Chapitre 5. La violence et le règlement des conflits
p. 233-267
Texte intégral
1Il ne saurait plus être question d’« anarchie féodale » ; la subtilité des constructions féodales vernaculaires l’a montré. L’importance de la violence et la façon dont s’enlisaient ou se réglaient les conflits sont cependant toujours au cœur des réflexions sur le système féodal, et sur sa mise en place tout particulièrement1. La nature de notre documentation – des cartulaires seigneuriaux laïcs qui ne remontent pas au-delà du xie siècle – nous interdit de saisir le rôle de la contrainte violente dans l’instauration et la structuration des seigneuries, de percevoir ce que l’économie aristocratique doit à une certaine forme de « piraterie » en voie d’institutionnalisation2. En revanche, la permanence des querelles et les façons dont elles aboutissent donnent sens aux serments qui lient la classe nobiliaire et donnent à lire le lien féodal au moment même où il s’établit ou se renouvelle. C’est à ce titre qu’il convient de l’envisager.
2Les réflexions menées jusqu’ici, bien que partant d’un point de vue historien, étaient inscrites dans un cadre somme toute assez juridique, ou plutôt tentaient de transcrire historiquement des situations de droit, à partir de textes généralement formalisés, reflétant des positions figées. En guise d’ouverture à des considérations sur le système judiciaire, notre propos n’est pas de dire que nous allons abandonner le domaine du droit, bien au contraire. Mais la particularité et l’intérêt du corpus qui va être maintenant analysé est qu’il permet de voir vivre cette société, à travers des textes beaucoup plus narratifs, et de la comprendre dans ses dissensions internes, dans ses oppositions d’intérêts.
I - DES CONFLITS STRUCTURELS
3Pour peu que l’on lise les textes sous cet aspect, la violence est partout, multiforme et omniprésente. Si l’on relie les mentions explicites et éparses à la structure générale des serments, voire des autres types d’actes, elle est sans aucun doute une donnée première des xie et xiie siècles languedociens, là où se nouent les engagements, au cœur des préoccupations3. Le château est au centre de ce système féodo-vassalique ; découvrir la férocité de cette société permet de mieux comprendre pourquoi et comment.
1 - Une violence omniprésente
4Malum, malefacta, guerra sont des mots qui reviennent sans cesse pour désigner les forfaits perpétrés par les seigneurs féodaux. Ils sont employés de façon générique, lorsque les textes se taisent sur la nature des méfaits. La guerre est fréquemment mentionnée, que ce soit sous sa forme substantive ou sa forme verbale. Les promesses s’accumulent, que ce soit de faire la guerre ou de ne pas la faire. Dans des serments, on trouve une formule stipulant que le fidèle fera la guerre pour récupérer le château, mais cela peut aussi faire l’objet d’une clause lors de règlements de conflits4. Cette aide armée peut être aussi plus générale, contre tout attaquant, ou contre tout contrevenant au contrat concerné5. Mais il y a également des promesses de ne pas faire la guerre, promesses parfois monnayées, comme vers 1130 quand Ug de Saissac se fait donner 1 000 sous melgoriens, 100 sous ugonencs et une mule pour « ne pas guerroyer »6. Faire la guerre à partir d’un château peut être de la même façon autorisé ou interdit par le seigneur à son vassal7. De ces guerres, que ressort-il ? Bien évidemment des maux, des méfaits, des malheurs, qui envahissent littéralement nos textes (autres que les serments) et qu’il serait impossible de tous citer ici. Dans une sorte de mea culpa éloquent, Guilhem de Miraval avoue, en 1174, qu’il n’a pas « arrêté à de multiples reprises de commettre des méfaits, bêtement », qu’il a « couru les chemins et les routes pour y commettre des rapines »8. Des méfaits, Imbert de Nissan en a aussi commis à la fin du xie siècle, et aussi les vicomtes, que ce soit Roger Ier, ou Roger II qui attaqua, vers 1171, le monastère de Saint-Pons et lui apporta des « déprédations violentes » et « beaucoup de malheurs »9.
Incursiones et cavalgadas
5Comment se concrétisent ces guerres ? Ce ne sont pas bien sûr des combats entre armées, sur un champ de bataille. Même les guerres entre le comte de Toulouse et le vicomte ne sont que prises de châteaux et escarmouches ; en témoignent les règlements de paix qui prévoient de nombreuses restitutions de places fortes enlevées. La guerre, c’est la chevauchée, la cavalgada, comme celle que fit Raimond Trencavel en Roussillon, on ne sait exactement quand, ni pour quelles raisons. Il s’en souvient cependant au moment de rédiger son testament, car il y a causé des mala aux Templiers et aux Hospitaliers qu’il s’applique alors à réparer10. Des passages de telles bandes de cavaliers armés ne devaient pas être rares, la défense contre « l’infestation des hommes », ou « les incursions d’ennemis de passage » est une clause des promesses de protection11. Le château, s’il peut être un lieu de refuge, est plus souvent présenté comme le repaire de ces troupes et de leurs cavalcades tant redoutées. En 1163, un judicium autorise explicitement des seigneurs de Montréal à faire la guerre à partir de ce castrum12 ; de même en 1203, quand Raimond Roger donne tout ce qu’il a dans le château de Capendu, il retient son droit de « faire guerre et plaid à partir de ce castrum »13. Un serment au comte de Foix, pour le château de Montaut, présente aussi une telle clause, rare dans les serments ; Roger fait préciser qu’il pourrait se servir de ce château comme base d’opérations : « s’il en avait besoin, qu’il ait le pouvoir sur ce castellum de Monthaut pour faire la guerre contre qui il voudrait, sauf contre nous [les prestataires du serment], contre le seigneur du castellum d’Auriac et contre le seigneur de Carcassonne »14.
Auferre, destruere
6Les objectifs évidents de toutes ces expéditions sont de s’approprier des biens, ou de les détruire. Le lexique de la prise s’articule autour du verbe auferre, parfois décliné sur sa racine du parfait abstul-, ou remplacé par amparare. Le sens est toujours le même : enlever un bien par la force. L’immense majorité des serments féodaux comprennent la clause de ne pas enlever (auferre, tollere) le château à son seigneur, de ne pas le lui interdire (c’est-à-dire de ne pas lui en interdire l’entrée – prohibere, devetare), de ne pas le tromper pour le château (decipere, decebrare, balzare). C’est pourtant ce que nos Languedociens sont sans cesse accusés de faire dans les textes, plus vivants, de règlements de conflits. Si, à la fin du xie siècle, le château de Montady n’est que pris15, la plupart du temps les seigneurs profitent de cette prise pour détruire. Dans la première moitié du xiie siècle, la forcia de Labastide est « abattue jusque dans ses fondations »16 ; vers 1160, des coseigneurs d’Auriac ont enlevé le château à d’autres coseigneurs et l’ont détruit17 ; la dévastation du château est assez marquante dans les esprits pour servir de date, en 1163, à un événement antérieur survenu « du temps de la destruction de Montréal »18 ; et en 1171, un des mala que Roger a faits à Saint-Pons fut de détruire les murailles de la villa du monastère19.
7La violence n’est ni aléatoire ni gratuite ; elle se cristallise sur l’élément symbolique, physiquement et institutionnellement, le château, la fortification. Les attaques ne devaient pas éprouver que lui, mais quand sont mentionnées d’autres déprédations, elles laissent une impression de formulaire, de liste stéréotypée, comme dans l’affaire d’Auriac en 1160 où deux frères sont accusés d’avoir « détruit des églises, allumé des feux, volé et tué des hommes et des femmes, incendié des arbres, et perpétré beaucoup d’autres méfaits »20. C’est là une des rares allusions dans nos sources au fait que les paysans devaient pâtir durement de ces guerres incessantes entre seigneurs, dans leurs corps, leurs biens et leurs récoltes. Malheureusement, on ne peut guère évoquer plus longuement cette mise à sac et cette mise en coupe réglée de la paysannerie, qui, pour être assez évidente, n’apparaît à l’aristocratie que comme une litanie inhérente aux conflits.
Rançons et meurtres
8Les chevauchées s’attaquent aussi aux hommes ; non pour les tuer, cela n’est pas de mise au sein de l’aristocratie, mais pour les rançonner. Une des clauses des serments, de ceux qui comprennent une partie sur la sécurité de la personne du seigneur, stipule que le fidèle s’engage à ne pas attenter à la vie et à l’intégrité physique du seigneur (vita et membra), mais aussi à ne pas manigancer sa capture21. La rançon devait donc être une pratique suffisamment courante pour faire l’objet d’une formule sacramentelle, dès le début du xie siècle. C’est aussi au tournant des xe-xie siècles qu’il faut rapporter la mention d’une rançon de 200 sous exigée par le seigneur de Boutx pour la libération d’un couple qu’il avait capturé en Bavartès et qu’il menaçait de pendre22. En 1154, Raimond Trencavel, après sa capture par le comte de Toulouse, dut pour sa redemptio payer trois mille marcs d’argent, somme extravagante23. Et son fils s’était décidément très mal conduit envers Saint-Pons, puisqu’il avait soumis, sous la contrainte de son armée, l’abbé et l’abbaye à une redemptio de trente mille sous, somme non négligeable elle aussi24. On peut remarquer que, si les atteintes aux paysans ne sont pratiquement jamais dénoncées, celles faites aux femmes le sont tout aussi rarement. On ne peut que soupçonner un viol, dans le contexte de la prise du château de Montady dont nous avons déjà parlé. Sans doute celui-ci n’estil mentionné que parce qu’il fut perpétré contre la femme de l’un des coseigneurs : « Imbert devra faire amende, avec un de ses milites qui a participé au méfait, pour l’outrage et la réquisition qu’il a faits à la femme de Bernard de Nissan et à son corps, le jour où il a pris le château »25.
9La typologie des violences ne serait pas complète sans celle, suprême, du meurtre du seigneur. Deux vicomtes furent tués, Aton II au début des années 1030, et Raimond Trencavel en 1167. Deux époques, deux significations : le premier succomba à un conflit vraisemblablement familial, dans une lutte pour le contrôle de l’abbaye de Gaillac26. Près d’un siècle et demi plus tard, le second meurtre obéit à d’autres logiques. Il témoigne de l’ascension politique des communautés urbaines : le vicomte fut assassiné dans Béziers révolté, où s’étaient peut-être alliés bourgeois de la ville et nobles du comté27. Raimond Trencavel mourut dans une église ; on ne sait où fut tué Aton, mais, si l’on suit les analyses de R. Jacob, on pourrait supposer que ce fut dans un bois28.
2 - Infestare inimicos et placitare cum eis
10Le conflit est l’état permanent des relations entre grands. Il n’est pas un fait événementiel, constaté ici ou là, mais une donnée fondamentale, structurante dans cette société à peine pacifiée où aucun pouvoir n’impose sa supériorité éminente. Cependant, il n’est pas tout le temps ouvert et violent, et reste le plus souvent latent. Mais il suffit d’un rien pour qu’il dégénère en véritable guerre. Cet état conflictuel est sans aucun doute causé par l’imbrication et l’extrême émiettement des droits et des biens détenus en coseigneurie. Le morcellement grandissant, les litiges ne peuvent d’ailleurs que s’exacerber au fil des ans. Il arrive un moment où certains se sentent spoliés et, dans cette aristocratie militaire, la réaction ne peut être qu’armée. À ce titre, la clause par laquelle se terminent beaucoup d’arrangements est significative : une fois réglés un certain nombre de points, les deux parties abandonnent toutes les autres plaintes et querelles qu’elles auraient pu formuler29. À la limite, chacun ne sait pas très bien quels sont ses droits ; ou plutôt, dans un tel contexte, il n’y a pas de droits véritablement assurés, tout est affaire de rapports de force et de compromis acceptables par les parties.
11La paix, comme l’a justement démontré P. Geary, n’est qu’un accord ponctuel, destiné à rétablir des relations positives entre des seigneurs qui étaient obligés d’être en relations permanentes et qui ne pouvaient donc rester bien longtemps en état de guerre30. La finis, comme l’exprime clairement un accord de 1139, est faite « pour que les parties demeurent en paix »31. Le conflit est nécessaire à l’établissement d’une pacification, qui peut confirmer ou modifier les équilibres sociaux antérieurs ; la crise est un préalable indispensable à tout règlement.
12Les contemporains étaient tout à fait conscients de la solidarité des deux notions, guerre et paix, non pas parce que l’une devait entraîner l’autre, mais au sens où elles n’étaient que deux facettes d’une même réalité conflictuelle latente. Quand Raimond Roger donne le castrum de Capendu, il conserve deux droits, qu’il considère comme solidaires, celui d’attaquer ses ennemis (infestare) et celui de conclure des paix avec eux (placitare)32. De façon encore plus elliptique, le concessionnaire de ventes, de donations ou d’inféodations assure le bénéficiaire qu’il l’aidera à tenir ce qu’il lui donne « en plaid et en guerre »33. « Faire la guerre » et « faire justice », c’est tout un : les seigneurs de Montréal ont le droit de faire la guerre à partir de leur castrum, et les milites du château devront les aider contre ceux avec qui ils voudraient faire justice34.
13Les litiges, les contestations, les rancœurs sont omniprésents, récurrents et insolubles. Dans des périodes critiques, quand les déséquilibres et les dysfonctionnements sont trop criants, un conflit éclate. C’est alors que prennent place les règlements, destinés à redéfinir des rapports de force, à réinstaurer un modus vivendi acceptable. Aucune cour n’a une autorité suffisante pour imposer un jugement, ni celle des comtes de Toulouse, suzerains théoriques et complètement absents, ni celle des vicomtes ou autres grands seigneurs qui ne constituent qu’une des intances de règlement parmi beaucoup d’autres. On ne renvoie non plus à aucun corpus juridique écrit ou non écrit. On cherche moins à déterminer qui a tort et qui a raison, ce qui est juste et ce qui est injuste35, qu’on ne tente de trouver une solution pragmatique, où chacun obtienne quelque chose. Il existe donc bien un système de régulation des violences, il n’y a ni anarchie, ni guerre permanente. Seul un moine lettré, dans le contexte très particulier du début du xie siècle, peut déplorer l’oubli des lois et présenter les règlements arbitrés comme le règne de la force : « et il se passa ce qui doit se passer quand les arbitrages des hommes prennent la place des lois… »36.
14Le conflit, potentiel ou déclaré, envahit la lettre des textes. La dénonciation de la violence comporte certes toujours une part de rhétorique, et permet d’accuser l’Autre, de délégitimiser sa position en stigmatisant la violence de sa réaction. Mais dans ces sources laïques languedociennes, la stratégie est à la fois plus simple et plus complexe que dans les situations couramment observées dans les cartulaires ecclésiastiques. Nous n’avons pas affaire à de « pauvres » moines constamment attaqués par de « méchants » seigneurs. Dans cette aristocratie militaire vouée au culte de la force et de la vaillance guerrière, il est aussi certainement plus difficile d’avouer que l’on a été attaqué et vaincu, ou capturé, que son château a été détruit. On préfère toujours s’accorder entre soi, et souvent taire les conditions qui ont amené à la conclusion de la trève dont la trace est conservée. Les témoignages peuvent tout aussi bien sous-estimer la violence de la réalité. Ils sont donc à prendre pour ce qu’ils sont : des indices de la permanence de l’état conflictuel, et des conditions nécessaires pour la conclusion d’une paix.
II - LE RÈGLEMENT DES CONFLITS
15Les sources laïques du Languedoc offrent un éventail très large de textes pour analyser le règlement des conflits internes à l’aristocratie. Elles présentent l’avantage de contourner toutes les stratégies de l’institution ecclésiale et les biais induits par celles-ci37. Il est cependant difficile d’établir un corpus de textes de nature proprement judiciaire. À la limite tout acte peut être considéré comme élément d’un règlement de conflit. Pour les guirpitiones, cela paraît être clair : on déguerpit rarement un bien de son propre mouvement38. Des donations, des ventes ou des reprises en fief ont cependant aussi pu être effectuées à la suite d’un conflit et de son règlement, dont nous ne savons rien par ailleurs. Certaines le disent de manière elliptique39, combien d’autres n’en ont même pas gardé la trace ? D’autant plus que, dans cette société régie par un code prégnant de la parole et de l’honneur, c’était bien souvent l’intérêt des deux parties que de taire la soumission. Le vicomte se contentait de voir les châteaux repris de lui en fief ; le baron tenait à maintenir la fiction qu’il avait fait la cession sua sponte.
16Un certain nombre d’actes rendent plus précisément compte de règlements de conflits, mais il s’agit d’un groupe de textes aux limites difficiles à définir. Il y a bien un ensemble de documents fermement circonscrit, où est explicitée une procédure, où sont décrits le choix des arbitres ou la présentation des témoins. Mais au-delà gravite une nébuleuse d’accords bilatéraux qui définissent des droits, qui mettent fin à un conflit, ou qui établissent ou rétablissent des relations positives entre deux parties. Ce sont ceux-ci que nous envisagerons en premier lieu, avant de débrouiller les modalités des procédures de médiation et d’arbitrage.
1 - Les accords bilatéraux
17Par accords bilatéraux, nous entendons tous les textes, quel que soit le nom qu’ils se donnent, convenientia, concordia, placitum, finis, pax, qui visent à mettre au clair les droits et devoirs respectifs des protagonistes40. Ces actes se présentent comme un accord direct entre les deux parties, sans aucune allusion à une quelconque procédure. Ne sont mentionnés ni médiateurs, ni arbitres, ni a fortiori juges.
18Certains d’entre eux ressortissent à la grande catégorie des alliances. Nous nous situons ici à la limite de la sphère que l’on peut qualifier de judiciaire, mais il n’y a aucune solution de continuité entre ces textes et ceux qui règlent un conflit. Les alliances peuvent être conclues selon le formulaire typique des serments de fidélité ; ce sont alors des sécurités (serments sans château), qui accompagnent ou non un serment féodal. Les circonstances étant le plus souvent inconnues, on ne peut décider si ces textes mettent fin à un conflit. Il est clair que le groupe de serments et de reprises en fief en 1179 entre Roger II et Alfonse d’Aragon témoigne de leur réconciliation, après que le vicomte a longtemps soutenu Toulouse. Les promesses de nonagression avec les Lautrec suivent aussi de près les revirements des uns et des autres tout au long du xiie siècle. Toutes les sécurités pourraient en fait être citées, qu’elles soient des alliances offensives, des promesses d’aide ou de non-agression.
19Le dossier des relations entre Trencavel et Foix comprend de telles sécurités, mais on y trouve aussi des partages de droits qui relèvent d’une deuxième sorte d’accords. Ce sont des transactions où sont définies des répartitions de compétences entre les divers héritiers des comtes de Carcassonne. Nous avions déjà remarqué dans notre première partie que les conflits avec Foix se réglaient par une réaffirmation du partage de fait : l’ouest à Foix, l’est aux Trencavel, la limite se situant vers Mirepoix et le Kercorbès. Il est plus difficile de décider si l’accord sur la circulation des marchands passé avec Aimeric de Narbonne en 111741, le partage des droits sur les mines d’argent de Villemagne avec Ermengarde de Narbonne en 116442, ou le règlement sur les routes avec les vicomtes de Minerve43 appartiennent à la catégorie des règlements de conflits. Si l’on tient compte de tout ce que les querelles ont de latent, entre chicaneries passées et déflagrations envisagées, il s’agit sans nul doute d’une voie d’apaisement, ne serait-ce que par anticipation. On notera de plus que seule la très haute aristocratie est ici en cause : c’est peut-être pour cela que ne sont mentionnés ni arbitres ni médiateurs. Soit le conflit n’était pas encore ouvert et on préférait traiter avant qu’il n’éclate, soit la lettre des textes, sous la forme d’un acte directement négocié de puissance à puissance, masque de réelles négociations dont on aime mieux passer sous silence les modalités et les acteurs.
20Dans le cas de la paix entre Roger Ier et Alfonse Jourdain, on est en revanche certain qu’il y a eu conflit. Le règlement qui en est fait n’est pas foncièrement différent ; le début du texte est éloquent : « voici les articles des plaids et « asseurements » qui doivent être faits entre le comte Alfonse et Roger de Béziers »44. Mais la suite de l’acte reproduit la structure des arbitrages et médiations que nous analyserons plus bas. Successivement sont énumérés des châteaux qui doivent être rendus, jurés ou détruits. Le règlement revient à définir des droits respectifs sur des castra préalablement enlevés. La seule différence avec un texte comme la finis entre les vicomtes de Bruniquel et les seigneurs d’Olargues se situe dans le nombre de castra en cause. Cet accord fait en 1156, sans mention de procédure, met sans aucun doute fin à un conflit : l’un des vicomtes traite d’ailleurs avant son frère et promet d’amener celui-ci à reconnaître les mêmes termes ; il donne, qui plus est, un château en gage de la bonne volonté de son frère45.
21Nous entrons ici dans un domaine plus proprement judiciaire, bien qu’aucun procès ne soit relaté. L’entente sur Gaillac conclue au début des années 1030 entre les vicomtes Trencavel et les meurtriers de leur père ne se présente pas autrement. C’est un placitum et convenientia au sujet de l’abbaye de Gaillac, mais il est lié au meurtre du vicomte car l’évêque Amelius donne un fief aux fils de celui-ci pour emendare. Le fief est d’ailleurs immédiatement rendu aux deux frères homicides, Geraldus et Segarius46. L’opération se résume à insérer un degré supplémentaire dans la pyramide féodale : les criminels deviennent les vassaux des vicomtes, les arrière-vassaux de l’évêque – à moins qu’il ne s’agisse d’une donation pure et simple, d’une substitution des vicomtes à l’évêque, avec l’engagement des vicomtes de conserver leurs fiefs aux meurtriers de leur père47. Après quelles âpres négociations un accord si complexe a-t-il pu être trouvé ? Nous n’en saurons rien, faute de documents nouveaux. Plus d’un siècle après, le même type d’arrangement met fin à un autre conflit entre Raimond Trencavel et des seigneurs albigeois. Le vicomte se voit contraint de leur inféoder un castrum qu’il vient de construire à Saint-Juéry parce qu’il l’avait édifié sur leurs terres ; les milites qui en constituent la garnison devront faire serment à ces seigneurs, mais avec une réserve de fidélité pour Raimond Trencavel48. Les tractations, comme les conflits dont elles sont solidaires, devaient être le quotidien des seigneurs du Languedoc. Parfois, un accord est trouvé avant la guerre, ou avant le procès en forme. Ainsi, en 1176, Pierre Raimond de Mirepoix renonce à une plainte contre Roger II en échange de la somme de mille sous ugonencs49.
22Le dernier exemple, celui de la soumission des nobles du Carcassès, paraît résumer à lui seul toutes les questions induites par ces accords bilatéraux. Il y a eu de toute évidence conflit, bien que le texte n’en fasse aucune mention. Il se dénomme « bref pour la paix »50, et livre les noms d’une série d’hommes « qui ont signé la paix »51. Chacun donne un ou plusieurs garants (qui manlevavit eum), qui se portent manifestement caution soit pour sa libération, si l’on peut penser que Bernard Aton les a battus militairement et fait tous prisonniers, soit de son respect d’engagements dont il nous manquerait la teneur. Les insurgés sont aussi solidaires dans la défaite qu’ils devaient l’être dans l’insurrection, ils s’assurent mutuellement les uns les autres52. La seule allusion à une procédure d’ordre judiciaire est l’intitulé de la seconde partie du texte : « pour réparer [la rupture de] la “paix et trêve” et promettre de la tenir désormais fermement »53.
23Ce groupe de textes est donc fort divers, sans véritable unité ; il dessine des contours flous autour du noyau dur des véritables procédures. Il fait aussi en quelque sorte le lien avec tous les autres types d’actes qui ne mentionnent jamais de conflit. Il nous permet en fait de soupçonner l’omniprésence de la guerre que certains appellent « privée ». Mais où situer la frontière avec le domaine « public », quand les luttes au sein de la plus haute aristocratie ne sont pas fondamentalement différentes dans leur forme et dans leur règlement de celles qui animent les seigneurs de moindre envergure ? Tout accord est un compromis négocié qui clôt ou prévient un conflit, qui permet de tisser des liens sociaux à tous les niveaux de la hiérarchie féodo-vassalique, de la fonder à nouveau. Et de restaurer ce que les contemporains appellent l’amour ou l’amitié, un pacte de bonnes relations, une sécurité d’où l’affectivité n’est pas totalement exclue : vers le milieu du xie siècle, un certain Raimond Adalbert fait une donation à Gellone pour récupérer l’amour de son seigneur, c’est-à-dire la paix et la concorde, la douceur et la bienveillance, la tempérance et la joie54…
2 - Médiations et arbitrages
24Dans les actes qui offrent une narration, même succincte, de la procédure, la justice pour les grands se présente encore comme un compromis négocié. Il n’est fait appel à aucun tribunal constitué reconnu, dès les premiers textes de plaids conservés par les cartulaires laïcs, la justice publique de type carolingien a disparu55. Ici se situe la distinction radicale avec le système judiciaire du haut Moyen Âge. La « legal anthropology » a eu le mérite de redonner leur place aux moyens extra-judiciaires dans le fonctionnement de la justice mérovingienne ou carolingienne, mais ceux-ci ne sont qu’une instance qui prend place dans une structure plus large où il existe des tribunaux publics56. À la différence de l’Italie du xie siècle où subsistent des plaids publics (comtaux), quels que soient leur rôle et leur degré de ritualisation57, l’aristocratie languedocienne ne s’en remet pas aux décisions d’une cour, ni comtale, ni vicomtale ; le système judiciaire est immanent à la communauté58. P. Ourliac a bien mis au jour la rupture dans les formes et les contenus des actes à la fin du xe et au début du xie siècle59. Tout se passe par négociations et arrangements : on tente de reconstituer un tissu social déchiré par le conflit, grâce à l’entremise d’intermédiaires qui à la fois suggèrent des solutions et sont témoins de la concorde nouvelle. Le cartulaire des Trencavel a conservé une quarantaine de tels règlements, celui des Guilhem une vingtaine60.
25Ils impliquent tous des barons de la terre, que les litiges opposent des seigneurs châtelains jugés par d’autres seigneurs ou par le vicomte, ou bien le vicomte à ses vassaux, ou bien encore le vicomte aux autres autorités de la région, vicomtesse de Narbonne, comte de Toulouse ou comte de Barcelone. Quant à la nature des conflits qui les divisent, l’écrasante majorité des différends concerne des biens immeubles ou des droits sur ces biens. Les châteaux sont le plus souvent l’objet des contestations, que ce soit pour partager les droits après succession ou entre coseigneurs, pour déterminer le statut féodal de la fortification, pour contester des constructions litigieuses. Tous ces règlements judiciaires sont immédiatement conditionnés par des violences : les récriminations mutuelles existent souvent depuis longtemps, mais pour qu’elles soient réglées publiquement, il faut qu’il y ait eu une attaque caractérisée d’une partie contre l’autre.
26Ce qui frappe à première lecture, c’est le caractère informel de tous ces actes ; l’impression se dégage que toutes les affaires sont traitées au coup par coup, et relatées de manière très narrative. Il s’agit certainement là des textes les plus difficiles du corpus, ils ne suivent aucun formulaire, les tenants et les aboutissants sont souvent évoqués de façon fort allusive. Aucune typologie n’est possible en se fondant sur les noms qu’ils se donnent ; comme les accords bilatéraux, ils se nomment placitum, pax, finis, convenientia, concordia, compositio parfois qualifiés d’amicabiles, d’amiables. Cependant un certain nombre d’entre eux amènent sur la voie d’une distinction entre deux types de règlements faisant intervenir des tiers. Après avoir exposé le début de la procédure – énoncé des plaintes, audition des témoins…61 – les négociateurs proposent le choix entre deux sortes de compromis, entre judicium et finis, ou entre rectum et finis62. Ainsi en 1139, trois frères et leurs deux oncles se disputent l’héritage du château patrimonial de Lavaur. Les juges allaient prononcer un judicium quand une finis fut trouvée : un des neveux l’exposa aux oncles et leur demanda ce qu’ils préféraient ; ils choisirent la finis63. De même, en 1153, des récriminations mutuelles opposaient le vicomte et les seigneurs de Cabaret. Raimond Trencavel proposa de régler l’affaire par un rectum ; les seigneurs préférèrent une finis, qui fut faite64. Dans le cartulaire des Trencavel, deux autres exemples similaires datent de 1160 et 116365. Mais ce n’est pas la seule source qui atteste une telle opposition. Un acte du cartulaire de Saint-Sernin, du tout début du xiie siècle, exprime une antonymie identique entre rectum et concordia ; une controverse entre Ramon Berenguer II de Provence et Etiennette des Baux oppose l’amicabilis concordia à la judicialis sentencia66. Significativement, quand l’option est donnée, la prédilection des parties va toujours à la finis. Que peuvent recouvrir ces deux catégories ?
27Il faut souligner d’emblée que la typologie ne peut être fondée sur le caractère bilatéral ou trilatéral du règlement, ou – pour reprendre les dénominations de l’anthropologue du droit – dyadique ou triadique67. La distinction que nous pouvons faire entre règlements négociés directement entre les deux parties et règlements énoncés grâce à l’entremise de tiers n’est bien souvent liée qu’à des artifices de présentation. Pourquoi en effet classer les accords trouvés « en présence de… » dans les règlements bilatéraux, et ceux conclus « grâce à l’aide… » dans les trilatéraux ? Ce serait là faire preuve d’un nominalisme et d’une rigidité que nos sources informelles se plaisent à contredire. La distinction la plus pertinente qui permet de surmonter les ambiguïtés de l’intervention de tiers se situe dans le caractère décisionnel ou non décisionnel du rôle confié à ces tiers, entre les règlements que nous nommerons médiations et ceux qui peuvent être conçus comme des arbitrages68.
Les médiations
28La médiation est une façon de régler les conflits avec l’aide de tiers. La situation est déjà suffisamment bloquée pour que les deux parties ne puissent s’entendre par elles-mêmes. Elles choisissent donc des conseillers dont le rôle est de jouer les intermédiaires, de proposer des solutions, de rechercher un moyen terme acceptable par les parties. « Qui pratique la médiation exerce une activité non décisionnelle, fût-ce un juge officiel qui conserve alors, par devers lui, son pouvoir juridictionnel »69. L’énoncé de l’arrangement qui en résulte ne diffère pas essentiellement des accords bilatéraux sans intervention extérieure. Il s’agit d’une transaction où chacun fait des concessions pour trouver un terrain d’entente avec l’autre. Seule la désignation de médiateurs permet de distinguer ces fines ; les hommes ainsi choisis n’ont aucun pouvoir de décision, ils ne peuvent que proposer. Parfois cependant, selon leur autorité morale ou hiérarchique, leurs propositions prennent sans doute un caractère quelque peu impérieux.
29De telles médiations se rencontrent tout au long du xiie siècle, sans qu’il soit possible d’établir de chronologie entre les divers types d’accords. Elles se nomment finis, compositio, concordia, pax, mais aussi placitum. Leur dénomination ne permet donc en rien de les différencier des accords bilatéraux, ni des arbitrages, si ce n’est que le terme de judicium n’apparaît jamais dans ce cas-là. En outre, les médiateurs y sont nommés assessores, assidentes… tout autant qu’arbitri ou judices, ce qui rend d’autant plus délicat le départ entre médiations et arbitrages. Des accords bilatéraux jusqu’aux arbitrages, les médiations offrent un éventail sans solution de continuité.
30En 1143, dans le contexte de la défaite du comte de Toulouse Alfonse Jourdain face au vicomte Roger Ier, Bernard de Comminges, Raimond Trencavel et Sicard de Laurac s’entremettent pour trouver une issue au conflit. Bien que le texte nous dise que les parties s’en sont remises « dans leur main », ils ne semblent nullement maîtres des événements ; le rôle qu’ils ont joué n’est pas clairement exprimé. Dans l’énoncé du compromis, c’est le comte de Toulouse qui prend la parole pour effectuer un certain nombre de concessions70. Lorsque, quelques années plus tard, après la mort de Roger Ier, ses deux frères Raimond Trencavel et Bernard Aton V se disputent l’héritage patrimonial, bien que l’accord soit dit « énoncé et disposé » par les médiateurs, il apparaît évident que ce sont les deux frères qui ont posé les termes du partage de l’Agadès, que les arbitres n’ont été que des intermédiaires71. Déjà en 1112, Ramon Berenguer III et Bernard Aton IV choisirent des hommes pour les aider à chercher une paix, une finis72. On ne sait quel fut leur rôle, mais il semble qu’ils proposèrent l’accord (la première partie du texte est rédigée à la troisième personne) ; ensuite le comte et le vicomte se cédèrent mutuellement des droits comme dans une reprise en fief classique. Dans tous ces cas, entre grands qui ne veulent sans doute pas d’intervention trop autoritaire, les médiateurs n’agissent que comme des conseillers, des diplomates. Leur autorité est informelle, liée à leur assise sociale, à leur influence morale, à leur sagesse (concordia trouvée « avec le conseil de plusieurs hommes sages »73), à l’amitié qui les lie aux parties (compositio faite grâce « au commun conseil des amis »74). La sagesse, l’amitié, autant de notions subjectives et affectives, bien loin des compétences techniques requises d’un juge.
31Les conciliateurs paraissent jouer un rôle plus délicat quand le vicomte est en apparence maître de la situation mais reste partie prenante du litige. En 1175, un conflit oppose le vicomte Roger II à son vassal Pons d’Olargue qui lui réclame une reconnaissance de dette pour une impignoration qu’avait faite son père. Pons appuie ses dires sur une charte en forme faite par le vicomte Raimond Trencavel, mais son fils Roger ne veut pas la reconnaître. Grâce aux bons offices de trois médiateurs, les parties en arrivent à un compromis : le vicomte reconnaît la dette mais la fait ramener de 3 500 à 2 000 sous75. Même s’il existe une charte, l’autorité des médiateurs semble ici limitée. En revanche, dans un placitum et controversia de 1191, Bertrand de Saissac ne fait que proposer un accord ; il semble pourtant investi d’une certaine autorité, parce que les parties s’en remettent à lui et qu’il est seul désigné76. Si le conflit né entre Roger II et Guilhem de Lunas se termine par une compositio où chacun des deux concède quelque chose, l’envergure des médiateurs suggère la vigueur de leur intervention77. Ces exemples invitent à penser que les propositions des conciliateurs peuvent prendre progressivement des allures injonctives, soit qu’elles renvoient à une coutume tacite78, soit qu’elles aient l’autorité de ceux qui les formulent, soit encore qu’elles écartent in extremis un arbitrage ferme. C’est cette dernière figure de médiation qu’il nous faut maintenant explorer.
32La médiation permet en effet d’éviter un règlement trop tranché. Malgré la bonne volonté que veulent manifester Roger II et l’abbé de Saint-Pons en 1171 – ils prononcent l’accord à la première personne et en rabattent mutuellement de leurs exigences – le texte dit que la pacis compositio fut « dictée » par les médiateurs, au premier rang desquels on compte un archevêque et deux évêques79. Avec la nécessité de le régler, on sent là tout ce que le conflit avait de socialement inacceptable et, par conséquent, le caractère impérieux des propositions de paix. La finis et pax conclue en 1175 entre les seigneurs de Clermont au sujet du litige qui les opposait pour la détention de la clé du castrum semble aussi, malgré les formes, singulièrement dictée80. C’est dans les textes qui proposent un choix entre les deux types de règlement (rectum ou finis) que la médiation tend le plus vers l’arbitrage. Bien que, dans chacun des cas, les protagonistes préfèrent s’entendre sur une finis, celle-ci paraît imposée plus fermement aux parties. Si en 1139 les judices ne font qu’entériner entre trois frères et leurs deux oncles un partage déjà effectué par le père des frères avant sa mort pour ce qui concerne Lavaur, les juges doivent trancher sur « le reste de l’honor qui n’était pas divisé »81. Les médiateurs entre le vicomte et les seigneurs de Cabaret « statuent » aussi, en 1153, sur les plaintes réciproques. Pour la finis finalement trouvée entre Guilhem Petri de Villarzel et sa sœur Galarde de Fanjeaux en 1163, les médiateurs sous l’autorité de Raimond Trencavel font abandonner toutes ses prétentions à Galarde contre le paiement de 500 sous melgoriens par son frère et 100 sous par Ermengarde de Narbonne82. En ce qui concerne le dernier texte où sont mentionnées les deux possibilités de règlement, l’affaire paraît un peu plus compliquée. La controverse oppose deux groupes de seigneurs d’Auriac, en 1160 ; elle semble avoir été apaisée en deux temps. La première plainte émane de Polverellus et son frère contre Pons d’Auriac et ses adjutores qui, malgré leur serment de ne pas prendre le château et d’aider à le reprendre s’il était enlevé, ont pris et détruit Auriac83. Un rectum est alors proposé, qui fut refusé84. Mais les méfaits continuent, et Polverellus et son frère doivent à nouveau se plaindre de Pons et de ses amis85. La guerre est alors plus générale et les griefs réciproques86 : « comme auparavant ils s’en étaient remis à Raimond Trencavel pour entendre et recevoir un rectum, ils s’en remirent ensuite au même vicomte pour recevoir une finis »87. Cet accord concédé dans la cour de Raimond88 établit les droits respectifs et interdit à Isarn Ademar de faire de nouvelles fortifications.
Les arbitrages
33Que sont donc ce rectum ou ce judicium, auxquels sont toujours préférées les fines ? Il semble que soient désignés par là des accords imposés, où les parties, une fois qu’elles ont accepté de venir au procès, ne sont plus maîtresses des termes. Elles consentent par avance à se soumettre aux décisions. Il faut en effet d’emblée lever une hypothèque. Les deux mots rectum ou judicium pourraient désigner une forme de jugement de Dieu, duel judiciaire ou ordalie. Il semblerait alors très compréhensible que les parties préfèrent s’accorder et trouver un compromis acceptable afin d’éviter un jugement de Dieu dont l’issue serait trop aléatoire. Mais cette signification est à écarter pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce serait là les seules mentions du duel judiciaire en Languedoc au xiie siècle. En effet, dans la vicomté de Narbonne, dans les vicomtés Trencavel, des mentions de duel sont conservées pour le xie siècle, mais aucune au-delà de 110089. On pourrait alléguer les aléas de la conservation des sources, mais le duel aurait alors changé de nom en Languedoc entre le xie et le xiie siècle. Cette procédure est en effet normalement désignée par le terme batalia, batalia jurata, une fois bellum, jamais rectum ou judicium90. De plus, le rectum de nos actes n’est pas un rite ou une action, mais un texte ou un discours que l’on peut écouter. Un acte de 1160 est clair là-dessus : les parties étaient prêtes à entendre un rectum quand une finis fut trouvée91.
34Nous avons vu que les protagonistes d’un conflit, même quand celui-ci est envenimé, tentent toujours de négocier entre eux, en faisant au besoin appel à l’aide d’intermédiaires, plutôt que de s’en remettre au jugement d’un tiers92. Des arbitrages, il en existe cependant. Les parties n’ont alors pas été capables de s’accorder, ou le rapport de forces faisait que la chose était impossible. Les compromis qui en sont issus, de même que pour tous les autres règlements de conflits, peuvent prendre les noms de concordia, compositio ou placitum, mais seuls des arbitrages ont pu être nommés judicium, sentencia, ou descicio. Les arbitres édictent ici la solution, leurs conclusions lient les parties, ils officient de manière décisionnelle.
35Malgré le rang des deux protagonistes, c’est bien à un tel arbitrage que l’on a affaire en 1132 entre Alfonse Jourdain et Roger Ier : « avec le conseil de leurs barons, ils s’en sont remis dans la main de Helisiar de Castries et Bernard de Canet, pour faire ce qu’ils jugeraient, et le promirent par serment. Du reste, il faut vous montrer comment cela a été jugé par ces arbitres et par l’évêque de Toulouse qui a participé à ce judicium »93. Ils le promirent par serment : il y a donc eu une acceptation anticipée des conclusions des arbitres, garantie qui plus est par un acte sacramentel qui interdit toute rétractation ultérieure. En 1163, Raimond Trencavel se soumet aussi à la décision d’une cour, celle de Ramon Berenguer IV comte de Barcelone, pour ce qui concerne ses différends avec Ermengarde de Narbonne. Le comte leur impose de respecter des accords déjà conclus, oblige le vicomte à abandonner des taxes qu’il avait tenté d’imposer et empêche Ermengarde d’augmenter celles qui sont fixées par le compromis précédemment établi94. Le vicomte est partie prenante d’une autre controverse en 1153, avec les seigneurs de Roquefort. Le texte énumère une suite de plaintes d’Ugo Escafredi contre Raimond Trencavel, suivies à chaque paragraphe par l’énoncé de la sentence rendue par un groupe de sept hommes95. Il y est même dit, à propos d’un litige sur la villa de Sorèze, que le vicomte « a obtenu » [des arbitres qui l’ont imposé aux seigneurs de Roquefort] qu’elle demeure en son site, alors que les Roquefort voulaient la déplacer96. Tout cela fut jugé « selon l’arbitrage et le conseil » de l’évêque de Toulouse et de sept autres personnes, qui manifestement imposent leurs décisions97. En 1156, quand les vicomtes de Bruniquel veulent faire reconnaître leurs droits sur Brusque à Austor de Lunas, il est dit que les juges ont jugé et ont rendu une charte de jugement98. C’est encore une sentence qui est rendue pour départager les droits entre Pierre Rainardi et sa mère, qui s’affrontaient, en 1170, pour la succession au patrimoine familial99.
36La guerre qui opposa au début des années 1120 Guilhem VI de Montpellier et Bernard comte de Melgueil et les accords qui s’ensuivirent nous ont laissé trois témoignages exceptionnels, trois textes transcrits à la suite dans le cartulaire des Guilhem100. Le conflit fut très violent, Montpellier fut assiégée, des chevaux, des juments et des mules furent tués en grand nombre, des maisons détruites, du vin répandu, des vignes et des olivettes brûlées, des hommes blessés ; des vassaux du comte ont même menacé de décapiter (capita detruncare) des vassaux de Guilhem : « presque tout le pays était détruit »101. L’origine de l’affaire semble pourtant anodine : Guilhem a modifié le cours du Lez pour alimenter son port de Lattes, ce qui a eu pour conséquence de priver d’eau le moulin d’un vassal du comte de Melgueil. Mais les règlements qui en sont issus montrent bien tous les conflits larvés qui traînaient entre le seigneur de Montpellier et le comte (sur les droits de justice, sur les leudes, sur le serment dû par le seigneur pour ses fiefs du comte, sur la monnaie melgorienne…). L’opposition était si vive, la guerre si cruelle et le conflit apparemment si insoluble que ce fut l’évêque de Maguelonne qui dut s’entremettre et faire appel au seigneur supérieur du comté de Melgueil, le pape. Celui-ci désigna alors des arbitres à la hauteur de la gravité de l’affaire, deux archevêques (Vienne et Tarragone) et trois évêques (Grenoble, Carpentras, et Maguelonne). Ils édictèrent un véritable arbitrage – « les dispositions ont été prises et arrêtées selon l’arbitrage des personnes susdites »102 –, car les voies de recours habituelles avaient échoué. Dans le premier texte, qui semble être une plaidoirie du seigneur de Montpellier où il présente son action sous un jour quelque peu irénique, Guilhem affirme en effet qu’il avait proposé de se rendre à la cour comtale, en chevalier, et de se soumettre aux décisions du comte et de sa cour, puis, dans un second temps, il soutient que « ayant souffert tous ces malheurs [les attaques de ses adversaires à la suite du creusement du nouveau canal], il proposa de faire droit au comte, à Bernard Gandalmari et à Bernard Gombaldi [les vassaux lésés], mais ceuxci refusèrent »103. C’est l’échec de ces différentes instances – la cour du comte tout d’abord pour arranger l’affaire entre ses vassaux et Guilhem, ensuite l’offre de règlement de Guilhem au comte une fois celui-ci impliqué – qui rend nécessaire l’intervention du seigneur supérieur et d’arbitres extérieurs.
37De façon significative, un arbitrage peut aussi annuler les dispositions d’une finis antérieure. Tel fut le cas en 1163 dans l’affaire qui opposait les coseigneurs de Montréal et de Saissac. Raimond Trencavel a donné une carta judicii et a rendu une sentence selon laquelle « la finis ou transaction qu’avaient faite Ugo Escafredi et son père avec le père d’Isarn Jourdain au temps de la destruction de Montréal ne valait rien car elle avait été extorquée par la force »104. Contre un accord négocié, le recours peut donc être un arbitrage du vicomte qui recherche et impose un partage plus équitable des droits respectifs. Celui-ci peut aussi résolument juger en appel. Ainsi dans le litige entre des seigneurs albigeois au sujet de La Salvetat et de Lavaur, Roger Ier commence par confirmer la sentence rendue par Sicard vicomte de Lautrec, avant de régler d’autres points en suspens105.
38Ces arbitrages imposent des jugements qui peuvent même tendre vers des décisions de type disciplinaire. Les deux exemples de commise dont nous avons traité plus haut106 en attestent. À la fin du xie siècle, le bref de judicio de placito, rendu par la vicomtesse et quatre autres personnes à propos de Montady, comprend un certain nombre de paragraphes qui commencent tous par l’énoncé de la décision : laudavimus… ou debet…, la première clause stipulant la restitution de sa part du castrum par Bernard de Nissan107. Plus claire encore est la commise de Saissac qu’effectue Roger Ier en 1150. Le vicomte avait des plaintes à énoncer contre Isarn Jourdain – querimonias dont on ne sait la cause – et lui reprend le castrum. Ce n’est qu’après cette procédure que tout seigneur est en droit d’appliquer à son vassal, que les deux hommes en viennent à conclure une concordia, où Isarn Jourdain, avec le conseil de sa femme, de ses fils, et des barons et milites, reconnaît tenir le castrum en commande108. Le vicomte peut donc juger directement ses affidés, que ce soient des seigneurs châtelains, ou des ministri, comme dans le cas de Guilhem de Limoux en 1152. En présence de Bernard de Canet, Guilhem de Saint-Félix et Adémar de Conques, et de nombreux autres probi homines et nobles hommes, Raimond Trencavel fait valoir son droit et juge son minister et le frère de celui-ci, qui lui avaient usurpé de nombreux droits à Limoux et lui avaient menti109. « Comme de mauvais ministri bons à rien et infidèles, ni eux ni leurs amis n’ont osé faire rectum, mais ils s’en sont remis au pouvoir du vicomte »110. Ils sont condamnés à payer 1300 sous de Morlaas et à déguerpir tout ce qu’ils tenaient indûment. Le jugement prend alors un caractère nettement disciplinaire, c’est la potestas du vicomte qui leur est imposée et tout leur est confisqué.
39D’accords bilatéraux muets sur le contexte de leur rédaction jusqu’à des jugements exécutoires, sans solution de continuité, on passe donc insensiblement de la paix discutée à la justice négociée puis à la justice arbitrée. Les catégories ne sont pas étanches, ni les dénominations techniquement définies. Il peut même parfois paraître hasardeux de classer les actes dans cette typologie somme toute assez floue, car nous sommes contraints de nous en tenir aux termes qu’ont fixés les textes, qui tendent bien souvent à occulter le rôle exact joué par les intermédiaires, voire même leur présence. Nous sommes ici face à un discours dont les mots ont dû cependant être longuement pesés, et dont la sémantique révèle toutes les nuances de la tractation et de la soumission, de l’injonction et du marchandage. Le caractère contractuel de la société féodale se révèle encore ici : en l’absence de cours souveraines édictant des jugements exécutoires ou d’instance capable d’imposer sa juridiction, les conflits qui mettent sans cesse le tissu social en péril sont réglés de façon immanente grâce aux réseaux de liens personnels. Une justice en émerge cependant progressivement, celle de la cour du vicomte Trencavel ou du seigneur de Montpellier111 ; elle ne s’organise pas au moyen d’un retour à un ordre antérieur112 – ce que d’aucuns ont pu appeler la récupération des droits judiciaires usurpés –, ni au renouveau du droit romain qui n’a fourni que des outils et des pratiques plus rigoureuses. Elle est issue de ces arbitrages récurrents, de plus en plus péremptoires, où le seigneur, à force d’être un médiateur privilégié – il a le droit et le devoir de juger ses vassaux –, devint un arbitre obligé113. Ces cours arbitrales seraient peut-être devenues des tribunaux souverains au xiiie siècle, si l’évolution n’avait été stoppée net par la cession au roi d’Aragon pour Montpellier, par la Croisade albigeoise pour les Trencavel.
III - LA PROCÉDURE
40Que ce soient les médiations ou les arbitrages, ces types de règlement des conflits ont ceci en commun, par rapport aux accords bilatéraux simples, qu’ils présentent l’exposé d’un minimum de procédure. Celle-ci est parfois réduite à sa plus simple expression : seuls les noms des médiateurs sont donnés. Mais ailleurs des bribes peuvent en être saisies, plus ou moins développées. Elles permettent néanmoins de reconstituer les étapes d’une procédure complète, fictive parce que lacunaire dans les textes.
1 - Rencontre préalable, énoncé des plaintes, choix des arbitres
41Tout procès s’ouvrait vraisemblablement par une rencontre préalable des parties au cours de laquelle étaient formulées les conditions. Celle-ci semble plus ou moins informelle et elle est rarement rapportée dans les textes qui subsistent. Généralement, on décidait alors de la date et du lieu de l’audience, à laquelle les protagonistes devaient pouvoir se rendre « sûrement et sans crainte avec leurs amis »114. Les plaintes, unilatérales ou mutuelles, étaient alors certainement énoncées. Elles sont de toute façon la plupart du temps réexprimées en ouverture de la séance, le jour du procès proprement dit, et c’est à ce moment là que nous les voyons formulées. Ces griefs sont introduits dans la plupart de nos textes par le verbe conquerebatur. Mais de telles listes de plaintes peuvent aussi être recopiées à part, dans un acte indépendant qui ne fait référence à aucun autre élément de procédure : elles s’apparentent aux rancuras catalanes, et nous renseignent sur la nature des conflits, non sur la façon dont ils ont pu être réglés115.
42Le plus souvent cette première rencontre donnait aussi lieu à la constitution de cautions, qui servaient à assurer la comparution au procès, ou bien représentaient le prix que les médiateurs réclamaient pour entendre la cause. Ces garanties se nomment firmancie ou pignora ante placita116, et, si ce sont des hommes qui assurent ces sûretés, fidejussores117.
43Et c’est certainement ce jour-là qu’étaient désignés les tiers, qu’ils soient médiateurs ou arbitres. Deux cas de figure sont alors possibles. Les protagonistes peuvent élire en commun un certain nombre d’hommes qui seront ensuite chargés de conduire l’action : ce sont des arbitres « choisis avec le consensus des parties »118. Ou bien les parties s’en remettent « dans la main » d’un seul personnage, bien souvent le vicomte vu la nature de nos sources, qui lui-même « appelle » quelques autres personnes pour l’assister119. Plusieurs termes peuvent les désigner : dans le premier cas, c’est le plus souvent arbitri, judices, dans le second, assistentes, assidentes. Nous avons déjà vu ce que ces deux derniers vocables pouvaient impliquer en termes d’aide vassalique. Une des fonctions du vassal, aider son seigneur en justice, trouve en effet ici une de ses applications claires : assister à la cour et aider à trancher des litiges. Ce sont plus souvent des arbitrages que des médiations qui sont ainsi rendus par la curia du vicomte.
2 - Enquête
44À cette première phase des procès succède une enquête dont nous ne savons pas non plus grand-chose. Les propos sont souvent ici aussi fort évasifs. La seule chose qui soit dite est que les médiateurs « ont entendu les plaintes et enquêté à ce propos », tant du côté des accusateurs que de celui des défendeurs120. Cette recherche de la véracité des allégations revient aussi à une investigation sur la nature des preuves que les deux parties peuvent apporter : ce sont la plupart du temps des témoignages121.
45La phase de prospection est bien souvent traduite dans les textes par un seul mot, de façon très allusive et en se référant à quelque chose d’accompli – la forme la plus fréquemment adoptée est l’ablatif absolu : les plaintes ont été entendues (auditis), l’enquête a été menée (inquisitis), les raisons (rationes) ont été recherchées. Ces rationes, toujours exprimées au pluriel, peuvent désigner soit les plaidoiries de chaque partie, soit le raisonnement que suivent les juges122. Dans un cadre plus général, la ratio, au singulier, peut aussi désigner toute cause judiciaire : ainsi, après qu’ont été réglés les différends entre Polverellus et Pons d’Auriac, il est précisé que Pons abandonne toutes ses plaintes pour les malefacta perpétrés, et qu’il ne pourra faire d’autre procès (ratio) pour cela123. Après quelques tâtonnements, la formule adoptée pour exprimer que l’enquête a été accomplie se fixe dans la clause classique utriusque partis allegationibus auditis. Issue de la procédure romano-canonique, elle énonce que « tout juge se trouve tenu, avant de rendre sa sentence, d’écouter aussi bien le défendeur que le demandeur »124. Dans les années 1130, elle acquiert son aspect définitif125, pour lequel A. Gouron a montré l’influence des juristes, surtout du provençal Géraud, auteur de la Summa Trecensis126. Son utilisation à la cour du vicomte Trencavel montre que celle-ci, ou certains de ses éléments difficilement identifiables127, n’ignoraient pas le renouveau juridique et accueillaient favorablement les nouveaux outils à disposition.
46Après avoir entendu les allégations des deux parties, leurs défenses respectives et leurs témoins128, les arbitres désignés tentent donc de trancher. Un des textes recopiés dans le cartulaire ne présente d’ailleurs qu’une série de témoignages, qui devaient servir à une procédure dont nous n’avons par ailleurs aucune autre mention. Nous ne savons donc ni exactement pourquoi ces témoins ont dû comparaître, ni comment fut réglée l’affaire129. Le litige portait sur la détention de justices à Valsiger. Les témoins apportent tous des preuves en faveur du vicomte : on peut donc penser que l’on a là sa défense.
47Dans quelques cas, cette première phase de la procédure se terminait par un serment de calomnie, destiné à assurer les allégations des parties, à « garantir la loyauté des débats »130.
3 - Énoncé du type de règlement, énoncé du compromis
48Une fois les arbitres nommés, l’enquête menée, a lieu l’énoncé du type de règlement du conflit. C’est ici que prend place, quand le cas est envisagé, le choix entre finis et judicium. Même dans les autres textes, nous trouvons néanmoins une courte phrase qui nomme l’accord conclu : « les adjutores susdits prononcèrent une composition de paix », ou bien « il plut au vicomte Roger qu’à propos de cette controverse soit faite une bonne finis et paix, à jamais »131.
49Le texte même de l’arrangement qui est ensuite copié occupe la plus grande partie de tous nos textes. Quel que soit le type de règlement, médiation ou arbitrage, celui-ci se compose généralement d’un partage des droits contestés. Quand le litige porte sur un patrimoine familial, ce dernier est le plus souvent divisé entre les divers ayants droit. Ainsi Termes revient aux deux frères selon la répartition deux tiers-un tiers, ou bien la mère obtient un château, Villeneuve, et le fils un autre, Vias132. Lorsque le conflit a trait à la détention d’un castrum entre divers coseigneurs, le problème est souvent résolu par la reconnaissance, d’un groupe par rapport à l’autre, de la détention en fief. Austor doit reconnaître qu’il tient Brusque en fief des vicomtes de Bruniquel ; Isarn Jourdain, Montréal d’Ugo Escafredi ; Guilhem de Lunas, Lunas de Roger II133. De même, dans un texte qui se situe à la limite entre l’accord judiciaire et la reconnaissance en fief, il est relaté que Roger II a dû se rendre à Mèze, en février 1175, pour faire reconnaître à Pierre de Mèze, à ses frères et à ses enfants ses « dominations » dans le castrum. Pierre a alors avoué tout ce qu’il tenait en fief de Roger134. L’affaire fut certainement grave, mais il a suffi d’une démonstration de force du vicomte, qui a désamorcé le conflit avant d’en arriver à un véritable procès en forme. Le partage des droits, qu’il soit horizontal ou vertical, est donc la solution la plus communément adoptée.
50Mais ce n’est pas la seule. À une reprise, lors d’une contestation sur un partage patrimonial, une des deux parties est déboutée et ne reçoit qu’une petite compensation financière135. Il lui est même interdit de reformuler de quelconques plaintes à propos de ce même héritage. Dans d’autres cas, seulement au xie siècle, la décision est renvoyée à un jugement de Dieu et un duel est organisé136.
51Un dernier type de compromis est plus rarement adopté : l’emenda. Guilhem de Limoux est condamné à une telle amende au profit de son seigneur, le vicomte : il devra lui payer 1300 sous de Morlaas137. Mais si nous n’avons pas d’emblée traduit emenda, c’est que celle-ci n’est pas obligatoirement pécuniaire. En effet, le jugement pour Montady à la fin du xie siècle prévoit qu’Imbert, qui s’est très mal conduit envers la femme de Bernard, « s’amende » au moyen d’un serment par les mains : on peut qualifier ce serment de purgatoire, ou d’exculpatoire, car « il lave officiellement d’une accusation »138.
52Le caractère exceptionnel de ce type de règlement par emenda tient peutêtre à la nature des sources que nous avons ici analysées. L’emenda semble en effet être une procédure pré-judiciaire, une façon de concilier avant d’en arriver à un procès en forme139. La reprise en fief de Brens et Cahuzac, bien que nous ne sachions pas dans quel contexte elle a été imposée, est une emenda140. On en trouve aussi dans les pactes de sécurité, quand est exprimée la clause concernant les vassaux des jureurs : chacun se porte garant pour ses propres hommes et, s’ils faisaient tort à l’autre, il les forcerait à emendare ; s’il n’y arrivait pas, il s’engage à aider l’autre141. Dans des textes un peu plus précis, un délai de quarante jours est donné pour cette première conciliation à l’amiable142, dans des serments de sécurité143, mais aussi dans des accords bilatéraux144 ou dans des règlements de conflits plus formels145. La marche à suivre est toujours la même : l’agressé doit lancer une semonce à son agresseur, qui a quarante jours pour réparer, au terme desquels une procédure plus lourde est entreprise. Ce terme des quarante jours paraît lié de très près au mouvement de paix : Alfonse Jourdain, qui a institué la paix en Toulousain et en Albigeois, stipule que, si Trencavel ou un de ses hommes l’enfreignaient, ils auraient quarante jours pour emendare, après quoi il lancerait une réclamation146. L’accord est renouvelé dans les mêmes termes en 1163147. L’emenda, quand elle est faite, ne donne donc pas lieu à un procès formel, bien au contraire, elle l’évite ; on ne peut l’y deviner que dans les clauses finales qui prévoient une infraction de l’une ou l’autre partie au compromis qui vient d’être approuvé148.
4 - Garanties d’application
53Ces clauses finales prévoient souvent un certain nombre de garanties pour l’exécution des décisions prises. La plus fréquente est le serment des parties de respecter l’accord : « tout cela ils se le sont affirmé sous serment, mutuellement, sur les quatre évangiles »149.
54Parfois cette promesse est assurée par le serment d’une ou plusieurs autres personnes. Ce peut être des garants qui donnent leur caution pour chacun des protagonistes, comme dans le cas du partage entre les deux frères Raimond Trencavel et Bernard Aton V150. Mais il s’agit plus souvent d’hommes qui se portent globalement garants du respect des engagements et promettent d’aider l’une des deux parties contre celle qui enfreindrait l’accord. À trois reprises dans le cartulaire des Trencavel, c’est le vicomte qui garantit une convention, dont il n’est bien évidemment pas partie prenante151. Une fois, dans un conflit entre deux groupes de coseigneurs, une tour en litige est confiée à un tiers qui promet d’aider la partie qui serait attaquée152. Quelques autres conventions ont aussi pu mettre à contribution les milites castri, qui promettent de venir en aide au groupe de coseigneurs lésé, à Montréal ou à Pignan, par exemple153.
55Un degré supérieur de sûreté personnelle peut être franchi lorsque ces hommes promettent de se constituer otages si l’une des parties ne respectait pas l’accord. Ces désignations d’otages apparaissent surtout dans les textes précoces et semblent s’éteindre au cours du xiie siècle, autant que notre corpus nous permet d’en juger. Dans l’accord entre le comte de Carcassonne Pierre Raimond et son demi-frère, au milieu du xie siècle, deux listes sont clairement distinguées dans le protocole final, une liste de vingt et un témoins, puis celle de six grands seigneurs, nommés obsides, garants chacun pour une somme de 1 000 sous154. Un autre acte concernant le même comte est si lacunaire qu’on ne peut rien comprendre aux tenants et aboutissants de la procédure155. Il atteste cependant que la donation d’otages n’était pas exceptionnelle, du moins au xie siècle. Raimond de Saint-Gilles assure aussi sa promesse de protection envers le jeune Guilhem V de Montpellier par un groupe d’hommes institués en hostaticum156. Dans les rapports conflictuels entre les seigneurs de Montpellier et les comtes de Melgueil, on prend de même soin de désigner de tels otages : vers 1103, c’est le comte Raimond qui nomme des ostatgui qui doivent se rendre à Montpellier sous huit jours, et en 1125, il est stipulé que Guilhem peut être contraint à régler le problème du port de Lattes par des otages (per obsides… coherceri)157. Passé cette date, on ne rencontre plus d’otages dans les médiations et arbitrages effectués au sein de l’aristocratie laïque languedocienne, le recours à ce mode de garantie somme toute assez fruste ne semble plus nécessaire.
56On rencontre parfois un dernier procédé pour assurer les accords, la sûreté que l’on peut appeler réelle. Déjà les garants qui se portaient caution pour 1 000 sous, au milieu du xie siècle, apportaient un élément pécuniaire. Bien plus, en 1139, à la fin du partage du patrimoine familial entre trois frères et leurs deux oncles, il est stipulé que, si l’une des parties contrevenait au pacte conclu, après un refus de transaction à l’amiable dans les quarante jours, l’autre partie entrerait en possession de la part échue aux transgresseurs158.
57Les garanties d’application sont donc somme toute assez faibles et ne paraissent que dans quelques textes relativement rares. Elles reposent sur le consensus social. Il n’y a pas de dispositif formel de mise en application. Dans plusieurs textes, il est d’ailleurs fait allusion à un règlement antérieur qui n’a manifestement pas vidé la querelle. Il semble au bout du compte que la garantie la plus ferme soit la publicité du compromis, l’assistance des grands et des vassaux, la signature des témoins. Dans cette société, où chacun était sans cesse tenu par les filets de réseaux de relations auxquels il ne pouvait se soustraire, ce n’était finalement que la pression sociale qui pouvait obliger à tenir des engagements.
IV - LES TYPES DE PREUVES
58Si les transactions auxquelles aboutissent tous les règlements de conflit ne sont finalement que des solutions acceptables par les parties, cela n’exclut pas que les médiateurs et arbitres cherchent quelque peu à démêler les contextes. Ils ne tentent pas de juger, de discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste ; mais, pour débloquer les situations, ils essaient cependant de comprendre les relations personnelles qui se sont embrouillées et cristallisées dans le litige. Nous avons déjà mentionné qu’ils entreprennent souvent une enquête dont la notice qui relate l’affaire ne garde que peu de traces. On peut cependant y observer de loin en loin la façon dont est administrée la preuve, et le type de preuves auquel il est fait appel.
1 - Les témoignages
59Les témoignages sont de loin les moyens de preuve les plus fréquemment utilisés. Quand Austor de Lunas et les vicomtes de Bruniquel sont en conflit pour déterminer quels sont leurs droits respectifs sur le castrum de Lunas, chacune des parties commence par présenter des témoins pour confirmer ses dires. Les témoins d’Austor affirment que son père se faisait rendre le château et pouvait le posséder en même temps que le père des vicomtes ; les témoins des deux frères de Bruniquel certifient que le père d’Austor faisait hommage159. Ces trois témoins des vicomtes ont même assuré leurs témoignages par un serment.
60Ce serment imposé aux témoins n’est pas obligatoire mais permet en cas de témoignages contradictoires de décider du droit. Il joue pratiquement le rôle d’un jugement de Dieu. Ainsi, en 1153, parmi les nombreux différends qui opposent Raimond Trencavel et Ugo Escafredi, l’un d’entre eux porte sur la possession d’hommes ; or des deux côtés sont produits des témoins qui assurent que ces hommes payaient l’albergue aux vicomtes et leur appartenaient, ou a contrario qu’ils étaient déjà détenus par les seigneurs de Roquefort auxquels ils devaient albergue et quête, comme tous leurs hommes160. Tout cela, ils l’ont vu et entendu. Devant cette contradiction manifeste, une procédure nouvelle est alors entamée : le vicomte devra élire deux ou trois témoins parmi ceux d’Ugo pour réitérer leurs déclarations sous serment, et de même Ugo parmi ceux de Raimond161. Le serment sert donc en ultime recours ; la dernière instance quand les faits se contredisent est la divinité. On estime que forcément une des deux parties n’osera commettre un délit de faux témoignage, qui, sous serment, deviendrait un crime de parjure. Comme dans les cas de duel, les juges ne font qu’ordonner le rite. La cérémonie, qui dut avoir lieu ensuite, n’est pas relatée : on ne sait donc qui obtint ces hommes.
61Dans l’affaire qui dresse Roger Ier contre Ugo de Saissac en 1150 à propos des justices de Valsiger, il semble qu’on ne possède précisément que cette suite de témoignages, et pour une seule partie qui plus est. Pour prouver son droit, le vicomte fait comparaître de nombreux hommes qui racontent ce qu’ils ont « vu et entendu », c’est-à-dire, dans ce cas, des procès menés par le vicomte ou son vicarius contre des hommes de Valsiger. Ils « produisent leur témoignage », et « confirment tout en jurant »162. C’est peut-être à ce témoignage juré qu’il est fait allusion, à la fin du xie siècle, dans le plaid pour Montady qui mentionne des « témoins légaux ». Au moment de régler les compensations financières à la suite des déprédations commises par Imbert quand il a pris le castrum, les juges demandent à Bernard de prouver cum legalibus testibus ce qu’il possédait dans le castrum avant sa prise163. On ne sait à quelle loi ce texte peut renvoyer : la « légalité » des témoins réside-t-elle dans leur nombre, ou bien dans la forme que leur témoignage prendra164 ?
62Les témoignages sont donc sans cesse requis, à toutes les phases de la procédure. Mais ils peuvent aussi être contradictoires. Dans cette impasse, on a vu que l’une des solutions est de les faire réitérer sous serment ; mais parfois l’issue est trouvée dans le recours à un autre type de preuves, la production de chartes.
2 - Les chartes
63Témoignages et chartes sont fréquemment associés comme moyens de preuves. Comment prouve-t-on la possession d’un bien ? Par témoins ou par écritures, répond une charte de 1125165. En 1071, l’affaire du partage de la viguerie de Malviès fut aussi jugée « après qu’ont été entendus les témoins et qu’ont été lues en entier les chartes présentées par les parties »166. Nous avons abandonné plus haut l’affaire entre Austor de Lunas et les vicomtes de Bruniquel au moment de l’audition de témoins antinomiques : ce n’est que dans un deuxième temps que l’on a fait appel aux chartes pour aider à la décision. Les médiateurs, après voir constaté qu’à la génération précédente le castrum était tenu en commun, était mutuellement rendu, et que les castlans devaient le restituer à celui qui le réclamait, proposent finalement une issue au conflit : Austor l’aura en fief des deux vicomtes, parce que ceux-ci ont produit une charte qui atteste que celui-ci fut donné à leur grand-mère en dot167. Signe des temps, c’est seulement parce que les témoignages sont contradictoires que l’on se tourne vers l’écrit. La procédure aurait pu être considérablement écourtée si l’on avait commencé par là, mais les juges ont manifestement voulu enquêter sur les habitudes en usage dans le castrum, pour se faire leur opinion de la situation.
64Quand Ramon Berenguer tranche le litige entre Raimond Trencavel et Ermengarde, il ne fait qu’imposer le respect d’accords écrits antérieurs168. Leur existence n’avait cependant pas suffi à empêcher le conflit : la nouvelle convention impose même un serment de respecter le texte des engagements précédents ! Contre le vicomte, que vaut d’ailleurs une charte pour un de ses vassaux ? Pons d’Olargue en fait la douloureuse expérience : il avait pourtant un acte en bonne et due forme de Raimond Trencavel – un chirographe : carta per alphabetum divisa169 – attestant d’un engagement de la paroisse de Murasson pour 3500 sous, qu’il fut cependant obligé de ramener à 2 000 sous170. Le vicomte prend d’ailleurs la précaution de faire préciser par Pons que « si, dans la charte qu’a faite Raimond Trencavel votre père à Pons d’Olargue mon père, il est contenu plus, que cela soit tenu pour non écrit ou non ajouté, sauf seulement ce qui est contenu dans la présente charte »171. On ne peut mieux exprimer comment un rapport de force, une nécessité de restaurer la paix, une contrainte exercée par le corps social ou par la hiérarchie féodale peuvent se jouer de l’écrit. La charte n’a pas dans le Languedoc des xie et xiie siècle une valeur absolue, bien qu’une certaine tradition « romaine » ait pu lui conserver plus de crédit qu’ailleurs, dans les régions septentrionales. On peut du reste observer la même utilisation de l’objet-charte : elle est physiquement montrée, on jure sur elle, la validité des termes qu’elle porte est réactualisée par une lecture à haute voix ; voire elle est brûlée pour annuler l’accord dont elle est le symbole matériel172.
3 - La disparition du duel
65Peut-être peut-on attribuer à cette relative importance de l’écrit, et à l’omniprésence des témoignages, la précoce désaffection qui semble entourer en Languedoc le recours au jugement de Dieu : tous les actes qui contiennent une allusion à un duel sont antérieurs à 1100173.
66La mention dans l’inféodation de la villa de Magrie, vers le milieu du xie siècle, est fort succincte : Raimond Guilhem donne en fief tout ce qu’il a dans la villa à son oncle Pierre, sauf la moitié des batallias juratas qu’il retient174. Une autre allusion est contenue dans l’inféodation par Ramon Berenguer Ier à Raimond Bernard et Ermengarde de tout ce que possédaient Pierre Raimond et Roger III dans les comtés de Carcassonne et de Toulouse, en 1067 : les revenus des plaids qui institueraient un duel (batallia) seraient partagés par moitié entre le comte et le vicomte175. Beaucoup plus détaillée est l’organisation d’un duel à propos du castrum de Montady ordonnée par le vicomte Raimond Bernard Trencavel. On ne sait s’il eut vraiment lieu, puisque dans le jugement postérieur rendu par sa veuve il est dit qu’il faudrait enfin organiser la batallia auparavant décidée par Raimond Bernard176. Cependant, on apprend que les parties doivent payer une somme au vicomte qui a prescrit le duel, c’est le precium vicecomitis. Imbert doit ainsi 3 000 solidatas, et Bernard 1 500. On ignore la raison de la différence. Chacun des deux devra en outre dédommager son champion avec 150 sous177. Les règles de choix des duellistes sont aussi énoncées : ils ne doivent jamais avoir combattu178. Une fois cette bataille accomplie, il semble que le second arrangement, celui d’Ermengarde, en prescrive d’autres : Bernard et Imbert devraient alors chacun 2 000 sous à la vicomtesse et 200 à leur champion, qui ne devrait avoir jamais combattu dans toute la terre comprise entre Rodez et la Garonne et entre Barcelone et Rodez, et dans tout le Rouergue179. Ces duels successifs sont tout à fait significatifs d’un état du système judiciaire, où, à chaque pas de la procédure, un jugement de Dieu est invoqué pour trancher la décision180.
67Mais le duel ne peut être considéré purement comme un moyen de preuve. Il s’agit plutôt d’une menace et d’un instrument de pouvoir destiné à influencer le cours du procès. Le duel, comme l’ordalie, est une stratégie de confrontation qui dramatise le processus de pacification, qui permet de sortir de situations bloquées en menaçant l’adversaire et en le mettant sur la défensive. Même s’il est organisé, on tente le plus souvent d’éviter son véritable déroulement, dont l’issue semble trop aléatoire : chacun préfère accepter quelques concessions181. C’est ainsi que l’on peut comprendre les tergiversations rapportées dans une notice de guirpitio de 1023 : un long conflit avait opposé les chanoines de Saint-Paul de Narbonne et un certain Raimond Udalguier à propos d’un alleu. Un premier accord nommé placitum et convenientia, garanti par des fidéjusseurs, a décidé, sous l’égide du vicomte de Narbonne qui reçut 500 sous, de l’organisation d’un bellum. Le jour fixé pour la bataille, le champion de Saint-Paul étant prêt à combattre, se présentèrent les négociateurs du plaid pour tenter d’éviter le duel : « ils conseillèrent aux deux parties de ne pas combattre mais de partager l’alleu, et ils décidèrent qu’il en serait ainsi »182. Ils conviennent alors d’une autre date pour se rendre dans l’alleu-même et effectuer le partage, qui se fit de la manière suivante : l’abbé devait diviser l’alleu en deux parts et Raimond Udalguier choisirait le premier la sienne. Mais le laïc se déclare insatisfait de l’opération. L’abbé de Saint-Paul lui propose alors de revenir au premier plaid et de faire le duel « pour que le jugement de Dieu montre qui était dans son droit ». Est alors fixée une troisième date pour effectuer « le pacte de 500 sous », c’est-à-dire le duel. Raimond se rétracte alors définitivement et on en revient à la solution du partage qui fut fait et dont la guirpitio transcrit la délimitation. Que de palinodies ! Ce texte exemplaire montre surtout comment le duel est utilisé : c’est un moyen de pression aux mains des chanoines, qui semblent avoir plus confiance dans le jugement de Dieu que le laïc. À chaque hésitation de Raimond, la menace est brandie ; et significativement on en arrive à un partage des droits, la bataille ne fut jamais accomplie.
68La manifestation la plus claire de la fréquence des duels au xie siècle est néanmoins à trouver non dans ces notices de procès, où ils sont somme toute assez rares, mais dans les serments de fidélités. Une formule des serments primitifs mentionne en effet la batallia comme un moyen courant de preuve. Il s’agit d’une clause qui stipule que le vassal devra respecter ses engagements envers son seigneur tant qu’il n’aura pu prouver que ce dernier a tenté de lui enlever le château dont il est question dans le serment. Or la preuve de cette trahison du seigneur serait qu’il aurait été vaincu en duel, ou qu’il n’aurait pas osé combattre183. Vingt-sept serments, tous antérieurs aux années 1070, comprennent cette clause. Elle atteste clairement du caractère commun et normal du duel au xie siècle. La formule disparaît cependant complètement dans le dernier tiers du siècle. Cette période est tout d’abord un moment de considérable ascension du pouvoir vicomtal. Les Trencavel héritent des comtes de Carcassonne et commencent à formuler les clauses des serments de façon plus péremptoire ; par exemple, l’aide promise devient inconditionnelle et se détache de la récupération du château. Ils ne pouvaient alors plus tolérer que les promesses de leurs vassaux soient ainsi conditionnées par leur propre loyauté. Mais il y a plus : cette fin du xie siècle est aussi le moment où disparaît toute allusion directe au duel, dans les serments, comme dans les actes d’un autre type.
69Il semble donc que l’analyse des chartes corrobore les conclusions tirées par P. Ourliac et J.-M. Carbasse de l’étude des coutumes méridionales : à l’inverse des textes coutumiers aquitains et gascons, le Languedoc a abandonné le duel qui n’est jamais imposé dans les coutumes rédigées à la fin du xiie et au début du xiiie siècle. Les coutumes de Languedoc, Provence et Roussillon sont fortement romanisées et préfèrent la preuve par témoins à la procédure par jugement de Dieu184.
70Les procédures judiciaires, de médiations et d’arbitrages, telles qu’elles apparaissent dans les sources laïques languedociennes, sont donc en majeure partie allusives et lacunaires. Il faut souvent jongler entre les textes pour reconstituer une démarche judiciaire jamais totalement explicitée. Ce qui en ressort est néanmoins tout à fait conforme à ce qui a pu être décrit ailleurs185.
71L’image que donne cette justice pour les grands est sans cesse à la limite du domaine proprement judiciaire. On cherche à rétablir la paix, non à faire triompher la justice. Le règlement des conflits est véritablement immanent à la communauté des seigneurs ; le rapport des forces, l’autorité de certains, morale ou hiérarchique, l’arrangement contractuel et négocié jouent un rôle prépondérant par rapport à un quelconque code juridique jamais clairement invoqué. Le serment est omniprésent, à tous les moments de la procédure. On le prête pour introduire l’action, pour attester la véracité des témoignages, pour se purger d’une accusation, pour garantir l’exécution des termes du compromis. « Il noue et dénoue l’action judiciaire […], il lie les acteurs du débat judiciaire en un corps solidaire sous le regard du public et de ses juges de l’au-delà ou d’ici-bas »186. Le serment et la fidélité qu’il instaure sont surtout le signe et la caution des relations sociales positives. Quand Ermengarde de Narbonne veut faire la paix avec Guilhem de Durban, après que son père Aimeric a tenté châtier l’infidélité de cette lignée par la violence, c’est bien à un tel acte qu’elle a recours :
72« Ermengarde se plaignait de ce que Guilhem de Durban et ses fils avaient réédifié par violence et contre sa volonté le château de Montséret, que son père [Aimeric, vicomte de Narbonne 1106-1134] avait détruit selon la justice [pro justicia], à ce qu’elle disait. Et alors que cette controverse avait été évoquée pendant très longtemps à la cour d’Ermengarde, à la fin [ils en arrivèrent] à une composition amiable : que Raimond, fils de Guilhem de Durban, à la demande de son père et de son frère, jure le château de Montséret à sa domina Ermengarde vicomtesse et aux enfants de celle-ci si elle en avait. Mais si elle n’avait pas d’enfant, que Guilhem de Durban ne soit pas tenu par le contenu du susdit serment envers d’autres successeurs. Qu’elle n’exige ni ne reçoive un autre serment dudit château, si ce n’est selon le formulaire [forma] qu’a juré Raimond fils de Guilhem de Durban, et qu’elle ne fasse aucune acquisition des pariers dans le corps dudit château, si ce n’est un serment identique. Ainsi Ermengarde vicomtesse les reçut dans sa foi »187. La pacification des relations, le retour en « foi » sont matérialisés par le serment pour le château, dont toutes les clauses ont dû être âprement discutées. Il est vrai qu’il fut prêté par un fils, peut-être même par le cadet188. Est-ce là la voie du compromis, l’échappatoire trouvée, ménageant à la fois les intérêts d’Ermengarde et l’honneur du père ?
73La prégnance de la forme sacramentelle s’organise dans la société languedocienne des xie et xiie siècles autour de deux pôles : des serments qui fondent des rapports de domination et des serments qui refondent ces liens d’homme à homme un temps mis en danger ; autour de deux axes, le politique et le judiciaire, inextricablement mêlés.
Notes de bas de page
1 L’importance de cette violence fondatrice a été révélée par de nombreuses monographies régionales. Une mise au point fort suggestive est à trouver dans S. D. White, « Repenser la violence », 1999.
2 La référence en la matière est La Catalogne de P. Bonnassie (chapitres consacrés à « la montée des violences » et à « la mise en condition des paysans libres » (t. 2, p. 539 et 575 et suivantes). Voir également J.-P. Poly et E. Bournazel, La mutation féodale, 1991 et la contribution de T. N. Bisson au débat sur la mutation (« The “Feudal Revolution” », 1994).
3 Le même état des lieux est fait par M. Zimmermann en Catalogne : « À propos de la “mutation” du xie siècle », 1995, p. 9-20.
4 Par exemple : serments : CT, 156, 311, 323, 366, inédits ; et CT, 62 = HGL, VIII, 363 ; règlements : CT, 507 = HGL, V, 1058 ; CT, 380 = HGL, V, 1069, I ; inféodation : CT, 591, inédit.
5 CT, 407 = HGL, V, 961, II ; CT, 332 = HGL, V, 1141 ; CT, 435 = HGL, VIII, 379.
6 D’aquestas guerraz que ara a, que ia ne guerrigera ab nul home ni ab nule femna…, et per aco que nels guerrion, dona lor la viscomtessa et Roger filio suo M solidos melgorium nous et C solidos de Ugonencos et I mula (CT, 336 = HGL, V, 965, III). Même promesse : CT, 385 = HGL, V, 964.
7 Autorisation : CT, 358 = HGL, V, 1275, I. Interdiction : CT, 337 = HGL, V, 1063.
8 Pro multis aliis malefactis quae ego stolidus vobis et vestris multociens facere non cessaveram…, pro caminis et stratis quas ego sepissime rapiendo cucurreram (CT, 113 = HGL, VIII, 308, II).
9 Nissan : CT, 469 = HGL, V, 789 [texte édité et traduit par C. Duhamel-Amado, Genèse des lignages méridionaux, 2001, p. 427-428]. Roger Ier contre Alfonse de Toulouse : CT, 507 = HGL, V, 1058 ; Roger II contre l’abbaye de Saint-Pons : CT, 112 ; inédit (depredatione violenter…, multa mala intulerat monasterio Sancti Poncii).
10 Mala que ego feci in mea cavalgada in Rossilono domibus Templi et domibus Hospitalis quod homo redrecet eis ad suam mercedem et infractiones quas ego feci in eadem terra ecclesiis cum eadem cavalgada quod homo redrecet eis cum laudamento episcopo de Helna (CT, 550 = HGL, V, 1171 ; en 1154).
11 Raimond Trencavel promet à propos de la villa de Sorèze ut eam protegeret et defenderet ab infestatione omnium hominum, en 1153 (CT, 341 = HGL, V, 1136). Les fortifications de La Salvetat doivent être suffisantes pour protéger les habitants : ut quo homines etiam villa habitantes se tueri possint ab incursione hostium transeuntium, tantum ibi remaneat ad tutamentum pauperum ibi habitantium (CT, 337 = HGL, V, 1063 ; en 1130-1150).
12 Similiter judicatum fuit quod Isarnus Jordani et frater eius et nepotes eorum de castro Montis Regalis possint facere guerram cuicumque voluerint excepto domino Carcassone et Ugone Escafre et fratribus suis (CT, 358 = HGL, V, 1275). L’insertion de cette clause est ici due à deux éléments : on voulait mentionner les réserves de fidélité, mais elle est aussi et surtout liée au fait qu’Isarn Jourdain et ses frères tenaient le château en fief d’Ugo Escafredi. Le but du texte est précisément de mettre au clair les droits respectifs des seigneurs supérieurs et de leurs affidés.
13 Raimond Roger achète le castrum de Vias, en contrepartie de quoi il donne 13 000 sous et tous ses droits sur Capendu sauf la moitié du chemin, une albergue de 28 milites et demi et son potestativum : de predicto castro de Cane Suspenso possitis facere guerram et placitum contra omnes inimicos vestros (CT, 571, inédit).
14 Si opus ei fuerit, habeat potestatem de ipso castello de Montalt ad faciendam guerram contra homines omnes quoscumque voluerit, praeter nos solos et seniorem castelli de Auriag et seniorem de Carcassona (HGL, V, 956, III ; vers 1137).
15 Totas malefactas quas Ymbertus habet factas de ipso castello enforas post Ymbertus ipsum castellum sibi abstulit (CT, 469 = HGL, V, 789).
16 Deux groupes de seigneurs avaient conclu une trève ; l’un d’entre eux l’a enfreinte et multa mala eis fecit, et ipsi eis similiter multa mala ingesserunt et forciam de la bastida funditus everterunt (CT, 337 = HGL, V, 1063).
17 Polverellus et G. Petri conquesti sunt de Poncio de Auriaco et R. de Cuc et Isarno Ademar de suo castro de Auriaco quod abstulerant et destruxerant (CT, 551 = HGL, V, 1131).
18 Tempore destructionis Montis Regalis (CT, 358 = HGL, V, 1275, I).
19 Villam ipsius monasterii occasione murorum destruendo (CT, 112 ; inédit).
20 Conquesti sunt iterum duo fratribus de tantis dampnis et ferme infinitis que ipsi adiutores intulerant eis, frangendo ecclesias et igni accendendo, homines et feminas raubando et occidendo, arbores abscindendo, multa alia malefacta eis inferendo (CT, 551 = HGL, V, 1131). Une donation à Lagrasse est un peu plus précise sur les violences exercées envers la paysannerie : un couple fait une donation à l’abbaye à cause de uno homine de Moled quem fecimus trahere oculos suos sine ulla racione (Lagrasse, t. II, no 13, en 1125).
21 Ni non fara ni non consentira sua presione a suo dampno suo sciente, dans un serment du tout début du xie siècle pour Lunas (CT, 464, inédit) ; de hac hora in antea vos nullo modo capiemus nec capere faciemus, serment pour Niort, Belfort et Castelpor en 1177 (CT, 158, inédit). Vingt-quatre serments du cartulaire des Trencavel comprennent cette clause.
22 Sic apprehendit eos Remon Ecco et vult eos pendere et redemit eos Gastonus abba cum ceteris monachis CC sol. adpreciatos (Lézat, 447 ; cité par P. Bonnassie et J.-P. Illy, « Le clergé paroissial », 1994, p. 164).
23 Pro redemptione tue captionis (CT, 95 et 96 = HGL, V, 1268-1269). Si l’on reprend les indications de M. Bompaire, cela fait environ 150 000 sous melgoriens (à 50 sous le marc : « Les ateliers de Melgueil, Cahors et Rodez », 1987, p. 21-23). Alfonse Jourdain avait pour la même raison dû payer 60 000 sous melgoriens en 1143 (il n’est pas dit que c’est une rançon, mais le comte doit rester dans la potestas de Bernard de Canet tant qu’il n’aura pas rempli les conditions imposées par la paix : il a donc été fait prisonnier : CT, 380 = HGL, V, 1069, I).
24 Ipsum monasterium ad redemptionem XXXM solidos cum exercitu suo cogendo (CT, 112, inédit).
25 Debet emendare Ymbertus…, cum uno de suis militibus qui ad malefactum fuerit, ipsam contumeliam et requirementum que fecit uxori Bernardi de Aniciano ad suum corpus in ipso die quo accepit ipsum castellum (CT, 469 = HGL, V, 789, avec quelques erreurs de transcription), voir C. Duhamel-Amado, Genèse des lignages méridionaux, 2001, p. 427-428).
26 Cela peut être déduit du dossier concernant les deux frères Geraldus et Segarius (CT, 3 = HGL, V, 411 ; CT, 2 et 7 = HGL, V, 412-413 ; et CT, 121, inédit).
27 P.-A. Sigal, « Bernard le Pénitent », 1989. Voir ci-dessus, p. 90-91.
28 R. Jacob, « Le meurtre du seigneur », 1990, p. 254.
29 Par exemple, dans les fines CT, 455 = HGL, V, 1122 (en 1150) ; CT, 341 = HGL, V, 1136 (en 1153) ; CT, 284 = HGL, V, 1138 (en 1153).
30 P. J. Geary, « Vivre en conflit », 1986, p. 1107-1133.
31 Fuit locuta et concordata inter eos finis qua pacifici remanerent (CT, 73, inédit).
32 Retineo in predicto castro ut de illo possim infestare inimicos meos et placitare cum eis (CT, 571, inédit).
33 Ou bien, comme dans le testament d’Aldebert évêque de Mende : interdiction à quiconque d’attaquer les donations faites, en guerre ou en justice (Qui aquesta division et aquesta almosna volra desfaire, ni om ni femena… non agon drech… ne combatre ne razonar per drech nolla poscun, Brunel, no 13 ; vers 1109).
34 Similiter judicatum fuit quod Isarnus Jordani et frater eius et nepotes eorum de castro Montis Regalis possint facere guerram cuicumque voluerint excepto domino Carcassone et Ugone Escafre et fratribus suis et ut milites de eodem castro debeant eis adiuvare contra omnes homines quibus vellent facere justiciam excepto domno Carcassone et Ugone Escafre et fratribus suis (CT, 358 = HGL, V, 1275, I ; en 1163). Et dans les années 1160, mention d’une seigneurie tenue en franc fief par un vassal qui doit hommage et serment et faire segis et valenssa lialments de plag et de guerra (HGL, VIII, 266).
35 La concordia élaborée en 1153 entre Raimond Trencavel et les seigneurs de Cabaret l’exprime clairement : elle statue de omnibus clamis et querimoniis quas alter alteri juste sive injuste inponebat (CT, 283 = HGL, V, 1138).
36 Tum ut fiat ubi arbitria hominum habentur pro legibus, Livre des miracles de sainte Foy, dans la première partie rédigée par Bernard d’Angers (I, 12).
37 Pour d’excellentes analyses de conflits entre clercs et laïcs, voir : S. D. White, « Pactum… Legem Vincit et Amor Judicium », 1978 ; S. Weinberger, « Les conflits entre clercs et laïcs », 1980, p. 269-277 ; B. H. Rosenwein, Th. Head, Sh. Farmer, « Monks and their Ennemies », 1991. Ces auteurs sont tout à fait conscients du caractère biaisé de leur documentation, mais elle les conduit à n’étudier qu’un aspect des problèmes judiciaires : les stratégies ecclésiastiques pour protéger les domaines, et celles des laïcs pour récupérer des biens aliénés à des églises.
38 Une guirpitio de 1128 l’exprime d’ailleurs en toutes lettres. Roland de Bize abandonne au vicomte les fiefs qu’il tenait de lui propter querelas quas de me faciebatis de quibus non potui vobis satisfacere (CT, 458 = HGL, V, 945).
39 Reprises en fief de Brens et Cahuzac propter emendamentum (CT, 3 = HGL, V, 411 ; vers 1032), de Prouille et Mirepoix propter malum quod fecimus vobis (CT, 326 = HGL, V, 516 ; en 1063). Vente en 1174, en contrepartie de laquelle le vicomte abandonne toutes les querelas et querimonias universas qu’il élevait contre le vendeur (CT, 113 = HGL, VIII, 308, II).
40 Cette forme de règlement de conflits semble héritée de ce que l’on pourrait appeler la justice parallèle au haut Moyen Âge, de ces convenientiae ou concordiae qui coexistent alors concurremment avec la justice administrée : voir P. Geary, « Extra-judicial Means of Conflict Resolution », 1995 ; et sur la préhistoire de la convenientia : A. J. Kosto, « The convenientia in the Early Middle Ages », 1998.
41 CT, 405 ; HGL, V, 853.
42 CT, 444 ; HGL, V, 1289.
43 CT, 514, inédit ; vers 1167-1194.
44 Hec sunt capitulis de ipsis placitis et assecuramens que debent fieri inter comitem Ildefonsum et Rogerium de Biterris (CT, 380 = HGL, V, 1069, I ; vers 1143).
45 Le désaccord porte vraisemblablement sur la détention de la bestida de Blango. Le gage donné est Brusque : ego Ademarus [vicomte de Bruniquel] mitto in potentiam Austori castrum Brusque usquequo faciat Armanus [vicomte, frère du précédent] finem bonum et sine inganno (CT, 477, inédit).
46 CT, 121, inédit.
47 Cependant, le fait que les fiefs des meurtriers soient, dans la donation, récapitulés sous la formule totum istum fevum semble indiquer qu’ils constituent un nouveau fief octroyé aux vicomtes par l’évêque Amelius (Illam ecclesiam de Tredueing cum ipso ecclesiastico et illo fevo que Matfredus in ipso Tredueing de Geraldo et Segario tenet, illo fevo de Canegazg que Geraldus et Segarius de Amelio episcopo tenent, et illa ecclesia de Voriasio et illa ecclesia de Villaris, donat totum istum fevum Amelius episcopus Froterio episcopo et Bernardo vel Segario emendamentum per Geraldum vel Segarium vel filios eorum propter mortem Atoni. Istum vero totum fevum Froterius atque Bernardus vel Segarius donant Geraldo vel Sigario et filiis eorum, ibidem).
48 CT, 557 = HGL, V, 1287.
49 CT, 374, inédit.
50 Brevis pro pace : CT, 383, suivi du 384 (HGL, V, 919, II et 917, I ; on ne sait pourquoi HGL a interverti l’ordre des actes du cartulaire, et l’ordre logique).
51 Gilabertus de Laurac firmavit pacem et manlevavit Aimerico de Rocafort et Isarnus Jordanis et Bernardus Amelius. Petrus Ugo firmavit pacem et manlevavit Bernardus de Poncia… (CT, 383).
52 Les cautions sont parfois étonnamment circulaires : Similiter Petrus Amelii de Montua, et manlevavit eum Petrus Amelii de Villa Laur. Similiter Petrus Amelii de Villa Laur, manlevavit eum Petrus Amelii de Montua (CT, 384).
53 Pro pace et treva emendanda et a modo firmiter tenenda (CT, 384).
54 Pro amore senioris mei recuparare… ut ipse [saint Guilhem] deprecetur Christum filium Dei, pro cujus amore hujus seculi contemsit pompam, ut inter me et seniorem meum Rainonem mittat pacem et concordiam, mansuetudinem et benivolenciam, temperanciam atque leticiam (Gellone, 124, vers 1031-1060 ; cité par P. Chastang, Lire, écrire, transcrire, 2001, p. 100). Le champ sémantique couvert par chacun de ces mots serait à explorer en profondeur, de même que l’analogie qui confine au jeu de mot entre « l’amour du seigneur » et « l’amour du Christ ». Voir aussi les autres attestations de l’amor, p. 126, note 152.
55 Sur celle-ci : G. Sicard, « Sur l’organisation judiciaire carolingienne en Languedoc », 1960 ; et surtout R. Le Jan, « Justice royale et pratiques sociales », 1997.
56 W. Davies et P. Fouracre (dir), The Settlement of Disputes, 1986 ; et en dernier lieu, avec toute la bibliographie antérieure, P. J. Geary, « Extra-judicial Means of Conflict Resolution », 1995, et « Moral obligations and Peer Pressure », 1996. Que diraient des historiens du futur de l’actuelle vogue des médiateurs et des solutions alternatives aux tribunaux ? Qu’il n’y avait pas de justice publique au début du xxie siècle ? La coexistence des deux modes de régulation n’invalide en rien la prééminence de l’institution judiciaire (sur ces questions : L. Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, 1996, spécialement p. 182 et suivantes).
57 C. Wickham, « Justice in the Kingdom of Italy », 1997 ; F. Bougard, La justice, 1995.
58 Comme l’avaient déjà souligné G. Duby (« Recherches sur l’évolution des institutions judiciaires », 1946-1947) et F. Cheyette (« Suum Cuique Tribuere », 1970).
59 P. Ourliac, « La pratique et la loi », 1988, rééd. 1993, p. 239-256.
60 Sur ces textes du LIM, voir aussi : M. Lesne-Ferret, « Un siècle de pratique judiciaire à Montpellier », 1994.
61 Voir la partie suivante pour l’analyse de la procédure plus en détail.
62 Comme le dit R. Jacob, « le choix de telle ou telle procédure fait l’objet de ce que nous appellerions un jugement interlocutoire, en tout cas d’une décision concertée entre juges et plaideurs » (« Anthropologie et histoire du serment judiciaire », 1991, p. 251).
63 Auditis itaque utriusque partis altercationibus, dum prefati judices in hoc essent ut judicium inde darent, fuit locuta et concordata inter eos finis qua pacifici remanerent. Qua fine utriusque parti ostensa, predictus Guillelmus Bernardi presentavit avunculis suis se eis facturam aut finem aut judicium quale magis ipsi suscipere vellent. Qui responderunt se plus velle suscipere finem quam judicium (CT, 73 = inédit).
64 De quibus scilicet clamis et querimoniis domnus R. Trencavelli obtulit eis rectum. Qui magis voluerunt et elegerunt sibi finem quam rectum (CT, 283-284 = HGL, V, 1138).
65 En 1160, deux groupes de coseigneurs d’Auriac se sont fait la guerre ; l’un d’entre eux a même enlevé et détruit le castrum. Ils s’en remettent à Raimond Trencavel pour entendre un rectum ; in extremis une finis est trouvée : sicut in antea… dedissent se in manu domni R. Trencavelli vicecomitis ad audiendum rectum et recipiendum, sic postea omnes illi gratia et libera voluntate tradiderunt se in manu eiusdem domni vicecomitis Trencavelli ad finem recipiendum (CT, 551 = HGL, V, 1131). En 1163, la controverse déchire un frère et une sœur pour le partage du patrimoine familial. Alors que tout était prêt pour le rectum, ils s’entendent sur une finis ; quamvis ad rectum esset paratus, de controversia antedicta finem locuti sunt immo et fecerunt (CT, 566 = HGL, V, 1271).
66 Saint-Sernin, 132 ; E. Smyrl, « La famille des Baux », 1968, acte no 14.
67 L. Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, 1996, p. 171 et suivantes.
68 Y. Bongert les distinguait déjà dans son ouvrage trop méconnu Recherches sur les cours laïques du xe au xiiie, 1949 (Livre 1-4 : « Les procédures de paix ») ; voir notre article « Médiations et arbitrages », 2001.
69 L. Assier-Andrieu, op. cit., p. 176.
70 Hec est carta commemorationis concordie et finis quam fecerunt inter se Ildofonsus comes Tolose filius Salvire (sic) et Rogerius Biterris filius Cecilie in manu Bernardi Convenarum et Trencavelli et Sichardi de Laurac. Ego Ildefonsus comes filius Alvire dono tibi Rogerio… (CT, 510 ; HGL, V, 1071). L’autre texte que nous avons conservé à propos de la même affaire ne se présente que comme un accord bilatéral, sans intervention de médiateurs. Ne peut-on pour autant les y deviner ? (CT, 380 = HGL, V, 1069, I).
71 Cette carta concordie sive placiti de 1150 donne une compensation à Bernard Aton, car Raimond venait d’hériter de son frère Roger Ier. Ceux qui proposent le règlement sont l’évêque d’Albi, Bernard de Canet, Bernard de Pictavo, Pons Rainard de Bernis, avec le conseil de Guilhem Raimond sénéchal [de Barcelone, dont on ne sait pourquoi il était là, si ce n’est peut-être pour négocier le ralliement du nouveau vicomte Trencavel à la cause catalane] (CT, 455 = HGL, V, 1122).
72 L’archevêque de Narbonne et cinq autres hommes, et ex alia parte six hommes, et alii multi, inter utriusque pacem similiter et finem inquirentes (CT, 497 ; HGL, V, 827).
73 Consilio plurimorum sapientium virorum…, accepto communi consilio (LIM, 80 ; vers 1132).
74 Carta transactionis et amicabilis composicionis entre Guilhem VII de Montpellier et trois frères seigneurs de Pignan conclue communi consilio amicorum suorum (LIM, 416 ; en 1162). Ces amis, non nommés, doivent être des hommes avec qui les protagonistes sont liés par des accords antérieurs. Peut-être même s’agit-il des sept premiers souscripteurs (le comte et la comtesse de Melgueil et cinq autres seigneurs languedociens) qui sont cités dans le corps du texte dans une clause de réserve de fidélité : les seigneurs de Pignan sont donc leurs vassaux, et tiennent sans doute d’eux des fiefs.
75 Impignoration de la paroisse de Murasson, compromis trouvé avec la médiation de Pierre Raimond d’Hautpoul, Pierre, archidiacre de Carcassès et Razès, et Ugo de Roumengoux, viguier du Carcassès [trois membres réguliers de l’entourage vicomtal] (CT, 462 = HGL, VIII, 313).
76 De qua quidem controversia et placito tandem miserunt se in manu Bertrandi de Saixaco assensu et voluntate ipsorum omnium predictum (CT, 590 = HGL, VIII, 412). Il s’agit d’une controverse entre le vicomte et les seigneurs de Termes à propos de la possession des mines du Terménès.
77 En 1175, Guilhem de Lunas reçoit Lunas en fief du vicomte et reprend de lui Castelnau en fief, mais Roger autorise Guilhem à fortifier Tourbes (CT, 434 = HGL, VIII, 309). Les deux hommes s’en remettent in manu du comte de Toulouse, de l’archevêque de Narbonne, de l’évêque de Lodève, du comte de Rouergue, de la vicomtesse de Narbonne et de quatre autres hommes.
78 C’est peut-être le cas dans l’amicabilis compositio faite en 1163 entre les deux frères héritiers de Termes. Nous avons déjà exposé que le partage (deux tiers-un tiers) pouvait suggérer l’institution d’une melioratio au profit de l’un d’entre eux. Le vicomte et ses assesseurs ne font sans doute que confirmer une répartition — que le testament paternel n’ait jamais existé, ou que celui-ci ait été oral, ou bien encore que le moins possessionné des frères ait tenté d’usurper plus que sa part et qu’il ait été nécessaire de mettre par écrit la répartition des droits (CT, 549 = HGL, V, 1277, II).
79 De querimoniis quas adversum se proponebant sine contradictione facerent quod domnus Poncius Narbone archiepiscopus et Bernardus Biterris et Willlelmus Albiensis episcopi dictarent cum… [dix autres hommes] (CT, 112, inédit).
80 Le texte s’appelle finis et pax, mais les protagonistes se sont « donnés » dans la main de quatre assesseurs et les clauses sont rédigées de façon impérative, à la troisième personne. Le texte se clôt sur un serment mutuel de respecter la transaction (CT, 357, inédit).
81 Divisiones quas Bernardus Bonifilius [le père des trois neveux] fecit fratribus suis stabiles et firme remanerent, mais : alterum vero honorem qui divisus non est cum predictis avunculis II per medium bona fide dividant. Les trois frères, en contrepartie de leur possession de Lavaur, semblent abandonner les droits vers Roquecézière (CT, 73, inédit).
82 Dont nous ne savons pas pourquoi elle contribue à l’apaisement du conflit (CT, 566 = HGL, V, 1271).
83 Le serment semble avoir été réciproque (alter alteri juraverunt inter se), bien que les clauses développées ne concernent que les engagements de Pons envers Polverellus (Poncius adjutor illis esse debuisset). Peut-être est-ce parce que c’est cette partie qui a enfreint le serment (CT, 551 = HGL, V, 1131, VII).
84 Polverellus et G. Petri conquesti sunt de Poncio de Auriaco et R. de Cuc et Isarno Ademar de suo castro de Auriaco quod abstulerant et destruxerant. Sibi recto oblato, in manu domni R. Trencavelli proconsulis cujus castrum de Auriaco est, renuerunt accipere (CT, 551, ibidem). Si l’on conserve la structure grammaticale de la première phrase, il faut comprendre que Polverellus et les siens se sont vu proposer un règlement par rectum (par l’autre partie ou par le vicomte) qu’ils refusèrent. Les sujets de sibi et renuerunt ne sont en effet pas clairement exprimés : ils seraient alors les mêmes que ceux de la phrase précédente. Mais en toute logique, c’est l’inverse qui paraît s’imposer : Polverellus a proposé un rectum pour faire valoir ses droits, les « attaquants » l’ont refusé.
85 Rursus Polverellus et G. Petri conquesti sunt… (ibidem).
86 Les deux groupes s’accusent mutuellement d’avoir « brisé des églises, allumé des feux, volé et tué des hommes et des femmes, incendié des arbres », exactement dans les mêmes termes. De plus, Isarn Ademar est accusé par les deux frères d’avoir construit une fortification à Auriac sans en avoir le droit. Les deux frères sont mis en cause pour avoir usurpé l’honor de Bernard Pons.
87 Voir le texte ci-dessus, note 64.
88 L’expression est incluse dans un second texte qui suit immédiatement le premier, et qui n’a pas été recopié par HGL (CT, 448, inédit) : per finem bona fide in curia R. vicecomitis concessam.
89 Sur le duel, voir ci-dessous, p. 263 et suivantes.
90 Comme cela est attesté dans d’autres régions, pour désigner le duel ou l’ordalie : Y. Bongert, Recherches sur les cours laïques du xe au xiiie siècle, 1949 (Livre 2-2 : « Le jugement de Dieu »). Voir aussi R. Bartlett, Trial by Fire and Water, 1986, et D. Barthélemy, « Diversité des ordalies médiévales », 1988. Un scribe de Lézat, vers 1060, ne connaît que deux mots, l’un latin, l’autre occitan : duellum que vulgo batala dicitur (Lézat, 400, p. 311).
91 Ad audiendum rectum et recipiendum (CT, 5521 = HGL, V, 1138).
92 Dans son analyse des règlements judiciaires angevins, S. D. White en arrive aux mêmes conclusions : « les querelles peuvent toujours être résolues par des méthodes non adjudicatoires (négociations bilatérales, médiation d’un tiers). Si on en arrive à une véritable sentence, c’est que les autres moyens ont échoué, ou n’ont pas été retenus pour des raisons stratégiques » (« Proposing the Ordeal and Avoiding It », 1995, p. 93).
93 Suis consiliantibus baronibus, in manu Helisiar de Castris et Bernardi de Canet ut facerent que eis judicarent satis dederunt et sub jurejurando compromiserunt. Ceterum quomodo ab ipsis arbitris et a Tolose episcopo qui judicio illi interfuit est judicatum vobis ostendere studium est… (CT, 535 = HGL, V, 980). L’affaire concerne l’évêché d’Albi, qui est finalement donné en fief par le comte de Toulouse au vicomte.
94 CT, 495 = HGL, V, 1264.
95 La structure de ce texte est particulière : chaque paragraphe commence par l’énoncé de la plainte (conquerebantur), immédiatement suivie de la décision : super hoc capitulo, talis fuit data sentencia… (CT, 341 = HGL, V, 1134, X).
96 Ou plutôt, sans doute, voulaient-ils rassembler de force sa population dans le nouveau castrum de Berniquaut qu’ils viennent de fonder juste au-dessus de Sorèze (voir l’inféodation de Berniquaut : CT, 132 = HGL, V, 1045). Le texte dit : domnus R. Trencavelli obtinuit ut maneret villa Soriccensis in eodem loco ubi est sita (CT, 341).
97 Ugo Escafredi et fratres eius Aimericus scilicet et Isarnus habuerunt causam cum domno R. Trencavelli. Que videlicet causa fuit descisa arbitrio atque consilio domni R. episcopi Tolosani et Sicardi de Lauraco et Bernardi de Caneto et Bertrandi de Belpodio et Isarni de Durnano et Guillelmi de Sancto Felice vicarii Carcassone et Guillelmi de Aura cellarii Sancti Poncii et Gillaberti de Castras (ibidem).
98 La carta judicii a été donnée par Raimond Etienne de Servian, aidé de l’évêque de Béziers et de sept autres personnes, qui sont appelés judices et qui judicaverunt (CT, 476 = HGL, V, 1198).
99 Lata est sentencia per manu B. Biterris et G. Lodouensis episcoporum et Gillelmi de Piteus et Bernardi Raimundi de Canesuspenso et Petri Raimundi de Monte Petroso arbitrum… Nos jamdicti arbitri per sentenciam diffinimus ut… (CT, 433, inédit).
100 LIM, 60, 61 et 62, p. 101 à 111.
101 Occasione hujus guerre, fere tota patria destruebatur (LIM, 61, p. 104).
102 Hec mandata sicut superius scripta sunt et per arbitrium predictarum personarum ejusdem pape Calixti jussu diffinita… (LIM, 61).
103 Guillelmus de Monte Pessulano presentavit se comiti Melgoriensi dicens : « Audivi quod Bernardus Gandalmari vult michi guerram facere pro paxeria, et propter hoc ne faciat… miles factus presentabo me curie vestre et quicquid vos et curia vestra super hoc judicaveritis totum complebo » […] Hec licet mala passus, Guillelmus tamen obtulit se facturum jus comiti et Bernardo Gandalmari et Bernardo Gombaldi, quod noluerunt accipere (LIM, 60, p. 102-103). On peut bien entendu s’interroger sur la sincérité des allégations de Guilhem, qui est tout de même à l’origine du conflit mais qui accuse stratégiquement ses adversaires de toutes les attaques violentes.
104 Dedit sentenciam ut finis seu transactio quam Ugo Escafredi et pater eius cum patre Isarni Jordani tempore destructionis Montis Regalis fecerant non valeat utpote per vim et potenciam facta (CT, 358 = HGL, V, 1275, I).
105 Laudavit quatinus sentencia lata a Sicardo vicecomite Lautricensi inter Guillelmum Jordan, Raimundum de Castlar et Guillelmum Bernardi rata maneat in omnibus, quae est hujusmodi… [rappel de la première sentence] ; le texte se poursuit par le règlement d’autres points item cognitum fuit judicio quod…, et fuit judicatum… (CT, 337 = HGL, V, 1063, X).
106 Ci-dessus, p. 176-178.
107 Laudavimus nos quod vicecomitissa recuperaret totam ipsam partem quam Bernard de Aniciano et uxor sua habebant in castello de Mont Adino (CT, 469 = HGL, V, 789).
108 CT, 292 ; HGL, V, 1107, V
109 Domnus R. Trencavelli vicecomes Biterri requirendo sua jura habuit causam cum Guillelmo de Limoso suo ministro et Tardivo fratre suo de rebus in villa sua de Limoso male presumptis quas illi duo fratres injuste habebant et ei menciebantur (CT, 252 ; inédit). Les droits usurpés sont nombreux et variés : un four, des justices, la mesure de l’émine et la mesure de l’huile, des falsifications, le retdecimum de l’annone du marché, des manses, des jardins, un casal, un moulin, un honor.
110 Auditis tot querimoniis superius memoratis, neque Guillelmus de Limoso neque Tardivus frater eius neque amici eorum sunt ausi facere rectum neque valuerunt, sed ut nequissimi ministri et infideles domini R. Trencavelli potestatem incurrerunt.
111 Peut-être même plus tôt chez les Guilhem que chez les Trencavel : dès 1136, deux parties en conflit s’en remettent au jugement de deux juges de la curia seigneuriale de Montpellier pour trancher leurs différends (LIM, 224). Voir M. Lesne-Ferret, « Un siècle de pratique judiciaire à Montpellier », 1994.
112 Comme le soulignent F. Cheyette (« Suum Cuique Tribuere », 1970) ou S. D. White (« Pactum… Legem Vincit et Amor Judicium », 1978). Commentant l’article de F. Cheyette, ce dernier affirme : « the appearance in Southern France around 1250 of authoritative courts making normative judgments cannot be treated simply as a process by which these bodies recovered previously usurped jurisdictional rights and cannot have been due solely to the revival of Roman law… » (p. 283).
113 L. Assier-Andrieu définit ainsi l’arbitrage : « une fonction qui déjà noue la norme à l’autorité qui la rend applicable, une fonction qui préfigure l’institution de jugement, où la délégation du pouvoir de dire la loi est totale et absolue, où l’exécution de la sentence est inscrite dans la lettre d’un verdict décisif » (Le droit dans les sociétés humaines, p. 164).
114 Cet aspect est traité de façon très allusive dans nos sources : tempore et loco constituto, dit l’acte de 1125 réglant les différends entre Guilhem de Montpellier et le comte de Melgueil (LIM, 61) ; la finis entre Guilhem Petri de Villarzel et sa sœur mentionne constituto illis die placitandi, venerunt Carcassone… (CT, 566 = HGL, V, 1271 ; en 1163). De façon plus détaillée, un accord stipule que, si Guilhem Bernardi faisait un forfait pour le fief qu’il tient de Guilhem Jordani, tamen pro hoc statuto sibi et die et loco congruo ad quem secure et absque metu venire possit et amicos suos ducere (CT, 337 = HGL, V, 1063, X ; vers 1139).
115 Ces rancuras sont ainsi définies par M. Zimmermann : « simples listes de griefs dépourvues de tout appareil protocolaire ou signe de validation, [ces textes] ne sont pas datés et la plupart ne portent aucune souscription de témoins ; ce ne sont pas des documents faisant autorité, mais des répertoires, des aide-mémoire récapitulatifs destinés à être lus par les plaignants devant une cour de justice » (« À propos de la “mutation” du xie siècle », 1995, p. 10). De tels documents sont conservés dans le cartulaire des Guilhem (LIM, 120, vers 1113 ; 55, vers 1140 ; 121, en 1141-1142). Sur ce type documentaire, voir aussi B. Gari, « Las querimonias feudales », 1984 ; T. N. Bisson, Tormented Voices, 1998 ; J. M. Salrach, « Violència feudal, violència contra qui ? », 1999 et « Multa placita et contenciones », 2001.
116 Par exemple : captis ab utraque parte pignoribus (CT, 433, inédit ; en 1170). 5 000 sous de pignora ante placita (AN, J 323, no 114 = Teulet, no 202 = HGL, V, 1301 ; en 1166).
117 Laudavimus iterum Imbertum reddere Bernardo de Aniciano ipsum avere quod in ipso castello de Mont Adino Bernardi de Aniciano erat et inventum fuerat in ipso die quo vicecomitissa fidejussores de Imberto et Bernardo de Aniciano accepit (CT, 469 = HGL, V, 789 ; fin xie).
118 Arbitr[i] ex consensu parcium electorum (CT, 433, inédit ; en 1170).
119 Par exemple : ipse vero Rogerius, ad hoc discernendum, ad castrum quod Vaura vocatur accessit secumque judices Bernardum de Caneto et Guillelmum de Mulam et Berengarium de Capitolio et Guillelmum Rogerii de Aragono et Bertrandum de Belpodio et Arnaldum Pelapol et Guillelmum Mancip de Carcassona atque Poncium Feroil ibi adduxit (CT, 73, inédit ; en 1139). Ou bien : ad hanc rem diffiniendam venerunt in manum domini Rogerii Carcassone vicecomitis qui vocatis ad se assessoribus videlicet… (CT, 357, inédit ; en 1175).
120 Audivit et inquisivit [le vicomte Roger II] allegationes utriusque partis, et auditis et valde inquisitis, placuit utrique parti tam conquerentium quam defendentium et placuit domino Rogerio vicecomiti ut de illa controversia finis et pax esset bona in perpetuum vero facta (CT, 357, inédit ; en 1175).
121 Qui auditis et diligenter hinc inde inquisitis allegationibus post multas testium productiones (CT, 358 = HGL, V, 1275, I ; en 1163). Et auditis eorum testibus et racionibus et diligenter utrinque inquisitis voluntate et consensu utriusque partis, amicabiliter inter eos sic stabilivit et tali modo proposuit quod… (CT, 590 = HGL, VIII, 412 ; en 1190). Nous reviendrons plus longuement sur les divers types de preuves dans la partie suivante.
122 Comme l’a fort bien résumé R. Jacob : « Autour de l’an mil, les scribes écrivaient rationare pour qualifier l’action de celui, juge ou partie, qui faisait avancer le procès. Cette raison-là n’a bien entendu rien de commun avec la logique déductive à laquelle on identifie aujourd’hui l’esprit juridique. Il s’agit d’une intelligence pratique qui manipule les données les plus hétéroclites… Le but de ces opérations est de suggérer des solutions, d’amener les parties vers un accord… Mais cette raison est auxiliaire, non décisive. Elle peut préparer, mais non fonder le jugement » (« Anthropologie et histoire du serment judiciaire », 1991, p. 257).
123 Poncius de Auriaco et R. de Cuc et I. Ademar bone fide et intentione solvunt, dimittunt et omnino condonant Polverello et G. Petri omnia dampna prescripta et malefacta et omnes querimonias quas de illis hucusque fecerunt atque ulla ratione facere potuerunt (CT, 551 = HGL, V, 1131 ; en 1160). La même chose est interdite à Ermessinde une fois que le patrimoine a été partagé avec son fils (CT, 433, inédit ; en 1170).
124 A. Gouron, « Utriusque partis allegationibus auditis », 1994, p. 35-45.
125 Première attestation en 1135 (LN Béziers, 147 ; citée par A. Gouron, ibidem, p. 42) ; puis vers 1139 (CT, 337 = HGL, V, 1063) : HGL donne la date de 1144, mais cet arbitrage pourrait être contemporain de CT, 73 (inédit) qui est du 6 avril 1139, où l’on trouve la clause sous la forme à peine altérée auditis itaque utriusque partis altercationibus. Ensuite la formule se répand (CT, 535 = HGL, V, 980, après 1148 ; CT, 551 = HGL, V, 1131, en 1160), parfois avec quelques variantes : post multas autem allegationes ex utraque parte dictas (CT, 112, inédit ; en 1171).
126 A. Gouron, ibidem, p. 36 et 44.
127 Un causidicus, quelques magistri apparaissent comme signataires ou assesseurs dans certains actes : Osbertus causidicus en 1156 (CT, 476 = HGL, V, 1198), Marcisus et Mauricius magistri en 1163 (CT, 358 = HGL, V, 1275), Hugo magister en 1176 (CT, 530 = HGL, VIII, 312), Guillelmus magister en 1193 (CT, 594, inédit), etc.
128 Auditis utriusque partis querimoniis atque responsis… (CT, 283 = HGL, V, 1138 ; en 1153) ; audivit et inquisiuit allegationes utriusque partis, et auditis et valde inquisitis (CT, 357, inédit, en, 1175) ; auditis eorum testibus et racionibus et diligenter utrinque inquisitis (CT, 590 = HGL, VIII, 412 ; en 1190).
129 CT, 353 = HGL, V, 1106 ; en 1150.
130 R. Jacob, « Le serment des juges », 1991, p. 439. Serment attesté dans deux actes de 1163 : prestito etiam sacramento calumpnie (CT, 358 = HGL, V, 1275, I) ; auditis utriusque partis rationibus et facto calumnie sacramento (CT, 549 = HGL, V, 1277).
131 Post multas autem allegationes ex utraque parte dictas, prefati adjutores talem inter jamdictum abbatem et prememoratum Rogerium pacis composicionem sicut dixerunt… (CT, 112, inédit ; en 1171) ; Placuit domino Rogerio vicecomiti ut de illa controversia finis et pax esset bona in perpetuum vero facta… (CT, 357, inédit ; en 1175).
132 Termes : CT, 549 = HGL, V, 1277 ; en 1163. Vias et Villeneuve : CT, 433, inédit ; en 1170. Autre partage entre trois frères et leurs deux oncles, pour Lavaur : CT, 73, inédit ; en 1139.
133 Brusque : CT, 476 = HGL, V, 1198 ; en 1156. Montréal : CT, 358 = HGL, V, 1275, I ; en 1163. Lunas : CT, 434 = HGL, VIII, 309 ; en 1175.
134 Notum sit omnibus hoc audientibus quod dominus Rogerius vicecomes Biterris venit ad Mesoam et intravit ecclesiam Sancti Ylarii et cum illo [sept hommes]. Domnus Rogerius interrogavit Petrum de Messua et fratres eius et infantes Petri de Messoa ut recognoscerent ei suas dominationes in castro de Messoa et in terminiis eius… Hoc totum cognoverunt domno Rogerio, sicut supradictum est, pro feudo et est notandum quod domnus Rogerius reddidit omnia ista illis in feudo (CT, 425, inédit).
135 Galarde de Fanjeaux ne reçoit que 500 sous de son frère, plus 100 de la vicomtesse de Narbonne (CT, 566 = HGL, V, 1271 ; en 1163).
136 CT, 469 = HGL, V, 789. Pour les détails sur l’organisation de ce duel, voir la partie suivante.
137 CT, 252 = HGL, V, 1130 ; en 1152. Des emendae sont aussi prévues dans le règlement du conflit qui opposa Guilhem de Montpellier et le comte de Melgueil en 1125 (LIM, 61 et 62).
138 R. Jacob, « Anthropologie et histoire du serment judiciaire », 1991, p. 244. Debet emendare Ymbertus per sacramentum cum manibus suis, cum uno de suis militibus qui ad malefactum fuerit, ipsam contumeliam et requirementum que fecit uxori Bernardi de Aniciano ad suum corpus in ipso die quo accepit ipsum castellum. L’autre sorte d’emenda, pécuniaire, apparaît aussi dans ce texte, sans qu’il soit précisé à combien elle se monte. Imbert doit rembourser, ou rendre, à Bernard l’avere que ce dernier avait dans le castrum de Montady le jour où Imbert l’a pris : Laudavimus Ymbertum emendare Bernardo de Aniciano totum ipsum avere quod erat Bernardi de Aniciano et de suis adjutoribus et suis hominibus quos accepit in die quo accepit castellum de Mont Adino Bernardi de Aniciano usque ad diem quo pliverint drictum in manu vicecomitisse (CT, 469 = HGL, V, 789 ; fin XIe, édité et traduit : C. Duhamel-Amado, Genèse des lignages méridionaux, 2001, p. 427-428).
139 Dans des circonstances extra-judiciaires, l’emenda peut aussi tout simplement signifier une compensation. Ainsi, en 1151, Raimond Trencavel donne en emenda aux descendants des derniers comtes de Carcassonne une villa (Leuc) et des albergues, pour que ceux-ci déguerpissent enfin la villa de Cazilhac en faveur de l’abbaye de Lagrasse, à laquelle elle avait été donnée cinquante ans auparavant (CT, 332 = HGL, V, 1141. La première donation datait de 1101 : HGL, V, 770).
140 CT, 3 = HGL, V, 411 ; en 1032.
141 Par exemple dans le serment entre Roger Ier et Sicard de Lautrec : convenerunt inter se ut nullum malum ex hac die in antea faciat, nec sui homines de sua potestate. Et si Rogerius faceret nec sui homines de sua potestate, Sicardus conqueretur Rogerio, et Rogerius faceret ei emendare ; et si facere non posset, faceret ei adjutorium sine inganno (CT, 381 = HGL, V, 1049, I ; en 1141). Le même accord est renouvelé en 1152 (CT, 564 = HGL, V, 1050).
142 Les serments de Lautrec font mention d’un autre délai : il y est de deux mois (CT, 100 et 344 ; inédits) ; et l’accord de 1069 entre le vicomte et le comte de Barcelone stipule un délai de 20 jours (LFM, 821).
143 Et si facerem [=rompre les clauses de l’accord], quod numquam faciam, intra XL dies quod tu me comoneres emendarem tibi, serment de Bernard Raimundi à Bernard Aton IV (CT, 411, inédit). Serment d’Ermengarde de Narbonne à Roger II (CT, 404 = HGL, VIII, 281 ; en 1171). Même chose dans CT, 402 et 407 ; HGL, V, 803 et 961, II.
144 Convenientia pour garantir une finis entre Bernard Aton IV et Roger comte de Foix : Ego Bernard Amel filius Gila, si jam Roger comes de Fois et filius eius hanc finem umquam removeant, ego Bernard Amel to fes drecar intro XL dies quantum men comonras per tu aut per nuncium tuum (CT, 379 = HGL, V, 824, II). Conventio entre Raimond V et Raimond Trencavel en 1163 (CT, 97 = HGL, V, 1270).
145 Et si nos vel aliquis de nobis istum finem vobis removerimus et emendare aut redergere vobis infra XL dies noluerimus… (CT, 73, inédit ; en 1139). Même chose dans CT, 510 = HGL, V, 1071 ; en 1143 ; et dans CT, 112, inédit ; en 1171.
146 Et de pace quam in Tolosana vel in Albiensi patria mittam, si castelli tui vel tui homines mihi infrangunt, dono tibi spacium XL dierum quod eis donec te inquiram non requiram. Et si ipsi per te emendare volunt, quod ego capiam ; et si facere noluerint per bene et fide uti aliis de Tolosana vel Albiensi requiram quod tibi non pigeat (CT, 510 = HGL, V, 1071 ; en 1143).
147 CT, 97 = HGL, V, 1270.
148 Par exemple : et si aliquod malefactum tibi vel tuis propriis hominibus prefato iamdicto castro nisi per sua defensione factum fuerit, infra XL dies sine diminutione et sine pena emendatur (CT, 112, inédit ; en 1171).
149 Et ut superius est dictum totum in perpetuum maneat ratum. Hoc alter alteri affirmat jurejurando super IIII Dei evangelia (CT, 357, inédit ; 1175). Sous des formes similaires, on retrouve cette clause dans CT, 112, inédit ; CT, 566 = HGL, V, 1271 ; CT, 549 = HGL, V, 1277 ; CT, 590 = HGL, VIII, 412.
150 On a une liste de vingt-deux hommes pour Bernard Aton et de huit hommes pour Raimond. Ces listes sont introduites par : ex parte Bernardi Atonis (/Trencavelli), istius negocii sub jurejurando sunt satisdatores… (CT, 455 ; HGL, V, 1122).
151 CT, 73, inédit ; CT, 566 = HGL, V, 1271 ; CT, 549 = HGL, V, 1277.
152 Si vero interea Poncius de Auriaco vel infantes illius vim fecerunt Polverello et Guillelmo Petri aut Polverellus et G. Petri illis, Raimun de Cuc et infantes illius sunt eis in adjutorio cum turre et sala, videlicet illis quibus injuria facta fuerit (CT, 548, inédit ; en 1160).
153 Nos milites Montis Regalis [quatorze noms] juramus quod si aliquis predictorum dominorum hoc infregerit aliis fideles adjutores simus (CT, 358 = HGL, V, 1275, I ; en 1163) ; et les milites de Pignan en 1162 dans LIM, 416.
154 Le second des deux textes qui concernent Pierre comte de Carcassonne et Bermond de Sauve contient les clauses finales : liste des témoins et liste des otages (CT, 470, curieusement détaché du premier dans la copie du cartulaire, mais qu’il nous semble impossible de ne pas rattacher à CT, 468 = HGL, V, 416 et 415) : Factus est ipse placitus in presentia istis hominibus (vingt et un noms). Hoc sunt obsides nomina quos misit Bermundus in manu Petri comes frater eius per finem quem faciat predictus Bermundus Petrum suprascriptum et cum omnes homines per suum ad eum sine inganno et per hominaticum suum et propter fidancias ut fecissent Bermundus suprascriptus ad Petrum suprascriptum que sunt nominatas et misit per istud placitum in obsides : Matfredum filium Aladonis per M solidos et Frotardum de Combreto similiter, Fredulonem Raimundum de Salve similiter, Poncium Bermundum de Someire similiter, Teubaldum de Venedolio similiter.
155 Texte intégral : Debet Berengarius vicecomes et frater eius Raimundus mittere obsides in potestate Petri comitis per XM solidatas valentes de denariis Biterrensis aut Melgorium ut adtendat ipsas conveniencias et ipsos… [inachevé] (CT, 500, inédit ; vers 1050-1060).
156 LIM, 78 ; vers 1076.
157 Vers 1103 : LIM, 64 ; en 1125 : LIM, 62.
158 Et si nos vel aliquis de nobis istum finem vobis removerimus et emendare aut redergere vobis infra XL dies noluerimus…, donamus et laudamus vobis ut totus noster honor predictus in vestra potestate revertat ad faciendum inde vestram voluntatem (CT, 73, inédit). L’affaire du castrum de Clermont en 1175 se clôt de la même façon : Et si quis omnium predictorum aliquid de antedictis transgressus fuerit, pars castri et turris illius transgressoris succedat omnino pari dampno pacienti (CT, 357, inédit).
159 Petebat siquidem predictus Austor a predictis fratribus medietatem castri de Brusca et honoris ad ipsum pertinentis, quod totum dicebat esse sui alodii. Et ad hoc probandum produxit testes qui dicerunt patrem predicti Austor sepius pro suo recuperasse et possedisse predictum castrum et per quedam tempora tenuisse presente etiam patre predictum fratrum, quod negebant predicti fratres. Tandem idem ipsi fratres tres testes produxerunt quorum sacramento probatum fuit quod pater predicti Austor hominium fecit patri predictorum fratrorum pro feudo quod de eo habebat (CT, 476 = HGL, V, 1198 ; en 1156).
160 Et ab utraque parte producti sunt testes, in medium quorum qui ex parte domni R. Trencavelli accesserunt dicebant se vidisse et audisse quod B. Ato vicecomes pater eius et Cecilia mater illius et Rogerius de Biterris frater ipsius habuerant eos pro suis et tenuerant, et albergam multociens ab eis habuerant sicuti a suis hominibus sine querela. Ipsi vero qui ex parte U. Escafredi et fratrum eius producti erant, dicebant se vidisse et audisse quia Petrus Guillelmi qui de Rocafor et filii eius per longum tempus eos ut suos homines habuerant et ab eis albergas et quistas et alia sicuti a suis hominibus exigerant sine querela (CT, 341 = HGL, V, 1136).
161 Super hoc itaque talis lata fuit sentencia : ut si duo vel tres testes producti ex parte domni R. Trencavelli in predictis hominibus id quod desiderat sicutdictum eorum testimonia, similiter si duo vel tres testes Ug Escafredi et fratrum eius jurejurando affirmaverunt quod testificati sunt, habeant quod petunt in predictis hominibus alioquin resipiscant. Electionem autem dederunt domno R. Trencavelli ut eligat de testibus U. Escafredi et fratrum illius duo vel tres ad prestanda sacramenta quos voluerit, et e converso hec eadem electio fuit permissa U. Escafredi et fratribus eius de testibus domni R. Trencavelli (ibidem).
162 Ad hoc probandum, surrexerunt testes qui dixerunt se hoc vidisse et audisse ut ecce : Ego Raimundus Amelii vidi et audivi quod… Super hoc prohibeo testimonium ego Raimundus Amelii… Totum hoc sicut superius scriptum est, viderunt et audierunt isti prenominati et subite jurando confirmaverunt (CT, 353 = HGL, V, 1106).
163 Tantum quamtum Bernardus de Aniciano poterit probare cum legalibus testibus emendet Ymbertus Bernardo de Aniciano (CT, 469 ; HGL, V, 789).
164 On pourrait reconnaître ici une allusion très précoce aux deux témoins idoines, qui sont mentionnés comme moyen universel de preuve dans les coutumes de Montpellier et de Carcassonne rédigées au début du xiiie siècle : duo legales et ydonei et noti testes creduntur de omni facto (coutume de Montpellier, art. 26 et de Carcassonne, art. 23 ; citées par J.-M. Carbasse, « Le duel judiciaire dans les coutumes méridionales », 1975, p. 394, note 43). Mais la légalité des témoignages pourrait aussi reposer sur un âge minimum requis, voire sur la moralité des personnes appelées à témoigner (et legales pourrait renvoyer au concept de loyauté plus qu’à celui de légalité).
165 Clause sur des parties de l’honneur comtal de Melgueil impignorées ou aliénées par la comtesse douairière, « sauf si l’un des possesseurs peut prouver par témoins ou par chartes qu’il a acquis cela du comte Pierre… » (nisi si quis possessorum testibus aut scriptis probare poterit hoc acquisivisse a Petro comite…, LIM, 61).
166 Unde cum diu durasset contentio inter jamdictos vicarios in presentia jamdictorum dominorum, auditis testibus et perlectis cartis ex utraque parte ostensis (Lagrasse, t. I, 115 ; en 1071)
167 Videntes itaque et cognoscentes predicti judices ex dictis partium et ex dictis testium hinc inde productorum, quod communiter pater predicti Austor et pater predictorum fratrum scilicet sua tempora predictum castrum tenuerant, et alter alteri reddiderat, et castlani predicti castri cuique eorum petenti castrum predictum sine dilatione reddiderant et se debere reddere sine mora assenerabant, quod etiam probatum fuit per testes quos produxit predictus Austor. Judicaverunt ut medietatem castri predicti et omni ad illud pertinencium haberet predictus Austor scilicet per feudum a predictis fratribus et eis faceret hominium maxime etiam quia predicti fratres cartam ostenderunt in qua continebant quod totum castrum predictum et quedam alia que ipsi habent avie eorum in dotem fuerunt data (CT, 476 = HGL, V, 1198).
168 Visis scripturis quas inter se nuper ex utraque parte fecerant et concederant, laudaverunt quod ille scripture et sacramentalia firmiter ab utraque parte tenerentur, et […] super illam scripturam et sacramentalia jurare fecerunt (CT, 495 = HGL, V, 1264 ; en 1163).
169 Une difficulté subsiste : il est dit à deux reprises que Raimond Trencavel avait fait cet engagement après sa mort. Quam predictam parrochiam et omnes terminos eius affirmabat Poncius de Olargio domnum Raimundum Trencavelli post mortem suam patri suo Poncio de Olargio pignori obligavere pro tria milia solidorum melgoriensium et D solidos melgorienses (CT, 462 = HGL, VIII, 313 ; en 1175).
170 Il le répète d’ailleurs plusieurs fois : Poncius… absolveret mille quingentos solidos domino Rogerio et retineret duo milia… Et ego Poncius de Olargio remitto tibi… mille quingentos solidos melgorienses de supradicto pignore de parrochia de Muratione (ibidem).
171 Si quid vero plus scriptum continetur in carta quam Raimundus Trencavelli pater vester Poncio de Olargio patri meo fecit, illud pro non scripto et non adjecto habeatur, excepto solummodo hoc quod in hac presenti carta continetur (ibidem).
172 Ostendere cartam (CT, 476 = HGL, V, 1198 ; en 1156) ; super illam scripturam et sacramentalia jurare fecerunt (CT, 495 = HGL, V, 1264 ; en 1163) ; perlectis cartis (Lagrasse, t. I, 115 ; en 1071) ; sacramentale istis judicibus videntibus igni combustum fuit (AN, J 321, no 2 = Teulet, no 104 ; en 1150). Sur ces aspects, voir les réflexions fort suggestives de L. Morelle, « Les chartes dans la gestion des conflits », 1997.
173 Sur le duel, en dernier lieu : O. Guillot, « Le duel judiciaire », 1997.
174 Excepto ipsas batallias juratas quem Raimundus retinet ipsam medietatem quem comes habere debet (CT, 269 = HGL, V, 459, II ; avant 1050).
175 Si homines et femine de predicta civitate et de predictis burgis et de predicto terminio fecerint homicidium, aut fregerint pacem, aut habuerint aliquem placitum unde batallia sit estacada, similiter damus vobis medietatem de ipsis judiciis et de ipsis placitis suprascriptis (CT, 482 = HGL, V, 551 ; LFM, 839). Un autre texte du dossier des accords sur les comtés de 1067-1070 entre Ramon Berenguer Ier et Raimond Bernard mentionne le duel judiciaire : il s’agit de la convenientia réglant le sort des abbayes de Valsiger et Caunes en 1069. Sont donnés en caution du respect des engagements un certain nombre d’otages. Si un problème survenait, les comtes semonceraient les vicomtes : les otages auraient vingt jours pour amener les vicomtes à composer. S’ils échouaient, ils auraient alors dix jours pour se remettre au pouvoir des comtes, et un duel serait organisé. Cette batallia devrait être faite par un caballerius qui numquam fecisset bataliam juratam cum scuto et bastone (LFM, 821 = HGL, V, 576). On reconnaît ici le vocabulaire des actes catalans ; c’est certainement à l’instigation du comte de Barcelone que fut rédigée cette clause.
176 Bernardus vero de Aniciano debet complere judicium quod vicecomes dedit eis et fecit scribere sicut scriptum fuit, et batallie quas vicecomes postea laudavit sint facte cum ipsis aciis et cum ipsis hominibus sicut vicecomes laudavit (CT, 469 = HGL, V, 789 ; édité et traduit dans C. Duhamel-Amado, Genèse des lignages méridionaux, p. 427-428).
177 Debet Ymbertus mittere in batallia tria milia solidatas ad precium vicecomitis et solidos CL de dampno de batallerio… Et Bernardus de Aniciano… debet mittere in batallia solidatas MD ad precium vicecomitis et CL solidos de dampno de batallerio (ibidem).
178 Batallerii debent esse discombatud de qua terra ipsi velint (ibidem). Velint, subjonctif présent de volo, pose un problème de traduction : faut-il comprendre « de quelque terre qu’ils veuillent » ? C’est-à-dire que la liberté est laissée aux protagonistes pour définir les régions d’origine des champions ? (voir ci-dessous, note suivante, pour une telle définition).
179 Et per unamquamque batalliam de ipsis batalliis que ei advenerint, mittat Bernardus de Aniciano II M solidatas ad precium vicecomitisse et solidos CC de dampno de batallerio [même chose pour Imbert à la suite]. Hoc quisque per hominem descombatud qui sit de Rodens usque ad Garonam et de Barchilona usque ad Rodens et in toto Rodaniege (ibidem).
180 Cette succession des duels est aussi attestée en Catalogne (P. Bonnassie, La Catalogne…, t. 2, p. 731).
181 S. D. White, « Proposing the Ordeal and Avoiding It », 1995.
182 Consilium dederunt utrisque ne fieret inde bellum sed dividerent inter se jamdictum alodium, et statuerunt ut fieret (HGL, V, 374 ; édité et traduit par M. Bourin-Derruau, « Le Bas-Languedoc », 1992, p. 101). Outre Bérenger, vicomte de Narbonne, les artisans du premier plaid sont l’archevêque Guifred, le vicomte (de Rouergue-Millau) Richard, Bernard abbé, trois laïcs et d’autres nobiles.
183 La formulation la plus explicite est à trouver dans le serment de Petrus fils d’Adalaïs à Aton II, donc avant 1030, pour les châteaux de Lavaur et Saint-Félix : Si comprobatum non habuerit ipse Petrus ipsum Atonem que tultos aut devedatos habeat ei ipsos castellos aut unum de ipsis, tali comprobatione ut sit victus ipse Ato per bataliam aut extractus que non audeat combatre (CT, 77, inédit). Le texte en est parfois plus elliptique et plus confus : si tolt nol nos aviaz o comproparz no vos aviam quod tolrel nos volgeses per batalia o per estracto de batalia (serment pour Latour, à Frotaire IV et Bernard Aton III ; CT, 136, inédit). « Dans la pure procédure féodale […], le refus de subir le duel est assimilé à un aveu » ; la coutume de Bordeaux le formule ainsi : totz hom accussat de crim, aperat de batalha per aquet crim, si es vencut en camp o si defalh de venir au jorn assignat per combatre (J.-M. Carbasse, « Le duel judiciaire dans les coutumes méridionales », 1975, p. 387 et note 8).
184 J.-M. Carbasse, ibidem, p. 393-394. Voir aussi la carte des coutumes « à duel », p. 402. Même chose dans la coutume de Toulouse, rédigée à la fin du xiiie siècle (G. Sicard, « La preuve dans l’ancien droit coutumier toulousain », 1965). Sur le duel en Gascogne : P. Ourliac, « Le duel judiciaire dans le sud-ouest », 1958. H. Couderc-Barraud a bien montré que, même dans la Gascogne où les coutumes font la part belle au duel, celui-ci est assez rare dans les chartes, et disparaît dans la deuxième moitié du xiie siècle (« Le duel judiciaire en Gascogne d’après les cartulaires », 2001).
185 En Catalogne, par exemple : P. Bonnassie, La Catalogne, t. 2, « la codification de la violence », p. 728-732.
186 R. Verdier, « Sacramentum… Juramentum », 1991, p. XVIII-XIX. R. Jacob conclut : « le règlement du litige par serment reste donc bien la caractéristique de sociétés dans lesquelles la supériorité du juge sur les parties n’est pas un donné préalable à tout procès, et où la justice est d’abord une affaire négociée » (« Anthropologie et histoire du serment judiciaire », 1991, p. 252).
187 Conquerebatur ipsa Ermengarda quod Guillelmus de Durbanno et filii ejus castellum de Monte Sereno, quod pater ejus pro justicia sicut ipsa dicebat destruxerat, per vim et contra voluntatem ejus reaedificaverat. Quae controversia cum in curia ejusdem Ermengardis vicecomitissae diutius agitata esset, ad ultimum amicabili compositione, ut Raimundus filius Guillelmi de Durbanno mandato patris et fratris sui castellum de Monte Sereno juret dominae suae Ermengardi vicecomitissae et infantibus ejus si quos habuerit ; si vero infantes non habuerit, aliis heredibus ejus praedicti tenore sacramenti non teneatur Guillelmus de Durbanno, ejusdem castelli aliud sacramentum non exigat nec accipiat nisi secundum eam formam qua juravit Raimundus filius Guillelmi de Durbanno, nec in corpore ejusdem castelli ab ipsis partionariis aliquod acaptum faciat praeter simile sacramentum, et inde recepit eos Ermengardis vicecomitissa in fide sua. (HGL, V, 1152). La reconstruction litigieuse a dû avoir lieu juste avant 1134, date à laquelle, dans le contexte des affrontements de la grande guerre méridionale, le château a été repris en fief des Trencavel avec une clause d’aide contre Aimeric et tous les vicomtes de Narbonne (CT, 410 = HGL, V, 1000).
188 Les clauses d’engagement, à la fin du texte, le citent après son père Guilhem et son frère Bernard.
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