Chapitre 8 : Un enseignement supérieur épargné : Reproduction sociale et succès des savants
p. 355-398
Texte intégral
Nous n’étudions absolument pas les résultats statistiques de notre travail. Nous voyons les résultats de l’enseignement supérieur sous la forme des spoutniks, de l’énergie atomique et d’autres choses, qui n’en sont que le fruit extrêmement général. Mais si on demande à l’ancien recteur de l’université de Moscou et à l’actuel comment les diplômés sont orientés et employés, ou ce que deviennent les « cours du soir », ni l’université, ni même le ministère de l’Enseignement supérieur ne répondront à cette question.1
La course au pourcentage ne doit pas conduire à une baisse des exigences. Mieux vaut un pourcentage plus bas, mais sans baisser les exigences, parce que dans le cas contraire cela ne fera que tromper à la fois l’État et les gens qui viendront étudier chez nous.2
Il nous semble que la perestroïka de l’enseignement supérieur n’est pas traitée de manière tout à fait correcte dans les conversations. On rapporte chez nous que certains étudiants et certains enseignants disent que nous avons dévalisé (obokrali) les étudiants, que nous les avons privés de la possibilité d’étudier, que nous les avons surchargés avec la participation au travail dans la production, etc.3
1Dès le milieu des années 1960, les observateurs occidentaux estiment que la réforme de 1958 s’est heurtée, dans l’enseignement supérieur, à « la clientèle des universités, [aux] enseignants et responsables des entreprises », unis dans la même « hostilité », selon la formule d’Hélène Carrère d’Encausse4. L’éviction de Khrouchtchev accentue le sentiment que sa perestroïka des études, comme celles de l’administration industrielle et de l’organisation du Parti, s’est heurtée à un front commun d’opposition silencieuse. L’examen des archives aujourd’hui disponibles confirme cette lecture, mais pose aussi plusieurs questions. Quelles sont les modalités du « contournement » de la loi de 1958, notamment en ce qui concerne son objectif de démocratiser l’enseignement ? Quel rôle les « universitaires », et surtout les « savants », déjà largement impliqués, on l’a vu, dans la remise en cause de la réorganisation du secondaire, ont-ils joué dans cet échec supplémentaire du projet khrouchtchévien, et quelles ont été leurs motivations ?
2Pour répondre à ces questions, nous reviendrons successivement sur deux aspects de la réforme, et les limites de leur application : la démocratisation sociale des études et leur réorganisation, tournée vers la pratique et la « vie ». Enfin, nous nous focaliserons sur les divergences persistantes entre le discours des autorités et celui des scientifiques. Ces derniers parviennent à concrétiser partiellement leur idéal, autour de la fondation d’une université « d’un nouveau type », à Novossibirsk – elle répond aux aspirations déjà exprimées antérieurement d’une formation supérieure étroitement liée à la recherche.
I) Une fausse démocratisation
3L’un des objectifs affichés de la réforme était de faciliter l’accès aux études des catégories sous-représentées jusque-là dans le corps étudiant : ouvriers et kolkhoziens. Mais l’impossibilité d’évoquer ouvertement la discrimination de classe, officiellement caduque dans un pays en marche vers le communisme, rendait confuses la fixation des règles et l’évaluation des résultats : il s’agissait de mesurer la part des « producteurs » (proizvodstvenniki), tout en surveillant, en interne, les différentes catégories sociales. Mais quelle valeur accorder aux statistiques rassemblées, à tous les niveaux, pendant cette période ?
4S’inscrivant dans la continuité des années précédentes, les dispositions adoptées en 1959 pour réglementer l’accès à l’enseignement supérieur ont modifié la donne. Pourtant, des artifices comptables masquent la réalité des résultats obtenus, dévoyés par un certain nombre de stratégies individuelles et les réticences des établissements les plus prestigieux. L’objectif de prolétariser le monde étudiant se heurte ainsi à des résistances fortes, surtout au sein des universités, plus que jamais attachées aux dérogations obtenues en décembre 1958.
A. 1959 : nouvelles mesures pour favoriser les « producteurs »
5Quelques mois après la loi de 1958, sur le modèle des ministères de l’Instruction républicains dans le secondaire, une réforme administrative institue des ministères de l’Enseignement supérieur et secondaire spécialisé dans toutes les républiques : c’en est fini du monopole du MVO SSSR (rebaptisé : MVSSO SSSR) sur la quasi-majorité des VUZ du pays, ce dernier se contente désormais d’établir des règles et un contrôle globaux sur le secteur, alors que la gestion des établissements lui échappe. De là peut-être le caractère fragile des mesures adoptées au printemps 1959 pour concrétiser les dispositions de la loi du 24 décembre 1958 concernant l’accès aux études supérieures.
6Dans son Mémorandum, Khrouchtchev avait évoqué la « compétition des parents » pour trouver une place en VUZ à leurs enfants. Plusieurs solutions distinctes se dessinent alors, pour combattre l’influence du milieu social et culturel sur l’accès aux études. Mais malgré la profusion des propositions avancées lors de la « discussion générale », c’est l’approche traditionnelle, depuis les années 1920, de la discrimination positive à l’admission qui l’emporte. Toutefois, dans la mesure où le critère de classe n’a plus officiellement cours, la promotion des jeunes ayant une véritable expérience de travail y supplée. Ce n’est plus la profession des parents qui compte, mais le fait pour le futur étudiant d’avoir, ou non, une expérience professionnelle. Il s’agit, par ce moyen, de réduire un phénomène dénoncé par Khrouchtchev dans la première variante de son projet de réforme, en janvier 1958 :
Il ne faut pas non plus oublier comment les jeunes choisissent une profession chez nous, alors qu’ils viennent de terminer leur scolarité et d'entrer en VUZ. Dans de nombreux cas, peut-être dans la majorité, ce choix s'avère le fruit du hasard. C'est pourquoi il arrive souvent que le jeune homme ou la jeune fille n’arrive pas à entrer dans le VUZ souhaité, ils sont prêts à faire une demande d’inscription dans n’importe quel autre établissement, d'un tout autre profil, du moment qu’ils obtiennent ainsi une formation supérieure. Il y a aussi beaucoup de cas où de jeunes diplômés, qui viennent de recevoir leur diplôme supérieur, ne ressentent aucun goût pour la profession qu’ils ont rejointe, et soit entrent dans un autre VUZ, soit se mettent à travailler dans une autre spécialité (ne po special’nosti).5
7Lors de la réunion des « savants » à l’Otdel nauki, la question de l’élargissement de l’accès au supérieur avait semblé préoccuper plusieurs intervenants. Après avoir vanté le caractère démocratique du système d’enseignement soviétique, faisant référence à « l’école unique du travail », Sergej Sobolëv reconnaît que « ce n’est un secret pour personne » que dans les VUZ s’opère la « reproduction de l’intelligentsia »6. Le mathématicien assume pourtant le caractère élitiste de l’enseignement supérieur en URSS ; il ajoute, en citant l’exemple de Lomonossov, figure officielle du panthéon de la science soviétique, en raison de ses origines modestes – c’est aussi le patron de l’université de Moscou – que dans un système où la scolarité s’interrompt, les enfants d’ouvriers auraient plus de mal que les autres à étudier7. Quelques jours plus tard, le secrétaire du CC du PC ukrainien Červonenko émet une suggestion que certains savants (en particulier Nikolaj Semënov) avaient formulée lors de la séance du 19 septembre : ajouter aux concours d’entrée des entretiens individuels (sobesedovanie) avec les candidats. Mais l’article qu’il signe dans la Pravda deux mois plus tard s’en tient à une approche comptable du problème, en termes d’objectifs chiffrés :
Dans le nombre des admis, la part des ouvriers et des kolkhoziens a grandi. Si en 1957 les VUZ de la république ont admis 38,6 % de jeunes ayant une expérience d’au moins deux ans de travail dans la production, ou sortant de l’Armée soviétique, en 1958 cette catégorie représente déjà de 60 à 70 %.8
8En octobre 1958, alors que la discussion interne des dispositions de la réforme battait son plein, le collège du MVO SSSR avait envisagé des dispositions originales pour améliorer l’admission en VUZ, très différentes de celles qui étaient préconisées dans le Mémorandum de Khrouchtchev :
l’introduction d’un mode fermé de déroulement des concours d’entrée, dans lequel les examinateurs ne connaîtront pas les noms de famille des candidats (sous pseudonyme), afin de garantir la sélection la plus démocratique et la plus objective…9
9Toutefois cette proposition n’est pas retenue : le ministère s’en tient à la ligne qu’il a adoptée depuis 1957, à la demande du CC du PCUS, en accordant l’avantage, puis la priorité, aux « producteurs ». En obligeant les candidats à l’entrée en VUZ à avoir travaillé pendant une durée minimale à l’usine ou au kolkhoze, voire dans un bureau, on s’attend à une meilleure répartition des différentes catégories sociales. En fait, il y ici l’aboutissement du glissement qui a commencé à s’opérer en 1956, lorsque le premier réflexe face à la crise étudiante a été d’envoyer les récalcitrants et les rebelles faire l’expérience du « travail », c’est-à-dire de la « vie ». Un enseignant du supérieur arménien résume cette stratégie, en disant ouvertement ce qu’aucun dirigeant n’a encore formulé de façon aussi directe :
Je propose de rédiger le point sur l’admission comme suit : il faut admettre en VUZ uniquement les jeunes ayant au moins deux ans d’expérience au travail, comme le disait la lettre du camarade Khrouchtchev. De cette façon, ce n’est plus la peine de spécifier qu’il faut privilégier les ouvriers et les kolkhoziens. Ayant travaillé deux ans, le nouvel admis sera soit un ouvrier, soit un kolkhozien.10
10La prolétarisation escomptée est ici, plus qu’une sélection par les origines sociales des individus, une transformation sociale et morale imposée, sous la forme d’un stage ouvrier ou paysan, à tout une partie de la population : le terme n’est d’ailleurs plus employé en tant que tel, y compris dans les documents internes.
11Le 20 janvier 1959, le Premier secrétaire revient, devant les nouveaux diplômés de la faculté de physique de MGU, sur le « caractère non démocratique » (nedemokratičnost’) de la sélection en VUZ, où dominent les enfants de parents aisés. Conformément à son discours antérieur, il lie ce phénomène à des cas de corruption récemment élucidés, où « des communistes ont accepté des pots-de-vin »11. Dans son image idéale du VUZ de la société communiste, les étudiants sont tous passés par une expérience à l’usine et au kolkhoze, ce qui les a en quelque sorte « démocratisés » : on retrouve ici le thème d’une purification sociale, voire morale des individus issus de la production, déjà présent dans ses discours antérieurs12. Khrouchtchev encourage aussi l’indignation et la moquerie de son auditoire à l’égard des membres de l’élite dirigeante qui aimeraient bien pouvoir échapper à la règle commune : il raconte comment l’épouse d’un haut responsable lui a demandé de repousser la réforme de l’enseignement quelques mois, le temps que sa fille entre en VUZ.
12En avril 1959 sont publiées les nouvelles dispositions pour l’entrée en VUZ, beaucoup plus strictes que les précédentes13. Ne sont désormais dispensés des concours que les anciens combattants de la Grande guerre patriotique qui ont, de plus, obtenu la note d’excellence, ou une médaille d’or ou d’argent, à la sortie du secondaire. Ensuite, seront admis, après succès au concours, les candidats ayant une expérience d’au moins deux ans de travail pratique ou « socialement utile » – condition absolument obligatoire pour l’inscription dans les disciplines suivantes : journalisme, droit, lettres, philosophie et économie politique. Fait nouveau, la priorité est accordée à ceux qui ont déjà été employés dans la spécialité choisie – même si cela pose quelques problèmes pour les disciplines littéraires. Si les anciens combattants et les conscrits ayant fini leur service militaire dans l’Armée ou la Marine conservent les mêmes droits que les « producteurs », il est établi que la part totale de ces trois groupes ne peut excéder 80 % de l’ensemble des admissions : le directeur de VUZ doit donc réserver 20 % des places aux bacheliers en provenance directe du secondaire, participant au « concours général », c’est-à-dire sans avantage particulier. Cette disposition, qui montre que les responsables s’attendent à un afflux massif des catégories « prioritaires », constitue une maigre concession accordée aux responsables du supérieur réticents à l’idée d’une domination écrasante des « producteurs » et des soldats démobilisés (jusque là minoritaires dans le nombre des admis). Une autre innovation, par rapport aux règles d’admission établies pour les années précédentes, réside dans l’attention particulière accordée au détail du déroulement des concours : le texte du décret ministériel précise l’importance et le type (écrit ou oral) des épreuves, dans chaque spécialité14. Le jour suivant sont publiées les règles concernant l’enseignement supérieur du soir et par correspondance : ici aussi, la priorité est donnée aux personnes ayant travaillé dans la spécialité choisie. Mais, à la différence de l’accès aux études de jour, les lauréats de médailles d’or et d’argent du secondaire ont eux aussi la priorité sur les autres, à condition de travailler dans la production15.
13Les cours préparatoires (podgotovitel’nye kursy), qui existaient dans certaines universités, comme à Gorki, depuis 1957, avec pour but de préparer aux examens d’entrée en VUZ les jeunes ayant quitté depuis quelques années l’école secondaire, font alors l’objet d’une attention nouvelle. En septembre 1958, Červonenko avait insisté sur la nécessité, évoquée par Elûtin dans son projet, de les développer de façon plus efficace :
Voilà ce que doivent faire les [VUZ], et non ce qu’ils font à présent – ils organisent des cours pour filles dactylos et sténographes. Il faut que les mineurs, les métallurgistes, les kolkhoziens aillent maintenant dans les VUZ, il faut les sélectionner et les former, parce qu’ils auront une coupure (pereryv), puisque nous-mêmes leur créons les conditions de cette coupure. Il faut le dire ouvertement.16
14Un mois plus tard, le collège du MVO SSSR recommande qu’on leur accorde les « enseignants les plus qualifiés » et « une aide quotidienne »17. En 1960, d’après un rapport enthousiaste du MVSSO RSFSR, ministère formé à partir du MVO SSSR, en janvier 1959, en héritant de la majeure partie des VUZ de la république18, les cours préparatoires accueillent 120 000 personnes, soit plus du double des effectifs de l’année précédente19. Certaines universités accusent encore un certain retard : à MGU, ils n’apparaissent qu’en 196120. Héritiers des « facultés ouvrières (rabfak) » des années 1920 et 1930, les cours préparatoires semblent enfin pouvoir remplir la mission qu’on leur a confiée. De cette façon, le nombre des candidats potentiels à l’admission est maintenu à un niveau supérieur à ce qu’il devrait être en raison de l’arrivée des classes creuses, nées pendant la guerre, à l’âge de 16-18 ans21. Théoriquement, en décalant de deux ans la classe d’âge pouvant prétendre à l’entrée en VUZ, on garantit une plus grande compétition : une seconde chance est, en quelque sorte, donnée à ceux qui sont partis travailler depuis deux ans, comme l’expose l’étude de Tamara Revenko, publiée en France au milieu des années 197022.
15Concrètement, les « producteurs » se trouvent ainsi aidés à plusieurs étapes de l’admission dans le supérieur ; mais quel est l’impact de ces mesures sur la « composition sociale » proprement dite, et comment déterminer celle-ci dans les conditions nouvelles de la polytechnisation du secondaire ?
B. Des résultats ambigus : un changement de paradigme
16En quelques années, de la reprise des études statistiques sur la « composition sociale » (social’nyj sostav) des étudiants soviétiques en 1956, jusqu’au milieu des années 1960, celle-ci connaît d’importantes modifications. Mais un changement s’opère alors dans la définition des catégories qui forment la « composition sociale » des étudiants : on peut y voir, au-delà de la volonté affichée de démocratiser sur le plan qualitatif l’enseignement supérieur, une façon d’embellir la réalité statistique en Russie comme dans le reste du pays.
17Comme l’avait remarqué N. Feŝenko dans un article paru en 1977, en URSS, la « refondation » ne constitua pas une rupture, dans la mesure où la discrimination positive des « producteurs » avait déjà commencé dans les années précédentes23. Ainsi, la progression de cette catégorie dans les nouveaux admis, en études de jour, est modeste, entre 1958 et 1959 : elle passe de 45 à 49 % pour toute l’URSS, de 44 à 48 % pour la RSFSR24. Toutefois, la part des candidats disposant d’un certificat attestant de deux années d’expérience de travail augmente considérablement dans cette république : d’un tiers en 1958, elle atteint la moitié en 196125. Dans le cas de l’université de Gorki (GGU), le changement, en quelques années, fut considérable, comme l’indique le tableau suivant. Le chiffre presque nul de 1956 laisse cependant planer un doute sur la fiabilité des données : si le nombre de « producteurs » a explosé, n’est-ce pas aussi en grande partie parce que beaucoup ont cherché à obtenir par tous les moyens ce statut synonyme d’avantage au concours ?
Part des « producteurs » et des soldats démobilisés dans les nouveaux admis à GGU (en %)26
1956 | 1957 | 1958 | 1959 | 1960 |
0,3 | 23 | 30 | 50 | 48 |
18Il faut souligner qu’en 1960, la situation varie radicalement d’une faculté à l’autre : les candidats admis de façon prioritaire (na l’gotah) représentent 80 % du nouvel effectif dans les facultés d’histoire, de biologie et de chimie, mais seulement 40 % en radiotechnique, 35 % en mécanique et mathématiques, et 27 % en physique27. Ces trois dernières spécialités bénéficiaient donc d’un traitement à part, conformément au texte de loi de 1958 (article 32)28. Cette différence était ouvertement justifiée par le niveau de formation insuffisant des « producteurs », par rapport aux critères de sélection dans ces facultés les plus prestigieuses. Quoi qu’il en soit, en chiffres globaux, la « composition sociale » des étudiants de l’établissement s’améliorait, du point de vue des autorités de l’époque :
Composition sociale des nouveaux admis à GGU (en %)29
Année | Ouvriers et leurs enfants | Kolkhoziens et leurs enfants | Employés et leurs enfants |
1958 | 27 | 8 | 65 |
1959 | 46 | 6 | 48 |
19Malgré cette évolution dans la troisième plus grande ville du pays, la composition sociale des étudiants de toute l’URSS, en 1959/1960, n’est pas à l’avantage des « prolétaires » : les employés et leurs enfants en constituent 58 % toutes filières confondues, et 49 % dans les études de jour ; en RSFSR, respectivement 61 % et 53 %30. La situation est encore plus caricaturale à Moscou, où les VUZ les plus prestigieux recrutent plus des deux tiers des étudiants chez les « cols blancs », comme on les désigne en Occident31. Surtout, il apparaît que les ouvriers et les kolkhoziens profitent moins que les autres de la possibilité d’étudier par correspondance : les employés et leurs enfants représentent 72 % des étudiants à distance, et 65 % des nouveaux admis dans cette filière. Les autorités en ont conscience, comme le montre un rapport adressé au Conseil des ministres d’URSS par la Commission de contrôle soviétique qui en dépend, en juin 1959, intitulé : « sur les défauts dans l’admission préférentielle en VUZ de la jeunesse ouvrière et kolkhozienne », qui souligne la situation particulièrement « mauvaise », de ce point de vue, à MGU32.
20Pourtant, la propagande n’hésite pas à enjoliver les chiffres fournis par les statisticiens : d’après une monographie parue en URSS au début des années 1960, plus de la moitié des admis en 1959 auraient eu une expérience de travail d’au moins deux ans, au lieu des 49 % susmentionnés33. La part des ouvriers et des kolkhoziens est également exagérée dans cette publication : 58 %, quand l’administration statistique indique 47 %, toutes filières confondues34. La production de données falsifiées vise à marquer la différence entre la situation en URSS, et celle dans les pays capitalistes : dans le même ouvrage, il est fait mention d’une étude publique commandée par la commission de financement de l’enseignement supérieur aux États-Unis, selon laquelle les étudiants y sont à 80 % issus de la bourgeoisie aisée, représentant 10 % de la population35. La France et l’Italie sont également citées, comme exemples de pays où les enfants d’ouvriers et de paysans ne représentent qu’une infime minorité (5 à 7 %) des étudiants36. Sans truquage, l’écart était déjà important, mais pas assez sans doute, aux yeux des auteurs. Il est aussi indiqué qu’aux États-Unis, « les enfants d’ouvriers qui arrivent parfois en VUZ ne bénéficient pas de l’aide de leurs familles et sont obligés de travailler pour continuer leurs études. Très souvent, ils abandonnent avant la fin »37. Un tel jugement est, ironiquement, tout à fait transposable à la situation de l’enseignement supérieur soviétique « sans rupture avec la production ».
21Deux ans plus tard, lors de la réunion des responsables du supérieur à Moscou, Elûtin annonce qu’en 1960, 57 % des nouveaux admis avaient travaillé deux ans dans la production, ou bien étaient démobilisés de l’armée, en URSS comme en RSFSR38. A cette occasion, Vasilij Smirnov affirme que l’institut polytechnique de Leningrad, qu’il dirige, peut désormais recruter en première année uniquement à partir des « producteurs ». Ces derniers représentent 65 % de l’admission dans les VUZ de Leningrad, toutes filières confondues, de 1959 à 196339. Même si un doute persiste sur l’authenticité de leurs « stages », l’augmentation des candidatures à l’entrée en VUZ est bien perceptible à partir de 1960 : cette année-là, GGU reçoit trois fois plus de demandes d’inscription qu’en 195940. On peut y voir le résultat d’une campagne de propagande intense à destination des entreprises, invitées à recommander leurs meilleurs éléments pour qu’ils reprennent des études. Par ailleurs, le décret du CM d’URSS et du CC du PCUS du 20 janvier 1960, qui précise les conditions d’embauche et de réintégration dans la vie civile des soldats démobilisés dans le cadre de la Loi « sur la diminution significative des Forces armées d’URSS », a également une forte incidence, comme le confirme la lettre adressée par Elûtin à tous les ministères et directeurs de VUZ du pays41. De même que les « producteurs », les anciens soldats bénéficient d’une priorité à l’inscription. Toutefois, la question se pose de la capacité de ces étudiants atypiques à suivre leurs études avec succès : la nécessité d’une aide spécifique est évidente, à la lecture des documents de l’époque pointant leur faible taux de réussite aux examens. Pourtant, le ministère ne semble pas prendre de mesures ad hoc, laissant aux comités du Komsomol le soin d’encadrer les « producteurs »42.
22Au total, Feŝenko estime que la représentation de la classe ouvrière dans l’enseignement supérieur s’est accrue, mais de façon très ponctuelle, avec des variations importantes suivant les VUZ : à GGU, le phénomène n’aurait duré que jusqu’à 1959, alors qu’il se prolonge jusqu’en 1961 à Sverdlovsk, et jusqu’en 1963 à Moscou43. Le fait que ce mouvement se soit interrompu avant même la remise en cause de la priorité accordée aux « producteurs » montre que celle-ci n’a pas eu les effets escomptés. Si la part des ouvriers a augmenté, ils n’ont pas détrôné les employés, et de leur côté les kolkhoziens ont très peu profité des possibilités qui leur étaient, en théorie, offertes comme aux autres. Cinq ans après la mise en application de la loi, un ouvrage de sociologie publié en URSS mentionne que la part des ouvriers et de leurs enfants atteint 39,4 %, pour 19,5 % de kolkhoziens et 41,1 % d’employés, en études de jour, en 1964/196544. Pour les années suivantes, une étude publiée en 1971 sur l’université de Novossibirsk montre que la réalité n’est pas aussi conforme aux objectifs officiels : d’après son auteur, F.L. Liss, sociologue à l’université de Tartu (Estonie), 57 % des candidats dont les parents ont fait des études supérieures ont réussi le concours d’entrée en 1967, et cette proportion atteint 66 % en 1968 et 71 % en 1970 – de leur côté, seuls 28 % des enfants dont les parents ont quitté l’école au milieu du secondaire ont obtenu le précieux sésame en 1967, et ils sont 36 % en 197045.
23Pourtant, ces chiffres, s’ils sont avérés dans les archives du ministère de l’Enseignement supérieur, ne sont pas au-dessus de tout soupçon : le mode de comptabilité des différentes catégories sociales risque de masquer les stratégies individuelles des candidats aux études, et on peut s’interroger sur sa fiabilité dans le cadre d’un assouplissement de l’appartenance de classe.
C. Stratégies de contournement et limites de la discrimination positive
24La lecture de ces chiffres, même ceux qui émanent de façon authentique des données envoyées par les VUZ à leur administration centrale, n’est pas évidente. Dans un contexte où le critère de classe redevient, de façon masquée certes, décisif pour l’accès à l’enseignement supérieur, quelle confiance accorder aux déclarations des jeunes candidats ? La même question se pose quant à la réalité de leur « stage pratique » dans la production, au vu de plusieurs témoignages signalant des fraudes et des contournements, dès le début de l’application des nouvelles règles.
25Les travaux en sociologie de l’éducation réalisés en URSS à ce moment-là témoignent du caractère fictif de cette démocratisation : la composition sociale des universités n’a pas beaucoup changé en 1964, par rapport à la période stalinienne, les cours du soir étant souvent le refuge des candidats non « producteurs » ayant échoué aux concours d’entrée aux filières de jour46. D’après les archives du MVSSO RSFSR, ce sont surtout les cours par correspondance qui semblent jouer ce rôle. Ainsi, l’essor des formes d’études « sans rupture », tout en accueillant un certain nombre de producteurs, aurait servi à compenser le blocage du nombre de places en filières de jour. Les candidats malheureux à l’entrée en VUZ pouvaient s’inscrire directement par correspondance, dans des instituts qui, pour atteindre leurs objectifs chiffrés, ne regardaient pas dans les détails si leurs nouveaux étudiants remplissaient tous les critères requis.
26Le principal artifice comptable porte sur la distinction entre « l’origine (proishoždenie) » et « la position (položenie) » sociales : l’écart entre les deux atteint une ampleur suspecte à GGU, où elle est apparue en 1958 (voir le tableau suivant), ainsi que dans d’autres universités du pays47.
Répartition des nouveaux étudiants admis à GGU comme « producteurs » en 1958, d’après les catégories sociales déclarées48
Par position sociale | Par origine sociale |
Employés : 6 % | Enfants d’employés : 47 % |
Ouvriers : 54 % | Enfants d’ouvriers : 33 % |
Paysans : 12 % | Enfants de paysans : 20 % |
Soldats démobilisés : 27 % |
27Deux ans plus tard, les écarts sont toujours perceptibles entre les deux modes de calcul : les résultats de l’admission aux études de jour pour toute l’université sont encore plus confus, puisque apparaît une catégorie jusque-là inédite, et délicate à interpréter, celle des « apprenants (učaŝiesâ) » : il pourrait s’agir des anciens élèves du secondaire, mais le document ne le dit pas (voir le tableau suivant). Au passage, on constate que certains étudiants de milieux prolétaires préfèrent aussi se classer dans cette catégorie, plutôt que de rappeler leurs origines sociales. Faut-il voir dans cette pratique une stratégie de la part des candidats à l’admission, mais aussi de l’administration, ou bien le signe d’un glissement dans la définition de l’appartenance sociale, de l’origine (profession du père) à l’occupation (métier exercé) ? Les deux interprétations sont complémentaires : plusieurs dynamiques sont à l’œuvre ici, qu’on retrouve au niveau de certaines facultés de GGU49.
Répartition des nouveaux étudiants admis à GGU en 1960, par catégories sociales déclarées50
Par position sociale | Par origine sociale |
Employés : 32 % | Enfants d’employés : 58 % |
Ouvriers : 34 % | Enfants d’ouvriers : 37 % |
Paysans : 2 % | Enfants de paysans : 5 % |
Apprenants (učaŝiesâ) : 32 % |
28Feŝenko remarque aussi que la baisse de la part des « producteurs » en 1963 (32 % contre 50 % en 1959), n’entraîne pas de diminution majeure de la proportion d’ouvriers et leurs enfants (42 %, contre 46 % en 1959)51. On peut aller plus loin dans l’analyse, et supposer que certains ouvriers déclarés « de position » sont des enfants d’employés ayant tout juste accompli le « stage pratique », constituant alors un sésame à l’entrée en VUZ. Encore une fois, il y avait là un glissement du mode de désignation de l’appartenance sociale. Or, celui-ci était loin de faire l’unanimité parmi les chercheurs, comme en témoignage le jugement sévère de deux sociologues, Mihail Rutkevič et F. Filippov sur les « stagiaires (stažisty) », à la fin des années 1960 :
… deux ans de travail (la plupart du temps comme apprentis, des ouvriers auxiliaires et peu qualifiés, et avec la conscience du caractère « temporaire » de cet état) ne signifient pas qu’un jeune homme s’est coulé de façon organique dans la classe ouvrière.52
29Manifestement, après l’éviction de Khrouchtchev, le discours sur le passage progressif au communisme – censé, précisément, atténuer la signification de l’appartenance de classe – est remisé au profit d’une conception plus rigide des critères de classe53. D’une certaine façon, Rutkevič et Filippov refusent de prendre en compte un phénomène analogue à celui qu’Antoine Prost observe en Occident au début des années 1990 :
[La vieille histoire sociale] comportait d’abord une faiblesse intrinsèque et constitutive : elle négligeait de s’interroger sur la construction même de l’objet étudié. Les groupes sociaux étaient donnés comme déjà là, déjà constitués : il y avait les ouvriers, les paysans, les bourgeois et la question de la légitimité de ce découpage n’était pas posée. Or les autres sciences sociales en se développant remirent en question ces axiomes fondamentaux. L’étude sociologique de la mobilité sociale oblige les historiens à s’interroger sur les groupes intermédiaires et sur les sous-groupes. Les frontières des classes sociales sont mouvantes, et leurs déplacements mêmes objet d’étude.54
30D’autres solutions s’offrent aux enfants des élites pour contourner l’obligation du stage productif de deux ans instauré en 1958, outre la production de fausses attestations, fréquente si on en croit plusieurs témoignages : certains s’inscrivent en tehnikum ou dans une école d’apprentissage professionnel dès la fin de la 8e classe, avec l’intention d’entrer ensuite directement en VUZ. De telles stratégies sont observées y compris après la remise en cause des avantages aux « producteurs » : au début des années 1970 encore, il n’était pas rare de voir des enfants de la nomenklatura, fils et filles de responsables de l’administration ou du parti, s ‘ inscrire dans une école professionnelle à la surprise de leurs camarades, qui ne comprenaient pas les raisons de ce passage d’un an ou deux dans un établissement réputé peu prestigieux, avant de retrouver les dits élèves à l’entrée en VUZ, assurés d’être pris de par leur parcours et leur statut de « travailleur de la production »55.
31Comme on l’a vu, les universités avaient aussi la possibilité de conserver un mode de sélection sur concours dans certaines spécialités. C’est le cas à GGU, comme le confirme un rapport du prorecteur sur les années 1958-1961 :
Aux facultés de physique et de mathématiques, voilà déjà deux ans de suite que nous n’admettons pas plus de 30 à 40 % de producteurs. Ce pourcentage ne dépassera probablement pas les 40 à 50 % l’an prochain. Les facultés de radiotechnique, de physique et de mécanique-mathématiques recruteront donc, comme auparavant, au moins 50 % d’anciens écoliers du secondaire. Sera donc entièrement conservée la tâche d’améliorer le travail avec les écoliers, dans le but d’attirer à l’université la jeunesse la plus préparée et la plus capable pour l’étude des sciences physico-mathématiques.56
32À MGU également, les responsables s’appliquent à limiter les effets des nouvelles dispositions sur la sélection des nouveaux étudiants. À la faculté de physique, celle-ci se déroule toujours en fonction des critères académiques57. De façon générale, le recteur Ivan Petrovskij veille à ce que les commissions d’admission fassent passer les capacités théoriques des candidats avant leurs origines sociales. D’après Vladimir Dimov,
il préférait les bacheliers « excellents » et vérifiait en personne les résultats des examens en mécanique-mathématiques, physique et chimie, et pouvait se mettre en colère en cas « d’erreur monstrueuse » de la commission d’admission. Il estimait inadmissible qu’à cause de deux ou trois virgules mal placées en russe, on refusât à l’université des talents évidents. « Il nous faut nous-mêmes apprendre à repérer les talents », disait-il.58
33L’académicien Konstantin Skrâbin prône une sélection des étudiants « qui ne laisse pas de place au libéralisme [sic], qui ne soit pas soumise à l’influence des demandes et des recommandations (zavereniâ) écrites ou par téléphone »59. Un exemple parmi d’autres est donné par la lettre du recteur de GGU, Vladimir Širokov, qui demande à Aleksandr Aleksandrov d’inscrire son propre fils, étudiant de 1ère année, à l’université de Leningrad où il est envoyé pour des raisons médicales, en septembre 195960. Si les pressions sur les responsables universitaires se sont accentuées avec la réforme, d’autres signes de tension entourent la question de l’accès à l’enseignement supérieur : en septembre 1960, le ministère de l’Intérieur de la RSFSR annonce au Buro RSFSR l’arrestation à Leningrad de trois responsables ayant accepté, depuis 1958, des pots-de-vin pour faciliter l’inscription en VUZ, dont un inspecteur de l’administration de l’Instruction d’un quartier de la ville61. L’ensemble de ces pratiques, dont l’importance est impossible à mesurer précisément, faute de sources appropriées, explique le maintien d’une forte inertie sociale, à la sortie du secondaire. Les chiffres recueillis par l’équipe de Vladimir Šubkin montrent qu’à Novossibirsk, en 1963, ceux qui accèdent au supérieur sont pour 16,4 % des enfants de « dirigeants », pour 39 % des enfants de « spécialistes » (ayant déjà une formation supérieure), et pour 21,9 % des enfants de simples « employés », les « ouvriers » ne comptant que pour 18,9 %62. La distinction opérée par les sociologues du Département sibérien de l’AN SSSR, plus subtile que celle des statistiques officielles et même des rapports internes, dévoilait ainsi les limites de la démocratisation du secondaire.
34Les sources qui rendent compte de l’application de la réforme de 1958 passent sous silence d’autres questions essentielles, en matière de démocratisation des études : ainsi, on ignore la proportion des « producteurs », ou encore des « ouvriers » comptabilisés à l’entrée, dans l’effectif réel de diplômés, au bout de quatre à cinq années d’études. Seul Rutkevič aborda ce sujet délicat, dans l’organe du MVSSO SSSR, au milieu des années 1960 : mais c’était surtout pour revenir sur les tâches du Komsomol et des responsables de VUZ, que pour donner une image précise et fouillée de ce phénomène63. Quarante-cinq ans après les faits, Lûbov’ Balâsnaâ, alors secrétaire du Comité central du Komsomol chargée des questions scolaires, admet qu’il « y a eu des erreurs » dans la mise en œuvre du principe de promotion des élèves par le travail dans la production64. Citant l’exemple d’une jeune fille, lauréate d’une médaille d’or, dont le travail scientifique accompli pour un concours à la fin de ses études secondaires avait été remarqué par des savants, mais qui, envoyée deux années dans un kolkhoze pour y travailler, n’a pu ensuite passer le concours d’entrée d’un institut de médecine, elle estime que « cette voie était erronée » et que les autorités ont « péché par excès » dans cette direction : « nous avons privé des élèves talentueux de la possibilité d’étudier ». On peut citer également le cas d’une candidate à l’inscription à la faculté de biologie de GGU qui, malgré ses bons résultats au concours d’entrée, fut recalée parce qu’elle ne disposait d’une expérience de travail que d’un an et dix mois : sa mère écrit au prorecteur pour plaider sa cause, en vain65. L’abolition du caractère obligatoire du stage de deux ans dans la production à l’entrée en VUZ fut donc, selon Balâsnaâ, un retour en arrière justifié.
35En effet, en 1965, quelques mois après l’éviction de Khrouchtchev, de nouvelles règles d’admission restaurèrent l’avantage accordé aux « médaillistes », quel que fût leur parcours, à l’entrée en VUZ, supprimant ainsi la priorité accordée aux « producteurs » : cette année-là, la part de ces derniers dans les nouveaux admis tomba à 27 %, contre 60 % en 1961 et 52 % en 1963. Pour comprendre ce revirement, il faut aussi revenir aux critiques et aux réticences constatées, dans la communauté universitaire et scientifique, vis-à-vis des dispositions de 1958-1959.
II) Un « rapprochement avec la vie » illusoire et critiqué
36Le second volet de la réforme de l’enseignement supérieur porte sur l’organisation des études, avec pour objectif le « rapprochement avec la vie », c’est-à-dire une meilleure correspondance entre les contenus et les modalités de la formation dispensée, d’un côté, et, de l’autre, les exigences et les besoins concrets du fonctionnement de l’économie et de l’administration du pays. Pour combler le fossé existant, d’après les promoteurs de la loi de 1958, Elûtin en tête, entre la réalité des VUZ et celle des entreprises industrielles et agricoles, il est question d’améliorer et d’allonger le fameux « stage pratique dans la production (proizvodstvennaâ praktika) », qui avait déjà fait l’objet de nombreuses réunions ministérielles depuis le milieu des années 1950. Une autre idée force consiste à faire passer progressivement des étudiants de plus en plus nombreux dans les filières « sans rupture avec la production » : outre l’économie réalisée en termes d’utilisation des locaux et d’équipement, le but d’un tel transfert était de mener de front qualification et connaissance du monde du travail. Les étudiants, familiarisés au quotidien avec leur future profession, devaient être d’autant plus enclins à étudier la spécialité choisie, sans risque de défection en fin ou en cours d’études.
37Cette approche à la fois technocratique (l’État était sûr de dispenser une formation aux bonnes personnes) et idéologique (les futurs cadres allaient avoir un profond respect pour le travail dans la production) se heurtait cependant à des difficultés matérielles. Surtout, elle rencontra rapidement les réticences de nombreux acteurs du système d’enseignement, qui, malgré les garde-fous promis pour certaines disciplines, voyaient d’un mauvais œil la formation théorique sacrifiée sur l’autel de l’apprentissage d’un métier qui n’avait qu’un lointain rapport avec les attributions d’un spécialiste de qualification supérieure. Comme en 1958, ce sont les universitaires et les savants issus des sciences exactes et expérimentales qui émirent les plus grands doutes, dans le prolongement de la contestation apparue lors de la « discussion générale ».
A. De nouveaux plans d’études contestés
38Le premier principe du « renforcement du lien de l’école avec la vie » concernait l’amélioration du stage pratique dans la production, véritable serpent de mer des discussions internes sur le travail des VUZ, depuis le milieu des années 1950, voire au-delà. La contestation d’une partie des universitaires et des scientifiques sur ce point particulièrement sensible ne cesse pas avec le vote de la loi. Au-delà des discours publics des « savants », les signes d’un mécontentement sont perceptibles dans les sources administratives.
39Dès janvier 1959, deux académiciens prolongent les critiques qu’ils avaient adressées au principe de la combinaison des études avec un travail dans la production : le physicien Igor’ Tamm et le biologiste Nikolaj Kuznecov, disent dans l’organe du MVO SSSR leur hostilité à la généralisation de l’enseignement du soir en physique, en biologie et en chimie66. Dans le même numéro, Nesmeânov publie un article directement inspiré de son intervention du 19 septembre 1958 : il appelle les enseignants du supérieur à transmettre les clefs d’un véritable « travail intellectuel », au détriment du « bagage mort » imposé en masse, selon lui, aux étudiants. Ce texte est cité dans un rapport interne du conseil scientifique de GGU, en février 1959 : le prorecteur regrette que les enseignants n’aient pas encore appliqué les préceptes du président de l’AN SSSR67. Trois ans plus tard, le spécialiste en radiotechnique Aleksandr Minc publie une tribune du même ton dans la presse centrale68. Au début de l’été 1962, dans la revue plutôt conservatrice de l’Union des écrivains d’URSS Ûnost’ (« La jeunesse »), le mathématicien Sergej Sobolëv constate :
Les futurs physiciens et mathématiciens qui ont eu une coupure dans leurs études secondaires ont une connaissance plus limitée, moins solide et, chose plus importante, ils sont moins capables d’assimiler les méthodes de travail créateur que ceux qui viennent directement de l’école sans qu’il y ait eu un entracte dans leur éducation.69
40Dans les années qui suivent l’adoption de la loi de 1958, s’installe, dans le discours officiel, l’idée que la réorganisation des études supérieures aurait été inspirée par l’institut minier et métallurgique de Magnitogorsk : c’est ce que réaffirme Elûtin lors de la réunion solennelle organisée au Kremlin les 4-7 juillet 1961, avec de nombreux responsables de VUZ70. Cette vision erronée, comme l’a prouvé Feŝenko, avait une fonction quasi mythique : faire croire que l’initiative de la généralisation des études du soir était venue de la base, et quelle base – un lieu concentrant à lui seul tout l’héroïsme de la « construction socialiste » et de l’industrialisation des années 193071. En fait, la transformation des deux premières années d’études en années « sans rupture avec la production » ne va pas de soi, comme le montrent les réserves exprimées plus ou moins ouvertement, au niveau de chaque établissement. Dans certains cas, elles prennent la forme d’un véritable mécontentement, comme le suggère la citation du responsable du Minpros RSFSR citée en épigraphe de ce chapitre.
41D’une spécialité à l’autre, les conceptions varient radicalement sur la teneur et le contenu du « stage pratique ». Ainsi, les enseignants de LGU suggèrent de faire travailler les étudiants comme laborantins et préparateurs dans les instituts de recherche scientifique72. Beaucoup de facultés rechignent à élaborer et à appliquer de nouveaux programmes d’études, qui comporteraient une période plus ou moins longue de travail dans la production : la difficulté, ici, consistait aussi à passer des accords avec les entreprises de la région, et de préférence du secteur concerné, pour y envoyer les étudiants. La désorganisation des études est attestée, près d’un an après la loi, par une note interne de l’Otdel nauki à ses supérieurs hiérarchiques, les secrétaires du CC du PCUS73. Vladimir Kirillin y souligne les difficultés rencontrées avec les étudiants des deux premières années : les programmes n’ont pas pu être adaptés à une situation quasi inextricable, car une partie d’entre eux travaille, et l’autre – possédant déjà l’expérience de travail nécessaire – non. Il en résulte une grande confusion dans le calendrier des cours et des travaux dirigés. Les prévisions de certains savants qui, comme le mathématicien Valentin Fabrikant, redoutaient le mélange entre les « producteurs » et les anciens écoliers « recrutés sur concours (konkursniki) », s’avéraient fondées74.
42D’après Aleksandr Kessenih, alors jeune chercheur à la faculté de physique de MGU, les meilleurs élèves, entrés grâce à leur médaille d’or ou grâce à des notes excellentes aux concours, étaient admis à y travailler dans des laboratoires des instituts de recherche auxquels leurs enseignants appartenaient75. Les savants écrivaient eux-mêmes des recommandations pour leurs meilleurs étudiants – ce système servait également à substituer une activité de recherche au « stage pratique » obligatoire durant la 3ème année d’études. Deux ans après l’entrée en vigueur de cette disposition, peu de choses avaient été faites, y compris dans les VUZ technologiques, pour assurer la mise au travail des futurs diplômés. Ainsi, lors de la réunion déjà citée, Smirnov, recteur de l’institut polytechnique de Leningrad, demande qu’on supprime une partie du paragraphe 30 de la loi, stipulant que dans certaines spécialités théoriques, il faut organiser les études « en rupture avec la production », au motif que
l’existence de ce passage ne fait que générer les tendances malsaines, chez une certaine partie des responsables de VUZ, à contourner (obojti) les dispositions principales de la Loi sur le rapprochement du supérieur et de la vie et du travail.76
43Quelques minutes plus tard, Stoletov, devenu en 1959 ministre de l’Enseignement supérieur et secondaire spécial pour la RSFSR, regrette lui aussi que « certains recteurs oublient » le principe de l’union des études avec le travail dans la production77. V. Venikov, professeur à l’institut énergétique de Moscou (MEI), dénonce l’insuffisance de la formation théorique et « le changement perpétuel des plans et de la structure des études ». Le secrétaire du partkom de MVTU, G. Kiselev, estime pour sa part que la forme de combinaison des études avec le travail dans la production n’est pas idéale : selon lui, il vaudrait mieux envoyer les étudiants en entreprise à partir de la 3ème année78. A. P. Vinogradov, géochimiste et académicien, estime dommageable à la science qu’on retarde trop l’âge de sortie de l’université. Čilikin, directeur du MEI, juge que « le travail productif des étudiants n’est pas un but en soi, mais un moyen de leur développement harmonieux »79.
44Beaucoup de responsables partagent alors le point de vue d’un docent de chimie de GGU, qui refuse que les étudiants du soir aient la possibilité de passer dans la filière de jour : d’après lui, l’écart entre les programmes et les niveaux est trop important80. Il s’agit là d’un élément d’une critique plus profonde de tout un pan de la politique d’enseignement de la période khrouchtchévienne : le développement des études « sans rupture avec la production », vouées à remplacer, à terme, les études de jour dans de nombreuses spécialités.
B. Les filières « sans rupture avec la production » toujours dénigrées
45Le développement des filières « sans rupture », censées devenir, à moyen terme, la voie majoritaire de formation des cadres soviétiques, pose plusieurs problèmes au début des années 1960. Ces défauts, déjà classiques, sont essentiellement le manque de moyens et le taux très élevé d’échecs et d’abandons. Ils contribuent à fragiliser un système de plus en plus critiqué sur le plan interne.
46Les autorités avaient pourtant pris des mesures non négligeables pour améliorer les choses, dans ces filières déjà critiquées au cours des années précédentes : le 2 juillet 1959 est produit un décret du CM d’URSS, qui fixe de nouveaux « avantages (l’goty) » substantiels au profit des étudiants du soir et par correspondance : jours de congé supplémentaire à leur lieu de travail, défraiement partiel des voyages occasionnés par les examens ou les soutenances, etc. Les résultats de ces mesures tardèrent à se faire sentir, peut-être en raison des lenteurs administratives dans leur exécution. En avril 1960, la direction du MVSSO RSFSR se plaint que, malgré l’annonce du doublement de la quantité de diplômés du supérieur formés « sans rupture avec la production » entre 1959 et 1965, leur nombre réel ne fait toujours pas l’objet d’un comptage systématique centralisé81. Plus que jamais, et malgré les mesures prises pour faciliter l’inscription des ouvriers et des kolkhoziens dans ces filières, les étudiants du soir et surtout par correspondance sont les parents pauvres du système éducatif. En octobre 1960, Stoletov constate qu’il n’existe toujours pas de manuels en nombre suffisant pour ces derniers, et adresse un appel énergique et solennel au Buro RSFSR, sur ce thème :
Il en résulte que les étudiants par correspondance sont privés de la possibilité d’étudier auprès de nos meilleurs savants (alors que c’est justement cette possibilité qui est un des aspects déterminants de l’importance positive de l’enseignement à distance), et le niveau de scientificité de l’enseignement supérieur en entier (avec actuellement plus d’un million d’étudiants par correspondance) s’en trouve inévitablement abaissé. Finalement, c’est le principe même de l’enseignement par correspondance qui est discrédité (oporočivaetsâ). Dans ces conditions, le manque de littérature pour les étudiants par correspondance prend la proportion d’une affaire d’État.82
47Le ministre dénonce aussi l’attitude des grandes universités comme MGU et LGU, qui n’ont toujours pas formé de faculté par correspondance, et se contentent de donner des cours du soir à un nombre limité d’étudiants83.
48Les grandes universités rechignaient en effet à développer les cycles d’études « sans rupture avec la production », moins prestigieux et surtout moins attractifs. Les chiffres des plans d’admission pour 1959 et 1960 témoignent des écarts existant entre des VUZ équivalents, à Moscou, Leningrad, Gorki ou Novossibirsk : certains n’avaient pas encore formé de faculté par correspondance, ou donnaient la priorité à l’admission aux études de jour, malgré les nouvelles orientations ministérielles (voir le tableau suivant)84.
49En décembre 1960, Stoletov signale d’ailleurs au Comité central qu’à Gorki, comme à Moscou, l’augmentation des effectifs dans les filières « sans rupture » est encore insuffisante86. Au même moment, reprenant une pratique déjà courante à la fin de la décennie précédente, le recteur de MGU Ivan Petrovskij s’adresse lui aussi au CC du PCUS pour demander des places supplémentaires en études de jour, pour plusieurs facultés : mécanique et mathématiques, géographie, géologie, économie et journalisme, principalement87. Mais la réponse immédiate de Stoletov, à qui l’Otdel nauki a transmis la demande, est négative : il accepte seulement d’accorder encore quelques places du soir et par correspondance88. Pourtant, de son côté, le MVSSO RSFSR s’efforce aussi d’élargir sa marge de manœuvre : la question de la planification des effectifs fait l’objet d’une correspondance intense avec le Gosplan d’URSS, au début des années 1960. Les autorités républicaines demandent à plusieurs reprises une augmentation du « plan d’admission (plan priëma) », surtout en études de jour, en particulier pour des spécialités très déficitaires, comme les nouvelles technologies (mécanisation complexe, automatisation des processus de production, etc.)89.
50D’autres nuages obscurcissaient le tableau idéal d’un enseignement supérieur accessible à tous les travailleurs du pays : d’abord, une grande partie des étudiants ne travaillaient pas dans les secteurs correspondant à leur spécialité. Ainsi, dans les facultés par correspondance des instituts agricoles de Kazan, Sverdlovsk et Gorki réunis, 43 % ne travaillaient pas dans l’agriculture, alors que la part totale des kolkhoziens dans le total des étudiants par correspondance de toute la RSFSR était de 4,4 %90.
51Mais le principal défaut des études « sans rupture » était la mauvaise qualité des formations reçues. Un rapport de la Commission de contrôle soviétique du Conseil des ministres d’URSS, en mai 1961, souligne que la plupart des questions posées par la loi du 24 décembre 1958 ne sont toujours pas résolues, et que la situation reste « insatisfaisante » dans ce domaine91. Son auteur, Georgij Enûtin, un « administrateur » au profil de « spécialiste » (il a une formation et quelques années d’expérience en ingénierie métallurgique), reprend les principales critiques qu’il avait déjà adressées à ce type d’études, dans un rapport daté de septembre 195892. En premier lieu, elles connaissent une très forte déperdition du nombre d’étudiants : dans le cas extrême de l’institut polytechnique de toute l’Union (par correspondance), seuls 17 % des inscrits en 1953, comme en 1954, ont obtenu, six ans après, leur diplôme dans les délais normaux93. D’après Enûtin, « dans la majorité des VUZ et des tehnikum, le taux de réussite aux examens des étudiants par correspondance ne dépasse pas 35 à 40 % », et plus de la moitié des étudiants de 1ère année par correspondance abandonne ou est exclue pour échec94. L’enquête de la Commission de contrôle a montré que certains instituts, pour gonfler leurs chiffres d’admission, acceptent des candidats qui ne présentent pas les conditions requises, puisqu’ils ne disposent pas de certificats ni de recommandations de leur lieu de travail. Ces abus prennent parfois des proportions graves, laissant flotter un soupçon de corruption et de passe-droit sur le déroulement de l’admission :
Ainsi, l’institut agricole de toute l’Union d’enseignement par correspondance a admis en 1960, en 1ère année, 858 personnes (50 % du total d’admis) qui étaient diplômés de tehnikum agricoles. Ce sont des enseignants de ces mêmes tehnikum qui leur ont fait passer les examens d’entrée, et leur inscription en VUZ a eu lieu alors qu’ils ne travaillaient pas encore. Dans le nombre des inscrits, presque personne n’a d’expérience de travail dans l’agriculture. Il résulte de cette admission bâclée (ogul’nyj) que 60 % des étudiants n’ont toujours pas commencé à remplir leur plan d’études.95
52Un autre rapport, émanant cette fois de la Commission de contrôle soviétique du CM de RSFSR, transmis deux mois plus tôt au gouvernement russe, confirme la gravité des « défauts » signalés96. L’institut agricole déjà cité a réussi à diplômer seulement 428 (20 %) des 2 057 étudiants admis en 1955, dans les délais normaux97. De plus, alors que la demande pour recevoir une formation supérieure « sans rupture avec la production » est croissante, l’offre de places reste limitée : sur 145 VUZ de jour du MVSSO RSFSR, 46 (un tiers) ne disposent pas de facultés par correspondance, et 19, de facultés du soir.
53Dans ces conditions, le taux d’abandon en cours d’études était élevé : le rapport de la CSU déjà cité rappelait que, depuis 1955/1956, il était de 8 % dans les filières « sans rupture avec la production », contre moins de 2 % dans les autres98. Une des conséquences des difficultés des filières « sans rupture » fut le décrochage entre les besoins en cadres et la production de nouveaux diplômés. Un document émanant du gouvernement russe, adressé au Buro RSFSR et intitulé « Sur l’amélioration de la planification et l’augmentation de la formation des jeunes spécialistes… », révèle que la demande de cadres des secteurs de l’industrie, des transports et de la construction n’a été satisfaite qu’à 60 % en 1959, puis à 48 % en 1960, et à 30 % en 196199. Les rapports internes s’accumulent, à cette époque, sur l’immensité des besoins en cadres de formation supérieure et intermédiaire (« secondaire spéciale »). Dans de nombreuses entreprises de premier ordre, les « praticiens » (praktiki), sans formation correspondante, restent majoritaires parmi les ingénieurs et les techniciens : c’est le cas à l’usine de tracteurs de Tcheliabinsk (55 %), à celle de machines-outils « Ordjonikidze » de Moscou (53 %), ou encore à celle de moteurs de Iaroslavl (82 %)100. Stoletov signale à son gouvernement, au printemps 1961, que l’objectif inscrit dans le projet de décret alors en préparation, à savoir satisfaire, en 1965, 70 % des besoins en spécialistes de toutes qualifications, est irréaliste101. Deux ans plus tard, le Gosplan de RSFSR confirme que le taux de satisfaction est passé de 63 % en 1960 à 47 % en 1961, puis 31 % en 1962102. Georges Sokoloff avait déjà relevé la stagnation du nombre de nouveaux diplômés de formation supérieure au tournant des années 1960, résultat de la limitation des admissions en VUZ « en rupture avec la production » à la fin de la décennie précédente103.
54Khrouchtchev avait annoncé en janvier 1959 que le plan septennal devait former 2,3 millions de spécialistes de niveau supérieur et secondaire spécial, contre 1,7 au cours des sept années précédentes104. Même si les statistiques publiées dans les années suivantes donnent un chiffre proche, avec 2 millions de nouveaux diplômés du supérieur, toutes filières confondues, pour cette période, il semble que la mauvaise fiabilité de la planification des diplômes inquiète de plus en plus les responsables105. Le 20 juin 1964, Elûtin annonça un raccourcissement des études pour certaines spécialités (médecine, agronomie, technique, économie, etc.) ainsi qu’un allégement des programmes : le système ne parvenant pas à fournir suffisamment de cadres au pays, il fallait donc accélérer son fonctionnement106. Cette mesure visait aussi à répondre aux conséquences qu’avaient, sur les étudiants, les changements survenus depuis la fin des années 1950.
C. Alertes sur la santé et l’état d’esprit des étudiants
55La question du bien-être des étudiants n’est pas posée en tant que telle dans les documents consacrés à l’application de la réforme de l’enseignement supérieur. Pourtant, dans la lignée des débats survenus au milieu des années 1950, des voix s’élèvent au début des années 1960 pour dénoncer les conditions d’études, jugées trop difficiles, des futurs cadres du pays. La prise en compte de cette donnée entraîne une nouvelle mise en cause du principe du « rapprochement avec la vie », en tout cas une autre lecture que celle proposée par la direction du pays ; elle est d’autant plus légitime que l’une des causes immédiates de la réforme, l’ébauche, en 1956, d’une agitation étudiante sur des positions politiques hostiles au régime ou à sa politique, semble avoir disparu dans les années suivantes.
56Les arguments des médecins avaient eu moins de portée, lors de la « discussion générale », que ceux des représentants des sciences exactes, en particulier des académiciens : en conséquence, les nouveaux programmes adoptés dans le secondaire avaient été marqués par une inflation spectaculaire du volume horaire. Dans le supérieur, les responsables sont rapidement confrontés à un problème insoluble : comment maintenir le niveau de formation des deux premières années d’études, tout en les conciliant avec un « stage pratique », voire un emploi à temps complet dans « la production » ? Ceux qui effectuent cette partie de leurs études « sans rupture », c’est-à-dire qui suivent des cours du soir ou par correspondance pendant deux ans, sont dans une situation particulièrement difficile, comme le signale un enseignant de VUZ de Gorki, Pankratov, lors d’une réunion à l’obkom du Parti, en octobre 1959 :
Nous avons calculé que les étudiants de certaines spécialités ont la possibilité de dormir 5 ou 6 heures par jour. Le reste du temps est partagé ainsi : 8 heures de travail, 4 heures de cours obligatoires, ensuite le trajet, la cantine, et il reste peut-être une heure pour le travail personnel. Il est clair que cet état de choses est anormal. On a dit ici, et c’est très juste, qu’on doit habituer notre jeunesse aux difficultés, à les surmonter, pour qu’ils suivent leur chemin vers les sommets de la science à travers les difficultés, mais ce que j’ai exposé là, ce ne sont plus des difficultés, c’est un scandale. (QUELQU’UN : Très juste !) Si les étudiants travaillent ainsi tout un semestre, ils attraperont un épuisement nerveux ou une tuberculose. Notre objectif est pourtant de former des cadres, des bâtisseurs du communisme en bonne santé. Il est clair que les organes directifs doivent prendre des mesures extraordinaires. Lesquelles ? il m’est difficile de le dire mais cette question doit être immédiatement résolue, autrement, même si j’ai peur de prononcer ce mot, l’existence même de la loi sur le lien entre l’école et la vie va être discréditée chez nous107.
57La réponse du ministre adjoint de l’Enseignement supérieur, N. F. Krasnov, est proportionnelle à la charge précédente. Il affirme que ces effets ne sont pas encore prouvés, et rappelle en termes peu amènes, que la loi n’en est encore qu’au stade de l’expérimentation, qu’il est trop tôt pour s’inquiéter :
Chez nous aussi, à Moscou, nous avons eu ce genre de scène. Par exemple, un directeur adjoint d’institut a pris la parole et lui aussi est tombé dans l’hystérie à ce propos. […] le temps va passer, nous allons rassembler les faits, les analyser et ensuite on réfléchira aux nouvelles formes conformes à la loi promulguée par le Soviet Suprême. Faut-il abroger la loi demain ? Non. Alors, réfléchissons à partir de là. Si vous avez des propositions, envoyez-les, venez et nous discuterons de ces sujets.108
58Mais une autre participante à la réunion, Dmitrieva, prend la défense de Pankratov, au nom de ses compétences dans le domaine de la santé :
Je suis secrétaire d’une organisation du Parti et médecin, et j’ai déjà fait une intervention à ce propos à l’obkom. Je n’ai peut être pas raison, je parle comme médecin et je pèse bien mes mots. Si nous menons jusqu’au bout cette expérience, nous pouvons récolter de bien tristes résultats en ce qui concerne la santé des étudiants. Je peux citer les noms (…) les garçons rentrent chez eux à minuit. Non seulement ils ne peuvent pas revoir leurs cours à la maison, mais en plus ils dorment entre 4,5 et 5 heures.109
59Plusieurs témoins confirment l’état de fatigue des étudiants de 1ère et 2ème années à cette époque, dont certains devaient étudier la nuit, alors qu’ils travaillaient le jour : Mihail Narinskij, qui effectua son « stage pratique » en tant qu’assistant de laboratoire d’une école secondaire, se souvient que plusieurs de ses camarades de la faculté d’histoire de MGU avaient dû s’embaucher dans des usines ou des blanchisseries, pour des emplois pénibles110. La tension qui s’exprime localement autour de ces questions n’est pas sans écho au niveau ministériel. Avec le temps, les autorités sont de plus en plus conscientes de la surcharge de travail qu’imposent les nouvelles formes d’études : en mars 1963, Stoletov expose lors d’une réunion à son ministère les résultats d’une enquête du laboratoire de sociologie de LGU parmi les étudiants du soir et par correspondance. À la question : « Parvenez-vous à étudier et à trouver le temps de vous reposer et de vous divertir ? », seuls 10 à 12 % des physiciens, des mathématiciens et des géographes, et 15 % des biologistes, ont répondu par l’affirmative111. Il semble que la prise de conscience de ces problèmes, depuis les milieux concernés (médical et universitaire), gagne progressivement l’espace public, comme cela avait été le cas au milieu des années 1950.
60Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la perception par les intéressés des principales dispositions de la perestroïka du supérieur. Si les diverses formes de contestation de la décennie 1953-1964 sont désormais assez connues, il manque encore beaucoup de données aux chercheurs pour se faire une idée de la situation dans les années précédant la déposition de Khrouchtchev. L’état d’esprit du monde étudiant n’est pas forcément plus favorable au régime qu’il ne l’était en 1956 – la seule différence, peut-être, est que l’efficacité de la répression et de la surveillance, et la désillusion idéologique qui a suivi la lecture du « Rapport secret », puis la répression de la révolte hongroise, ont rendu les tentatives d’expression alternative plus rares et plus discrètes. C’est ce que confirme le nouveau chef du KGB, Vladimir Semičastnyj, dans un rapport consacré à l’atmosphère dans le pays lors de l’éviction de Khrouchtchev, à la fin de l’année 1964. L’ancien premier secrétaire du Komsomol constate que des groupes ou des individus prétendent encore renverser le régime (et non plus le corriger comme auparavant), et que parmi la jeunesse des VUZ règnent plutôt « l’apathie et un rapport indifférent aux problèmes sociaux et politiques, au passé révolutionnaire de notre peuple », parfois « une tendance à la critique sous prétexte de la lutte contre le culte de la personnalité »112. Les deux travers n’étaient pas contradictoires : l’indifférence à l’idéologie officielle était perçue, à tort ou à raison, comme une insuffisance, un premier pas vers la déviance. Mais alors que les ouvriers – comme les prisonniers des camps – étaient capables d’attaquer violemment les dirigeants dans des tracts ou des bulletins de vote, voire de se révolter et de conduire une émeute, comme c’est arrivé à plusieurs reprises durant la période khrouchtchévienne113, les étudiants incarnaient encore l’espoir de réformer encore le régime, d’aller plus loin que le XXe Congrès114.
61Pourtant, au début des années 1960, une nouvelle catégorie désignée par « étudiants et écoliers » fait son entrée dans les tableaux élaborés par le KGB à l’attention du CC du PCUS : elle représente respectivement 20 et 26 % des « documents antisoviétiques anonymes » traités par les organes de la Sécurité d’État en 1962 et 1965, soit, dans le second cas, le premier groupe social, devant les ouvriers (respectivement 35 % puis 25 %)115. On peut douter du degré de détermination et de dangerosité de cette contestation : seule une minorité a l’audace – ou l’inconscience – de passer aux actes. Le 7 novembre 1963, Mihail Kapranov, étudiant en histoire à GGU, manifeste lors de la cérémonie commémorant l’anniversaire d’Octobre son rejet du gouvernement khrouchtchévien et, avec un groupe de camarades d’études, proclame l’instauration de son propre gouvernement, avec pour programme l’élargissement de la démocratie, soit en particulier l’instauration d’élections avec au moins deux candidats « comme en Hongrie ». Après les avoir exclus de l’université et les avoir envoyés travailler à l’usine pendant quelque temps, le KGB les laissa reprendre leurs études.116
62Localement, les autorités stigmatisent des comportements où agitation et petite délinquance sont souvent confondues. Ainsi, un rapport interne de GGU souligne, en 1962, que la plupart des « actes amoraux (amoral’nye prostupki) » sont le fait d’étudiants venus de la production, en d’autres termes de « producteurs » favorisés par les nouvelles règles d’admission de 1959117. Mais il s’agit davantage ici d’atteinte à l’ordre public (fêtes, bagarres, ivrognerie) que de contestation du régime, même si ces catégories sont délibérément mêlées dans le discours officiel118. Au total, il est impossible d’évaluer l’impact sur le monde étudiant des mesures destinées aussi, du point de vue de Khrouchtchev, à l’assagir.
63Le « renforcement du lien entre l’école et la vie » aboutit à des interprétations contradictoires, au milieu des années 1960 : d’un côté, les autorités prennent conscience des risques provoqués, dans la planification des cadres de qualification supérieure, par une politique qui privilégie des types de formation moins fiables, comme les études du soir et par correspondance. Parallèlement, de nombreux responsables et enseignants ne parviennent pas à concilier le « travail dans la production » avec le maintien d’un niveau minimal, l’exigence de répondre aux évolutions scientifiques et techniques du moment, et la bonne forme physique des étudiants. De fait, universitaires et scientifiques développent et mettent en pratique une autre version du « lien entre les études et la vie » que celle qui leur est proposée dans les textes et les discours officiels.
III) La vision alternative des savants : renforcer le lien entre recherche et formation
64Comme pour l’enseignement secondaire, les académiciens qui se sont impliqués dans la discussion de 1958 n’abandonnent pas leurs positions dans les années suivantes. Forts du soutien d’une partie des enseignants et responsables de VUZ, mais aussi de membres de l’appareil du CC du PCUS et du gouvernement haut placés, ils mettent alors en avant leurs propres conceptions en matière d’enseignement supérieur, souvent à l’encontre des injonctions et des orientations officielles. Du reste, il ne faut pas non plus exagérer le fossé entre leur culte de la science, tel qu’il a pu être souligné quelques années plus tard par les observateurs des « soixantards », et les convictions de bon nombre de dirigeants soviétiques, dont la foi en la science procède d’une certaine façon de la théorie marxiste et en particulier du « matérialisme dialectique »119. Khrouchtchev lui-même, dans une note préparée au printemps 1963 et destinée à présenter au Présidium du CC du PCUS les grandes lignes de la réforme de l’AN SSSR qu’il envisage à l’époque, adopte un ton enthousiaste à son égard :
Comme vous le savez, nous accordons beaucoup d’attention à la science, estimant à juste titre qu’elle est une des principales sources de la force de développement de la société soviétique. La science permet le progrès technique dans l’économie nationale et elle enrichit également la vie spirituelle de l’homme. Tous nos plans sur le futur sont liés de manière significative au développement de la science.120
65Si la presse reste une tribune privilégiée pour l’expression de leur modèle scientifico-universitaire, ils trouvent aussi, dans le fonctionnement des VUZ, l’occasion de mettre en pratique leurs idées sur le développement de la recherche dès les premières années, en particulier dans le cadre des « Sociétés scientifiques étudiantes ». Mais comme pour le secondaire, ces aspirations trouvent leur expression la plus visible dans l’expérience conduite à Novossibirsk, autour de Mihail Lavrent’ev. Au cœur de l’Akademgorodok apparaît une université « d’un nouveau type », selon le vœu de ses fondateurs parmi lesquels on retrouve, encore une fois, bon nombre de contradicteurs du projet officiel de 1958.
A. Le développement des Sociétés scientifiques étudiantes
66Au début des années 1960, l’activité scientifique des VUZ est l’objet d’un intérêt particulier de la part de l’administration, mais aussi des « organisations sociales », à commencer par le Komsomol, et des scientifiques. Un des signes de cette attention est l’expansion du mouvement des Sociétés scientifiques étudiantes (SNO ou NSO), dont les représentants revendiquent alors une plus grande visibilité dans l’organisation de l’enseignement supérieur.
67Un décret du gouvernement du 12 avril 1956 avait insisté sur l’importance de la participation des étudiants à des activités de recherche au cours de leur formation, instituant des médailles pour les meilleures contributions121. Existant sous d’autres formes (brigades de travail de recherche, cercles (kružki) scientifiques, etc.) depuis les débuts du régime, et même depuis l’époque tsariste pour certaines, dans les VUZ les plus prestigieux du pays, les SNO sont constituées d’étudiants volontaires, qui accomplissent des recherches ponctuelles, sous la tutelle de leurs enseignants. Leur développement, dans la seconde moitié des années 1950 et surtout au début des années 1960, est salué et encouragé par le Komsomol. L’organisation des Jeunesses communistes aspire à les encadrer : depuis 1958, le MVSSO SSSR et le CC du VLKSM organisent des concours du meilleur travail scientifique étudiant en sciences exactes, techniques et humaines. Surtout, en février 1960 se tient à Moscou une première réunion de l’active des SNO de toute l’Union122. Vâčeslav Elûtin, toujours en charge – plus symboliquement que concrètement– des VUZ de toute l’URSS, tente alors, par la rhétorique, de raccrocher ces petits groupes de recherche aux principes de la réforme de l’enseignement :
Dans l’activité scientifique il y a aussi beaucoup de travail pénible, et c’est pourquoi une large participation des étudiants (studenčestvo) aux recherches scientifiques nous aidera à éduquer la jeunesse en accord avec les exigences du Parti, formulées par N.S. Khrouchtchev.123
68Pourtant, l’écart est considérable entre l’aspiration qui préside au développement des SNO, et les injonctions du Premier secrétaire au respect du travail manuel, telles qu’il les a répétées un an plus tôt aux futurs diplômés de la faculté de physique de MGU124. Certains intervenants se plaignent de la faiblesse des soutiens accordés aux SNO, alors que la perestroïka de l’enseignement supérieur aurait dû être l’occasion d’un renforcement de leur place au sein des VUZ125. Un responsable du comité de ville de Moscou, N. Trofimov, souligne l’enjeu de cette activité, dans le cadre de la réforme générale de l’enseignement126. Si certains, comme Kononenko, de l’université de Kiev, déplorent le caractère « éloigné de la vie » des travaux effectués dans ce cadre, la plupart reconnaissent avec lui que :
La participation à un cercle [de recherche] est utile non seulement à ceux qui se destinent à devenir des savants, mais aussi, et non moins, à ceux qui aiment leur métier et qui veulent entrer le plus loin possible dans les profondeurs de la science, pour devenir de véritables créateurs dans leur travail.127
69Plusieurs intervenants profitent de la tribune qui leur est offerte pour demander qu’on remplace les examens traditionnels par la soutenance d’un mémoire de recherche128. Parallèlement, Kononenko en appelle à la coopération de « nos savants », dont certains, qui sont pourtant « des autorités », rechignent à participer à cette activité bénévole129. Précisément, Mihail Dejč, professeur de physique et directeur scientifique de la SNO du MEI, estime que c’est là une tâche très difficile pour les professeurs, même si les résultats sont à la hauteur de l’investissement130. Ses arguments se placent dans l’esprit du discours officiel sur le « rapprochement des études avec la vie » :
Vous pouvez venir dans certains de nos laboratoires et voir des étudiants à 8-9h du soir travailler activement, faire des expériences et cela avec bien plus d’attention que nos jeunes travailleurs scientifiques et doctorants. Le résultat de leur travail de recherche d’études apporte aussi une aide pratique à l’industrie. […] Je veux attirer l’attention de la direction du ministère sur le fait qu’il est extrêmement utile d’envoyer les étudiants dans les entreprises industrielles pour effectuer ce travail. Cela apporte beaucoup aux étudiants, lesquels, en discutant les résultats avec les représentants de l’industrie, comprennent mieux quels sont leurs besoins.131
70Le succès de ces associations est bien réel : d’après un responsable de Moscou, alors qu’il n’y avait, en 1958, qu’un seul « bureau d’études (konstruktorskoe bûro) étudiant », au MVTU, il y en a désormais 35 à Moscou132. Il faut souligner néanmoins les tensions qui se manifestent sur la question organisationnelle : tous ne sont pas d’accord sur la nécessité d’une structure commune pour toute l’Union, au point qu’un des intervenants propose de « déployer la discussion dans les pages de la Komsomo’lskaâ pravda133. Surtout, beaucoup d’interventions de la salle témoignent de l’hostilité à la tutelle du ministère :
QUELQU’UN : [...] Au MVO, on connaît son affaire, mais il faut dire ce qui doit être pour les SNO : cela doit venir de l’activité autonome (samodeâtel’nost‘) des étudiants. [...]
QUELQU’UN : Nous protestons catégoriquement contre l’instauration d’un centre de coordination au sein du MVO, parce que cela deviendra un organe administratif, et pas une SNO, qui écrira des petits papiers (pisul’ki), comme aujourd’hui. Pour parler sérieusement, la SNO doit être un organe autonome (samodeâtel’nyj), fondé sur des bases électives. […] il faut fonder un centre de coordination sur la base du centralisme démocratique, sur la base de l’électivité.134
71Pourtant, le vote donne une majorité en faveur de la tutelle du MVO. Le jour suivant, Trofimov a beau défendre le slogan « Le travail des SNO doit être contrôlé par le Komsomol (Rabotu SNO – pod kontrol’komsomola) », il ne semble pas non plus faire l’unanimité135.
72Les SNO existent également en sciences humaines : ainsi, à l’institut pédagogique de Voronej, des étudiants travaillent, entre autres, sur deux projets intitulés « Lénine et l’instruction publique » et « L’activité de l’organisation du Parti de l’oblast’ de Voronej pour la perestroïka du système d’enseignement »136. Aaron Gurevič, alors enseignant à l’institut pédagogique de Kalinin (Tver’), se souvient lui aussi de son activité dans un « cercle scientifique » appartenant à la SNO de son institut, où il pouvait diriger ses meilleurs étudiants dans différentes recherches – alors que le niveau du public assistant à ses cours ne lui permettait pas, en règle générale, d’approfondir les analyses qu’il était en train de développer dans ses recherches personnelles, à Moscou137. Les SNO devinrent aussi, dans certains cas, des lieux de discussion non seulement scientifique, mais aussi politique ; un exemple extrême de la liberté de ton qui pouvait y régner est l’intervention du jeune poète Joseph Brodsky (il a alors 18 ans) à la faculté de philosophie de LGU, en 1958 :
Il décida de se mêler à la discussion du rapport [qui venait d’être lu] et commença son propos par une citation des œuvres de celui qui était alors vu comme « l’ennemi juré du léninisme », Léon Trotski. Le directeur de la SNO, un professeur […], fut choqué.138
73Plusieurs représentants des SNO réunis en février 1960 suggèrent, comme le fait un responsable de Riazan, qu’elles soient prises en compte dans les horaires de travail des enseignants139. L’implication des universitaires varie selon les VUZ : à l’université de Leningrad existe un Conseil scientifique de la SNO, composé pour moitié d’enseignants et de professeurs, grâce au soutien du recteur Aleksandr Aleksandrov140. L’idée, formulée lors de la discussion finale, selon laquelle les travaux des étudiants « doivent être considérés comme une des œuvres socialement les plus utiles », est alors partagée par les savants141. Elle reflète l’influence de leur discours sur les jeunes chercheurs : en effet ce discours s’est amplifié, depuis l’automne 1958.
B. Le rapprochement des VUZ avec la science, un acquis discret
74L’expression publique des savants sur la question de la formation des scientifiques a pris à la fin des années 1950 une ampleur nouvelle, on l’a vu, avec la reconnaissance croissante de la légitimité des chercheurs à donner leur avis sur ces questions. Face à une réforme dont ils ont combattu les principales dispositions, c’est l’inquiétude qui domine, succédant à l’appréhension des premiers temps : plusieurs indices montrent que, loin de se soumettre aux principes qu’ils avaient, pour la plupart, contestés, les savants continuent d’affirmer ceux sur lesquels ils estiment indispensable de se fonder, pour assurer le succès de leurs travaux.
75Beaucoup de représentants des VUZ restent préoccupés par le décalage existant entre le contenu des savoirs enseignés et les avancées continuelles de la science et de la technique. Venikov, qui prône une refonte complète des disciplines et des méthodes, en mettant l’accent sur l’informatique, estime que la relève des scientifiques n’est pas assurée : il reprend ainsi un discours déjà entendu à l’automne 1958 chez ses collègues Fabrikant et Bermant142. L’académicien Skrâbin revient sur ce thème :
…mon credo est le suivant : la force, la gloire et la grandeur de la science soviétique ont toujours été fondées, hier comme demain, sur la symbiose saine, amicale et harmonieuse entre trois générations de savants : l’ancienne, la moyenne et la jeune.143
76Cette formulation fait écho à la phrase prononcée, peut-être avec un soupçon de provocation – le slogan des années 1930 renvoyait au souci des dirigeants de veiller à la formation et à la stabilisation de la main-d’œuvre qualifiée dans l’industrie – par Aleksandr Nesmeânov, lors de l’assemblée générale de l’AN SSSR, le 26 mars 1959 : « dans la science, les cadres décident de tout »144. Cette reprise audacieuse du slogan stalinien des années 1930, mais dans un contexte tout à fait différent, pouvait être une provocation à l’égard du Premier secrétaire, dont les rapports avec le président de l’Académie étaient alors tendus145.
77Nesmeânov est peut-être associé d’une façon ou d’une autre au choix de la direction de MGU de faire placer au sommet du bâtiment central de l’université sur le Mont Lénine, au dernier étage où se trouve alors un musée et une salle d’apparat, une plaque comportant deux citations pour le moins étonnantes dans leur association, en pleine application du slogan officiel de « rapprochement de l’école avec la vie » (photographies 1 et 2).
78La première, est tirée d’un décret du Sovnarkom d’URSS et du CC du VKP(b) du 23 juin 1936 :
Sans travail de recherche scientifique un VUZ ne peut pas réaliser la formation de spécialiste au niveau des exigences de la science contemporaine et la formation de cadres d’enseignement scientifique est impensable, de même que l’élévation de leur qualification.
79La seconde, extraite de la loi du 24 décembre 1958, stipule :
Les tâches de la construction du communisme exigent un rapprochement de l’école supérieure avec la vie, avec la production, une élévation du niveau théorique de la formation des spécialistes conformément aux dernières avancées de la science et de la technique.
80Cette confrontation inattendue du texte de la refondation de 1958 avec un décret plus classique de la période stalinienne semble destinée à atténuer la portée de la réforme khrouchtchévienne, en rappelant le caractère prioritaire de la dimension scientifique de la formation inculquée dans les VUZ du pays, et en particulier dans le premier d’entre eux146.
81Par la suite, l’académicien qui prend la plus grande part dans ce débat est Mihail Lavrent’ev. Le 18 octobre 1960, il signale dans la Pravda les difficultés pour former les futurs savants en VUZ et préconise de renvoyer ou de transférer d’un institut à l’autre les étudiants en difficulté – on compenserait les pertes dans les filières du jour en y admettant alors les meilleurs étudiants par correspondance. Lavrent’ev regrette aussi qu’une part importante des « savants » soit « coupée des VUZ », et insiste sur leur responsabilité :
Il faut amener toute l’opinion scientifique (naučnaâ obŝestvennost’) à résoudre la tâche de la formation des cadres de qualification supérieure. Aider quelqu’un de talentueux à entrer dans la science, c’est, pour un savant, quelque chose de plus important et de plus honorable que le résultat de ses propres travaux scientifiques.147
82Cette formulation enthousiaste marque une évolution depuis 1958 : d’un droit à donner son avis, le savant se voit octroyer, sous la plume de Lavrent’ev, un devoir de le faire. Pour finir, le mathématicien suggère qu’on transmette « quelques universités » à l’AN SSSR : d’après lui, cela « donnera aux savants une grande responsabilité […] et, en même temps, la possibilité de sélectionner de façon plus souple et juste, pour la science, les plus forts, et de les instruire directement chez eux ». On ne saurait formuler de façon plus limpide la conception qu’ont plusieurs scientifiques de la formation de leurs successeurs. Lavrent’ev réitère son appel deux ans plus tard : en novembre 1962, dans un article publié cette fois par les Izvestia, il met en garde contre le manque de cadres pour la « grande science », et préconise un renforcement de la collaboration entre VUZ et instituts de recherche, pour initier les étudiants le plus tôt et le plus profondément possible aux travaux scientifiques, et pour multiplier les contacts entre savants et étudiants, « très importants »148. Il revient sur les conditions d’admission en VUZ, soulignant la difficulté d’une sélection au cours d’un entretien très rapide, et la différence de niveaux entre les élèves des écoles centrales et celles de « la périphérie ». De son côté, Aleksandr Aleksandrov signe en novembre 1961, dans la Komsomol’skaâ pravda, une tribune où il regrette que les étudiants de son université ne lisent pas assez de littérature scientifique « en dehors du programme » ; il invite les enseignants à être plus exigeants, surtout à l’égard des plus doués. Cet article suscite, de la part des enseignants et d’autres personnalités du monde scientifique, un afflux de réactions dont certaines sont publiées par l’organe central du Komsomol, et rééditées un an plus tard dans une brochure spéciale, au tirage limité (un peu plus de 100 000 exemplaires)149.
83Quelques mois plus tôt, lors de la réunion extraordinaire de juillet 1961, Stoletov avait publiquement souligné la légitimité des savants à peser sur les choix en matière d’enseignement supérieur :
L’État soviétique a toujours mis à la tête du supérieur les savants eux-mêmes. Là réside la force immense de notre démocratie socialiste. Aujourd’hui, il faut encore élargir la participation des savants à la résolution des problèmes du supérieur, à sa direction. A l’évidence, le temps est venu […] d’inviter les savants […] sous forme de commissions spéciales temporaires, de comités dont les membres seraient, le temps de leur travail, libérés de leur activité d’enseignement.150
84Même si on peut s’interroger sur le sens qu’accorde au terme de « savant » cet ancien promu du lyssenkisme, son propos témoigne d’une volonté d’ouverture à l’égard de ceux qui avaient contesté le projet officiel d’Elûtin, en septembre 1958. Peu après, c’est au tour du président de l’APN, Kairov, de reconnaître deux fois, à propos du niveau de connaissances exigé à la sortie du secondaire, puis de la surcharge des programmes : « ici, ce sont les savants-spécialistes qui doivent dire ce qu’ils pensent (Zdes’svoe slovo dolžny skazat’učenye-specialisty) ». Le vice-président de l’AN SSSR, Aleksandr Topčiev, chimiste de formation devenu, après la guerre, un « administrateur » de la science soviétique, propose même que le collège du MVSSO SSSR comprenne un représentant de l’académie. À un autre niveau, Ivan Petrovskij, recteur de MGU, regrette que de nombreux VUZ « ne prennent pas en compte l’opinion de la communauté scientifique au sens large » pour nommer professeurs et enseignants151. Le recteur de l’université de Tartu, Fëdor Klement, suggère de donner aux commissions d’admission le droit de sélectionner individuellement les étudiants, sans appliquer à la lettre toutes les règles en vigueur ; quant à Mihail Nužin, recteur de l’université de Kazan, il affirme sa conviction que « le processus de développement de la science et celui de la formation des cadres ne font qu’un seul »152. Peu après, le chimiste Žavoronkov préconise à son tour le renforcement des liens entre VUZ et instituts de recherche153.
85Dans cet ensemble de revendications, l’accent est donc mis sur l’importance de la recherche et des critères académiques : l’échelle des valeurs s’écarte de celle des slogans de l’époque, tel le fameux « apprendre de la vie, apprendre pour la vie » (Učit’sâ u žizni, učit’sâ dlâ žizni)154. À l’injonction officielle du « rapprochement avec la production », les universitaires substituent ainsi leur propre définition du mot « vie » : Lavrent’ev, lors de son rapport au XXIe Congrès du Parti, en janvier 1959, entend par ce terme l’actualité de la recherche155. Parallèlement, le prestige et l’autorité des savants atteignent un niveau inédit, au début des années 1960. On connaît le succès du film Neuf jours d’une année (Devât’dnej iz odnogo goda), tourné par Mikhaïl Romm en 1962 à Moscou : il montre le sacrifice d’un jeune physicien atomiste, qui accepte de subir des doses mortelles de radiations, dans l’intérêt de la science et du progrès qu’elle va apporter à l’humanité, malgré la souffrance de ses proches. À cette époque, d’après une enquête menée par Vladimir Šubkin, la profession de « savant » vient au premier rang des aspirations des écoliers156.
86Le fait que cette dernière réponse émerge à Novossibirsk n’est pas anodin : dans la « Cité académique » de cette ville, les scientifiques ont entrepris la construction d’un système de formation et de recherche inédit qu’ils comptent proposer, grâce à sa médiatisation, au reste du pays.
C. Novossibirsk, université « d’un nouveau type »
87La naissance à Akademgorodok d’une université spécialement orientée vers la recherche coïncide avec le lancement de la grande réforme khrouchtchévienne de l’enseignement secondaire et supérieur : s’il ne faut y voir qu’un hasard de calendrier, en revanche l’analyse des discours et des modalités de fonctionnement de cet établissement, considéré comme hors du commun par ses inspirateurs, montre qu’il se place sur une voie marginale, par rapport aux tendances générales imposées au même moment à la plupart des VUZ du pays. L’influence de Lavrent’ev est, à nouveau, déterminante : mais, au-delà d’une histoire officielle qui fait de lui le « grand homme » du SO AN SSSR, c’est plus largement l’idéal d’une large partie de la communauté scientifique qui s’exprime ici157. On y retrouve, au passage, l’écho du modèle humboldtien, qui a également cours dans les milieux universitaires occidentaux, en particulier en République fédérale d’Allemagne mais aussi en France, après 1945158.
88L’université de Novossibirsk (désormais : NGU) fut créée le 9 janvier 1958 par décret du CM d’URSS, suite à une décision du secrétariat du CC du PCUS du 4 septembre 1957159. Le projet initial, présenté par le Présidium de l’Académie en octobre 1957, prévoyait de faire de cet établissement un VUZ à part, sur de nombreux points, en particulier avec « des règles d’admission spécifiques »160. Mais la direction du pays avait alors préféré suivre les indications du Gosplan, préconisant d’attendre la mise en route de NGU pour résoudre les questions concernant son fonctionnement161. Lavrent’ev, enseignant à MGU, a occupé plusieurs postes de direction dans les institutions scientifiques de l’Ukraine et de toute l’Union. Sa position de vice-président de l’AN SSSR (en tant que président du SO AN SSSR) lui permet de s’adresser directement à Khrouchtchev, le 17 juin 1958, pour demander au nom de l’Académie le droit de sélectionner, au moyen des commissions de MGU, 250 étudiants, afin qu’ils poursuivent leurs études à Novossibirsk, quand l’université sera construite162. La réponse du Gosplan, dont l’avis est encore une fois suivi par le CM d’URSS, est négative : le responsable chargé du dossier, A. Šalin, préconise avec Mihail Prokof’ev, ministre adjoint de l’Enseignement supérieur, de sélectionner les futurs étudiants de NGU au sein des VUZ existant déjà à Novossibirsk, comme l’Institut d’ingénierie et de construction – ajoutant que le SO AN SSSR pourra toujours embaucher par la suite des diplômés en sciences de MGU163.
89Ce récit tranche avec les souvenirs de certains acteurs de l’aventure de l’Akademgorodok. Ol’ga Marčuk, arrivée en 1962 à NGU, reproduit, quarante ans après, l’image d’une méritocratie scientifique ouverte aux catégories populaires :
Qui admettre dans la future université ? Des centaines de jeunes gens et de jeunes filles étaient venus des quatre coins du pays pour construire un centre scientifique en Sibérie : beaucoup avaient une instruction secondaire, et voulaient prolonger leurs études. En décembre 1958, des jeunes de l’institut de mécanique se présentèrent au comité du Komsomol et proposèrent d’organiser des cours préparatoires pour les personnes désirant entrer à l’université. Ils se disaient prêts à travailler gratuitement dans ces cours. Le comité soutint cette idée, et les cours commencèrent.164
90Très vite, NGU semble logée à la même enseigne que les autres VUZ du pays, avec 10 à 12 bacheliers par place, au début des années 1960. Marčuk, alors secrétaire de la Commission d’admission de l’université, se souvient que « des centaines de jeunes gens et leurs parents venaient pour les entretiens, afin de prouver leurs droits à une inscription prioritaire »165. Beaucoup tentaient alors de faire jouer leurs relations :
Les discussions avec les parents étaient particulièrement difficiles, surtout avec ceux qu’on connaissait. Heureusement pour moi, à cette époque je connaissais très peu de monde à Novossibirsk. Le recteur m’accorda le droit de trancher seule en tout, et pas une fois il ne modifia ma décision.166
91Le plus délicat était de définir les critères prioritaires, pour départager les candidats ayant obtenu le même nombre de points au concours d’entrée : avoir un diplôme des olympiades de physique et mathématiques, faire bonne impression lors de l’entretien, avoir travaillé deux ans dans la production, avoir fait son service militaire… D’après Marčuk, le recteur de NGU trouvait toujours la décision juste, et ne reçut aucune plainte de la part des intéressés ; il est probable que l’université de Novossibirsk avait, dans ce domaine, une marge de manœuvre plus ample que les autres VUZ de rang équivalent.
92Sans disqualifier totalement ce témoignage, il faut remarquer l’ambiguïté qui caractérise le recrutement de cet établissement : elle est similaire à celle qui prévaut, quelques années plus tard, pour la fizmatškola de Novossibirsk. D’un côté, les savants se défendent de vouloir créer un lieu de reproduction sociale endogène ; de l’autre, le public convoité est celui des enfants de l’intelligentsia urbaine, même si on leur adjoint ceux qui sont recrutés au moyen des olympiades et de l’école-internat, depuis 1963167. Cette ambivalence tient à l’impératif qui commande la création de NGU, considérée comme vitale pour le succès du SO AN SSSR. Sobolëv confirme que c’est l’obsession d’assurer une postérité académique à leurs travaux qui a poussé les scientifiques à faire naître NGU :
L’idée de la fondation de l’université à Akademgorodok était dans l’air du temps. A mon avis, elle s’imposa simultanément à tous les initiateurs du SO AN, parce que tous, nous comprenions que sans un flux constant de jeunes gens, il était impossible de fonder de véritables écoles scientifiques.168
93Non seulement Sobolëv rejette implicitement une vision du passé qui se focaliserait sur la figure de Lavrent’ev, présenté comme le père de toutes les réalisations du Département sibérien (« ici, il n’y a pas d’auteur unique »), mais en outre, il souligne l’héritage direct des physiciens atomistes, dont il est personnellement assez proche :
La fondation de l’université est logiquement liée à l’expérience de l’institut physico-technique de Moscou (MFTI). Il était clair qu’il fallait poursuivre à Akademgorodok dans la ligne tracée par le MFTI (Fizteh), de sorte que le système de NGU n’est pas sorti du néant : nous avons adapté, en la modifiant, une expérience déjà existante. Celle de la faculté de physique et de technique de l’institut polytechnique de Leningrad nous a également influencés. On sait que c’est justement là que s’est formée une école qui a donné au pays ses physiciens atomistes, que la faculté de physique et de technique de Leningrad était liée à un institut de recherche scientifique. C’était un établissement d’enseignement absolument à part, et c’est là qu’on a commencé à former des cadres comme on l’a fait ensuite au MFTI et à NGU.169
94La filiation avec le MFTI est déterminante : elle est confirmée par les témoignages de certains savants appartenant au groupe qui a fondé ce dernier, en 1951, parmi lesquels on compte Nikolaj Semënov, Lev Landau, Pëtr Kapica170. On retrouve donc certains des liens qui s’étaient révélés dans la composition du groupe d’intervenants critiques à l’égard du projet khrouchtchévien, en 1958171. Le « système MFTI » est en effet le produit d’une réflexion engagée dès les débuts du « projet atomique soviétique » : inspiré d’un décret du Conseil des commissaires du peuple d’URSS du 28 novembre 1946 « sur les mesures concernant la formation des spécialistes en physique », il mettait en relation la recherche fondamentale et ses applications, dans un souci de relier en permanence connaissances théoriques, expériences et processus de production172. Kapica, lors d’une allocution prononcée en 1963 au MFTI, avait d’ailleurs rappelé qu’il était né de la volonté de rapprocher les mondes de la recherche et de la formation des jeunes cadres scientifiques, dans l’intérêt de ces derniers, mais aussi de leurs aînés, car « un bon savant, quand il enseigne, en apprend toujours lui-même quelque chose »173. Il avait ajouté qu’il y avait encore « beaucoup à faire » dans cette direction174. Par ailleurs, certains étudiants des établissements mentionnés par Sobolëv furent, en plus de ceux de MGU, invités à poursuivre leurs études à NGU : c’est le cas de V. Štern, alors étudiant en 3ème année à la faculté de physique et de technique de l’institut polytechnique de Leningrad : il arrive à Novossibirsk en novembre 1959175. Il est ainsi probable que plusieurs des enseignants-chercheurs invités à Novossibirsk aient suivi l’exemple de Lavrent’ev lui-même, qui amena avec lui à l’Akademgorodok quelques élèves du MFTI, où il enseignait depuis 1955176.
95Ûrij Rešetnâk, ancien étudiant d’A. Aleksandrov à Leningrad, raconte comment il a décidé de partir pour Novossibirsk, dès 1957. Aux côtés de Sobolëv, il met en place l’institut mathématique d’Akademgorodok, et participe aussi aux débuts de NGU, véritable « creuset (kuznica) de cadres » pour le SO AN SSSR, comme le montrent les contenus enseignés :
L’élaboration et la discussion des premiers plans d’études pour les mathématiciens eurent lieu sous la direction d’I.N. Vekua, avec la participation de M.A. Lavrent’ev et d’A.I. Mal’cev. Ces derniers s’appuyèrent sur la riche expérience accumulée par les meilleures universités du pays, en s’efforçant d’insuffler dans l’enseignement de la faculté de mathématiques l’actualité de la science, en tenant compte des principales tendances du développement des mathématiques et de leurs applications. En particulier, pour la première fois dans une université fut introduit un cours de logique mathématique. Les physiciens s’inspirèrent de l’organisation des facultés de physique et de technique.177
96Le mathématicien Il’â Vekua, le premier recteur de NGU, officiellement nommé en janvier 1959, a d’ailleurs enseigné au MFTI de 1951 à 1957178. Ainsi se met en place, par le biais des relations personnelles entre scientifiques, un système cohérent, prêt à l’emploi, même si les débuts en sont marqués, du point de vue de l’organisation pratique et matérielle, par une grande part d’improvisation. En septembre 1959, les cours commencent alors que la cité universitaire n’est pas encore achevée : les premiers étudiants habitent dans des tentes de fortune, et les cours ont lieu le soir dans le bâtiment de l’école secondaire, qui vient d’ouvrir. D’après Ol’ga Marčuk,
c’est ainsi que les académiciens Lavrent’ev, Sobolëv, Vekua, le doktor ès sciences physico-mathématiques Lâpunov et d’autres savants se mirent à venir chaque soir chez les étudiants, et à leur parler de la science et des savants. En septembre, en Sibérie, il fait déjà froid, surtout la nuit […] Malgré cela, les conversations autour d’un feu de camp avec ces grands savants les inspirèrent à tel point que presque aucun étudiant n’abandonna, et ils supportèrent la vie sous des tentes pendant tous les mois de septembre et d’octobre.179
97Ce récit des premiers temps n’est pas exempt d’une part d’héroïsation, dont les raisons sont à rechercher à la fois dans la nature de notre source, et dans le contexte de sa rédaction – la fin des années 1990, époque d’incertitude et de déclin, en termes de position sociale, pour les savants de l’Akademgorodok180. La qualité des enseignants de NGU est soulignée à maintes reprises par les témoins et les acteurs eux-mêmes : Marčuk parle des « coryphées » (Štern, des « astres (svetila) »), parmi lesquels figurent, sans surprise, Lavrent’ev, Hristianovič, Vekua, Lâpunov, Sobolëv, et d’autres181. L’université-champignon fondée au cœur de la Sibérie en 1959 peut ainsi rivaliser avec celles de Moscou et Leningrad. Les responsables locaux défendent alors cette conception élitiste de l’université d’Akademgorodok : le secrétaire de l’obkom du Parti écrit ainsi à l’Otdel nauki RSFSR, en mai 1960, que l’université a été « pensée comme un VUZ d’un nouveau type, assurant la formation des cadres scientifiques avec l’aide des forces scientifiques des instituts de SO AN SSSR, sur la base de leur équipement »182. Vingt jours plus tard, Nikolaj Kaz’min, chef de l’Otdel nauki RSFSR, confirme que l’université doit avoir un fonctionnement particulier, notamment en ne recrutant pour les cours que des chercheurs déjà sur place183. La liste des 57 enseignants est impressionnante : on y compte huit académiciens, quatorze membres correspondants, plus sept doktor et vingt-huit kandidat ès sciences184. En octobre 1960, Lavrent’ev réaffirme dans la Pravda la conception particulière qui préside au fonctionnement de NGU :
Chez nous, à l’Akademgorodok, c’est sur le principe du rapprochement de la science et des études qu’a été fondée l’université de Novossibirsk. Le département sibérien de l’Académie des sciences la considère comme la chair de sa chair, mais pour lui accorder de l’aide nous nous heurtons à nombre de désagréments de la part des autorités financières.
98Cette tribune montre, une fois de plus, le sens de la médiatisation du fondateur d’Akademgorodok : comme pour l’enseignement secondaire, sa position consiste à présenter l’intérêt des savants comme celui de la « science soviétique » en général, en insistant sur l’enjeu du développement des régions « périphériques ». Cet argument ne pouvait que plaire aux dirigeants, comme Khrouchtchev, prompt à dénoncer la domination de Moscou sur le reste du pays185. Déjà, le 13 juin 1959, Vekua avait affirmé dans la Pravda :
L’université de Novossibirsk est appelée à devenir un des principaux foyers de la formation des cadres hautement qualifiés pour les régions orientales du pays. L’université de Novossibirsk n’est pas seulement un nouveau VUZ. C’est une université d’un nouveau type. Elle n’aura pas de laboratoires propres, toute l’activité d’études et de recherche scientifique de l’université se fera sur la base des instituts de recherche et des entreprises industrielles. Les étudiants, parallèlement aux études, travailleront dans les centres de recherche du SO AN SSSR et dans les laboratoires d’usines et les bureaux d’études de la ville de Novossibirsk. En outre, chaque étudiant bénéficiera de la possibilité de se familiariser avec les dernières avancées de la science et de la technique, de se servir des nouveaux outils et appareils, de participer directement à la résolution de problèmes scientifiques et pratiques actuels.186
99Par « nouveau type », les académiciens entendaient à la fois une forme de décentralisation – argument efficace, encore une fois, pour recevoir les crédits demandés – et un rapprochement entre recherche et enseignement qui renvoyait, indirectement, au modèle de L’idée d’université de Karl Jaspers187. Parallèlement, ce qualificatif leur permettait de se distinguer des orientations prises dans les autres VUZ (développement des filières « sans rupture avec la production », et « rapprochement avec la vie »). En témoigne l’absence de faculté par correspondance à NGU, dans les premières années. En juillet 1961, lors de la réunion des responsables du supérieur au Kremlin, Vekua défend une nouvelle fois la spécificité de son établissement : insistant sur le rôle central des universités dans la formation des scientifiques, il préconise le renforcement des contacts entre les VUZ et les instituts de recherche scientifique, sur l’exemple de ce qui se passe dans son université : à partir de la 3ème année, les étudiants suivent des travaux pratiques et des séminaires dans les instituts environnants188. Il propose également qu’on crée à Novossibirsk une institution chargée d’organiser des cours et des conférences de scientifiques soviétiques et étrangers à travers le pays189. Cet article a été remarqué au sommet de l’appareil du Parti : le Premier secrétaire y fait référence dans un document de travail préparé en 1963 en vue d’améliorer la formation des jeunes chercheurs scientifiques190. Avec NGU, la communauté scientifique est ainsi devenue un acteur à part entière de la politique conduite en matière d’enseignement supérieur, et l’idée de transférer cet établissement à l’AN SSSR, évoquée, entre autres, par Lavrent’ev, traduit à la fois l’aspiration à l’autonomie, et l’ambition de voir le modèle des savants influencer l’ensemble des VUZ du pays191.
100Sur le moment, les autorités centrales de RSFSR semblent ignorer le phénomène NGU : Stoletov n’accorde pas une grande importance à cette expérience, préoccupé qu’il est par les retards pris dans la formation des cadres de formation supérieure et intermédiaire. Il est vrai que la part des universités est toujours très minoritaire dans l’ensemble du système : en 1963/1964, elles représentent à peine 310 000 étudiants sur les 3,260 millions que compte toute l’URSS, soit moins de 10 %192. En mars 1963, lors d’une réunion des directeurs de VUZ de la république organisée sous l’égide du MVSSO, A. Gorbanev, vice-président du Comité pour la coordination de la recherche scientifique de RSFSR, fait référence aux rapports établis entre l’université et les instituts de recherche de Novossibirsk comme « une des formes les plus importantes d’amélioration de la formation des cadres, par le biais du rapprochement des savants et des étudiants »193. Khrouchtchev lui-même le reconnaît dans une note préparatoire à une séance du Présidium du CC du PCUS sur la réforme de l’AN SSSR au printemps 1963 – mais il n’en fait pas état publiquement, ni aucun autre grand dirigeant194.
101NGU est donc devenu un modèle pour une partie des hauts responsables de l’enseignement supérieur, même si l’administration ministérielle est plus réservée dans ses déclarations. Le pouvoir central, quant à lui, ne semble guère prêter attention aux spécificités de cet établissement, et lui préfère d’autres vitrines pour sa propagande extérieure : en particulier la toute récente université de l’Amitié des peuples (UDN), fondée en 1960 à Moscou et destinée à former les élites des pays du Tiers monde naissant195. Cette dernière illustre le caractère démocratique de l’enseignement soviétique, gracieusement ouvert à toutes les « races ».Vu du Kremlin, le prestige du système éducatif soviétique passe d’abord par les chiffres fantastiques de l’augmentation du nombre de diplômés en URSS, ainsi que par les performances scientifiques et techniques telles que le premier vol spatial d’un humain : Iouri Gagarine le 12 avril 1961196. L’innovation pédagogique et la relation entre enseignement et recherche intéressent bien moins les dirigeants que ces événements abondamment médiatisés.
Conclusion : vers une « recherche et développement » à la russe ?
102La démocratisation sociale comme le « rapprochement avec la vie » sont finalement deux mirages qu’une lecture des archives des ministères et des témoignages des acteurs de l’époque permet de dissiper. Une des preuves les plus convaincantes du désaveu de la politique du Premier secrétaire dans ces années est la promotion discrète mais résolue, par certains scientifiques, d’un nouveau modèle d’université à Novossibirsk. S’y retrouvent de nombreux intervenants des débats qui ont eu lieu sur l’enseignement depuis 1958, autour de l’idéal scientiste qu’ils déploient, à la même époque, dans l’enseignement secondaire, au nom d’une autre forme de méritocratie. Dans un cas comme dans l’autre, la tendance à l’autonomie de la communauté scientifique et universitaire peut être confondue avec la défense d’intérêts particuliers, voire d’une reproduction sociale en circuit fermé. Pourtant, Akademgorodok est plus qu’un microcosme construit à l’abri des directives centrales : les scientifiques y proposent aussi une voie alternative pour le système scolaire et universitaire. Il s’agit, dans un espace encore vierge, de concilier science et formation, mais aussi industrie : recherche et développement, tel pourrait être le credo des savants groupés autour de Lavrent’ev, Sobolëv et Hristianovič197. Portés par leur autorité intellectuelle et sociale, voire morale, et le soutien institutionnel qu’ils tirent de l’importance stratégique de leurs travaux, ils se servent de leur prestige comme d’une tribune d’expertise et de proposition.
103À l’échelle du pays, le résultat de cette initiative est encore modeste, au milieu des années 1960. Le contraste existant entre les meilleurs VUZ centraux et les petits instituts périphériques se renforce, malgré les velléités décentralisatrices de la direction du MVSSO RSFSR. Le modèle de Novossibirsk inspire les grands pôles universitaires, où recherche et études, mais aussi développement technique sont étroitement associés, alors que les filières d’enseignement « sans rupture avec la production » restent une forme de qualification au rabais, d’où travailleurs de l’industrie et de l’agriculture ne tirent qu’un faible bénéfice, quand ils y ont accès. Faute de moyens appropriés, et d’un consensus entre les différents acteurs, l’enseignement supérieur en RSFSR ne se démocratise donc qu’en apparence, et le fossé entre les contenus enseignés et les besoins de l’économie reste fort dans nombre de filières.
104Pour autant, tout n’est pas sombre dans le tableau qu’on peut faire des transformations du supérieur à l’époque khrouchtchéviene. En 1965, au moment où se clôt notre étude des réalités du système d’enseignement soviétique, un ouvrage est édité par le Massachussets Institute of Technology à Boston, dont le titre évoque « La recherche et développement soviétique »198. Il porte en épigraphe une phrase d’Aleksandr Aleksandrov, recteur de l’université de Leningrad que nous avons déjà rencontré, extraite d’un article publié dans les Izvestiâ trois ans plus tôt, et surtout il mentionne comme centres de recherche majeurs du pays, en plus des grandes universités des capitales, l'institut physico-technique de Moscou (MFTI), pointant sa relation privilégiée avec l'Académie des sciences199. Ainsi, l’orientation nouvelle d’une partie de l’enseignement supérieur soviétique vers une recherche fondamentale et appliquée plus offensive n’est pas passée inaperçue auprès des observateurs les plus intéressés des réalités soviétiques, à savoir les soviétologues occidentaux, au cœur de la puissance scientifique et intellectuelle des États-Unis.
Notes de bas de page
1 RGANI, 5 (appareil du CC du PCUS)/35 (Département de la science, des VUZ et des écoles)/93, p. 167-168. Intervention d’Aleksandr Nesmeânov à la réunion de l’Otdel nauki du CC du PCUS, le 19 septembre 1958. Nesmeânov a été recteur de MGU de 1948 à 1951.
2 GARF, R-9396 (MVO SSSR)/1 (Chancellerie)/822, p. 22. Protocole de la séance du collège du MVO SSSR, mars 1958.
3 RGASPI-M, 1 (Komsomol)/5 (réunions au CC du VLKSM)/730, p. 18. Sténogramme du séminaire des secrétaires des comités du Komsomol des instituts pédagogiques de toute l’Union sur l’état et les mesures d’amélioration de la formation des cadres pédagogiques en rapport avec la loi « Sur le renforcement du lien de l’école avec la vie… », 5 avril 1960, Leningrad. Intervention du haut fonctionnaire du Minpros RSFSR V. Orlov.
4 Hélène CARRERE D’ENCAUSSE, Le pouvoir confisqué. Gouvernants et gouvernés en URSS, Paris, Flammarion, 1980, p. 61.
5 Extrait de la note de janvier 1958 publiée dans A. A. FURSENKO (éd.), Prezidium CK KPSS 1954-1964. Černovye protokol’nye zapisi zasedanij. Stenogrammy. Postanovleniâ. / T. 3. Postanovleniâ. 1959-1964, Moscou, ROSSPÈN, 2008, p. 812 : voir supra, chapitre 5, I, A. Le propre gendre de Khrouchtchev, Adžubej, avait commencé à la fin des années 1940 des études à l’école-studio du Théâtre d’art académique de Moscou (MHAT), avant de s’inscrire au département de journalisme de la Faculté des lettres de MGU.
6 RGANI, 5/35/93, p. 150. Voir supra, chapitre 6, III).
7 Ibid., p. 151.
8 « Le plus important dans le système d’enseignement », Pravda, 25 novembre 1958. Le chiffre de 1958 est faux, comme le montrent les données statistiques fournies par les archives : voir infra, B.
9 GARF, R-9396/1/847, p. 369 (protocole du 10 octobre 1958).
10 GARF, R-7523 (Soviet Suprême d’URSS)/45 (commission des projets de lois du Soviet de l’Union)/212, p. 41. Extrait d’une lettre d’A. M. Osepân (Erevan) à la Commission des projets législatifs du Soviet suprême d’URSS, automne 1958.
11 Texte reproduit dans Istočnik, no 6 (66), 2003, p. 97-100 ; p. 98 pour la citation. Voir des extraits en annexe (texte 28).
12 Voir supra, chapitre 5.
13 Pravda et Izvestia, 4 avril 1959.
14 Le décret prescrit également l’anonymat des copies, et la double correction.
15 Pravda et Izvestia, 5 avril 1959.
16 RGANI, 5/35/95, p. 112. Le même affirme que ce changement ne doit pas entraîner une baisse de niveau, même temporaire, car « nous ne sommes plus dans les années 1920, lorsqu’il nous fallait de toute urgence recruter en VUZ, à la sortie des rabfaki, des gens sans formation ».
17 GARF, R-9396/1/847, p. 369 (protocole du 10 octobre 1958).
18 Voir le schéma 3, reproduit à partir de Tamara REVENKO, L’enseignement supérieur en U.R.S.S., Notes et Études Documentaires no 4176-4177-4178, Paris, La Documentation française, 10 avril 1975, p. 17.
19 GARF, A-605 (MVSSO RSFSR)/1 (Chancellerie)/362, p. 2. Le texte précisait aussi que 1 258 places en VUZ (sur 215 800), pour toute la RSFSR, étaient réservées aux représentants des « minorités locales » : c’était là la continuation d’une politique de discrimination ethnique remontant aux années 1920.
20 CMAM (Archives centrales de la ville de Moscou) 1609 (MGU)/2 (séances du rectorat)/567. Protocole du 20 juin 1961 sur la création de cours préparatoires dépendant de MGU, avec des filiales dans d’autres villes. Je remercie Benjamin Tromly pour cette référence.
21 Voir supra, chapitre 2.
22 Tamara REVENKO, L’enseignement supérieur…, op. cit., p. 62-63. Les graphiques 13 et 14 en sont directement tirés : ils présentent une image simplifiée et théorique de la situation, ne tenant pas compte des pratiques réelles à l’admission en VUZ.
23 N. I. FEŜENKO, « Iz istorii sovetskoj vysšej školy konca 50-h godov (Podgotovka i social’nye posledstviâ osuŝestvleniâ zakona ob ukreplenii svâzi školy s žizn’û », Vestnik Moskovskogo Universiteta, Série 8, Histoire, 1979, no 5, p. 17-29 ; p. 18.
24 RGANI, 5/37/75, p. 131. Rapport de la CSU SSSR au CC du PCUS, non daté. Voir aussi le graphique 18.
25 GARF, A-605/1/817, p. 53. Rapport d’activité du MVSSO RSFSR adressé au Conseil des ministres de RSFSR, novembre 1961.
26 GANO, 377 (université de Gorki)/8 (années 1932-1972)/882, p. 123. Séance du collège de GGU, novembre 1960.
27 Ibid, p. 171.
28 Voir le texte 30 en annexe, p. 573-583.
29 GANO, 377/8/886, p. 27 et 377/8/932, p. 2.
30 RGANI, 5/37/75, p. 126 et suivantes. On trouve le même document dans les archives de la CSU SSSR : RGAE, 1562 (CSU SSSR)/327 (activité organisationnelle (1941-1963))/1104, p. 117-136. Voir les graphiques 15, 16 et 17.
31 Ibidem. Voir les graphiques 19 et 20.
32 GARF, R-5446 (Conseil des ministres d’URSS)/93 (Direction des affaires)/150, p. 67-71. Le document, signé par le président de la Commission, Georgij Enûtin, est daté du 22 juin 1959.
33 E. V. ČUTKERAŠVILI, Razvitie vysšego obrazovaniâ v SSSR (Le développement de l’enseignement supérieur en URSS), Moscou, Vysšaâ škola, 1961, p. 229.
34 RGAE, 1562/17/3370, p. 20.
35 E. V. ČUTKERAŠVILI, Razvitie…, op. cit., p. 234. Il s’agit de l’ouvrage de Byron Sharpe Hollinshead, Who Should Go to the College, New York, Columbia University Press, for the Commission on Financing Higher Education, 1952, 190 p.
36 E. V. ČUTKERAŠVILI, Razvitie…, op. cit., p. 237.
37 Ibid., p. 233.
38 Vsesoûznoe soveŝanie rabotnikov vysšej školy v Kremle, Moscou, Vysšaâ škola, 1961, p. 25.
39 Vestnik vysšej školy, no 4, 1964, p. 33.
40 GANO, 377/8/995, p. 18.
41 Un exemplaire de cette missive, tirée à 7 000 exemplaires, se trouve dans les archives de GGU : GANO, 377/8/934, p. 273. Le texte du décret du 20 janvier 1960 est paru dans Sobranie postanovlenij pravitel’stva SSSR, 1960, no 3, p. 15. La réduction des forces armées concerna plus d’un million de personnes.
42 La question est par exemple évoquée par le secrétaire du Komsomol de l’institut polytechnique de Kuibyshev, lors de la réunion spéciale consacrée à l’application de la loi dans cette ville : RGASPI-M, 1/5/688, p. 22-23. Sténogramme du séminaire des secrétaires du Komsomol des VUZ des villes de la Volga, 10 avril 1959. Voir aussi le témoignage d’un responsable de l’institut pédagogique de Tcheliabinsk, indiquant que les étudiants de son institut aident les ouvriers de l’usine de tracteurs de la ville à se préparer aux concours : RGASPI, 1/5/719, p. 55. Sténogramme de la réunion de l’active des Sociétés scientifiques étudiantes de toute l’Union, séance de la section des universités et des instituts pédagogiques, 5 février 1960. Sur cette réunion, voir infra, III) A.
43 N. I. FEŜENKO, « Iz istorii… », article cité, p. 28-29.
44 Collectif, Sovetskaâ intelligenciâ. Istoriâ formirovaniâ i rosta. 1917-1965 gg., Moscou, 1968, p. 406. De façon significative, les auteurs ne précisent pas s’il s’agit là de « position » ou d’« origine » sociale.
45 Cité dans Murray YANOWITCH, Social and Economic Inequality, op. cit., p. 165.
46 Cité par Hélène CARRERE D’ENCAUSSE, Le pouvoir…, op. cit., p. 61.
47 Elle est alors pratiquée à MGU : voir CMAM, 1609/2/529. Rapport sur le déroulement de l’admission de 1959. Je remercie Benjamin Tromly pour cette référence.
48 GANO, 377/8/885, p. 1-2.
49 Voir par exemple les résultats de l’admission dans les facultés de chimie et de radiotechnique, en 1962 : GANO, 377/8/988, p. 68-69.
50 GANO, 377/8/996, p. 56. Sur 670 admis, au total, en 1960, 310 (soit 46 %) avaient une expérience de travail d’au moins deux ans, mais seulement 10 (1,5 %) étaient recommandés par leur entreprise.
51 N. I. FEŜENKO, « Iz istorii… », article cité, p. 27.
52 M. N. RUTKEVIČ, F. R. FILIPPOV, Social’nye peremeŝeniâ, Moscou, 1970, p. 133. Le fait que Rutkevič ait été, un an plus tard, placé à la tête de l’institut des recherches sociologiques de l’AN SSSR, en 1972, à la place d’Aleksej Rumâncev, alors qu’en étaient exclus d’autres chercheurs moins dogmatiques comme Ûrij Levada, éclaire son hostilité à l’égard de cette conception plus souple de l’appartenance de classe. Cette dernière pouvait correspondre, à ses yeux, à un signe de l’influence de la sociologie « bourgeoise », qu’il prétendait combattre. Voir B. M. FIRSOV, Istoriâ sovetskoj sociologii 1950-1980-h godov : kurs lekcij, Saint-Pétersbourg, Evropejskij Universitet, 2001, p. 39.
53 Voir Martine MESPOULET, « La “renaissance” de la sociologie en URSS (1958-1972). Une voie étroite entre matérialisme historique et recherches sociologiques concrètes », Revue d’histoire des sciences humaines, 2007, no 16, p. 57-86.
54 Antoine PROST, « Pour une histoire sociale du temps présent », dans Écrire l’histoire du temps présent. Études en hommage à François Bédarida, Paris, Editions du CNRS, 1993, p. 356-358. Cité dans Christian DELACROIX, François DOSSE, Patrick GARCIA, Histoire et historiens en France depuis 1945, Paris, ADPF, 2003, p. 229-231.
55 Entretien avec E. Voznesenskaiâ à l’Institut de sociologie de l’Académie des sciences de Russie (Moscou), avril 2002.
56 GANO, 377/8/882, p. 146. Rapport « sur les études et le travail éducatif », daté du 15 septembre 1962.
57 Entretien avec Ûrij Gaponov, ancien étudiant de la faculté de physique de MGU, 2 décembre 2006, Moscou.
58 V. DIMOV, Universitet Lomonosovyh. Krug osnovatelej, klâtvy Vorob’evyh gor, Èpoha I.G. Petrovskogo, Moscou, Izdatel’stvo Moskovoskogo universiteta, 2003, p. 212.
59 Vsesoûznoe soveŝanie…, op. cit., p. 121. Konstantin Skrâbin (1878-1972), spécialiste en biologie animale, est alors vice-président de la VASHNIL.
60 GANO, 377/8/934, p. 58. On ignore si le fils de Širokov, lui-même passé par une rabfak, après plusieurs années de travail à l’usine, avait lui aussi une expérience de travail pratique lors de son entrée en VUZ, en septembre 1959.
61 RGANI, 5/37 (Département de la science, des écoles et de la culture pour la RSFSR)/75, p. 203-204. Les trois coupables prenaient 5 000 roubles (soit le double du salaire mensuel d’un professeur d’université dans une grande ville) pour l’inscription à l’institut de chimie fine et d’industrie pharmaceutique de Leningrad.
62 D. L. KONSTANTINOVSKIJ, « L’égalité en Russie : mythes et réalités », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2000, vol. 31, no 3, p. 69-97 ; schéma 3 p. 90.
63 M. N. RUTKEVIČ, « Počemu student ne prihodit k finišu », Vestnik vysšej školy, 1965, no 7.
64 Entretien du 9 février 2004, Moscou.
65 GANO, 377/8/934, p. 22-25. La lettre est datée du 25 août 1959.
66 Vestnik vysšej školy, 1959, no 1.
67 GANO, 377/8/886, p. 28. Le rapport a été discuté et adopté lors du conseil scientifique de GGU du 25 février 1959.
68 Izvestia, 14 septembre 1962. Aleksandr Minc (1895-1974), académicien depuis 1958, avait assisté à la réunion à l’Otdel nauki du CC du PCUS le 19 septembre 1958, mais sans prendre la parole.
69 Ûnost’, no 6, 1962. La revue est alors dirigée par l’écrivain Boris Polevoj, qui avait été un des premiers à signaler à Khrouchtchev les difficultés rencontrées, dans les campagnes, à l’embauche de jeunes travailleurs qualifiés : voir supra, chapitre 2.
70 Vsesoûznoe soveŝanie…, op. cit., p. 28.
71 N. I. FEŜENKO, Soveŝanie rabotnikov vysšej školy v Moskve 22-24 sentâbrâ 1958 goda i ego rol’v podgotovke « zakona o škole » (1958 g.), Gorki, 1986. Voir aussi supra, chapitre 6.
72 RGANI, 5/37/45, p. 163-164. Note sur le déroulement de la « discussion générale » dans la ville de Leningrad envoyée par le gorkom au Département de la science et des écoles pour la RSFSR, décembre 1958.
73 RGANI, 5/35/120, p. 204-212. Rapport daté du 27 novembre 1959.
74 Voir supra, chapitre 6, et les extraits de son intervention lors de la réunion du 22 septembre 1958 au MVO SSSR, en annexe, en particulier p. 209-210 du document.
75 Entretien du 6 juin 2002, Moscou.
76 Vsesoûznoe soveŝanie…, op. cit., p. 59. Quelques heures plus tard, le ministre de l’Instruction de RSFSR, Afanasenko, lui répond que le maintien de places réservées aux écoliers du secondaire à l’admission en VUZ constitue un stimulant important, qu’il vaut mieux ne pas remettre en cause, et ajoute sur un ton pessimiste : « le sentiment d’inquiétude ne doit pas nous quitter ». Ibid., p. 352.
77 Ibid., p. 77.
78 Ibid., p. 259. Au MVTU, des professeurs de la faculté de mécanique et de technologie avaient déjà demandé, en juin 1959, que la durée du « stage pratique dans la production » soit réduit de deux à une année : GARF, R-5446 (CM d’URSS)/93 (Direction des affaires)/150, p. 53.
79 Vsesoûznoe soveŝanie…, op. cit., p. 236-237.
80 GANO, 377/8/862, p. 83. Protocole de la séance du Conseil scientifique de la faculté de chimie du 27 décembre 1962.
81 GARF, A-259 (Conseil des ministres de RSFSR)/42 (Direction des affaires)/6281, p. 9-11. Lettre datée du 2 avril 1960.
82 GARF, A-605/1/355, p. 233. Lettre datée du 30 octobre 1960.
83 Ibid., p. 239.
84 Le cas particulier de l’université de Novossibirsk (NGU) est étudié plus en détails, infra, III) C.
85 GARF, A-605/1/367, p. 111-130. Tableau reconstitué.
86 GARF, A-605/1/355, p. 238.
87 GARF, A-605/1/354, p. 80-82. Lettre datée du 21 janvier 1960.
88 Ibid., p. 74. Lettre du 23 janvier 1960.
89 Voir par exemple GARF, A-259/42/6112, p. 12. Lettre du vice-premier ministre de RSFSR V. Râbikov, adressée au Gosplan d’URSS, datée du 16 mai 1960. Un mois plus tard, le Gosplan donne son accord à une augmentation de 11 725 admis supplémentaires, dont 7 600 en études de jour, pour toute la RSFSR : Ibid., p. 13.
90 Ibid., p. 29.
91 GARF, A-259/42/7799, p. 5-14. Rapport daté du 8 mai 1961.
92 Voir supra, chapitre 5, et la notice biographique d’Enûtin, en annexe.
93 GARF, A-259/42/7799, p. 7.
94 Ibid., p. 7-8.
95 Ibid., p. 12.
96 Ibid., p. 21-30. Rapport daté du 4 mars 1961.
97 Ibid., p. 28.
98 RGANI, 5/37/75, p. 134.
99 GARF, A-259/42/7803, p. 7. Document non daté. La pénurie est plus sensible encore dans les nouvelles technologies : dans la construction de machines électriques, la construction d’instruments et en radiotechnique, la demande n’est satisfaite qu’à 20-23 %.
100 GARF, A-259/42/7804, p. 43. Document non daté.
101 GARF, A-259/42/7804, p. 53. Lettre du 17 mars 1961.
102 GARF, A-605/1/1562, p. 347. Document date de mars 1963.
103 Georges SOKOLOFF, « Reproduction élargie des cadres supérieurs en Union soviétique », Annuaire de l’URSS, tome II, Paris, CNRS, 1964, p. 333-365 ; p. 350.
104 Nikita KHROUCHTCHEV, Les chiffres de base du développement de l’économie nationale de l’URSS pour 1959-1965. Rapport au XXIe Congrès extraordinaire du PCUS. 27 janvier 1959, Moscou, Éditions en langues étrangères, 1959, p. 76.
105 Voir Tamara REVENKO, L’enseignement supérieur…, op. cit., p. 107, et la reproduction de ce tableau, en annexe.
106 La durée des différents cycles d’études n’excédait plus cinq ans et six mois – pour la médecine, « stage pratique » compris. Voir les données par branches dans Tamara REVENKO, L’enseignement supérieur…, op. cit., p. 19.
107 GOPANO, 3 (Obkom du PCUS de Gorki)/2/1022, p. 38-39. Sténogramme de la réunion des enseignants de sciences sociales du 14 octobre 1959.
108 Ibid., p. 65.
109 Ibid., p. 64.
110 Entretien du 20 mars 2002, Moscou.
111 GARF A-605/1/1563, p. 21-22. Sténogramme de la réunion des recteurs de RSFSR, 19 mars 1963.
112 GARF, R-5/30/462, p. 251. Cité par V. A. KOZLOV, O. V. ÈDEL’MAN, È. Û. ZAVADSKAÂ (éds.), Kramola. Inakomyslie v SSSR pri Hruŝeve i Brežneve 1953-1982, Moscou, Materik, 2005, p. 46.
113 Sur les révoltes de la période khrouchtchévienne, et en particulier la plus célèbre, à Novotcherkassk en juin 1962, qui fit au moins 23 morts, voir V. A. KOZLOV, Protivostoânie naroda i vlasti, 1953-1985, Moscou, 2006.
114 Voir Benjamin K. TROMLY, Re-Imagining the Soviet Intelligentsia : Student Politics and University Life, 1948-1964. Thesis (Ph. D.), Harvard University, 2007.
115 RGANI, 89/51/1, p. 2 et 89/6/28, p. 2 ; cité par V. A. KOZLOV et alii, Kramola, op. cit., p. 227.
116 Natal’â GERASIMOVA, « Sobiraâ ustnye svidetel’stva… Professora i studenty 1960-h godah », dans L. S. EREMINA, E. V. ŽEMKOVA (dir.), Korni travy. Sbornik statej molodyh istorikov, Moscou, Memorial, 1996. Cinq ans plus tard, Kapranov, à nouveau exclu pour avoir tenté de fonder un parti politique clandestin, sera condamné à sept ans de camp de régime sévère, pour avoir collé des tracts sur les murs de l’université appelant à la solidarité avec le « Printemps de Prague ».
117 GANO, 377/8/882, p. 283. Rapport « sur les études et le travail éducatif », daté du 15 septembre 1962.
118 Sur la fabrication du phénomène du « parasitisme » et le traitement de la délinquance à l’époque khrouchtchévienne, voir Sheila FITZPATRICK, « Social parasites. How tramps, idle youth, and busy entrepreneurs impeded the Soviet march to communism », et Brian LAPIERRE, « Making hooliganism on a mass-scale. The campaign against petty hooliganism in the Soviet Union, 1956-1964 », Cahiers du monde russe, no 47/1-2, Repenser le Dégel, p. 377-408 et p. 349-376.
119 Sur le culte de la science dans les années 1960, voir en particulier Petr VAJL´, Aleksandr GENIS, 60-e. Mir sovetskogo čeloveka, Moscou, Novoe literaturnoe obozrenie, 2001, et supra, chapitre 6, III, B.
120 Citée dans Natalâ TOMILINA, Andrej ARTIZOV (éds.), Nikita Sergeevič Hruŝev : dva cveta vremeni. Dokumenty Moscou, Meždunarodnyj fond « Demokratiâ », 2009, tome 2, p. 409.
121 Cité dans GARF, R-9396/16/180, p. 115. Ce rapport datant du courant 1957 appelle l’administration des VUZ à organiser cette compétition entre les étudiants.
122 RGASPI-M, 1/5/716 : sténogramme de la réunion de l’active des Sociétés scientifiques étudiantes de toute l’Union, 4-5 février 1960.
123 Ibid., p. 47.
124 Voir des extraits de son intervention, en annexe.
125 RGASPI-M, 1/5/720, p. 85-86.
126 RGASPI-M, 1/5/716, p. 60-62.
127 Ibid., p. 72.
128 RGASPI-M, 1/5/719, p. 177.
129 RGASPI-M, 1/5/719, p. 84-85 ; p. 87.
130 Ibid., p. 94-98. Mihail Dejč (1916-1994), chercheur réputé en mécanique des liquides et des gaz, formé à l’institut polytechnique de Leningrad, est professeur au MEI depuis 1958.
131 Ibid., p. 100 ; p. 103.
132 RGASPI-M, 1/5/716, p. 55.
133 Ibid., p. 177.
134 RGASPI-M, 1/5/719, p. 174 ; p. 181.
135 RGASPI-M, 1/5/720, p. 52.
136 RGASPI-M, 1/5/716, p. 165.
137 Entretien du 21 janvier 2004, Moscou.
138 Cité par N. LEBINA, A. ČISTIKOV, Obyvatel’i reformy. Kartiny povsednevnoj žizni gorožan, Saint-Pétersbourg, Dmitrij Bulanin, 2003, p. 307.
139 RGASPI-M, 1/5/719, p. 41.
140 Ibid., p. 163-164 ; p. 166. Aleksandrov met toutefois en garde les étudiants contre les risques d’une institutionnalisation, et l’établissement d’un statut « formel » de membre de la SNO.
141 Une allocution du président de l’AN SSSR, Aleksandr Nesmeânov était d’ailleurs prévue en clôture de la réunion des représentants des SNO, mais elle fut annulée au dernier moment parce qu’il était souffrant : RGASPI-M, 1/5/721, p. 67. Sténogramme de la séance finale du 6 février 1960.
142 Vsesoûznoe soveŝanie…, op. cit., p. 94-95. Le postulat de ce discours est que « le jour d’aujourd’hui va rapidement se transformer en jour d’hier », du point de vue de l’organisation de la science.
143 Ibid., p. 123.
144 Cité par G. A. CYPKIN (éd.), Aleksandr Nikolaevič Nesmeânov – organizator nauki, Moscou, Nauka, 1996, p. 119.
145 Sur l’origine et l’interprétation de ce slogan, lancé par Staline en 1935, voir supra, chapitre 2, III.
146 Les clichés sont de l’auteur.
147 « Molodym – dorogu v nauku ! », Pravda, 18 octobre 1960.
148 « Kadry – bol’šoj nauke », Izvestia, 17 novembre 1962.
149 Poisk na zarle, Moscou, Pravda, Bibliothèque de la Komsomol’skaâ pravda, 1962, 80 p. ; p. 3-12 pour l’article d’Aleksandrov. Suit un court texte d’Aleksandr Nesmeânov, appelant lui aussi à encourager davantage les jeunes talents à l’université (p. 12-16).
150 Vsesoûznoe soveŝanie…, op. cit., p. 84.
151 Ibid., p. 161.
152 Ibid., p. 193.
153 Ibid., p. 248-249. En outre, Žavoronkov évoque la lettre d’instructions I-100 du MVO SSSR, datant de 1957, qui prévoyait d’octroyer une plus grande autonomie à chaque VUZ : voir supra, chapitre 4, II).
154 Voir supra, chapitre 7, I), et la photographie 10, en annexe.
155 Intervention citée dans M. A. LAVRENT’EV, Nauka. Tehničeskij progress. Kadry. Sbornik statej i vystuplenij, Novossibirsk, Nauka, 1980, p. 83-86 ; voir en particulier p. 83-84.
156 Entretien avec David Konstantinovskij du 4 avril 2002, Moscou.
157 Sur la question du recrutement et de l’évolution du personnel scientifique d’Akademgorodok, voir : N. A. KUPERŠTOH, Kadry akademičeskoj nauki Sibiri (seredina 1950-h – 1960-e gg.), Novosibirsk, Sibirskoe Otdelenie RAN, 1999, en particulier le chapitre 2, « Formirovanie naučnyh kollektivov SO AN SSSR », p. 34-78.
158 Voir à ce sujet Christophe CHARLE, « Les références étrangères des universitaires. Essai de comparaison entre la France et l’Allemagne 1870-1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, no 148, 2003, p. 8-19.
159 GARF, R-5446 (Conseil des ministres d’URSS)/92 (Directions des affaires)/123, p. 19-20. Le décret du CM d’URSS est signé d’Aleksej Kosygin, et précise les conditions de la construction des bâtiments, qui doivent être prêts pour l’ouverture de l’université, en 1959. Elles sont conformes à ce que demandait Nesmeânov au nom de l’AN SSSR : voir infra.
160 GARF, R-5446/92/123, p. 11-13. Le document, envoyé par le président de l’AN SSSR, Aleksandr Nesmeânov, n’explicite pas cette dernière formule, mais on devine qu’il s’agit de ne pas admettre hors concours les jeunes proizvodstvenniki. Voir des extraits en annexe (texte 26).
161 Ibid., p. 16. La lettre, datée du 26 octobre 1957, propose que les questions d’organisation des études, d’admission et de conditions matérielles des étudiants et des enseignants soient étudiées quand l’université ouvrira.
162 GARF, R-5446/92/125, p. 7. Voir le texte intégral de cette lettre en annexe (texte 27).
163 RGAE, 4372 (Gosplan SSSR)/57 (Département de la santé et de la culture pour l’année 1958)/623, p. 171-172.
164 O. N. MARČUK, Sibirskij fenomen. Akademgorodok v pervye dvadcat’let, Novosibirsk, Sibirskij hronograf, 1997, p. 24.
165 O. N. MARČUK, Sibirskij fenomen…, op. cit., p. 96.
166 Ibidem.
167 Voir supra, chapitre 7, II).
168 Propos publiés dans la revue Universitetskaâ žizn’, no 25, 1984. Voir aussi dans ce numéro l’interview du physicien Spartak Belâev (né en 1923), installé à Akademgorodok en 1962 : il confirme que l’objectif unique de NGU était, à l’origine, de former des cadres pour le SO AN SSSR.
169 Ibidem.
170 Voir les notices biographiques, en annexe.
171 Voir supra, chapitre 6.
172 Voir la courte présentation donnée dans Collectif, Podgotovka naučnyh kadrov v sisteme vysšego obrazovaniâ Rossii (La formation des cadres scientifiques dans l’enseignement supérieur en Russie), Moscou, INION RAN, 2002, p. 51-52. D’après les auteurs de cet ouvrage, il fut ensuite étendu à d’autres VUZ moscovites, à partir des années 1960.
173 Cité dans P. L. KAPICA, Èksperiment – teoriâ – praktika, Moscou, Nauka, 1981, p. 259-261.
174 Ibid., p. 264.
175 Universitetskaâ žizn’, no 26-27, 1984.
176 Ibidem.
177 Ibidem. Anatolij Mal’cev (1909-1967), élu académicien en 1958, est un élève d’Andrej Kolmogorov, qui l’a dirigé en aspirantura à MGU. Il est arrivé à Akademgorodok en 1959, à l’invitation de Lavrent’ev, et c’est lui qui s’intéresse aux applications des mathématiques en logique.
178 Voir sa notice biographique, en annexe.
179 O. N. MARČUK, Sibirskij fenomen…, op. cit., p. 25.
180 Voir, à ce propos, la conclusion de l’ouvrage de Marčuk : « Malheureusement, ces dernières années ont été marquées par de grandes difficultés dans le financement des recherches scientifiques. Cela ne nous réjouit pas. Mais ce qui nous réjouit, c’est que le phénomène d’introduction de la science en Sibérie existe toujours. Dans les cités académiques, nos successeurs, des enthousiastes de la science, continuent à œuvrer en vue du rayonnement (procvetanie) de notre pays. Ce livre s’adresse aussi, en premier lieu, à eux. » (Ibid., p. 228).
181 Ibid., p. 25.
182 RGANI, 5/37/77, p. 57. Lettre du 5 mai 1960. L’obkom s’adresse directement au CC du PCUS pour lui demander d’accélérer la construction et le financement des installations de la « Cité académique », probablement suite à une demande de Lavrent’ev, mais aussi d’autoriser NGU, à titre dérogatoire, à rémunérer des académiciens, des membres-correspondants et des chercheurs de SO AN SSSR, à hauteur de 50 % des salaires prévus pour des charges d’enseignement à plein temps.
183 Ibid., p. 74. Note du 25 mai 1960. Le document porte une indication manuscrite : « communiqué aux camarades Stoletov, Lavrent’ev, Vekua », et est accompagné d’une lettre de ce dernier au CC du PCUS, qui insiste sur la vocation de NGU à former des scientifiques pour la Sibérie et l’Extrême-Orient.
184 Ibid., p. 76-80.
185 Rappelons que c’est en mars 1957 que le Premier secrétaire a lancé la réforme créant les sovnarhoz : voir supra, chapitre 5, I).
186 Cité par L. I. MGALOBLIŠVILI, Tri prezidenta Akademii nauk Gruzii. Štrihi k portretam N. I. Mushelišvili, I. N. Vekua, E. K. Haradze, Moscou, Nauka, 2003, p. 67-68.
187 Voir supra, chapitre 3, II) et l’article de Christophe CHARLE, « Les références étrangères des universitaires. Essai de comparaison entre la France et l’Allemagne 1870-1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, 148, juin 2003, p. 8-19.
188 Vsesoûznoe soveŝanie…, op. cit., p. 132-133 ; p. 135.
189 Ibid., p. 134.
190 Dans une note non datée de 1963 sur la réforme de l’Académie des sciences, retranscrite dans Natalâ TOMILINA, Andrej ARTIZOV (éds.), Nikita Sergeevič Hruŝev…, op. cit., tome 2, p. 411-412.
191 Sur les autres prises de position des scientifiques d’Akademgorodok, et la construction d’une identité propre à ce groupe, voir E. G. VODIČEV, N. D. KUPERŠTOH, « Formirovanie ètosa naučnogo soobŝestva i ego èvolûciâ v 1960-e gg. (na primere Novosibirskogo naučnogo centra) », dans Duhovnaâ kult’tura narodov Sibiri : tradicii i novacii, Novossibirsk, 2001, p. 85-124.
192 Chiffre donné par Tamara REVENKO, L’enseignement supérieur…, op. cit., p. 17. À l’échelle de la RSFSR, même si on compte les établissements d’élite que sont, entre autres, les instituts polytechniques, le MVTU et le MFTI, l’effectif concerné par ce système de formation reste faible proportionnellement.
193 GARF, A-605/1/1562, p. 176. Sténogramme de la séance plénière de la réunion des recteurs d’université de toute la Russie, 19 mars 1963.
194 Natalâ TOMILINA, Andrej ARTIZOV (éds.), Nikita Sergeevič Hruŝev…, op. cit., tome 2, p. 412.
195 Sur le contexte et les débuts de cette fondation, voir Laurent COUMEL, « Moscou, 1960 : la fondation de l’Université de l’Amitié des Peuples », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, no 12, 2001.
196 L’affiche « apprendre de la vie, apprendre pour la vie » (Učit’sâ u žizni, učit’sâ dlâ žizni) rend compte de ces deux phénomènes mis en avant par la propagande interne : voir la photographie 10.
197 Sur la politique scientifique et industrielle en général, et les effets de la « révolution scientifique et technique (NTR) en particulier, voir M. J. BERRY, « Science, Technology and Innovation », dans Martin MCCAULEY (dir.), Khrushchev and Khrushchevism, Bloomington, Indiana UP, 1987, p. 71-94 ; A. B. BEZBORODOV, Vlast’i naučno-tehničeskaâ politika v SSSR serediny 50-h-serediny 70-h godov (Le pouvoir et la politique scientifique et technique en URSS du milieu des années 1950 au milieu des années 1970), Moscou, Mosgorarhiv, 1997 ; B. I. KOZLOV, Akademiâ nauk SSSR i industrializaciâ Rossii. Očerk social’noj istorii 1925-1963, Moscou, Academia, 2003. Ces trois auteurs montrent que le pouvoir central n’a pas su alors accompagner les mutations techniques annoncées par les scientifiques, et déjà en cours dans les autres grands pays industrialisés.
198 Alexander G. KOROL, Soviet Research and Development : its Organization, Personnel and Funds, Cambridge, Massachusetts, The M.I.T Press, 1965.
199 Ibid., p. 176-177.
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