VI - Plantes du Lodévois et leurs usages
p. 73-80
Texte intégral
1Un sursaut de conscience devant les graves atteintes que nous faisons subir à la nature et la mise en danger de notre propre espèce semble impulser quelques bonnes résolutions, notamment par un retour à des usages traditionnels encore très répandus voici quelques décennies, tout comme l’était alors la langue d’oc, elle aussi aujourd’hui gravement menacée. Et c’est précisément le vocabulaire en usage en Lodévois, pour désigner un certain nombre de végétaux, qui va nous intéresser ici : rien d’exhaustif, mais un simple choix parmi les utilisations alimentaires, médicinales, domestiques, artisanales ou autres de quelques plantes dont on faisait alors grand cas. La richesse floristique du Lodévois, sous-tendue par une tout aussi originale diversité géologique, nous impose de nous en tenir, après une petite enquête auprès d’utilisateurs de ces végétaux, à ceux dont l’usage nous a été le plus souvent confirmé.
2Commençons par les salades et herbes à cuire en borbolhada (plat d’herbes diverses cuites), ou en d’autres préparations culinaires plus élaborées. Si le pissenlit, lo pissa-al lièch est universellement connu comme salade de campagne, il n’est pas ici le plus recherché. On lui préfère de fines salades champêtres au premier rang desquelles la rapeta, dite aussi trepeta et tèrra-grèpia en Lodévois. Il s’agit de la Reichardia picroides (L.) qui sait s’accommoder des sols les plus ingrats, tels que la rufa (la ruffe du bassin de Lodève, roches et terres rouges de la fin de l’ère primaire), et dont la saveur douce contraste avec la rudesse des lieux où elle pousse. On trouve aisément les rosettes glauques de cette vivace au pied des tiges desséchées portant les vestiges en entonnoir des fleurs de la saison passée.
3Autre reine incontestée de nos contrées : la Laitue vivace (Lactuca perennis L.) qui, elle aussi, porte des noms occitans différents à seulement quelques kilomètres de distance. En Lodévois, c’est la brèuna, mot issu du terme générique lo brèu qui exprime bien son aspect vivace. Elle aime la caillasse, les falaises et éboulis calcaires, mais on la trouve aussi parfois dans la ruffe. Totalement glabres, ses feuilles le plus souvent très découpées ont également une coloration qui n’est pas d’un vert franc, mais plutôt cendré.
4Signalons une autre laitue consommée jeune, la Sant-Josèp (Saint-Joseph) ou Lactuca serriola L. qui, par chez nous, a connu un regain de popularité après le terrible gel de 1956 qui avait grillé bien des espèces vivaces. On la dédaignait un peu, lui préférant les salades citées plus haut, mais il fallait bien manger quelque chose. La ligne de poils rudes sur la nervure principale saillante et son port généralement dressé la font reconnaître entre mille. Âgée, elle devient amère et coriace et n’est guère plus bonne que pour la borbolhada.
5Il est une autre salade annuelle, souvent négligée pour sa petite taille, mais néanmoins appréciée. C’est la pata de galina (patte de poule), ou Crepis sancta L. pour les botanistes. Linné l’avait qualifiée de « sancta », estimant qu’elle était originaire de la Terre Sainte. Dite aussi herbe rousse, car elle prend cette teinte en vieillissant, elle est la première à fleurir, dès le mois de mars, en tapis jaunes imposants sur les bords de routes – où, bien sûr, il n’est pas recommandé de la cueillir.
6Nous trouverons ensuite, sous le nom de chicorèias (chicorées) diverses plantes ainsi baptisées, souvent à tort : la première, seule digne de s’appeler ainsi, est la Chicorée vraie, Cichorium intybus L., souche de toutes les obtentions maraîchères connues de tous, et qui a une belle floraison bleue. Comme autre chicorée on trouvera aussi le très amer Urosperme de Daléchamps qui se distingue, lorsqu’il est monté, par ses grandes fleurs jaune soufre. Jeune, en rosette, cette chicorée se signale donc par son amertume extrême que l’on pourra atténuer, avant cuisson, en entaillant le collet de la plante. Autre chicorèia plutôt revêche et néanmoins souvent consommée, surtout cuite, sous les noms de borruda ou d’amarganta (deux termes qui indiquent bien sa pilosité et son amertume), la Crepis vesicaria L. est le plus souvent incorporée à de savantes recettes traditionnelles telles que l’ase (estomac de porc farci), la poitrine de mouton farcie ou le boudin. Seule la jeune rosette est appréciée par certains en salade. La quatrième, dite chicorèia de la bròca (chicorée à la bûche) et parfois lachichon (laiteron), n’est pas, elle non plus, une chicorée ni un laiteron. Son nom botanique est Chondrilla juncea L. et elle est l’une des salades les plus appréciées car douce et au collet souvent blanchi et croquant. Venant bien dans les terres qui ont été travaillées, elle se raréfie du fait de changements dans les pratiques agricoles.
7La bròca n’est autre que la tige desséchée quasi ligneuse de cette vivace qui était alors appelée sauta-volam (saute-faucille) par les moissonneurs qui y émoussaient le tranchant de leur outil. Nous avons là le peloton de tête des plantes sauvages parmi les plus prisées en Lodévois. Les amateurs consomment aussi, sous le nom de petarèl, le Silène enflé (qui ne s’est amusé, enfant, à faire éclater le calice renflé de la fleur sur le dos de la main ?). Jeune et blanchi un bref instant, il est délicieux en omelette.
8Le tout jeune coquelicot, encore en rosette, est soit mangé en salade, soit cuit et incorporé notamment au boudin. Cette rosette est appelée roela. En fleur, il devient rosèla et nul n’ignore alors ses vertus médicinales, calmantes et adoucissantes.
9Egalement consommée, la lenga de buòu (langue de boeuf), connue en français sous le nom de Patience violon, est une oseille sauvage appréciée par certains, soit crue en petite quantité dans les salades, soit cuite à la façon des épinards. Sa forte teneur en acide oxalique impose une consommation modérée. Cuite, il convient d’en jeter la première eau de cuisson.
10Très recherchée aussi, le reponchon (la Raiponce), autant pour sa racine renflée à la saveur douce que pour ses feuilles en rosette relâchée. (Notons que ce terme de reponchon, dans tout le domaine occitan, va désigner une grande diversité de plantes dont on consomme les jeunes pousses : Houblon, Fragon petit houx, Tamier, etc.). En Lodévois, il désigne uniquement la Campanule raiponce.
11Nous pouvons essayer de clore cette brève liste d’herbes sauvages par les divers lachichons (laiterons), qu’ils soient rudes ou maraîchers et le cortège d’hybridations de ces deux espèces. Leur nom indique bien la présence de lait, de latex, tout comme dans les lachugas (les laitues) où apparaît également le mot lach (lait). La surabondance de latex dans le Laiteron maraîcher, notamment, présente même un danger mortel pour les lapins si on le leur donne trop frais. Il est d’usage de le laisser transir pour éviter ce risque d’accident.
12La modestie de sa taille a failli nous faire oublier la doceta ou ampoleta, petite valérianacée connue en français sous les noms de mâche et de doucette.
13La roqueta (la roquette ou rouquette blanche, mais surtout la jaune, réellement sauvage) vient agrémenter les plats de salade de sa saveur unique car vraiment indéfinissable. Les propriétés aphrodisiaques qu’on lui prête depuis l’Antiquité l’ont faite bannir des monastères.
14Sur le marché quelques jardiniers ajoutaient à leur production maraîchère des salades sauvages (brèunas et chicorèia diverses notamment). Elles étaient vendues non au poids, mais à la poignée. « Volètz un planponh de brèunas, madameta ? » (« Vous voulez une poignée de brèunes, ma petite dame ? »). Pour certains, la cueillette et la vente de salades de campagne et autres plantes sauvages constituaient un appoint de revenu, voire un petit métier.
15Outre ces diverses plantes consommées en salade ou en plats d’herbes, on apprécie beaucoup en Lodévois l’espargue sauvatge (l’asperge sauvage). Si la cueillette est mince – car les cueilleurs sont nombreux –, on se rabat sur les gogets ou gojons, tous deux diminutifs de goja (courge). Ces termes synonymes l’indiquent, il s’agit d’une cucurbitacée, la Bryone dioïque, au surnom inquiétant en français de « navet du diable ». Seules les extrémités des jeunes pousses printanières sont très fines de goût et sans effet toxique.
16Avant l’emploi inconsidéré de désherbants, tout le monde se régalait des poireaux de vigne, les porrigals ou porrilhons, et leur consommation n’était pas anecdotique. A la croque-au-sel ou en vinaigrette, ils faisaient le régal de tous.
17Venons-en à présent à quelques usages de médecine populaire connus en Lodévois, sachant que chaque cueilleur se constituait sa propre pharmacie et que la plus grande prudence est de mise lorsqu’on souhaite se soigner par les plantes. La plus connue, tant pour ses propriétés aromatiques que médicinales, est sans conteste la frigola (le Thym). L’aiga bolida (L’eau bouillie !) nécessite une branche de thym et, comme chacun le sait, « l’aiga bolida sauva la vida » (l’eau bouillie sauve la vie).
18Nous y ajouterons une autre labiée, la Germandrée petit chêne, dite ici brotonica ou pichòt rove. Ne disait-on pas : « La brotonica al medecin fa la nica. » ? (La "broutounique " fait la nique au médecin). Surtout employée en cure de printemps, en infusions tonifiantes et apéritives, il n’en reste pas moins qu’à fortes doses elle pourrait présenter des dangers, notamment pour le système rénal, ce qui n’a été mis en évidence que depuis peu de temps.
19Citons ensuite en vrac lo borrage (la bourrache) pour soigner les maux d’estomac et favoriser la digestion, la fumatèrra (la fumeterre) en usage externe pour les maladies de peau, las caucidas (les chardons) prises, elles, en bain de siège pour combattre les hémorroïdes. Pour ce même problème une pratique locale consiste à conserver dans sa poche un marron (un marron d’Inde) jusqu’à sa totale dessication.
20Evoquons également l’arrapa-man ou registèl, autrement dit la Garance voyageuse, employée comme hypotenseur, ainsi que les repousses d’oliu (d’olivier). Les fleurs du sambuc (le Sureau noir) permettent la confection d’efficaces collyres. La tanarida (Tanaisie) est connue, elle, pour ses vertus vermifuges et ses usages vétérinaires, nécessitant toutefois, comme bien d’autres plantes, des précautions dans les dosages – ce qui n’empêchait pas certains d’en introduire dans leur pastis maison ! – Un proverbe du proche Larzac confirme cette nécessaire prudence : « La tanarida ramena un buòu de la mòrt a la vida ; se lo boièr ne beviá, ne petariá ». (La tanaisie ramène un bœuf de la mort à la vie ; si le bouvier en buvait, il en crèverait).
21Tout aussi anecdotique, mais néanmoins réel, l’emploi du suc d’èrba de l’embonilh (le nombril de Vénus) pour soigner furoncles, panaris et boutons divers. Mentionnons également l’èrba panatièida ou èrba de paret (la Pariétaire) utilisée comme laxatif, mais connue aussi comme allergisante. Lo gram, ou chiendent, est bien connu pour ses vertus diurétiques, pris en infusion.
22Quelques autres plantes également très envahissantes ont aussi des vertus médicinales mais, selon le principe de précaution évoqué plus haut, nous nous garderons bien de donner des recettes miracles. Parmi elles la lèuna, le lierre auquel on reconnaît certaines propriétés thérapeutiques, mais l’usage en est délicat. De même la fantèrna, l’Aristoloche clématite qui, foulée par les vendangeurs dans les vignes non désherbées, leur laissait le souvenir inoubliable de son parfum, aurait aussi, en dépit de son surnom de " poison de terre", de possibles utilisations médicinales, mais pas autrement que sous le strict contrôle d’une personne avisée.
23La cassòuda, la prêle, outre ses vertus reconnues en tant que reminéralisant (contre l’ostéoporose en particulier), comme diurétique et dépuratif, est mentionnée en Lodévois comme remède efficace contre le « pipi au lit ». Elle est également connue pour un usage domestique ancien attesté, celui de tampon à récurer, du fait de sa forte teneur en silice. Le terme de cassòuda désigne d’ailleurs un tel tampon, ou même un simple pelhòt (chiffon à essuyer).
24Ceci nous amène à notre dernier volet d’utilisations diverses, domestiques, industrielles ou agricoles. La palme revient ici, sans doute, au faux genêt d’Espagne (le vrai étant un petit genêt épineux), le Spartium junceum, connu ici sous le nom de ginèsta. Nul besoin de s’étendre sur ce que le travail de sa fibre textile a pu produire de toile à usages multiples, tant domestiques qu’industriels de part sa robustesse. L’activité de l’usine d’Aspiran a cessé au début des années soixante. Notons que l’on pouvait extraire de ce spartier la spartéine, produit pharmaceutique utilisé dans le traitement des problèmes cardiaques. L’emploi très large de la fibre explique l’incroyable présence de cette plante dans le paysage lodévois (avec toutes les difficultés que l’on connaît pour éradiquer les sols ainsi colonisés).
25Nous ne pouvons omettre ici de citer une autre plante devenue elle aussi très envahissante du fait de ses usages industriels anciens. Il s’agit du rodor (prononcé roudou) ou Corroyère à feuille de myrte, l’èrba dels tanaires e ruscaires, (l’herbe des tanneurs et écorceurs). Le rodor colonise, autour de Lodève, les zones gréseuses du Trias (début de l’ère secondaire), mais aussi des sols calcaires et on en voit des quantités impressionnantes du côté de Soumont, Saint-Privat, Les Salces et jusqu’aux abords d’Arboras. Outre son utilisation dans le tannage des peaux, on lui connaît en Lodévois un autre usage : sa tige, à la sève corrosive, servait à cautériser les plaies, notamment après extraction d’un cor au pied. Signalons toutefois le sérieux risque, chez les enfants, de confusion du fruit avec une mûre car il renferme un dangereux poison. La toxicité de la plante n’effraie pas les chèvres qui en recherchent de toute évidence les effets enivrants. Le cabrièr (le chevrier) ne tardera pas à repérer les fautives dans la queue du troupeau, du fait de leur allure chaloupée et de leur regard plus bizarre encore que de coutume. Il pourra alors seulement déplorer : « Tè, encara una rododada ! » (Tiens, encore une saoulerie au roudou !).
26Il est temps d’évoquer aussi quelques usages oubliés tels celui du Genêt Scorpion, un vrai genêt celui-là, dans l’alimentation du bétail. L’arjalàs a inspiré une expression qui indique bien sa nature : Amistós coma un arjalàs (Amical comme un Genêt Scorpion). Quoiqu’extrêmement épineux, il était concassé et pressé en balles. Il faut dire ici que s’il a servi de fourrage pendant la dernière guerre mondiale, c’est surtout parce que l’occupant réquisitionnait le bon foin. Signalons à ce propos un intéressant témoignage nous rappelant qu’à Cartels du Bosc, c’étaient principalement des « annamites » – nous dirions aujourd’hui plus convenablement des Vietnamiens – qui étaient affectés à ce travail qui ne manquait pas de piquant.
27Bien plus doux au toucher, le marron d’Inde, quand il ne soignait pas les hémorroïdes, servait, et ce jusqu’à une époque récente, à l’alimentation des animaux de boucherie. A Lodève il n’était pas comme ailleurs un fruit inconsommable et encombrant, mais une manne pour des dizaines de gamins qui en tiraient un peu d’argent de poche. Les sacs à patates emplis de marrons étaient charriés par divers moyens jusque chez les bouchers et éleveurs de la ville (c’étaient souvent les mêmes) qui en donnaient de un à trois centimes le kilo. Pour certains animaux, comme les moutons, les marrons, placés dans une trémie, étaient broyés mais les cochons, eux, les recevaient entiers.
28Puisque nous en sommes aux usages agricoles de certaines plantes et, ne souhaitant pas surcharger notre sujet de pratiques abandonnées, nous terminerons sur une note optimiste et une suggestion à la portée de tous ceux qui souhaitent un retour à une vie plus proche de la nature : vos promenades en campagne vous ont sans doute permis d’observer un bien modeste Prunus aux fruits minuscules et d’une amertume rebutante. Ne le méprisez pas car il a été utilisé, et peut toujours l’être, comme porte-greffe rustique, résistant bien aux maladies et donnant des cerisiers robustes. C’est le cerisier de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb) dit negreput en occitan à cause de ses petits fruits noirs peu estimés. Il se trouve pourtant des personnes assez patientes pour en faire une liqueur apéritive résolument amère et appréciée de beaucoup. Son nom local est l’amadèl (toujours pour cette même raison d’un /r/ intervocalique souvent mué en /d/ dans la région de Lodève). Ce mot occitan, amarèl, désigne non seulement l’apéritif, mais aussi parfois l’arbre lui-même. Et nous conclurons ainsi : A la vòstra santat ! (À votre santé !)1.
29Photographies de Suzanne Amigues
Notes de bas de page
1 Merci à M. Diego Piernas, jardinier en retraite, pour ses précieuses informations.
Auteur
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