I - Le toponyme « lodève »
p. 25-27
Texte intégral
1Une des plus anciennes mentions du nom de la ville de Lodève se trouve dans la Table de Peutinger (IIe siècle) où, entre Condatomago (Millau) et Cesserone (Saint-Thibéry), se trouve Loteva.
2Une autre mention plus ancienne encore (première moitié du Ier siècle de notre ère) nous est transmise par le Corpus des Inscriptions latines où C. Claud. Luteva (Corpus des Inscriptions latines, XII 4247) présente Lodève, cité latine devenue Colonia Claudia, colonie de l’empereur Claude.
3Dans son Histoire naturelle (III, 37), Pline l’Ancien a traité de trois cités voisines : Lodève (Luteva), Pézenas (Piscenae) et Saint-Thibéry (Cessero). Il nomme Lutevani (ou Lutebani) les habitants de Lodève : la transposition littérale en serait « Lodévain ».
4Le nom actuel des Lodévois est donné en 937 avec Theodoricus Lodovensis (Théodoric le Lodévois) dans l’Histoire générale du Languedoc, X, p. 126.
5La région de Lodève, le Lodévois, est citée en 817, dans le cartulaire de la ville de Lodève : avec Lutavensis ecclesie (église du Lodévois). Les suffixes -és occitan et -ois français sont issus du latin -ensis.
6L’occitan Lodevés trouve une variante avec Lodés de Saint-Félix-de-Lodez (ecclesia seu capella S. Felicis in plano Lodovessii, en1484, dans le Livre vert de Lodève). Ici le v entre voyelles s’est amuï et lode(v)és est devenu lodés graphié Lodez comme Rodés (de Rutenensis) a été écrit Rodez.
Un suffixe peu courant en toponymie
7Le toponyme Lodève présente un suffixe que l’on est peu habitué à rencontrer en toponymie.
8On le trouve avec :
- Glandèves, hameau de la commune d’Entrevaux, dans les Alpes-de-Haute-Provence (civ. Glannativa vers 400) ;
- Megève, ville de la Haute-Savoie ;
- le mont Salève, dans ce même département (au sud-est de Collonges) : monte Seleuco IVe siècle ; Mont Salevus en 1209 ;
9hors de France :
- la ville suisse de Genève ;
- l’Amblève, rivière de Belgique, drainant le nord du massif Ardennais.
10Le suffixe -eva peut être considéré comme variante de -ava / -avu présent dans le nom des tribus gauloises des Pictaves (Poitou), des Andecaves (Anjou) et Vellaves (Velay).
11Il est associé à une racine gauloise dans :
- Glandèves qui représente glann « vallée, rivière » ; Glanum, le site historique gaulois de la commune de Saint-Rémy-de-Provence, est originellement un nom de source ;
- le nom de l’Amblève, affluent rive droite de l’Ourthe, dérivé de ambe> amb-(i)l-qui signifie « rivière ».
12Genève peut se rattacher au gaulois geno- « bouche » pour désigner une embouchure, une confluence ou un débouché. C’est le cas du Rhône qui, en ce lieu, débouche du lac Léman.
13Les autres dérivés ont pour radical des racines qui n’appartiennent pas au gaulois. On dit qu’ils sont préceltiques.
14Ainsi de Megève dont le radical représente une racine *mag-, *meg- ayant le sens de « hauteur ».
15Ainsi du nom du mont Salève où une racine *sal- signifiant « éboulis » est suffixée en salevicu (d’où monte Saleuco IVe siècle) et salevu d’où Mont Salevus en 1209. Il faut penser que la forme féminine -eva à laquelle se rattache le nom moderne était déjà connue à époque ancienne.
16À noter que la même racine sal- ayant évolué au sens de « torrent encaissé » a donné lieu à des noms de cours d’eau Salindre, Salandre (Paul Fabre, l’Affluence hydronymique de la rive droite du Rhône, p. 153) et particulièrement la Salandre, affluent du Galeizon, la Salindrenque, affluent du Gardon à Thoiras,, et enfin Salindres, nom de la ville gardoise. A ce type *sal-end-r se rattache avec des voyelles vélaires pour variante, le type hydronymique *sol-und-r, à l'origine du nom de la Soulondres, affluent de la Lergue.
Une racine évoquant la vallée de la Lergue au nord de Lodève
17Dans le cas de Lodève, il s’agit d’une racine gauloise ayant trait à la vallée de la Lergue au nord de la ville, là où le fond de vallée est au niveau de l’écoulement de la rivière.
18Il s’agit d’un dérivé *luteva de la racine italo-celtique lut- « boue, limon ». Ce dérivé au sens de « marais, marécage » (G. Dottin, La Langue gauloise) a désigné la zone marécageuse, alors mal drainée, qui s’étendait au nord de l’emplacement actuel de l’agglomération.
19L’exemple le plus parlant en ce sens est le provençal loina, loeina « marais, terrain humide » qui est issu d’un dérivé gaulois *lutena emportant un sens proche.
20Le suffixe gaulois -ena atone a perdu son e et a donné lieu au produit loina.
21Dans les Bouches-du-Rhône, la Luynes, affluent rive gauche de l’Arc est portée Lodena en 1025. Le Trésor du félibrige cite la locution aixoise égratignant une personne empêtrée : Es dins las fangas de Loina.
22Entre Luynes / loina et Lodève, il y a la différence qui existe entre un terme qui a vécu dans la langue, qui a été poli, malaxé par elle, et un terme figé en tant que nom de lieu : Lodève reproduit à peu de chose près le dérivé Luteva ancien.
Jacques Astor (Massebiau) 31 août 2008
Bibliographie
Bibliographie
DEVIC Claude & VAISSÈTE dom Joseph. Histoire générale du Languedoc avec les notes et des pièces justificatives. Toulouse, Privat, 1872-1892. 15 vol.
DOTTIN Georges. La langue gauloise. Paris, Libr. Klincksieck, 1920.
FABRE Paul. L’affluence hydronymique de la rive droite du Rhône. Montpellier, Centre d’études occitanes, 1980.
MISTRAL Frédéric. Lou tresor dòu Felibrige. Barcelone, Edicioun Ramoun Berenguié, 1968.
Cartulaire de la ville de Lodève, publié par E. Martin. Montpellier, Éd. Serre et Roumégous, 1900.
Cartulaire de l’église de Lodève. Livre vert, publié par J. Rouquette. Montpellier, chez l’auteur, 1923.
Corpus inscriptionum latinorum, tome XII (Gaule narbonnaise). Berlin, publié à partir de 1863.
Table de Peutinger, copie médiévale d’un itinéraire des IIIe ou IVe siècles, découvert à Worms (Allemagne) dans les dernières années du XVe siècle, dont Konrad Peutinger fit l’acquisition en 1507.
Auteur
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