Chapitre septième. Les sources inspiratrices
p. 179-200
Texte intégral
1Ainsi que nous l’avons fait dans la partie précédente consacrée à la sociologie urbaine de Park, nous allons maintenant exposer les postulats, présupposés et prémisses étayant en profondeur le roman urbain de Dos Passos. Un idéal romanesque sera d’abord mis à jour : de cet idéal, un chemin sera ensuite tracé vers la pratique. Suivra un axiome : le « vrai » roman de la cité débouche inévitablement sur l’analyse et l’appréciation des causes, confinant ainsi à une authentique science sociale. Il restera, enfin, à dégager les ancrages plus profonds et sans doute aussi les plus importants : ils s’enfoncent dans le mythe, dans l’utopie, dans des images d’Épinal à la limite.
L’IDÉAL ROMANESQUE
2À l’occasion de la réédition de son roman Three Soldiers, en 1932, Dos Passos rédige une petite introduction. En voici un extrait :
Pourquoi donc écrivez-vous ? Pour convaincre les gens de quelque chose ? C’est de la prédication, et elle fait partie de l’entreprise de quiconque traite avec les mots ; ne pas l’admettre, c’est jouer avec un fusil et bredouiller ensuite que vous ne saviez pas qu’il était chargé. Mais en dehors de la prédication, je crois qu’il existe telle chose que l’écriture directe. Un ébéniste adore tailler une queue de colombe parce qu’il est ébéniste ; chaque espèce de travail recèle en lui-même une énergie caractéristique. L’esprit d’une génération, c’est son langage. Un écrivain inscrit des fragments de ce langage dans la durée en faisant en sorte qu’ils soient imprimés. Il taille dans les mots et les phrases d’aujourd’hui pour établir les formes qui marqueront l’esprit de la génération de demain. Voilà l’histoire. Un écrivain qui écrit de manière directe est l’architecte de l’histoire1.
3Dans un article de revue publié deux ans plus tard, Dos Passos s’exprime ainsi :
L’affaire du romancier consiste, me semble-t-il, à créer avant tout des personnages puis à les situer dans le tumulte des courants humains de son époque pour qu’en ressorte un portrait permanent et fidèle d’une tranche de l’histoire. Tout ce qui, dans un roman, ne concourt pas à un tel objectif est superflu ou, au mieux, une innocente rêverie en plein jour2.
4En 1935, Dos Passos participe au Congrès annuel des écrivains américains. Voici deux extraits de son allocution :
Trois mots ayant encore du sens peuvent, je crois, être appliqués à toute écriture professionnelle : la découverte, l’originalité, l’invention. L’écrivain professionnel découvre certain aspect de l’univers et, à partir du langage de son temps, imagine une manière particulièrement originale et efficace de le coucher sur le papier. Si le résultat est fort, tout en étant suffisamment important, il moule et influence les manières de penser au point de changer et rebâtir le langage, lequel constitue l’esprit du groupe. Le processus ne diffère pas tellement de celui qui porte sur la découverte et l’invention scientifiques. L’importance d’un écrivain, tout comme celle d’un scientifique, dépend de son habileté à influencer la pensée ultérieure. Dans sa relation à la société, un écrivain professionnel est un technicien presque autant que l’est un ingénieur en électricité3.
[...] J’ai le sentiment que les écrivains américains souhaitant produire une œuvre du meilleur cru vont découvrir qu’ils sont en train d’essayer de discerner les courants profonds du changement historique sous la surface des opinions, orthodoxies, hérésies, bavardages et ordures journalistiques du jour4.
5Dos Passos fut toujours très lié de son vivant avec son collègue dans le même métier, célèbre lui aussi, Frank Scott Fitzgerald. Louangeant son dernier roman The Last Tycoon (1941), demeuré inachevé, Dos Passos affirme que c’est un « bon roman » parce qu’il possède la « faculté de se détacher de sa période tout en l’englobant5 ». Il a également de la valeur parce que l’auteur
[...] est parvenu à y affirmer cette attitude morale inébranlable envers le monde où nous vivons et envers ses standards temporaires, ce qui est la base essentielle d’une puissante œuvre d’imagination6.
6Qu’est-ce qui se dégage dans ces propos de notre romancier ? Un idéal ou encore un modèle qui tient lieu de principe guidant son écriture. Selon Dos Passos, en effet, c’est directement dans le langage de l’époque que puisera l’écrivain pour construire ses personnages romanesques. Ce langage lui permettra d’objectiver et d’interpréter, non pas de manière personnelle mais détachée, les grandes tendances contemporaines – manière historique justement. Son travail culminera toutefois dans un jugement sur les tendances identifiées. S’il se conforme à cet idéal, non seulement l’écrivain est-il authentique, mais il œuvre comme un « architecte de l’histoire », c’est-à-dire un réel agent de changement social. D’après Dos Passos, la littérature ou l’art en général détient tout autant que la science le pouvoir d’influencer le cours du changement. L’artiste se permettra toutefois, d’après ce modèle, un acte que le scientifique s’abstient habituellement de poser : le jugement moral. Lorsque le scientifique le pose, ce n’est pas comme un devoir lié à son métier, mais comme un choix ou une option purement personnelle. Il intervient alors en idéologue. Pas l’artiste : le jugement moral fait partie intégrante de sa démarche créatrice et il doit l’assumer pleinement.
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7Un tel modèle engage à fond, c’est le moins qu’on puisse dire. Comment se trouve conçu chez Dos Passos le passage de l’idéal à la pratique ? Comment s’actualise-t-il ? Dans les termes d’une prémisse implicite à tout son roman : viser la totalité urbaine par delà les détails qui lui sont cependant nécessaires. Appréhender et juger la cité comme un ensemble en soi à la fois produit des éléments de détail, mais plus encore que tous ces éléments réunis.
8Manhattan Transfer se présente comme la parfaite illustration de cette exigence de la totalisation chez notre auteur. Ce roman dépasse de manière délibérée les détails. On peut même soutenir qu’il affronte la cité comme un protagoniste ayant une identité propre, une « personnalité » distincte de celle de ses habitants, symbolisant à ce titre toute l’Amérique industrielle moderne. À l’aide de sa très efficace technique impressionniste, Dos Passos oriente le lecteur du côté d’une piste explicative à forte connotation sociologique. Les comportements « pathologiques » de ses personnages ont l’air, en effet, d’être conçus comme autant de recréations particulières d’un problème central rongeant la nation américaine, un problème de valeurs :
Selon Dos Passos, l’Amérique est devenue une société divisée à cause d’un conflit interne sur le plan des valeurs sociales. La résolution de ce conflit va déterminer la destinée du pays, soit qu’il devienne une société monopolistique qui écrasera l’homme du commun et s’en servira comme fourrage pour la guerre impérialiste, soit qu’il devienne une véritable démocratie qui assumera les valeurs traditionnelles de justice et d’égalité7.
9Le romancier, notons-le bien, ne démontre rien au sens proprement scientifique de ce terme : il n’est pas du tout concerné par une telle exigence. Il construit son récit de manière détachée, impersonnelle, en utilisant toutes les ressources de la technique du commentaire social implicite. Ses personnages et toutes les circonstances les reliant sont enveloppés de détails descriptifs aussi minutieux que s’il s’agissait de spécimens traités en laboratoire. En faisant de la totalité urbaine son grand sujet dramatique, Dos Passos se distingue nettement des autres romanciers urbains dits « écologistes » comme, par exemple, son contemporain James Farrell s’attardant aux mondes sociaux multiples et distincts contenus dans l’espace urbain plutôt qu’à la cité totale. Par son art puissant, Dos Passos parvient à faire sentir la totalité urbaine comme une gigantesque structure sociale pathogène, exerçant une pression telle sur les citadins qu’ils s’en trouvent plongés dans le chaos, la confusion, l’anomie : la ville se trouve ainsi révélée comme un tout en même temps qu’expliquée. Manhattan Transfer nous place, dès 1925, devant ce qui sera la thèse centrale du sociologue David Riesman, en 1950, dans The Lonely Crowd.
UN ROMAN EN FORME DE SCIENCE SOCIALE
10Dans la foulée du précédent postulat – visée de la totalité – s’en ajoute un autre très important au cœur de la démarche de l’écrivain : ne pas en rester au seul diagnostic du problème global, approfondir les tendances historiques du temps pour essayer d’en discerner les causes profondes – et éventuellement les juger. Bref, faire intervenir systématiquement la causalité et de manière tant sociologique qu’historique en investiguant la structure sociale américaine elle-même, son passé comme son présent. Reprenons les romans clefs de Dos Passos pour faire la démonstration d’un objectif confinant on ne peut plus ici à celui d’une science sociale.
11Manhattan Transfer d’abord. L’auteur s’y avance nettement au-delà du seul constat d’un conflit fondamental de valeurs. Il suggère, en effet, l’idée que ce conflit résulte d’une tendance sociohistorique plus profonde, une tendance qui a la forme d’un antagonisme très vif entre classes sociales différentes. Manhattan, ville ravagée par la destruction et la ruine morale, serait le miroir de toute la société américaine ébranlée par une crise de ses valeurs définitrices, en train de dévier de ses idéaux originels (démocratie, justice, liberté, égalité) à cause du conflit de classes opposant d’un côté les capitalistes monopoleurs, de l’autre les masses ouvrières, les premiers opprimant cyniquement les secondes. Se montrant conséquent ou fidèle à son grand idéal littéraire dont il a été fait mention plus haut, Dos Passos condamne moralement cette tendance historique profonde, mais il n’accuse pas, pour l’heure, ceux qui en sont d’après lui les grands coupables. Dans Manhattan Transfer, le romancier s’applique avant tout à dégager la tragique absurdité de la tendance en question.
12C’est la trilogie USA qui permet à Dos Passos de donner toute l’extension nécessaire à l’explication causale de nature sociologique et historique. Bien qu’elle se déploie sur trois tomes, Dos Passos reconnaît avoir imaginé cette œuvre comme une unité, une « chronique contemporaine de l’Amérique » selon sa propre expression8. Par le mélange qu’elle offre de matériel historico-social et d’imagination pure, chaque composante renforçant et vitalisant l’impact de l’autre, cette trilogie dos passienne s’inscrit dans la filiation des grands romans historiques et sociaux du XIXe siècle :
L’armature historique jouxtant la trilogie de Dos Passos révèle son affinité avec une variété d’importants travaux de narration historique conventionnelle tels les Chroniques de Froissart, le 18e Brumaire de Louis Bonaparte de Marx et Le Déclin et la chute de l’Empire romain de Gibbon9.
13L’une des grandes astuces littéraires de Dos Passos dans cette œuvre, c’est d’avoir habilement dosé son effet grâce à une montée très progressive de la charge dramatique d’un tome à l’autre. Suivons le pas à pas sur ce parcours.
The 42nd Parallel
14Dans son premier volet, l’auteur n’aborde pas de plain-pied l’analyse des mécanismes sociohistoriques responsables, selon lui, de la tragédie américaine. Poursuivant plutôt dans la veine de Manhattan Transfer, il y brosse avec une ironie voulue le portrait de l’Amérique d’avant la Première Guerre mondiale. Il semble vouloir faire ressortir plusieurs tendances sociales marquantes. Par exemple, le consumérisme en pleine expansion et ses effets déshumanisants : le personnage Eleanor Stoddard, frappante contrepartie de Ellen Thatcher dans le roman de 1925, illustre particulièrement bien le phénomène d’appauvrissement de toute relation dans la société capitaliste contemporaine. Le portrait biographique de William Jennings Bryan (« Le jeune orateur du Pelatte »), juste avant la présentation du personnage fictif Moorehouse, constitue une entrée en matière hautement satirique de la fausseté verbale, tendance appelée à devenir centrale dans le procès qu’intentera bientôt l’écrivain à sa société. Le thème de l’exploitation humaine brutale se trouve dépeint dans les portraits des deux magnats financiers Miner Keith et Andrew Carnegie. L’aliénation par le pouvoir corrupteur de l’argent voit sa personnification dans les biographies de Thomas Edison et de Bill Steinmetz, deux ingénieurs qui se sont laissé utiliser par les magnats industriels (du coup se trouve introduit le thème véblénesque de l’ingénieur aliéné, qui recevra plus d’amplitude encore dans le troisième volet de la trilogie). Dos Passos contrebalance toutefois les tendances négatives par des forces opposées. Ainsi, le personnage Mac est étroitement associé au mouvement ouvrier radical IWW, seul choix valable à l’époque selon le romancier face aux grands capitalistes et à leurs acolytes.
Nineteen Nineteen
15Avec le deuxième morceau de USA, Dos Passos commence à ajouter à sa chronique narrative un certain nombre d’éléments d’analyse causale. Il plonge en même temps son lecteur dans le climat frénétique de la Grande Guerre et de la période l’ayant immédiatement suivie. La bande d’actualités XXVII, par exemple, réfléchit on ne peut mieux la mentalité désarticulée d’une nation en guerre, frôlant l’hystérie dans le flot des messages contradictoires :
SON MUTILÉ DE GUERRE
QU’ELLE PRENAIT POUR UN HÉROS
N’ÉTAIT QU’UN IMPOSTEUR
ELLE DEMANDE LE DIVORCE
Au milieu des horreurs de la guerre
Surgit l’infirmière de la Croix-Rouge
C’est la rose du No man’s land
Oh, cette bataille de Paris
Elle fait de moi un pochard
DÉBUT DES OPÉRATIONS BRITANNIQUES SUR LA FRONTIÈRE AFGHANE
Les Américains envisagent avec confiance d’occuper une place prépondérante dans le commerce mondial ; mais cela dépendra en grande partie de l’intelligence et du succès avec lesquels ils développeront leurs ports10.
16Le portrait du président américain Woodrow Wilson est placé au beau milieu de Nineteen Nineteen, comme aussi de USA au grand complet. C’est loin d’être un hasard. Dos Passos l’a fait le pivot par excellence de son récit. Les destins de tous les autres personnages fictifs et non fictifs dépendent de lui. C’est à travers ce portrait que se trouve manifestée la cause immédiate du désastre national. Peignant Wilson comme un traître lors de la Conférence de paix à Versailles, le révélant comme ayant froidement sacrifié les idéaux démocratiques du pays dans une guerre avant tout impérialiste pour le contrôle mondial des ressources naturelles, Dos Passos en fait le symbole même de Satan, une « force du mal » : la force destructrice et corruptrice du grand capitalisme de monopole. L’ironie amère qui imprègne les portraits, le pathétique dans lequel sont enveloppées les descriptions de grèves et de répressions sanglantes dans l’immédiat après-guerre ou encore des conflits raciaux qui ont embrasé les derniers mois de l’année 1919 – voilà les principaux procédés littéraires de Dos Passos pour condamner moralement la guerre de « Mistair Vilson ». Le personnage Dick Savage est celui qui revient le plus souvent dans ce deuxième volet de la trilogie. On se rappellera qu’il s’enfonce inexorablement dans la déchéance personnelle et la ruine morale. Son destin symbolise fictivement la corruption engendrée par tous les complots de la guerre et elle serait maintenant en train de se répandre partout aux États-Unis. Malgré tout, une certaine lueur d’espoir est amenée en contrepoint : un jour, peut-être, une révolution sociale qui pourrait tout changer :
Evelyne, nous sommes à la veille d’événements gigantesques ! La classe ouvrière mondiale ne supportera pas cette folie plus longtemps. Nom de Dieu, la guerre n’aura pas été inutile si elle provoque une révolution socialiste11.
The Big Money
17Voilà, sans équivoque aucune, la pièce de résistance de USA. Mélange lui aussi de fiction et d’histoire réelle, ce troisième tome est consacré à la déroute de la nation américaine vers l’oligarchie répressive et à son éclatement dans la crise de 1929. Inversion complète, selon Dos Passos, des promesses démocratiques originelles, accomplissement aussi d’une destinée inévitable et incommensurablement tragique.
18La question cruciale des causes profondes occupe, cette fois, le cœur du livre. Or, c’est à cette charnière précise que l’écrivain choisit d’arrimer solidement le système d’idées économiques et sociales de Thorstein Veblen, de l’enraciner dans ses a priori idéologiques par le fait même. Le moment est donc venu d’examiner de près cette influence on ne peut plus déterminante, selon nous, sur la pensée du romancier.
19Comment Dos Passos s’est-il tout d’abord pénétré de la pensée de Veblen ? Voilà le premier point à éclaircir. Tel que nous l’avons écrit plus avant, le contact entre les deux auteurs a probablement eu lieu tôt durant les années vingt. Il ne se trouve toutefois pas de témoignages directs à cet effet, seulement indirects. En voici un parmi plusieurs :
Même si une évidence spécifique de dette envers Thorstein Veblen n’apparaît seulement qu’à la fin des années vingt, Veblen peut avoir influencé plus tôt Dos Passos sur sa vision de l’État, sa sympathie pour le syndicalisme IWW et, d’une manière générale, son portrait de la société dans Manhattan Transfer. Il peut être significatif, par exemple, que Dos Passos ait utilisé dans les premières années de la décennie 1920 l’épithète « prédatrice » pour caractériser la civilisation urbaine, car c’était là un mot clef dans le vocabulaire de Veblen : selon celui-ci, le prédateur comme type dominait et exploitait ses compagnons partenaires dans une civilisation à la fois barbare et affairiste12.
20Non seulement l’influence de Veblen perdure au tournant même des années trente, mais plus le temps passe, plus elle s’intensifie. Nous avons cette fois des témoignages directs et explicites – les tout premiers – de la plume même de Dos Passos. Ils se découvrent dans la correspondance personnelle de l’écrivain, soit avec des personnages connus, soit avec des lecteurs qui lui écrivent et à qui il répond. Nous en soumettons deux. Le premier provient d’une lettre adressée le 24 septembre 1934 au critique littéraire Edmund Wilson :
Depuis qu’on m’a mis au lit, j’ai lu une bonne dose de Veblen. Il exige un sérieux effort de lecture. J’admire de plus en plus ses délicates analyses de chirurgien. En dépit du fait que tout ce qu’il traite est condensé pour la salle de cours, je ne serais pas surpris s’il se distinguait comme le premier économiste américain dont l’œuvre aura exercé une quelconque valeur durable. Sa production est une sorte de postscriptum anthropologique à l’œuvre de Marx. Si tu ne l’as pas lu récemment, tu devrais le lire – The Vested Interests ou Nature of Peace ou Business Enterprise – (Je pense que The Leisure Class est plus ou moins un thème secondaire, bien qu’il sera toujours considéré comme le type même de la satire véblénienne). [...] Il me semble certainement qu’il se trouve plus de munitions pour nous dans ses analyses que n’importe où ailleurs parce qu’il semble avoir été le seul homme de génie à avoir fait travailler son esprit de manière critique sur le capitalisme américain – [...] Et, certes, il est d’une stature toute différente que les critiques purement littéraires. [...] C’est étonnant comment son image clinique demeure fraîche13.
21Le second témoignage vient aussi d’une lettre adressée au même Wilson, le 23 décembre 1934 :
[...] J’assimile, lisant Engels – J’aimerais fortement te conseiller de lire tout ce que Veblen a à dire concernant Marx. The Place of Science in Mod. Civ. comprend, je crois, quelques articles sur le marxisme que j’ai trouvé très éclairants – Aussi, Theory of Business Enterprise est une sorte de corollaire ultérieur à Das Capital – Je pense que l’argument se trouve complété dans The Vested Interests. Je les parcourrais tous si j’étais toi14.
22Nous nous permettons un troisième témoignage, même s’il se situe légèrement après la parution de USA. Il éclaire et reprécise un certain nombre d’éléments relatifs aux influences intellectuelles. En 1938, Dos Passos reçoit une lettre de William Bond, étudiant avancé à l’Université Harvard, qui désire connaître son point de vue sur la relation entre Walt Whitman et sa propre pensée. Dos Passos lui adresse la réponse suivante :
Je l’ai beaucoup lu quand j’étais jeune garçon et j’imagine volontiers qu’une grande partie de l’angle original de mon œuvre vient de cette veine au cœur de la tradition américaine. De toute façon, je suis assuré qu’il est plus probable qu’elle provienne de Whitman (et peut-être Veblen) que de Marx, que j’ai lu tard et pas aussi complètement que j’aurais aimé. Les critiques marxistes découvrent présentement, et avec beaucoup d’amertume, que mes choses ne sont pas marxistes. Il m’arrive de penser que c’était évident dès le départ, même pour quelqu’un ne possédant que la moitié d’un œil15.
23Faisons maintenant voir l’empreinte de la pensée économique de Thorstein Veblen sur The Big Money de Dos Passos. Le « système » de Veblen comporte non pas une seule mais plusieurs « théories » différentes. Dos Passos en intègre trois à la matière de son ouvrage. Il y a d’abord celle d’après laquelle Veblen soutient que le développement économique dépend inexorablement du progrès technologique. Plus encore, dans son évolution historique propre, la technologie se serait affranchie de tout effort humain visant à la contrôler, par la finance ou la production, et elle serait ainsi devenue un pouvoir aveugle emporté sur son élan. En même temps, Veblen retient l’ère des artisans d’autrefois comme référence morale. Son évolutionnisme pessimiste est paradoxalement imprégné d’une sorte de sentimentalisme envers le passé, comme en font clairement foi les phrases suivantes :
Le système de liberté naturelle fut le produit d’un régime pacifique d’artisanat et de petit commerce ; mais la paix et le travail continus ont fait déborder la croissance culturelle au-delà de la phase des droits naturels en donnant naissance au processus de la machine et à la grande entreprise et ces derniers détruisent la structure des droits naturels en rendant ces droits futils d’une part et en supprimant leurs fondements spirituels d’autre part16.
24Sans avoir fixé un terme précis à son processus évolutionniste, Veblen le conçoit subordonné à une loi historique générale dont il serait possible de rendre compte en termes scientifiques. Dos Passos se sent fort à l’aise avec ce schéma véblénien. Il y a découvert un très précieux outil tant du point de vue de la causalité historique que du renvoi idéologique au temps des « Pères fondateurs » de la nation :
L’évolutionnisme insistant de Veblen fournit un schème explicatif en forme de « loi-couverture » pouvant rendre compte du mouvement causal derrière les matériaux diachroniques de Dos Passos : le rythme frénétique de la narration dans le roman correspond à la vision véblénienne des effets accélérateurs de la poussée technologique au sein de la nation, tandis que la découverte par Dos Passos de la valeur chez les « immigrants haïsseurs de l’oppression » aux temps coloniaux correspond à la position morale fondamentale et rétrospective de Veblen17.
25Deux portraits biographiques dans The Big Money reproduisent particulièrement bien cette vaste conception véblénienne des choses qu’a fait sienne Dos Passos : Frederick Taylor et Henry Ford. Le premier est dépeint comme exaltant la machine au détriment de l’être humain : il est aussi celui qui déclenche la grande poussée technologique devant entraîner l’aliénation totale de l’ouvrier des fruits de son travail. Taylor faciliterait ainsi la scission entre les intérêts financiers et industriels, cause principale, d’après Veblen, de l’instabilité de l’économie capitaliste. Le second personnage, Henry Ford, est décrit comme un entrepreneur efficace, mais totalement dépourvu de cet « instinct du travail », notion chère à Veblen, indispensable à une saine organisation industrielle : lui aussi contribue donc à la séparation des deux univers de la production et de la finance. Taylor et Ford auraient mis en branle un processus déterministe gouverné par des lois historiques qui échappent ultimement au contrôle humain.
26La deuxième « théorie » véblénienne à se retrouver dans la construction romanesque de Dos Passos porte sur l’extension du crédit dans une société hautement capitaliste. Thème majeur dans The Theory of Business Enterprise, il est repris dans les ouvrages ultérieurs de Veblen. La théorie tient en ceci : à cause du profond fossé entre les intérêts pécuniers d’un côté, les intérêts industriels de l’autre, les grands capitalistes ont perdu le contact avec le niveau effectif de la production industrielle. Ils ont, en conséquence, développé le comportement irrationnel d’augmenter le capital d’entreprise à travers l’extension du crédit, mais sans que cela fût accompagné d’un effet de retour global sur le plan industriel. Ont ainsi été créés des titres ou valeurs confondant totalement capital et crédit :
Le titre privilégié [...] est formellement un acte de propriété, mais dans les faits, une évidence de dette. [...] Il gomme la distinction entre le capital et le crédit18.
27Voilà, d’après Veblen, une faiblesse non seulement majeure mais fatale du grand capitalisme industriel. Elle se trouverait exacerbée par l’usage généralisé de la publicité de la part des spéculateurs, pratique de gaspillage comme de parasitisme voulue pour hausser les profits plutôt que le niveau de la performance industrielle. Les bandes d’actualités dans The Big Money réfléchissent comme un miroir cette conception véblénienne d’une surenchère de crédit ainsi que d’une publicité strictement de consommation. Lisons, par exemple, cet extrait de la bande XLV portant sur l’automobile et son symbolisme :
fatigué de marcher, d’aller à bicyclette et de prendre des trams, il est probable qu’il achètera une Ford.
EN PLEIN JOUR UNE ATTAQUE
À MAIN ARMÉE DISPERSE LA FOULE
Sitôt que sa femme découvrira que chaque Ford est semblable à toute autre Ford et que presque tout le monde en a une, il est probable qu’elle l’incitera à se hisser d’un échelon dans l’échelle sociale, celui dont la Dodge est la caractéristique la plus voyante.
Ensuite, nouvelle étape : la fille revient de l’Université, la famille s’installe dans une nouvelle maison. Le père veut faire des économies ; la mère veut que ses enfants ne manquent aucune chance de réussir ; la fille rêve de prestige social, le fils veut voyager à toute vitesse et partout à la fois19.
28Veblen sert ici à créer une atmosphère. Happés dans le tourbillon des événements, les individus vont et viennent entre la consommation superficielle, la peur des « Rouges », les rêves de prospérité, le danger des soulèvements ouvriers... Ils sont une proie facile pour la machinerie publicitaire orchestrée par la haute finance.
29Parmi tous les personnages fictifs, Charley Anderson se révèle l’illustration la plus parfaite et la plus transparente du mécanisme truqué au cœur du capitalisme industriel, selon Veblen. Héros de guerre, inventeur habile, il se lance dans la spéculation terrienne quelque part en Floride. Mais il se retrouve rapidement dépossédé de ses actions, puisqu’elles sont constituées, sans qu’il ne s’en soit aperçu, de titres privilégiés n’ayant aucune valeur monétaire. En outre, abandonnant petit à petit son « instinct de travail » comme inventeur dans le domaine des aéronefs pour s’associer aux ruses du monde de la finance, Charley se coupe du même coup de l’univers de la production : il est l’exacte recréation de l’attitude prédite par Veblen dans son livre The Engineers and the Price System (New York, The Viking Press, 1921).
30John Dos Passos, on le sait fort bien, ne se concentre pas que sur la conjoncture politique et financière des années vingt en Amérique. Il questionne toute la culture, car il entend bien aller au fond du problème de valeurs qu’il a identifié déjà dans Manhattan Transfer. Comme l’ont noté plusieurs critiques, ce n’est pas un hasard si le titre du troisième roman de USA évoque une valeur alors que les titres des deux autres évoquent d’abord l’espace puis le temps. La troisième influence « théorique » de Veblen se fait sentir à ce niveau précis de la culture. La représentation que propose Dos Passos d’une nation américaine basculant dans le désastre non seulement parce que le pouvoir destructeur du capitalisme monopolistique y pousserait tout droit, mais aussi parce que les masses auraient assimilé les valeurs des classes de loisir – tout cela est l’écho même de ce que Veblen a diagnostiqué déjà :
L’acceptation populaire de ces vastes principes de gaspillage manifeste et d’émulation pécuniaire sur lesquels l’institution de la classe de loisir repose20.
31À part quelques rares exceptions – par exemple, les révolutionnaires idéalistes – tous les personnages majeurs de The Big Money sont montrés comme des êtres typiquement aliénés dans l’émulation pécuniaire crue : Veblen y a vu l’essence de la classe moderne de loisir, Dos Passos y verra surtout l’indice d’une dégénérescence morale profonde. L’ouvrage se ferme, et la trilogie avec lui, sur un tableau dans lequel figurent tous les personnages fictifs principaux de Dos Passos. On croirait ce tableau brossé par Veblen lui-même. Individuellement, ce sont toutes des figures d’échec : aucun personnage ne s’est réalisé de façon noble sur le plan culturel ou encore moral. Collectivement, la galerie symbolise un destin collectif sombre, marqué par l’inévitabilité tragique. Planait au moins l’espoir d’un possible changement révolutionnaire dans les romans précédents. Cet espoir n’existe plus dans The Big Money. L’espérance marxiste d’une prise en mains par l’homme de sa destinée historique a été éclipsée par le pessimisme véblénien d’une histoire dont le mouvement profond échappe inexorablement au contrôle de l’homme. Se dresse dans toute sa clarté le message contenu dans le grand thème prophétique : « C’est bon, nous sommes deux nations. » L’essence de ce message semble être que derrière l’affrontement entre classes visant des intérêts foncièrement antagonistes, il se trouve une opposition plus implacable et totale encore : celle, moralement insupportable et condamnable, de deux pouvoirs abstraits et impersonnels ayant pour noms la production et la finance. Ne restent plus alors que les échappées par le rêve... ce que le vagabond errant évoque en toute fin de la trilogie USA.
32Écartons tout de suite le piège de réduire l’œuvre romanesque de Dos Passos à une thèse sociologique, car ce serait commettre une nette injustice envers l’écrivain. Manhattan Transfer et la trilogie USA appartiennent avant tout à un projet ainsi qu’à un itinéraire littéraires. Mais le fait que le romancier se soit nourri de façon aussi évidente aux idées scientifiques (sociales autant qu’économiques) de Veblen, le fait qu’il fasse naturellement preuve aussi d’une imagination sociologique féconde au service de l’intention critique, et ce, en l’absence de toute initiation professionnelle à la sociologie comme discipline21, confèrent à son roman social l’allure d’un savoir authentique gravitant autour d’un objet fondamental : l’Amérique urbaine contemporaine. Par l’un de ses versant naturels, l’œuvre dos passienne relève de l’imaginaire littéraire strict. Par un autre versant, elle se détache comme une sociologie sans le titre – elle s’ignore évidemment sous cette appellation –, mais en véhicule l’esprit intégral. Et son noyau central tourne autour de ce qui est très certainement le plus sous-estimé dans la sociologie universitaire américaine de l’entre-deux-guerres : les classes sociales et leur conflits.
LES ANCRAGES PROFONDS
33Souventes fois, nous avons indiqué que s’entremêlent deux grandes entreprises dans l’itinéraire de John Dos Passos. On y voit d’abord le projet d’une fresque historico-sociologique de l’Amérique, on discerne ensuite le projet proprement romanesque qui enveloppe et déborde tout à la fois le premier dessein. Cette dualité transparaît de bien des façons. Elle affleure clairement, par exemple, dans ces lignes vibrantes de The Big Money – le plus sociologique des romans de la trilogie USA – où l’écrivain réfère au langage de justice et de foi démocratique des fondateurs de la république pour mieux démasquer la corruption, selon lui, du verbe primitif :
Amérique notre pays tu as été vaincu par les étrangers qui ont tourné notre langue, qui ont pris les claires paroles que parlaient nos pères et les ont rendues gluantes et malsaines22.
34Deux grands auteurs indigènes projettent leur ombre d’un bout à l’autre de la trilogie USA : Veblen pour ce qui est des « lois » scientifiques, Walt Whitman, le journaliste et poète, pour ce qui est du lien aux valeurs fondamentales. Nous n’avons pas beaucoup parlé de Whitman jusqu’ici, mais son œuvre habite intensément l’écriture de Dos Passos. Par exemple, le tableau d’ouverture de USA montre un jeune homme explorant la ville en tous sens, n’épargnant aucun moyen pour mieux y connaître tous les emplois possibles : c’est une évocation directe de « Song of Myself », poème dans lequel Whitman se décrit lui-même en train de parcourir la campagne et de s’identifier à chaque type d’individu qu’il croise sur son chemin. Voici aussi l’Œil de la Caméra (46) de The Big Money où il est question de découvrir la meilleure manière d’accomplir la promesse originelle de la démocratie américaine :
[...] pendant que je rentre chez moi après un verre et un repas chaud et me mets à lire (avec difficulté au trot de la bibliothèque Loeb) des épigrammes de Martial et réfléchissant sur le cours de l’histoire et sur la force mécanique qui pourra arracher du pouvoir ceux qui le possèdent et nous ramener (moi aussi Walt Whitman) notre démocratie d’images d’Épinal23.
35Veblen, Whitman et... Dos Passos semblent, à vrai dire, se rejoindre autour d’une même grande nostalgie pour le « temps béni24 » des pionniers défricheurs de la nation américaine tout en essayant de dénouer les contradictions de leur contemporanéité historique respective. Ce croisement du passé et du présent crée une sorte de tension créatrice au cœur de l’entreprise de Dos Passos et c’est à elle que nous allons nous intéresser à l’instant.
36En s’inscrivant dans la lignée intellectuelle d’un Walt Whitman et d’un Thorstein Veblen, en poursuivant le même type de dialectique particulière entre le réel et l’idéal, Dos Passos l’artiste ressuscite à sa façon le rêve américain primitif, mais selon la plus radicale de ses versions possibles. Que ravive, en effet, tout le récit romanesque de notre écrivain ? Au temps d’autrefois, dans les espaces naturels du Nouveau Monde, les Pères fondateurs ont bâti une communauté politique idéale, une société libre, égalitaire et fraternelle, parfaite incarnation de la démocratie. Les fermiers et agriculteurs y formaient le peuple élu de Dieu. Dans une sorte d’alliance bénie avec le ciel, ils cultivaient leurs terres en toute indépendance et leur langage était pur. Mais l’histoire est venue brouiller cet état parfait de choses. La tyrannie s’est graduellement substituée à la justice ; avec l’industrialisation et l’urbanisation sont apparus le gâchis des ressources naturelles et l’exploitation des humains par d’autres humains ; enfin, le langage clair des pionniers s’est vu dramatiquement pervertir jusqu’à la moelle. La dégradation n’a jamais été aussi critique qu’en ce commencement du XXe siècle. Il n’y a qu’une solution : combattre avec la dernière énergie tous ceux qui trahissent l’idéal des Pères, lutter contre l’injustice et l’oppression, tout faire pour recréer la noble communauté politique que fut autrefois la république des immigrants fondateurs.
37Ce retour à l’éden primitif est un pur mythe, bien sûr, laissant entrevoir une grande espérance libératrice et optimiste en son fond. Il va de soi que l’histoire des hommes dément chaque jour un tel idéal. Par contre, ce mythe est à l’origine d’une dialectique singulière du rêve et de la réalité : Thomas Jefferson en fut le premier formulateur au XVIIIe siècle, Walt Whitman l’a plus tard relayé et ce serait maintenant à Dos Passos d’en poursuivre le projet. Beaucoup d’écrivains nationaux vivent le même déchirement que ce dernier entre la réalité contemporaine et l’idéal démocratique de jadis, entre le pessimisme que suscite le spectacle d’une corruption sociale aiguë et l’espoir de pouvoir un jour changer la condition humaine par des réformes ou une révolution démocratique authentique : Scott Fitzgerald, John Steinbeck, William Faulkner pour ne nommer qu’eux. Dos Passos s’en détache toutefois par son panoramisme tant géographique que sociologique – lequel confère une force évocatrice unique, exceptionnelle, à sa quête d’une parole de justice pour tous les opprimés.
38Sur ce point crucial de la parole ou du langage chez Dos Passos, il nous semble qu’on se retrouve devant une architecture à deux étages par l’effet de sa dialectique personnelle du rêve primitif et de la réalité historique contemporaine. Voici d’abord l’étage du polémiste, se manifestant très clairement dans les essais et articles de revue engagés plutôt que dans les romans. Il s’agit de la rhétorique de combat, à la fois résultat et prolongement de la lecture « scientifique » par l’écrivain des contradictions de son temps historique. L’homme place sa confiance dans les libéraux de la classe moyenne ou, encore, le « prolétariat intellectuel » – il se voit comme appartenant lui-même à cette couche sociale –, car il les considère neutres dans la guerre opposant le capital et le travail. Mais les fondements mêmes de leur libéralisme doivent être refaits. Voici un exemple de ce type de rhétorique dans lequel figure une rarissime référence par l’écrivain à la science sociale de son temps, la monographie Middletown, publiée en 1929, par Helen et Robert Lynd :
Dans Middletown, cette enquête sur une ville moyenne de l’Ouest, extraordinairement utile du point de vue de l’anthropologie universitaire, les auteurs divisent la vie américaine qu’ils étudient en trois groupes : la classe moyenne ou classe d’affaires, la classe possédante et la classe ouvrière. Naturellement, la grande majorité des membres de la classe moyenne comprend des mercenaires et des gens dépendants des possédants, moins ouverts même aux sentiments humains que les individus au sommet. Mais il y a une couche : ingénieurs, scientifiques, travailleurs manuels indépendants, écrivains, artistes, acteurs, techniciens d’une sorte ou d’une autre qui, dans la mesure où ils sont compétents dans leur travail, composent une fraction essentielle de toute société industrielle. [...] Si vous pouviez une seule fois les convaincre que leurs emplois ne dépendent pas du capitalisme, ils comprendraient qu’ils peuvent se permettre d’être humains. C’est le moment de rejoindre ces gens [...] C’est le travail des membres de toutes les professions à la frange de la classe moyenne d’essayer d’influencer cette classe moyenne particulière [...] de sorte qu’au moins une partie de son poids sera déplacée vers ce que j’ai appelé la civilisation. C’est un travail difficile, mais quelqu’un doit le faire25.
39Écriture d’exhortation et de combat, la parole comme une arme. Voici maintenant le second étage, plus profond : celui de l’utopiste. La connexion s’y fait directe avec le rêve américain des origines et la communauté politique parfaite d’autrefois. La classe moyenne s’efface à ce niveau profond pour le céder à l’ensemble au complet des exclus de la prospérité économique, ceux que l’écrivain choisit de retenir comme les victimes et les déchets du système dominant : le peuple. L’utopie dos passienne se manifeste à même la construction romanesque. Elle dilate en quelque sorte le récit, le transforme en une véritable poétique où, par une sorte de mystérieux transfert, le peuple devient le siège même de la renaissance du langage originel, pur et authentique – celui des Pères fondateurs de la nation. Rien de plus éloquent, en guise de démonstration, que l’Œil de la Caméra (50) dans The Big Money. Le texte ici atteint une grandeur épique en rappelant solennellement ce qui constitue, selon Dos Passos, l’âme même de la nation américaine, son langage :
Mais savent-ils [les oppresseurs] que les anciennes paroles des émigrants sont en train de se renouveler cette nuit dans le sang et dans l’agonie, savent-ils que les vieux discours américains des haïsseurs de l’oppression se sont rajeunis ce soir dans la bouche d’une vieille femme de Pittsburg, dans celle d’un fruste constructeur de chaudières de Frisco venu depuis la côte sans payer par des trains de marchandises, dans la bouche d’un travailleur social de Back Bay, dans la bouche d’un imprimeur italien, dans celle d’un fermier de l’Arkansas, cette nuit la langue de la nation vaincue n’est pas oubliée dans nos oreilles26.
40Ce « chant » jailli des profondeurs du peuple, cette renaissance du vrai langage par un retour aux sources démocratiques d’autrefois, voilà le rêve américain primitif recréé dans sa version la plus idéaliste et radicale, voilà l’utopie dos passienne à l’état le plus pur. L’écrivain s’y accroche plus ou moins farouchement dans sa lutte pour l’édification d’une autre Amérique, aux valeurs renouvelées. L’idéal de perfection se situe pour lui dans le passé : l’accomplir revient à le ressusciter intégralement comme un héritage qui serait par essence inaltérable et intemporel.
UN RADICAL... TRÈS AMÉRICAIN
41En conclusion à cette partie de notre essai, nous allons réinsister sur la position prise par Dos Passos à l’égard du communisme et du marxisme entre les deux grandes guerres. Deux raisons nous incitent à le faire. Il a été l’un des écrivains américains les plus soumis, pendant cette période, à de fortes pressions pour joindre le Parti communiste étant donné ses orientations très critiques vis-à-vis sa société. Bien le marquer maintenant fera d’autant mieux ressortir ses véritables convictions idéologiques auxquelles nous serons prochainement amenés à revenir dans notre analyse comparative.
42La parution, en 1925, de Manhattan Transfer révèle à toute l’Amérique, et non seulement au monde littéraire, un écrivain radical de fort calibre. Outre Dos Passos, les noms les plus en vue de la gauche littéraire d’alors sont Sherwood Anderson, Van Wyck Brooks, Waldo Frank, Michael Gold, Eugene O’Neill, Elmer Rice, Carl Sandburg, Upton Sinclair. La cause de Dos Passos en tant qu’écrivain engagé rejoint celle qu’épousent, chacun à sa façon, tous ces auteurs révoltés. Son combat n’est pas solitaire. En 1926, ce groupe – le « Greenwich Village » du temps – fonde la revue New Masses (déjà mentionnée) pour prendre la relève de Masses créée plus d’une décennie auparavant et dont l’existence avait été très brève. Vu le grand succès de librairie de Manhattan Transfer, une pression directe se trouve à ce moment exercée sur Dos Passos pour qu’il se voue sans équivoque à la cause prolétarienne. La pression vient surtout de Michael Gold, l’un des membres les plus influents de New Masses et communiste avoué en ces temps troubles et difficiles des mouvements politiques radicaux aux États-Unis. La réaction très immédiate de Dos Passos se trouve dans l’extrait que nous avons cité plus haut de son article de 1926 dans New Masses : il faut demeurer à l’écart des dogmes, qu’ils soient importés ou domestiques ; il faut interroger l’histoire la tête libre de tout endoctrinement, pratiquer l’introspection et le doute à la manière d’un « morceau de papier-tournesol pour éprouver les choses27 ». À quoi Gold devait aussitôt répliquer :
Mike Gold, communiste loyal et particulièrement voyant à cette époque, fut horrifié par de telles hérésies. « Dos Passos, écrivit-il, doit lire de l’histoire, de la psychologie et de l’économie et se plonger dans le mouvement ouvrier. Il doit s’allier définitivement à l’armée radicale, car c’est dans cette lutte que réside la seule véritable issue à la confusion actuelle de la classe moyenne28. »
43Dos Passos est pris par une toute autre cause en ces deux années 1926 et 1927 : l’affaire Sacco-Vanzetti. Mis à part la Première Guerre mondiale, c’est là, assurément, l’événement historique qui l’ébranle le plus en profondeur. L’écrivain se lance à fond dans la polémique pour faire libérer les deux Italiens. Il est absolument convaincu que le véritable « crime » reproché aux deux individus concerne leurs idées non conformistes, leur anarchisme : son libelle Facing the Chair (1927) vise de plein fouet le frame-up orchestré, selon lui, par les élites bien pensantes pour faire triompher la morale politique officielle du pays. Le cas Sacco-Vanzetti ne peut pas ne pas s’avérer éminemment symbolique pour cet intellectuel depuis longtemps sympathique aux ouvriers et à leurs revendications. Dos Passos ne pouvait réagir logiquement que d’une seule façon advenant l’échec de sa lutte en ces moments tragiques :
Quand l’exécution des deux anarchistes révéla combien écrasante une force pouvait être dressée pour abattre un dissident, il [Dos Passos] orienta sa sympathie outragée encore plus du côté du « peuple ouvrier, des opprimés, des rouges »29.
44La preuve en est qu’à la toute fin de la décennie 1920 et dans les premières années de la suivante, le nom de Dos Passos devient associé à diverses organisations radicales proches du Parti communiste. On peut sans doute voir là une manière pour le romancier de donner suite à l’exhortation que lui a adressée Michael Gold. Par exemple, il devient membre d’un groupe artistique de la gauche, le New Playwrights, dont l’objectif entre 1927 et 1930 est de tenter de constituer un public pour du théâtre qui sera expressionniste dans sa forme et révolutionnaire dans son contenu : la pièce Airways Inc (1928) fut créée dans ce but. L’écrivain participe activement aussi au Emergency Committee for Southern Prisoners. Au tournant des années trente, il accepte la présidence du National Committee to Aid Striking Miners Fighting Starvation. Nous savons déjà à quel point il s’est engagé à l’automne 1931, en compagnie de Theodore Dreiser et d’une demi-douzaine d’écrivain connus, dans la grève des mineurs du comté de Harland, au Kentucky : la violation des droits civils était au cœur de cette grève menée par des éléments communistes. Il se signale encore, à cette époque, comme l’un des fondateurs du National Committee for the Defense of Political Prisoners. Lors de l’élection à la présidence américaine en 1932, il compte dans la liste des 52 écrivains et artistes qui signent une déclaration officielle d’appui aux deux candidats communistes qui affrontent le démocrate Franklin Delano Roosevelt.
45Mais en même temps, Dos Passos affiche ouvertement son indépendance envers le Parti communiste comme tel et, aussi bien, du marxisme en tant que système politique officiel. Ainsi, il n’est pas membre officiel du Parti et malgré toutes les sollicitations ne le deviendra jamais30. En 1930, alors que ses relations s’avèrent plus étroites que jamais avec les communistes, il se déclare un intellectuel non pas radical mais un « libéral de la classe moyenne ». Sa position se trouve dans un texte publié en réaction aux multiples arrestations policières à l’époque des communistes ou, encore, de tout individu perçu comme subversif pour ses idées et ses actes politiques. Voici un extrait significatif :
Aujourd’hui [par rapport à 1919] l’ennemi numéro un, c’est le communisme au lieu des IWW. Une question importante en relation avec cette bataille porte sur l’attitude des libéraux de la classe moyenne. En 1919, nous étions ficelés comme des porcs par la psychologie de la guerre ; beaucoup parmi nous étaient dans l’armée, donc impuissants, ou avaient l’esprit trop confus pour tenir quelque position que ce soit à la suite de la série de coups terribles portés contre notre foi politique. De telles excuses n’existent plus maintenant. Par libéral de classe moyenne, je veux dire tout individu qui n’est pas forcé par sa position dans la structure économique de la société à être pro-ouvrier ou anti-ouvrier. C’est la seule classe où de la neutralité s’avère possible à l’une ou l’autre phase de la lutte31.
46Il se fait plus explicite encore, en 1932, acceptant de livrer son opinion sur la nouvelle « littérature prolétarienne » dans le cadre d’un questionnaire intitulé « Whither the American Writer ? » et dont les réponses paraîtront dans le magazine Modem Quarterly. En substance, Dos Passos affirme que même si le capitalisme américain lui semble « condamné », ce n’est pas du tout une raison pour que tout romancier social en ce pays devienne membre du Parti communiste. Il doit plutôt écrire selon ce qu’il ressent, indépendamment de la philosophie de ce Parti. Walt Whitman lui semble « infiniment plus révolutionnaire que n’importe quel poète Russe » et il a sur le marxisme la réflexion suivante montrant, une fois de plus, de quel côté penchent ses véritables convictions :
Il me semble que les marxiens qui tentent de balancer la tradition américaine, laquelle je l’admets, contient plein d’inepties en même temps que de bonne sève comme toute tradition, ne font que se couper eux-mêmes du continent. Quelqu’un devra démontrer de la stature pour marxianiser la tradition américaine avant que vous puissiez faire accepter la révolution sociale à l’ouvrier américain. Ou bien américaniser Marx32.
47Il semble évident que cet homme a choisi d’être envers et contre tout un individualiste indéfectiblement loyal à la tradition démocratique de son pays d’abord. Les événements historiques lui imposent-ils de coopérer avec les communistes ? Il coopère, mais sans renoncer à être un libéral et sans s’absorber dans une structure trop rigide qui ne convient pas à son tempérament. En réalité, comme bien des critiques le souligneront, il est une sorte de « compagnon de voyage » des formations radicales de son époque et il est évident qu’il leur rend grand service à cause de son prestige comme écrivain et de sa grande sincérité comme militant engagé dans la lutte contre l’injustice et le respect des droits humains fondamentaux.
48Lorsque paraît la trilogie USA dans les pires années de la Grande Dépression, John Dos Passos est un créateur non seulement illustre, mais fort respecté dans son pays : « Personne n’a exercé autant d’influence sur l’aile gauche des intellectuels dans les premières années de la décennie 193033. » Or, il s’en faudrait de beaucoup pour apercevoir dans USA le grand roman prolétarien au sens marxiste ou encore socialiste du terme, ce qui a dû décevoir amèrement les penseurs les plus extrémistes de l’époque. La notion de lutte de classe se trouve développée dès les premiers tomes de l’œuvre, mais il est plus certain que l’écrivain tire ici son inspiration de l’affaire Sacco-Vanzetti au lieu de ses lectures de Marx, commencées en l’année 1929 seulement. Les idées du philosophe allemand sont incontestablement présentes dans la trilogie, mais elles sont loin de dominer. Le marxisme habite l’œuvre de Dos Passos comme une atmosphère, non comme une explication : la dialectique marxiste de la lutte des classes – le noyau théorique – y brille par son absence. Plus le récit romanesque progresse, plus le lecteur se voit entraîné dans un monde véblénien : opposition centrale entre la « production » et le « big business », sabotage de la première par la deuxième, sabotage et destruction de l’existence individuelle par pure cupidité ou par passion aveugle pour le profit économique. Et le monde de Veblen ne fonctionne pas du tout selon le schéma marxiste : comme son auteur lui-même, il s’alimente aux qualités américaines traditionnelles de l’indépendance, du travail industrieux, de l’énergie inépuisable et créatrice, de l’esprit révolutionnaire par instinct, bref, dans la mythologie américaine des origines pionnières. Des trois volets de USA, le dernier, The Big Money, s’avère transparent sous ce rapport précis de la connexion idéologique avec les sources libérales traditionnelles (à travers le portrait biographique de Veblen, entre autres).
49De fait, Dos Passos semble surtout utiliser Marx pour faire ressortir le caractère déterministe et oppresseur du cadre économique sur l’existence ouvrière, ce qui est certes un procédé habile compte tenu de la situation lamentable du capitalisme américain à l’époque. Mais il écarte complètement la révolution violente au sens marxiste à titre de solution politique (et littéraire). Le romancier est beaucoup trop « sceptique » pour cela :
[...] Dos Passos n’a jamais été un communiste fidèle ni un communiste dupe. Dans sa défense passionnée des ouvriers en grève et des victimes de l’oppression judiciaire, il s’est souvent allié aux marxistes ; mais dès les tout débuts, il oppose un scepticisme robuste à ses amis radicaux34.
50Si on l’évalue à la lumière de la conviction libérale profonde de Dos Passos, ce scepticisme s’explique sans difficulté. La solution marxiste s’avère à ses yeux non seulement violente, mais suppose une présence étatique massive plus une concentration de pouvoir incompatible avec l’américanisme traditionnel. C’est donc pour lui utopie à rejeter parce que trop étrangère aux valeurs profondes de l’Amérique en tant que nation. Ce qui n’empêche certes pas Dos Passos de donner lui-même dans l’utopie en prêchant, pour extraire la nation de sa « corruption » morale avancée, une sorte de retour à l’Amérique agrarienne du temps de Thomas Jefferson.
51La trilogie USA apporte à son auteur une réputation qui dépasse les frontières nationales. Il est profondément admiré en tant que créateur littéraire dans une perspective de critique économique et sociale. Certains faits n’en contribuent pas moins, cependant, à pâlir son étoile, vers le milieu des années trente, auprès de la fraction la plus politiquement radicale de l’intelligentsia littéraire. Après la victoire présidentielle de Roosevelt, l’écrivain continue de militer sur plusieurs fronts d’activité communiste et d’écrire des articles dans diverses revues engagées. Mais en l’année 1934, une assemblée de protestation du Parti socialiste à New York lui fournit l’occasion de vérifier clairement ce dont il pressentait la réalité depuis déjà un bon moment : les tactiques d’intimidation des professionnels communistes sous le couvert de l’union et de la solidarité pour la cause révolutionnaire. Par principe, Dos Passos adresse une lettre ouverte de protestation au Parti communiste en compagnie de vingt-quatre autre signataires. Mais sa décision de retrait est déjà prise :
[...] Dos Passos en avait vu assez. Il ne contribua plus à la revue New Masses par la suite et il cessa d’œuvrer avec les fronts communistes. Sur le moment, il n’émit aucune dénonciation du communisme, mais sa désillusion était considérable et elle s’accrut rapidement35.
52Les communistes ne se gênent plus, dans la foulée directe de ces événements, pour pointer l’écrivain comme un renégat. On le fera davantage lors de la publication de The Big Money, en 1936 : il contient, en effet, plusieurs descriptions caustiques d’un certain parti profondément bureaucratisé. Dos Passos ne mérite désormais plus d’être appelé un « camarade ». Les faits indiquent sans équivoque un déplacement des sympathies politiques du romancier, vers la fin de la décennie 1930. Le radicalisme est à présent derrière lui, il perçoit le communisme et le socialisme comme des ennemis aussi pernicieux que la concentration du capital, son intérêt désormais se porte du côté du New Deal en tant qu’expression d’un nouveau type de libéralisme nord-américain. L’homme a amorcé sa glissade vers la partie « droite » de l’échiquier des options politiques.
53À partir de la Seconde Guerre mondiale, il n’est absolument plus possible à aucun jeune écrivain radical aux États-Unis de s’identifier à la figure de Dos Passos. Dix ans auparavant, c’était l’exact contraire tant l’historien social, le romancier et le rebelle de la classe moyenne paraissaient alors fusionner dans un même individu. C’est sur cette dernière image que nous choisissons de terminer notre analyse du roman de John Dos Passos entre les deux guerres mondiales :
[...] En 1930, les jeunes écrivains s’orientant vers la gauche trouvèrent en lui [Dos Passos] ce qu’ils voulaient, ce qu’ils avaient besoin de trouver – une sympathie véritable pour « l’opprimé et le paria » ainsi qu’une colère froide contre les oppresseurs, toutes les deux exprimées habilement par un individu reconnu internationalement comme un romancier majeur. Ainsi, lorsqu’ils discutaient révolution dans une sorte de communion ardente tard dans la nuit, ou quand ils essayaient de mettre en mots leur propre vision des USA, ou quand ils chantaient ensemble, à l’occasion, sur les piquets de grève, cette chanson dont le refrain ressemble à un hymne, « De quel côté êtes-vous donc ? », alors ils pouvaient se réchauffer avec l’heureuse même si inexacte conviction que Dos Passos aussi était avec eux sur toute la ligne36.
Notes de bas de page
1 Dos Passos. « Introduction to Three Soldiers », Three Soldiers, New York, Modern Library, 1932, VIII. L’italique est de nous.
2 Dos Passos. « The Business of a Novelist », New Republic, 78, 4 avril 1934, 220.
3 Dos Passos. « The Writer as Technician », American Writers’ Congress, éd. par Henry Hart, New York, International Publishers, 1935, 79.
4 Ibid., 82.
5 Dos Passos. « A Note on Fitzgerald », dans F. Scott Fitzgerald, The Crack-Up, éd. par Edmund Wilson, New York, New Directions, 1945, 343.
6 Ibid., 339.
7 Gelfant. The American City Novel, op. cit., 169.
8 Dos Passos. « The Art of Fiction », Paris Review, 46, 1968, 162.
9 Foley, Barbara. John Dos Passos’ USA and the Depiction of History in Fiction, unpublished Ph.D. dissertation, Department of English language and literature, The University of Chicago, 1976, 7. Même si non publiée, cette thèse doctorale est remarquable et elle nous a fortement inspiré dans notre analyse, ci-après, de la trilogie dos passienne.
10 Dos Passos. Nineteen Nineteen. Traduction française de Malartic, op. cit., 243.
11 Ibid., 256.
12 Landsberg, Melvin. Dos Passos’ Path to US.A. : A Political Biography 1912-1936, Boulder, The Colorado Associated University Press, 1972, 103-104. Dans ces mêmes pages, Landsberg commente d’autres exemples d’une possible influence de Veblen sur Dos Passos dès la décennie 1920.
13 Ludington, Townsend (éd.). The Fourteenth Chronicle : Letters and Diaries of John Dos Passos, Boston, Gambit Inc., 1973, 443-444. Nos italiques. Malade, l’écrivain était alors alité sur l’ordre de son médecin.
14 Ludington (éd.), ibid., 458. Les italiques font ici partie intégrale de la lettre.
15 Lettre de John Dos Passos à William Henry Bond, 26 mars 1938. Reproduite dans Ludington (éd.), op. cit., 516.
16 Veblen. The Theory of Business Enterprise, New York, Charles Scribner’s Sons, 1904, 376.
17 Foley, op. cit., 286-287.
18 Veblen, op. cit., 115.
19 Dos Passos. The Big Money. Traduction française de De Richter, op. cit., 30.
20 Veblen. The Theory of the Leisure Class : An Economic Study of Institutions, 1899 ; réimpression, Boston, Houghton Mifflin Co., 1973, 164.
21 Dos Passos, soit dit en passant, n’a jamais éprouvé un très grand respect pour la sociologie universitaire. Qu’on en juge par ce texte : « Le premier devoir de celui qui tente de diviser le parcours d’une pensée claire consiste à façonner des mots s’appliquant réellement aux situations qu’il essaie de décrire. Je ne veux pas dire un ensemble tout frais de néologismes conçus, comme dans le jargon des valeurs ou la double conversation, pour tenir le non-initié au bout du bras. Nous l’avons suffisamment vu dans le jargon des sociologies universitaires qui a l’air d’avoir été inventé pour prouver que personne d’autre qu’un Ph.D. peut comprendre le comportement humain. L’anglais ordinaire fera tout à fait l’affaire. » Dos Passos. « Foreword », William Buckley, Up from Liberalism, New York, McDowell, Obolensky, 1959, IX-XIII. Citation : XI.
22 Dos Passos. La grosse galette II, op. cit., 223.
23 Dos Passos. La grosse galette I, op. cit., 179-180.
24 Ou, encore, la « république humaniste perdue », expression que nous empruntons à un critique littéraire contemporain : Reed Whittemore, Six Literary Lives : The Shared Impiety of Adams, London, Sinclair, Williams, Dos Passos, and Tate, Columbia, The University of Missouri Press, 1993, 149.
25 Dos Passos. « Whom Can We Appeal To ? », dans « A Discussion : Intellectuals in America », New Masses, VI, août 1930, 8.
26 Dos Passos. La grosse galette II, op. cit., 224.
27 Dos Passos. « The New Masses I’d Like », New Masses, I, juin 1926, 20. Reproduit dans Donald Pizer John Dos Passos : The Major Nonfictional Prose, Detroit, Wayne State University Press, 1988, 82.
28 Hicks, Granville. « The Politics of John Dos Passos », dans Allen Belkind (éd.), Dos Passos, the Critics and the Writer’s Intention, op. cit., 106-121. Citation : 112.
29 Rideout, Walter. The Radical Novel in the United States, 1900-1954, New York, Columbia University Press, 1956, 159. Rideout emploie des guillemets pour encadrer les mots qu’il emprunte directement au texte Facing the Chair de Dos Passos.
30 Tous les témoignages à ce sujet concordent, sauf un : celui de l’écrivain Howard Fast, un communiste avoué aux années trente. Nathalie Robins le rapporte ainsi, op. cit., 61 : « Contrairement à ce qu’ont soutenu les biographes et les historiens, Howard Fast affirme en 1988 qu’“il est de notoriété publique que Dos Passos est membre du parti communiste jusqu’à ce qu’il s’oppose à ce dernier. Lorsqu’il écrit sa trilogie USA, il est membre du Parti”. » Le principal intéressé a toujours soutenu, lui, n’avoir jamais été membre comme tel du Parti communiste américain. Ce que rapporte aussi Robins dans son ouvrage.
31 Dos Passos. « Back to Red Hysteria », New Republic, 63, 2 juillet 1930, 168-169. Reproduit dans Donald Pizer (éd.), John Dos Passos : The Major Non Fictional Prose, op. cit., 127-1 30. Citation : 129-1 30.
32 Réponse de John Dos Passos au questionnaire « Whither the American Writer ? », Modern Quarterly, 6, été 1932, 1 1-12. Reproduit dans Pizer (éd.), John Dos Passos : The Major Nonfictional Prose, op. cit., 149-150. Citation : 150.
33 Hicks. « The Politics ot John Dos Passos », dans Belkind (éd.), Dos Passos, the Critics, and the Writer’s Intention, op. cit., 115.
34 Blake, Nelson Manfred. Novelists’ America : Fiction as History, 1910-1940, Syracuse, Syracuse University Press, 1969, 167.
35 Hicks. « The Politics of John Dos Passos », dans Belkind (éd.), Dos Passos, the Critics, and the Writer’s Intention, op. cit., 116.
36 Rideout. The Radical Novel in the United States, 1900-1954, op. cit., 163-164.
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