Cybermarchands, cyberclients : une captation inachevée
p. 183-216
Texte intégral
1SANS OUBLIER LA NÉCESSAIRE prudence dès lors qu’on manie les chiffres du commerce électronique (Brousseau, 2000), les résultats de l’année 2002 semblent plutôt encourageants. Du moins selon les acteurs du marché, telle l’Association pour le Commerce et les Services en Ligne (ACSEL)1 qui annonce un taux de croissance annuel, entre le troisième trimestre 2001 et le troisième trimestre 2002, de 60 % du chiffre d’affaires de e-commerce et de 43 % du nombre de transactions. De même la Mission pour l’économie numérique estime dans la dernière édition de son « Tableau de bord du commerce électronique »2 que 19 % des internautes ont réalisé un achat en ligne3 en 2002, soit un gain de 7 points par rapport à Tannée précédente.
2Certes cette progression est importante mais ramenée à la population des internautes en France (22 % des ménages disposent d’un accès à Internet)4, le commerce sur Internet, qui inclut les commandes non payées en ligne5, ne représente que 0,7 % du commerce de détail6. Par ailleurs il faut souligner la nette décélération, depuis plusieurs mois, de la vente ¿’ordinateurs, le nombre de foyers équipés en micro-informatique est passé de 32,3 % au premier trimestre 2001 à 36,1 % au second trimestre 20027 — soit + 0,5 point sur les six premiers mois de 2002 contre 3,3 points en 2001 —, la lente augmentation du nombre de foyers accédant à Internet qui passe sur la même période de 16,7 % à 22 %8 — soit + 0,7 point au 1er semestre 2002 + 2,6 points en 2001 — et l’attrait ténu des internautes pour le commerce électronique, dont les deux tiers ne souhaitent pas augmenter leurs dépenses en ligne9, alors que par ailleurs le nombre de sites marchands est passé de 15 100 à 20 70010.
3Dans ce contexte morose où de surcroît aucun modèle économique n’a prouvé sa réelle efficacité, les cybermarchands s’engagent dans une dynamique de captation du public dans ses deux volets classiques : attirer de nouveaux visiteurs pour stimuler l’audience, gage de notoriété et, peut-être, source de revenus publicitaires, et retenir les internautes, clients effectifs ou potentiels susceptibles de générer des recettes.
4Si la démarche de captation est somme toute assez banale, l’intermédiation du réseau Internet lui confère certaines particularités : être visible pour séduire et réduire la distance pour fidéliser. L’enjeu de la visibilité sur Internet tient principalement au foisonnement des applications qui oblige les responsables éditoriaux à mettre en scène leur site en élaborant d’une part une stratégie de communication qui articule judicieusement le choix de l’URL11, les modalités de référencement, la sélection des partenaires éditoriaux et commerciaux, les supports promotionnels et, d’autre part, une offre éditoriale accessible, « navigable » et différenciée qui exige des compétences comparables à celles des professionnels du commerce traditionnel (Barrey et al., 2000). Mais au-delà de ce premier contact, garder le visiteur exige de se jouer de la distance car, sur Internet, si le client est éloigné physiquement, la concurrence est très proche électroniquement, à un clic de souris.
5Parce que les acteurs vantent largement les vertus d’Internet qui doit permettre de travailler en profondeur l’audience et d’atteindre, enfin, les rivages prometteurs du marketing « one to one », et que la capacité à fidéliser les internautes représente un enjeu crucial économiquement, nous avons privilégié cette facette de la captation. S’intéresser aux pratiques de fidélisation sur les sites électroniques marchands nécessite d’élaborer une typologie des formes particulières de fidélisation sur Internet. Les potentialités d’interactivité d’Internet font de la proximité une réalité à double tranchant puisque d’un côté l’immédiateté du passage à un autre site, à une autre enseigne, accentue la concurrence dans l’espace et dans le temps comparativement au commerce traditionnel et favorise la volatilité de l’internaute et, de l’autre côté, les spécificités techniques du média concourent à forger des dispositifs qui vont tenter d’éloigner cette concurrence en se rapprochant du cyberclient.
6Nous montrerons, en nous appuyant sur des témoignages d’acteurs recueillis dans la presse professionnelle, que la démarche de fidélisation sur Internet procède d’un double jeu, la personnalisation de masse et l’individualisation des relations. Nous nous attacherons ensuite à analyser les pratiques réelles des responsables éditoriaux de notre échantillon, composé de sept éditeurs de sites marchands12, afin de comprendre comment ces éditeurs se sont emparés d’Internet comme vecteur de rétention d’un public susceptible de favoriser le passage à l’acte d’achat. Leurs pratiques révèlent-elles une maîtrise stratégique des dispositifs de fidélisation en ligne ou au contraire des déperditions qui laisseraient penser que, pour eux, la captation sur Internet relève plus de l’illusion que d’une démarche marketing mature et aboutie ?
Internet au service de la fidélisation
7Si le marketing de fidélisation s’est rapidement développé sur Internet sous l’effet de la croissance du nombre de sites concurrents et de la lenteur du démarrage du commerce électronique, la multiplication des dispositifs a bénéficié de la volonté d’exploiter l’interactivité du réseau technique dont les programmes d’accumulation de points auprès de sites affiliés constituent un pan du marketing électronique (Blanc, 2001). Les techniques déployées vont servir simultanément les deux objectifs de la fidélisation, l’augmentation des achats répétés et l’intensification de la liaison avec la marque (Bon, Tissier-Desbordes, 2000) en exploitant les deux facettes de l’interactivité. La première, centrée sur la dimension technique, rend beaucoup plus aisée et performante la collecte d’informations auprès des utilisateurs dans le cadre du marketing personnalisé alors que la seconde privilégie les fonctionnalités communicationnelles au travers principalement de la messagerie électronique dont l’usage, largement répandu chez les internautes, contribue à établir des relations individualisées au-delà de la sphère privée.
La personnalisation de masse pour réduire la proximité de la concurrence
8Mettre le client au centre de l’entreprise reste un objectif clamé par nombre d’entrepreneurs qui voient avec Internet une opportunité nouvelle pour s’attacher le chaland en lui proposant une offre totalement adaptée à ses besoins. Certes, la satisfaction du client grâce à la qualité du service rendu motive généralement les producteurs et, sur Internet, certains en font leur outil principal de fidélisation.
9Non seulement les internautes exigent à la fois qualité et performance de la logistique pour s’engager dans le commerce électronique mais ce service, en s’inscrivant dans la durée, devient solidaire de la fidélisation. Cette exigence est un pari difficile pour les entreprises étrangères à la vente à distance.
10Par ailleurs le recueil d’informations personnelles permettant de segmenter la clientèle fait de nombreux adeptes parmi les éditeurs multimédias. Internet, en facilitant l’automatisation du recueil et du traitement des données personnelles, laisse espérer des possibilités importantes de personnalisation de l’offre sur les sites de commerce électronique garantes de fidélisation. De plus la relation d’apprentissage, fondée sur la remontée d’informations régulière et suivie de la part du client, contribue à stabiliser la clientèle en réduisant les effets de la concurrence (Benghozi, 1998 ; Blanc, 2001).
11On pourrait avancer que grâce à Internet le marketing personnalisé a gagné en force et en efficacité. De fait les responsables de sites ont multiplié les occasions de se rapprocher de leur clientèle, soit directement en les incitant à donner des informations personnelles, soit subrepticement en enregistrant les traces de leurs activités en ligne. Mais la facilité technique de recueil des données n’est rien sans la collaboration des internautes dont les réactions aux sollicitations multiples conditionnent en grande partie la qualité du matériau collecté et la réalisation des objectifs d’audience et d’achats qui fondent cette quête. En retour le client coopératif est en droit d’attendre une réponse adaptée à ses besoins.
Les remontées d’informations
12La constitution de fichiers qualifiés sur Internet a suscité un engouement chez les professionnels non seulement en raison des opportunités de fidélisation mais aussi grâce aux revenus attendus des annonceurs et de la valorisation boursière induite. Cette marchandisation dont les abus ont été largement médiatisés a pu renforcer les craintes des internautes pour la confidentialité des données personnelles et le déferlement de messages publicitaires.
Les démarches volontaires
13À de multiples occasions les internautes sont amenés à laisser volontairement des informations en ligne dont la teneur est très variable selon les modalités adoptées. L’adresse e-mail fournie par les internautes lors de l’inscription à des lettres d’informations éditoriales ou promotionnelles, très pauvre d’un point de vue marketing comparativement à une adresse postale, est censée stimuler l’audience en éveillant la curiosité du destinataire qui va activer les liens hypertextuels proposés dans la lettre envoyée régulièrement via la messagerie. La faiblesse des coûts et la facilité de gestion de ces envois automatisés font de ces listes de diffusion un outil d’e-marketing très utilisé. Mais, si l’adresse est valide, sauf erreur involontaire de l’internaute, l’éditeur est dans l’incertitude en ce qui concerne la fréquence et la régularité de consultation de la messagerie, l’attention portée aux messages, l’identité de l’abonné puisque la boîte aux lettres virtuelle peut être familiale.
14En revanche l’engagement réciproque se renforce dans le cas de l’adhésion à un programme de fidélisation ou à un club. L’internaute, identifié, devra être plus disert en échange d’une gratification financière liée à la valeur de ses achats. Les informations personnelles fournies alimenteront les bases de données et, grâce au numéro d’adhérent, le client sera reconnu et dispensé de saisir ses coordonnées lors de ses prochaines visites.
15Outre l’automatisation de la collecte et de la gestion des données, les avantages financiers pour le gestionnaire rendent attractifs ces dispositifs comme le confirme la direction du groupe Accor : « si on compare le coût de distribution d’un programme de fidélisation papier à celui d’un programme en ligne, le rapport varie de 2 à 1 »13. Dans le même registre, le processus de commande en ligne s’accompagne d’un formulaire nécessaire à la finalisation de l’achat au terme d’une démarche suffisamment longue pour que l’internaute hésite à interrompre la transaction en refusant le questionnaire ; pour être livré le cyber-client donne ses coordonnées précises. Toutefois certains aspects de la gestion des informations qui le concernent peuvent lui échapper quand le système informatique mémorise, associe et croise les données personnelles et les produits achetés dans l’objectif pour le cyber-vendeur de personnaliser ses futures propositions commerciales, que ce soit par voie de messagerie ou lors de la prochaine visite de son client. Outre les composantes de la commande, des systèmes plus sophistiqués alimentent les bases de données clients, comme le mannequin virtuel expérimenté au Canada14 qui bavarde à l’insu de son modèle ! Chaque client dimensionne son avatar, un mannequin sur lequel on ajuste et essaie des vêtements et qui devient ainsi un agrégateur de flux d’informations.
16Enfin, pour profiler sa clientèle, la demande de l’éditeur se fait plus pressante pour les questionnaires en ligne, les sondages et les formulaires divers qui accumulent les données d’identification, le profil socio-démographique et les préférences, des sollicitations auxquelles les internautes peuvent décider de ne pas répondre. Ici encore la mise en place, la collecte et le traitement des données sont aisés mais la fiabilité n’est pas assurée15, et de surcroît la sur-représentation des internautes assidus et l’attractivité des cadeaux offerts biaisent les résultats.
17Il est difficile de connaître précisément les pratiques de captation d’informations par les gestionnaires de sites dont les abus sont rarement dénoncés dans la presse professionnelle, même si les préventions des internautes sont parfois relevées par les instituts d’étude. Une enquête annuelle réalisée aux États-Unis en décembre 200116 fait état d’un infléchissement des comportements des responsables éditoriaux par rapport à 2000 :
- la collecte des données permettant d’identifier et de localiser l’internaute concerne 90 % des sites américains contre 97 % l’année précédente ;
- l’e-mail du visiteur figure parmi les informations les plus souvent demandées (89 % des cas) mais « seulement » 48 % des sites recueillent des données socio-démographiques ou les préférences des internautes (alors qu’ils étaient 68 % en 2000).
18Ce retrait déclaré des acteurs tiendrait aux craintes manifestes des internautes américains sur le respect de la confidentialité des données personnelles, qui ressortent aussi des enquêtes menées en France auxquelles les pouvoirs publics, la CNIL ou le Forum des droits pour l’Internet répondent par des démarches d’information et de protection des internautes contre des pratiques « privaticides ». Bien sûr, les résistances des internautes peuvent limiter l’efficacité de ces dispositifs intrusifs considérés comme un frein majeur à l’émergence du commerce électronique. Néanmoins pour les cyberclients ces démarches déclaratives construisent une relation d’apprentissage, une « barrière à la sortie » qui s’apparente à du « marketing de collaboration » (Grangier, 2000, cité par Ughetto, 2002), et de ce point de vue le coût de changement d’un fournisseur peut les rendre captifs et les fidéliser par défaut dans leur refus de renouveler l’expérience d’exploration d’un site concurrent. (Benghozi, 1998).
La traçabilité
19Assimilé par ses détracteurs à une traque, le traitement invisible de l’information enregistrée à l’insu des internautes par leur navigateur, les cookies envoyés par chacun des sites, le JavaScript ou encore les applets Java17 renseignent précisément les éditeurs sur les faits et gestes de leurs visiteurs, qu’ils peuvent utiliser à des fins marketing. Les cookies sont des agents doubles. D’un côté ils sont des témoins de connexion et personnalisent la navigation : ils dispensent l’internaute lors de ses visites ultérieures de ressaisir ses coordonnées, son identifiant et son mot de passe pour l’accès aux forums par exemple, ils mémorisent la sélection des produits pour calculer le montant de la commande ; ils participent donc à la fidélisation, en élevant relativement le coût de transaction d’un passage à la concurrence. Par ailleurs, pour les éditeurs, ils permettent la reconnaissance de la configuration du matériel utilisé, du fournisseur d’accès, et ils enregistrent le cheminement dans le site qui dévoile les centres d’intérêt et les habitudes de parcours qui permettront d’adapter la forme et le contenu de l’offre commerciale et les annonces publicitaires.
20Enfin, les navigateurs utilisés par les internautes et les logiciels de mesure d’audience sont aussi d’excellents indicateurs sur les points d’entrée, le parcours de consultation, les liens activés, l’origine géographique, les mots-clés de la dernière requête sur un moteur de recherche, la durée et l’heure de connexion, autant de données qui échappent à l’internaute mais informent le responsable du site non seulement sur sa popularité18, sur l’attrait de ses rubriques et les dysfonctionnements éventuels, mais surtout sur les qualités de sa clientèle.
21Indéniablement la constitution de fichiers qualifiés empruntant des techniques diversifiées et sophistiquées19 ouvre des horizons pour la personnalisation. Soulignons que la traçabilité est aveugle dans la mesure où la reconnaissance du visiteur est en fait l’identification d’un ordinateur, son adresse IP, et que les informations collectées ne sont pas à proprement parler des données personnelles. Mais l’anonymat est levé dès que l’internaute a délivré son nom et son adresse sur le site. Plus encore, on peut s’interroger sur la pertinence de ces démarches de collecte massive d’informations dont les résultats sont délicats à manier si l’on en croit P. Lemoine20 qui souligne l’écart important entre les traces que l’on peut collecter et leur exploitation commerciale.
22Ces moyens techniques pour approcher l’intimité du client débouchent sur des applications de personnalisation qui vont donner corps au processus de fidélisation.
Les formes courantes de la personnalisation
23Si l’on admet que « l’inscription et la possibilité de suivre pas à pas la consommation et, plus largement, les clicks de l’internaute constituent en elles-mêmes un élément de marketing très intéressant puisqu’elles permettent de mener à bien un marketing relationnel dit one-to-one où la relation à l’enseigne commerciale et le client est strictement personnalisée en fonction des informations collectées par ces biais » (Blanc, 2001), les éditeurs détiennent les moyens de proposer à leurs clients des solutions sur mesure où la technicité d’Internet va permettre d’opérer une sélection automatisée d’informations ou de produits qui donne le sentiment à l’internaute d’être connu et reconnu. La personnalisation intervient à deux moments en amont de l’acte d’achat : en proposant des informations ciblées et en adaptant les produits aux besoins particuliers de l’internaute.
La personnalisation de l’information
24À la condition que les internautes aient satisfait aux requêtes d’informations des sites consultés, les éditeurs vont décliner une palette standardisée et automatisée de signes de reconnaissance qui conduiront les usagers à privilégier leurs sites pour se renseigner et, éventuellement, pour acheter. La marque la plus banale de cette reconnaissance est l’implémentation du nom du visiteur dès son entrée sur la page d’accueil. Le portail Wanadoo, par exemple, gratifie ses abonnés d’un bonjour nominatif et les dispense de saisir leurs données d’identification. Dans le même souci de fluidifier la navigation mais aussi d’alléger le processus de commande, la SNCF, comme de nombreux sites de transport, renvoie à ses clients qui en ont accepté le principe leur formulaire pré-renseigné. La lettre d’information prend un relief particulier dans le sens où elle est adressée par courrier électronique et instaure une relation pseudo-personnelle entretenue par la récurrence régulière des envois. Les formules d’e-mailing utilisées accompagnent des services différenciés répondant à des attentes exprimées ou latentes des internautes. Si le site de Nouvelles Frontières sélectionne ses promotions sur le critère du choix géographique spécifié par l’internaute, le site Alapage a mis progressivement en place plusieurs listes de diffusion : une lettre d’actualité mensuelle, des mails d’alerte sur la sortie de certains produits, la personnalisation de la page d’accueil en inscrivant le nom et le prénom du client et une sélection d’articles adaptés à son profil d’achat et d’actions21.
25Certains sites ancrent leurs lettres dans une démarche de segmentation de la clientèle comme le site « Rue du Commerce » de ventes en ligne de matériel informatique qui a commencé, dès septembre 2000, à adapter sa lettre d’informations aux différents types de clients identifiés en fonction des critères classiques de fréquence et de montant d’achat, « en travaillant à partir de l’historique de leurs achats et des questionnaires qu’ils avaient remplis. »22
26D’autres encore pratiquent les recommandations de produits et de services fondées sur les achats antérieurs ou les rubriques consultées, cette méthode de filtrage collaboratif mis en œuvre par exemple sur le site Amazon, enserre le cyber-client dans une relation commerciale très suggestive.
La personnalisation du produit
27À cette dimension d’information ciblée et personnalisée aisément mise en œuvre sur Internet, au risque de lasser le client potentiel, s’ajoute la possibilité de satisfaire une demande individualisée. Le premier niveau de personnalisation est celui pratiqué par le site Aquarelle qui vend des bouquets de fleurs personnalisés sans permettre une totale liberté de choix ; la sélection se fait entre une dizaine de compositions différentes, choisies sur photographie. Les conditions d’approvisionnement pour le vendeur et les risques inhérents de déception pour l’acheteur rendent périlleuse une véritable individualisation du produit final qui pourra être accompagné d’un message totalement personnel ! Le deuxième niveau est représenté par le célèbre et performant site de vente d’ordinateurs Dell. Les composantes stockées sont sélectionnées à sa demande par l’acheteur qui reçoit une configuration personnalisée à partir d’éléments standard. Enfin, le véritable sur mesure émergera, peut-être, avec la multiplication des mannequins virtuels, doubles en trois dimensions de chaque client qui lui permettent d’essayer des vêtements et de « se voir ». Selon ses promoteurs c’est un outil de fidélisation unique et un outil « viral » efficace dans le sens où les internautes contribuent largement à la promotion du produit en diffusant l’information dans leur cercle familial et amical, mais qui nécessite d’adapter le mode de production.
28On peut croire que la création de bases de données qualifiées rend possible l’entretien d’une relation étroite avec les internautes qui deviendraient indifférents aux sites voisins, mais s’en tenir à ces questions du data mining serait réducteur, la fidélisation renvoie aussi à la proximité physique.
Des relations individualisées pour recréer des liens de proximité
29Les enquêtes s’accordent à imputer les difficultés de développement du commerce en ligne de détail aux craintes diverses éprouvées par les internautes à propos de la confidentialité des données personnelles, de la sécurisation des paiements, de l’absence de relations commerciales, du respect des délais de livraison, de la qualité du service après-vente... Les cybermarchands, pour rassurer leur clientèle présente et à venir, vont mobiliser les potentialités d’interactivité du média afin de gommer la distance, pour instaurer un rapport de proximité favorable à la confiance. Le directeur général d’AuFeminin, M. A. Dubanton, s’est engagé à « humaniser » la relation à son site en exploitant les « énormes atouts [d’Internet] : l’interactivité qui procure un fort sentiment de proximité et les possibilités multimédias23 » qui doivent gommer le côté technologique et froid. Mais cette proximité n’est pas une évidence technologique, elle résulte de la volonté de construire un lien de clientèle qui emprunte principalement trois voies susceptibles d’attacher affectivement l’internaute au site, la communication interpersonnelle, la communication sur l’enseigne et le développement d’un sentiment communautaire.
L’individualisation de la communication
30Application privilégiée par les internautes, la messagerie électronique, sans se substituer à l’échange verbal nécessaire à la création d’un lien de clientèle (Blanc, 2001), rapproche le client de son fournisseur en lui permettant de s’informer ou de formuler des réclamations dans l’espoir d’obtenir une réponse rapide, précise et argumentée et dont la forme scripturale engage le site. La communication asynchrone, éventuellement relayée par le téléphone, réduit la distance géographique. En outre, par ce canal, l’équipe éditoriale peut prodiguer des conseils personnalisés qui tissent une sorte de complicité entre les protagonistes, le client étant alors enclin à céder aux prescriptions d’achat. Une forme dégradée de la communication interpersonnelle mais exploitant aussi la dimension interactive de l’outil consiste à proposer des dispositifs d’aide qui, sans exclure le recours à la messagerie, privilégient les outils automatisés comme les moteurs de recherche ou les FAQ24. C’est ce que propose le site Alapage pour lever les freins au « réachat »25. Par ce double mouvement, plus de proximité et donc moins d’inquiétude de la part des internautes d’un côté, une communication renouvelée pour les éditeurs d’un autre côté, cette forme de communication ne peut être ignorée des marchands en ligne comme le souligne P. Besnard, vice-président de la publicité et du e-Commerce chez AOL France : « Avec Internet, pour une fois le public peut s’intéresser à une marque non pas parce qu’elle l’interpelle pour lui vendre quelque chose mais parce qu’elle lui donne des conseils et lui montre son expertise. Selon moi, c’est un nouveau paradigme de communication des entreprises : tout à coup, elles s’aperçoivent qu’elles peuvent totalement renverser la manière dont elles communiquent. »26.
31Cette forme d’échange individualisé prolonge la relation du vendeur au client tout en renvoyant l’internaute à la marque, et concourt ainsi doublement à la captation en favorisant l’attachement à l’enseigne et la propension à acheter.
La valorisation de l’enseigne
32Même si on partage l’enthousiasme des acteurs pour qui « toutes les études réalisées ont prouvé qu’internet permettait de renforcer la notion de proximité entre un utilisateur et une marque »27, un effort réel de communication sur la marque s’impose tant aux sites clik and mortar qu’aux pure players28. Les sites conçus comme un canal de distribution complémentaire du circuit traditionnel profitent d’un capital de confiance et d’un a priori favorable susceptibles de lever les craintes des consommateurs. Néanmoins la communication sur la marque s’avère souvent nécessaire en raison de stratégies commerciales qui filialisent l’activité électronique en modifiant la nature de l’activité au risque de brouiller la lisibilité de l’enseigne. Ainsi le responsable du site de voyages-sncf.com considère comme une priorité cette démarche d’information promotionnelle : « Nous allons travailler la marque en réalisant, à partir de mars, une grande campagne de communication presse et on line »29. En fait il exploite la notoriété de la société alors qu’il a une activité de voyagiste dans laquelle le train est un produit d’appel ce qui, sans être totalement novateur, peut déconcerter les usagers auxquels on propose non seulement des billets de train mais aussi du transport aérien et des séjours touristiques.
33En jouant sur la mise en scène du contenu éditorial, les concepteurs des sites peuvent aussi choisir de recréer l’ambiance particulière de leurs magasins en adaptant l’ergonomie et l’esthétique visuelle et sonore du site. L’enjeu est plus crucial pour les enseignes exclusivement électroniques qui vont devoir construire ex nihilo leur image par des campagnes publicitaires régulières. La question se pose avant même l’entrée dans le magasin virtuel avec le choix de l’URL sans résonance possible dans le commerce traditionnel, une distance que certains abolissent par un clin d’œil à l’environnement familier. C’est le choix du site généraliste de produits informatiques « Rueducommerce » : « Nous désirions un nom qui évoquait la proximité avec nos clients. Nous n’aimons pas beaucoup les noms à la mode Internet. Par ailleurs, l’appellation "rue du commerce" fait partie de la vie quotidienne des Français. »30
L’esprit de communauté
34Sans entrer dans les discours de nombreux acteurs pour lesquels la constitution de communautés virtuelles devait assurer la démultiplication de l’audience31, les forums, les clubs, les programmes de fidélisation, tout en permettant de recueillir des informations, sont aussi une force de rassemblement et donc de fidélisation à ces sites. Les forums électroniques, à l’instar des courriers des lecteurs mais sans les limites inhérentes aux tribunes des journaux papier, donnent la parole à leur lectorat qui noue des relations de voisinage dans un environnement modelé par les modérateurs qui insufflent un esprit « maison », en liaison ou non avec la tonalité de l’enseigne physique. Pour les sites à fort contenu éditorial on retrouvera la fidélité et la cohérence avec l’image et le ton du journal, démarche délibérée du journal Libération dans ses forums. La proximité se conjugue à la fois entre les internautes et le titre, et entre les internautes eux-mêmes.
35Les clubs procèdent d’une démarche explicite d’adhésion qui renforce le sentiment d’appartenance ; ils sont le plus souvent accompagnés d’avantages diversifiés pour leurs adhérents, boîte électronique gratuite, espace mémoire pour l’hébergement de sites personnels mais aussi de gratifications calculées sur le montant des achats réalisés en ligne. Par ce dernier aspect ils se rapprochent des programmes de fidélisation électroniques dont les formules diversifiées visent le même objectif, l’instauration d’une routine de comportements au travers de laquelle le souhait d’accumuler des points se traduirait à terme par un réflexe d’achat en ligne chez un fournisseur attitré (Blanc, 2001). Le programme de fidélité multi-enseignes Maximiles qui regroupe plus de 50 partenaires appartenant à de nombreux secteurs d’activité32 cherche à accroître son efficacité au risque peut-être de perturber le consommateur, de rendre floue la frontière de la concurrence et d’aboutir à l’effet inverse de celui recherché par une volatilité accrue du cyberclient. En fait, plus que l’attachement à la marque, l’adoption de ce programme relève de la volonté de créer des habitudes d’achat qui passent par une rupture dans les comportements. La SNCF gratifie ses clients en ligne de points non pas en fonction de la valeur de la commande mais de l’acceptation de se faire envoyer ses billets à domicile33.
36D’autres formes de programmes de fidélisation sont testées qui combinent les cartes de fidélité en ligne et hors ligne attachées à une enseigne. Le groupe Accor propose un programme de fidélisation off line baptisé « Compliments » créé en 200134.
37Mais les programmes de fidélisation n’intéressent pas tous les éditeurs marchands. Amazon, contrairement à la FNAC qui entretient son réseau d’adhérents, positionne sa fidélisation sur les services : « La livraison gratuite à partir de 25 euros d’achats, les prix les plus bas et une fantastique sélection de produits. Notre souci permanent est de rendre le choix de chacun plus pertinent, que ce soit à travers les commentaires des internautes, que ce soit à travers les conseils personnalisés, ou le téléchargement de plus d’un million d’extraits sonores »35.
38Les déclarations de ces acteurs laissent penser que l’ensemble de ces moyens de fidélisation sont expérimentés dans une démarche commerciale rationnelle. L’observation des pratiques de responsables de sites va tenter d’apporter un éclairage sur leur démarche de captation.
L’ambivalence des pratiques de captation
39Plus encore peut-être que dans le commerce traditionnel, la question de la fidélisation des internautes imprègne les discours des acteurs multimédias qui disposent d’outils variés à l’interactivité prometteuse dont les usages professionnels sont pourtant mal connus. Pour tenter de brosser les contours des comportements des responsables éditoriaux en matière de fidélisation de la clientèle nous avons privilégié des investigations de terrain qui ont porté principalement sur l’étude de l’offre en ligne et sur la rencontre de différents membres de l’équipe éditoriale des sept sites retenus36 :
- trois d’entre eux appartiennent au secteur de la presse et offrent de forts contenus éditoriaux, Oriane, un magazine féminin accessible uniquement en ligne, Parispresse, un quotidien national et Médiarevue, un hebdomadaire culturel ;
- les quatre autres sont positionnés explicitement sur le commerce électronique, Beautéplus pour les produits de beauté, Bluecom pour la téléphonie, Placenet pour la billetterie de spectacles et Fleursdeschamps pour le portail sur la nature.
40Même si le recours à des témoignages d’acteurs identifiés publiés dans la presse spécialisée conforte l’analyse, notre propos reste exploratoire et les conclusions critiques ne peuvent en aucune manière être généralisées. Elles offrent l’opportunité de s’interroger sur les raisons des décalages observés entre potentialités et réalités et de poser des jalons pour une étude plus large et plus approfondie.
Des opportunités peu exploitées
L’indigence de la personnalisation
41Sans appartenir à proprement parler à la panoplie des outils de captation, le traitement de l’audience constitue à nos yeux, un premier niveau de connaissance des internautes. On le sait, l’évaluation de l’audience, sans atteindre la finesse des informations nominatives, éclaire l’éditeur sur les centres d’intérêt de son public et sur son cheminement dans le site (Le Fournier, 2002).
42Si l’édition des statistiques de consultation est une pratique commune à tous nos éditeurs, en revanche leur analyse ne fait pas beaucoup d’émules. Seuls les gestionnaires du magazine féminin Oriane et du portail Fleursdeschamps sont attentifs aux enseignements à tirer de ces résultats quantitatifs bien qu’ils soient animés par des motivations très différentes. Le premier, Oriane, fonde son modèle économique sur la publicité et se doit d’apporter aux annonceurs des résultats réguliers et précis sur les consultations du site, et tout particulièrement des pages avec publicité (PAP) et des requêtes faites sur les moteurs de recherche. Le second, Fleursdeschamps, exploite sur Internet un vecteur complémentaire à la distribution traditionnelle mais surtout un canal supplémentaire de propagation d’informations sur la nature qui justifie d’approfondir sa connaissance de la clientèle par le suivi minutieux des indicateurs d’audience. Cette curiosité a d’ailleurs débouché sur une découverte pour le responsable du site Fleursdeschamps : « Les statistiques fournies par Integra permettent de visualiser les points d’entrée sur le site. On s’est ainsi aperçu qu’à 80 %, le site était consulté pour sa partie catalogue en ligne et seulement 2 % pour la partie portail sur la nature » alors que l’objectif initial du site visait prioritairement le prosélytisme sur la nature.
43Mais l’attitude la plus courante est la consultation rapide des statistiques sans en tirer d’enseignement. Ce manque d’intérêt tient pour certains à une myopie favorisée par des objectifs mercantiles à très court terme, telle la billetterie Placenet pour qui seuls les résultats commerciaux captent l’intérêt des dirigeants du site37. Pour d’autres, un argument avancé pour justifier de la lecture rapide des données sur l’audience est la méfiance dans les performances des outils de mesure qui suscite un rejet des études d’audience. Ce rejet touche, par exemple, le site de Parispresse dont on connaît pourtant, de façon générale, l’attention pointilleuse portée aux résultats de diffusion du média papier ; pour son responsable, « Les outils servent à gargariser le marché parce que c’est nécessaire. Si l’on est puriste, ça ne me satisfait pas de m’appuyer sur des données tout en sachant qu’elles ne sont justes qu’à hauteur de 50 %. Oui il y a un problème d’outil sur le web. » Cette position est aussi partagée par le responsable marketing e-client de la boutique de téléphonie Bluecom : « Sur Internet, une des grosses difficultés est d’avoir des données fiables. On parvient à avoir des données chiffrées mais le véritable souci est en terme de fiabilité de la connaissance du client et de son comportement en ligne ». Derrière la question de la fiabilité des données ce sont les méthodologies qui sont en cause38 (Le Fournier, 2002).
44D’autres éditeurs arguent de leur connaissance de leur public, qui les dispense d’une analyse sérieuse des résultats obtenus. Il s’agit dans le cas de la vente de produits de beauté (Beautéplus) comme dans celui de l’hebdomadaire culturel (Médiarevue) d’une assimilation a priori des publics en ligne et hors ligne39. Les déclarations concernant la constitution de fichiers qualifiés traduisent aussi des situations très contrastées et paradoxales qui soulèvent la question du réel intérêt porté à la personnalisation. Pour l’éditeur d’Oriane, les bases de données qualifiées constituent la ressource principale du site. Dans ce cas, le recueil d’informations emprunte toutes les voies : adresse de messagerie, inscriptions au club et aux forums, interventions des internautes dans les rubriques de suggestions et d’appels à témoignage, réponses aux sondages, autant de canaux qui servent la démarche commerciale et font l’objet d’une gestion rigoureuse. Mais, à l’exception de cet éditeur, les autres sites oscillent entre la mémorisation d’informations personnelles qu’ils déclarent ne pas utiliser et l’annonce d’une démarche de tracking40 alors que les fichiers ne comportent que très peu de données.
45Dans le premier groupe, le responsable marketing de Médiarevue affirme son opposition à un accueil nominatif sur l’entrée du site : « Nous refusons d’aller jusqu’au tracking du visiteur et de transformer notre homepage pour Monsieur X, en fonction de sa visite de la veille » alors que la cellule « Développement » reconnaît constituer des fichiers à partir des pseudonyme, nom, prénom, mel, adresse postale, civilité, situation familiale, habitudes de sortie culturelle, équipement audiovisuel et informatique sur lesquels, officiellement, n’intervient aucun traitement (ce qui serait de toute façon rendu difficile par l’absence de démarche globale). Cette situation reflète, plus qu’une volonté de mystification ou une incohérence au sein de l’équipe, des décalages dans l’objectif assigné au site, l’information pour le responsable éditorial, l’autonomie financière en accentuant la démarche commerciale pour les actionnaires.
46A contrario, en ne relevant que le nom, le prénom, la date de naissance et le montant de la dernière commande, l’assaut des internautes est en deçà des potentialités de l’outil et des habitudes marketing de Beautéplus, ce groupe international spécialisé dans la VPC41. Les démarches de segmentation de clientèle à partir d’études profiling sont d’ailleurs peu pratiquées, à l’exception d’Oriane dont la rentabilité repose à 90 % sur la publicité. Pour Parispresse l’apport semble marginal dans la stratégie de fidélisation comme le précise son responsable marketing : « Culturellement la relation client reste embryonnaire pour le secteur de la presse écrite. Pour être clair, on connaît un certain nombre d’info sur les statistiques mais très peu sur les clients. Cela fait partie des choses que l’on aimerait bien faire, mais qui coûtent très cher. Une enquête sur notre site avec des questions intelligentes et un traitement derrière intelligent ne se fait pas comme ça. Ce sont des choses suffisamment précises pour ne pas forcément les jouer rapidement. Notre démarche l’an dernier auprès de spécialistes d’enquêtes usagers devait aboutir à des conclusions intéressantes qui faisaient le lien entre le off et le on line. Mais nous avons réduit la voilure. Ce qui est dommage, je vous l’accorde. »
47Enfin, parmi les autres moyens d’alimenter les bases de données, il faut souligner que seul Placenet propose un programme de fidélisation qui rencontre peu de succès puisque la mise en place de la carte Maximiles ne génère que 2 % des commandes.
48Conformément aux informations mises en ligne sur la majorité des sites étudiés, ceux-ci n’utilisent les cookies que pour faciliter la navigation au sein de l’application sans s’aventurer dans des pratiques de pistage de l’internaute qui ne revêtent d’intérêt que lorsque les informations du mouchard sont croisées avec des données d’identification. Par conséquent, et même si les causes ne sont ici qu’esquissées, la démarche de personnalisation de nos éditeurs est assez pauvre. Elle se concentre sur quatre services dont seul le premier se combine parfois avec les autres fonctionnalités : la lettre d’information, déclinée par thème, peut être adaptée aux centres d’intérêt déclarés par les internautes, les alertes par mel à propos des sorties de films et de leur passage dans des salles spécifiées ou du réapprovisionnement pour les produits en rupture de stocks, les jeux-tests qui prennent valeur de conseil et enfin le ciblage des publicités envoyées par mel. Médiarevue annonce ainsi sur son site que : « Pour qu’il s’adapte à vos goûts et à vos passions, il faut bien sûr qu’il vous reconnaisse. Or il ne peut le faire que si vous vous inscrivez. C’est ainsi que vous profiterez d’un affichage personnalisé des programmes télé, d’une liste à jour des films qui passent dans vos salles préférées, d’une entrée dans les forums. Enfin, vous pourrez être prévenu par e-mail lorsqu’un film de cinéma ou une émission de télé que vous attendez seront programmés. Les renseignements que vous fournirez resteront strictement confidentiels. »
49Pour le directeur général du développement d’Oriane : « La personnalisation c’est, essentiellement, la reconnaissance par pseudo, l’envoi de mails personnalisés selon les profils entrés dans notre base de données et des annonces publicitaires ciblées selon le profil enregistré ». Enfin pour Bluecom, l’opérateur de téléphonie, la fidélisation passe principalement par la lettre mensuelle qui en quatre mois n’a été envoyée qu’une seule fois ! La relation de service semble pour le moins étriquée ; ne serait-on pas, sous couvert d’interactivité, dans une fausse personnalisation (Le Fournier, 2001) ?
50Le directeur de la Stratégie du Groupe Beautéplus affirme sa conviction de l’inéluctabilité du développement du commerce électronique et s’engage résolument dans une démarche de personnalisation qu’il juge prometteuse tout en reconnaissant ignorer ce qu’elle recouvre : « À terme la VPC sur Internet devrait capturer 10 à 15 % des flux de commandes. Nous prévoyons un doublement de l’activité sur les trois années à venir du quatrième canal de distribution42. On y croit énormément. D’ici deux ans, pour 2003, on aura développé des outils de personnalisation. Tout le problème de la personnalisation est de savoir ce qu’on fait exactement ».
51Néanmoins cette interrogation ne semble pas s’étendre aux dispositions des internautes vis-à-vis de ces dispositifs. Ainsi le portail Fleursdeschamps qui propose après chaque commande un petit questionnaire sur la satisfaction du cyberclient constate-t-il l’intérêt limité que suscite sa démarche qui reçoit environ 20 % de réponses. Mais l’interactivité de l’outil, au-delà de l’instrumentalisation de la démarche de fidélisation, peut faciliter la communication interpersonnelle entre les internautes et les responsables du site.
De la difficulté de communiquer
52L’instauration d’une relation individualisée pour réduire la distance passe principalement par la messagerie électronique. Bien qu’elle mobilise beaucoup d’énergie, sa richesse tient à la fois au lien qu’elle crée entre le client et le cybermarchand mais aussi aux informations qu’elle véhicule. Tous les responsables éditoriaux s’accordent sur l’importance d’une gestion rigoureuse des mels qui se traduit le plus souvent par la volonté de répondre rapidement, ce qui, parfois, s’avère être une gageure en raison de la masse du courrier à traiter et de l’inadéquation de l’organisation des équipes. Si chacun déclare attacher une grande importance au principe de réponse, cet engagement prend des formes différentes dont aucune ne semble tout à fait satisfaisante en termes d’efficacité. Le choix de l’éditeur entre une boîte aux lettres générique et des messageries personnalisées vise à concilier au mieux les ressources humaines et les attentes des usagers, réduites le plus souvent à la rapidité de la réponse. Le site de Parispresse a opté pour une centralisation des messages : « Les méls arrivent tous sur l’adresse électronique de Nathalie, la secrétaire, qui se charge de dispatcher le message auprès de la personne ou du service adéquat. Tant bien que mal, on répond aux méls, c’est le minimum que Ton puisse faire. On n’a pas de dispositif CRM et de réponse automatique. Les méls reçus sont stockés et classés par mois de réception. La politique que j’ai mise en place consiste à répondre à tous les méls car c’est synonyme d’une démarche positive du client. »
53D’autres sites différencient les interlocuteurs en leur attribuant une adresse afin de donner une visibilité à l’équipe éditoriale mais dans l’espoir aussi de faciliter le tri du courrier et de réduire les temps de réponse. Ceci revient à déporter sur l’internaute la tâche de répartition des mels avec le risque d’un mauvais adressage qui, in fine, alourdit la tâche et ne garantit pas la qualité des réponses. Le responsable de Fleursdeschamps se prévaut de mener une analyse fine et régulière des contenus des messages tout en avouant pourtant son insatisfaction : « Car les courriers sont adressés à des responsables de service qui ont peu de temps à consacrer au site et certains courriers restent sans réponse. »
54Une autre façon de tenter d’améliorer l’efficacité de la gestion des mels consiste à les classer selon leur objet en distinguant les courriers relevant du commerce électronique, suivi de commande, réclamations, SAV et ceux liés au contenu éditorial, mais les résultats ne sont pas probants si l’on en croit le vépéciste Beautéplus qui ne parvient pas à réduire ses temps de réponse. Ces difficultés de gestion de la messagerie sont communes à de nombreux sites, à vocation marchande ou non, et font l’objet d’études régulières qui opposent souvent le taux de réponse à la qualité de la réponse. En mars 2002, Benchmark Group43 souligne la supériorité des sites français pour les taux de réponse des grandes marques, 83 % ont répondu dans le délai maximum acceptable de huit jours contre 70 % des sites américains et britanniques contactés anonymement, mais leur qualité est jugée moindre.
55À la lourdeur de la gestion des flux entrants s’ajoute la complexité du traitement qualitatif des courriers qui exige compétences et sens du contact. La construction du lien de clientèle va puiser dans la qualité du contact établi par l’équipe éditoriale, dans la convivialité de l’échange épistolaire. La personnalisation est à nouveau convoquée, pour les courriers de nature commerciale principalement. Contrairement à certains réseaux de la grande distribution dans le commerce traditionnel, les éditeurs n’utilisent pas de lettres-types mais l’individualisation de la communication passe aussi par la banale missive nominative à laquelle on ajoute l’objet de la requête (Barrey, 2002). Plus rarement les codes particuliers d’expression sur Internet peuvent favoriser soit une plus grande cordialité dans le ton et jouer sur l’affectivité de l’interrelation (Fleursdeschamps), soit un rapport d’intimité en prodiguant des conseils sur tous les sujets de la vie quotidienne (Oriane).
56À l’aune de ces contraintes, certains acteurs, qui n’appartiennent pas à notre échantillon, préfèrent renoncer à la possibilité de donner la parole à leurs internautes comme le justifie T. Hamelin44 : « Certaines marques françaises s’évertuent à proposer une rubrique contact par e-mail alors que sa gestion, mal organisée et suivie, est vécue par les équipes Internet comme un traumatisme. Cela nuit inéluctablement à la qualité de service. La société Southwest Airlines explique par exemple sur son site qu’elle a choisi de ne pas accepter les e-mails pour des raisons de performance et de coût. Cette solution est préférable à des réponses non-maîtrisées, quantitativement ou qualitativement. »
57Mais cette position est d’autant moins acceptable dans une logique de fidélisation que, paradoxalement, elle élimine d’entrée l’usager-client en privilégiant la logique de l’offre tout en se privant de la richesse des enseignements fournis par les courriers des internautes.
58En fait c’est là un témoignage, extrême, de la dérisoire attention accordée aux contenus des messages qui ne sont qu’exceptionnellement analysés et archivés. La mémorisation des courriers reçus et la capitalisation des réponses apportées constituent des outils de gestion forts qui, en mettant réellement le client au cœur du système de communication, concourent par des ajustements à la demande effective à améliorer les performances de l’application en ligne, contenu et services, et à décrypter les attentes de la clientèle. Le court terme prend dangereusement le pas comme le reconnaissent les responsables de Placenet : « Si les mails et les études fournissent des informations qui permettent de dresser un profil de l’internaute-type, ce n’est pas notre préoccupation principale, la priorité est clairement donnée à l’offre : mettre un maximum de spectacles en vente et le plus rapidement possible, et non à la demande ».
59En fondant exclusivement leur gestion du courrier électronique sur la réactivité, les éditeurs substituent une démarche fonctionnelle à une logique communicationnelle préjudiciable à leur pérennité puisqu’en fait ils ignorent les comportements de leurs visiteurs.
60Dans la majorité des cas, il semble qu’on se trouve plutôt en présence d’un simulacre de fidélisation que dans une démarche mature qui pourrait espérer déboucher sur des modèles de viabilité. Si les acteurs ont pu rêver sur les potentialités d’Internet comme outil de retour d’informations, leur organisation pose problème et, en conséquence, leur utilisation en vue de générer de la valeur ajoutée reste encore bien timide (Alard, Dirringer, 200045) Dès lors on pourrait adhérer à l’analyse de P. Ughetto (2002) qui dénonce le dévoiement de la relation de service réduite au développement de sites web interactifs. L’observation des pratiques de notre échantillon révèle des comportements velléitaires. Les investigations sont rarement très approfondies et lorsque les dispositifs sont mis en place leur gestion est le plus souvent médiocre. Ces attitudes qui s’apparentent à une mise en jachère de la clientèle semblent trouver leurs fondements dans la prégnance de la technique.
L’absence de vision stratégique
61Le constat de ces décalages entre les discours sur la place centrale accordée au client, les pouvoirs exorbitants conférés à Internet en tant qu’outil interactif (Ughetto, 2002) et les pratiques timides de nos éditeurs se traduisent par une démarche de fidélisation hésitante dont les explications relèvent de dysfonctionnements qui tiennent à la fois à la méconnaissance des internautes et des clients et à une absence de stratégie globale.
Une méconnaissance certaine des internautes
62Les clients, effectifs ou potentiels, sont ignorés en tant qu’usagers, comme le reconnaît le responsable de Placenet : « L’observation passe par l’augmentation du trafic, on ne s’intéresse pas vraiment aux usagers. » La logique de l’offre, comme dans le commerce traditionnel, prédomine ; cette posture transparaît à différents niveaux. On retrouve par exemple, transposée sur Internet, la tendance à supprimer, sans autre forme de procès, les services ou les produits qui ne suscitent pas rapidement un engouement de la part des consommateurs. Ainsi le gestionnaire du site d’Oriane a-t-il décidé de sous-traiter sa rubrique « shopping » au démarrage jugé trop lent et la gestion des thématiques des forums est-elle directement dépendante du trafic généré. On est ici très proche de la démarche de la grande distribution (Barrey, et al, 2000) et on évacue de fait la médiation technique en considérant Internet comme un détour inéluctable et « immédiat ».
63Les dispositifs techniques sont approchés de façon indifférenciée puisque les habitudes de la VPC qui emprunte des canaux aussi différents que le courrier, le téléphone, le Minitel et Internet sont confondues par les professionnels qui ont accusé le Minitel de détourner les individus d’Internet et qui confondent le temps de la technique et le temps social. De fait, l’évidence de l’appropriation s’impose à tous nos éditeurs. Soit la question de l’apprentissage est occultée comme pour le responsable e-commerce France du site Oriane qui affirme : « Je pense que la maîtrise d’Internet par nos clients est suffisante pour faire du commerce électronique », soit le profil sociodémographique de la population des internautes est censé garantir l’aisance dans la consultation du site aboutissant à une forme d’élitisme pour Médiarevue qui reconnaît dans son lectorat électronique : « Une communauté dans la communauté qui est à l’aise avec la technique » au risque de fidéliser son public en l’appauvrissant (Bon J., Tissier-Desbordes E., 2000).
64L’usager s’efface aussi derrière la logique du marché lorsque les éditeurs privilégient les arguments macro-économiques ou techniques au détriment des variables socio-culturelles pour expliquer l’atonie du commerce électronique. Pour le responsable d’Oriane : « Il y a en réalité deux freins, d’une part, il n’y a pas assez d’internautes et d’autre part, le taux d’acheteurs en ligne est plus faible en France que dans les autres pays ». Pour le site Parispresse le haut débit stimulerait le marché : « Je l’attends avec impatience. Quand les clients l’utiliseront, le côté pratique changera leur vision du web : moins de 15 secondes pour télécharger une page, d’où plus de gens et plus de pub pour un coût pas forcément plus cher. »
65Plus qu’un écran, cette logique du marché a une incidence plus paradoxale sur la démarche client des éditeurs. Positionnant leur activité sur le client, un fort besoin d’anticipation est requis pour permettre d’apporter des réponses pré-structurées qui mettent à l’index les discours sur la personnalisation « one to one ». Cette démarche d’anticipation ne se fonde pas sur l’analyse des pratiques effectives des internautes mais joue la substitution et l’a priori, une forme de représentation non formalisée où le gestionnaire parle à la place de l’internaute pour pallier la méconnaissance des usages (Barrey et al, 2000). En raison de la suspicion que lui inspirent les statistiques, Parispresse compense cette inconnue par « l’intuition et l’anticipation », attitude que certains éditeurs remettent en cause grâce à l’analyse des données de consultation qui révèlent des « erreurs d’intuition » déconcertantes mais néanmoins reconnues par les responsables de Fleursdeschamps, le portail sur la nature : « L’usager du site est avant tout un acheteur ou un futur client et non pas un amoureux de la nature en quête d’informations ». Le plus souvent les éditeurs endossent les habits des internautes sans vergogne mais aussi sans lucidité46 ou se contentent de l’analyse sommaire de leurs échecs47. Cette volonté de construire le client (Marion, 1999)48 et de l’encadrer (Benghozi, 1998) fait disparaître l’internaute dans sa singularité et pervertit la relation client.
66Si les moyens techniques permettent d’approcher l’internaute dans ses moindres préférences, cette démarche de fidélisation fondée sur la personnalisation et l’interactivité est donc illusoire et risquée. Certains acteurs l’ont compris. Contrairement à ce qu’affirment P. Moati et G. Raffour (2000), pour qui « Les cyber-commerçants ont les moyens technologiques de développer de nouvelles modalités de relation avec la clientèle, fondées sur la personnalisation et l’interactivité », d’autres acteurs soulignent que l’instauration de la confiance constitue le principal défi pour le commerce électronique. L’Association pour le commerce et les services en ligne (ACSEL) et la mission pour l’économie numérique (Ministère de l’économie et des finances) travaillent sur le développement de labels de confiance.
La lente intégration des activités électroniques
67Pour des raisons diverses, financières, juridiques, organisationnelles, les entreprises ont préféré filialiser leur activité électronique. Ce choix de la filialisation (« spin off »), opéré par exemple par la Fnac.com qui s’est ensuite ravisée, a contribué à marginaliser l’édition électronique de l’entreprise et à réduire les espoirs de synergie portés par certains promoteurs d’Internet. Qu’il soit perçu comme un concurrent ou comme un gadget, le site Web exclu de la sphère économique traditionnelle ne croise qu’accessoirement les activités de l’entreprise qu’il représente. Outre la déperdition en termes d’efficacité, cette position fut préjudiciable à la crédibilité d’Internet comme composante à part entière de l’entreprise et des résistances se sont développées en permettant aux réfractaires d’exprimer leurs angoisses face à la technique. Suite aux déboires subis par le secteur des TIC dès la fin de l’année 2000 en France, des méthodes de gestion plus rationnelles et favorables à l’intégration progressive d’Internet ont été instaurées. François Dalens vice-président du Boston Consulting Group, confirme cette nécessaire prise en compte du média : « Simplement, parce que les principaux acteurs s’attendaient à une activité complètement différente et à une croissance rapide, la plupart d’entre eux ont pris le parti de séparer le canal Internet du canal traditionnel. Aujourd’hui, je pense qu’il va falloir trouver un mode de gestion qui réintègre ce canal dans les opérations et qui le traite comme un canal à part entière et additionnel par rapport aux autres. »49
68Dans notre échantillon les témoignages concordent pour reconnaître les avantages tirés de ces rapprochements. C’est par exemple ce que montre l’expérience du site Parispresse pour lequel, selon son responsable : « Ça va beaucoup mieux entre les deux rédactions et beaucoup plus vite que prévu. Le rapprochement physique entre les rédactions, survenu ces dernières semaines, et la complémentarité constatée sur le terrain ont eu raison des inquiétudes de certains », même si les chocs culturels ne se sont pas évanouis comme le souligne le gestionnaire de Médiarevue : « L’équipe Web a la volonté de toujours assumer des complémentarités par rapport au papier, qui prennent appui sur les possibilités du web mais les gens du papier sont tellement accrochés au papier que, pour les remuer, avoir de la place et leur prouver que c’est intéressant, c’est une lutte de chaque instant ».
69En revanche la perception de l’enrichissement éventuel apporté par l’utilisation d’Internet n’avait pas échappé aux vépécistes dont le mode de gestion était déjà construit sur la pluralité des canaux de communication. Toutefois le risque d’un amalgame de techniques qui font appel à des dispositions cognitives différentes n’est pas pour autant éliminé ; la mise en place d’une bascule papier/web chère à notre fournisseur de produits de beauté, offrant la possibilité au client de passer directement de la consultation de son catalogue à la commande sur Internet, se révèle peu incitative.
70Enfin, certaines expériences ont été conçues à partir du vécu de l’entreprise dans un souci d’articulation et d’harmonisation des composantes de la structure, tel le portail Fleursdeschamps dont les actions de communication promotionnelle utilisent l’ensemble des supports et renvoient systématiquement de la boutique physique à la vitrine électronique. Il faut souligner que cette conception intégrée d’un site Internet est généralement assortie d’un temps de maturation plus ou moins long avant le lancement du site qui infirme la conviction défendue par certains acteurs de « la prime aux premiers entrants ».
71Dans ce contexte, la capacité de firmes à produire de nouveaux principes managériaux lorsqu’elles utilisent les TIC est ici le plus souvent infirmée par les pratiques (Benghozi P.-J., 1998). Quand elle se manifeste, cette dichotomie entre activités « réelles » et « virtuelles » est d’autant plus regrettable que dans la recherche d’un rapprochement avec le client, les technologies d’information et de communication sont un outil puissant susceptible d’aider à la gestion commune de viviers d’informations alimentés par un dispositif multicanal. Mais la réalité s’avère moins radieuse car en fait nombre d’équipes éditoriales, privées des avantages d’une mutualisation des ressources, souffrent d’un manque cruel de moyens humains, techniques et financiers qui est la manifestation évidente de la place réduite accordée à Internet considéré depuis deux ans comme un centre de coût et non plus comme source de profits potentiels.
72À propos des études usagers envisagées par Parispresse, son éditeur précise : « L’an dernier, avec Alban, le responsable marketing, on a lancé plusieurs démarches en ce sens.
73Toutefois, les tarifs quelque peu prohibitifs, surtout lorsqu’on vous demande de diminuer la voilure, ont freiné notre élan. » Cette nouvelle rigueur budgétaire est aussi avancée pour expliquer l’indigence de l’exploitation des retours des clients canalisés par les divers dispositifs de communication et de recueil d’informations : « Face à la multiplication des dispositifs d’espionnage de l’internaute, l’un des garde-fous les plus puissants reste le coût des outils de "profilage" nécessaires au traitement intelligent des données privées collectées. En effet, ces logiciels coûtent de plusieurs centaines de milliers à plusieurs millions d’euros et sont d’une mise en place lourde. Très peu de cybermarchands français se sont donc dotés de ces logiciels "traqueurs". Même chez Redcats, pôle "vente à distance" de Pinault-Printemps-Redoute, qui dispose d’une importante base de données d’internautes français (plusieurs millions), le travail de profilage des internautes clients n’a pas encore commencé. »50
74À partir de ce constat il faut insister sur le rôle de révélateur qu’a joué Internet à deux niveaux. Le premier concerne la mise en évidence du faible dynamisme des entreprises de notre échantillon sur la gestion de la relation client (GRC) comprise comme la gestion globale, à partir de moyens informatiques sophistiqués et coûteux, de bases de données clients. Le second s’applique à une approche restrictive de la GRC, excluant toute la dimension communicationnelle de l’entreprise avec sa clientèle, prospects et clients, qui a montré la médiocrité de la communication entre les gestionnaires des sites et leurs internautes. Comme le précise le responsable GRC de PricewaterhouseCoopers : « Je crois que le CRM présente encore une fausse apparence de simplicité : il faut rappeler que le CRM ne se limite pas à la gestion du contact commercial mais s’étend bel et bien à l’ensemble des points de contact avec les clients. »51
75Dès lors il paraît difficile dans ce contexte de voir émerger une transformation de la gestion des relations sociales au sein de l’entreprise. D’autant qu’à l’intérieur des équipes éditoriales des tensions sont apparues entre les tenants d’une éthique liée aux objectifs de l’entreprise traditionnelle, représentés par les éditeurs multimédias, et ceux enclins à céder aux sirènes de la rentabilité via le développement du commerce électronique et de son avatar, les techniques de fidélisation, représentés par les spécialistes du marketing. Médiarevue a soulevé le voile sur ce conflit entre d’une part le souci de l’équipe éditoriale à propos de la survie de la librairie de proximité et d’autre part les valeurs véhiculées par le partenariat commercial en ligne enclin à s’allier avec de grosses enseignes portées par les grandes surfaces spécialisées.
Une captation timide, mais progressive
76Au terme de cette étude il est clair que si Internet offre des potentialités d’interactivité pour la constitution de bases de données clients et d’interaction avec les usagers au travers de dispositifs de communication, la captation sur les sites marchands reste balbutiante. Situés à la charnière de l’offre et de la demande, les dispositifs électroniques n’assurent pas sui generis la fidélisation des clients et leur efficience ne relève pas de l’évidence. Elle pose la question des conditions d’insertion de ces outils à la fois au sein des organisations et dans les modes de vie des internautes.
77Qu’elles soient implantées dans les circuits traditionnels de distribution ou exclusivement dans le commerce électronique, les entreprises présentes sur le web ne peuvent faire l’économie d’une réflexion globale sur la place d’Internet dans la logique entrepreneuriale et les contraintes de gestion des ressources humaines, techniques et financières associées. S’efforcer d’accompagner l’ancrage des TIC dans la vie de la structure renvoie symétriquement à s’interroger sur les pratiques des internautes et à comprendre comment s’articulent les différentes étapes du processus de consommation entre les magasins physiques et électroniques. Selon les études comportementales les sites marchands assureraient principalement aujourd’hui un rôle d’informations préalables à l’achat dans les magasins traditionnels, posant avec une acuité particulière les conditions de fidélisation sur Internet inextricablement liées à la fidélisation hors ligne. Alors que les pratiques ne sont pas encore stabilisées et n’intéressent qu’une minorité d’individus dans la sphère tant privée que commerciale, il faut insister sur la variable temporelle. Internet s’insère lentement dans les rouages des organisations en révélant des dysfonctionnements mais sans bouleverser ni les principes managériaux, ni le traitement de la relation client. Et si Internet peut contribuer à faciliter le rapprochement de l’offre et de la demande, ceci ne peut s’inscrire que dans la durée.
Bibliographie
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UGHETTO, P. (2002), « Figures du client, figures du prestataire », Sciences de la société, no 56, pp. 99-113.
Notes de bas de page
1 Informations accessibles sur leur site : www.acsel.asso.fr.
2 La dernière mise à jour de septembre 2002, réalisée par l’IDATE, est publiée sur le site : www.men.minefi.gouv.fr.
3 L’achat en ligne inclut les commandes par Minitel
4 Médiamétrie : Baromètre multimédia, 2ème trimestre 2002. De façon générale la vigilance s’impose sur la définition des internautes. Les critères retenus, comme l’âge de l’individu de référence, le lieu de connexion, la fréquence de consultation diffèrent d’un institut d’études à l’autre et seule la permanence des méthodes utilisées par un organisme permet de procéder à des comparaisons, des comparaisons, dans le temps, significatives.
5 La nuance est d’importance entre commandes payées ou non en ligne car les études généralistes sur le commerce électronique soulignent à l’envi l’incertitude des usagers sur la sécurisation des paiements pour expliquer le faible dynamisme du commerce en ligne.
6 Tableau de bord du commerce électronique, septembre 2002.
7 Médiamétrie : Baromètre mars 2002.
8 Médiamétrie : Baromètre mars 2002.
9 Etude GFK réalisée pour SVM en février 2002.
10 IDC, 2002.
11 URL : (Uniform ressource locator) Adresse d’un site ou d’une page sur le web.
12 Ces éditeurs ont fait l’objet, sous ma direction dans le cadre du DESS MEI de Paris 8, d’études de cas. Je tiens à remercier leurs auteurs, Emmanuelle Barbier, Patrice Bossenec, Eva Longuechaud, Linda Mathiote, Inès Passaniti, Marylène Rannou et Jeanne-Bleuenn Renaut.
13 Gustavo Bazan, directeur marketing international e-commerce et Internet et Jean-Michel Raicovitch, directeur de la fidélisation d’Accor, Journal du Net du 26 mars 2002.
14 Cf. le site canadien www.monmannequinvirtuel.com.
15 Selon un sondage réalisé par le Journal du Net en mars 1999 auprès de 385 internautes, plus de 58 % d’entre eux ont déclaré mentir « parfois » ou « tout le temps » en remplissant les formulaires.
16 Commandée fin décembre 2001 par la Progress & Freedom Foundation et réalisée par Ernst & Young, les principaux résultats de l’enquête, réalisée sur un échantillon de 302 sites, sont publiés sur le site e-Marketer.
17 Langage de rédaction de scripts, destiné aux utilisateurs non spécialistes, qui permet d’intégrer des instructions Java préprogrammées dans la construction d’un document Web.
18 La popularité d’un site est mesurée par le nombre de liens externes qui renvoient sur le site.
19 Certaines sociétés, notamment en France, se sont engouffrées sur le marché des services de « profilage ». Avec des moyens toujours plus sophistiqués. Profile for you, par exemple, a placé des marqueurs sur les pages de quelque 11 500 sites partenaires. Lorsque l’internaute se connecte sur l’une de ces pages, le marqueur, un programme Java, envoie à Profile for you l’adresse de la page visitée et les informations sur l’internaute contenues dans le cookie. Ensuite, Profile for you procède à une analyse sémantique de cette page (par occurrence de mots-clés dans les titres et le corps du texte), ce qui enrichit le profil de l’internaute stocké dans les bases de données de la société. Cela permet de mettre en lumière les centres d’intérêt de l’internaute classés dans une arborescence de trois niveaux comportant 800 branches différentes. La société assure détenir le profil d’environ un tiers des internautes français. Le Monde Interactif du 9 mai 2002.
20 Coprésident du groupe Galeries Lafayette et président de Laser, société de services spécialisés et de technologies pour l’univers du commerce et des services grand public, Philippe Lemoine a été nommé, en janvier 2000, membre de la CNIL, au titre des personnalités qualifiées, Le Monde Interactif du 25 mars 2002
21 Journal du Net du 3 avril 2002
22 Valérie Abehsera, directrice marketing client interrogée par le Journal du Net le 29 mars 2002
23 Journal du Net du 28 novembre 2001
24 Frequently Asked Questions : questions les plus fréquentes
25 Journal du Net du 3 avril 2002.
26 Propos recueillis par F. Santrot le 9 avril 2002 pour le Journal du Net.
27 Philippe Besnard, vice-président de la publicité et du e-Commerce chez AOL France, Journal du Net du 9 avril 2002.
28 Les sites click and mortar renvoient aux enseignes présentes à la fois dans le commerce traditionnel et sur Internet alors que les pure players ou dot.com utilisent exclusivement le canal Internet.
29 D. Wathier, responsable de voyages-sncf.com, Journal du Net du 6 mars 2002.
30 G. Picquart dans le Journal du Net du 12 décembre 2002.
31 « Les marques ont la possibilité de rassembler les gens dans une perspective communautaire, de créer des clubs, de regrouper les personnes qui ont les mêmes centres d’intérêt », Philippe Besnard, vice-président de la publicité et du e-Commerce chez AOL France, Journal du Net du 9 avril 2002.
32 Citons pour exemple : voyages et vacances, loisirs, téléphonie, commerce solidaire, info-vidéo-son, vins et gastronomie, animaux de compagnie, santé, banque et assurance…
33 D. Wathier, responsable de voyages-sncf.com, Journal du Net du 6 mars 2002.
34 Cf. Gustavo Bazan, directeur marketing international e-commerce et Internet et Jean-Michel Raicovitch, directeur de la fidélisation d’Accor, Journal du Net du 26 mars 2002.
35 Thomas Lot (Amazon Europe), Journal du Net du 23 avril 2002.
36 Pour des raisons de confidentialité le nom des sites est fictif.
37 Cette attitude est confirmée par M. Bré, responsable de Nouvelles Frontières on line, lors d’un interview à propos des outils de mesure d’audience qu’il utilise : « Enfin une question sérieuse… Nous utilisons, en matière de trafic, l’excellent outil Nielsen-eRatings qui a le mérite de consulter des internautes à domicile et au bureau. Ces stats sont très intéressantes. C’est ainsi qu’on a pu constater que nous sommes un des sites les plus consultés de France. Soyons modestes, ceci est du à la marque Nouvelles Frontières. Ce qui compte, au final, c’est le chiffre d’affaires, et là, nous sommes les seuls à pouvoir tenir les comptes. »
38 Le calcul du trafic, sensible à l’environnement technique, reste d’une fiabilité discutable soit parce qu’il est sous-estimé en raison des effets cache (serveur proxy, mémoire de l’ordinateur) ou des appels provenant d’intranet d’entreprise qui ne sont pas toujours repérés, soit parce qu’il est surévalué par les messages pop-up, les robots et les moteurs de recherche assimilés à des visiteurs.
39 Dans un autre contexte on a pu montrer que des questionnaires mis en ligne pour affiner la connaissance du public n’ont jamais été exploités.
40 L’action qui consiste à « pister » un visiteur sur un site web, informe sur le cheminement de l’internaute et sur les temps de visite de chaque page. Le tracking peut s’effectuer en temps réel ou a posteriori.
41 La responsable marketing client du site Rue du Commerce, qui n’appartient pas à notre échantillon, exprime aussi cette ambiguïté : « Pour l’instant, nous jouons essentiellement sur la fréquence d’achat. Pour influencer le panier moyen, nous venons de mettre en place des opérations de cross selling Mais elles ne sont pas systématisées, car les traitements informatiques sont lourds. Enfin, depuis septembre 2001, nous avons ouvert un club. Pour y adhérer, il faut seulement consentir à donner des informations sur ses centres d’intérêt, en dehors de la high tech. » Journal du Net du 29 mars 2002.
42 D’après une étude interne réalisée en 2000, parmi ces réseaux de distribution, la VPC représente 51 % du chiffre d’affaire, les magasins physiques 18,3 %, la vente à domicile 17,2 % et les autres canaux 13,5 % à part égale entre le Minitel et Internet. En 2001, la FEVAD crédite Internet de 2,4 % du CA de la vente à distance, le Minitel et l’Audiotel de 6,8 %.
43 Etude « e-CRM : stratégies et performances des grandes entreprises »
44 Directeur des Etudes de Benchmark Group, Journal du Net du 26 mars 2002.
45 Cité par P. Ughetto.
46 Comme en atteste l’assurance de L. de Ré du site Alapage : « Même si les programmes de fidélisation mutualisés avec des points offrent des perspectives, nous ne sommes pas convaincus qu’ils répondent à une attente de nos clients. Nous allons plutôt poursuivre nos efforts en matière de qualité de service, d’animations commerciales et de personnalisation. Dans ce domaine, nous allons aussi bien dans une logique "one to one" que dans une logique "one to few" » in Journal du Net du 3 avril 2002.
47 Au sujet de l’échec du lancement du site Unhomme.com, le directeur d’Aufeminin.com déclare : « C’est vraiment dommage, parce que le concept allait plaire. L’équipe d’UnHomme.com n’a pas eu de chance sur le timing. » in Journal du Net du 28 novembre 2001.
48 B. Cité par Floris (2001).
49 Journal du Net du 14 mai 2002.
50 S. C. Ducourtieux et Foucart in Le Monde Interactif du 9 mai 2002.
51 Le Journal du Net du 20 mars 2002.
Auteur
Maître de Conférences associé à l’Université Paris VIII, membre associé du CERTOP.
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2001