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Conclusion de la première partie : Le projet soviétique à l’école après Staline : un besoin de réorientation

p. 157-158


Texte intégral

La décision prise en 1958 n’a pas qu’un avenir : elle a également un passé. Elle n’est pas une révolution : elle est simplement une étape importante d’une évolution.1

1Au milieu des années 1950, les politiques d’enseignement sont au centre de l’attention de l’équipe dirigeante soviétique : c’est parce qu’elles leur semblent capables de consolider un édifice ébranlé par la disparition de Staline et la remise en cause partielle des pratiques de pouvoir antérieures. Le système soviétique est alors en proie à une crise multiforme, et la réponse choisie par Khrouchtchev est celle d’une relance de l’utopie fondatrice, la « construction du communisme ». L’école en est un des leviers privilégié, pour plusieurs raisons à la fois économiques, sociales et morales, autant voire plus qu’idéologiques.

2Pour commencer, la pénurie de jeunes travailleurs est préoccupante à l’échelle du pays, et en particulier de la RSFSR. En effet, le déficit de bras pour certains secteurs productifs de l’économie est aggravé par la situation démographique héritée du dernier conflit mondial, d’un côté, et, de l’autre, par l’élargissement de la scolarité décennale, en cours de réalisation. Un changement est perceptible en 1956 : les formes de coercition disparaissent, ainsi que les barrières financières qui empêchaient la majorité des adolescents d’envisager leur avenir sous forme d’études supérieures ou secondaires spéciales. En réponse, la direction du pays engage une politique qu’on pourrait dire malthusienne à l’admission en VSSUZ, dont les effets sont ressentis brutalement par les intéressés : le concours d’entrée s’exacerbe, les parents se livrant une véritable compétition. Mais rien n’y fait : le secteur productif reste un repoussoir aux yeux de la population.

3La polytechnisation du secondaire comme la politique de discrimination des ouvriers et de leurs enfants sont des recettes déjà expérimentées pendant les années de formation du système soviétique, alors qu’il s’agissait de fournir dans l’urgence des « spécialistes » fidèles au nouveau régime, à défaut d’être véritablement qualifiés. Aussi n’est-il pas étonnant qu’elles resurgissent dès la fin de la période stalinienne, pour le premier, au milieu des années 1950, pour le second, dans les cartons des ministères et de l’appareil du Parti. Les dirigeants aux parcours professionnels et institutionnels convergents partagent in fine les principales options, ou du moins font mine d’y souscrire. Les responsables de l’administration des Réserves de main d’œuvre, alliés à quelques représentants de la « pédagogie soviétique » (officielle) tentent d’orienter la direction du Parti vers une professionnalisation précoce du secondaire. Le XXe Congrès, où Khrouchtchev déplore la distance « entre l’école et la vie », annonce un grand changement, une « refondation » (perestroïka) du système scolaire et universitaire – le terme est prononcé par le Premier secrétaire au printemps 1957.

4Polytechnisation du secondaire et prolétarisation du corps étudiant (appelée désormais dans les rapports internes et les discours officiels « amélioration de la composition sociale ») sont donc les deux faces d’un même élan qui s’esquisse au cours de l’année 1956 et se concrétise en 1957, après les remous entraînés par le XXe Congrès dans les milieux étudiants. Cette agitation a eu un impact non négligeable dans la réorientation des politiques scolaires et universitaires. Pour y répondre, plusieurs voix préconisent d’envoyer un maximum de jeunes gens et jeunes filles dans la production au cours de leur formation, quelle que soit la voie qu’ils ont choisie. Dans le secondaire, la nouvelle ligne implique de préparer les élèves à un métier, entre les murs de l’école mais aussi à l’usine et au champ. Dans le supérieur, il s’agit de privilégier l’admission des jeunes passés par la production, et de conserver ce lien avec le monde du travail tout au long des études, par des stages pratiques. Ainsi, ce n’est pas tant l’idéologie que l’héritage des temps héroïques du régime qui est sollicité pour répondre aux défis de la direction post-stalinienne. Plutôt qu’une utopie au pouvoir, on aurait tendance à y voir un certain pragmatisme.

Notes de bas de page

1 Georges SOKOLOFF, « Reproduction élargie… », article cité, p. 352, note 29.

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