La fidélité : les raisons d'un choix
p. 95-132
Texte intégral
1L'ANALYSE STATISTIQUE DES raisons auxquelles souscrivent l'ensemble des usagers que nous avons interrogés pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom montre que, si les motifs économiques du client calculateur existent, ils ne sont pas les seuls et ne sont pas forcément dominants. En effet, il apparaît que les usagers sont capables de faire valoir des arguments civiques pour expliquer qu'ils maintiennent leur abonnement chez France Télécom, notamment quand ils témoignent de la confiance qu'ils portent à la dimension publique de France Télécom ou quand ils manifestent leur attachement aux missions de service public. Cela ne signifie pas que tous les usagers interrogés restent prioritairement chez France Télécom pour des motifs civiques, mais que les seuls motifs économiques n'expliquent pas la fidélité à l'opérateur public.
2Quelles sont alors les raisons marchandes et civiques évoquées par les usagers pour expliquer le maintien de leur abonnement chez France Télécom ? Dans quelle proportion ces usagers indiquent-ils avoir été influencés par ces raisons marchandes et civiques ? Peut-on, en fonction des raisons marchandes et civiques, distinguer des publics ? Les raisons marchandes pèsent-elles autant ou davantage que les raisons civiques ou est-ce l'inverse ? Ces raisons sont-elles mêlées ou exclusives les unes des autres ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons de répondre ici.
3Lorsque l’on dépasse l'analyse des réponses données par l'ensemble de la population, il apparaît en fait qu'il existe différents profils d'usagers. On peut ainsi constater que certains semblent davantage attentifs aux prestations commerciales de France Télécom et préoccupés par des motifs économiques, que d'autres disent prioritairement maintenir leur abonnement pour soutenir le service public de téléphonie, et que pour certains les mobiles marchands et les mobiles civiques ne suffisent pas à expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom. Pour chacun de ces profils l'analyse statistique permet, de rendre compte des caractéristiques sociologiques qui les définissent, partant de montrer que le recours ou non à des arguments civiques et marchands varie en fonction de celles-ci.
4Pour aboutir à ces résultats nous avons traité 213 questionnaires et 37 entretiens non directifs auprès d'usagers qui ont maintenu leur abonnement chez France Télécom. Nous commencerons par montrer de manière descriptive quels sont les arguments marchands et civiques qui selon eux les ont conduits à rester chez France Télécom. Nous serons ensuite conduit à affiner ces tendances globales en identifiant des profils d'usagers définis en fonction des raisons marchandes et civiques qu'ils évoquent. Nous identifierons leurs caractéristiques sociologiques et tenterons d'expliquer à la lumière des résultats précédents l'incidence de celles-ci sur leur rapport à France Télécom. Si, bien sûr, on ne peut généraliser nos résultats à l'ensemble des usagers français, les proportions dans lesquelles ils répondent permettent tout de même d'évaluer l'importance accordée à certaines raisons.
L'influence des raisons marchandes et civiques sur la population étudiée
5Les raisons qui ont été soumises aux usagers lors du questionnaire pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom ont été isolées à partir d'un premier traitement des entretiens réalisés. Nous avons sélectionné les raisons qui revenaient le plus souvent et les avons présentées sous forme de propositions à valider selon un degré d'accord ou de désaccord. Le classement civique ou marchand et parfois les deux que nous avons ensuite opéré des différentes raisons évoquées par les usagers repose donc toujours sur ce que nous avons retiré des données empiriques.
6Si l'on reprend dans un tableau synthétique (Tableau 1) les accords et désaccords auxquels ont souscrit les usagers face aux propositions qui leur ont été présentées, on constate que les raisons qui rassemblent le plus les abonnés à France Télécom sont plutôt civiques.
Tableau 1. Les raisons de la fidélité (en %)
% lignes | Raisons | Tout à fait/en partie | Pas vraiment/pas du tout |
vous avez davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant | Civique et Marchande | 62.4 | 37.6 |
elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès | Civique | 62 | 38 |
il faut soutenir la téléphonie publique face au marché | Civique | 61.5 | 38.5 |
vous entretenez de bonnes relations avec ses personnels en raisons de leur écoute, réconfort, dévouement, sens du service public, etc. | Civique | 50.7 | 49.3 |
elle œuvre pour l'égalité d'accès l'aide aux plus défavorisés | Civique | 47.4 | 52.6 |
c'est l'entreprise la plus compétitive sur le plan de la technique | Marchande | 46.9 | 53.1 |
même si ce n'est pas l'entreprise la plus compétitive pour le moment, cela devrait bientôt changer | Marchande | 46 | 54 |
c'est l'entreprise la plus compétitive sur le plan des prestations commerciales | Marchande | 44.1 | 55.9 |
c'est l'entreprise la plus compétitive sur le plan des tarifs | Marchande | 31.9 | 68.1 |
7Bien entendu ces propositions sont différentes et ne renvoient pas toutes de manière très nette à des raisons civiques. C'est particulièrement le cas de l'argument selon lequel ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant. Cet argument peut aussi bien être utilisé dans un sens marchand (l'État s'offre comme une garantie commerciale face à la faillite, à une augmentation inconsidérée des tarifs, etc.), que dans un sens civique (l'État garantit les activités désintéressées de l'opérateur public et donc un traitement plus juste qui prend en compte la fragilité économique et sociale des usagers). Néanmoins, on observe que, dans le peloton de tête des arguments qui ont le plus pesé pour les usagers, se trouvent essentiellement des raisons civiques.
8Partant, on voit bien qu'il serait insuffisant de dire que les usagers présentent uniquement leur fidélité à France Télécom comme la simple manifestation d'un acte d'achat. On ne sera donc pas surpris si l'on affirme que l'ensemble de la population étudiée ne se présente pas seulement comme ayant des intérêts marchands à satisfaire, mais aussi comme animée par des convictions et des croyances à l'égard d'une entreprise publique. Ainsi le fait de rester chez France Télécom plutôt que de faire défection n'apparaît pas seulement comme une fidélité aux tarifs ou aux prestations fournies, c'est également une fidélité à l'identité publique de l'opérateur de téléphonie, aux valeurs qu'il représente, à la garantie de l'État à ses personnels, etc. Il ne s'agit pas de dire que le choix de l'opérateur public s'explique uniquement par des raisons civiques, mais que ces dernières sont désignées comme ayant joué un rôle.
9Il s'agit maintenant d'examiner comment répond l'ensemble de la population interrogée et comment ces réponses varient en fonction du genre, de l'âge, du niveau d'études, du revenu, du secteur d'activité professionnelle, du lieu de résidence, du positionnement politique et du montant de la facture téléphonique. Par souci de clarté, les données présentées ignorent les nuances entre différents degrés d'accord et de désaccord. Ces résultats sont pour l'instant volontairement partiels et descriptifs. Ils ne visent qu'à identifier les arguments auxquels souscrivent plus volontiers les usagers pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom. Nous dirons l'interprétation que l'on peut en faire.
Les arguments marchands
10Parmi les arguments marchands que les usagers ont évoqués dans les entretiens pour expliquer le maintien de leur abonnement chez France Télécom, nous avons retenu le prix de l'abonnement et des télécommunications, les prestations commerciales et la qualité technique. Bien que classer la qualité des prestations commerciales et la qualité technique dans un registre marchand puisse étonner, la façon intéressée et opportuniste dont les usagers présentent les atouts de France Télécom par comparaison aux autres opérateurs ne laisse guère de doute. Ils paraissent en effet utilisés comme des mobiles de choix marchands dans ce que l'on désigne d'économie de la qualité (Karpik, 1989). Autrement dit, lorsque les usagers se référent aux prestations commerciales ou à la technique pour expliquer qu'ils ont maintenu leur abonnement chez France Télécom, ils le font en indiquant qu'ils font le meilleur choix marchand. Ils montrent ainsi avoir non seulement procédé à un calcul sur le prix mais aussi à un qualcul78 c'est-à-dire à une appréciation qualitative des offres de France Télécom.
Les prix
11À la question de savoir si les usagers sont restés fidèles à France Télécom pour ses tarifs, la réponse statistique indique que cet argument ne retient pas l'adhésion du plus grand nombre. Pour une majorité d'usagers, France Télécom ne paraît pas avoir été choisie parce qu'elle offre des tarifs plus compétitifs que les autres entreprises. 50.2 % des usagers indiquent en effet qu'ils ne sont pas vraiment et 17.9 % pas du tout d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce que c'est l'entreprise la plus compétitive sur le plan des tarifs. Lorsque les usagers déclarent que ce mobile marchand a pesé dans leur décision de rester chez France Télécom, ils indiquent plus volontiers que ce mobile les a pour partie influencé (30 %).
12Partant du constat que les tarifs ne semblent pas être une raison qui ait fortement pesé dans le choix de rester chez France Télécom, nous avons cherché à savoir si certaines caractéristiques sociologiques permettent de repérer un positionnement différent des usagers. Le secteur d'activité professionnelle (public/privé) et le montant de la facture téléphonique paraissent constituer des variables discriminantes.
13Les usagers qui exercent une profession dans le secteur public sont davantage portés à indiquer que ce n'est pas parce que France Télécom offre les tarifs les plus compétitifs qu'ils lui sont restés fidèles puisque 67.6 % d'entre eux indiquent n'être pas vraiment et pas du tout d'accord avec cette proposition. Les usagers qui exercent une activité dans le secteur privé sont plus partagés puisque 51.7 % d'entre eux indiquent qu'ils ne sont pas vraiment et pas du tout d'accord et 48.3 % qu'ils sont tout à fait et en partie d'accord. Les données montrent également que les usagers qui n'exercent aucune activité indiquent dans des proportions encore plus importantes (88 %) n'être pas vraiment et pas du tout d'accord avec cette proposition.
14Ceux qui ont les factures téléphoniques les moins élevées (moins de 46 €) et ceux qui ont les factures les plus élevées (plus de 76 €) sont plus nettement opposés pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce que c'est l'entreprise la plus compétitive sur le plan des tarifs. Ce sont respectivement 73.8 % et 78.5 % des usagers qui dépensent moins de 46 € et plus de 76€ de facture téléphonique qui indiquent n'être pas vraiment et pas du tout d'accord avec cette proposition. Les usagers qui dépensent entre 46 et 76 € sont plus partagés, même si la majorité d'entre eux n'est pas non plus d'accord (59.4 %) avec cette proposition.
Les prestations commerciales
15Seuls environ 10 % de la population indiquent être tout à fait d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce que c'est l'entreprise la plus compétitive sur le plan des prestations commerciales, contre 34.3 % qui disent être en partie d'accord. 32.9 % des usagers indiquent par contre qu'ils ne sont pas vraiment et 23 % pas du tout d'accord.
16La seule variable qui est liée de façon significative à la décision de rester chez France Télécom pour ses prestations commerciales concerne le revenu du ménage. On peut ainsi relever que les usagers qui ont des revenus inférieurs à 3049 € et plus encore ceux qui ont des revenus inférieurs à 1524 €, admettent être d'accord avec cette proposition. Ce sont ainsi 52.5 % des usagers qui ont un revenu inférieur à 1524 €, et 49.4 % des usagers qui ont un revenu compris entre 1524 et 3049 € qui l'indiquent. À l'inverse, les usagers qui ont des revenus supérieurs à 3049 € sont plus prompts à dire (81.8 %) ne pas avoir maintenu leur abonnement chez France Télécom pour cette raison. Résultats que l'on retrouve partiellement ventilés de la même manière avec le niveau d'études, même si les différences ne sont pas assez marquées pour être significative.
La technique
17Aux mobiles des tarifs et de la qualité des services offerts s'ajoute celui de la technique. L'argument technique n'est pas évoqué par l'ensemble des usagers que nous avons interviewés, mais lorsqu'ils l'évoquent ils lui accordent une place importante. C'est sans doute ce qui contribue à expliquer que, lorsque nous avons proposé la technique comme raison expliquant le maintien de l'abonnement chez France Télécom, les usagers ont été un peu plus nombreux à le retenir. La part de ceux qui indiquent que la technique a eu une incidence représente presque la moitié des usagers qui ont été interrogés (46.9 %). Restent tout de même 53.1 % de la population qui indiquent n'être pas vraiment (24.9 %) et pas du tout (28.2 %) d'accord avec la proposition selon laquelle ils sont restés chez France Télécom parce que c'est l'entreprise la plus compétitive sur le plan technique.
18Seule la variable concernant le secteur d'activité professionnelle est corrélée de manière significative à la décision de rester chez France Télécom pour des considérations techniques. Parmi les usagers qui exercent une activité professionnelle, ceux qui sont dans le secteur public sont les seuls à majoritairement (55.2 %) indiquer être tout à fait et en partie d'accord avec la proposition alors que 63.8 % des usagers qui travaillent dans le secteur privé et 58 % de ceux qui ne sont ni dans le public ni dans le privé sont pas vraiment et pas du tout d'accord avec cette proposition.
La confiance en France Télécom
19Lors des entretiens, plusieurs usagers ont indiqué avoir confiance en France Télécom pour expliquer qu'ils lui sont restés fidèles. Nous avons identifié deux manières principales de l'exprimer. L'une renvoie à l'idée qu'ils ont confiance en France Télécom pour devenir l'entreprise la plus compétitive même si ce n'est pour l'instant pas le cas, l'autre fait référence à l'idée qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant. Si, pour la première, la confiance est abordée dans un sens marchand, la deuxième est abordée dans un sens plus civique sans pour autant s'y réduire. Il est en effet apparu dans les entretiens que le lien qu'ils établissent entre France Télécom et l'État peut être défini comme une manière de garantir au consommateur et au client l'absence de déconvenues commerciales (faible fluctuation des prix, pérennité de l'entreprise, etc.) qui pourraient se produire avec d'autres opérateurs. Autrement dit, ils invoquent la garantie de l'État comme l'assurance qu'ils ne seront jamais totalement lésés, même si France Télécom a du mal à s'imposer sur le marché. Mais cette confiance peut aussi être évoquée comme une garantie que sera préservé un juste traitement de l'usager, indépendamment de ses capacités financières. C'est donc aussi l'idée du respect de certaines normes de fonctionnement à destination de l'usager qui ne pourraient pas s'exercer sans la présence de l'État qui s'exprime ainsi. On voit bien que la confiance en France Télécom peut aussi bien se référer à une argumentation marchande que civique et c'est pour cette raison nous avons choisi de l'aborder de façon plurielle.
La confiance dans l'entreprise commerciale
20Un peu moins de la moitié des usagers (46 %) indiquent être d'accord avec la proposition selon laquelle ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils ont confiance en elle pour devenir plus compétitive. 13,1 % d'entre eux disent être tout à fait d'accord et 32.9 % en partie d'accord avec cette proposition. À en croire ce résultat, les usagers semblent une nouvelle fois assez partagés pour reconnaître l'influence de ce mobile sur leur présence chez France Télécom. On peut néanmoins considérer qu'il existe bien sur le plan marchand une relation de confiance, une forme particulière d'attachement, qui mène une partie des usagers si ce n'est à totalement maintenir leur abonnement chez France Télécom pour cette raison, du moins en partie.
21La variable concernant le niveau d'études est corrélée de manière significative à la décision de rester chez France Télécom parce qu'elle devrait devenir plus compétitive. En effet, les usagers qui ont un niveau d'études équivalent au bac, et dans une moindre mesure ceux qui ont deux années d'études après le bac, semblent plus enclins à indiquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils espèrent, parient ou supposent qu'elle va devenir plus compétitive. 56.7 % des usagers qui ont un diplôme inférieur ou égal au bac indiquent ainsi être tout à fait et en partie d'accord avec la proposition. Les usagers qui ont un niveau d'études équivalent à bac +2 sont plus partagés. 50.2 % d'entre eux sont d'accord avec cette proposition et 49.2 % ne sont pas d'accord. Par contre, les usagers qui ont un diplôme supérieur à deux années d'études après le bac indiquent majoritairement (74.2 %) n'être pas vraiment et pas du tout d'accord avec cette proposition. Ainsi, il semble que, plus le niveau d'études des usagers s'élève, moins ils indiquent avoir maintenu leur abonnement chez France Télécom parce qu'ils ont confiance en sa capacité à devenir plus compétitive.
La confiance dans l'État
22Si les usagers sont relativement partagés quant à leur confiance dans la compétitivité de France Télécom, il en est autrement quand la question porte sur la confiance qu'ils ont en une entreprise dont l'État se porte garant. Nos données nous apprennent ainsi que la majorité des usagers interrogés (62.4 %) déclarent être d'accord (29.1 % tout à fait et 33.3 % en partie) pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom pour cette raison. Parmi les 37,6 % d'usagers qui ne sont pas d'accord, 18.4 % ne le sont pas vraiment et 19.2 % pas du tout.
23S'il existe une majorité d'usagers d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant, lorsque l'on observe cette réponse des divergences apparaissent selon le genre, l'âge, le niveau d'études, le positionnement politique et la facture téléphonique.
24En effet, si les hommes et les femmes sont majoritairement d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant, les femmes sont 52.3 % à être d'accord avec cette proposition contre 73.1 % des hommes.
25Il apparaît également que, plus les usagers sont âgés, plus ils sont nombreux à être d'accord avec la proposition : 84.4 % des plus de 51 ans contre 63.6 % des 31-50 ans. Notons aussi que les moins de 30 ans indiquent majoritairement n'être pas vraiment et pas du tout d'accord (61.7 %).
26Si, quel que soit le niveau d'études des usagers, ils sont en majorité d'accord avec la proposition selon laquelle ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant, il existe des différences entre ceux qui ont un niveau bac ou inférieur et ceux qui ont fait davantage d'études. Ainsi les usagers les moins diplômés sont plus nettement d'accord pour dire que le maintien de leur abonnement chez France Télécom s'explique par la confiance qu'ils ont dans une entreprise dont l'État se porte garant (72.2 %) alors que les plus diplômés sont plus partagés (52.5 % de ceux qui ont deux ans d'études après le bac, et 58 % de ceux qui ont plus de deux ans d'études après le bac).
27Quel que soit le positionnement politique des usagers sur un axe79 allant de la gauche à la droite, ils sont majoritairement d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce que c'est une entreprise dont l'État se porte garant. C'est nettement plus le cas quand ils se positionnent au centre (73.1 %) que quand ils se positionnent à gauche (60.9 %) ou à droite (64.3 %), mais ces différences sont trop faibles pour y voir l'influence d'un positionnement politique. Par contre, les rares usagers qui ont refusé de se positionner sur Taxe politique ont répondu de manière totalement différente. La majorité d'entre eux (76.9 %) indique ne pas être d'accord pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce que c'est une entreprise dont l'État se porte garant.
28Relevons enfin que, dès que le montant de la facture est estimé comme étant supérieur à 46 € les usagers sont majoritairement tout à fait et en partie d'accord pour indiquer qu'ils ont maintenu leur abonnement chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant. Ainsi 69.8 % de ceux qui disent avoir entre 46 et 76 € de facture téléphonique et 61.5 % de ceux qui disent avoir une facture de plus de 76 € répondent de cette manière. Par contre, les usagers qui disent que leur poste de dépense téléphonique n'excède pas 46 € sont plus partagés puisque 45.2 % d'entre eux sont d'accord avec la proposition alors que 54.8 % y sont opposés.
Les raisons civiques
29Parmi les raisons civiques que les usagers font valoir pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom, nous avons retenu celle selon laquelle ils disent vouloir soutenir la téléphonie publique face au marché, celle selon laquelle ils disent entretenir des relations spécifiquement publiques avec les personnels (écoute, réconfort, dévouement, souci de l'intérêt général, etc.), et enfin celle selon laquelle il est nécessaire de préserver un service public qui œuvre pour l'égalité d'accès, l'aide aux plus défavorisés et qui se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès. Si nous avons considéré chacun de ces arguments comme civiques, c'est parce qu'ils sont évoqués en référence à des principes réglementaires, à des façons de faire valoir la défense d'une juste cause, de faire preuve de solidarité et de manifester leur souci de l'intérêt général avant leurs intérêts économiques.
La téléphonie publique face au marché
30Abordons pour commencer l'argument selon lequel le choix de rester chez France Télécom est présenté comme un moyen de préserver le secteur public contre l'extension du marché à des secteurs jusque-là épargnés. Pour comprendre cet argument il faut savoir que dans les entretiens France Télécom peut être décrite comme étant au service de la collectivité plutôt que de ses intérêts particuliers. Elle serait garante d'une morale et d'une justice propres à l'intervention publique. Plus responsable que les opérateurs privés, mais aussi plus perméable aux injonctions politiques, elle serait plus à même d'agir dans l'intérêt général. Lui rester fidèle plutôt que la quitter serait donc une manière de soutenir la téléphonie publique face au marché, c'est-à-dire une manière d'éviter qu'elle néglige ses finalités sociales.
3161.5 % des usagers indiquent qu'ils restent abonnés à France Télécom pour soutenir la téléphonie publique face au marché. Précisons qu'ils sont dans des proportions assez semblables tout à fait (31.9 %) et en partie d'accord (29.6 %) avec cette proposition. Par contre, 38.5 % des usagers ne partagent pas ce point de vue : 16.4 % ne sont pas vraiment d'accord avec cette proposition et 22.1 % pas du tout.
32Plusieurs variables permettent d'identifier un positionnement différent de l'échantillon face à cette proposition. Il existe des différences entre ceux qui exercent une activité professionnelle dans le secteur public ou privé, l'âge, le positionnement sur un axe politique.
33Ainsi 71.4 % des usagers qui exercent une activité le secteur public indiquent être d'accord avec cette proposition contre 43.1 % des usagers qui travaillent dans le secteur privé et 62 % de ceux qui n'exercent pas d'activité.
34Par ailleurs, 63.6 % des usagers qui ont entre 31 et 50 ans et 75.6 % des plus de 51 ans sont d'accord avec la proposition. Les usagers les plus jeunes (20-35 ans) sont en majorité (57.4 %) pas vraiment et pas du tout d'accord avec cette proposition.
35Quel que soit le positionnement politique des usagers sur un axe, ceux-ci sont toujours majoritairement d'accord pour dire que leur fidélité à France Télécom est une manière de soutenir la téléphonie publique face au marché. Toutefois, il apparaît que ce sont les usagers du centre et de gauche qui semblent les plus enclins à faire cette réponse. L'accord est le fait de 75 % des usagers centristes, 64.1 % des usagers de gauche et 51.8 % des usagers de droite. Notons à nouveau que la minorité d'usagers qui s'abstiennent de se positionner politiquement donne des réponses diamétralement différentes de ceux qui acceptent de se positionner sur l'axe politique. La majorité d'entre eux (69.2 %) indiquent en effet ne pas être d'accord avec cet argument.
La relation aux personnels du service public
36Rester chez France Télécom plutôt que choisir un autre opérateur de téléphonie est aussi pour certains usagers un moyen d'exprimer leur soutien aux agents de l'entreprise. Pour eux, le service public n'est pas une idée détachée de situations concrètes, c'est la relation qu'ils vivent ou ont vécu avec les personnels de France Télécom. Leur fidélité à France Télécom est alors dans les entretiens présentée comme une fidélité à ses personnels, à ce qu'ils sont, à ce qu'ils ont fait ou à ce qu'ils font. On pourrait dire que d'une certaine manière les usagers transposent à France Télécom la fidélité qu'ils veulent témoigner à ses personnels.
37Sur l'ensemble des usagers interrogés, 50.7 % déclarent être d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils entretiennent de bonnes relations avec ses personnels et 49.3 % indiquent ne pas être d'accord. C'est dire combien les usagers sont partagés sur cette question. Par ailleurs, peu nombreux sont ceux qui sont tout à fait d'accord (8.5 %) en comparaison de ceux qui le sont en partie (42.2 %). Les réponses données à cette proposition varient ici en fonction du genre, du lieu de résidence (rural ou urbain), du niveau d'études et du revenu.
38Les hommes sont ainsi plus nombreux que les femmes à indiquer que le maintien de leur abonnement chez France Télécom est lié à la spécificité des relations qu'ils entretiennent avec les personnels de cette entreprise (58.7 %). Les femmes sont plus nombreuses à rejeter cette idée (56.9 %).
39Les usagers qui résident dans une commune rurale, contrairement à ceux qui résident dans une commune urbaine, sont majoritairement d'accord avec cette proposition. 82.4 % des usagers des communes rurales donnent cette réponse contre 29.7 % de ceux qui résident dans une commune urbaine.
40Il apparaît aussi que, plus le niveau d'études des usagers est faible, plus ils sont d'accord : 67.8 % de ceux qui ont le bac donnent cette réponse contre 47.5 % de ceux qui ont niveau d'études équivalent à bac + 2, et à peine 29 % des usagers qui ont un diplôme supérieur à bac + 2.
41Enfin, plus les usagers ont de faible revenus, plus ils sont d'accord : 58.8 % de ceux qui ont des revenus inférieurs à 1524 €, et 52.8 % de ceux qui ont des revenus compris entre 1524 et 3049 € indiquent être d'accord avec cette proposition contre à peine 31.8 % de ceux qui ont des revenus supérieurs à 3049 €.
La préservation des missions de service public
42La fidélité à l'opérateur public apparaît aussi dans le discours de certains usagers comme un attachement à des valeurs que l'entreprise a longtemps incarnées et qu'ils pensent ou espèrent qu'elle incarne encore. L'idée que l'utilisation du téléphone ne peut être soumis à des tarifs prohibitifs, sous peine de voir limiter gravement son accès, est un argument récurrent. La fidélité à France Télécom s'exprime alors comme une forme de soutien à une entreprise qui œuvre pour l'égalité d'accès. On peut le percevoir quand ils indiquent que le téléphone ne doit pas être réservé aux plus fortunés, qu'ils se soucient des principes de solidarité et de responsabilité à l'égard des plus démunis. Il est en effet frappant de constater que la défection éventuelle vers un autre opérateur que France Télécom est alors décrite comme la mise en péril des missions de service public. Ces résultats ne nous paraissent pas déraisonnables si l'on songe aux déclarations d'intention de 80 % des personnes interrogées à un sondage auquel elles ont déclaré qu'au moment de faire un choix elles ne seraient pas indifférentes à ce que l'opérateur de téléphonie soit un service public (CSA/La Tribune, 1997). Rappelons que, parmi elles, 27 % ont indiqué qu'elles y seraient très sensibles, 37 assez sensibles, 16 % peu et 13 % pas du tout.
L'égalité d'accès, l’aide aux plus défavorisés
43À la proposition selon laquelle les usagers sont restés chez France Télécom parce qu'elle œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés, le premier constat est que les usagers sont très partagés puisqu'à peine un peu plus de la moitié (50.9 %) sont d'accord pour dire que cette idée les a influencés. Plus précisément, 27.3 % indiquent être en partie d'accord et 23.6 % tout à fait d'accord avec elle. Relevons aussi que 30,5 % et 22.1 % de la population totale n'est respectivement pas du tout et pas vraiment d'accord avec cette proposition. On peut également relever qu'elle divise les usagers en fonction de leur lieu de résidence, de leur âge, de leur niveau d'études, de leur revenu et du montant de leur facture téléphonique.
44Les usagers qui résident dans une commune urbaine sont 53.9 % à indiquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés contre 37.6 % de ceux qui résident dans une commune rurale.
45Tandis que 62.2 % des plus de 51 ans indiquent être d'accord avec la proposition, 47.9 % des 31-50 ans donnent cette réponse et seulement 31.9 % des 20-30 ans. On observe donc que, plus les usagers sont âgés, plus ils sont d'accord avec cette proposition.
4634.4 % de ceux qui ont un diplôme équivalent ou inférieur au bac, 50.8 % de ceux qui ont un niveau équivalent à bac + 2 et 62.9 % de ceux qui ont plus de deux ans d'études après le bac indiquent être d'accord avec la proposition. Autrement dit, plus les usagers sont diplômés, plus ils sont nombreux à être d'accord pour dire qu'ils sont aussi restés chez France Télécom parce qu'elle œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés.
47On peut également observer que 68.2 % de ceux qui ont des revenus supérieurs à 3049 €, 47.2 % de ceux qui ont des revenus compris entre 1524 et 3049 € et 36.3 % de ceux qui ont des revenus inférieurs à 1524 € indiquent être d'accord avec la proposition. En somme plus les usagers ont des revenus importants, plus ils sont nombreux à être d'accord.
48Pour finir, notons que dès que la facture téléphonique est supérieure à 46 €, les usagers sont assez partagés : 52.8 % de ceux qui ont une facture comprise entre 46 et 76,22 € et 50.8 % de ceux qui ont une facture supérieure à 76 € donnent cette réponse. Par contre, lorsque les usagers indiquent avoir une facture qui se situe en dessous de 46 €, ils sont majoritairement pas d'accord (71.4 %).
La desserte du territoire en téléphone
49Le soutien que veulent manifester les usagers à une entreprise de service public qui a pour mission de permettre une égalité d'accès au téléphone ne repose pas seulement sur des critères financiers. En effet, il s'agit aussi d'exprimer une fidélité à une entreprise qui œuvre ou a œuvré pour rendre physiquement accessible le téléphone en aménageant le territoire. Les résultats que nous obtenons à notre questionnaire montrent qu'une majorité d'usagers (62 %) est d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle remplit cette fonction. La proportion d'usagers qui déclarent être tout à fait d'accord (31 %) pour dire qu'ils sont restés fidèles à France Télécom pour cette raison est d'ailleurs égale à celle de ceux qui disent être en partie d'accord (31 %). Notons également que cet argument divise les hommes et les femmes, les jeunes et les plus âgés, les ruraux et les urbains, mais aussi ceux qui exercent dans le public ou le privé.
50Ainsi, 71.2 % des hommes indiquent être restés chez France Télécom parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès contre 53.2 % des femmes.
5178.8 % des usagers qui résident dans une commune rurale répondent favorablement à la proposition examinée, contre à peine 50.8 % des usagers qui résident dans une commune urbaine.
5275.2 % des usagers qui exercent une profession dans ce secteur répondent être d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès, alors que 46.6 % de ceux qui travaillent dans le privé donnent la même réponse. Les usagers qui n'exercent aucune activité professionnelle sont encore plus partagés : 52 % d'entre eux sont d'accord la proposition examinée et 48 % y sont plutôt opposés.
53Relevons pour finir que, plus les usagers ont un âge avancé, plus ils sont d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès. 88.9 % des plus de 51 ans donnent cette réponse, 62.8 % des 31-50 ans et seulement 34 % des 20-30 ans.
Les profils d'usagers face aux raisons évoquées
54Si, par souci de clarté, nous avons précédemment ignoré les nuances qui existent entre les usagers qui indiquent avoir été totalement ou plus partiellement influencés par certaines propositions et ceux qui indiquent s'opposer en partie ou totalement à certaines autres, il nous faut maintenant y revenir. Au-delà des tendances globales, l'analyse en composantes principales (ACP) permet d'identifier des profils d'usagers. Pour ce faire, sont pris en compte les degrés d'accord et de désaccord80 auxquels les usagers souscrivent pour dire comment l'ensemble des motifs marchands et civiques les ont influencés dans le maintien de leur abonnement chez France Télécom et quels sont ceux qu'ils ont conjointement évoqués. Cette méthode permet d'aboutir à une représentation graphique qui conduit à associer ou dissocier les usagers en fonction de la ressemblance ou de la dissemblance des réponses qu'ils ont données au questionnaire. En procédant ainsi, cinq groupes d'individus apparaissent, en fonction de l'adhésion ou du rejet plus ou moins prononcé qu'ils font valoir pour dire qu'ils ont été influencés par les mobiles marchands et civiques81 qui leur ont été proposés.
Les profils d'usagers
55Les résultats produits nous permettent d'affiner notre analyse en constatant que certains usagers semblent davantage attentifs aux prestations commerciales de France Télécom et être préoccupés par des motifs économiques, alors que d'autres disent prioritairement maintenir leur abonnement pour soutenir le service public de téléphonie, et que pour certains ce ne sont ni des mobiles marchands ni des mobiles civiques qui expliquent à leurs yeux qu'ils sont restés chez France Télécom.
1- Adhésion aux raisons marchandes et rejet des raisons civiques
56Un premier profil d'usagers (noté P1) rassemble ceux qui indiquent être essentiellement restés chez France Télécom pour des mobiles marchands. Pour eux ce sont les prestations commerciales et la qualité technique qui apparaissent comme déterminants. Mais ce qui caractérise ce profil d'usagers n'est pas seulement lié au fait qu'ils disent maintenir leur abonnement chez France Télécom pour des raisons marchandes, car ils rejettent aussi l'idée que des mobiles civiques les ont influencés. C'est vrai pour l'ensemble des arguments civiques qui leur sont proposés, mais plus fortement encore quand ils se prononcent sur l'idée que France Télécom se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès et sur le soutien à une entreprise publique face au marché. En somme, ces usagers présentent une figure de l'usager-client assez pure puisqu'ils s'accordent sur le fait que certains mobiles marchands les ont incités à rester chez France Télécom et réfutent l'incidence de motifs plus civiques dans leurs choix de consommation de téléphonie.
2- Adhésion aux raisons marchandes et sensibilité aux raisons civiques
57Le deuxième profil identifié (P2) caractérise les usagers qui indiquent prioritairement l'ensemble des arguments marchands et plus accessoirement certains mobiles civiques. Ces usagers disent être prioritairement restés chez France Télécom pour ses tarifs, ses prestations commerciales et sa qualité technique. S'ils ne rejettent pas en bloc les mobiles civiques, ils ne les mettent pas en avant. Il s'agit plutôt d'arguments secondaires. Parmi ces arguments civiques, c'est surtout celui de la desserte du territoire auquel ils indiquent être le plus sensibles. Ces usagers se présentent donc eux aussi comme des usagers-clients qui ont avant tout choisi de maintenir leur abonnement chez France Télécom pour des raisons marchandes.
3- Adhésion aux raisons civiques et sensibilité aux raisons marchandes
58Le troisième profil (P3) est constitué d'usagers qui indiquent avoir essentiellement choisi de maintenir leur abonnement chez France Télécom pour des raisons civiques. Ces raisons sont liées aux missions de service public de France Télécom, comme celle de la desserte du territoire, de l'égalité d'accès et de l'aide aux plus défavorisés. Mais leurs raisons sont aussi liées au sentiment qu'il faut soutenir la téléphonie publique face au marché. Pour autant, ils ne rejettent pas l'influence des mobiles marchands sur leur choix de France Télécom, mais leur accordent une place annexe. C'est surtout le cas pour la technique et les prestations commerciales et un peu moins pour les tarifs. Ces usagers se présentent donc essentiellement comme des usagers-citoyens qui ont d'abord choisi France Télécom pour des mobiles civiques.
4- Rejet des raisons marchandes et sensibilité aux raisons civiques
59Le quatrième profil (P4) qui se dégage regroupe les usagers qui indiquent ne pas être restés chez France Télécom pour des mobiles marchands. Ce qui caractérise ce public c'est qu'il rejette fortement l'idée d'avoir été influencé par les tarifs, les prestations commerciales et la qualité technique. S'ils n'indiquent pas que les mobiles civiques les ont fortement influencés dans le choix de maintenir leur abonnement chez France Télécom, ils leur reconnaissent toutefois un rôle annexe. Lorsqu'ils se réfèrent aux mobiles civiques, ils font essentiellement valoir qu'il faut soutenir la téléphonie publique face au marché. Ils indiquent aussi l'avoir choisie parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès et parce qu'elle œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés. Si ces usagers ne sont pas clairement des usagers-citoyens, ils s'en rapprochent toutefois.
5- Rejet des raisons civiques et absence de sensibilité aux raisons marchandes
60Le cinquième et dernier profil (P5) regroupe les usagers qui indiquent ne pas avoir maintenu leur abonnement chez France Télécom pour des mobiles civiques et n'expriment pas davantage de raisons marchandes qui pourraient les qualifier de clients. Ce qui les caractérise, c'est qu'ils rejettent l'idée d'avoir choisi France Télécom pour soutenir une entreprise de service public qui se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès et qui œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés. S'ils se refusent donc à expliquer leur présence chez France Télécom par des mobiles civiques, ils n'indiquent pas pour autant avoir été influencés par des mobiles marchands. Ils se présentent ainsi comme des usagers qui restent chez France Télécom, sans pouvoir donner des raisons marchandes ou civiques à cette situation.
Les caractéristiques sociologiques des profils d'usagers
61Si nous savons désormais qu'il existe différents profils d'usagers et qu'il n'est pas possible de dire que tous les usagers sont prioritairement restés chez France Télécom pour des motifs civiques ou marchands, nous n'avons pour l'instant rien dit des caractéristiques sociologiques qui les définissent. Or, nous avons précédemment indiqué qu'en fonction du genre des usagers, de leur âge, de leur niveau d'études, de leur lieu de résidence (rural/urbain), de leur secteur d'activité professionnelle (public/privé), de leur revenu, de leur positionnement sur l'axe politique, ou du montant de leur facture téléphonique, les usagers ne sont pas influencés par les mêmes arguments marchands et civiques et ne leur donnent pas un poids égal pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom. Il nous faut y revenir maintenant pour voir quelles sont les caractéristiques sociologiques des différents profils d'usagers identifiés par l'analyse en composantes principales.
62Nous avons donc croisé chacun des profils avec le genre, l'âge, le niveau d'études, le revenu, la commune de résidence, le secteur d'activité professionnelle, le positionnement sur un axe politique, et le montant de la facture.
P1- Adhésion aux mobiles marchands et rejet des mobiles civiques
63Les usagers qui présentent ce profil sont tendanciellement plutôt de droite, ont entre 31 et 50 ans, et travaillent dans le secteur privé. En outre mais dans une moindre mesure, ces usagers sont plutôt des femmes qui ont des revenus compris entre 1524 et 3049 €, avec un niveau d'études équivalent à deux années d'études après le bac, une facture téléphonique qui n'excède pas les 46 € et qui résident dans une commune urbaine.
P2- Adhésion aux mobiles marchands et sensibilité aux mobiles civiques
64Ce profil est plutôt représenté par des usagers qui ne se positionnent pas politiquement, sont plutôt jeunes (20-30 ans) et résident dans une commune rurale. De plus il s'agit plutôt d'hommes qui ont une facture téléphonique qui peut soit s'élever à moins de 46 € soit dépasser les 76 €, un niveau d'études inférieur ou égal au bac et des revenus inférieurs à 1524 €.
P3- Adhésion aux mobiles civiques et sensibilité aux mobiles marchands
65Ce profil correspond à des usagers qui ont une facture téléphonique comprise entre 46 et 76 €, ont entre 31 et 50 ans et se positionnent politiquement plutôt à gauche. Il s'agit plutôt d'hommes qui résident dans une commune urbaine. Partant de là, deux sous-profils semblent pouvoir être distingués : le premier est constitué d'usagers exerçant une activité dans le secteur public et le second ne paraît pas exercer d'activité professionnelle, découpage que l'on retrouve pour le revenu et le niveau d'études. Une partie du public qui compose ce profil est en effet constitué d'usagers qui ont des revenus compris entre 1524 et 3049 € et d'autres des revenus inférieurs à 1524 €. Une partie à un niveau d'études équivalent à bac +2 et l'autre un niveau inférieur ou égal au bac.
P4- Rejet des mobiles marchands et sensibilité aux mobiles civiques
66Ces usagers ont plutôt des revenus supérieurs à 3049 €, plus de 51 ans et se positionnent politiquement au centre. Ils ont, en tendance, un niveau d'études supérieur à bac +2, exercent une profession dans le secteur public et résident dans une commune rurale. Dans une moindre mesure, les factures téléphoniques sont soit inférieures à 46 € soit supérieures à 76 € et il s'agit plutôt d'hommes que de femmes.
P5- Rejet des mobiles civiques et absence de sensibilité aux mobiles marchands
67Ces usagers ont une facture téléphonique modeste (inférieure à 46 €), se situent politiquement au centre ou refusent de se positionner et sont tendanciellement plutôt des femmes résidant dans des communes urbaines. Deux catégories de public peuvent ensuite être distinguées : ceux qui exercent une activité dans le secteur privé et ceux plus nombreux qui n'exercent aucune activité professionnelle. On retrouve cette distinction dans les âges puisque si la plupart de ces usagers ont 20-30 ans, les 31 à 50 ans sont aussi représentés. Certains ont un revenu compris entre 1524 et 3049 € et d'autres des revenus inférieurs à 1524 €. Certains ont un niveau bac +2 et d'autres au-delà.
L'interprétation des variables sociologiques dans le recours aux raisons marchandes et civiques
68Si, comme nous venons de le voir, à chacun des profils identifiés correspond tendanciellement une population particulière déterminée par l'âge, le genre, le revenu, le niveau d'études, le lieu de résidence (rural/urbain), le secteur d'activité professionnelle, le positionnement sur un axe politique, et le montant de la facture téléphonique, c'est bien que ces variables sociologiques interviennent dans la mobilisation, le rejet et la hiérarchie plus ou moins effective d'arguments marchands et civiques. En combinant ces résultats avec ceux obtenus précédemment il nous semble désormais possible de proposer quelques interprétations afin de mieux comprendre les différents profils. Ces interprétations ne doivent en aucun cas être lues comme des analyses qui enferment les usagers dans un rapport figé à France Télécom, mais comme des éléments qui pourraient aider à comprendre comment chacune des variables contribue, à sa mesure, à mieux comprendre ce rapport.
L'influence du genre
69Les résultats précédents permettent de constater que les femmes sont toujours plus modérées et plus nuancées pour indiquer que des raisons civiques expliquent leur fidélité à France Télécom. Elles sont en effet moins nombreuses à être d'accord avec la proposition selon laquelle elles sont chez France Télécom parce qu'elles ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant et parce que l'opérateur public se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès. Elles sont en revanche plus nombreuses à ne pas être d'accord avec la proposition selon laquelle elles sont chez France Télécom parce qu'elles entretiennent de bonnes relations avec ses personnels.
70Comment interpréter ce résultat ? Doit-on y voir une forme de désintérêt des femmes pour le service public ou une forme de désengagement civique ? Il nous semble que non quand on observe qu'elles sont, comme les hommes, majoritairement d'accord pour dire que le choix de France Télécom est aussi une manière de soutenir la téléphonie publique face au marché. On peut plutôt supposer qu'elles sont plus spontanément conduites à dissocier consommation et État c'est-à-dire les valeurs morales attribuées au service public de téléphonie. France Télécom n'échapperait donc pas à une consommation classique. Cela ne veut pas dire que le service public de téléphonie est pour elles une question secondaire qui ne justifie pas d'engagement concret, mais que, peut-être, il ne se réalise pas sur le terrain de la consommation.
71Pour tenter d'expliquer les différences observées entre les femmes et les hommes, il nous faut aussi relever la manière dont celles-ci se positionnent face aux personnels des services publics. Si l'on suit les travaux qui montrent que les femmes sont plus fortement investies dans un rôle domestique au sein de la famille et assument plus fortement la responsabilité globale de la bonne marche de la maison, on peut supposer qu'elles sont plus couramment en contact avec les services publics. Or, comme elles doivent articuler et concilier leurs rôles familiaux et professionnels et sont contraintes de faire tenir ensemble des temporalités et des espaces différents (Haicault, 1984), on peut imaginer que le temps perdu et l'organisation que nécessitent d'entamer des démarches vers un service public soient perçus comme une épreuve administrative. Les attentes aux guichets, les responsables à identifier, les problèmes de papiers à délivrer, les allers et retours incessants entre le domicile et le service, en somme tout ce qui est vécu comme temps perdu et tracasseries inutiles, peut être vécu comme une modification de l'emploi du temps et oblige les femmes à s'adapter au coup par coup, à anticiper à réajuster à tout moment. Cela ne signifie pas qu'elles n'entretiennent pas de rapport civique à l'opérateur public, mais qu'elles peuvent être, plus que les hommes, amenées à porter un regard critique sur ses activités.
L'effet de génération
72Nos résultats statistiques font également apparaître des différences en fonction de l'âge. Comme nous l'avons vu, la différence d'âge se perçoit essentiellement lorsque les usagers ont à se prononcer sur l'influence des mobiles civiques. Sur ce plan, on peut dire que plus les usagers sont âgés, plus ils sont conduits à indiquer que les mobiles civiques comptent dans leur fidélité à France Télécom. C'est ce que l'on observe dans les profils de ceux qui indiquent avoir prioritairement tenu compte de motifs civiques pour rester chez France Télécom (P3) et de ceux qui indiquent avoir été légèrement influencés par ces mobiles et pas du tout par des mobiles marchands (P4).
73Comment interpréter que les usagers qui ont plus de 51 ans et plus de 31 ans sont à la fois plus nombreux à être d'accord pour indiquer que le maintien de leur abonnement à France Télécom s'explique parce qu'il faut soutenir la téléphonie publique face au marché, parce que c'est une entreprise qui œuvre pour l'égalité d'accès, l'aide aux plus défavorisés, et parce que c'est une entreprise qui se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès ?
74Comme pour les femmes, la question se pose d'un désintérêt des moins de 31 ans pour le service public et les valeurs qu'il véhicule et celle d'une forme de désengagement civique. La proximité évidente entre ces résultats, incite à proposer pour les moins de 31 ans l'interprétation avancée pour les femmes. On peut ainsi supposer que les moins de 31 ans distinguent, comme les femmes, l'acte de consommation qui consiste à choisir un abonnement téléphonique des idées pour lesquelles ils seraient prêts à s'engager. Pour eux, le soutien au service public ne passerait pas forcément par la fidélité à France Télécom. Mais, contrairement aux femmes, ces usagers ont presque toujours prioritairement répondu que les mobiles civiques ne les avaient pas vraiment ou pas du tout influencés dans le choix de France Télécom. La question posée devient alors celle de l'existence même de mobiles civiques pour ces usagers. Doit-on penser que les moins de 35 ans ne distinguent pas France Télécom d'un autre opérateur de téléphonie ?
75Dans des proportions qui devraient être nuancées par la position sociale (diplôme et revenu), il nous semble possible de le dire. Pour le comprendre, il nous semble utile de rappeler que chaque groupe social possède des significations culturelles propres. Il y a, semble-t-il, un phénomène de génération que nous pourrions expliquer par un processus de socialisation au service public. Mais cette socialisation n'est pas uniforme et peut diversement concerner les usagers. Il pourrait ainsi exister une fracture entre des générations qui ont été socialisées au modèle du service public et qui, malgré l'accélération du changement de France Télécom en société ayant des caractères marchands, continuent à croire ou à espérer qu'elle continue à exister en tant que telle, et des usagers pour lesquels l'opérateur public n'est rien d'autre qu'une entreprise marchande. Cela pourrait signifier que les usagers les plus âgés restent attachés à un modèle de service public avec lequel ils ont du mal à prendre de la distance, alors que les usagers les plus jeunes considèrent plus simplement la téléphonie comme un bien de consommation. Les plus jeunes sont nés avec le téléphone et ont moins été marqués par les péripéties de l'absence de téléphone, du rattrapage téléphonique, du caractère administratif des PTT. En somme, ils ont moins été sensibilisés au caractère public de l'opérateur, à la nécessité d'aménager le territoire et d'offrir une égalité d'accès. Ce qui distinguerait ainsi les usagers les plus âgés des usagers qui ont moins de 31 ans et plus encore des usagers qui ont plus de 51 ans, c'est qu'ils se sont appropriés, qu'ils ont incorporé en quelque sorte, sous l'effet d'un processus d'enculturation, une image de France Télécom comme service public ayant des finalités politiques. Cela pourrait expliquer que c'est surtout les plus de 51 ans qui indiquent être d'accord avec la proposition selon laquelle ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant.
76Si l’on accepte cette idée, la question se pose alors de savoir comment il se fait que les usagers qui ont plus de 31 ans n'ont pas transmis aux générations suivantes cet attachement au service public et aux valeurs qu'il véhicule. Sans doute l'ont-ils fait, mais le sentiment d'être un usager face à France Télécom est aussi et surtout celui d'une génération dans son cheminement biographique. C'est au contact du service public de téléphonie que se construit l'identité sociale d'usager plus que sur un passage de cette identité entre générations. Cela ne veut pas dire que le rapport à France Télécom en tant que service public ne relève pas de facteurs sociaux et culturels transmis par les usagers les plus âgés, mais que la transmission culturelle est loin de constituer un processus qui s'effectue sans déperdition82. Si les idées politiques et les préférences idéologiques se transmettent de génération en génération, il n'en va pas forcément de même pour l'ensemble plus diffus des valeurs, des normes sociales et des attitudes morales à l'égard d'un service public quand, de surcroît, la plupart des usagers s'interrogent sur sa permanence.
77Ajoutons que les usagers qui ont moins de 31 ans sont constitués de ce que de nombreux sociologues désignent de « jeunes ». Si notre population ne se réduit pas à cette population, elle en comporte beaucoup. Certaines caractéristiques connues de ce public pourraient expliquer qu'ils sont moins que les autres publics conduits à faire référence à des arguments civiques face à France Télécom. On sait ainsi avec Percheron83 (1989) que les jeunes empruntent un certain nombre de valeurs tant à la droite qu'à la gauche. Avec les premières, ils partageraient une certaine adhésion au néolibéralisme en matière économique, alors qu'avec la seconde ils adhéreraient à des valeurs de tolérance, de droit à la différence et de non-violence. Il nous semble que, dans une certaine mesure, cela pourrait venir expliquer que, face à France Télécom, ils s'affichent plus volontiers comme des clients pragmatiques qui cherchent à satisfaire un intérêt marchand et qui n'adhèrent pas à l'idée selon laquelle ils seraient restés chez France Télécom pour soutenir la téléphonie publique face au marché. De plus, et de manière plus pragmatique, on peut aussi relever que les jeunes ont des niveaux de revenu plus faibles et qu'ils laissent une grande place à la sociabilité (Galland, 2002). La place importante que prend la sociabilité chez les jeunes pourrait expliquer que le poste de dépense affecté au téléphone soit important et ce d'autant plus que leurs revenus sont moindres au point qu'ils soient aussi naturellement conduits à faire preuve de pragmatisme dans leurs choix marchands. Aussi, face à France Télécom, peut être sont-ils amenés à arbitrer et à négliger l'aspect civique au bénéfice de l'aspect marchand.
Le rôle du milieu social
78Comme on a pu s'en rendre compte, le niveau d'études des usagers est toujours étroitement lié au niveau de revenu. Pour des raisons évidentes de proximité entre ces deux variables nous les aborderons ensemble, considérant qu'elles contribuent plus ou moins à situer les usagers dans un milieu social.
79Commençons par rappeler qu'il existe une perméabilité aux mobiles marchands chez les plus diplômés et chez ceux qui ont les revenus les plus élevés que l'on ne retrouve pas aussi nettement chez les autres usagers. Ajoutons à ce premier constat, que plus les usagers ont un faible niveau d'études et de revenu (bac ou moins et moins de 1524 €), plus ils sont enclins à se référer à certains arguments civiques, notamment quand ils indiquent que ce qui explique qu'ils sont restés chez France Télécom repose pour partie sur la relation de service public qu'ils entretiennent avec les personnels. On retrouve ici l'un des profils que nous avons isolés, celui des usagers qui indiquent qu'ils sont restés chez France Télécom pour des raisons marchandes, mais aussi pour des raisons civiques (P2). Relevons enfin que la confiance qu'ils peuvent avoir dans une entreprise dont l'État se porte garant est un argument auquel adhèrent plus fortement les usagers qui ont un faible niveau d'études (bac et moins).
80Pour interpréter ces premiers résultats, il nous faut rappeler que la confiance accordée à une entreprise dont l'État se porte garant peut aussi bien se référer à des raisons marchandes que civiques. Rappelons en effet que l'État peut aussi bien être défini comme une manière de garantir au client l'absence de déconvenues commerciales (faible fluctuation des prix, pérennité de l'entreprise, etc.) qui pourraient se produire avec d'autres opérateurs, qu'être défini comme la garantie d'un traitement conforme, équitable et juste. Dès lors la question qui se pose est de savoir si les usagers se réfèrent à des raisons marchandes ou civiques quand ils indiquent que cet argument a joué un rôle dans leur fidélité à France Télécom.
81Disons-le d'emblée, il nous semble que les usagers qui ont un faible niveau d'études se réfèrent à cet argument dans un sens plus marchand que civique. Il nous paraît en effet plus judicieux de supposer que lorsque ces usagers se réfèrent à la garantie de l'État, ils font davantage valoir leurs intérêts marchands. Ce qui nous conduit à le supposer repose sur l'interprétation des autres résultats de l'enquête. Il faut en effet rappeler que, lorsqu'il s'agit de souscrire à la proposition selon laquelle ils sont aussi restés chez France Télécom parce qu'elle œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés, ce ne sont pas les moins diplômés et ceux qui ont les revenus les plus faibles qui y consentent, mais les plus diplômés et les plus fortunés (plus que bac + 2 et plus de 3049 €). Ce résultat permet de montrer que, sur le terrain des valeurs du service public, les usagers qui ont les diplômes et les revenus les plus faibles sont absents. Cela veut-il dire que ces derniers n'entretiennent pas de rapport civique à France Télécom ? Nous ne le pensons pas, mais on peut supposer qu'ils l'expriment autrement qu'en référence à des valeurs théoriques et conceptuelles sur le service public.
82Pour le montrer, il nous faut revenir sur le fait que les usagers qui ont les diplômes et les revenus les moins élevés sont ceux qui indiquent le plus massivement attribuer de l'importance aux relations de service public qu'ils entretiennent avec les personnels de France Télécom. Clairement, cela signifie qu'ils sont les plus nombreux à indiquer être d'accord avec la proposition selon laquelle ils sont restés chez France Télécom pour l'écoute, le réconfort, et le dévouement dont leur témoignent les personnels de l'entreprise. En fait, il nous semble que ce qui distingue les usagers les moins diplômés des autres, c'est que leur rapport au service public se construit sur des critères pratiques, alors que les autres s'attachent d'abord au concept de service public, à l'idée d'intérêt général qu'on lui prête. C'est ce qui pourrait également expliquer que, quel que soit le niveau d'études et de revenu, tous les usagers sont sans distinction d'accord pour dire qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès. La possibilité de voir dans cette proposition l'application concrète d'un service rendu pour les moins diplômés et les moins fortunés et la possibilité pour les usagers les plus diplômés et les plus fortunés d'y voir une idée, une mission du service public pourrait expliquer qu'ils sont tous d'accord pour dire que cela a compté dans leur choix de rester chez France Télécom.
83Il nous semble ainsi que les usagers qui ont le niveau d'études et de revenus le plus faible conçoivent le service public à partir de l'usage et de la connaissance empirique qu'ils en ont. Ils sont plus pragmatiques et s'attachent à des réalités concrètes. Cela pourrait expliquer que, sur la question de la garantie de l'État, ils fassent valoir des arguments marchands et que, sur la question de la relation de service, ils fassent valoir des arguments civiques. C'est, en effet, nous semble-t-il, parce qu'ils ont eu l'expérience de relations de service réussies qu'ils sont restés chez France Télécom. La relation de service pour les moins diplômés pourrait ainsi résider dans sa capacité à créer des relations personnelles affectives elles-mêmes génératrices de confiance. L'affirmation selon laquelle le service public doit être au service du public prend tout son sens avec ces usagers.
84Dans le prolongement de cette idée, les usagers les plus diplômés et les plus fortunés paraissent prendre plus de distance avec la relation aux personnels pour davantage faire valoir leur attachement à l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés. Cela peut signifier qu'ils entretiennent un rapport plus théorique, plus abstrait au service public. Ils sont plus prompts à faire valoir les valeurs généreuses et altruistes que l'on peut attendre d'un service public ou à sa rigidité bureaucratique et, pour ces raisons, n'accordent pas autant d'importance aux relations avec les personnels. Il semble que pour eux le service public prenne corps à travers la manière dont ils l'imaginent plus qu'à la façon dont ils le vivent. Si l'on en juge par leur détachement à l'égard des mobiles marchands, on peut penser qu'ils sont avant tout restés chez France Télécom pour des raisons civiques. On retrouve ici la figure des usagers qui indiquent avoir exclusivement maintenu leur abonnement chez France Télécom par civisme (P4).
L'impact du lieu de résidence
85Rappelons que l'on peut relever un positionnement différent des usagers qui résident en milieu rural ou urbain vis-à-vis des mobiles civiques qui leur ont été proposés. Il apparaît en effet de manière assez nette que les usagers qui résident dans des communes rurales sont plus prompts que ceux qui résident dans une commune urbaine à indiquer que le maintien de leur abonnement chez France Télécom est lié au fait qu'ils entretiennent des relations de service public avec les personnels et au fait que France Télécom se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès. C'est la raison pour laquelle on trouve plutôt des usagers qui résident en milieu rural dans le profil de ceux qui indiquent avoir prioritairement tenu compte d'arguments marchands et plus accessoirement d'arguments civiques pour rester chez France Télécom (P2), comme on les trouve dans le profil de ceux qui indiquent avoir été influencés par des mobiles civiques et aucunement par des mobiles marchands (P4).
86Le fait que les usagers des communes rurales se réfèrent à des mobiles civiques pour expliquer leur fidélité à France Télécom ne veut pas dire que les usagers des communes urbaines ne s'y réfèrent pas, mais simplement que certains mobiles peuvent parfois davantage concerner certains publics. On peut ainsi rappeler que les usagers qui résident dans des communes rurales indiquent ne pas avoir été influencés par la proposition selon laquelle ils seraient restés chez France Télécom parce qu'elle assure l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés, alors que les usagers des communes urbaines sont plus partagés. C'est sans doute la raison pour laquelle le profil des usagers qui indiquent être prioritairement restés chez France Télécom pour des mobiles civiques et plus accessoirement pour des mobiles marchands est plutôt constitué d'urbains (P3).
87Pour expliquer le positionnement des usagers du milieu rural qui indiquent qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès, il nous semble que l'on peut d'abord se référer à une forme de reconnaissance historique pour le travail accompli par l'opérateur public au moment où le monde rural avait besoin d'être desservi en téléphone. On peut en effet supposer que le rapport à France Télécom se nourrit d'une expérience fondée sur l'idée qu'elle a assuré des finalités politiques. On peut évoquer aussi l'effet d'une socialisation au modèle du service public qui fait toujours espérer ou croire à ces usagers que France Télécom assume des missions de service public. Ils seraient capables de donner une existence physique et matérielle à cette idée. On peut ainsi supposer que, pour eux, le service public de téléphonie n'est pas qu'un concept ou une abstraction, c'est concrètement le désenclavement du territoire qui leur a permis d'avoir le téléphone, alors qu'ils résident dans des endroits plus isolés et difficiles d'accès. Leur reconnaissance historique n'est donc pas qu'intellectuelle, elle se fonde aussi sur une expérience concrète dont ils peuvent témoigner.
88Il existe d'ailleurs de ce point de vue des proximités évidentes avec la question du rôle qu'ils attribuent aux personnels de France Télécom. S'ils sont plus prompts que les usagers urbains à faire valoir cet argument, c'est aussi peut-être parce qu'ils sont reconnaissants aux agents de terrain du travail qu'ils ont accompli ou qu'ils accomplissent encore. Il nous semble que l'on peut ici aussi faire allusion à un effet de socialisation directement issu d'une histoire de vie commune avec les personnels. On pourrait alors supposer qu'ils tiennent pour naturel de rester chez France Télécom si l'on admet que, pour eux, le service public ce sont aussi des personnes avec qui ils entretiennent des relations de proximité.
L'incidence du secteur d'activité professionnelle
89L'appartenance à un secteur d'activité permet également de relever un positionnement différent des usagers face à l'influence qu'ils attribuent à certains mobiles marchands. Si, quel que soit le secteur d'activité des usagers, on observe que la majorité indique ne pas avoir été influencée par les prestations commerciales pour maintenir leur abonnement chez France Télécom, on peut en revanche observer des différences sur la question des tarifs et de la qualité technique. Rappelons ainsi que si la majorité des usagers indique qu'ils ne sont pas restés chez France Télécom pour ses tarifs, c'est plus encore le cas de ceux qui exercent une activité dans le public et à un degré supérieur celui de ceux qui n'exercent aucune activité. Rappelons aussi que seuls les usagers qui exercent une activité dans le public indiquent, pour une faible majorité, avoir maintenu leur abonnement chez France Télécom pour la qualité technique de ses prestations. On conviendra que ce n'est sans doute pas parce que France Télécom est techniquement moins bonne avec les usagers qui exercent une activité dans le privé et avec ceux qui n'ont pas d'activité professionnelle que ces réponses ont été données.
90On peut également rappeler que l'appartenance à un secteur d'activité permet de relever que les usagers qui exercent une profession dans le secteur public sont largement plus portés à indiquer qu'ils sont aussi restés chez France Télécom pour soutenir la téléphonie publique face au marché. De même les usagers du public sont majoritaires et nettement plus nombreux que ceux du privé pour indiquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès. On peut donc, tout d'abord, relever que les usagers qui travaillent dans le public sont toujours plus nombreux que ceux du privé à indiquer avoir été influencés par des mobiles civiques pour maintenir leur abonnement chez France Télécom. Ainsi, lorsque l’on demande aux usagers s'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide au plus défavorisés, ou quand on leur demande si c'est parce qu'ils entretiennent des relations de service public avec les employés, les usagers du public sont toujours plus nombreux que ceux du privé et toujours majoritairement d'accord pour le dire. Il existe donc, sur le rôle qu'il convient de donner aux mobiles civiques, une proximité de vue des employés du public que l’on ne retrouve pas aussi fortement chez les employés du privé. C'est sans doute la raison pour laquelle ont trouvé systématiquement plus d'usagers du privé dans les profils marchands (P1 et P2) et plus d'usagers du public ou des non concernés dans les profils civiques (P3 et P4).
91Pour l'expliquer, on peut évoquer des intérêts catégoriels, une sorte de repli protectionniste des employés du public qui se sentent solidaires de ceux de France Télécom et qui veulent faire front face à un développement du marché qu'ils perçoivent comme une mise en danger de leur profession et de la fonction publique à laquelle ils appartiennent. On peut d'autant plus le penser que les mouvements sociaux et les réactions syndicales ont ces dernières années été particulièrement vifs sur la question du service public. On sait aussi que le secteur public compte en France la plus forte proportion de syndiqués et un degré d'engagement politique plus élevé que dans le privé. Des enquêtes menées par le CEVIPOF de 1978 à 1997 montrent par ailleurs que le vote du secteur public est traditionnellement un vote de gauche et qu'il s'élabore dans le développement de revendications professionnelles (Rouban, 1999). Dès lors, il est cohérent de trouver plus d'usagers dans les rangs des personnels du secteur public que dans les rangs des personnels du secteur privé qui indiquent rester fidèles à France Télécom pour soutenir les missions de service public, les personnels de l'entreprise, en somme pour tout ce qui pourrait se résumer à leurs yeux à un soutien à la téléphonie publique face au marché.
92La défense d'intérêts catégoriels doit sans doute aussi être combinée avec une culture de gauche si l'on veut comprendre le positionnement des usagers qui appartiennent au secteur public. La défense du service public et les valeurs qui y sont associées renvoient ainsi sans doute à toutes les vertus morales spécifiquement attribuées à l'intervention publique. France Télécom serait ainsi perçue comme étant au service de la collectivité plutôt que d'intérêts particuliers et donc à même d'agir dans l'intérêt général plutôt que d'être régie par des critères de résultats et la recherche du profit. Les employés du public auraient donc une plus grande sensibilité et une plus grande connaissance de ce qu'est le service public et des dangers que constitue pour eux le développement du marché. Lui rester fidèle plutôt que de la quitter serait donc une manière d'éviter qu'elle néglige ses finalités politiques, mais peut être aussi une manière d'exprimer une opinion politique contre la vague néolibérale qui fragilise le service public et par extension le secteur public. Cela pourrait bien être le cas car si, globalement, il apparaît que, quel que soit le positionnement politique des usagers, ils sont toujours majoritairement d'accord pour dire que leur fidélité à France Télécom doit se comprendre comme une forme de soutien à la téléphonie publique face au marché, c'est quand même plus une position du centre et de gauche que de droite.
93Au-delà du clivage entre le public et le privé revenons brièvement sur les réponses que formulent les usagers qui n'exercent aucune activité professionnelle. Ce qui les caractérise c'est de ne pas avoir fait le choix de rester chez France Télécom pour ses tarifs et ne pas l'avoir choisie pour soutenir la téléphonie publique face au marché. On sait par ailleurs que ces usagers contribuent fortement à définir le profil des usagers qui rejettent les mobiles civiques et disent n'accorder aucune importance aux mobiles marchands (P5). On peut le comprendre si l'on considère, comme nous le laisse penser le profil qui les définit, que ces usagers sont sans doute des étudiants, des chômeurs, des rmistes et même des femmes au foyer, dont la facture téléphonique n'excède pas 46 €. Il semble ainsi que les usagers qui n'exercent aucune activité professionnelle sont davantage enclins à se présenter comme des usagers captifs qui sont chez France Télécom sans vraiment avoir fait le choix d'y rester pour des raisons marchandes ou civiques.
Les préférences partisanes
94Que les usagers se positionnent à gauche, au centre ou à droite de l'axe politique, l'analyse statistique ne révèle aucune différence suffisante pour dire que certains évoquent plus massivement des arguments marchands pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom. Concernant les mobiles civiques, le même constat d'ensemble peut être fait. Nulle différence entre les réponses données par les usagers de droite, de gauche et du centre n'est apparue ou du moins pas suffisamment forte pour être retenue. Il semble donc exister un consensus entre la gauche, le centre et la droite sur l'influence qu'ils accordent aux missions de service public (égalité d'accès, lutte contre l'exclusion, desserte du territoire). Ainsi, quel que soit le positionnement des usagers sur l'axe politique, ils sont relativement partagés pour indiquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle œuvre pour l'égalité d'accès et l'aide aux plus défavorisés. De même, quel que soit leur positionnement politique, ils sont toujours d'accord pour indiquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'elle se préoccupe d'amener le téléphone dans des endroits isolés et difficiles d'accès. On peut également noter qu'à droite, au centre comme à gauche, ils sont toujours majoritaires pour indiquer qu'ils sont aussi restés chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant.
95En revanche, ce consensus s'estompe dès que l’on évoque la question de savoir si le choix de France Télécom est une manière de soutenir la téléphonie publique face au marché. Les usagers de droite émettent des réserves que l’on ne retrouve pas chez les usagers du gauche et surtout du centre. Cela nous permet de supposer que le rapport qu'entretiennent les usagers à France Télécom peut aussi parfois être partisan. On le comprend si l'on admet que marquer une opposition au marché n'est pas une idée de droite, même si la droite adhère à l'idée républicaine de service public et aux principes qui lui sont associés. Dans le discours de droite, le marché et l'ouverture à la concurrence constituent plutôt des facteurs de croissance économique, mais aussi un meilleur traitement de l'usager, une possibilité de choisir librement.
96Rappelons également que s'il n'existe pas de fortes différences entre les usagers de droite, du centre et de gauche pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils entretiennent des relations de service public avec les personnels de cette entreprise, les usagers se situant à droite et au centre sont tout de même majoritairement opposés pour le dire, contrairement aux usagers de gauche et de ceux qui ne se positionnent pas politiquement. On peut l'expliquer en supposant que les relations aux personnels n'ont pas aux yeux des usagers du centre et de droite suffisamment d'importance pour constituer un mobile qui les conduirait à choisir France Télécom. On peut aussi supposer que ces usagers portent un regard plus critique sur les fonctionnaires de France Télécom. Si l'on en juge par l'interprétation que font Duhamel et Pisier (1989, p. 406) d'un sondage où il est demandé au Français de dire de quoi souffrent en profondeur les services publics, il semble en effet qu'il est des causes de gauche – bas salaires, nombre insuffisant des agents – et d'autres de droite – manque de motivation, poids excessif des syndicats-. On est de la sorte plutôt conduit à privilégier l'hypothèse selon laquelle, parmi les usagers de droite et peut-être du centre, certains ont une vision plutôt critique des relations qu'ils entretiennent aux personnels. Comme le disent Duhamel et Pisier, il est peu probable que les personnels du service public n'entretiennent que des mauvaises relations avec les usagers de droite et du centre.
97C'est sans doute la raison pour laquelle on retrouve dans les profils d'usagers que nous avons isolés davantage de partisans de droite chez ceux qui indiquent être restés chez France Télécom pour des raisons marchandes (P1) et davantage de partisans de gauche chez ceux qui indiquent être prioritairement restés pour des mobiles civiques (P3). Mais cette lecture partisane n'est pas suffisante et doit s'enrichir d'autres critères, sans quoi il est plus difficile d'expliquer que les usagers qui indiquent avoir principalement été influencés par des mobiles marchands et plus accessoirement pas des mobiles civiques se caractérisent surtout par le fait qu'ils ne se sont pas positionnés sur l'axe politique (P2). De même que ceux qui indiquent ne pas avoir tenu compte de mobiles marchands pour rester chez France Télécom et peuvent parfois indiquer avoir été sensibles à des arguments civiques se positionnent au centre (P4) et que ceux qui indiquent n'avoir ni tenu compte de mobiles civiques ni de mobiles marchands se disent centristes ou s'abstiennent (P5).
Le niveau de facturation téléphonique
98Rappelons que, quel que soit le montant de la facture téléphonique, les usagers n'indiquent pas être restés chez France Télécom pour ses tarifs, ses prestations commerciales et sa qualité technique. L'analyse statistique révèle toutefois que ceux qui ont une dépense moyenne (entre 46 et 76 € de facture) indiquent avoir été le plus influencés par les tarifs proposés par France Télécom. Rappelons par ailleurs que les usagers qui ont une facture téléphonique supérieure à 46 € sont majoritairement d'accord pour indiquer qu'ils sont restés chez France Télécom parce qu'ils ont davantage confiance dans une entreprise dont l'État se porte garant. Autrement dit, ces usagers semblent plus volontiers s'en remettre à une entreprise dont l'État garantit le fonctionnement, plutôt que de prendre le risque de faire défection pour un opérateur concurrent.
99Face à de tels constats on est conduit à penser que le montant de la facture peut constituer un enjeu économique qui conduit les usagers à recourir à des arguments marchands. Si cette interprétation a du sens, elle ne se vérifie pourtant que très imparfaitement. D'abord parce qu'on ne trouve pas de manière systématique de rapport entre le montant de la facture et l'évocation de mobiles marchands et ensuite parce, que même lorsque ce rapport existe, l'adhésion à des mobiles marchands ne varie pas en fonction du montant de la facture. En fait, si le montant de la facture a un effet sur l'adhésion ou le rejet de mobiles marchands, pris isolément il permet difficilement d'en rendre compte. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on peut difficilement dire que les profils d'usagers que nous avons isolés sont identifiables à partir du montant de leur facture. On trouve aussi bien des usagers qui ont une facture qui ne dépasse pas 46 € chez les usagers qui évoquent des arguments marchands que des arguments civiques pour expliquer qu'ils sont restés chez France Télécom. Le seul élément que nous pouvons constater est que, parmi les usagers qui sont restés chez France Télécom pour des raisons prioritairement civiques, existe une surreprésentation d'usagers qui ont une facture comprise entre 46 et 76 € (P3). Pour interpréter ce résultat, nous pourrions dire que les usagers dont le montant de la facture de téléphone n'est pas excessif sont davantage portés à faire valoir des arguments civiques, mais ce serait vite oublier que ceux qui dépensent ce montant constituent ceux qui indiquent avoir légèrement plus tenu compte des tarifs de France Télécom que les autres. Nous nous en tiendrons donc à dire que le montant de la facture n'explique pas pleinement le recours à des arguments marchands et civiques, même s'il intervient de manière secondaire.
Notes de bas de page
78 Cochoy F., 2002. Une sociologie du packaging ou l'âne de Buridan face au marché, PUF, Paris.
79 Nous avons utilisé deux types de données dans notre questionnaire. Nous avons demandé aux usagers de choisir dans une liste le parti politique dont ils se sentaient le plus proche et nous leur avons aussi demandé de se situer sur un axe politique allant de l'extrême gauche à l'extrême droite. L'importance du taux élevé de non réponses nous a conduit à délaisser le choix d'un parti politique pour préférer celui de l'axe politique. Compte tenu des effectifs de notre échantillon nous utilisons seulement ce second indicateur. Nous avons alors regroupé les usagers qui se sont situés à l'extrême gauche et ceux de gauche dans l'item « gauche » et regroupé les usagers qui se sont positionnés à l'extrême droite dans l'item « droite ». Notons que les usagers qui se sont positionnés aux extrêmes de cet axe politique sont sous-représentés.
80 Rappelons que l'on peut être « tout à fait » d'accord avec l'idée de rester chez France Télécom pour ses tarifs et déclarer être « en partie » d'accord avec l'idée de rester pour un motif civique. Il existe donc des motifs qui peuvent d'avantage retenir l'attention et d'autres qui peuvent être rejetés. Nous avons donc gardé les effets de nuances entre ceux qui ne sont « pas vraiment » d'accord et « pas du tout » d'accord et ceux qui sont « en partie » et « tout à fait » d'accord. Nous avons ainsi opéré une hiérarchie allant de 1 à 4. L'indicateur « 1 » étant les usagers qui indiquent ne pas être du tout d'accord, « 2 » pas vraiment ; « 3 » en partie et « 4 » tout à fait.
81 Ce qui ressort en premier lieu c'est que toutes les variables ne sont pas significatives pour la construction des axes. Certaines variables ne participent pas de la construction de la typologie.
82 Galland et Roudet, 2001. Les valeurs des jeunes, Brochet, Paris.
83 Percheron A., 1997. La socialisation politique, Armand Colin, Paris.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001