am Johan Terondel et am la carrieyra, te se de mos. labat de Lodeva et d’En Aussairans, fa usatge al abat I d. e a N’Aussairans I eminada sivada
13(En l’an 1401 et le... du mois... a été commencé le présent livre du compoix des citoyens et habitants et mazomes de la ville de Lodève. Et il a été établi par la volonté et l’ordre des détenteurs du sceau, (les consuls) et du conseil, et de la fraction la plus importante et la plus notable des citoyens et habitants de Lodève, à savoir par le noble Bertrand Maffre l’aîné, P. Esterni, G. Vinas et Balmes Benezech, et deux membres de chacun des consulats, de la manière suivante.
14Premièrement, le consulat du lundi :
15Sicart Olivier :
- une maison dans la rue de Lergues, mitoyenne avec (le bien de) Raimond Mathieu et avec G. Bernard, tenue en fief de Mgr l’évêque, doit de redevance 2 deniers et dix livres
- une jeune vigne vers la rivière, mitoyenne avec Saint-Thomas et avec la rue, tenu en fief de Saint-Maffre, redevance, un setier de froment, et 2 livres.
- une vigne à Somon, mitoyen avec G. Vinas et avec Joan Helias, tenue en fief du chapitre, redevance 3 quarts d’avoine.
- un jardin vers la prairie de l’hôpital, mitoyen avec G. Gavach et avec Fulcrand Cambon, tenu en fief de l’hôpital, redevance 3 quarts de froment. (...)
- une vigne à Somon, mitoyenne avec Br Tengas et avec P. Audibert, en fief du chapitre, redevance 1 éminée et un quart d’avoine, une livre, 13 sous, 4 deniers.
16[folio 2] Douce, fille de Joan Molinier, et autrefois épouse de Sicart Olivier :
17- une maison dans la rue de Lergue, mitoyenne du pont et de l’hôpital, redevance 45 sous, 3 livres, six sous 3 deniers. Etc.
18Comme on voit, il s’agit d’un formulaire assez répétitif. Mais il est révélateur toutefois de l’organisation spatiale de la ville, comme de l’anthroponymie de ses habitants et de leur niveau – social Sicard Olivier et son épouse appartiennent visiblement au monde des notables –. On mesure aussi l’emprise du clergé, dans un diocèse où l’évêque est un grand personnage.
4 - Acte notarié de la fin du XVe siècle
19Un peu moins sec, un peu plus riche en vocabulaire, cet acte notarié de la fin du XVe siècle, en fait le testament d’un prêtre, Guilhem Barral (Arch. dép. Hérault, 2 E 39 art. 64) :
Conoscon totz que ieu Guilhem Barral capela al loc de Sanct Johan de Plens de lavescat de Lodeva hen mon entendemen e bona memoria, vesen lo temps de la empidemia corren, en lan mil quatre sens utanta tres he lo segon de mars contan, a la voluntat passada fau e asordine mon premia testamen he darreyra voluntat, disen tot premeyrament : ieu comande mon cors he mon arma a Dieu he la verges Maria he a totz los sans he las santas de Paradis, quant Dieu ne aura fach sa voluntat, que seray passat de aquesta vida en lautra, vole he constituisse ma sepultura en la geysa la hon se aperté als senhors de Santa Mayre Gleysa hen lo sobre dich loc.
Item vole que ala sepultura aia nou capelas he que lo dedins scrich heretia lur done quinze denias torneses he la reffectio.
Item ala novena nou capelas he que lur sia donat quinze denias torneses ela reffectio.
Item al clergue dotze denias.
Ite al cap de lan quinze capelas he que lur sia donat quinze denias torneses acascu he la refectio.
Ite al clergue dotze denias Item vole que mon heretia loqual nomnaray done hen aquel jorn quatre setias de bona mescla en pa cuech als paures de Jehan cast ( ?).
Item vole que sobre totz los bes Johan Barral mon oncle he Johana sa molher aion lurs vesty et causa he lur vida honorabla.
Item done a Folcran Barral he a Guilhelma sa molher quatre liuras tornesas per una veguada paguadas
Item a Peyre Barral he Catherina sa molher quatre liuras paguadas per una veguada.
Item a Johana filha de Peyre Baral ma boda vint liuras tornesas hen ajutori de son adot, paguan una lo jorn que se maridara he una an per an.
Item ha Anthoni Barral una liura.
Item ha Beleta sa molher una liura.
Item asos enfans una liura.
Item a Mondeta filha de Folcran Barral detz liuras en ajutori de son adot paguan una liura cascun an.
Item ha mossenhor de Lodeva detz sous.
Item done al coven dels carmes de Lodeva una liura tornesa paguadoyra una ves he que pregon per la mia arma.
Item constituisse he helegisse mon heretia universal loqual nomne de ma boca propria Besart Barral, filh de Folcran Barral, loqual puesca e valha possedir mous bes sens contradictio de negun home, paguan los leguatz he layssas per me fachas en lo presen testamen.
Item asordone que se lodich Besart volia estre capela, que los bes vengon ha Johan Barral son frayre he que lo dich Johan ly done secors he ajutori de lo tene ala escola he despendre dels bens tretant que sia capela he de ly far la festa.
Item que ly aia las causas que qual a ung capela.
Item vole que la vida sia encartada sobre los bens al dich Besart tant que viura coma se aperté a ung home de gleysa.
Item dic que sy lo dich Besart no vol estre capela, que el he lo dich Johan se affrayron per egualz partz per fach de nuptias quant se maridaran he que dono a Bertran Barral lur frayre detz liuras tornesas paguan una cascun an hentro que sia paguat de tot.
He ayso en presentia de Johan Fabre he Peyre Fabre, payre e filh, de Anthony Forestia, Ramon Canet, JohanTinian ( ?) sartre, Johan Claressac, Anthony Claressac, Peyre Roaut, Bernat Blaqueyra, los senhors consse Peyre Jorda, Johan Fabre, de mon testamen he lor done detz sous a cada ung.
(Que tous sachent que moi, Guilhem Barral, prêtre à Saint-Jean de Plens, dans l’évêché de Lodève, jouissant de toutes mes facultés et de ma mémoire, voyant que nous sommes en temps d’épidémie, en l’an mille quatre cent quatre-vingt trois et le deux mars, à la volonté passée ? je fais et établis mon premier testament et dernière volonté, disant tout d’abord : je recommande mon corps et mon âme à Dieu et à la Vierge Marie, et à tous les saints et toutes les saintes de Paradis, quand Dieu aura accompli sa volonté, que je serai passé de cette vie dans l’autre, je veux et j’établis ma sépulture dans l’église, là où il convient aux seigneurs de la Sainte Mère Eglise, dans le lieu ci-dessus désigné.
Je veux qu’à mes obsèques il y ait neuf prêtres et que l’héritier désigné ci-après leur donne quinze deniers tournois, et le repas.
A la neuvaine, neuf prêtres, et qu’il leur soit donné quinze deniers tournois, et le repas. Au clerc (qui servira la messe) douze deniers. Je veux que mon héritier, celui que je vais nommer, donne ce jour-là quatre setiers de bon mélange en pain cuit pour les pauvres de Jean Cast.
Je veux que sur mes biens Joan Barral mon oncle et Joana son épouse aient de quoi se vêtir et suffisamment pour vivre honorablement.
Je donne à Fulcran Barral et à Guilhelma son épouse quatre livres tournois payables en une seule fois.
A Pèire Barral et à Catarina son épouse, quatre livres payables en une seule fois.
A Joana, fille de Pèire Barral, ma nièce, vingt livres tournois en contribution à sa dot, à payer l’une le jour de son mariage, et une chaque année.
A Antoni Barral, une livre.
A Beleta son épouse, une livre.
A leurs enfants, une livre.
A (Ra)mondeta fille de Fulcran Barral dix livres en contribution à sa dot, payables à raison d’une livre par an.
A monseigneur de Lodève, dix sous.
Je donne au couvent des carmes de Lodève une livre tournois payable en une fois, et qu’ils prient pour mon âme.
Je constitue et choisis pour mon héritier universel celui que je nomme de ma propre bouche Besart Barral, fils de Fulcran Barral, pour qu’il puisse posséder mes biens sans opposition de qui que ce soit, après avoir payé les legs et héritages indiqués par moi dans le présent testament.
J’ordonne que si ledit Besart voulait être prêtre, que les biens reviennent à Joan Barral son frère, et que le dit Joan lui vienne en aide et secours pour le maintenir à l’école, et tirer de l’héritage ce qu’il faut jusqu’à ce qu’il soit prêtre, et célébrer son ordination.
Qu’il y ait tout ce qu’il faut à un prêtre
Je veux que sur mes biens soit expressément prévu l’entretien de Besart, tant qu’il vivra, ainsi qu’il convient à un homme d’Eglise.
Je dis que si le dit Besart ne veut pas être prêtre, que lui et ledit Joan s’associent à parts égales entre couples quand ils se marieront, et qu’ils donnent à Bertrand Barral leur frère dix livres tournois payables à raison d’une chaque année jusqu’à ce qu’il soit payé en totalité.
Ceci fait en présence de Joan Fabre et Pèire Fabre, père et fils, d’Antoni Forestier, Raimond Canet, Joan Tinian, tailleur, Joan Clarensac, Antoine Clarensac, Peire Rouaut, Bernard Blaquière, les sires consuls Peire Jourdan, Joan Fabre, et sur mon testament je leur donne dix sous à chacun).
20Voilà un document intéressant, pas seulement du fait de sa langue – on y reviendra – mais des enseignements qu’il nous livre sur son époque. On a affaire à un prêtre d’une paroisse difficile à identifier avec certitude – il y a plusieurs Saint-Jean dans le diocèse de Lodève – à moins qu’il s’agisse des Plans, au nord-ouest de la ville. Ce prêtre, conscient des dangers qui le guettent en cette période de retours périodiques de la peste, établit son testament. Après les indispensables paroles pieuses – mais on a alors des exemples de testaments où ces paroles occupent une plus large place – le testateur passe à la distribution de ses biens – en l’occurrence, bien sûr, non ceux de son église, mais ceux dont il a lui-même hérité de son père –. Une part va aux pauvres, en nature. L’évêque de Lodève et le monastère des Carmes ont droit à des legs d’ailleurs curieusement modiques. L’héritier principal est chargé de distribuer les legs secondaires, à l’oncle de Guillhem, à ses frères, Pèire et Fulcran à coup sûr, peut-être aussi Antoni, à moins qu’il ne s’agisse que d’un cousin (le fils de Joan ?) car il reçoit moins que les deux premiers. Viennent ensuite les legs aux neveux et nièces, Joana la fille de Pierre, et les quatre enfants de Fulcran, dont une fille et l’héritier Besard. On remarque que le projet de Guilhem est visiblement que ce Besard lui succède dans le statut de prêtre – mais il est visiblement trop jeune pour avoir fini ses études, et conforté son éventuelle vocation –. À défaut, il lui enjoint de s’associer à parts égales à son frère Joan. On n’est plus en 1184, au temps où la frairesca représentait la part échue en partage à Deusde : on préfère maintenant une indivision qui préserve l’intégrité du patrimoine – celui que lègue Guilhem – mais aussi probablement le patrimoine de Fulcran, le père. On remarque au surplus que le troisième frère, Bertran, est exclu de cette indivision, et que seule une rente sur dix ans lui est accordée par l’oncle Guilhem. Ce sont des documents de cette nature qui permettent d’entrevoir ce qu’était alors la vie des campagnes.
5 - Compoix de Soubès de 1533
21Encore un compoix, celui de Soubès, cette fois, daté de 15335. Il s’ouvre sur ces lignes :
Aisso es lou compés et cadastre del present loc de Soubès et de toute la terre qu’es estat fach en lan 1533. Et fouguet coumensat lou dich an et lou dex jour del mes de juin per discrets homes Peyre Lassale, Jean Carbasse et Guiraud Rouquet, de Soubès, elegits per lous sindics, conselhiers et ausidous de comptes et de tout lou poble de Soubès, an sagrament pres de moussu lou baile de Soubès. Et an agut per escritou Moussen Jean Cristol, capela de Soubès, per escrioure lou dich compés, et lay escrich a la relatiou desdich compezaires, et per fermetat de aisso me souy dejoust signat J. Cristofori, ainsi signe.
(Ceci est le compoix et cadastre du présent lieu de Soubès et de toute la terre, qui a été fait en l’an 1533. Et il fut commencé cette année-là et le dix du mois de juin par les honorables Pèire Lassalle, Jean Carbasse et Guiraud Rouquet, de Soubès, choisis par les syndics, conseillers et auditeurs aux comptes et tout le peuple de Soubès, avec serment reçu par monsieur le baile de Soubès. Et ils ont eu comme scribe monsieur Jean Christol, prêtre de Soubès, pour rédiger le dit compoix, et je l’ai écrit selon ce que m’ont dit les dits compezaires, et en assurance de cela j’ai signé ci-dessous J. Cristofori, qui signe ainsi)
22À la fin des 283 pages du compoix, une note finale, d’une autre écriture, précise :
L’an mil cinq cent trente tres et lou cinq jour del mes de julhet fouguet accabat lou present compes de la terre et juriductieu de Soubes per Peire Lassale, Jean Carbasse et Guiraud Rouquet elegits per lou consel et poble de Soubes. Et l’an fach segon Dieus et conscience et al sagramen que abié prestat entre las mans de moussur lou baile de Soubes et per fermettat de tout aisso me souy deioust signat lan et lou jour de dessus a la relatieu dels dits compesaires, J Cristofori noutari.
(L’an mille cinq cent trente-trois et le cinq du mois de juillet fut terminé le présent compoix de la terre et juridiction de Soubès par Pèire Lassale, Jean Carbasse et Guiraud Rouquet, élus par le conseil et le peuple de Soubès. Et ils l’ont fait selon Dieu et conscience, et selon le serment qu’il avait (sic) prêté entre les mains de monsieur le baile de Soubès, et en assurance de tout cela j’ai signé ci-dessous l’an et le jour susdits, selon ce que m’ont dit les dits compezaires. J. Christofori, notaire).
23En dessous, encore d’une autre écriture, tardive et... dans une autre langue :
« ainsi signe dans le compoix du lieu de Soubès, sur lequel se font présentement les impositions, duquel compoix le present extrait a esté tiré et duement collationé sur iceluy ce vingtieme jour du moys de décembre mil six cent cinquante-sept ».
24Entre les deux, la recension précise des biens des habitants, composant une liste de 71 patronymes – desquels sept seulement sont encore attestés aujourd’hui à Soubès, dont Lassale et Rouquet –. Comme dans le cas du compoix de Lodève on voit que l’opération est menée sous le contrôle étroit de la municipalité (le conseil), du « peuple » (les pères de famille en fait), le représentant de l’autorité supérieure (le baile – sans qu’on sache s’il représente le roi ou un seigneur local). C’est le curé du lieu qui tient la plume, et certifie la bonne foi des opérateurs – on note que s’il se nomme Christol, un patronyme encore attesté en Languedoc, il signe, coquettement, de la forme latine de son nom, Christofori. On note aussi comment, dans le second texte, il s’auto-désigne non plus comme capela, mais comme noutari. Ce n’est pas le lieu ici d’entrer dans l’analyse de ce compoix – on y remarque simplement que les deux nobles du lieu, M. de Carcassonne et M. de Peyrottes, co-seigneurs, figurent dans le compoix pour au moins une partie de leurs biens et que ces biens sont taxables –. On note encore l’irruption, à la fin du document, d’une glose postérieure, en français cette fois, qui indique que le document a pu être utilisé, aux fins fiscales que l’on devine, assez tard après sa rédaction.
25Enfin, ce texte occitan antérieur de seulement six ans à la légendaire ordonnance de Villers-Cotterêts, déjà évoquée, celle qui va sceller le sort de l’occitan comme langue de la pratique administrative, notariale et juridique, ce texte nous permet de saisir l’évolution de l’emploi de la langue. On clora donc cette rapide étude par quelques remarques sur la langue de nos textes du Lodévois.
6 - Langue et graphie
26À propos de la graphie d’abord. Il ne faut pas s’attendre, durant toute la période médiévale, à se trouver en face d’une norme orthographique bien établie, et qui s’impose à tous. Ceci viendra avec l’imprimerie, et le renforcement des langues d’Etat ayant cours forcé sur leur territoire, en attendant la mise en place d’une école pour tous sur ce territoire. Tout au plus peut-on observer la diffusion précoce d’un certain nombre de conventions qui se retrouvent d’un bout à l’autre de l’espace occitan. Nous avons signalé plus haut, à propos du premier texte, aux tous débuts donc de l’écriture de l’occitan, la difficulté éprouvée par le scribe pour noter le -l- palatal de moiller, en ajoutant que déjà à cette époque, on commence à trouver, dans la région de Toulouse, des formes en -lh-. Ce sont celles que l’on retrouve dans les textes du XVe, avec la graphie molher, ou filha pour fille, en 1401 comme en 1483. Le compoix de Lodève nous offre aussi un exemple de malhol, la jeune vigne. De même, pour le-n-palatal, s’instaure dès le XIIe siècle le digraphe -nh- : on le retrouve dans le compoix de Lodève pour le mot vinha et dans le testament de Guilhem Barral avec la mention des senhors de Santa Mayre Gleysa, et des senhors consse, les seigneurs consuls.
27C’est un premier trait qui traverse donc tout le moyen âge occitan. De la même façon, on remarque que le son /u/ (ou) se note alors, comme dans la graphie classique actuelle par un o (lo, los, molher, hostal, jorn), etc. Aucun signe n’indique que par contre c’est un /o/ ouvert que l’on trouve dans des mots comme ajutori, vol, aisso... : les locuteurs du temps – ceux qui savent lire, s’entend – n’ont pas besoin de tels signes, car ils savent d’instinct comment prononcer la lettre dans tel ou tel contexte, ou tel ou tel mot. On note aussi dans le premier paragraphe du compoix de Lodève le nom de Balmes Benezeg (Benoît), et, un peu plus loin, celui de P. Gavag (le « gavach », ce montagnard qui fait bien rire les gens des plaines), avec ce -g final qui note le son /tch/, et ce depuis les premiers temps de la langue écrite, au XIIe siècle.
28Le Lodévois d’aujourd’hui qui connaît son parler ne sera pas étonné de voir que la désinence de la première personne du singulier des verbes est en -e, (vole, comande, done (je veux, je commande, je donne...) et que les mots féminins se terminent par un - a atone, puisque c’est encore le cas, comme à Montpellier et à Sète. Il sera davantage surpris devant des formes comme volia, que sia, là où il entend aujourd’hui [bouliò] l’accent tonique portant sur le -o final. A l’époque, il porte au contraire encore sur le -i : on prononce [bouli-a] ou peut-être encore [vouli-a] (le passage de /v/ à /b/ est relativement récent).
29Au total, le compoix de 1401 nous offre un occitan écrit selon des règles graphiques relativement cohérentes, et traditionnelles, fixées, on l’a dit, entre fin du XIIe et début du XIIIe, qui se répandent en quelques décennies sur l’ensemble de l’espace linguistique d’oc, des Pyrénées à l’Auvergne et de l’Atlantique aux Alpes, même si chaque région a ses particularités dans le détail. Le document de 1483 présente encore, globalement un visage classique. Mais il offre aussi quelques innovations. Certaines sont purement graphiques, et ne renvoient sans doute qu’au caprice du scribe : l’usage de mettre des h- un peu partout, pas seulement là où l’étymologie latine le justifierait (hostal<hospitale) mais dans le cas de he pour « et », hen pour « en », (mais pas ha pour « à »). D’autres graphies sont plus surprenantes : on trouve premia, denias, setias, heretia, le nom de famille Forestia, pour un suffixe que l’on attendrait sous la forme premier, denier, setiers, heretier, Forestier, et que l’on trouve effectivement noté ainsi en 1401 : sageliers, Olivier, Molinier, Sabatier. Cette forme -ia est curieuse. Elle indique d’entrée de jeu que le -r final ne se prononce déja plus (de nos jours on ne l’entend plus guère que dans les Alpes) ; mais on s’étonne de la trouver à Lodève alors qu’elle est normale dans la Lozère actuelle (où on notait au XVe siècle -iar ce qui se prononce aujourd’hui -iò) ou dans les Alpes, (où on note alors -iar ce qui aujourd’hui se prononce soit yer, soit i-er). S’agit-il d’une notation propre au scribe qui a rédigé l’acte ? Il faudrait pouvoir comparer avec d’autres textes lodévois de la même époque, mais ceux qui sont présents dans le cartulaire édité par Martin ne permettent pas de certitude sur ce point.
30On note enfin dans le texte de 1483 ce -g qui vient completer un-g ou cada ung). Ce -g final, on l’a déjà rencontré dans les derniers documents du cartulaire de Lodève, et on le voit à la même époque envahir les textes d’oc, alors qu’il était inconnu avant : le mystère s’éclaircit quand on sait que sa présence dans ce contexte est tout à fait normale dans le français écrit d’alors. Ce qui veut dire que l’influence du français commence à se faire sentir en Lodévois en ces années de la fin du XVe siècle.
31C’est encore plus net, pour ne pas dire définitif, dans le compoix de Soubès en 1533. Les graphies anciennes survivent sporadiquement : le début du texte salue les conselhiers, on trouve des formes comme Guilhen, et dans le corps du compoix, écrit à plusieurs mains en réalité malgré les prétentions du brave curé Christol, on peut encore trouver des formes comme vinhe, malhol. Mais on trouve tout autant, sinon plus, sous d’autres plumes dans le même document, des formes comme Guillen, maillol, vigne, seigneur, à la française. De même, on trouve /ou/ partout (lou, lous, jour, houstal), et les finales du féminin sont désormais notées par -e.
32Cela reflète-t-il une évolution de la langue ? Cette dernière existe bien sûr : pour le passé simple du verbe être, le texte de 1533 note fouguet, « il fut », ce que celui de 1401 notait fonc, car entre le XVe et le XVIe, le système verbal a été largement refait pour ce qui concerne le passé simple, aboutissant aux formes actuelles. Mais pour le reste, l’idée d’un brutal changement de timbre du /o/ en /ou/ en un peu plus d’une quarantaine d’années ne tient pas. Ce qui s’est passé en fait, c’est que le bon père Christol, ou ses compatriotes lettrés n’ont plus eu accès à la norme graphique traditionnelle de l’occitan, mais à celle, déjà, du français, langue du pouvoir, et qu’ils écrivent donc leur occitan à la française, comme commencent à le faire tous ceux qui écrivent encore en occitan dans le milieu du XVIe siècle, sauf exceptions honorables (à Lodève même, on l’a vu, où on peut s’appuyer sur une tradition déjà ancienne, ou du côté de Saint-Pons et de la Salvetat par exemple). On mesure l’importance du phénomène : si ce sont les règles orthographiques du français qui servent de norme aux derniers scripteurs de la langue d’oc, c’est que le français commence à être connu, et reconnu comme langue de prestige, comme langue modèle qu’il faut suivre autant qu’on peut, pour exhiber sa distinction. De la même façon, si les scripteurs de 1533 qui notent encore vinhe écrivent aussi pesse de terre pour pièce de terre (oc actuel peça de terra), dans le même document, ceux qui sont passés à vigne et maillol écrivent aussi piesse de terre, à la française : là, ce n’est plus la graphie qui est en cause, mais déjà la langue.
33Il reste une dernière question. Cet occitan « de Lodève » l’est-il totalement ? En d’autres termes, peut-on retrouver dans la langue du lieu au moyen âge, déjà, le parler local tel qu’on le connaît à l’époque contemporaine ? Ou bien existe-t-il une langue d’oc écrite qui dépasse le cadre des parlers locaux ? Bien sûr, nous n’avons accès qu’à l’écrit, et à un écrit partiel en plus. Nous n’avons aucun moyen de savoir si le « peuple » de Soubès prononçait [kumpez’ajde] ce que ses lettrés de service écrivent compezaires. Et nos textes ne nous fournissent pas d’exemples de ces mots dits « du terroir », pour les plantes ou les outils, ceux qui, selon l’expression consacrée, « changent de village en village », même si souvent en fait on les retrouve tels quels dans le village d’après une kyrielle de villages d’à côté. On a donc peu de critères pour mesurer la distance entre ce langage écrit, et le langage parlé, en admettant que les traits qui caractérisent le parler actuel aient déjà été présents à l’époque, ce qui est certes possible pour certains d’entre eux.
34Deux indications possibles pourtant. On note dans nos textes que conformément à la situation générale dans une bonne partie du languedocien, le -n final que l’on entend en provençal par exemple tombe : en 1401 on a ainsi cieutada et non cieutadan, cascu pour cascun, te pour ten. De même en 1483, aperte pour aparten, bes pour bens, capela pour capelan (idem en 1533). Et il semble logique de trouver aussi la forme pa à propos du pain légué aux pauvres. Sauf que dans tout l’est de l’Hérault et donc en Lodévois c’est pan que l’on trouve, avec donc le -n final conservé. Première anomalie. En voici une seconde : ce pain nous est défini comme cuech, cuit. Or, la forme actuelle à l’est de l’Hérault et dans le sud de l’Aveyron, c’est plutôt [kj’ot£]. Il paraît difficile d’imaginer, compte tenu de ce qu’on sait des règles de l’évolution phonétique entre le latin tardif et l’occitan que le cuech de 1483 s’est transformé depuis en kiotch. On se pose d’autant plus de questions que les textes montpelliérains de la même époque font alterner des formes en -uoch et en -uech (nuech/ nuoch [njot£], la nuit, aujourd’hui). À Lodève même, un texte de 1458 fixant les devoirs des consuls utilise nuoch, signe que la forme n’est pas étrangère dans la ville. Tandis qu’à Béziers, on retrouve ce nuech alors même que la forme actuelle est neit. La seule conclusion que l’on puisse tirer, sur ce point précis du moins, c’est que cela signifie qu’à l’échelle au moins du Bas Languedoc actuel, il y avait ce que l’on appelle une scripta, c’est à dire une langue écrite supra-régionale qui s’imposait aux variantes locales dès que l’on passait à l’écriture. Et du coup, au risque de décevoir nos lecteurs, on est bien obligé de conclure que ce qu’écrivent nos scribes du Lodévois, ce n’est pas le langage qu’ils entendent parler quotidiennement autour d’eux, mais cette langue écrite, spécialement apprise par eux pour l’usage administratif et notarial. Mais consolons-nous : en tout état de cause, ce que nous trouvons dans ces vieux manuscrits, même celui de 1533, c’est de toute façon bel et bien de l’occitan.
Notes de bas de page
1 Frairesca correspond formellement à « frérêche » en ancien français, sauf que ça veut dire le contraire. La frérêche d'oïl, c'est l'indivision, la frairesca d'oc, c'est le résultat d'un partage.
2 Je remercie Eliane Gauzit qui m’a communiqué ce document.
3 Attention ! L'année se termine alors à la fin mars. On est donc déjà en 1551 selon notre calendrier, mais cela, le scribe ne peut pas le deviner.
4 Deux blancs dans le ms pour la date exacte.
5 Je remercie M. et Mme Guinard, lointains héritiers des seigneurs de Soubès, détenteurs du manuscrit, et mon ami Philémon Pouget, grâce auquel j’ai pu y avoir accès.
Auteur
Université de Montpellier 3
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